Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1928-05-06
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 06 mai 1928 06 mai 1928
Description : 1928/05/06 (Numéro 127). 1928/05/06 (Numéro 127).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
Ééfite' en C 'Hôtel du FIGARO 1-
14, Rond-Point des CBamps'Efysées- Paris C& Arrondi?
Io3* Anne* » E° 127 de 192S
s PuBfications Annexes: LE FIGARO Littéraire,-
Lb Figaro Artistique liïustre'. LE Figaro des Etats-Unis,,
La Page Cofoniafe.
LOUÉ PAR CEUX-CI, BLÂMÉ PAR CEUX-LA, ME MOQUANT DES SOTS, BRAVANT LES MÉCHANTS,
JE ME PRESSE DE RIRE DE TOUT. DE PIUR D'ÊTRE OBLIGÉ D'EN PLEURER.
BEAUMARCHAIS.
LE NUMÉRO
3O
CENTIMES
en Frsnce
LE. NUMÉRO
30
CENTI MES
en France
DIMANCHE 6 MAI 1928
X3IE.JBCTS3-CTI6 IVK,.ÔJDTÇOIS OOT!
DIMANCHE 6 MAI 1928
CHRONIQUE DU « FIGARO» »
Le cas Baudelaire
[ De l'insaisissable poésie puxe, la con-
'versation, dans cette maison amie des
lettres, s'en vint tout naturellement aux
poètes. Quelqu'un de la compagnie re-
prit l'éternelle comparaison entre les
maîtres du dix-neuvième siècle. Le-
quel préférer ? Les meilleurs suf-
frages n'hésitèrent pas à désigner
Baudelaire. Je ne me prononçai pas
si vite, à cause des sonores échos
de Victor Hugo, de certains vers de jeu-
nesse de Musset, du souffle alpestre, si
pur, qui court dans Jocelyn, dans le Val-
lon, du noble et méprisant stoïcisme
des Destinées, et même de la fantaisie
ailée de Gérard de Nerval. Mais, reve-
nant dans la nuit et causant avec
moi-même, je finis par donner rai-
son aux partisans de Baudelaire.
Oui, Baudelaire va plus loin
plus loin dans la nostalgie du désir,
plus loin dans l'esclavage et l'amertume
de la chair, plus loin dans la chute au
fond des abîmes, et plus loin dans le
dégoût humain et dans la convoitise du
divin. Son vers a des résonnances plus
profondes. Elles se prolongent indéfi-
niment. Elles élargissent les horizons
du rêve et de la méditation. Il a, des
poètes anglais, ces relations avec la aa-
ture qui nous mêlent aux saisons, aux
climats, aux vents, aux parfums, à l'es-
pace et, en plus, des relations plus mys-
jtérieuses avec le monde plus secret des
âmes enveloppées de chair. Or, voici
que se pose aujourd'hui un cas Bau-
delaire:
L'auteur des Fleurs du Mal a inspiré
récemment plusieurs biographes M.
François Porc'hé, M. Camille Mauclair.
Celui-ci vient d'écrire sa vie amoureuse
dans la collection fameuse Leurs
amours. La vie amoureuse de Baude-
laire est lamentable. Elle oscille entre
une affreuse mulâtresse, Jeanne Du-
yal, qui représente sa luxure, et une
teharmante femme entretenue, Apollonie
Sabatier, qu'il voulut à' tort idéaliser et
qu'il ne sut pas prendre. De cette ma-
tière insuffisante il a tiré ses admira-
bles et douloureux poèmes. M, Camille
Mauclair a sans pitié retracé ces épiso-
des discourtois. Sur quoi, les baudelai-
riens le maltraitèrent. Dans un très
'émouvant et très éloquent article pu-
blié par l'Eclaireur de Nice, il s'est dé-
jfendu et même il s'est défendu en atta-
quant. Pourquoi, s'est-il demandé, y
aurait-il une morale spéciale aux écri-
vains ? Pourquoi serait-il interdit de
montrer en Baudelaire un mauvais fils
et un triste débauché, « parce qu'il écri-
vait » ? De quel droit les littérateurs
jouiraient-ils d'un régime de faveur
qui leur permettrait de se débarrasser
de toutes les obligations pesant sur les
autres hommes ?
Mais, peut-être, la question ne se po-
se-t-elle pas ainsi. Si elle se posait ain-
si, M.Camille Mauclair aurait toute rai-
son de triompher. Tout d'abord, ce dé-
bat est la preuve que les vies intimes
ne nous apprennent rien. Paul Bourget
ne cesse pas de le répéter un écrivain,
un artiste donnent leurs œuvres, et
leurs œuvres sont leur chair, leur sang,
leur cœur, leur esprit leurs oeuvres
c'est leur vie, la seule qui compte. Tout
le reste n'est qu'indiscrétions, et indis-
crétions incomplètes. Car des mémoi-
res, des correspondances, des témoi-
gnages, ne nous apprennent pas tout,
ne nous apprennent jamais tout. Cha-
que génération s'en va avec ses
secrets. C'est pure folie de les vou-
loir pénétrer et divulguer. Les morts
ne pourront plus intervenir pour
se justifier ou s'expliquer. Nous n'ob-
tiendrons jamais que des approxi-
mations, quand les œuvres sont là, seu-
les chargées de nous révéler la vérité,
seules capables de la contenir. Elucide-
ra-t-on jamais le cas de Jean Racine re-
nonçant au théâtre ? Que savons-nous
des passions de Shakespeare dont l'exis-
tence même est discutée ? Seulement
il y a un seulement le public a
été mis en goût par ces confidences
dont les romantiques ont répandu la
manie. Il veut savoir si l'œuvre a été
vécue, avec quoi elle a été composée. Il
est joyeux s'il y pend encore quelques
gouttes de sang. C'est un peu du plaisir
de la chasse ou de la course de tau-
reaux. Il aime suivre à la piste ce beau
gibier. Cela flatte aussi l'envie démo-
cratique. Qu'un grand homme ne soit
qu'un homme, n'y a-t-il pas lieu de se
réjouir? Qu'on le surprenne en flagrant
délit de bassesse comme tout le monde,
quelle volupté de le constater
Or le grand homme est particulière-
ment livré au public, et livré nu et sans
jftrmes, dans ces biographies romancées
jjui sont aujourd'hui si fort à la mode.
jpourquoi ? Parce que son œuvre qui
est sa force principale est supprimée ou
laissée à l'arrière-plan. Pour un écri-
vain, la biographie ne peut pas se sépa-
rer de la critique pour un homme
d'Etat, pour un diplomate, pour un mi-
litaire, elle ne peut pas se réparer de
l'histcire. Etudier la vie amoureuse de
Baudelaire sans y joindre une étude ap-
profondie des Fleurs du mal, de leur
importance dans la littérature, de leur
iiàfiuence, c'est la dénaturer fatalement.
De même, quand la princesse Murat
nous raconte la vie amoureuse de la
grande Catherine sans retracer son œu-
vre politique en Russie, elle nous la
rend incompréhensible, car l'impéra-
trice n'est plus alors qu'une grosse fille
excitée qui précisément ne méritait au-
cune biographie. On touche ici du doigt
la fausseté d'un genre qui prétend di-
viser l'être humain, et nous en offrir
une simple tranche. L'être humain ne
se débite pas. Il forme un tout indivi-
sible.
Et c'est parce qu'il forme un tout in-
divisible que le grand homme et non
pas seulement l'écrivain jouit en ef-
fet d'un régime spécial. Rien n'est plus
dangereux que l'entourage pour le
grand homme. L'entourage a forcément
tort quand il ne l'a pas compris, pas
deviné, pas pressenti, pas caressé et
protégé. Prenez, par exemple, les débuts
de la vie de saint François d'Assise.
S'il est un grand homme dont la vie
doit être facile à célébrer, c'est bien le
saint. En prenant un saint pour exem-
ple, je ne risque pas de tricher. Le jeu-
ne François est le fils d'un honorable
marchand drapier. Il distribue aux pau-
vres la marchandise de son père, qui
ne lui appartient pas. Le père, furieux,
le traîne devant le tribunal de l'évêque.
Là, le jeune homme, loin de montrer le
moindre regret, se défait de tous ses
vêtements, les jette à son père et, nu
comme ver, s'écrie « Je n'ai plus
qu'un père, celui qui est aux cieux. »
Voilà un brave marchand fort malme-
né. Car, enfin, il n'a pas deviné que son
fils serait un saint. Et tout de même,
c'est lui qui a tort. Il a cru avoir pour
rejeton un extravagant, parce qu.'il ne
s'est pas donné la peine de se pencher
vers lui, de le connaître, de le compren-
dre. Il a eu les sens bouchés par son
commerce.
De même sans aucune comparai-
son, d'ailleurs, autre que celle tirée de
l'originalité du génie et de l'originalité
de la sainteté la mère de Charles
Baudelaire est une excellente femme
qui s'est remariée avec un excellent
homme, lequel deviendra général et am-
bassadeur. Ce sont gens parfaitsjau sens
ordinaire. Ils n'ont pas vu ce qui crois-
sait d'extraordinaire à côté d'eux. Char-
les Baudelaire leur a paru dénaturé,
odieux, presque monstrueux. La mère
lui est demeurée fidèle par instinct ma-
ternel, par tendresse maternelle, mais
sans jamais se douter qu'elle avait en-
fanté un prodigieux poète, un de ceux
qui pèsent sur les générations futures.
Comprendre n'est peut-être pas égaler,
mais c'est la lumière des relations.
Quant aux pauvres femmes que Baude-
laire admit dans son intimité, il souffrit
de leur insuffisance. Les Fleurs du mal,
c'est un immense cri de détresse et de
dégoût. Aucune femme, dans la vie de
Baudelaire, et pas même sa mère, ne l'a
entendu. Sans quoi, l'amertume n'en
serait pas totale.
Non, il n'est pas exact que les fai-
blesses des grands hommes soient sou-
mises à la commune mesure. Car il y
faudrait aussi soumettre leur grandeur.
Et là ils ont emporté les bornes. Ni les
maîtrasses de Henri IV, ni celles de
Louis-XIV, ne les ontempêehés d'être
de grands rois., Tandis que réduits à
leurs amours, ils feraient assez triste
figure. Songez que la vie d'un Napo-
léon continue. Il a cessé de faire du mal
par son excès d'orgueil, et il demeure
une école d'énergie. Il y a une survi-
vance des grands hommes dont leurs
biographes doivent tenir compie.
Henry Bordeaux,
de l'Académie française,
La finale de la Coupe
de France de football
Aujourd'hui au Stade olympique de Colombes
La Coupe de France de football prendra
fin aujourd'hui dimanche.
L'ultime rencontre se déroulera cet
après-midi sur la pelouse du Stade olym-
pique de Colombes, en présence de M.
Gaston Doumergue, président de la Répu-
blique, et de M. Bokanowski, ministre du
commerce.
Elle mettra en présence le Red Star
Olympique et leCercle Athlétique de Pa-
ris, deux très vieilles équipes toutes deux
de la région parisienne.
Des deux équipes, évidemment, on se
demande qui va l'emporter. Est-ce le Red
Star, grand favori, à l'équipe solide, aguer-
rie, à la technique sûre ? Est-ce le C. A.
Paris, plus jeune, plus ardent, plus vite
aussi, dont la variété et l'inspiration sont
les qualités premières ?
En vérité, -et malgré l'opinion générale
qui fait du Red Star un vainqueur pro-
bable, nous ne sommes pas loin de faire
confiance à l'équipe du C. A. Paris. Par
pure impression simplement, par sympa-
thie aussi pour cette brillante formation
dont-le magnifique esprit sportif et l'excel-
lente mentalité sont connus de tous. Si
nous avons un souhait à faire, nous souhai-
tons, selon la formule consacrée, que le
meilleur gagne, et que ce meilleur soit le
Cercle Athlétique de Paris. A. R;
Les idées
de M. Stresemann
II y a eu hier, à Heidelberg,
une petite fête universitaire qui a
permis à M. Stresemann de mon-
trer avec quel art il sait se servir des insti-
tutions et des théories pacifistes. Le minis-
tre des affaires étrangères du Reich, qui
est un des hommes politiques les plus intel-
ligents de son pays, a merveilleusement
compris quel parti l'Allemagne pouvait ti-
rer de l'internationalisme à la mode, pen-
dant les années dont elle a besoin pour se
relever.
La proposition Keîlogg, destinée à met-
tre la guerre hors la loi, a fourni l'occasion
à l'Allemagne de faire la. cour aux Etats-
Unis et de se montrer encore plus pacifiste
qu'eux. Avec une extrême courtoisie, l'am-
bassadeur d'Amérique à Berlin, M. Shur-
man, qui fut dans sa jeunesse étudiant à
Heidelberg, a vanté l'esprit de camarade-
rie internationale qu'il était heureux de
trouver en Allemagne. Il est certain que
rien ne pouvait faire deviner le développe-
ment imprévu de cet esprit au temps de la
violation de la Belgiqùe^ou au J:emps du
torpillage du Lusitania. A »
Mais les années ont passé, et les peu-
ples aiment à entendre parler de paix.
M. Stresemann n'a pas manqué de leur
donner satisfaction. Dans son enthousias-
me, il est même allé jusqu'à découvrir dans
son maître Bismarck le véritable précur-
seur de la Société des nations, et l'apôtre
le plus chaleureux de la paix. Mais ce
prophète avait peu de disciples en 1914.
M. Stresemann a bien voulu le reconnaî-
tre, en rejetant aussitôt la renaissance de
l'esprit guerrier sur le fatalisme historique.
Ainsi les culpabilités s'évanouissent en con-
sidérations philosophiques, et il n'y a plus
de responsables. Désormais il s'agit de dé-
truire la défiance, dont M. Stresemann
trouve dans le monde contemporain des
traces fâcheuses, qu'il ne s'explique pas.
Mais tandis qu'il rêve à un avenir meil-
leur, les enchantements d'Heidelberg n'em-
pêchent pas le ministre du Reich de pen-
ser aux réalités positives et aux volontés
obstinées de l'Allemagne. Il y a dans son
discours une petite phrase, enveloppée dans
des termes abstraits, qui mérite d'être re-
tenue « Les efforts pour supprimer la
guerre, a dit l'orateur, doivent aller de
front avec le développement des institu-
tions qui sont en mesure de modifier, par
des moyens pacifiques, les traités devenus
inacceptables. » Nous îetrouvons enfin
M. Stresemann au fond de son pacifisme
se cache la revision des traités. ANDRÉ
CHAUMEIX.
JULT JTOTJM 1L,E JTOUM
Des arbres meurent
Ainsi, le Figaro l'a dit il y a un ou deux
jour de vieux arbres vont encore dispa-
raître dans un coin de la rive gauche cher
aux artistes. Les exigences de la construction
moderne suppriment de plus en plus ces enclos
où un peu de'verdure permettait d'oublier un
moment la ville et son tumulte. Bientôt de
ces vestiges d'un passé qui n'est pas si lointain,
nul ne subsistera. Des bâtisses en ciment armé,
percées de cent fenêtres irrégulières, se seront
élevées sur le sol des jardins, et une portion
d'espace de plus sera incorporée au dessin sans
variété de la -grande ville. -"•̃-
Que de charme pourtant en ces rares endroits
où des quartiers de Paris se souviennent d'avoir
été villages 1
Toute une existence bien différente de la
nôtre s'évoque d'un coup en regardant dans
quelque petite voie déserte de Passy, dans
quelque rue de la rive gauche bordée d'hôtels
silencieux, aux porches imposants, quelques
troncs un peu maigres, des branches entêtées à
fleurir, un parterre étroit comme un jardin de
béguirte.
Montmartre avait son « maquis ». Mais il
s'efface autour de la place du Tertre. L'herbe
même hésite désormais à pousser. Et l'avenue
Junot ressemble, avec ses villas disparates et
chantournées, à une avenue de station balnéaire
trop vite poussée.
Cependant, à Belleville, parmi tant de mai-
sons noires, d'usines fuligineuses, quelques ar-
bres s'obstinent à vivre. Vous les trouverez
non sans un peu de peine dans les rues dont
les noms rappellent le Belleville champêtre,
bruyant de guinguettes, pavoisé de tonnelles,
faubourg et banlieue, où naguère chansons
joyeuses, tendres fadaises échauffaient les
têtes et troublaient les cœurs faciles, tandis que
coulait le vin* léger qui avait peut-être mûri
sur les côteaux de Suresnes.
Dans une de ces .rues qui découpent le poptt-
leux quartier, une rue qui, un moment, a l'étroi-
tèsse d'un passage, j'ai, derrière une palissade,
découvert ainsi un morceau du Belleville su-
ranné. La rue porte.le nom d'un compositeur
de valses lentes. Des valses, un jardin avec des
arbres dont les feuilles pendent au delà de la
clôture, des enfants qui sans crainte jouaient
dans le ruisseau, un aspect d'un autre Paris
surgissait avec la netteté de traits d'une bonne
gravure. Quelques mètres seulement et, sous
des hangars à charpente métallique, des ma-
chines tournaient avec un sourd ronflement.
Adieu vieil arbre, souvenir précaire d'un passé
mort et que tu rejoindras bientôt sans doute,
car je ne doute guère, si robuste sembles-tu,
que tes jours ne soient comptés par les hommes
empressés à détruire.
Roger Dardenne.
[La nouvelle majorité
l
et le cabinet Poincaré
Sous le titre tendancieux « Le Souci
après la victoire », l'organe du Cartel com-
mentait en ces termes le résultat des élec-
tions « La victoire excessive de M. Poin-
caré le met dans l'impossibilité de conti-
nuer. Il faut choisir » n
Rassurons M. Pierre Bertrand, auteur de
ces commentaires alarmistes. Oui, il faut
choisir, mais il faut choisir, précisément,
pour pouvoir mieux continuer. Et le sens
de ce choix est tout dicté, d'avance, par
celui des élections. Car on peut dire qu'el-
les ont donné, enfin, à M. Poincaré, sa vraie
majorité, celle de la politique même qu'il
faisait depuis vingt^deux mois, avec une
équipe d'attente et une majorité de for-
tune ou plutôt d'infortune toujours
prête à l'abandonner, si une crainte salu-
taire ne l'avait retenue.
Le pays a entendu l'appel du discours
de Bordeaux, et il a envoyé à M. Poincaré,
à la place des soutiens intermittents et dé-
concertants dont il se contentait, faute de
mieux, les collaborateurs fidèles qu'il récla-
mait. Insinuer qu'il trouve sa victoire
« excessive » et qu'elle lui cause « des sou-
cis », c'est vouloir méconnaître, par esprit
de parti, la netteté d'une situation parfai-
tement claire et ™l' évidence d'une ligne de
conduite qui s'impose.
Oui, le devoir de M. Poincaré est tout
tracé par le verdict du Suffrage Universel.
Il doit remplacer, parmi ses ministres ac-
tuels, ceux dont les élections ont mis les
partis en minorité, par d'autres collabora-
teurs, pris au sein de sa majorité nouvelle,
dont les tendances sont d'ailleurs plus con-
formes à la politique suivie. Est-il besoin
de nommer ceux qui doivent céder leur
place à de plus qualifiés? Leurs noms se
présentent d'eux-mêmes à l'esprit. Ne sait-
on pas qu'ils n'ont cessé de faire dans le
pays et dans leurs partis, au cours même
des élections, une propagande directement
contraire la politique d'Union nationale,
à laquelle ils étaient associés au gouverne-
ment ? S'ils avaient triomphé d'aventure,
M. Poincaré n'aurait plus eu qu'à s'en al-
ler. C'est la politique de M. Poincaré qui
triomphe, et c'est elle qu'a ratifiée le vœu
du pays. Il est donc naturel, il est confor-
me à la règle du jeu parlementaire que les
nouveaux élus, qui s'en réclamaient, y
soient associés, aux lieu et place de ceux
qui l'ont sournoisement combattue ou qui
en supportent malaisément le joug.
On n'a jamais cherche à définir exacte-
ment ce que recouvrait, politiquement,
cette étiquette vague d'Union nationale ? P
C'est un tort, et il n'est pas inutile de' le
montrer aujourd'hui, oit cette formation
provisoire cesse d'être indispensable. On
a dit « l'Union Nationale c'est la trêve
des partis ». C'est inexact. Une trêve est
une simple suspension d'hostilités, c'est
une abstention générale. Or, l'abstention
de tous ne peut engendrer une politique dé-
terminée. Quelle était donc la politique fi-
nancière suivie par M. Poincaré ? De quels
principes s'inspirait-elle ? Pour le savoir,
il suffit de se souvenir.
Le 11 Mai, la victoire du Cartel avait
entraîné la démission d'un cabinet Poin-
caré, expression de la politique du Bloc
National. Un ministère Herriot, plein d'ou-
trecuidance, lui avait succédé, après avoir
exigé toutes les places, pour faire une poli-
tique contraire. Pendant 26 mois, cette
politique cartelliste provocante s'était don-
née libre cours. Résultat, le 23 juillet 1926,
la livre atteignait 248 francs, et un der-
nier ministère Herriot, complètement dé-
semparé, s'effondrait, sous les huées de la
foule ameutée.
Le vœu du pays, exprimé par la Fédéra-
tion républicaine, rappelait alors au pou-
voir et imposait aux cartellistes, impuis-
sants et atterrés devant les conséquences
de leurs fautes, un nouveau Cabinet Poin-
caré. Celui-ci, dans un geste généreux, of-
frait à ses adversaires de la veille, provi-
soirement assagis par la peur, de collabo-
rer avec lui à la restauration financière.
Mais par quelle politique ? Par la leur,
par celle qui venait d'amener le désastre ?
Evidemment, non Par la sienne, par celle
qu'il avait suivie avec le Bloc national,
qui avait été malheureusement interrom-
pue au lendemain du 11 mai, et pour la
reprise de laquelle, précisément, on l'avait
rappelé au pouvoir. Voilà quel fut le vrai
principe de l'Union nationale Les mau-
vais pilotes, acculés à la catastrophe par
leur impéritie, ont cédé la place à ceux
qui avaient vu juste avant eux, et ont con-
senti, provisoirement, à les laisser gouver-
ner pour éviter le naufrage général. S'il y
eut trêve, ce fut donc seulement la trêve de
la malfaisance des cartellistes, et cette trè-
ve il faut l'attribuer bien plus à leur im-
puissance momentanée qu'à la sincérité de
leur repentir.
La rentrée à la Chambre de ces mauvais
ouvriers de la douzième heure eût donc
mis le Cabinet Poincaré en péril, puisqu'ils
ne s'étaient associés à sa politique po-
litique diamétralement opposée à la leur
qu'à contre-cœur et sous la menace de la
catastrophe imminente. C'est si vrai que
M. Poincaré a déclaré lui-même ne pou-
voir stabiliser avant les élections, et sans
être assuré d'une majorité stable.
Le pays l'a compris, il a envoyé à M.
LE FIGARO
Fondé le 14 Janvier 1826
Anciens Directeurs H. DE Viixemessant,
F. Magnaru, G. CALMETTE, A. CAPUS,
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Poincaré les bons ouvriers qu'il désirait,
et dont il faisait déjà, personnellement, la
politique de prudence et de sagesse. Dès
lors, l'opinion ne s'expliquerait pas que
le président du Conseil ne fît pas appel,
maintenant, à cette nouvelle majorité, au
nom de laquelle, en réalité, il a constam-
ment gouverné et qu'il s'obstinât à garder
avec lui des collaborateurs suspects de
tiédeur, sinon d'hostilité, dont les partis
ont été mis en minorité et qui, par suite,
compromettraient son Cabinet beaucoup
plus qu'ils ne le consolideraient.
Jacques Ditte.
/y
La Température
Ciel couvert, quelques averses.
Température stationnaire. ̃*
La marche à l'Etoile.
Le 5 mai de chaque année, le disque
du soleil qui se couche s'inscrit exac-
tement dans la partie médiane de l'Arc
de Triomphe et descend progressive-
ment jusqu'au ras du sol.
Tandis que le globe incandescent sem-
ble tomber sur la terre en se déformant
quelque peu, ceux qui savent que ce
phénomène ne se produit qu'une fois
l'an et justement le jour où Napoléon
rendit le dernier soupir, peuvent alors
croire voir se dessiner sous la voûte la
silhouette d'un rouge atténué et comme
endeuillé, du légendaire petit chapeau.
Les vieux grognards de la Grande Ar-
mée, les officiers et les grenadiers « épi-
ques » qui vivaient encore après 1840,
lorsque les cendres du grand homme
eurent été ramenées à Paris, connais-
saient cette particularité. Et chaque an-
née, le 5 mai, ils se rassemblaient au
bas de 'l'avenue des Champs-Elysées et
montaient, au pas cadencé, vers l'Arc
de Triomphe, vers l'Empereur, les yeux
fixés sur le disque du soleil qui accom-
plissait sa marche.
Mais hier, hélas le temps ne permit
point de voir le coucher du soleil.
L'autonomisme et Bismarck.
La presse allemande, hors les jour-
naux socialistes.ne dissimule pas sa joie
devant les élections d'Altkirch, de Col-
mar et de Saverne. Le poste émetteur
de Stuttgart lui-même s'est rangé dans
le concert.
Il semble bien que la mémoire ne
fleurisse guère outre-Rhin. Venons au
se.eows de nos aimables voisins cinq
autonomistes étaient élus en 1877 dans
le Bas-Rhin, à leur tête le radical
Schneegans, que poussait Bismarck
pour faire échec au mouvement protes-
tataire. En 1881, revenant les mains1
vides, ils étaient « balayés » par le peu-
ple alsacien et ce furent de nouveau des
élections françaises.
L'autonomisme est-il destiné, comme
à ses débuts, à être d'importation alle-
mande ?
t tt! <
Protocole soviétique.
Le Daily Mail annonce que Tchitche-
rine aurait l'intention d'offrir à la reine
d'Afghanistan le diadème ayant appar-
tenu à l'impératrice de Russie. Les So-
viets offrent en cadeau les dépouilles
des victimes qu'ils ont assassinées.
Féminisme.
Une femme de lettres, qui d'ailleurs
ne manque point de talent, a fait ces
jours-ci passer à un de nos collabora-
teurs sa carte de visite. Sous un fort joli
nom, on lit en caractères discrets et
finement déliés cette simple mention
Ecrivaine Poète
Car l'amour du néologisme a de ces
fantaisies il renonce à un féminin
consacré par l'Académie elle-même et
méprise poétesse mais il forge écri-
vaine. Il est vrai et Gourmont l'avait
découvert le dix-huitième siècle avait
déjà inventé autrice.
Mais chacun sait que ce « grand siè-
cle » donnait dans le féminisme.
Ne parlons jamais de corde.
Un employé de tramway a toujours
tort de raconter des histoires maritimes
à un marin. Ecoutez plutôt.
On vient de donner, à Barcelone, de-
vant un très nombreux public, une re-
présentation du film Arènes sanglantes,
tiré en Amérique du magnifique* roman
de Blasco Ibanez.
Et le public barcelonais a sifflé avec
tant d'enthousiasme que le film a dû
être retiré de l'affiche.
Ne parlons jamais de corde dans la
maison d'un pendu.
Le 1" mai à Hambourg.
Un de nos abonnés nous signale ce
spectacle étrange auquel il assista le
1" mai à Hambourg une fanfare pré-
cédant un groupe de communistes
jouait l'Internationale et entama la Mar-
seillaise en passant devant le consulat
de France.
II paraît que les révolutionnaires
ignoraient totalement que cette marche
inscrite à leur répertoire fût l'hymne
national français.
The largest in the world.
Un groupe d'hommes d'affaires de
New-York vient de proposer aux auto-
rités' américaines de construire, de
Brooklyn à l'île de Staten, un pont sus-
pendu qui ne mesurerait pas moins de
4,500 pieds.
Ce serait le plus long pont du monde
construit sur une portée unique.
Les Américains ne font pas les choses
à demi,
à ge!l.lJ, Le Masqu§ de Fer.
LA POLITIQUE
Les gâcheurs de liberté
Le douloureux procès de Colmar menacé,
de s'éterniser. Les autonomistes ont adop-
té pour leur défense faut-il s'en éton-
ner ? la tactique communiste. Libre à
eux. Constatons seulement que la méthode
de Moscou est partout la même le désor-
dre et le tumulte.
Partout où ils sont, partout où ils vont,
les bolchevistes s'emploient à rendre dé-
sastreux, par l'abus qu'ils en font, l'exer-
cice de toute liberté.
La liberté de la tribune, ils s'en sont ser-
vis comme un moyen d'obstruction conti-
nuelle et de propagande révolutionnaire.
Ils ont transformé la Chambre en lieu de
conférence antipatriotique, antimilitariste.
anti-tout. Ils sont arrivés à ce premier ré-
sultat de faire modifier le règlement pour,
sauver le parlementarisme, on a dû res-
treindre la liberté de parole.
Ils compromettent la liberté de la pres-
se. Ils ne se contentent pas de discutér des
idées, d'attaquer avec véhémence les insti-
tutions et les hommes, ils font du journal
un instrument direct de provocation à des
crimes déterminés, ils organisent des émeu-
tes, préparent des rébellions. Ainsi ont-ils
rendu indispensable le maintien des lois
de 1893, dont bien des juristes, sans eux*
eussent accepté l'abrogation.
Dans le prétoire, la violence constante
est devenue un système. Il faut noyer le dé-
bat sous les incidents multiples et bruyants.
Il faut faire oublier les inculpés en mettant!
en accusation n'importe qui, fût-ce un ma-
gistrat il faut réclamer des comparutions
de détenus et de fonctionnaires absolu-
ment étrangers au procès, il faut accuser
la justice d'avoir soustrait des pièces.
Crier, s'indigner, soulever la foule, envi
pêcher par n'importe quel incident le procès
de suivre son cours, voilà la méthode. Au
besoin demander qu'on apporte l'Obi! ":1s-.
que sur la table des pièces à conviction.
La justification des accusés est dans un,'
hiéroglyphe qui doit passer sous les yeux
de MM. les jurés. La Cour refuse de faire
apporter l'Obélisque ? Infamie 0 temps 1
0 mœurs réactionnaires Les avocats se
drapent dans leurs robes et se demandent
s'ils garderont plus longtemps la responsa-
bilité d'une tâche qu'on leur rend impos-
sible.
Voilà le procédé à peine grossi et tout
semblable au système employé par la ̃III*
Internationale à la tribune et dans la pres-
se. Partout, du meeting au prétoire, les
libertés ainsi sont mises en péril par les
destructeurs moscovites et leurs disciples.
Partout, c'est le pouvoir exécutif, ju-
diciaire ou législatif qui apparaît mal
armé devant l'audace des communistes.
Et dans les procès d'assises, ce n'est plus
la liberté de la défense qui a besoin d'être
sauvegardée, c'est en faveur de la liberté
de l'accusation, pour la sécurité sociale,
qu'un jour la loi finira par intervenir.
Henri Vonovén.
A UX ASSISES DE COLMAR
Violents incidents
Un avocat suspendu
COLMAR, 5 mai (De notre envoyé spécial)'.
-Jamais dans ma carrière déjà longue d'a-
vocat et de chroniqueur judiciaire, je n'ai
vu d'audience semblable à celle de ce ma-
tin. Un plan concerté, mûri, étudié de la
part de la défense pour empêcher les dé-
bats d'avoir lieu, le procès de se juger, un
plan pour provoquer des incidents, la
veille même du voyage du président du
Conseil en Lorraine. Quelle audience et
quelle obstruction toutes les armes, tou-
tes les ressources du code d'instruction cri-
minelle mises en œuvre, des conclusions
tombant comme grêle sur les magistrats,
des fureurs, des colères. Un avocat frappé
par ta Cour d'un mois de suspension, les
arrêts succédant aux conclusions, et les
conclusions aux arrêts, et les réquisitions
aux conclusions. Quel tumulte si l'on eût
été à Paris Ici le public est resté calme.
Nous disions l'autre jour, et sans ironie,
que la défense voulait prolonger ces débats
jusqu'après le 1" juin, date de la rentrée
des Chambres. Ce n'est pas niable et le pro-
cédé est apparu hier.
Depuis mardi on n'avait pu interroger;
que deux accusés interroger, c'est une fa-
çon de parler car Ricklin et Schall n'a-
vaient fait que des discours, des lectures
interminables. Alors, M. le président Ma-
zoyer, pour raccourcir les débats, avait
songé à faire entendre les témoins de suite
et à interroger les accusés après leur audi-
tion. Droit absolu, l'interrogatoire préala-
ble n'étant prescrit pas aucune loi d'ordi-
naire il abrège, ici, il menaçait de s'éter-
niser, alors le président songe à faire en-
tendre d'abord les témoins à charge, et il
les avait convoqués pour ce matin. Les dé-
fenseurs l'on su et ont aussitôt combiné
leur plan de bataille. Au début de l'au-
dience l'un d'eux, Mc Klein, a déposé des
conclusions le petit papier brandi et
qui se nomme conclusions est l'arme la
plus redoutable, on le lit, on le développe,
on le commente, la Cour rend un arrêt. On"
reconclut après l'arrêt, on redéveloppe, et
cela peut durer éternellement.
Dans ses conclusions M* Klein disait 'i.
;« Depuis deux jours, on ne parle ici que de
politique, que de littérature et de questions
de théâtre, les accusés ne connaissent point f
les charges qui pèsent contre eux, les faits
qu'on leur reproche, ils ne savent point
ce qui peut constituer le complot ».
Ce n'est point ma faute, réplique le
procureur général, glles accusés s'ont faif
14, Rond-Point des CBamps'Efysées- Paris C& Arrondi?
Io3* Anne* » E° 127 de 192S
s PuBfications Annexes: LE FIGARO Littéraire,-
Lb Figaro Artistique liïustre'. LE Figaro des Etats-Unis,,
La Page Cofoniafe.
LOUÉ PAR CEUX-CI, BLÂMÉ PAR CEUX-LA, ME MOQUANT DES SOTS, BRAVANT LES MÉCHANTS,
JE ME PRESSE DE RIRE DE TOUT. DE PIUR D'ÊTRE OBLIGÉ D'EN PLEURER.
BEAUMARCHAIS.
LE NUMÉRO
3O
CENTIMES
en Frsnce
LE. NUMÉRO
30
CENTI MES
en France
DIMANCHE 6 MAI 1928
X3IE.JBCTS3-CTI6 IVK,.ÔJDTÇOIS OOT!
DIMANCHE 6 MAI 1928
CHRONIQUE DU « FIGARO» »
Le cas Baudelaire
[ De l'insaisissable poésie puxe, la con-
'versation, dans cette maison amie des
lettres, s'en vint tout naturellement aux
poètes. Quelqu'un de la compagnie re-
prit l'éternelle comparaison entre les
maîtres du dix-neuvième siècle. Le-
quel préférer ? Les meilleurs suf-
frages n'hésitèrent pas à désigner
Baudelaire. Je ne me prononçai pas
si vite, à cause des sonores échos
de Victor Hugo, de certains vers de jeu-
nesse de Musset, du souffle alpestre, si
pur, qui court dans Jocelyn, dans le Val-
lon, du noble et méprisant stoïcisme
des Destinées, et même de la fantaisie
ailée de Gérard de Nerval. Mais, reve-
nant dans la nuit et causant avec
moi-même, je finis par donner rai-
son aux partisans de Baudelaire.
Oui, Baudelaire va plus loin
plus loin dans la nostalgie du désir,
plus loin dans l'esclavage et l'amertume
de la chair, plus loin dans la chute au
fond des abîmes, et plus loin dans le
dégoût humain et dans la convoitise du
divin. Son vers a des résonnances plus
profondes. Elles se prolongent indéfi-
niment. Elles élargissent les horizons
du rêve et de la méditation. Il a, des
poètes anglais, ces relations avec la aa-
ture qui nous mêlent aux saisons, aux
climats, aux vents, aux parfums, à l'es-
pace et, en plus, des relations plus mys-
jtérieuses avec le monde plus secret des
âmes enveloppées de chair. Or, voici
que se pose aujourd'hui un cas Bau-
delaire:
L'auteur des Fleurs du Mal a inspiré
récemment plusieurs biographes M.
François Porc'hé, M. Camille Mauclair.
Celui-ci vient d'écrire sa vie amoureuse
dans la collection fameuse Leurs
amours. La vie amoureuse de Baude-
laire est lamentable. Elle oscille entre
une affreuse mulâtresse, Jeanne Du-
yal, qui représente sa luxure, et une
teharmante femme entretenue, Apollonie
Sabatier, qu'il voulut à' tort idéaliser et
qu'il ne sut pas prendre. De cette ma-
tière insuffisante il a tiré ses admira-
bles et douloureux poèmes. M, Camille
Mauclair a sans pitié retracé ces épiso-
des discourtois. Sur quoi, les baudelai-
riens le maltraitèrent. Dans un très
'émouvant et très éloquent article pu-
blié par l'Eclaireur de Nice, il s'est dé-
jfendu et même il s'est défendu en atta-
quant. Pourquoi, s'est-il demandé, y
aurait-il une morale spéciale aux écri-
vains ? Pourquoi serait-il interdit de
montrer en Baudelaire un mauvais fils
et un triste débauché, « parce qu'il écri-
vait » ? De quel droit les littérateurs
jouiraient-ils d'un régime de faveur
qui leur permettrait de se débarrasser
de toutes les obligations pesant sur les
autres hommes ?
Mais, peut-être, la question ne se po-
se-t-elle pas ainsi. Si elle se posait ain-
si, M.Camille Mauclair aurait toute rai-
son de triompher. Tout d'abord, ce dé-
bat est la preuve que les vies intimes
ne nous apprennent rien. Paul Bourget
ne cesse pas de le répéter un écrivain,
un artiste donnent leurs œuvres, et
leurs œuvres sont leur chair, leur sang,
leur cœur, leur esprit leurs oeuvres
c'est leur vie, la seule qui compte. Tout
le reste n'est qu'indiscrétions, et indis-
crétions incomplètes. Car des mémoi-
res, des correspondances, des témoi-
gnages, ne nous apprennent pas tout,
ne nous apprennent jamais tout. Cha-
que génération s'en va avec ses
secrets. C'est pure folie de les vou-
loir pénétrer et divulguer. Les morts
ne pourront plus intervenir pour
se justifier ou s'expliquer. Nous n'ob-
tiendrons jamais que des approxi-
mations, quand les œuvres sont là, seu-
les chargées de nous révéler la vérité,
seules capables de la contenir. Elucide-
ra-t-on jamais le cas de Jean Racine re-
nonçant au théâtre ? Que savons-nous
des passions de Shakespeare dont l'exis-
tence même est discutée ? Seulement
il y a un seulement le public a
été mis en goût par ces confidences
dont les romantiques ont répandu la
manie. Il veut savoir si l'œuvre a été
vécue, avec quoi elle a été composée. Il
est joyeux s'il y pend encore quelques
gouttes de sang. C'est un peu du plaisir
de la chasse ou de la course de tau-
reaux. Il aime suivre à la piste ce beau
gibier. Cela flatte aussi l'envie démo-
cratique. Qu'un grand homme ne soit
qu'un homme, n'y a-t-il pas lieu de se
réjouir? Qu'on le surprenne en flagrant
délit de bassesse comme tout le monde,
quelle volupté de le constater
Or le grand homme est particulière-
ment livré au public, et livré nu et sans
jftrmes, dans ces biographies romancées
jjui sont aujourd'hui si fort à la mode.
jpourquoi ? Parce que son œuvre qui
est sa force principale est supprimée ou
laissée à l'arrière-plan. Pour un écri-
vain, la biographie ne peut pas se sépa-
rer de la critique pour un homme
d'Etat, pour un diplomate, pour un mi-
litaire, elle ne peut pas se réparer de
l'histcire. Etudier la vie amoureuse de
Baudelaire sans y joindre une étude ap-
profondie des Fleurs du mal, de leur
importance dans la littérature, de leur
iiàfiuence, c'est la dénaturer fatalement.
De même, quand la princesse Murat
nous raconte la vie amoureuse de la
grande Catherine sans retracer son œu-
vre politique en Russie, elle nous la
rend incompréhensible, car l'impéra-
trice n'est plus alors qu'une grosse fille
excitée qui précisément ne méritait au-
cune biographie. On touche ici du doigt
la fausseté d'un genre qui prétend di-
viser l'être humain, et nous en offrir
une simple tranche. L'être humain ne
se débite pas. Il forme un tout indivi-
sible.
Et c'est parce qu'il forme un tout in-
divisible que le grand homme et non
pas seulement l'écrivain jouit en ef-
fet d'un régime spécial. Rien n'est plus
dangereux que l'entourage pour le
grand homme. L'entourage a forcément
tort quand il ne l'a pas compris, pas
deviné, pas pressenti, pas caressé et
protégé. Prenez, par exemple, les débuts
de la vie de saint François d'Assise.
S'il est un grand homme dont la vie
doit être facile à célébrer, c'est bien le
saint. En prenant un saint pour exem-
ple, je ne risque pas de tricher. Le jeu-
ne François est le fils d'un honorable
marchand drapier. Il distribue aux pau-
vres la marchandise de son père, qui
ne lui appartient pas. Le père, furieux,
le traîne devant le tribunal de l'évêque.
Là, le jeune homme, loin de montrer le
moindre regret, se défait de tous ses
vêtements, les jette à son père et, nu
comme ver, s'écrie « Je n'ai plus
qu'un père, celui qui est aux cieux. »
Voilà un brave marchand fort malme-
né. Car, enfin, il n'a pas deviné que son
fils serait un saint. Et tout de même,
c'est lui qui a tort. Il a cru avoir pour
rejeton un extravagant, parce qu.'il ne
s'est pas donné la peine de se pencher
vers lui, de le connaître, de le compren-
dre. Il a eu les sens bouchés par son
commerce.
De même sans aucune comparai-
son, d'ailleurs, autre que celle tirée de
l'originalité du génie et de l'originalité
de la sainteté la mère de Charles
Baudelaire est une excellente femme
qui s'est remariée avec un excellent
homme, lequel deviendra général et am-
bassadeur. Ce sont gens parfaitsjau sens
ordinaire. Ils n'ont pas vu ce qui crois-
sait d'extraordinaire à côté d'eux. Char-
les Baudelaire leur a paru dénaturé,
odieux, presque monstrueux. La mère
lui est demeurée fidèle par instinct ma-
ternel, par tendresse maternelle, mais
sans jamais se douter qu'elle avait en-
fanté un prodigieux poète, un de ceux
qui pèsent sur les générations futures.
Comprendre n'est peut-être pas égaler,
mais c'est la lumière des relations.
Quant aux pauvres femmes que Baude-
laire admit dans son intimité, il souffrit
de leur insuffisance. Les Fleurs du mal,
c'est un immense cri de détresse et de
dégoût. Aucune femme, dans la vie de
Baudelaire, et pas même sa mère, ne l'a
entendu. Sans quoi, l'amertume n'en
serait pas totale.
Non, il n'est pas exact que les fai-
blesses des grands hommes soient sou-
mises à la commune mesure. Car il y
faudrait aussi soumettre leur grandeur.
Et là ils ont emporté les bornes. Ni les
maîtrasses de Henri IV, ni celles de
Louis-XIV, ne les ontempêehés d'être
de grands rois., Tandis que réduits à
leurs amours, ils feraient assez triste
figure. Songez que la vie d'un Napo-
léon continue. Il a cessé de faire du mal
par son excès d'orgueil, et il demeure
une école d'énergie. Il y a une survi-
vance des grands hommes dont leurs
biographes doivent tenir compie.
Henry Bordeaux,
de l'Académie française,
La finale de la Coupe
de France de football
Aujourd'hui au Stade olympique de Colombes
La Coupe de France de football prendra
fin aujourd'hui dimanche.
L'ultime rencontre se déroulera cet
après-midi sur la pelouse du Stade olym-
pique de Colombes, en présence de M.
Gaston Doumergue, président de la Répu-
blique, et de M. Bokanowski, ministre du
commerce.
Elle mettra en présence le Red Star
Olympique et leCercle Athlétique de Pa-
ris, deux très vieilles équipes toutes deux
de la région parisienne.
Des deux équipes, évidemment, on se
demande qui va l'emporter. Est-ce le Red
Star, grand favori, à l'équipe solide, aguer-
rie, à la technique sûre ? Est-ce le C. A.
Paris, plus jeune, plus ardent, plus vite
aussi, dont la variété et l'inspiration sont
les qualités premières ?
En vérité, -et malgré l'opinion générale
qui fait du Red Star un vainqueur pro-
bable, nous ne sommes pas loin de faire
confiance à l'équipe du C. A. Paris. Par
pure impression simplement, par sympa-
thie aussi pour cette brillante formation
dont-le magnifique esprit sportif et l'excel-
lente mentalité sont connus de tous. Si
nous avons un souhait à faire, nous souhai-
tons, selon la formule consacrée, que le
meilleur gagne, et que ce meilleur soit le
Cercle Athlétique de Paris. A. R;
Les idées
de M. Stresemann
II y a eu hier, à Heidelberg,
une petite fête universitaire qui a
permis à M. Stresemann de mon-
trer avec quel art il sait se servir des insti-
tutions et des théories pacifistes. Le minis-
tre des affaires étrangères du Reich, qui
est un des hommes politiques les plus intel-
ligents de son pays, a merveilleusement
compris quel parti l'Allemagne pouvait ti-
rer de l'internationalisme à la mode, pen-
dant les années dont elle a besoin pour se
relever.
La proposition Keîlogg, destinée à met-
tre la guerre hors la loi, a fourni l'occasion
à l'Allemagne de faire la. cour aux Etats-
Unis et de se montrer encore plus pacifiste
qu'eux. Avec une extrême courtoisie, l'am-
bassadeur d'Amérique à Berlin, M. Shur-
man, qui fut dans sa jeunesse étudiant à
Heidelberg, a vanté l'esprit de camarade-
rie internationale qu'il était heureux de
trouver en Allemagne. Il est certain que
rien ne pouvait faire deviner le développe-
ment imprévu de cet esprit au temps de la
violation de la Belgiqùe^ou au J:emps du
torpillage du Lusitania. A »
Mais les années ont passé, et les peu-
ples aiment à entendre parler de paix.
M. Stresemann n'a pas manqué de leur
donner satisfaction. Dans son enthousias-
me, il est même allé jusqu'à découvrir dans
son maître Bismarck le véritable précur-
seur de la Société des nations, et l'apôtre
le plus chaleureux de la paix. Mais ce
prophète avait peu de disciples en 1914.
M. Stresemann a bien voulu le reconnaî-
tre, en rejetant aussitôt la renaissance de
l'esprit guerrier sur le fatalisme historique.
Ainsi les culpabilités s'évanouissent en con-
sidérations philosophiques, et il n'y a plus
de responsables. Désormais il s'agit de dé-
truire la défiance, dont M. Stresemann
trouve dans le monde contemporain des
traces fâcheuses, qu'il ne s'explique pas.
Mais tandis qu'il rêve à un avenir meil-
leur, les enchantements d'Heidelberg n'em-
pêchent pas le ministre du Reich de pen-
ser aux réalités positives et aux volontés
obstinées de l'Allemagne. Il y a dans son
discours une petite phrase, enveloppée dans
des termes abstraits, qui mérite d'être re-
tenue « Les efforts pour supprimer la
guerre, a dit l'orateur, doivent aller de
front avec le développement des institu-
tions qui sont en mesure de modifier, par
des moyens pacifiques, les traités devenus
inacceptables. » Nous îetrouvons enfin
M. Stresemann au fond de son pacifisme
se cache la revision des traités. ANDRÉ
CHAUMEIX.
JULT JTOTJM 1L,E JTOUM
Des arbres meurent
Ainsi, le Figaro l'a dit il y a un ou deux
jour de vieux arbres vont encore dispa-
raître dans un coin de la rive gauche cher
aux artistes. Les exigences de la construction
moderne suppriment de plus en plus ces enclos
où un peu de'verdure permettait d'oublier un
moment la ville et son tumulte. Bientôt de
ces vestiges d'un passé qui n'est pas si lointain,
nul ne subsistera. Des bâtisses en ciment armé,
percées de cent fenêtres irrégulières, se seront
élevées sur le sol des jardins, et une portion
d'espace de plus sera incorporée au dessin sans
variété de la -grande ville. -"•̃-
Que de charme pourtant en ces rares endroits
où des quartiers de Paris se souviennent d'avoir
été villages 1
Toute une existence bien différente de la
nôtre s'évoque d'un coup en regardant dans
quelque petite voie déserte de Passy, dans
quelque rue de la rive gauche bordée d'hôtels
silencieux, aux porches imposants, quelques
troncs un peu maigres, des branches entêtées à
fleurir, un parterre étroit comme un jardin de
béguirte.
Montmartre avait son « maquis ». Mais il
s'efface autour de la place du Tertre. L'herbe
même hésite désormais à pousser. Et l'avenue
Junot ressemble, avec ses villas disparates et
chantournées, à une avenue de station balnéaire
trop vite poussée.
Cependant, à Belleville, parmi tant de mai-
sons noires, d'usines fuligineuses, quelques ar-
bres s'obstinent à vivre. Vous les trouverez
non sans un peu de peine dans les rues dont
les noms rappellent le Belleville champêtre,
bruyant de guinguettes, pavoisé de tonnelles,
faubourg et banlieue, où naguère chansons
joyeuses, tendres fadaises échauffaient les
têtes et troublaient les cœurs faciles, tandis que
coulait le vin* léger qui avait peut-être mûri
sur les côteaux de Suresnes.
Dans une de ces .rues qui découpent le poptt-
leux quartier, une rue qui, un moment, a l'étroi-
tèsse d'un passage, j'ai, derrière une palissade,
découvert ainsi un morceau du Belleville su-
ranné. La rue porte.le nom d'un compositeur
de valses lentes. Des valses, un jardin avec des
arbres dont les feuilles pendent au delà de la
clôture, des enfants qui sans crainte jouaient
dans le ruisseau, un aspect d'un autre Paris
surgissait avec la netteté de traits d'une bonne
gravure. Quelques mètres seulement et, sous
des hangars à charpente métallique, des ma-
chines tournaient avec un sourd ronflement.
Adieu vieil arbre, souvenir précaire d'un passé
mort et que tu rejoindras bientôt sans doute,
car je ne doute guère, si robuste sembles-tu,
que tes jours ne soient comptés par les hommes
empressés à détruire.
Roger Dardenne.
[La nouvelle majorité
l
et le cabinet Poincaré
Sous le titre tendancieux « Le Souci
après la victoire », l'organe du Cartel com-
mentait en ces termes le résultat des élec-
tions « La victoire excessive de M. Poin-
caré le met dans l'impossibilité de conti-
nuer. Il faut choisir » n
Rassurons M. Pierre Bertrand, auteur de
ces commentaires alarmistes. Oui, il faut
choisir, mais il faut choisir, précisément,
pour pouvoir mieux continuer. Et le sens
de ce choix est tout dicté, d'avance, par
celui des élections. Car on peut dire qu'el-
les ont donné, enfin, à M. Poincaré, sa vraie
majorité, celle de la politique même qu'il
faisait depuis vingt^deux mois, avec une
équipe d'attente et une majorité de for-
tune ou plutôt d'infortune toujours
prête à l'abandonner, si une crainte salu-
taire ne l'avait retenue.
Le pays a entendu l'appel du discours
de Bordeaux, et il a envoyé à M. Poincaré,
à la place des soutiens intermittents et dé-
concertants dont il se contentait, faute de
mieux, les collaborateurs fidèles qu'il récla-
mait. Insinuer qu'il trouve sa victoire
« excessive » et qu'elle lui cause « des sou-
cis », c'est vouloir méconnaître, par esprit
de parti, la netteté d'une situation parfai-
tement claire et ™l' évidence d'une ligne de
conduite qui s'impose.
Oui, le devoir de M. Poincaré est tout
tracé par le verdict du Suffrage Universel.
Il doit remplacer, parmi ses ministres ac-
tuels, ceux dont les élections ont mis les
partis en minorité, par d'autres collabora-
teurs, pris au sein de sa majorité nouvelle,
dont les tendances sont d'ailleurs plus con-
formes à la politique suivie. Est-il besoin
de nommer ceux qui doivent céder leur
place à de plus qualifiés? Leurs noms se
présentent d'eux-mêmes à l'esprit. Ne sait-
on pas qu'ils n'ont cessé de faire dans le
pays et dans leurs partis, au cours même
des élections, une propagande directement
contraire la politique d'Union nationale,
à laquelle ils étaient associés au gouverne-
ment ? S'ils avaient triomphé d'aventure,
M. Poincaré n'aurait plus eu qu'à s'en al-
ler. C'est la politique de M. Poincaré qui
triomphe, et c'est elle qu'a ratifiée le vœu
du pays. Il est donc naturel, il est confor-
me à la règle du jeu parlementaire que les
nouveaux élus, qui s'en réclamaient, y
soient associés, aux lieu et place de ceux
qui l'ont sournoisement combattue ou qui
en supportent malaisément le joug.
On n'a jamais cherche à définir exacte-
ment ce que recouvrait, politiquement,
cette étiquette vague d'Union nationale ? P
C'est un tort, et il n'est pas inutile de' le
montrer aujourd'hui, oit cette formation
provisoire cesse d'être indispensable. On
a dit « l'Union Nationale c'est la trêve
des partis ». C'est inexact. Une trêve est
une simple suspension d'hostilités, c'est
une abstention générale. Or, l'abstention
de tous ne peut engendrer une politique dé-
terminée. Quelle était donc la politique fi-
nancière suivie par M. Poincaré ? De quels
principes s'inspirait-elle ? Pour le savoir,
il suffit de se souvenir.
Le 11 Mai, la victoire du Cartel avait
entraîné la démission d'un cabinet Poin-
caré, expression de la politique du Bloc
National. Un ministère Herriot, plein d'ou-
trecuidance, lui avait succédé, après avoir
exigé toutes les places, pour faire une poli-
tique contraire. Pendant 26 mois, cette
politique cartelliste provocante s'était don-
née libre cours. Résultat, le 23 juillet 1926,
la livre atteignait 248 francs, et un der-
nier ministère Herriot, complètement dé-
semparé, s'effondrait, sous les huées de la
foule ameutée.
Le vœu du pays, exprimé par la Fédéra-
tion républicaine, rappelait alors au pou-
voir et imposait aux cartellistes, impuis-
sants et atterrés devant les conséquences
de leurs fautes, un nouveau Cabinet Poin-
caré. Celui-ci, dans un geste généreux, of-
frait à ses adversaires de la veille, provi-
soirement assagis par la peur, de collabo-
rer avec lui à la restauration financière.
Mais par quelle politique ? Par la leur,
par celle qui venait d'amener le désastre ?
Evidemment, non Par la sienne, par celle
qu'il avait suivie avec le Bloc national,
qui avait été malheureusement interrom-
pue au lendemain du 11 mai, et pour la
reprise de laquelle, précisément, on l'avait
rappelé au pouvoir. Voilà quel fut le vrai
principe de l'Union nationale Les mau-
vais pilotes, acculés à la catastrophe par
leur impéritie, ont cédé la place à ceux
qui avaient vu juste avant eux, et ont con-
senti, provisoirement, à les laisser gouver-
ner pour éviter le naufrage général. S'il y
eut trêve, ce fut donc seulement la trêve de
la malfaisance des cartellistes, et cette trè-
ve il faut l'attribuer bien plus à leur im-
puissance momentanée qu'à la sincérité de
leur repentir.
La rentrée à la Chambre de ces mauvais
ouvriers de la douzième heure eût donc
mis le Cabinet Poincaré en péril, puisqu'ils
ne s'étaient associés à sa politique po-
litique diamétralement opposée à la leur
qu'à contre-cœur et sous la menace de la
catastrophe imminente. C'est si vrai que
M. Poincaré a déclaré lui-même ne pou-
voir stabiliser avant les élections, et sans
être assuré d'une majorité stable.
Le pays l'a compris, il a envoyé à M.
LE FIGARO
Fondé le 14 Janvier 1826
Anciens Directeurs H. DE Viixemessant,
F. Magnaru, G. CALMETTE, A. CAPUS,
R. DE Flers.
ADMINISTRATION RÉDACTION PUBLICITÉ ANNONCES
14, ROND-POINT DES CHAMPS-ÉLYSÉES. PARIS
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Poincaré les bons ouvriers qu'il désirait,
et dont il faisait déjà, personnellement, la
politique de prudence et de sagesse. Dès
lors, l'opinion ne s'expliquerait pas que
le président du Conseil ne fît pas appel,
maintenant, à cette nouvelle majorité, au
nom de laquelle, en réalité, il a constam-
ment gouverné et qu'il s'obstinât à garder
avec lui des collaborateurs suspects de
tiédeur, sinon d'hostilité, dont les partis
ont été mis en minorité et qui, par suite,
compromettraient son Cabinet beaucoup
plus qu'ils ne le consolideraient.
Jacques Ditte.
/y
La Température
Ciel couvert, quelques averses.
Température stationnaire. ̃*
La marche à l'Etoile.
Le 5 mai de chaque année, le disque
du soleil qui se couche s'inscrit exac-
tement dans la partie médiane de l'Arc
de Triomphe et descend progressive-
ment jusqu'au ras du sol.
Tandis que le globe incandescent sem-
ble tomber sur la terre en se déformant
quelque peu, ceux qui savent que ce
phénomène ne se produit qu'une fois
l'an et justement le jour où Napoléon
rendit le dernier soupir, peuvent alors
croire voir se dessiner sous la voûte la
silhouette d'un rouge atténué et comme
endeuillé, du légendaire petit chapeau.
Les vieux grognards de la Grande Ar-
mée, les officiers et les grenadiers « épi-
ques » qui vivaient encore après 1840,
lorsque les cendres du grand homme
eurent été ramenées à Paris, connais-
saient cette particularité. Et chaque an-
née, le 5 mai, ils se rassemblaient au
bas de 'l'avenue des Champs-Elysées et
montaient, au pas cadencé, vers l'Arc
de Triomphe, vers l'Empereur, les yeux
fixés sur le disque du soleil qui accom-
plissait sa marche.
Mais hier, hélas le temps ne permit
point de voir le coucher du soleil.
L'autonomisme et Bismarck.
La presse allemande, hors les jour-
naux socialistes.ne dissimule pas sa joie
devant les élections d'Altkirch, de Col-
mar et de Saverne. Le poste émetteur
de Stuttgart lui-même s'est rangé dans
le concert.
Il semble bien que la mémoire ne
fleurisse guère outre-Rhin. Venons au
se.eows de nos aimables voisins cinq
autonomistes étaient élus en 1877 dans
le Bas-Rhin, à leur tête le radical
Schneegans, que poussait Bismarck
pour faire échec au mouvement protes-
tataire. En 1881, revenant les mains1
vides, ils étaient « balayés » par le peu-
ple alsacien et ce furent de nouveau des
élections françaises.
L'autonomisme est-il destiné, comme
à ses débuts, à être d'importation alle-
mande ?
t tt! <
Protocole soviétique.
Le Daily Mail annonce que Tchitche-
rine aurait l'intention d'offrir à la reine
d'Afghanistan le diadème ayant appar-
tenu à l'impératrice de Russie. Les So-
viets offrent en cadeau les dépouilles
des victimes qu'ils ont assassinées.
Féminisme.
Une femme de lettres, qui d'ailleurs
ne manque point de talent, a fait ces
jours-ci passer à un de nos collabora-
teurs sa carte de visite. Sous un fort joli
nom, on lit en caractères discrets et
finement déliés cette simple mention
Ecrivaine Poète
Car l'amour du néologisme a de ces
fantaisies il renonce à un féminin
consacré par l'Académie elle-même et
méprise poétesse mais il forge écri-
vaine. Il est vrai et Gourmont l'avait
découvert le dix-huitième siècle avait
déjà inventé autrice.
Mais chacun sait que ce « grand siè-
cle » donnait dans le féminisme.
Ne parlons jamais de corde.
Un employé de tramway a toujours
tort de raconter des histoires maritimes
à un marin. Ecoutez plutôt.
On vient de donner, à Barcelone, de-
vant un très nombreux public, une re-
présentation du film Arènes sanglantes,
tiré en Amérique du magnifique* roman
de Blasco Ibanez.
Et le public barcelonais a sifflé avec
tant d'enthousiasme que le film a dû
être retiré de l'affiche.
Ne parlons jamais de corde dans la
maison d'un pendu.
Le 1" mai à Hambourg.
Un de nos abonnés nous signale ce
spectacle étrange auquel il assista le
1" mai à Hambourg une fanfare pré-
cédant un groupe de communistes
jouait l'Internationale et entama la Mar-
seillaise en passant devant le consulat
de France.
II paraît que les révolutionnaires
ignoraient totalement que cette marche
inscrite à leur répertoire fût l'hymne
national français.
The largest in the world.
Un groupe d'hommes d'affaires de
New-York vient de proposer aux auto-
rités' américaines de construire, de
Brooklyn à l'île de Staten, un pont sus-
pendu qui ne mesurerait pas moins de
4,500 pieds.
Ce serait le plus long pont du monde
construit sur une portée unique.
Les Américains ne font pas les choses
à demi,
à ge!l.lJ, Le Masqu§ de Fer.
LA POLITIQUE
Les gâcheurs de liberté
Le douloureux procès de Colmar menacé,
de s'éterniser. Les autonomistes ont adop-
té pour leur défense faut-il s'en éton-
ner ? la tactique communiste. Libre à
eux. Constatons seulement que la méthode
de Moscou est partout la même le désor-
dre et le tumulte.
Partout où ils sont, partout où ils vont,
les bolchevistes s'emploient à rendre dé-
sastreux, par l'abus qu'ils en font, l'exer-
cice de toute liberté.
La liberté de la tribune, ils s'en sont ser-
vis comme un moyen d'obstruction conti-
nuelle et de propagande révolutionnaire.
Ils ont transformé la Chambre en lieu de
conférence antipatriotique, antimilitariste.
anti-tout. Ils sont arrivés à ce premier ré-
sultat de faire modifier le règlement pour,
sauver le parlementarisme, on a dû res-
treindre la liberté de parole.
Ils compromettent la liberté de la pres-
se. Ils ne se contentent pas de discutér des
idées, d'attaquer avec véhémence les insti-
tutions et les hommes, ils font du journal
un instrument direct de provocation à des
crimes déterminés, ils organisent des émeu-
tes, préparent des rébellions. Ainsi ont-ils
rendu indispensable le maintien des lois
de 1893, dont bien des juristes, sans eux*
eussent accepté l'abrogation.
Dans le prétoire, la violence constante
est devenue un système. Il faut noyer le dé-
bat sous les incidents multiples et bruyants.
Il faut faire oublier les inculpés en mettant!
en accusation n'importe qui, fût-ce un ma-
gistrat il faut réclamer des comparutions
de détenus et de fonctionnaires absolu-
ment étrangers au procès, il faut accuser
la justice d'avoir soustrait des pièces.
Crier, s'indigner, soulever la foule, envi
pêcher par n'importe quel incident le procès
de suivre son cours, voilà la méthode. Au
besoin demander qu'on apporte l'Obi! ":1s-.
que sur la table des pièces à conviction.
La justification des accusés est dans un,'
hiéroglyphe qui doit passer sous les yeux
de MM. les jurés. La Cour refuse de faire
apporter l'Obélisque ? Infamie 0 temps 1
0 mœurs réactionnaires Les avocats se
drapent dans leurs robes et se demandent
s'ils garderont plus longtemps la responsa-
bilité d'une tâche qu'on leur rend impos-
sible.
Voilà le procédé à peine grossi et tout
semblable au système employé par la ̃III*
Internationale à la tribune et dans la pres-
se. Partout, du meeting au prétoire, les
libertés ainsi sont mises en péril par les
destructeurs moscovites et leurs disciples.
Partout, c'est le pouvoir exécutif, ju-
diciaire ou législatif qui apparaît mal
armé devant l'audace des communistes.
Et dans les procès d'assises, ce n'est plus
la liberté de la défense qui a besoin d'être
sauvegardée, c'est en faveur de la liberté
de l'accusation, pour la sécurité sociale,
qu'un jour la loi finira par intervenir.
Henri Vonovén.
A UX ASSISES DE COLMAR
Violents incidents
Un avocat suspendu
COLMAR, 5 mai (De notre envoyé spécial)'.
-Jamais dans ma carrière déjà longue d'a-
vocat et de chroniqueur judiciaire, je n'ai
vu d'audience semblable à celle de ce ma-
tin. Un plan concerté, mûri, étudié de la
part de la défense pour empêcher les dé-
bats d'avoir lieu, le procès de se juger, un
plan pour provoquer des incidents, la
veille même du voyage du président du
Conseil en Lorraine. Quelle audience et
quelle obstruction toutes les armes, tou-
tes les ressources du code d'instruction cri-
minelle mises en œuvre, des conclusions
tombant comme grêle sur les magistrats,
des fureurs, des colères. Un avocat frappé
par ta Cour d'un mois de suspension, les
arrêts succédant aux conclusions, et les
conclusions aux arrêts, et les réquisitions
aux conclusions. Quel tumulte si l'on eût
été à Paris Ici le public est resté calme.
Nous disions l'autre jour, et sans ironie,
que la défense voulait prolonger ces débats
jusqu'après le 1" juin, date de la rentrée
des Chambres. Ce n'est pas niable et le pro-
cédé est apparu hier.
Depuis mardi on n'avait pu interroger;
que deux accusés interroger, c'est une fa-
çon de parler car Ricklin et Schall n'a-
vaient fait que des discours, des lectures
interminables. Alors, M. le président Ma-
zoyer, pour raccourcir les débats, avait
songé à faire entendre les témoins de suite
et à interroger les accusés après leur audi-
tion. Droit absolu, l'interrogatoire préala-
ble n'étant prescrit pas aucune loi d'ordi-
naire il abrège, ici, il menaçait de s'éter-
niser, alors le président songe à faire en-
tendre d'abord les témoins à charge, et il
les avait convoqués pour ce matin. Les dé-
fenseurs l'on su et ont aussitôt combiné
leur plan de bataille. Au début de l'au-
dience l'un d'eux, Mc Klein, a déposé des
conclusions le petit papier brandi et
qui se nomme conclusions est l'arme la
plus redoutable, on le lit, on le développe,
on le commente, la Cour rend un arrêt. On"
reconclut après l'arrêt, on redéveloppe, et
cela peut durer éternellement.
Dans ses conclusions M* Klein disait 'i.
;« Depuis deux jours, on ne parle ici que de
politique, que de littérature et de questions
de théâtre, les accusés ne connaissent point f
les charges qui pèsent contre eux, les faits
qu'on leur reproche, ils ne savent point
ce qui peut constituer le complot ».
Ce n'est point ma faute, réplique le
procureur général, glles accusés s'ont faif
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