Titre : La Croix
Auteur : Groupe Bayard. Auteur du texte
Éditeur : La Croix (Paris)
Date d'édition : 1933-04-30
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 30 avril 1933 30 avril 1933
Description : 1933/04/30 (Numéro 15396)-1933/05/01. 1933/04/30 (Numéro 15396)-1933/05/01.
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
TTT
"LA CROIX
DIMANCHE 30 AVRIL, LUNDI 1" MAI 1933
NOTES ET NOTICES
GEORGES Radet la Dernière campagne (£ Alexandre contre Darius.
FR. Funck-Brentano le Masque ae fer. Geneviève Bianquis Nietzsche.
Après avoir été défait à Gauga-
mèle par Alexandre, Darius se ré-
fugia à Ecbatane. « Pour sauver les
débris de son ancienne puissance,
deux perspectives s'offraient à lui
ou bien se poster dans le nord du
grand isthme qui, de la mer Hyrca-
nienne (Caspienne) au golfe Persique,
tend sa charnière médiane, et là,
tandis qu'Alexandre s'employait à
réduire les satrapies méridionales,
Babylone, Susiane et Perse, organiser
la défense en barrant l'accès de l'Ex-
trême-Orient ou bien abandonner
délibérément toute l'Asie antérieure
et s'en aller à l'autre bout de l'Em-
pire, dans le bastion montagneux,
autour duquel l'Oxus et l'Indus
creusent leur fossé de ronde et lever
une armée nouvelle. » Tandis qu'il
se montrait hésitant, son principal
conseiller, Bessus, fit adopter le se-
cond plan comportant l'évacuation de
l'Empire jusqu'aux montagnes de
I*' tus (Afghanistan).
En interrogeant Arrien, Diodore
et Quinte-Curce, M. Georges Radet a
reconstitué cette marche avec ses
différentes étapes. Pour poursuivre
Darius, Alexandre fit accomplir à
ses troupes un raid fort rapide
<• II part de Rhagae un matin de juil-
let 330 cinq jours plus tard, à
l'aube, il débouche entre Deh-i-
Mollah et Chahroud, ayant parcouru
403 kilomètres en cent vingt heures,
soit une moyenne quotidienne de
80 kilomètres sur une terre brûlante,
à l'époque la plus chaude de l'an-
née. »
Cette marche, telle qu'elle est dé-
crite par les auteurs anciens, est si
considérable, que M. Radet se de-
mande s'il a été possible de la faire.
I! a interrogé pour cela des généraux
de notre temps ayant accompli des
raids de cavalerie dans les mêmes
conditions, et l'un d'eux, le comman-
dant Lefebvre des Noëlistes, lui a ré-
pondu « La performance du con-
quérant me paraît atteindre la li-
mite extrême du vraisemblable.
Néannioins, si l'on considère que
chevaux et hommes furent sacrifiés
sans compter dans cet hallali mé-
morable, qu'Alexandre n'avait plus
avec lui qu'une poignée de cavaliers
lorsqu'il surprit la smala de Darius,
comme le duc d'Aumale celle d'Abd-
él-Kader, aucun cavalier n'oserait, je
çrois, prononcer le mot impossible. »
Ce fut au cours de cette campagne
que devait mourir Darius, lâchement
assassiné par les siens.
En parlant ici même du beau vo-
lume que M. Radet a écrit sur
Alexandre le Grand, nous avons si-
gnalé ses éminentes qualités d'histo-
rien et d'écrivain nous les retrou-
vons dans cette étude qui a paru
dans les Mélanges Glotz. (T. II.
p. 765-778.)
Après tant d'autres, M. F. Funck-
Brentano vient de reprendre la ques-
tion du Masque de Fer (1). Il coin-
mence par rappeler les nombreuses
identifications qui ont été déjà faites
de ce mystérieux personnages, de
1745 à nos jours. « En 1870, Marius
Topin en comptait déjà vingt-deux
depuis, il en est bien venu s'y ajouter
une douzaine. L'énumération com-
plète en serait fastidieuse. » Parmi
ces personnages que l'on a cru re-
connaître derrière le « masque de
fer que portait toujours ce prison-
nier, les uns ont reconnu Monmouth,
fils naturel du roi d'Angleterre
Charles II d'autres, un certain
Alexandre, qui aurait été le fils
d'Anne d'Autriche et de son beau-
frère Gaston d'Orléans d'autres.
Louis XIV lui-même, qui, à moitié
de règne, aurait été victime d'un
complot et d'une substitution de per-
sonne. D'aucuns même ont fait de
Napoléon I" le descendant d'un fils
de Louis XIII, vrai héritier de la
couronne, dont Louis XIV se serait il
débarrassé en l'envoyant, pour toute
sa vie, en prison.
M. Funck-Brentano adopte la thèse
soutenue aussi par beaucoup, qui
voit dans le Masque de fer Mattioli,
sénateur de Mantoue et secrétaire de
Charles IV de Gonzague, duc de Ne-
vers et de Mantoue.
Voulant, pour assurer sa domina-
tion en Haute-Italie, posséder la
place de Casai, qui dominait le
Montferrat et le Piémont, Louis XIV 1
avait acheté Mattioli, qui devait ]
amener son souverain à céder cette
place au roi de France mais, ]
après avoir reçu le prix de ce mar- i
ché, Mattioli ne tint pas ses enga- l
gements et même avertit l'Espagne
de ce projet. Pour punir Mattioli et
aussi pour l'empêcher de parler da- ]
vantage, Louis XIV le fit arrêter, le
2 mai 1679, près de Turin, en violant
le territoire du duc de Savoie, et en- i
fermer, sous le nom de Lestang. l
dans la citadelle de Pignerol, qui
avait pour gouverneur M. de Saint- 1
Mars. t
Ce fut pour dissimuler la violation
du territoire piémontais que l'on en- (
toura du plus grand mystère la prise 1
et la captivité de Ma',tioli. Charles IV
de Mantoue tenait aussi à ce que la
détention de son ancien secrétaire de-
meurât secrète. Malgré la trahison de
Mattioli, les négociations pour la ces-
sion de Casa! se poursuivirent, et, le
30 septembre 1681, les troupes fran-
çaises entrèrent à Strasbourg et à
Casai, commandant, ainsi la vallée du
Rhin et celle du Pô.
Devenu en quelque sorte anonyme,
puisqu'on ne l'appelait plus dans les
correspondances officielles que « l'an-
cien prisonnier », Mattioli fut trans-
féré, le 16 mars 1694, de Pignerol
à l'île Sainte-Marguerite, où il re- <
trouva comme gouverneur celui qui ¡
l'avait reçu à Pignerol, M. de Saint- l
Mars. « En sa captivité solitaire, dit É
M. Funck-Brentano, le prisonnier
passait par des alternances de tran- i
quillité et d'agitation. Par moments,
c'était un calme plat, comme une ré-
signation hébétée, évanouissement de
la pensée dans le chagrin, dans la 1
'détresse, dans le désespoir d'une vie
pnéantie puis il s'agitait, s'exaltait, c
PAGES LITTERAIRES
Certains jours, sa raison semblait
s'égarer.
11 resta à Sainte-Marguerite, dans
ce château battu par les flots, jus-
qu'au jour où il fut transféré, en
juin 1698, à la Bastille, dont M. de
Saint-Mars venait d'être nommé gou-
verneur il y mourut le 19 novembre
1703, à 63 ans, après vingt-quatre
ans de captivité.
Dans la dernière partie de son
livre, M. Funck-Brentano expose les
raisons de sa thèse et combat celles
qui s'y opposent cette partie cri-
tique semble convaincante. Plusieurs
gravures fort nettes représentent le
comte Bénigne de Saint-Mars, la pri-
son des îles Sainte-Marguerite, le
cachot du prisonnier, la Bastille telle
qu'elle était au xvir siècle, le fac-
similé du journal du lieutenant du
roi à la Bastille de Junca parlant de
la mort du Masque de fer, enfin, sur
la couverture, le Masque de fer dans
sa cellule et la forteresse de Pignerol.
Le volume écrit sur Nietzsche (2)
par Mlle Geneviève Bianquis pour
sa collection « Maîtres des littéra-
tures », n'est ni un exposé ni encore
moins une discussion du système de
ce philosophe. C'est avant tout une
étude biographique et psychologique
sur l'un des esprits les plus anor-
maux qu'ait produits le dernier
siècle.
Le milieu d'où il était sorti avec sa
lignée de pasteurs luthériens vivant
dans la paix de leurs presbytères, ne
faisait pas présager, semble-t-il, son
existence si troublée et si déséqui-
librée. Lui-même, entre sa mère, sa
grand'mère, ses d ux tantes et sa
petite sœur, eut une enfance douce
et choyée, et se montra « écolier
plein de zèle, enfant docile et res-
pectueux, sévère pour lui-même, ir-
réprochable à la maison, comme à
l'école, précocement grave ». Ses ca-
marades l'appelaient « le petit pas-
teur ».
Même lorsque, ayant perdu la foi,
il renonça au pastorat vers lequel
le poussait sa mère, il demeura un
étudiant réglé, studieux, éloigné de
tout excès et se préparant méthodi-
quement au professorat. Elève de
Ritschl à Bonn, il voulait être comme
lui philologue, et écrivait de savantes
études sur Théognis de Mégare, Sui-
das, Homère, Hésiode, Simonide et
Diogène Laërce. Les deux démons qui
vinrent saccager sa vie jusqu'alors
régulière et paisible, furent Scho-
penhauer et Wagner.
A 24 ans, (1869), il était nommé
professeur adjoint de philologie clas-
sique à l'Université de Bâle il se
trouvait dans une ville qui avait
conservé l'humanisme du xvi» siècle
et il avait à l'Université, des collègues
de valeur. Il s'y montra lui-même
professeur scrupuleux et brillant,
homme du monde aussi, fréquem-
tant les salons et les cercles univer-
sitaires, causeur étincelant et jovial,
« un véritable boute-en-train », dit
un témoin de sa vie. Mais Bâle n'était
pas loin de Triebschen, la résidence
sur les bords du lac de Lucerne de
Wagner et de Cosima, cette femme,
fille de Liszt et de Mme d'Agoult,
que le maître avait enlevée à son
disciple fervent, Bùlow.
Des relations étroites s'établirent
entre Wagner et Nietzsche.
Mlle Bianquis analyse avec saga-
cité les idées et les sentiments qui
avaient étroitement uni le philologue
et le musicien, et aussi les nuances
qui ne tardèrent pas à les séparer
des hommes qui ne pouvaient être
unis que dans l'enthousiasme. Wa-
gner exigeait de ses admirateurs un
abandon complet de leur personna-
lité or, celle de Nietzsche se déve-
loppa à côté de la sienne la rup-
ture était inévitable. Elle fut vio-
lente et tragique, d'autant plus qu'il
s'y mêla un sentiment de Nietzsche
pour Cosima, qui excita la colère
d'un mari aussi ombrageux sur la
foi conjugale d'autrui qu'il était
d'une extrême largeur pour la sienne.
En 1874, Nietzsche défendait
encore publiquement l'œuvre de Wa-
gner contre ses détracteurs, mais
dans ses notes personnelles, il défi-
nissait le maître en ces termes
« égoïsme et violence, rancune basse
,t, histrionisme cynique », et voyait en
lui un éblouissant rhéteur, comédien
entre les comédiens. Blasphème su-
prême il lui contestait même la ]
qualité de musicien « à cause de son
?oût des effets énormes, des rugis-
sements et des cataclysmes ».
De Wagner, il passa à Scho-
penhauer.
Tel qu'il se le représente, ce n'est pas
seulement un grand maître de la vie
ntérieure. comparable à Montaigne pour
a sincérité, la. fraîcheur et la grace,
nais un exemple héroïque d'énergie et
le lucidité intellectuelle à lui seul, il a
rioiiiptié de tous les dangers qui guet-
ent le penseur moderne la solitude
norale, le désespoir philosophique, la
lonleur de se sentir enferme dans les
)ornes étroites de l'individualité.
Cet enthousiasme pour Scho-
penhauer, dans lequel il se recon-
naissait lui-même, coïncida avec un
désarroi physique et moral. « 1874-
1876 sont des années de travail. de
doute intérieur, de douleur phy-
sique le séjour de Bâle est coupé
de maladies graves, sans parler de i
ces malaises à cause mal définie qui
persécuteront Nietzsche toute sa vie:
migraines crucifiantes, nausées,
demi-cécité. » Pour trouver le calme,
il chercha des affections qui parfois
lui causèrent les plus amères dé- i
septions, comme sa liaison avec Lou
salomé Andréas, et il se lança dans
a vie errante dont Mlle Bianquis <
ious décrit les nombreuses étapes,
m Suisse, en Italie, en Sicile.
C'est alors qu'il écrit Aurore,
Choses vues, Gai savoir, où il note
îes alternances de désespérance et
(1) Le Masque de f«r. Paris, 125 patres. (
933. 3 fr. 75. v 8
(2) Paris, in-4" 78 pages avec 60 plan-
tes hors texte. 1933. 20 francs. 1
d'enthousiasme pour la vie, et Ainsi
parla Zarathoustra, œuvre écrite à
plusieurs reprises, en 1883 et en 1884.
Mais, progressivement, la folie le
gagna, et il y sombra en 1889, tandis
qu'il écrivait le Crépuscule des faux
dieux et la Volonté de dominer, où
se précisait sa doctrine orgueilleuse
du surhomme. A ses derniers temps
de lucidité, il ne voit partout que
décadence causée par la philosophie,
!'art moderne, le romantisme, la
musique wagnérienne et surtout le
christianisme, « qu'il prend violem-
ment à partie dans son origine
même, dans le Nouveau Testament,
et qui lui apparaît plus que jamais
comme la revanche des ignorants et
des faibles sur le clair et fort génie
aristocratique de l'antiquité ».
Plus il s'enfonce dans la folie, plus
il appelle de ses vœux le surhomme
qui établira contre ces prétendus
agents de décadence et de nihilisme
absolu « les valeurs fortes, cruelles,
mais favorables à la vie, la morale
des fauves blonds créateurs de hié-
rarchies, fondateurs de sociétés
dures et durables ». Bientôt il se crut
lui-même ce surhomme et dans !e
livre Ecce Homo ou Comment on de-
vient ce que l'on est, qui est son por-
trait par lui-même, il intitule ses
chapitres « Pourquoi je suis si
sage Pourquoi je suis si malin
Pourquoi j'écris de si bons livres
Pourquoi je suis une destinée. »
Hélas le plus vrai des chapitres eût
été celui qui aurait dit pourquoi il
était devenu fou. Il le demeura jus-
qu'à sa mort, qui eut lieu le 25 avril
1900, à Weimar.
Ce résumé suffit à montrer Fin-
térêt, que présente cette biographie
psychologique. Il eût été utile de
rechercher les origines de cette folie
et son développement, auquel ont
contribué des causes physiques, in-
tellectuelles et morales.
Cette Evasion (3) qu'a racontée
M. Marcel Bloch, est-ce un roman ou
une histoire vraie, ou même une
autobiographie ? Telle est la ques-
tion qui ne cesse de se poser à l'es-
prit de celui qui lit ce livre émou-
vant. Mais il suffit des allusions
transparentes qu'on lit dans la pré-
face, écrite par M' Henri-Robert,
pour cette œuvre d'un de ses con-
frères du Palais, pour voir que cette
évasion est celle dont M. Bloch lui-
même a été d'abord l'acteur, puis le
narrateur.
Cette évasion n'est pas celle d'une
prison matérielle, mais d'une capti-
vité plus longue et plus douloureuse,
celle qui enferme, privé de commu-
nications avec l'extérieur, le mal-
heureux qui, dès l'enfance, a perdu
'la vue et se trouve ainsi emmuré en
lui-même.
Cette désespérance d'un homme qui
se trouve ainsi en partie retranché
des vivants, puisqu'il ne peut se con-
duire lui-même et encore moins
vivre de la même vie que les autres,
le héros de ce livre, Pierre Derheim
(alias Marcel Bioch), l'a sentie dès
les premiers temps de son infirmité.
Même la pitié de ceux qui l'aimaient
le plus, ses parents, le désolait,
puisque leur affection s'ingéniait à
lui bien organiser une vie toute par-
ticulière qui l'enfermait une fois de
plus en lui-même et combien, à
plus forte raison, ceux qui lui prê-
chaient une philosophie faite de
résignation à une destinée présentée
comme inéluctable 1
Pierre Derheim voulut briser cette
captivité et entrer si bien en com-
munication avec le monde extérieur
qu'il put y vivre comme les voyants.
Ce sont ces efforts persévérants, cette
lutte lenace qu'il poursuivit contre
les conditions de vie que semblait
lui imposer sa cécité, qu'il nous dé-
crit dans ce livre. Tout comme ses
camarades, il voulut jouer, étudier
comme eux, il voulut aimer et fon-
der un foyer comme eux, enfin, i!
voulut s'engager dans la vie sociale,
y prendre une profession, celle
d'avocat, et y exercer toute l'in-
fluence que lui permettaient son
intelligence et son caractère.
Avec une énergie digne d'admi-
ration, il y parvint, car cet aveugle
dont parle M" Henri-Robert, qui alla
lui demander de l'inscrire au tableau
des avocats, malgré l'infirmité qui
le lui interdisait, c'est lui, Marcel
Bloch, vrai nom du héros du livre,
Pierre Derheim.
Et lorsqu'il fut parvenu à cette
libération à peu près complète de
sa prison naturelle, l'auteur résuma
l'effort qui lui avait valu la victoire
en mettant ces paroles sur les lèvres
du héros de son roman, qui lui res-
semble comme un frère, Pierre
Derheim « Il m'a fallu lutter et
vaincre, il faut toujours lutter et
vaincre. Une armée battue se re-
forme. Je n'ai rien innové. Je ne
suis pas un phénomène. J'ai tiré
parti dé moyens habituels et de fa-
cultés sans éclat. Aidé par ceux qui
ont eu confiance en moi, j'ai voulu
réaliser mon indépendance. J'ai con-
juré le sort pour être comme tous
les autres. »
Qu'il nous permette de le lui dire,
Derheim ou Bloch est trop modeste;
ce qui lui a. valu la. victoire, ce' ne
fut pas une incantation « conjurant
le sort », ce ne furent pas des
« moyens ordinaires », mais bien
une forte volonté, une ténacité in-
lassable et la puissance de l'esprit
dominant la matière. <
Cette histoire est «elle de l'énergie
individuelle, et à ce titre, sa lecture
est réconfortante. Mais, loin d'être
« sans éclat » et, semble-t-il, accès- j
sibles à tous, cette ténacité et cette
énergie sont exceptionnelles, et il ne
sera pas donné, hélas à tous les
aveugles de s'évader, comme le fit
Pierre Derheim, de leur infirmité
et voilà pourquoi, loin de s'indigner
comme le fait Marcel Bloch contre <
(3) Paris (Editions Mornay, 8, rue de
'Arrivée, XV»). In-12, 193 pages. 1923.
DOUARNENEZ, EN BRETAGNE
Tout au bout de la presqu'île
armoricaine, au fond d'une vaste
calanque qui la protège des vents
pluvieux de l'Ouest et du Sud, s'élèvs
une petite ville de pêcheurs, dont le
nom se traduit en bon français
« Terre de l'Ile ». Cette appellation
viendrait de ce que, au temps jadis,
l'ile Tristan, sise face au promon-
toire où le port se dessine, possédait
un monastère fortifié de Chevalier?
du Temple, lequel tenait sous sa
juridiction toutes les terres du con-
tinent proches de la mer, jusques
aux baronnies du Juch et de Ros-
madec.
Le hameau qui se forma dans
l'anse voisine du moustier fut donc
de la terre de l'île « Douar an
Enez ». Depuis, le hameau est devenu
bourgade, ville et port de pêche im-
portant. Cette ville, le poète Sully-
Prud'homme l'a chantée en de jolis
vers à peu près inconnus
On respire du sel dans l'air,
Et la plantureuse campagne
Trempe sa robe dans la mer,
A Douarnenez en Bretagne.
Et véritablement, la merveilleuse
verdure de ce coin ensoleillé vient
finir au ras des flots, à la base des
rochers qui surplombent de vingt
toises le havre même de Douarnenez.
Quadrilatère ouvert au Sud-Est, le
port est ceinturé d'un côté par sil
jetée d'un demi-kilomètre de lonsr,
où s'érige un phare à feux fixes "à
la base, par ses quais étroits aux
embarcadères gluants, et vers l'Ouest,
par la haute falaise des Plomarchs
que tant de peintres célèbres ont
illustrée et qui offre contre les
embruns la formidable protection de
ses rochers abrupts.
Il y a tente ans, le port de Douar-
nenez était le plus sûr mouillage de
toute la côte bretonne. et la flottille
innombrable de ses embarcations s'v
trouvait à l'aise. On n'y pratiquait
guère que la pêche à la sardine, dans
de tout petits bateaux non pontés,
tels des coques de noix, et qui pa-
raissaient cependant d'assez grande
envergure. Puis, au début du
xx° siècle, les barques s'amplifièrent,
quoique gardant leur forme ances-
trale et leurs deux voiles latines
misaine et taillèrent. On v mit un
pont, et le matelot, durant ses lon-
gues randonnées, y trouva un abri
plus chaud et des vivres mieux pro-
tégés.
Il arriva que vers cette époque
quelques patrons pêcheurs ayant ouï
parler de côtes lointaines où l'on
prenait la langouste comme tes
crabes chez nous, firent construire,
sur le modèle des thonniers de Groix,
de fortes barques à deux mâts, ca-
pables de tenir la mer au large et de
supporter les longues traversées.
Le port de Douarnenez et la gracieuse fiotille de ses embarcations 1
Sous le pont fortement charpenté,
de larges chambres-abris, et des
soutes à vivres, dortoirs et cam-
buses. On ajouta un vivier à claire-
voie, laissant filtrer l'eau de la mer,
pour la conservation des crustacés
Leur premier départ fut un évé-
nement, une manifestation de sym-
pathie de tout le peuple amassé sur
les quais. On leur souhaitait bon
voyage et bonne pêche beaucoup
priaient pour eux, les prêtres avaient
béni les bateaux. Leur retour fut un
triomphe revenant des côtes du
Maroc, ils ramenaient les langoustes
par milliers, des langoustes vertes,
ce qui excita l'étonnement, celles de
la région ayant la carapace rouge. A
la cuisson, la couleur devenait la
même, et leur chair, délectable, m
différait que peu de celles du pays
et n'était seulement sensible qu'aux
palais des connaisseurs. Une mine
nouvelle venait d'être découverte.
Depuis, on est allé plus loin, et la
multitude des crustacés rapportés
des bords lointains de l'Orient défie
tous les calculs.
A cause de ces superbes dundees
et des barques construites pour la
pêche aux thons le thunnos déli-
cieux des Phéniciens le port est
devenu trop petit. Thonniers et mau-
ritaniens dépassent de la coque et
des mâts la jetée minuscule que la
marée haute et violente balaye de
ses embruns. Le havre de la « Terre-
ie-l'Ile », qui est devenu le plus
?rand centre sardinier de France,
n'abrite plus qu'à peine les vais-
seaux de haut bord dont s'émerveil-
lent les anciens manœuvriers des
shaloupes d'autrefois. La petite ville
s'étage sur les flancs d'une colline
descendant vers la mer, et dont !e
sommet se pare d'une flèche go-
thique à quadruple clocheton haute
je 80 mètres, œuvre, dit-on, des
anglais, aux époques héroïques des
r_^jjr_|_r%iniiiLit" j-ant=a
ceux qui enseignent à ces malheu-
reux la résignation, de telle sorte que
la lumière brille pour eux au milieu
des ténèbres, il faut les.en louer
îomme d'une œuvre charitable entr?
toutes, et qui demeure nécessaire
pour le grand nombre.
JEAN GUIRAUD.
Visions de province
rivalités bretonnes de Jean de Mont-
fort et de Jeanne de Penthièvre.
Cette flèche, qui domine l'église de
Ploaré, s'aperçoit de très loin au
large, et sert de repère à tous las
navigateurs de ce quartier mari-
time. Ploaré, au temps jadis, était le
doyenné de l'endroit. Douarnenez
n'en formait qu'une trêve, où une
seule chapelle existait sous le vo-
cable de sainte Hélène. Les fonction-
naires royaux dépendaient de Ploaré,
nonobstant que le port de Douarne-
nez eût déjà un commerce important
et des relations avec différents peu-
ples de la chrétienté.
La ville s'étage donc sur une col-
line et sur les pentes seules qui des-
cendent vers la mer, car de l'autre
côté, c'est la campagne verdoyante et,
riche en fertiles prairies. Du côté de
l'océan et sur les deux tiers de l'émi-
nence, les maisons s'alignent, courant
toutes vers les deux anses qui se
partagent le trafic du pays, et que
sépare le promontoire prolongé par
l'île Tristan.
L'île Tristan, d'idyllique et de si-
nistre mémoire, rocher fleuri où vé-
curent, au temps des légendes, Tris-
tan et Yseult dont plus tard, le
ligueur La Fontenelle fit une forte-
resse capable de mettre en échec les
troupes et les vaisseaux du roi.
De chaque côté de cette île so
se trouve un port le port de com-
merce et le port de pêche, Le pre-
mier, au creux d'un estuaire en-
caissé entre deux falaises que relie
un superbe pont métallique, est le
refuge assuré, mais difficile d'accès
des caboteurs et des voiliers qui s'en
viennent parfois de loin d'Angle-
terre avec leurs charbons, de Nor-
vège avec leurs rogues et leurs po-
teaux de mine. Le second, dans l'anse
du Rosmeur, qui est le port de pêche,
n'offre plus l'abri sûr d'autrefois aux
grandes coques dépassant les quais
et les jetées, et qui doivent se réfu-
gier l'hiver, aux époques de morte-
saison, dans les criques du rivage, où
on les laisse nues, dépouillées de leurs
agrès, comme de grands oiseaux aux
ailes brisées. Car le vent du Nord est,
terrible, et de les laisser sur leurs
ancres serait braver le danger. Li-
vrées la fureur de l'océan, ces
grandes barques pontées, véritables
colosses auprès des infimes embar-
cations des temps écoulés, s'en
iraient se briser inévitablement sur
les arêtes acérées des rocs qui tapis-
sent les bords de cette baie admi-
rable.
Admirable, en effet, avec, à l'Est,
ses plages immenses que peignait
Lansyer, et dont Hérédia disait qu'on
y voyait réfléchir.
Le ciel occidental dans le miroir des sables.
Côte basse et débordante de dunes,
I couronnée par le pic imposant du
Ménez-Hom qui, petit Vésuve,
ferait de Douarnenez la Naples du
Nord ses falaises se couvrent de
pins et d'ajoncs d'or, se creusent de
grottes innombrables où l'eau suinte
en limpides gouttelettes, de failles
on l'on découvre des paysages qui
offrent à l'amateur de belle nature
un régal sans pareil.
Oh! les courses sans fin, à basse mer,
au temps de notre jeunesse folle, sur
ces sables qui semblaient un désert,
humides et frais au clair matin, tré-
pidants de chaleur au mitan des
longues journées d'été 1
A Douarnenez, en Bretagne
Les enfants rôdent par troupeaux;
Ils ont les pieds fins, les yeu* beaux,
Et sainte Anne les accompagne.
Ces longues grèves que toujours
un ruisseau traverse, qui met son
ruban d'argent sur le jaune d'or des
arènes, s'arrêtent net au pied de rocs
abrupts, tantôt visqueux des goé-
mons accrochés à leurs flancs ou
rouges comme de la lave pétrifiée,
friables encore et se prêtant à l'ins-
cription des noms et des dates de
passage tantôt secs et gris, avec à
leur sommet des touffes de landes
vertes et dans leurs anfractuosités
des larmes transparentes de cristal
que l'on recueille précieusement et
qui restent un souvenir de l'éclatant
voyage. Entre elles, des promontoires
s'avancent vers les flots et abritent
dans leurs replis des maisons de
campagne ou des colonies de va-
cances. Sur l'un d'eux se dresse un
grand Christ de granit que de gen-
tils écoliers parisiens ont élevé, en
mémoire de leurs morts, pour la
protection des marins et de leur pas-
sagère demeure. Au delà, c'est
Sainte Anne la Palud, la bonne
grand'mère de Bretagne, où vieiment
prier les foules aux jours de Pardon.
A l'Ouest, les grèves sont petites,
tapissées de galets que les vagues ont
roulés et polis, au bas des falaises
infranchissables, noires et vis-
queuses, où foisonnent les anatifes,
mollusques immondes qui semblent
de petits doigts crochus. Par là on
atteint la pointe du Raz et la baie
des Trépassés, de lugubre mémoire.
Puis
L'océan qui, sp!endide et monstrueux, arrose t
Du sel vert de set taux les caps de granit noir. j
ENFANTS DE LA TERRE
Dans l'œuvre de M. Camille Mellqy
dans la poésie du Soleil sur le vil-
lage, du Parfum des buis, du Retour
parmi les hommes, de la Louangi
des Saints populaires, vibrent trois
cordes qui s'accordent à merveille
le sentiment de la terre, le cœur hu-
main, la foi religieuse. Ce sont ces
trois cordes, aux mélodies et aux
harmonies toujours nouvelles, que
l'on ne se lassera pas d'écouter dans
ces nouveaux chants Enfants de la
terre (1).
Les « enfants de la terre », c'est
l'eau et le vent, la pierre et le feu,
les arbres et les bêtes, les fleurs et
les fruits et « le plus lourd des
fruits, le cœur de l'homme », sources
de peine et trésors de joie, tout ce,
qui appelle le double cri du chré-
tien « Soyez béni, Seigneur Ayez
pitié de moi »
A travers toutes ces choses que
Dieu a données aux hommes court,
en un rythme de marche, la chanson
de l'homme aux pieds nus.
Terre, à part l'arbre interdit,
Tout est mien dans ton domaine,
s'écrie ce chemineau de la terre et
de la poésie. Il boit le vent, il boit
le soleil du paysage et les odeurs
des jardins. A lui le chant des oi-
seaux, la chair des cerises, des
prunes et des pêches, la source ca-
chée aux profondeurs du bois. A lui
la grand'route qui, « sur ses mil!e
arbres, jette le pont des frondai-
sons », la route où se mêlent tous les
pas vers l'inconnu, où l'on va vers
« l'humble auberge du bonheur ».
A ce chemineau encore, le vent et
ce qu'il apporte
Le message vert ou b!ond
Des arbres, des blés, des herbes
le fleuve et son parfum
Oà le goudron des gabarres
Mêle un souvenir de ports
à lui, dans son voyage, le calme bel-
védère du plateau, et la chanson de
la pluie
Sur sa harpe aux milles cordes,
La douce pluie, en mineur,
loue un air gris qui s'accorde
Aux musiques de mon cœur.
La nuit arrive, pas la nuit des
villes, mais la nuit des pâtres de
la Bible et des matelots d'Homère, la
nuit de Flandre « où le monde rêve,
mains jointes ».
La tempête vient à souffler
qu'importe ? Elle ne saurait abattre
l'âme chrétienne,
L'îme, chêne de clarté
Dont la racine et le faite
S'ancrent dans l'éternité.
Et voici le voyageur à l'étape à
la chapelle de Notre-Dame. Le jon-
gleur apporte à la Vierge, son cœur
~%<%«~=!C%~e~S=S~S=S=~NC
Sur ses bords, Ys, la voluptueuse,
est, dit-on, ensevelie et ne reparaîtra
que le jour où, dans l'église perdue
sous les eaux, quelque pauvre nau-
fragé, dont l'âme, à son retour à la
surface, est recueillie par les goé-
lands plaintifs, répondra au prêtre
qui célèbre interminablement sa
messe inachevée le doux mot que le
Sauveur aimait à répandre autour de
lui « Ainsi soit-il 1 »
Entre ces deux côtes si différentes
d'aspect, l'une pleine de soleil et de
verdure, l'autre noire et sombre
comme le deuil des veuves des péris
en mer, la ville de Douarnenez s'étale
derrière l'île où vécut la mélanco-
lique Yseult. Et la ville n'est pas
belle, avec ses toits zigzaguants et
ses rues tortueuses qui descendent
toutes vers la mer, attirées sans
doute par son charme, comme le sont
les légions d'enfantelets qui y
grouillent. Mais le pêcheur y trouve
son plaisir et sa vie, vie pauvre, mais
combien magnifique et enfiévrée 1
Sully-Prud'homme y a vécu, et
avec lui Coppée, André Theuriet,
Hérédia, et les bons peintres Cottet
et Lansyer. La bonne hostellerie du
Norvégien Védeler était accueillante
pour eux, ,et ces futurs grands
hommes trouvaient chez deux vieilles
et lettrées demoiselles du pays le
dernier salon où l'on cause.
Hérédia, somptueux touriste, que
l'on prenait, avec son teint olivâtre
et sa barbe noire, dans un complet de
flanelle blanche, pour un prince
hindou, promenait sa haute et belle
figure par les grèves et par les
monts, en compagnie de ses deux
filles, que le bon peuple admirait
comme on admire des Madones de vi-
trail. Si belles que les matrones se
retournaient sur leur passage, elles
qui reconnaissaient pourtant à leur
progéniture la beauté mâle de Vel-
léda ou la grâce perverse de la fille
de Gradlon.
On les aimait d'instinct, parce qse
leur sympathie pour nous se sentait,
et qu'on les voyait revenir chaque
année, le poète surtout, qui nous
donnait l'impression d'un rajah fa-
tigué d'Indore ou d'Haiderabad. Et
nous, les gosses, nous suivions de
loin le groupe charmant, respectueu-
sement, pour le regarder encore.
Notre terre, il l'a chantée amoureu-
sement, comme une terre de parfum
et de soleil
Tandis que de la terre une brise emmiellée
Eparpillait au gré de leur ivresse ailée
Sur l'océan fleuri des vols de papillons.
Pour ceux qui l'ont connu, et qui
n'ont riensu et pour cause de
son oeuvre, Hérédia est resté le type
de l'étranger qui s'attache à un coin
de pays parce qu'il le trouve beau et
en aime les habitants. Nous aurions
dû lui élever une statue à cet endroit
dont il a écrit
La mer sans bn commence ou la terre finit.
Et, les autres Theuriet, qui y pa-
racheva sa Petite Dernière, en bu-
vant de grands bols de cidre à la
taverne norvégienne; Cottet, qui pei-
gnit les Pardons Lansyer, qui
fixa sur ses toiles la mer, les sables
et les rochers Sully-Prud'homme,
dont le joli poème suffirait seul à la
gloire de la ville des sardiniers.
A Douarnenez, en Bretagne
Quand les pêcheurs vont de l'avant
Les voiles brunes fuient au vent
Comme hirondd es en campagne.
Paul Declève».
(1) CAMILLE MELLOY, Enfants de la
terre (Collection « Ars et fldes »). Prix,:
14 francs.
caché dans un bouquet de fleurs des
champs des fleurs de Flandre qui
s'accordent avec la tendre ohans™
des ave flamands.
s Quelle « corne d'abondance » pour
le poète, que la terre Tantôt il
trouve, en une retraite ombreuse,
La fraîche vérité des fleurs et de la mousse,
tantôt une vision de printemps sur
IL t. une barque au mélèze amar-
ree. Il rend grâce au Créateur des
douceurs d'avril
Merci, mon Dieu, d'avoir aux derniers jours d'avril
JJonne ce goût d'eau fraîche et ce parfum subtil
De mousse et du bourgeon qui s'ouvre, amer et tendre,
Et ces azurs mouillés des beaux matins de Flandre
Il essaye, dans son épitaphe d'un
chemineau, de déchiffrer l'âme de
ce pauvre, un poète, peut-être.
Il fait le croquis du village quoti-
dien^ tranquille dans son obéissance à
La règle des saisons qui roulent sur les champs.
Un sureau qu'il rencontre lui r;m-
pelle une maison d'autrefois
Une maison de pauvre où ma vie était beHe.
Elle aussi recevait sur un de ses pignons
L ombre, bleue et bougeante ainsi qu'une fumée,
D'un vieux sureau, mousseux d'ombelles parfumées
II fait l'éloge du jardin paysan
il salue les framboisiers et les gro-
seilliers, les pavots, les tournesols et
les roses, les feuilles rondes et les
feuilles en cœur, les plantes au nom
latin ou au nom populaire, il les
salue toutes P°PuIaire' il 'es
Elles sont du passé ce qui est jeune encor
Et la paix du dlmanche Et l'âme
du feu Et « la bonté du froment
parmi les soirs de juin », les ma-
tins nacrés de septembre, le.»™
d'octobre où
Le temps luit comme un beau paysage sous verre,
l'hiver où
L'humble feu d'un carreau fera l'espoir tout seul!
Douceur et puissance des images
et des sourires des choses, d'un.'
poésie cueillie tout entière dans le
jardin de la vérité, dans un jardin
tout proche, un jardin de paysan, qui
n est pas petit, qui est toute la terre
tous les champs, tous les bois, toutes
les routes, toutes les eaux avec les
reflets du ciel 1
Mais il est un autre jardin non
moins riche, plus riche encore le
cœur de l'homme. M. Camille Mellov
vit aussi dans ce jardin-là. Il y cueille
assez souvent des fleurs mélanco-
liques il y cueille, par exemple, ce
regret des émerveillements de l'en-
fance
Je donnerait tout l'or du monde
Pour retrouver un feul instant
Dans leur simplicité profonde
Les extases de mes sept ans.
Il chante l'inquiétude hiflhaine
I attente vague d'on ne sait quel
bonheur, la voix qui dit « Pauvre
homme, cherche au dedans de toi. »
Après tant de promesses entendues,
tant de promesses d'amitié, il dit la
chanson désabusée et la consolation
du silence qui laisse parler les livres
et leur sagesse ancienne.
Un matin de juillet, quand « le
sentier prend l'odeur amère du
troène »
Et c'est comme une source ta moi qui chante et prie,
quand tout est simple et bon, l'idée
triste lui vient des hommes qui
haïssent.
Dans les chalands sans voile, pa-
villon ni mât, qui s'en vont sur l'Es-
caut, résignés, il voit l'image de%
hommes qui méprisent la noble an-
goisse des poètes, et dont les jours
glissent
Sans idéal et tans tourment,
Dans la grisaille, lentement.
Mais après les heures tristes
arrivent les heures douces, ainsi la
bonne heure du soir, gagnée par le
travail
Bonté du soir, quand la main lasse
Pose la plume ou le rabot,
Quand le rêve reprend sa place,
Le soir est beau I
Pourquoi, d'ailleurs, s'arrêter à la
terre et s'y enfermer ?
La Terre est nue et petite
Mon âme, cherchons ailleurs!
M. Camille Melloy élargit son désir
en une sûre espérance. Sa poésie
monte plus haut que les horizons ter-
restres il en demande d'ailleurs la
grâce
Mon Dieu, moi qui n'étends la main
Qu'à la hauteur des branches basses,
Pour en cueillir, lorsque je pasee,
Le fruit facile et trop humain.
Je suis terrestre jusqu'aux moelles.
Seigneur, élève mon plaisir
Et rends si fougueux mon désir
Qu'il ne s'arrête qu'aux étoiles 1
II souhaite achever, quand Dieu
voudra, son labeur, en priant, dans
l'ermitage où il vit en paix
Dans la campagne austère où j'ai choisi de vivre,
Selon le rythme ancien des travaux paysans,
Dans le décor ami qui vit mes premien ans,
Le silence m'éclaire et la paix me délivre.
Il se détache des choses de la terre
pour s'attacher à Dieu
Les lampes d'amitié s'éteignent une « une.
C'est ici que m'attend Jésus il m'a cherché
Parmi les ronces d'or qui gardaient accroché
Mon coeur crédule, en quête, 6élas! de roses vaines.
N'ayant plus que lui seul, je suis riche de tout.
Il dit à Dieu
Vous seul réjouirez les jours que je vais vivre.
Ainsi, sur le front de Camille
Melloy, s'entrelacent heureusement
les deux couronnes que Dieu lui a
données, et qui marquent toutes deux
sa pensée, comme elles se par-
tagent sa vie il est et il reste prêtre
et poète. Cela aussi, il le dit à Dieu
Puisque Tu m'as frappé d'un double sceau, mon
[Maître,
Garde-moi près de l'homme et près de Toi, pour être
Devant Toi son poète et devant lui Ton prêtre 1
Ce bouquet de poèmes où, sous une
forme populaire, vigoureuse, impa-
tiente des entraves inutiles et dédai-
gneuse des parures efféminées, se
cache fout ce qu'il faut de la disci-
pline classique et s'enferme tant de
sentiment et de pensée, ce bouquet de
poèmes est, un livre à lire au prin-
temps pour accorder son âme au
cantique des choses, à lire aussi dans
les autres saisons, pour retrouver le
printemps. Chaw.es Baussan,
"LA CROIX
DIMANCHE 30 AVRIL, LUNDI 1" MAI 1933
NOTES ET NOTICES
GEORGES Radet la Dernière campagne (£ Alexandre contre Darius.
FR. Funck-Brentano le Masque ae fer. Geneviève Bianquis Nietzsche.
Après avoir été défait à Gauga-
mèle par Alexandre, Darius se ré-
fugia à Ecbatane. « Pour sauver les
débris de son ancienne puissance,
deux perspectives s'offraient à lui
ou bien se poster dans le nord du
grand isthme qui, de la mer Hyrca-
nienne (Caspienne) au golfe Persique,
tend sa charnière médiane, et là,
tandis qu'Alexandre s'employait à
réduire les satrapies méridionales,
Babylone, Susiane et Perse, organiser
la défense en barrant l'accès de l'Ex-
trême-Orient ou bien abandonner
délibérément toute l'Asie antérieure
et s'en aller à l'autre bout de l'Em-
pire, dans le bastion montagneux,
autour duquel l'Oxus et l'Indus
creusent leur fossé de ronde et lever
une armée nouvelle. » Tandis qu'il
se montrait hésitant, son principal
conseiller, Bessus, fit adopter le se-
cond plan comportant l'évacuation de
l'Empire jusqu'aux montagnes de
I*' tus (Afghanistan).
En interrogeant Arrien, Diodore
et Quinte-Curce, M. Georges Radet a
reconstitué cette marche avec ses
différentes étapes. Pour poursuivre
Darius, Alexandre fit accomplir à
ses troupes un raid fort rapide
<• II part de Rhagae un matin de juil-
let 330 cinq jours plus tard, à
l'aube, il débouche entre Deh-i-
Mollah et Chahroud, ayant parcouru
403 kilomètres en cent vingt heures,
soit une moyenne quotidienne de
80 kilomètres sur une terre brûlante,
à l'époque la plus chaude de l'an-
née. »
Cette marche, telle qu'elle est dé-
crite par les auteurs anciens, est si
considérable, que M. Radet se de-
mande s'il a été possible de la faire.
I! a interrogé pour cela des généraux
de notre temps ayant accompli des
raids de cavalerie dans les mêmes
conditions, et l'un d'eux, le comman-
dant Lefebvre des Noëlistes, lui a ré-
pondu « La performance du con-
quérant me paraît atteindre la li-
mite extrême du vraisemblable.
Néannioins, si l'on considère que
chevaux et hommes furent sacrifiés
sans compter dans cet hallali mé-
morable, qu'Alexandre n'avait plus
avec lui qu'une poignée de cavaliers
lorsqu'il surprit la smala de Darius,
comme le duc d'Aumale celle d'Abd-
él-Kader, aucun cavalier n'oserait, je
çrois, prononcer le mot impossible. »
Ce fut au cours de cette campagne
que devait mourir Darius, lâchement
assassiné par les siens.
En parlant ici même du beau vo-
lume que M. Radet a écrit sur
Alexandre le Grand, nous avons si-
gnalé ses éminentes qualités d'histo-
rien et d'écrivain nous les retrou-
vons dans cette étude qui a paru
dans les Mélanges Glotz. (T. II.
p. 765-778.)
Après tant d'autres, M. F. Funck-
Brentano vient de reprendre la ques-
tion du Masque de Fer (1). Il coin-
mence par rappeler les nombreuses
identifications qui ont été déjà faites
de ce mystérieux personnages, de
1745 à nos jours. « En 1870, Marius
Topin en comptait déjà vingt-deux
depuis, il en est bien venu s'y ajouter
une douzaine. L'énumération com-
plète en serait fastidieuse. » Parmi
ces personnages que l'on a cru re-
connaître derrière le « masque de
fer que portait toujours ce prison-
nier, les uns ont reconnu Monmouth,
fils naturel du roi d'Angleterre
Charles II d'autres, un certain
Alexandre, qui aurait été le fils
d'Anne d'Autriche et de son beau-
frère Gaston d'Orléans d'autres.
Louis XIV lui-même, qui, à moitié
de règne, aurait été victime d'un
complot et d'une substitution de per-
sonne. D'aucuns même ont fait de
Napoléon I" le descendant d'un fils
de Louis XIII, vrai héritier de la
couronne, dont Louis XIV se serait il
débarrassé en l'envoyant, pour toute
sa vie, en prison.
M. Funck-Brentano adopte la thèse
soutenue aussi par beaucoup, qui
voit dans le Masque de fer Mattioli,
sénateur de Mantoue et secrétaire de
Charles IV de Gonzague, duc de Ne-
vers et de Mantoue.
Voulant, pour assurer sa domina-
tion en Haute-Italie, posséder la
place de Casai, qui dominait le
Montferrat et le Piémont, Louis XIV 1
avait acheté Mattioli, qui devait ]
amener son souverain à céder cette
place au roi de France mais, ]
après avoir reçu le prix de ce mar- i
ché, Mattioli ne tint pas ses enga- l
gements et même avertit l'Espagne
de ce projet. Pour punir Mattioli et
aussi pour l'empêcher de parler da- ]
vantage, Louis XIV le fit arrêter, le
2 mai 1679, près de Turin, en violant
le territoire du duc de Savoie, et en- i
fermer, sous le nom de Lestang. l
dans la citadelle de Pignerol, qui
avait pour gouverneur M. de Saint- 1
Mars. t
Ce fut pour dissimuler la violation
du territoire piémontais que l'on en- (
toura du plus grand mystère la prise 1
et la captivité de Ma',tioli. Charles IV
de Mantoue tenait aussi à ce que la
détention de son ancien secrétaire de-
meurât secrète. Malgré la trahison de
Mattioli, les négociations pour la ces-
sion de Casa! se poursuivirent, et, le
30 septembre 1681, les troupes fran-
çaises entrèrent à Strasbourg et à
Casai, commandant, ainsi la vallée du
Rhin et celle du Pô.
Devenu en quelque sorte anonyme,
puisqu'on ne l'appelait plus dans les
correspondances officielles que « l'an-
cien prisonnier », Mattioli fut trans-
féré, le 16 mars 1694, de Pignerol
à l'île Sainte-Marguerite, où il re- <
trouva comme gouverneur celui qui ¡
l'avait reçu à Pignerol, M. de Saint- l
Mars. « En sa captivité solitaire, dit É
M. Funck-Brentano, le prisonnier
passait par des alternances de tran- i
quillité et d'agitation. Par moments,
c'était un calme plat, comme une ré-
signation hébétée, évanouissement de
la pensée dans le chagrin, dans la 1
'détresse, dans le désespoir d'une vie
pnéantie puis il s'agitait, s'exaltait, c
PAGES LITTERAIRES
Certains jours, sa raison semblait
s'égarer.
11 resta à Sainte-Marguerite, dans
ce château battu par les flots, jus-
qu'au jour où il fut transféré, en
juin 1698, à la Bastille, dont M. de
Saint-Mars venait d'être nommé gou-
verneur il y mourut le 19 novembre
1703, à 63 ans, après vingt-quatre
ans de captivité.
Dans la dernière partie de son
livre, M. Funck-Brentano expose les
raisons de sa thèse et combat celles
qui s'y opposent cette partie cri-
tique semble convaincante. Plusieurs
gravures fort nettes représentent le
comte Bénigne de Saint-Mars, la pri-
son des îles Sainte-Marguerite, le
cachot du prisonnier, la Bastille telle
qu'elle était au xvir siècle, le fac-
similé du journal du lieutenant du
roi à la Bastille de Junca parlant de
la mort du Masque de fer, enfin, sur
la couverture, le Masque de fer dans
sa cellule et la forteresse de Pignerol.
Le volume écrit sur Nietzsche (2)
par Mlle Geneviève Bianquis pour
sa collection « Maîtres des littéra-
tures », n'est ni un exposé ni encore
moins une discussion du système de
ce philosophe. C'est avant tout une
étude biographique et psychologique
sur l'un des esprits les plus anor-
maux qu'ait produits le dernier
siècle.
Le milieu d'où il était sorti avec sa
lignée de pasteurs luthériens vivant
dans la paix de leurs presbytères, ne
faisait pas présager, semble-t-il, son
existence si troublée et si déséqui-
librée. Lui-même, entre sa mère, sa
grand'mère, ses d ux tantes et sa
petite sœur, eut une enfance douce
et choyée, et se montra « écolier
plein de zèle, enfant docile et res-
pectueux, sévère pour lui-même, ir-
réprochable à la maison, comme à
l'école, précocement grave ». Ses ca-
marades l'appelaient « le petit pas-
teur ».
Même lorsque, ayant perdu la foi,
il renonça au pastorat vers lequel
le poussait sa mère, il demeura un
étudiant réglé, studieux, éloigné de
tout excès et se préparant méthodi-
quement au professorat. Elève de
Ritschl à Bonn, il voulait être comme
lui philologue, et écrivait de savantes
études sur Théognis de Mégare, Sui-
das, Homère, Hésiode, Simonide et
Diogène Laërce. Les deux démons qui
vinrent saccager sa vie jusqu'alors
régulière et paisible, furent Scho-
penhauer et Wagner.
A 24 ans, (1869), il était nommé
professeur adjoint de philologie clas-
sique à l'Université de Bâle il se
trouvait dans une ville qui avait
conservé l'humanisme du xvi» siècle
et il avait à l'Université, des collègues
de valeur. Il s'y montra lui-même
professeur scrupuleux et brillant,
homme du monde aussi, fréquem-
tant les salons et les cercles univer-
sitaires, causeur étincelant et jovial,
« un véritable boute-en-train », dit
un témoin de sa vie. Mais Bâle n'était
pas loin de Triebschen, la résidence
sur les bords du lac de Lucerne de
Wagner et de Cosima, cette femme,
fille de Liszt et de Mme d'Agoult,
que le maître avait enlevée à son
disciple fervent, Bùlow.
Des relations étroites s'établirent
entre Wagner et Nietzsche.
Mlle Bianquis analyse avec saga-
cité les idées et les sentiments qui
avaient étroitement uni le philologue
et le musicien, et aussi les nuances
qui ne tardèrent pas à les séparer
des hommes qui ne pouvaient être
unis que dans l'enthousiasme. Wa-
gner exigeait de ses admirateurs un
abandon complet de leur personna-
lité or, celle de Nietzsche se déve-
loppa à côté de la sienne la rup-
ture était inévitable. Elle fut vio-
lente et tragique, d'autant plus qu'il
s'y mêla un sentiment de Nietzsche
pour Cosima, qui excita la colère
d'un mari aussi ombrageux sur la
foi conjugale d'autrui qu'il était
d'une extrême largeur pour la sienne.
En 1874, Nietzsche défendait
encore publiquement l'œuvre de Wa-
gner contre ses détracteurs, mais
dans ses notes personnelles, il défi-
nissait le maître en ces termes
« égoïsme et violence, rancune basse
,t, histrionisme cynique », et voyait en
lui un éblouissant rhéteur, comédien
entre les comédiens. Blasphème su-
prême il lui contestait même la ]
qualité de musicien « à cause de son
?oût des effets énormes, des rugis-
sements et des cataclysmes ».
De Wagner, il passa à Scho-
penhauer.
Tel qu'il se le représente, ce n'est pas
seulement un grand maître de la vie
ntérieure. comparable à Montaigne pour
a sincérité, la. fraîcheur et la grace,
nais un exemple héroïque d'énergie et
le lucidité intellectuelle à lui seul, il a
rioiiiptié de tous les dangers qui guet-
ent le penseur moderne la solitude
norale, le désespoir philosophique, la
lonleur de se sentir enferme dans les
)ornes étroites de l'individualité.
Cet enthousiasme pour Scho-
penhauer, dans lequel il se recon-
naissait lui-même, coïncida avec un
désarroi physique et moral. « 1874-
1876 sont des années de travail. de
doute intérieur, de douleur phy-
sique le séjour de Bâle est coupé
de maladies graves, sans parler de i
ces malaises à cause mal définie qui
persécuteront Nietzsche toute sa vie:
migraines crucifiantes, nausées,
demi-cécité. » Pour trouver le calme,
il chercha des affections qui parfois
lui causèrent les plus amères dé- i
septions, comme sa liaison avec Lou
salomé Andréas, et il se lança dans
a vie errante dont Mlle Bianquis <
ious décrit les nombreuses étapes,
m Suisse, en Italie, en Sicile.
C'est alors qu'il écrit Aurore,
Choses vues, Gai savoir, où il note
îes alternances de désespérance et
(1) Le Masque de f«r. Paris, 125 patres. (
933. 3 fr. 75. v 8
(2) Paris, in-4" 78 pages avec 60 plan-
tes hors texte. 1933. 20 francs. 1
d'enthousiasme pour la vie, et Ainsi
parla Zarathoustra, œuvre écrite à
plusieurs reprises, en 1883 et en 1884.
Mais, progressivement, la folie le
gagna, et il y sombra en 1889, tandis
qu'il écrivait le Crépuscule des faux
dieux et la Volonté de dominer, où
se précisait sa doctrine orgueilleuse
du surhomme. A ses derniers temps
de lucidité, il ne voit partout que
décadence causée par la philosophie,
!'art moderne, le romantisme, la
musique wagnérienne et surtout le
christianisme, « qu'il prend violem-
ment à partie dans son origine
même, dans le Nouveau Testament,
et qui lui apparaît plus que jamais
comme la revanche des ignorants et
des faibles sur le clair et fort génie
aristocratique de l'antiquité ».
Plus il s'enfonce dans la folie, plus
il appelle de ses vœux le surhomme
qui établira contre ces prétendus
agents de décadence et de nihilisme
absolu « les valeurs fortes, cruelles,
mais favorables à la vie, la morale
des fauves blonds créateurs de hié-
rarchies, fondateurs de sociétés
dures et durables ». Bientôt il se crut
lui-même ce surhomme et dans !e
livre Ecce Homo ou Comment on de-
vient ce que l'on est, qui est son por-
trait par lui-même, il intitule ses
chapitres « Pourquoi je suis si
sage Pourquoi je suis si malin
Pourquoi j'écris de si bons livres
Pourquoi je suis une destinée. »
Hélas le plus vrai des chapitres eût
été celui qui aurait dit pourquoi il
était devenu fou. Il le demeura jus-
qu'à sa mort, qui eut lieu le 25 avril
1900, à Weimar.
Ce résumé suffit à montrer Fin-
térêt, que présente cette biographie
psychologique. Il eût été utile de
rechercher les origines de cette folie
et son développement, auquel ont
contribué des causes physiques, in-
tellectuelles et morales.
Cette Evasion (3) qu'a racontée
M. Marcel Bloch, est-ce un roman ou
une histoire vraie, ou même une
autobiographie ? Telle est la ques-
tion qui ne cesse de se poser à l'es-
prit de celui qui lit ce livre émou-
vant. Mais il suffit des allusions
transparentes qu'on lit dans la pré-
face, écrite par M' Henri-Robert,
pour cette œuvre d'un de ses con-
frères du Palais, pour voir que cette
évasion est celle dont M. Bloch lui-
même a été d'abord l'acteur, puis le
narrateur.
Cette évasion n'est pas celle d'une
prison matérielle, mais d'une capti-
vité plus longue et plus douloureuse,
celle qui enferme, privé de commu-
nications avec l'extérieur, le mal-
heureux qui, dès l'enfance, a perdu
'la vue et se trouve ainsi emmuré en
lui-même.
Cette désespérance d'un homme qui
se trouve ainsi en partie retranché
des vivants, puisqu'il ne peut se con-
duire lui-même et encore moins
vivre de la même vie que les autres,
le héros de ce livre, Pierre Derheim
(alias Marcel Bioch), l'a sentie dès
les premiers temps de son infirmité.
Même la pitié de ceux qui l'aimaient
le plus, ses parents, le désolait,
puisque leur affection s'ingéniait à
lui bien organiser une vie toute par-
ticulière qui l'enfermait une fois de
plus en lui-même et combien, à
plus forte raison, ceux qui lui prê-
chaient une philosophie faite de
résignation à une destinée présentée
comme inéluctable 1
Pierre Derheim voulut briser cette
captivité et entrer si bien en com-
munication avec le monde extérieur
qu'il put y vivre comme les voyants.
Ce sont ces efforts persévérants, cette
lutte lenace qu'il poursuivit contre
les conditions de vie que semblait
lui imposer sa cécité, qu'il nous dé-
crit dans ce livre. Tout comme ses
camarades, il voulut jouer, étudier
comme eux, il voulut aimer et fon-
der un foyer comme eux, enfin, i!
voulut s'engager dans la vie sociale,
y prendre une profession, celle
d'avocat, et y exercer toute l'in-
fluence que lui permettaient son
intelligence et son caractère.
Avec une énergie digne d'admi-
ration, il y parvint, car cet aveugle
dont parle M" Henri-Robert, qui alla
lui demander de l'inscrire au tableau
des avocats, malgré l'infirmité qui
le lui interdisait, c'est lui, Marcel
Bloch, vrai nom du héros du livre,
Pierre Derheim.
Et lorsqu'il fut parvenu à cette
libération à peu près complète de
sa prison naturelle, l'auteur résuma
l'effort qui lui avait valu la victoire
en mettant ces paroles sur les lèvres
du héros de son roman, qui lui res-
semble comme un frère, Pierre
Derheim « Il m'a fallu lutter et
vaincre, il faut toujours lutter et
vaincre. Une armée battue se re-
forme. Je n'ai rien innové. Je ne
suis pas un phénomène. J'ai tiré
parti dé moyens habituels et de fa-
cultés sans éclat. Aidé par ceux qui
ont eu confiance en moi, j'ai voulu
réaliser mon indépendance. J'ai con-
juré le sort pour être comme tous
les autres. »
Qu'il nous permette de le lui dire,
Derheim ou Bloch est trop modeste;
ce qui lui a. valu la. victoire, ce' ne
fut pas une incantation « conjurant
le sort », ce ne furent pas des
« moyens ordinaires », mais bien
une forte volonté, une ténacité in-
lassable et la puissance de l'esprit
dominant la matière. <
Cette histoire est «elle de l'énergie
individuelle, et à ce titre, sa lecture
est réconfortante. Mais, loin d'être
« sans éclat » et, semble-t-il, accès- j
sibles à tous, cette ténacité et cette
énergie sont exceptionnelles, et il ne
sera pas donné, hélas à tous les
aveugles de s'évader, comme le fit
Pierre Derheim, de leur infirmité
et voilà pourquoi, loin de s'indigner
comme le fait Marcel Bloch contre <
(3) Paris (Editions Mornay, 8, rue de
'Arrivée, XV»). In-12, 193 pages. 1923.
DOUARNENEZ, EN BRETAGNE
Tout au bout de la presqu'île
armoricaine, au fond d'une vaste
calanque qui la protège des vents
pluvieux de l'Ouest et du Sud, s'élèvs
une petite ville de pêcheurs, dont le
nom se traduit en bon français
« Terre de l'Ile ». Cette appellation
viendrait de ce que, au temps jadis,
l'ile Tristan, sise face au promon-
toire où le port se dessine, possédait
un monastère fortifié de Chevalier?
du Temple, lequel tenait sous sa
juridiction toutes les terres du con-
tinent proches de la mer, jusques
aux baronnies du Juch et de Ros-
madec.
Le hameau qui se forma dans
l'anse voisine du moustier fut donc
de la terre de l'île « Douar an
Enez ». Depuis, le hameau est devenu
bourgade, ville et port de pêche im-
portant. Cette ville, le poète Sully-
Prud'homme l'a chantée en de jolis
vers à peu près inconnus
On respire du sel dans l'air,
Et la plantureuse campagne
Trempe sa robe dans la mer,
A Douarnenez en Bretagne.
Et véritablement, la merveilleuse
verdure de ce coin ensoleillé vient
finir au ras des flots, à la base des
rochers qui surplombent de vingt
toises le havre même de Douarnenez.
Quadrilatère ouvert au Sud-Est, le
port est ceinturé d'un côté par sil
jetée d'un demi-kilomètre de lonsr,
où s'érige un phare à feux fixes "à
la base, par ses quais étroits aux
embarcadères gluants, et vers l'Ouest,
par la haute falaise des Plomarchs
que tant de peintres célèbres ont
illustrée et qui offre contre les
embruns la formidable protection de
ses rochers abrupts.
Il y a tente ans, le port de Douar-
nenez était le plus sûr mouillage de
toute la côte bretonne. et la flottille
innombrable de ses embarcations s'v
trouvait à l'aise. On n'y pratiquait
guère que la pêche à la sardine, dans
de tout petits bateaux non pontés,
tels des coques de noix, et qui pa-
raissaient cependant d'assez grande
envergure. Puis, au début du
xx° siècle, les barques s'amplifièrent,
quoique gardant leur forme ances-
trale et leurs deux voiles latines
misaine et taillèrent. On v mit un
pont, et le matelot, durant ses lon-
gues randonnées, y trouva un abri
plus chaud et des vivres mieux pro-
tégés.
Il arriva que vers cette époque
quelques patrons pêcheurs ayant ouï
parler de côtes lointaines où l'on
prenait la langouste comme tes
crabes chez nous, firent construire,
sur le modèle des thonniers de Groix,
de fortes barques à deux mâts, ca-
pables de tenir la mer au large et de
supporter les longues traversées.
Le port de Douarnenez et la gracieuse fiotille de ses embarcations 1
Sous le pont fortement charpenté,
de larges chambres-abris, et des
soutes à vivres, dortoirs et cam-
buses. On ajouta un vivier à claire-
voie, laissant filtrer l'eau de la mer,
pour la conservation des crustacés
Leur premier départ fut un évé-
nement, une manifestation de sym-
pathie de tout le peuple amassé sur
les quais. On leur souhaitait bon
voyage et bonne pêche beaucoup
priaient pour eux, les prêtres avaient
béni les bateaux. Leur retour fut un
triomphe revenant des côtes du
Maroc, ils ramenaient les langoustes
par milliers, des langoustes vertes,
ce qui excita l'étonnement, celles de
la région ayant la carapace rouge. A
la cuisson, la couleur devenait la
même, et leur chair, délectable, m
différait que peu de celles du pays
et n'était seulement sensible qu'aux
palais des connaisseurs. Une mine
nouvelle venait d'être découverte.
Depuis, on est allé plus loin, et la
multitude des crustacés rapportés
des bords lointains de l'Orient défie
tous les calculs.
A cause de ces superbes dundees
et des barques construites pour la
pêche aux thons le thunnos déli-
cieux des Phéniciens le port est
devenu trop petit. Thonniers et mau-
ritaniens dépassent de la coque et
des mâts la jetée minuscule que la
marée haute et violente balaye de
ses embruns. Le havre de la « Terre-
ie-l'Ile », qui est devenu le plus
?rand centre sardinier de France,
n'abrite plus qu'à peine les vais-
seaux de haut bord dont s'émerveil-
lent les anciens manœuvriers des
shaloupes d'autrefois. La petite ville
s'étage sur les flancs d'une colline
descendant vers la mer, et dont !e
sommet se pare d'une flèche go-
thique à quadruple clocheton haute
je 80 mètres, œuvre, dit-on, des
anglais, aux époques héroïques des
r_^jjr_|_r%iniiiLit" j-ant=a
ceux qui enseignent à ces malheu-
reux la résignation, de telle sorte que
la lumière brille pour eux au milieu
des ténèbres, il faut les.en louer
îomme d'une œuvre charitable entr?
toutes, et qui demeure nécessaire
pour le grand nombre.
JEAN GUIRAUD.
Visions de province
rivalités bretonnes de Jean de Mont-
fort et de Jeanne de Penthièvre.
Cette flèche, qui domine l'église de
Ploaré, s'aperçoit de très loin au
large, et sert de repère à tous las
navigateurs de ce quartier mari-
time. Ploaré, au temps jadis, était le
doyenné de l'endroit. Douarnenez
n'en formait qu'une trêve, où une
seule chapelle existait sous le vo-
cable de sainte Hélène. Les fonction-
naires royaux dépendaient de Ploaré,
nonobstant que le port de Douarne-
nez eût déjà un commerce important
et des relations avec différents peu-
ples de la chrétienté.
La ville s'étage donc sur une col-
line et sur les pentes seules qui des-
cendent vers la mer, car de l'autre
côté, c'est la campagne verdoyante et,
riche en fertiles prairies. Du côté de
l'océan et sur les deux tiers de l'émi-
nence, les maisons s'alignent, courant
toutes vers les deux anses qui se
partagent le trafic du pays, et que
sépare le promontoire prolongé par
l'île Tristan.
L'île Tristan, d'idyllique et de si-
nistre mémoire, rocher fleuri où vé-
curent, au temps des légendes, Tris-
tan et Yseult dont plus tard, le
ligueur La Fontenelle fit une forte-
resse capable de mettre en échec les
troupes et les vaisseaux du roi.
De chaque côté de cette île so
se trouve un port le port de com-
merce et le port de pêche, Le pre-
mier, au creux d'un estuaire en-
caissé entre deux falaises que relie
un superbe pont métallique, est le
refuge assuré, mais difficile d'accès
des caboteurs et des voiliers qui s'en
viennent parfois de loin d'Angle-
terre avec leurs charbons, de Nor-
vège avec leurs rogues et leurs po-
teaux de mine. Le second, dans l'anse
du Rosmeur, qui est le port de pêche,
n'offre plus l'abri sûr d'autrefois aux
grandes coques dépassant les quais
et les jetées, et qui doivent se réfu-
gier l'hiver, aux époques de morte-
saison, dans les criques du rivage, où
on les laisse nues, dépouillées de leurs
agrès, comme de grands oiseaux aux
ailes brisées. Car le vent du Nord est,
terrible, et de les laisser sur leurs
ancres serait braver le danger. Li-
vrées la fureur de l'océan, ces
grandes barques pontées, véritables
colosses auprès des infimes embar-
cations des temps écoulés, s'en
iraient se briser inévitablement sur
les arêtes acérées des rocs qui tapis-
sent les bords de cette baie admi-
rable.
Admirable, en effet, avec, à l'Est,
ses plages immenses que peignait
Lansyer, et dont Hérédia disait qu'on
y voyait réfléchir.
Le ciel occidental dans le miroir des sables.
Côte basse et débordante de dunes,
I couronnée par le pic imposant du
Ménez-Hom qui, petit Vésuve,
ferait de Douarnenez la Naples du
Nord ses falaises se couvrent de
pins et d'ajoncs d'or, se creusent de
grottes innombrables où l'eau suinte
en limpides gouttelettes, de failles
on l'on découvre des paysages qui
offrent à l'amateur de belle nature
un régal sans pareil.
Oh! les courses sans fin, à basse mer,
au temps de notre jeunesse folle, sur
ces sables qui semblaient un désert,
humides et frais au clair matin, tré-
pidants de chaleur au mitan des
longues journées d'été 1
A Douarnenez, en Bretagne
Les enfants rôdent par troupeaux;
Ils ont les pieds fins, les yeu* beaux,
Et sainte Anne les accompagne.
Ces longues grèves que toujours
un ruisseau traverse, qui met son
ruban d'argent sur le jaune d'or des
arènes, s'arrêtent net au pied de rocs
abrupts, tantôt visqueux des goé-
mons accrochés à leurs flancs ou
rouges comme de la lave pétrifiée,
friables encore et se prêtant à l'ins-
cription des noms et des dates de
passage tantôt secs et gris, avec à
leur sommet des touffes de landes
vertes et dans leurs anfractuosités
des larmes transparentes de cristal
que l'on recueille précieusement et
qui restent un souvenir de l'éclatant
voyage. Entre elles, des promontoires
s'avancent vers les flots et abritent
dans leurs replis des maisons de
campagne ou des colonies de va-
cances. Sur l'un d'eux se dresse un
grand Christ de granit que de gen-
tils écoliers parisiens ont élevé, en
mémoire de leurs morts, pour la
protection des marins et de leur pas-
sagère demeure. Au delà, c'est
Sainte Anne la Palud, la bonne
grand'mère de Bretagne, où vieiment
prier les foules aux jours de Pardon.
A l'Ouest, les grèves sont petites,
tapissées de galets que les vagues ont
roulés et polis, au bas des falaises
infranchissables, noires et vis-
queuses, où foisonnent les anatifes,
mollusques immondes qui semblent
de petits doigts crochus. Par là on
atteint la pointe du Raz et la baie
des Trépassés, de lugubre mémoire.
Puis
L'océan qui, sp!endide et monstrueux, arrose t
Du sel vert de set taux les caps de granit noir. j
ENFANTS DE LA TERRE
Dans l'œuvre de M. Camille Mellqy
dans la poésie du Soleil sur le vil-
lage, du Parfum des buis, du Retour
parmi les hommes, de la Louangi
des Saints populaires, vibrent trois
cordes qui s'accordent à merveille
le sentiment de la terre, le cœur hu-
main, la foi religieuse. Ce sont ces
trois cordes, aux mélodies et aux
harmonies toujours nouvelles, que
l'on ne se lassera pas d'écouter dans
ces nouveaux chants Enfants de la
terre (1).
Les « enfants de la terre », c'est
l'eau et le vent, la pierre et le feu,
les arbres et les bêtes, les fleurs et
les fruits et « le plus lourd des
fruits, le cœur de l'homme », sources
de peine et trésors de joie, tout ce,
qui appelle le double cri du chré-
tien « Soyez béni, Seigneur Ayez
pitié de moi »
A travers toutes ces choses que
Dieu a données aux hommes court,
en un rythme de marche, la chanson
de l'homme aux pieds nus.
Terre, à part l'arbre interdit,
Tout est mien dans ton domaine,
s'écrie ce chemineau de la terre et
de la poésie. Il boit le vent, il boit
le soleil du paysage et les odeurs
des jardins. A lui le chant des oi-
seaux, la chair des cerises, des
prunes et des pêches, la source ca-
chée aux profondeurs du bois. A lui
la grand'route qui, « sur ses mil!e
arbres, jette le pont des frondai-
sons », la route où se mêlent tous les
pas vers l'inconnu, où l'on va vers
« l'humble auberge du bonheur ».
A ce chemineau encore, le vent et
ce qu'il apporte
Le message vert ou b!ond
Des arbres, des blés, des herbes
le fleuve et son parfum
Oà le goudron des gabarres
Mêle un souvenir de ports
à lui, dans son voyage, le calme bel-
védère du plateau, et la chanson de
la pluie
Sur sa harpe aux milles cordes,
La douce pluie, en mineur,
loue un air gris qui s'accorde
Aux musiques de mon cœur.
La nuit arrive, pas la nuit des
villes, mais la nuit des pâtres de
la Bible et des matelots d'Homère, la
nuit de Flandre « où le monde rêve,
mains jointes ».
La tempête vient à souffler
qu'importe ? Elle ne saurait abattre
l'âme chrétienne,
L'îme, chêne de clarté
Dont la racine et le faite
S'ancrent dans l'éternité.
Et voici le voyageur à l'étape à
la chapelle de Notre-Dame. Le jon-
gleur apporte à la Vierge, son cœur
~%<%«~=!C%~e~S=S~S=S=~NC
Sur ses bords, Ys, la voluptueuse,
est, dit-on, ensevelie et ne reparaîtra
que le jour où, dans l'église perdue
sous les eaux, quelque pauvre nau-
fragé, dont l'âme, à son retour à la
surface, est recueillie par les goé-
lands plaintifs, répondra au prêtre
qui célèbre interminablement sa
messe inachevée le doux mot que le
Sauveur aimait à répandre autour de
lui « Ainsi soit-il 1 »
Entre ces deux côtes si différentes
d'aspect, l'une pleine de soleil et de
verdure, l'autre noire et sombre
comme le deuil des veuves des péris
en mer, la ville de Douarnenez s'étale
derrière l'île où vécut la mélanco-
lique Yseult. Et la ville n'est pas
belle, avec ses toits zigzaguants et
ses rues tortueuses qui descendent
toutes vers la mer, attirées sans
doute par son charme, comme le sont
les légions d'enfantelets qui y
grouillent. Mais le pêcheur y trouve
son plaisir et sa vie, vie pauvre, mais
combien magnifique et enfiévrée 1
Sully-Prud'homme y a vécu, et
avec lui Coppée, André Theuriet,
Hérédia, et les bons peintres Cottet
et Lansyer. La bonne hostellerie du
Norvégien Védeler était accueillante
pour eux, ,et ces futurs grands
hommes trouvaient chez deux vieilles
et lettrées demoiselles du pays le
dernier salon où l'on cause.
Hérédia, somptueux touriste, que
l'on prenait, avec son teint olivâtre
et sa barbe noire, dans un complet de
flanelle blanche, pour un prince
hindou, promenait sa haute et belle
figure par les grèves et par les
monts, en compagnie de ses deux
filles, que le bon peuple admirait
comme on admire des Madones de vi-
trail. Si belles que les matrones se
retournaient sur leur passage, elles
qui reconnaissaient pourtant à leur
progéniture la beauté mâle de Vel-
léda ou la grâce perverse de la fille
de Gradlon.
On les aimait d'instinct, parce qse
leur sympathie pour nous se sentait,
et qu'on les voyait revenir chaque
année, le poète surtout, qui nous
donnait l'impression d'un rajah fa-
tigué d'Indore ou d'Haiderabad. Et
nous, les gosses, nous suivions de
loin le groupe charmant, respectueu-
sement, pour le regarder encore.
Notre terre, il l'a chantée amoureu-
sement, comme une terre de parfum
et de soleil
Tandis que de la terre une brise emmiellée
Eparpillait au gré de leur ivresse ailée
Sur l'océan fleuri des vols de papillons.
Pour ceux qui l'ont connu, et qui
n'ont riensu et pour cause de
son oeuvre, Hérédia est resté le type
de l'étranger qui s'attache à un coin
de pays parce qu'il le trouve beau et
en aime les habitants. Nous aurions
dû lui élever une statue à cet endroit
dont il a écrit
La mer sans bn commence ou la terre finit.
Et, les autres Theuriet, qui y pa-
racheva sa Petite Dernière, en bu-
vant de grands bols de cidre à la
taverne norvégienne; Cottet, qui pei-
gnit les Pardons Lansyer, qui
fixa sur ses toiles la mer, les sables
et les rochers Sully-Prud'homme,
dont le joli poème suffirait seul à la
gloire de la ville des sardiniers.
A Douarnenez, en Bretagne
Quand les pêcheurs vont de l'avant
Les voiles brunes fuient au vent
Comme hirondd es en campagne.
Paul Declève».
(1) CAMILLE MELLOY, Enfants de la
terre (Collection « Ars et fldes »). Prix,:
14 francs.
caché dans un bouquet de fleurs des
champs des fleurs de Flandre qui
s'accordent avec la tendre ohans™
des ave flamands.
s Quelle « corne d'abondance » pour
le poète, que la terre Tantôt il
trouve, en une retraite ombreuse,
La fraîche vérité des fleurs et de la mousse,
tantôt une vision de printemps sur
IL t. une barque au mélèze amar-
ree. Il rend grâce au Créateur des
douceurs d'avril
Merci, mon Dieu, d'avoir aux derniers jours d'avril
JJonne ce goût d'eau fraîche et ce parfum subtil
De mousse et du bourgeon qui s'ouvre, amer et tendre,
Et ces azurs mouillés des beaux matins de Flandre
Il essaye, dans son épitaphe d'un
chemineau, de déchiffrer l'âme de
ce pauvre, un poète, peut-être.
Il fait le croquis du village quoti-
dien^ tranquille dans son obéissance à
La règle des saisons qui roulent sur les champs.
Un sureau qu'il rencontre lui r;m-
pelle une maison d'autrefois
Une maison de pauvre où ma vie était beHe.
Elle aussi recevait sur un de ses pignons
L ombre, bleue et bougeante ainsi qu'une fumée,
D'un vieux sureau, mousseux d'ombelles parfumées
II fait l'éloge du jardin paysan
il salue les framboisiers et les gro-
seilliers, les pavots, les tournesols et
les roses, les feuilles rondes et les
feuilles en cœur, les plantes au nom
latin ou au nom populaire, il les
salue toutes P°PuIaire' il 'es
Elles sont du passé ce qui est jeune encor
Et la paix du dlmanche Et l'âme
du feu Et « la bonté du froment
parmi les soirs de juin », les ma-
tins nacrés de septembre, le.»™
d'octobre où
Le temps luit comme un beau paysage sous verre,
l'hiver où
L'humble feu d'un carreau fera l'espoir tout seul!
Douceur et puissance des images
et des sourires des choses, d'un.'
poésie cueillie tout entière dans le
jardin de la vérité, dans un jardin
tout proche, un jardin de paysan, qui
n est pas petit, qui est toute la terre
tous les champs, tous les bois, toutes
les routes, toutes les eaux avec les
reflets du ciel 1
Mais il est un autre jardin non
moins riche, plus riche encore le
cœur de l'homme. M. Camille Mellov
vit aussi dans ce jardin-là. Il y cueille
assez souvent des fleurs mélanco-
liques il y cueille, par exemple, ce
regret des émerveillements de l'en-
fance
Je donnerait tout l'or du monde
Pour retrouver un feul instant
Dans leur simplicité profonde
Les extases de mes sept ans.
Il chante l'inquiétude hiflhaine
I attente vague d'on ne sait quel
bonheur, la voix qui dit « Pauvre
homme, cherche au dedans de toi. »
Après tant de promesses entendues,
tant de promesses d'amitié, il dit la
chanson désabusée et la consolation
du silence qui laisse parler les livres
et leur sagesse ancienne.
Un matin de juillet, quand « le
sentier prend l'odeur amère du
troène »
Et c'est comme une source ta moi qui chante et prie,
quand tout est simple et bon, l'idée
triste lui vient des hommes qui
haïssent.
Dans les chalands sans voile, pa-
villon ni mât, qui s'en vont sur l'Es-
caut, résignés, il voit l'image de%
hommes qui méprisent la noble an-
goisse des poètes, et dont les jours
glissent
Sans idéal et tans tourment,
Dans la grisaille, lentement.
Mais après les heures tristes
arrivent les heures douces, ainsi la
bonne heure du soir, gagnée par le
travail
Bonté du soir, quand la main lasse
Pose la plume ou le rabot,
Quand le rêve reprend sa place,
Le soir est beau I
Pourquoi, d'ailleurs, s'arrêter à la
terre et s'y enfermer ?
La Terre est nue et petite
Mon âme, cherchons ailleurs!
M. Camille Melloy élargit son désir
en une sûre espérance. Sa poésie
monte plus haut que les horizons ter-
restres il en demande d'ailleurs la
grâce
Mon Dieu, moi qui n'étends la main
Qu'à la hauteur des branches basses,
Pour en cueillir, lorsque je pasee,
Le fruit facile et trop humain.
Je suis terrestre jusqu'aux moelles.
Seigneur, élève mon plaisir
Et rends si fougueux mon désir
Qu'il ne s'arrête qu'aux étoiles 1
II souhaite achever, quand Dieu
voudra, son labeur, en priant, dans
l'ermitage où il vit en paix
Dans la campagne austère où j'ai choisi de vivre,
Selon le rythme ancien des travaux paysans,
Dans le décor ami qui vit mes premien ans,
Le silence m'éclaire et la paix me délivre.
Il se détache des choses de la terre
pour s'attacher à Dieu
Les lampes d'amitié s'éteignent une « une.
C'est ici que m'attend Jésus il m'a cherché
Parmi les ronces d'or qui gardaient accroché
Mon coeur crédule, en quête, 6élas! de roses vaines.
N'ayant plus que lui seul, je suis riche de tout.
Il dit à Dieu
Vous seul réjouirez les jours que je vais vivre.
Ainsi, sur le front de Camille
Melloy, s'entrelacent heureusement
les deux couronnes que Dieu lui a
données, et qui marquent toutes deux
sa pensée, comme elles se par-
tagent sa vie il est et il reste prêtre
et poète. Cela aussi, il le dit à Dieu
Puisque Tu m'as frappé d'un double sceau, mon
[Maître,
Garde-moi près de l'homme et près de Toi, pour être
Devant Toi son poète et devant lui Ton prêtre 1
Ce bouquet de poèmes où, sous une
forme populaire, vigoureuse, impa-
tiente des entraves inutiles et dédai-
gneuse des parures efféminées, se
cache fout ce qu'il faut de la disci-
pline classique et s'enferme tant de
sentiment et de pensée, ce bouquet de
poèmes est, un livre à lire au prin-
temps pour accorder son âme au
cantique des choses, à lire aussi dans
les autres saisons, pour retrouver le
printemps. Chaw.es Baussan,
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