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CHIMIE ET MATERIALISME 187
lement. Mais, cette tâche remplie, il faudra tenter de comprendre
pourquoi on veut s'appuyer sur un certain secteur des sciences
pour soutenir un discours philosophique. Et c'est là que les pro-
blèmes intéressants surgissent.
Selon certains philosophes contemporains, Louis Althusser
en particulier, le problème d'une articulation possible entre la
science et la philosophie se résoudrait universellement grâce à
la notion d'exploitation 5. Or cette notion, a priori tentante, est
doublement inadéquate d'abord parce qu'elle suppose une
coupure claire et nette entre science et idéologie, ce qui est inac-
ceptable pour l'historien puisque cela supposerait l'existence à
la fois éternelle et immuable d'une scientificité à laquelle s'oppo-
seraient des idéologies ensuite parce que, dans le système
même d'Althusser, la science est matérialiste' comment envi-
sager alors l'exploitation de la science par la philosophie maté-
rialiste (pour autant qu'il existe une philosophie matérialiste)
si celle-ci est l'expression juste de celle-là ? Au plus, nous pour-
rions dire que Diderot a eu raison et retourner dans nos foyers
en admirant sa grande sagacité. Bref, le concept althussérien
d'exploitation, parce qu'il est normatif et intemporel, se révèle
comme obstacle face à une démarche historique conséquente.
Il semble donc beaucoup plus profitable de poser le rapport
entre science et philosophie comme un problème et non comme
un état de fait, nécessaire au moins pour la philosophie 8. Ce
faisant plusieurs questions deviennent possibles, et d'abord à
quoi (et à qui) sert la scientificité ? Que représente-t-elle dans
l'ordre du savoir et du pouvoir à une époque donnée et en un
lieu donné ? Quels en sont les principes d'inclusion et d'exclu-
sion ? Et ainsi de suite. En fait, toute tentative de créer une
modalité de scientificité revient non pas à exploiter la science,
mais plutôt à s'approprier un discours autoritaire. Et pour ce
faire, il est souvent nécessaire de refondre profondément au
moins un et préférablement plusieurs secteurs de la science.
De ce point de vue, l'évolution des discours scientifiques devient
5. L. Althusser, Philosophie et philosophie spontanée des savants (Paris,
Maspero, 1974), particulièrement à partir de la p. 83.
6. Voir là-dessus les pages essentielles de M. Foucault dans L'Archéolo-
gie du savoir (Paris, Gallimard, 1969), p. 240-3.
7. Althusser, o.c., p. 100.
8. On se rappellera ces paroles de Foucault « Le savoir n'est pas ce
chantier épistémologique [allusion à Bachelard] qui disparaîtrait dans la
science qui l'accomplit. La science (ou ce qui se donne pour tel) se localise
dans un champ de savoir et elle y joue un rôle. » O. c., p. 241.
lement. Mais, cette tâche remplie, il faudra tenter de comprendre
pourquoi on veut s'appuyer sur un certain secteur des sciences
pour soutenir un discours philosophique. Et c'est là que les pro-
blèmes intéressants surgissent.
Selon certains philosophes contemporains, Louis Althusser
en particulier, le problème d'une articulation possible entre la
science et la philosophie se résoudrait universellement grâce à
la notion d'exploitation 5. Or cette notion, a priori tentante, est
doublement inadéquate d'abord parce qu'elle suppose une
coupure claire et nette entre science et idéologie, ce qui est inac-
ceptable pour l'historien puisque cela supposerait l'existence à
la fois éternelle et immuable d'une scientificité à laquelle s'oppo-
seraient des idéologies ensuite parce que, dans le système
même d'Althusser, la science est matérialiste' comment envi-
sager alors l'exploitation de la science par la philosophie maté-
rialiste (pour autant qu'il existe une philosophie matérialiste)
si celle-ci est l'expression juste de celle-là ? Au plus, nous pour-
rions dire que Diderot a eu raison et retourner dans nos foyers
en admirant sa grande sagacité. Bref, le concept althussérien
d'exploitation, parce qu'il est normatif et intemporel, se révèle
comme obstacle face à une démarche historique conséquente.
Il semble donc beaucoup plus profitable de poser le rapport
entre science et philosophie comme un problème et non comme
un état de fait, nécessaire au moins pour la philosophie 8. Ce
faisant plusieurs questions deviennent possibles, et d'abord à
quoi (et à qui) sert la scientificité ? Que représente-t-elle dans
l'ordre du savoir et du pouvoir à une époque donnée et en un
lieu donné ? Quels en sont les principes d'inclusion et d'exclu-
sion ? Et ainsi de suite. En fait, toute tentative de créer une
modalité de scientificité revient non pas à exploiter la science,
mais plutôt à s'approprier un discours autoritaire. Et pour ce
faire, il est souvent nécessaire de refondre profondément au
moins un et préférablement plusieurs secteurs de la science.
De ce point de vue, l'évolution des discours scientifiques devient
5. L. Althusser, Philosophie et philosophie spontanée des savants (Paris,
Maspero, 1974), particulièrement à partir de la p. 83.
6. Voir là-dessus les pages essentielles de M. Foucault dans L'Archéolo-
gie du savoir (Paris, Gallimard, 1969), p. 240-3.
7. Althusser, o.c., p. 100.
8. On se rappellera ces paroles de Foucault « Le savoir n'est pas ce
chantier épistémologique [allusion à Bachelard] qui disparaîtrait dans la
science qui l'accomplit. La science (ou ce qui se donne pour tel) se localise
dans un champ de savoir et elle y joue un rôle. » O. c., p. 241.
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