Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1939-04-15
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 15 avril 1939 15 avril 1939
Description : 1939/04/15 (Numéro 28338). 1939/04/15 (Numéro 28338).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 18/01/2011
3. sa LE TEMPS. - 15 avril 1939
3. == LE TEMPS. - L15 avril 1939
LES ÉVÉNEMENTS D'ESPAGNE
L'organisation de l'ordre à Madrid
Le colonel Carlos de Silva-Ribera a été nommé |
chef des services de l'ordre public de Madrid.
[Le colonel de Silva-Ribera a pris part â la répres-
sion de la révolte des Asturies en 1934, et a perdu une
jambe au cours des sanglantes échauffourées qui 6'y
sont produites. Décoré à cette occasion de l'ordre de
la République, le colonel de Silva-Ribera refusa la
décoration.]
Parmi les personnes, qui ont été arrêtées ces
derniers jours figurent les nommés Demetrio Ruiz, j
l'un des auteurs de l'assassinat du général Lopez
Ochoa, qui fut chargé en 1934 de la répression
dans les Asturies, et Alphonse Beeerill, inculpé
de plus de quatre-vingts assassinats.
Remise de décorations italiennes
à deux personnalités espagnoles
On télégraphie de Burgos:
L'ambassadeur d'Italie a remis à M. Serrano
Suner, ministre de l'intérieur, les insignes de
grand-croix des saints Maurice et Lazare, qui lui
sont conférés par le roi d'Italie.
Il a remis également les insignes de grand-offi-
cier de l'ordre de la couronne d'Italie au sous-
secrétaire d'Etat à l'intérieur.
Avant la parade dn 2 mai
M. Alcocer, maire de Madrid, a invité les habi-
tants de la ville à mettre à la disposition de la
municipalité des chambres et des lits qui seront
destinés aux officiers nationalistes qui participe-
ront au défilé de la victoire.
On mande, d'autre part, de Burgos qu'aux côtés
de la légion Condor, groupant tous les Allemands
- aviateurs, techniciens, instructeurs, etc. - qui
sont intervenus dans la guerre civile, et des trou-
pes italiennes, de hautes personnalités alleman-
des et italiennes assisteront à ce défilé. Il serait
même question d'y convier le maréchal Graziani
et le maréchal Goering.
Les pertes dans la guerre civile
On télégraphie de Madrid:
On estime à environ 1 million 200,000 le nombre
total des personnes, tant civiles que militaires, qui
ont été tuées des deux côtés espagnols, au cours
de la guerre civile, c'est-à-dire du 18 juillet 1936
au 30 mars 1939.
Le nombre des militaires tués au front est d'en-
viron 450,000; le nombre des civils, fusillés ou vic-
times de la guerre, est d'environ 750,000.
On souligne ici que dans la zone nationale,
8,000 personnes seulement ont été tuées par les
bombardements aériens républicains.
En ce qui concerne les pertes strictement mili-
taires, sur 450,000 tués au total, les nationalistes
n'ont eu & déplorer que la mort de 150,000 des
leurs. On explique la différence des pertes par
l'écrasante supériorité des franquistes en artille-
rie et én aviation.
On précise que le déploiement maximum des
forces d'artillerie républicaines eut lieu à Teruel,
où 180 canons furent alignés. C'est, en revan-
che, à la bataille de l'Ebre que les nationalistes
eurent la supériorité de feu la plus écrasante,
quand le général Franco fit donner à la fois
1,400 pièces contre les 120 que possédait l'adver-
saire sur le même front.
De toutes les batailles de la guerre civile, la
plus sanglante fut celle de l'Ebre, où les deux
partis perdirent 120,000 hommes. On place en-
suite la bataille de Brunete, où les pertes furent
de 50,000 hommes, et celle de.Teruel, où le nombre
des morts atteignit le même chiffre.
Le retonr dn maréchal Pétain en Espagne
Le maréchal Pétain, ambassadeur de France en
Espagne, a quitté Paris jeudi soir, rentrant à
Saint-Sébastien.
L'ambassadeur d'Espagne en Argentine
On télégraphie de Buenos-Aires:
Le gouvernement argentin a donné son agré-
ment à la désignation de M. Pedro Saenz Rodri-
guez comme ambassadeur d'Espagne à Buenos-
Aires.
L'aide aux réfugiés espagnols
Ofi télégraphie de Stockholm:
Le « Comité de l'aide à l'Espagne » a alloué une
somme de 50,000 couronnes, à titre d'appui immé-
diat, aux femmes et aux enfants espagnols rési-
dant dans les camps de concentration français.
rOn télégraphie de-Montevideo:
La Chambre a repoussé la motion déposée par
un député tendant à permettre l'entrée en Uru-
guay de cinq mille réfugiés républicains espa-
gnols.
Les trésors d'art espagnols
M. Sotomayor, conservateur du musée du
Prado, et M. Eugenio d'Ors, directeur des arts au
ministère de l'éducation espagnole, sont arrivés
à Genève pour procéder à un examen du trésor
d'art espagnol déposé au palais de la Société des
nations.
Les chefs-d'oeuvre de l'art espagnol seront très
probablement l'objet d'une prochaine Exposition
à Genève.
Le général Miaja va se rendre à Cuba
Notre correspondant particulier de Marseille télé-
graphie le 14 avril:
Le général Miaja, qui était depuis quelque
temps en Algérie, est arrivé à Marseille ce matin,
à bord du paquebot Ville-d'Alger, en compagnie
d'un de ses neveux.
Sur le quai de débarquement, ses deux fils et
son gendre l'attendaient avec quelques amis. Le
général a déclaré qu'étant données les circons-
tances, il estimait correct de ne donner aucune
interview. « Je n'ai, d'ailleurs, fait aucune dé-
claration depuis que je suis sur le sol français,
a-t-il ajouté, et c'est là une simple marque de
déférence envers le pays qui m'accueille et pour
lequel j'ai toujours éprouvé la plus grande sym-
pathie. » Le général partira dans la soirée pour
Paris, d'où il gagnera le Havre, pour s'embar-
quer avec sa famille à destination de Cuba.
Lettre d'Espagne
LA POLITIQUE INTÉRIEURE
DE L'ÉTAT FRANQUISTE
Quatre partis politiques ont appuyé
le mouvement nationaliste à ses débuts
(De notre envoyé spécial)
Madrid, avril.
Il n'est peut-être ipas d'épreuve plus rude pour
l'existence et l'indépendance des partis politiques
qu'une guerre de longue durée.
L'Espagne vient d'en faire l'expérience avec sa
guerre civile.
Quatre partis avaient appuyé le mouvement
nationaliste du 18 juillet 1936. Le premier, « l'Ac-
tion populaire » - dont le chef Gil Roblès, après
avoir participé aux préparatifs du soulèvement,
hésita à s'y rallier officiellement, - fut, de ce
fait, dissous au bout de quelques semaines.
Le second, « Renovacion Espanola », était un
; regroupement d'anciens monarchistes autour de
Caivo Sotelo. Il bénéficiait de l'appui d'un mou-
vement d'idées dirigé par Ramiro de Maetzu, cé-
lèbre écrivain de gauche que le général Primo
de Rivera avait su rallier à la cause de la royauté.
? Le troisième, le parti « traditionaliste », ras-
semblait les forces carlistes nées de la querelle
de succession de 1833 et dont la caractéristique
était de reprendre de la vigueur'à chaque effa-
cement de la dynastie légitime, en 1869 et en
1931 principalement. Sous l'impulsion d'un avo-
cat énergique, Fal Condé, il avait réorganisé les
« Requeles », légendaires troupes de choc du
carlisme.
Le quatrième, la « Phalange », réunissait autour
de José Antonio Primo de Rivera, fils de l'ancien
dictateur, une jeunesse qui apportait dans la poli-
tique espagnole une spiritualité nouvelle d'austé-
rité et de grandeur nationale, avec une vision de
l'avenir plus poétique qu'immédiatement dirigée
vers les réalisations pratiques. Ses fondateurs
étaient, pour, la plupart, des écrivains d'avant-
garde : Alfaro, Sanchez Mazas, Fernandez Cuesta...
Us eurent le mérite d'être les seuls à apporter un
programme social moderne, les 26 fameux points
e la « Phalange » que le général Franco devait
rapidement faire siens.
Ces partis, tout en ralliant, en nombre inégal,
les fugitifs du camp républicain, entendaient
poursuivre isolément leur propagande, avec l'es-
poir secret de devenir chacun totalitaire. Ils pro-
cédaient même à l'envoi sur le front d'unités en-
rôlées sous' leurs bannières respectives. Cette
façon d'agir ne pouvait présenter que des inconvé-
nients du point de vue militaire comme de celui
de l'unité nationale. Aussi, dès avril 1937, le géné-
ral Franco, devenu entre temps chef de l'Etat,
prit-il un décret d'unification des diverses forces
en présence.
Il n'y a plus qu'un parti officiel :
la Phalange espagnole traditionaliste
L'Espagne n'a plus désormais qu'un seul parti
officiel, intégré à l'Etat : la Phalange sepagnole
traditionaliste. Son conseil directeur représente
les trois tendances constitutives et se complète de
hautes personnalités militaires. Le chef unique
est Franco.
La nouvelle organisation s'est vu assigner une
tâche considérable : police politique, formation
de la jeunesse, vie syndicale, renouvellement des
cadres administratifs. Sa réussite la plus mar-
quante fut, sans conteste, la mise sur pied d'un
service dit d' « Auxilio social » ou de lutte contre
les misères sociales nées de la guerre. Beaucoup
veulent y voir le fait de la vigueur de l'esprit
phalangiste de Valladolid, ville où cette institu-
tion vit le jour, et plus particulièrement le suc-
cès personnel d'une militante extraordinaire,
Mercedes Sanz Bachiller, veuve d'un des chefs de
la première heure, Onesimo Redondo, tombé dan3
une embuscade des « rouges ».
Pour le reste de ses activités, il apparaît que
le parti unifié, malgré des bonnes volontés évi-
dentes, a plutôt marqué le pas. L'état de guerre,
les nécessités militaires, le manque de cadres suf-
fisamment éduqués ont, plus ou moins, entravé
ses initiatives. Une réorganisation pratique est
fatale et elle accompagnera le remaniement mi-
nistériel qu'annonce la victoire.
Toutefois, ce serait une erreur absolue de
croire que 1 unification a échoué et que - comme
së plaisait à l'affirmer de l'extérieur une propa-
gande extrémiste - des frottements sérieux
aient pu opposer les unes aux autres les tendant
ces représentées. Ce serait se tromper non moins
gravement que de penser à un recul éventuel de
l'influence proprement phalangiste dans le « parti
unifié » de demain.
La guerre civile, dans l'esprit de tous les Espa-
gnols, n'est qu'une étape préliminaire du redres-
sement historique de la nation. Manuel Aznar, le
grand journaliste du régime, me l'exprimait dans
une formule concrète : « La seule légitimation du
conflit fratricide sera qu'il aboutisse à reclasser
l'Espagne dans le concert des puissances euro-
péennes et à lui restituer une personnalité poli-
tique perdue dans la décadence du dix-neuvième
siècle. »
La pensée « impériale »
Cette pensée « impériale », comme on la quali-
fie volontiers, ici, implique un effort prolongé de
discipline et d'enthousiasme entièrement fondé
sur la jeunesse. Or il n'est pas douteux que celle-
ci est surtout représentée par l'inspiration pha-
langiste.
Le général Franco le sait bien et tous ses actes
manifestent cette conviction. Il est d'ailleurs l'ar-
bitre suprême et incontesté de la . vie politique
espagnole, celui devant lequel s'arrêtent toutes
les critiques individuelles. Son autorité person-
nelle constamment accrue, sa simplicité de moeurs,
sa justice libéralement exercée et enfin la vic-
toire continue de ses armes l'ont vraiment fait
passer sur le plan de l'histoire. Il est à la fois
l'incarnation du régime et sa plus haute garantie.
Franco bénéficiera d'ailleurs d'un levier puis-
sant qu'aucun homme d'Etat espagnol n'a eu à
sa disposition dans les trois derniers siècles :
une armée victorieuse, toujours ménagée dans les
combats, attachée à lui corps et âme. La démobili-
sation, en rendant à la vie civile cette élite
d'hommes patiemment formée, infusera vraisem-
blablement à la nation un sang nouveau et pro-
longera dans la paix l'esprit de croisade.
Un autre facteur important sera l'intégration
dans le mouvement national de grandes villes
comme Madrid, Valence, Barcelone. Leurs popu-
lations,- soumises deux années à l'expérience de
la terreur marxiste, apporteraient, avec leurs res-
sources en talents, un élément de pondération qui
concourra à l'élargissement de l'Etat franquiste,
jusqu'à ce jour forcément d'essence plutôt pro-
vinciale et partisane.
La question de la restauration monarchique
Une restauration monarchique viendra-t-elle
couronner -l'oeuvre, on vois d'accomplissement "?
L'infant don Juan de Bourbon, héritier du trône,
vient, à l'occasion de la chute de Madrid, d'adres-
ser au général Franco un télégramme où il célèbre
la « jeunesse, garantie du glorieux avenir de
l'Espagne », et qu'il termine par le cri de la Pha-
lange : « Arriba Espana ! » Le général, en réponse,
a félicité l'infant « d'avoir, à plusieurs reprises,
sollicité une place de soldat dans les rangs de
cette jeunesse glorieuse ».
. D'autre part, M. Fernandez Cuesta, secrétaire
général du « parti unifié », a fait à un correspon-
dant du Popolo d'italia une déclaration que le
Temps a déjà rapportée, et qui a été très remar-
quée : « La Phalange n'a pas de sentiment anti-
monarchique, a-t-il dit, et le général décidera, en
la matière, ce que l'intérêt de l'Espagne lui com-
mandera. »
Ceux qui déclarent qu'il n'y aura pas de restau-
ration risquent donc fort de se tromper. Mais ceux
qui affectent de croire que le couronnement de
1 infant don Juan entraînerait une modification du
régime instauré commettraient une erreur non
moins lourde.
CLAUDE POPELIN.
L'ADHÉSION DE L'ESPAGNE
AU PACTE ANTIKOMINTERN
On télégraphie d'autre part de Berlin 13 avril à
?l'agence Hàvas :
L'Espagne est de nouveau au premier plan dés
pensées et des projets qui agitent les milieux poli-
tiques allemands. Il faut évidemment considérer
que Berlin s'efforce de présenter l'adhésion de
lEspagne au pacte antikomintern comme un ar-
gument de propagande « de nature à faire réflé-
chir les démocraties occidentales ». .
Toutefois, l'intérêt manifesté ici pour l'Espagne
dépasse cet argument. Tout ce qu on lit dans la
presse allemande tend à représenter l'Espagne
comme s'intégrant dans les « revendications vita-
les des peuples jeunes » et rien n'est négligé, ici,
pour faire de ces revendications espagnoles une
réalité prochaine et inquiétante pour la France
et la Grande-Bretagne.
La Frankfurter Zeitung relève, aujourd'hui, que
l'adhésion de l'Espagne au pacte antikomintern
ouvre aux puissances autoritaires un débouché
qui leur manquait jusqu'ici sur l'Atlantique. Elle
prend soin d'affirmer que les liens entre ces Etats
ne sont pas platoniques.
Dans la Boersen Zeitung, le colonel von Xylan-
der ne craint pas d'affirmer que Franco gardera
sous les armes plus de soldats qu'il ne lui en faut
pour défendre son territoire.
Il ajoute que la puissance de l'Angleterre à Gi-
braltar et la prédominance de la France au Maroc
sont incompatibles avec la Gleichberechtigung,
c'est-à-dire l'égalité des droits dé l'Espagne. Il
conclut en exhortant l'Espagne à profiter « de la
conjoncture favorable pour renouveler son antique
gloire ».
Le sens de ces commentaires est clair : il s'agit
de jeter l'Espagne, après l'Italie, dans des reven-
dications, au nom de l'espace vital, contre la
France et l'Angleterre. On affecte ici la plus abso-
lue confiance dans la réussite de cette opération.
Le général Franco
hésiterait à s'engager nettement
dans la politique de l'axe
On télégraphie de Londres à l'agence Badlo :
On recueille l'impression, à Burgos, dans, les
cercles politiques espagnols, qu'une très forte
pression s'exerce sur le général Franco pour
l'obliger à souscrire envers ses alliés et surtout
ses créanciers, les Italiens, des engagements plus
précis que ceux que comportent les protocoles du
pacte antikomintern.
Le généralissime semble disposé'à résister à ces
objurgations, mais il chercherait à obtenir des
compensations du côté de la France et de la
Grande-Bretagne, en un mot « à monnayer sa neu-
tralité dans un conflit éventuel ».
Activité militaire dans la zone de
On télégraphie de Londres:
Les nouvelles qui parviennent de Gibraltar in-
diquent qu'à la suite de l'activité des troupes
espagnoles aux alentours de cette place, les auto-
rités militaires anglaises ont pris des précau-
tions.
Deux cents soldats du génie travaillent à la
construction d'une barricade sur la grand' route,
à deux cents mètres environ de la zone neutre
séparant les territoires espagnol et anglais.
Ces mesures ont été prises à la suite d'une série
de constatations.
On rapporte que des canons de campagne de
types divers, des mitrailleuses, des tanks et des
munitions seraient transportés tous les jours de
Cadix à la Linéa dans de gros camions. 2 à 3,000
hommes de troupe seraient arrivés dans cette
ville depuis mardi et auraient pris quartier en
majeure partie dans les arènes. On aurait vu
dernièrement des transports arrivant à Algésiras
de Ceuta et Melilla et repartant aussitôt.
En passant
L'OR ET LA PIERRE
Les anlhropologistes, dont c'est l'affaire,
nous disent, pour la plupart, que l'âge des
métaux a commencé en Europe il y a environ'
cinq mille ans, alors que l'homo sapiens -
d'où nous descendons - y est apparu il y a
trente mille ans, et les premiers types hu-
mains il y aurait cinq cent mille ans. Par
conséquent, l'âge des métaux, dans cette
Europe, berceau de notre civilisation, ne re-
présente qu'un centième de l'existence de
l'humanité.
Ainsi parle M. T. A. Rickard, traduit par
M. Laparra. Il faudrait ici une réserve. Notre
civilisation nous est venue d'Asie. Les Sumé-
riens, les Egyptiens ont peut-être connu les
métaux mille ou deux mille ans avant notre
Europe, même méridionale : avant les Egéens,
les'Mycéniens, pour l'or; avant les Chypriotes,
pour le cuivre. Mais, après tout, mille ou deux
mille ans ne changent pas grand'chose à
l'estimation de ce centième.
Et ceci explique pourquoi les deux premiers
métaux connus, l'or, et ensuite le cuivre, ne
l'ont d'abord été que comme des . « pierres ».
C'est tout naturel : il y avait vingt-cinq mille
ans que l'homme, pour faire ses outils, n'uti-
lisait, ne recherchait que des pierres.: le
silex (un rognon de silice assemblée, dans un
banc de craie, autour d'une petite éponge) et
plus tard l'obsidienne. D'où il vient que nom-
bre de peuples primitifs actuels nomment
encore « pierres » les métaux qu'ils rencon-
trent à l'état natif.
Et le premier de ces métaux fut l'or : parce
que les premiers hommes, ét peut-être encore
aujourd'hui nos compagnes, sont comme les
pies : leur regard est attiré, séduit par ce qui
brille. Et l'or brille naturellement, parce qu'il
est inoxydable - en quoi il diffère de l'argent
qui, même pur, se couvre avec rapidité d'une
patine noire. Ce n'est pas tout : comme il est
impérissable, indestructible, et peut être, con-
sidéré comme insoluble, du moins sous l'ac-
tion de l'air, de l'eau, de la végétation, il est,
contrairement à ce qu'on, pourrait croire, un
métal « abondant ». Si abondant qu'il est
presque aussi courant que le fer, avec lequel
on le trouve allié dans certains minerais. Mais
ne parlons pas de celui-là, puisqu'il faut le
«. traiter » et que, par conséquent, il n'est pas
aprimitif », il n'est pas une « pierre ». Mais
e l'on songe qu'une minuscule proportion
/ce métal, dans le rocher, parvient au cours
des siècles, par suite de l'érosion de la gan-
gue, à aller, si j'ose ainsi dire, se promener,
jusqu'à ce qu'il trouve un sol plat, où sa pe-
santeur le fait enfin reposer à la surface :
sous la mousse, tout simplement, ou dans
le sable des rivières : la plus grosse pépite
qu'on ait jamais rencontrée a été découverte
en 1869, à Ballarat, en Australie, rien qu'en
arrachant l'herbe : elle pesait 190 livres
anglaises !
Ç'a été le travail des siècles, même de mil-
liers d'années, et davantage. Dans bien des
régions où l'or alluvial se manifestait, jamais
le prospecteur n'a pu découvrir le filon d'où
il provient.
Alors le primitif - le préhistorique ou celui
de nos jours - le ramasse, tel qu'il est, à la
surface du sol ou presque. Lentement - car
son cerveau opère très lentement - il arrive à
« laver » le sable des rivières, qui sont des
sluices naturels, pour employer un terme des
prospecteurs de nos jours, qui ménagent des
sluices artificiels. Il ne va pas plus loin, et il
ne lui en faut pas plus : c'est une pierre
comme les autres, mais ductile, et que ce pri-
mitif peut marteler avec une autre pierre,
pour en faire des colliers, des bracelets, pour
lui et pour ses femmes, qui en sont encore
plus avides que lui : puisque ça brille ! Mais
pas plus que tel ou tel coquillage, pas plus
qu'un morceau de ce quartz pur que nous
appelons cristal de roche : c'est inutile, mais
plaît aux .yeux. En d'autres termes* cela est
beau! Gest pourquoi l'homme primitif et le
primitif dés temps historiques n'ont jamais
vu dans l'qr qu'une matière décorative, et n'ont
jamais songé à en faire une monnaie. Les
Aztèques né pouvaient comprendre pourquoi
les Espagnols de Cortès tenaient tant à obtenir
d'eux-mêmes par la violence leurs beaux
bijoux d'or pour les fondre en lingots... Il n'est
pas impossible cependant que des tribus qui
possédaient" de l'or, mais pas de silex, aient
fait de longs trajets pour échanger leur or
contre ce silex, des bijoux en or contre des
outils en silex, bien plus utiles à leurs yeux :
de même qu'aujourd'hui les Allemands atten-
dent qu'on échange leur fer travaillé, et d'au-
tres produits de leur industrie, contre cette
figuration de l'or que nous nommons des
devises... On a trouvé des « caches » paléoli-
thiques qui contenaient des haches de pierre
admirablement exécutées, et destinées, selon
toute apparence, à l'exportation. Contre quoi
ces exportateurs d'il y a vingt mille ans les
échangeaient-ils ? Contre de l'or, peut-être!
Pourtant, puisque l'or était « une pierre
comme les autres », et qui avait l'avantage de
pouvoir se marteler, pourquoi n'en pas faire
aussi un outil ? On a essayé : quand les Por-
tugais, il y a quatre cents ans, découvrirent
le Brésil, ce ne fut pas sans étonnement ni
dédain qu'ils s'aperçurent que les hameçons
des indigènes étaient en or ! Et il en est de
même encore aujourd'hui de ceux des indi-
gènes de l'intérieur de la Colombie. Bien en-
tendu, la science a analysé l'or de ces hame-
çons : il contient près d'un huitième pour cent
de cuivre, et un peu de platine, résultant sans
doute d'un alliage naturel : car l'or natif pur
est trop mou pour être employé à cet usage.
Mais il y avait aussi une autre « pierre »
qui se pouvait marteler, devenait même cas-
sante, comme les autres, quand on insistait
trop : le cuivre natif, le cuivre pur. Il existe
en plus grande quantité, sinon comme abon-
dance, du moins comme masse, à la surface
du sol : mais, alors, il s'oxyde, assez profon-
dément, et devient d'un vert noir. Cependant
cette « pierre » pouvait servir comme les au-
tres. En la brisant en morceaux utilisables,
ou bien en frottant ces morceaux contre un
grès pour lui donner une forme, on constata
qu'elle aussi brillait. Et en vérité, plus que
l'or : d'un jaune rouge encore plus écla-
tant. Aussi c'est à peine si au début on la
différencia de l'or, et l'on en fît d'abord des
bijoux /gui semblaient tout aussi précieux.
Aucune idée, toujours, d'en faire une mon-
naie. On en vint seulement, comme pour l'or,
à celle de l'employer comme outil. Pas plus
tard qu'en 1901, M. G. Holland cherchait de
l'or au Katanga, et lavait, à la bâtée, le ruis-
seau Livingstone, dans la région de Kambovi.
Le voyant faire, un chef lui dit, avec appro-
bation, qu'en effet « le cuivre jaune », autre-
ment dit l'or, était plus facile à transformer
en balles de fusil que le cuivre ordinaire, dont
il y avait beaucoup . aussi. Evidemment ses
congénères avaient connu le cuivre avant l'or,
par exception, et ensuite avaient donné à cet
or le nom du métal qui leur était déjà familier.
Mais pratiquer une mine - comme pourtant
les néolithiques le faisaient déjà pour la
recherche des nodules de silex, plus faciles à
ouvrer sur place quand ils étaient « frais », -
mais faire une opération de fonte, les primitifs
n'y songèrent pas avant bien longtemps. Ils
se contentèrent des blocs qu'ils rencontraient
à l'état natif. Et quand ce bloc était trop gros,
cela ne leur faisait aucun plaisir. Us ramas-
saient d'autres « cailloux », d'une autre espèce,
mais plus petits, plus maniables, et arra-
chaient au bloc les éclats qui leur suffisaient.
Il en fut ainsi pour le fer, chez les Esqui-
maux. C'est du fer pur, météorique - et aussi
le nomment-ils « la pierre tombée du ciel ».
Petit à petit, ils l'écorniflent. De ces aérolithes
composés de fer pur, il existe au moins trois
masses énormes sur le continent arctique.
Il fallut donc des millénaires encore pour
que l'or et l'argent - dont je ne parle pas
- fussent appréciés en tant que monnaie
d'échange. Le nom même de pecunia, en latin,
le prouve : une chose valait tant de boeufs ou
de vaches, non pas tant de pièces d'or, d'ar-
gent, de cuivre. Et l'or et l'argent ont été rares
tant qu'on n'a exploité que les assez pauvres
gisements alluvionnaires d'Europe. Ce fut la
découverte des gisements d'Amérique - bien
qu'alluvionnaires aussi, eux, pour commencer
- qui bouleversa l'économie du globe, fit
monter le prix de toutes choses, enrichit les
uns, appauvrit les autres.
Le dix-neuvième et le vingtième siècle ont
été l'époque d'une nouvelle « ruée » vers l'or.
Songez donc ! De nouvelles mines en Améri-
que, exploitables par des procédés qu'on igno-
rait auparavant. Puis les gisements d'Austra-
lie. Puis la période « industrielle » du traite-
ment des minerais relativement pauvres, mais
se présentant en couches étendues, du Wit-
watersrand en Afrique du Sud. Puis, de nou-
veau, la découverte des alluvions aurifères
du Klondyke, fortune - ou déception - du
prospecteur indépendant, qui d'ailleurs bien-
tôt finit par être absorbé par des organisations
financières.
Alors une foule de belles histoires, aventu-
reuses, parfois tragiques, souvent mélancoli-
ques. Connaissez-vous celle des frères Gordon,
au Queensland (Australie), en 1873? Us avaient
acquis un peu plus de 150 hectares pour y
faire paître leurs bestiaux. Donald était un
bon paysan, dur à la peine; son frère Sandy
un ivrogne, bon à rien, qui avait de l'imagina-
tion après boire. Peut-être un Irlandais : de
sorte que nul ne croyait à ses « yarns ». Un
jour il parle, à la fonderie où il est employé,
du « grand filon de terre rouge » qu'il a vu
sur les terres de son frère. C'est un blagueur,
on ne l'écoute pas d'abord. Enfin l'on se dit :
.« On peut toujours y aller voir ! » Et c'est
vrai ! On organise un syndicat dont tous les
membres deviennent millionnaires en guinées.
Le pauvre Donald, l'éleveur de bestiaux, avait
vendu sa propriété pour 50 francs or l'hectare.
Son frère Sandy, le bon pochard, reçut
500 francs, et autant de whisky qu'il en vou-
drait jusqu'à sa mort. Il en but vraiment tant
qu'il voulut, et mourut après une crise de
delirium tremens. On y comptait bien ! Jus-
qu'à la fin de 1919 la mine du mont Morgan
a produit, en or et en cuivre, 120 millions de
dollars, dont 58 millions ont été versés aux
actionnaires.
Le pauvre Donald, l'éleveur de boeufs ? U
était mort de chagrin. Et un poète australien,
Brunton Stevens, écrivit alors la Dernière
chance : « L'espoir manqué d'un cheveu :
manqué, non, je l'ai tenu - Dans ma main.
Elle a glissé dans mes doigts, la riche terre
brune... - Espoir lumineux qui pour moi ne
brillera jamais plus. » Ce qui est le plus im-
moral, je crois, dans l'aventure, c'est que
l'honnête Donald expire, désolé, voyant ce Ilot
d'or qui lui avait échappé; tandis que cette
espèce de clochard, Sandy, son frère, s'estima
sans doute fort heureux, jusqu'à son dernier,
jour, avec son crédit illimité au -public house.
Et, aujourd'hui, nous assistons à un conflit
économique nouveau dans l'histoire : entre les
Etats qui ont de l'or, qui le gardent, l'accumu-
lent, ou s'efforcent de le faire revenir quand
il s'en va; et un Etat qui n'en a pas, affirme
pouvoir s'en passer, vivant de l'excédent de
ses exportations. Mais cela même exige qu'il
obtienne ces fameuses « devises », qui ne sont
que des « certificats » d'or; et alors, comme
le montrait ici M. Max Hermant en une page
lumineuse, qu'il puisse continuer chaque an->
née à exporter un tiers ou un quart au moins
de plus que l'année précédente, indéfiniment»
PIERRE MILLE.
ACADEMIES, UNIVERSITES. ECOLES
Académie française
La séance est tout entière consacrée au Dic-
tionnaire dont la revision est poursuivie de
agame à âgé.
Congrès des sociétés de philosophie
de langue française
Le deuxième congrès des sociétés de philosophie
de langue française s'est ouvert jeudi, à la faculté
des lettres de Lyon. Le programme de ces assises
intellectuelles comprend deux sujets : 1* l'univers,
2° Spinoza.. Le congrès a été organisé par la so-
ciété de philosophie de Lyon, sous la direction du
professeur Etienne Souriau, assisté de M. Victor
Carlhian, secrétaire du congrès, et de Mme Hen-
riette Waltz. Assistaient aux séances, en outre, de
nombreux Lyonnais, des délégués des sociétés de
philosophie de Paris, Louvain, Lausanne, Genève,
Rennes, Montpellier, Toulouse, Marseille, Dijon,
Nancy, Metz, Aix - en - Provence, Bordeaux et
Bruxelles.
En l'absence de M. Etienne Souriau, mobilisé, et
de M. Darbon, doyen de la faculté des lettres de
Bordeaux, retenu par les circonstances, la séance
d'ouverture a été présidée par M. Michel Sou-
riau, doyen de la faculté des lettres de Nancy, frère
de M. Etienne Souriau.
M. Gaston Berger a présenté une communica-
tion collective de la société d'études philoso-
phiques de Marseille sur l'idée de l'univers. Le
thème de cette communication est le suivant :
Le mot d'univers éveille, chez ceux qui l'entendent,
l'ensemble des choses existantes, tout ce que Dieu a
créé. L'idée d'univers étend au maximum l'idée de
totalité, qui ne joue à propos des mondes que d'une
manière relative. Elle comprend l'ensemble de6 mondes.
Il ne faut rien exclure a priori, même pas le non-être.
Cette totalité est-elle finie ou infinie ? Il n'est .pas évi-
dent que la question puisse recevoir une réponse de la
seule philosophie. L'idée d'univers exprime une Inter-
dépendance totale et en même temps unique, estiment
les auteurs. Ils pensent que cette idée ne peut pas
représenter une réalité qui lui correspondrait, puisqu'elle
englobe tout, alors qu'une représentation suppose une
opposition à quelque chose qui reste en dehors. Penser
l'univers n'est pas s'en former une idée; c'est éprouver
notre insertion dans l'ensemble, c'est sentir notre liât-'
son aveo le reste de l'univers.
Une seconde communication a été faite par
M. Bachelard, de Dijon, qui a traité de « Univers
et réalité ». Pour lui, l'idée d'univers dialectise
immédiatement et définitivement sa pensée objec-
tive et le met en dehors du monde. L'idée d'univers
unique, d'un tout vraiment solidaire d'un principe
homogène de l'être correspond a une totalisation
négligente, à une unification trop tôt faite, bref à
une définition non systématique d'un système.
L'univers est déjà au delà.
En troisième lieu, M. Bridoux, de Paris, a pro-
posé quelques remarques sur le hasard, et M. Mi-
chel Souriau a parlé de la précarité de l'univers.
L'auteur conclut qu'aucun raisonnement ne peut
valoir contre la commune précarité du monde et
du moi, car aucun raisonnement n'est indépen-
dant d'une représentation du sujet raisonnant dans
le monde. Quand la pensée éprouve qu'elle cesse
d'être efficace, le monde s'écroule. J1 y a autant
d'univers que de vivants. Une médiation légitime
entre les mondes ne peut se constituer que par
l'abandon de l'idée même d'univers et sa trans-
formation en un symbolisme acosmique.
Une seconde séance a été consacrée à Spinoza.
On a entendu des communications de MM. Brun-
schvicg et Bréhier, de Paris, Balthasar, de Louvain,
et Gagnebin, de Lausanne. Une assistance nom-
breuse a suivi ces exposés, qu'ont complétés plu-
sieurs discussions. Trois séances sont encore
prévues.
CONGRÈS ET RÉUNIONS
Le congrès national de la tuberculose
La dernière journée du congrès national de la
tuberculose à Lille a débuté hier par une séance
d'études, salle des conférences de l'hôpital A.-Cal-
mette, sous la présidence de M. Bezançon, de
l'Académie de médecine. Les congressistes ont
discuté la question médico-sociale. Les rappor-
teurs, MM. Courcoux et Codvelle, de Paris; Ber-
thier, Mattéi et Olmer, de Marseille, et Vaucher,
de Strasbourg, ont parlé de la prophylaxie anti-
tuberculeuse par les examens systématiques des
collectivités. Après cette séance d'études, les mem-
bres du congrès ont visité le musée de Lille.
L'après-midi s'est poursuivie la discussion de
la question médico-sociale. Puis a eu lieu, à
16 heures, la séance de clôture du congrès dans
la nouvelle salle de la faculté de médecine, sous
la présidence de M. Caries, préfet du Nord, entouré
de MM. Honnorat, ancien ministre, président du
comité national de défense contre la tuberculose;
Sergebt et Bezançon, de l'Académie de médecine;
des professeurs Rist, Leclercq, Courcoux, Fois
et Gernez.
Le professeur Rist a présenté le résumé des
travaux du congrès, puis le préfet du Nord a
remercié les personnalités et les congressistes.
Le congrès a décidé ensuite que le prochain
congrès aurait lieu en 1934 à Alger, aux fêtes
de Pâques, pour répondre à la demande du gou-
verneur de l'Algérie.
DU 15 AVRIL 1939
LES CONCERTS
CONSERVATOIRE : Festival Beethoven. >- La
musique aux Etats-Unis.
PASDELOUP : « Saisons », de M. Louis Aubert. -
« Messe brève de Requiem », de M. Albert
Wolff.
Festival international de Bade.
SOCIETE NATIONALE.
La Société des concerts ne craint pas les
contrastes. Sans transition autre que celle de
la salle du Conservatoire au grand amphi-
théâtre de la Sorbonne, elle passe allègrement
de Beethoven aux Américains de la Norman-
die, id est du dernier bateau. Eclectisme
hardi et louable qui, enjambant d'une traite
romantisme et impressionnisme, nous valut, à
peine remis d'une exécution splendide de la
Neuvième avec Mmes Branèze, Schirman,
MM. Jobin, Morturier et la magnifique chorale
d'Yvonne Gouverné, l'heureuse surprise du
Concerto pour orchestre de Walter Piston,
d'une audace toute transatlantique. Car si le
premier temps s'imprègne encore de ce fa-
meux retour à Bach dont la fureur incendiaire
d'il y a dix ans ne saurait s'éteindre sans lais-
ser traîner çà et là quelques flammèches attar-
dées, en revanche il n'y paraît plus dans les
deux suivants. Le finale surtout est d'une
liberté de pensée, d'une verve et d'une variété
rythmiques qui, ouvertes résolument sur les
« espaces vitaux » du futur, ne doivent rien de
direct à l'illustre cantor. Bref, une page de
haut intérêt.
Egalement très séduisants furent les Ame-
rican sketches de G. Converse et El Salon
Mexico d'Aaron Copland, ce dernier submergé
dans une débauche de rythme et renforcé
d'une percussion que l'auteur distribue de
façon très curieuse dans un généreux et im-
pressionnant crescendo. Plus sage mais peut-
être plus poète, Burlingham Hill, s'il nous sur-
prend moins, nous charmera sans doute da-
vantage avec ses Lilacs. tout parfumés de prin-
temps. Quant à la deuxième symphonie de
R. Thompson, c'est le travail consciencieux
d'un musicien non encore complètement
affranchi d'habitudes scolaires qui ne sau-
raient suppléer à l'originalité. Mais l'extrême
jeunesse que je lui suppose nous autorise à lui
faire crédit jusqu'à une nouvelle rencontre.
Entre temps, Ch. Munch nous révélait le
deuxième concerto de Max Dowell. Apparem-
ment écrit il y a au moins un demi-siècle, ce
concerto nous fait songer parfois à celui do
Grieg, ce qui ne saurait nous déplaire, mais
parfois aussi au Nouveau Monde de Dvorak.
Il est en son abondance mélodique d'une ingé-
nuité et d'une sincérité touchantes. Bien ins-
trumenté, la partie de clavier habilement
écrite, il fut interprété par Mlle Z. de Castro,
une jeune pianiste brésilienne, avec tant de
brillant, de précision et de grâce, que l'audi-
toire conquis par l'interprète sinon par l'oeuvre
pardonna aimablement, dans sa faculté de
sentir volontiers rétrospective, cette dissonance
qu'excuse son grand âge.
Pour clore leur saison les concerts Pasde-
.oup avaient réinscrit au programme « celles »
de Louis Aubert. Je vous ai dit en son temps
toute la beauté de ce vaste poème pour orches-
tre, choeur et solo de soprano. Destinée primi-
tivement aux fêtes de l'eau et de la lumière,
cette apothéose du feu grégeois, symbole de la
lutte perpétuelle entre l'ombre et la lumière,
de l'aspiration universelle vers la bienfaisant»
clarté, méritait, en sa subtile splendeur, ua
auditoire plus digne que les foules anonymes
et distraites de l'Exposition. Aussi est-ce avec
joie que nous voyons les Saisons s'implanter
peu à peu au répertoire des grandes associa-
tions. Hormis quelques passages qu'on eût
souhaités plus impétueux et dont le mouve-
ment, peut-être, ne correspondait qu'avec un
léger retard aux prévisions les plus extensi-
bles du compositeur, cette nouvelle exécution
fut très remarquable, avec la voix chaude, vi-
brante de Mme Maryse Vildy et la chorale
ardente et merveilleusement disciplinée de
Félix Raugel. Aussi oeuvre et interprètes
furent-ils longuement applaudis.
Egalement le concerto de Ravel, joué avec
une élégante dextérité par Mlle Valérie Hamil-
ton, et dont le public redemanda - et obtint -
le Presto final, malgré toute son impatiente
curiosité de l'oeuvre inédite qui allait suivre, à
savoir une Messe brève de Requiem d'Albert
Wolff lui-même. Au président de l'Associa-
tion Pasdeloup, lequel est en même temps,
comme vous savez, l'auteur de l'Oiseau bleu
et de la Randonnée de l'âme défunte, auteur
modeste et discret s'il en fut, on serait mal
venu à reprocher d'accaparer l'orchestre à son
profit personnel. Il suit en ce sens les tradi-
tions de désintéressement inaugurées par son i
prédécesseur Rhené-Baton, discret, lui aussi, ;
jusqu'à l'indiscrétion, se contentant de diriger
de son mieux les oeuvres des autres, qu'elles
l'amusent ou qu'elles l'ennuient, qu'elles soient
bonnes, médiocres ou pires.
Aussi quand par hasard Albert Wolff joint
à l'éloquence du geste celle du verbe pouvons-
nous être certains qu'il ne parlera pas pour ne
rien dire. Le caractère de douloureuse et sobre
gravité qui nous avait frappés dans la Ran-
donnée de l'âme défunte, bien éntendu nous le
retrouvons dans ce Requiem, mais troublé ça
et là par des sursauts de révolte. Ce n'est plus
ici l'atmosphère consolante, la divine résigna-
tion du Requiem de Fauré. Le Dies iras, qu?
d'ailleurs omet Fauré, nous montre une tout
autre conception de la mort. Cette épouvante
des « fins dernières de l'homme », cette évoca-
tion impitoyable du jugement suprême, ce?
interjections de terreur et de désespoir nous
rapprocheraient plutôt, sans toutefois ses cinq
orchestres légendaires, ses douze trombones,
ses huit paires de timbales et tous ses pa-
roxysmes de romantique exaspéré, du Requiem
moins céleste mais cordialement humain de
Berlioz. Cependant le Kyrie initial, l'Agnus
Dei, Vin Paradisum surtout sont d'émouvantes
et poétiques pages, empreintes d'une tendresse
et d'une ferveur toutes mystiques. Je ne vous
donne là, naturellement, que des impressions
forcément résumées après cette audition uni-
que. Il en faudrait plusieurs pour pénétrer
plus avant dans la connaissance d'une oeuvre
qui ne saurait livrer tous ses secrets au pre-
mier contact. En attendant, félicitons, en même
temps que l'auteur, ses excellents interprètes :
Mme Marguerite Myrtal à la voix de velours,
si expressive; Mme Inès Jouglet, très remar-
£uée dans lin Paradisum; MM, Arnoult et
ovano, et encore l'admirable chorale Raugel.
Le lendemain avait lieu la traditionnelle
séance avec le concours de la classe de danse"
du Conservatoire. C'est en vain, hélas ! qu'on
y cherchait sa très aimée et très regrettée ini-
tiatrice, Mme Chasles, prématurément disparue
peu de jours auparavant sans avoir eu sa part
d'une fête dont elle se promettait tant de joie.
Mais son souvenir planait d'un bout à l'autre
du programme, qu'il s'agit des Chansons d'Al-
sace, de Weckerlin, si gracieusement dansées
par les jeunes élèves, des Valses romantiques
de Chabrier, de la Pavane de Fauré, des Suites
anglaises d'Henri Rabaud ou de la Sarabande
de Debussy. Une assistance émue souligna de
chaleureux applaudissements sa reconnais-
sance pour un enseignement aussi efficace.
Eloigné de Paris, je n'ai pu assister aux
derniers concerts Colonne. J'y perdis, outre
la Révélation, par Reynaldo Hahn, de Maître
Pierre de Gounod, trois oeuvres inédites, ce qui
est considérable pour un seul coup si l'on
songe d'autre part à tant de semaines creuses :
un Trumpeldor, épopée lyrique de Daniel Laza-
rus en l'honneur du fameux pionnier de la
Palestine moderne; un concerto de violon
d'Eugène Bozza joué par Mme Denyse Ber-
trand, et une Sinfonia andorrana de Mlle Hen-
riette Roget. Je le regrette vivement, étant
donnée la qualité de ces compositeurs. Mais
mon ubiquité parisienne, déjà aux abois, était
compliquée cette fois d'une présence de sur-
croît en pays étranger, ce qui rendait décidé-
ment impossible toute. supercherie de répéti-
tion préalable. C'est donc, si vous voulez bien,
non du Châtelet que je vous parlerai, mais du
quatrième festival international de musique
contemporaine qui eut lieu à Bade du 30 mars
au 2 avril, sous la direction de G.-E. Lessing.
Des jeunes musiciens d'Allemagne, la ca-
ractéristique générale fait apparaître une foi
sans limites dans le style fugué. Hors de la
fugue, point de salut. J'entendis plus d'expo-
sitions, de divertissements et de strettes en ces
trois jours que dans tout un hiver de Paris.
Mais certaines de ces compositions ont une
liberté d'allure, une fantaisie et ce ie ne sais
quoi de grandiose dans le métier qui les rédime
et au delà d'un point de départ si gros de tra-
dition et de conformisme. Voici, par exemple,
le Triptychon de Hans Brehme - de Stuttgart
- sur un thème de Haendel, et Passacaille
et fligue, d'après Frescobaldi, de Karl Höller
(Francfort) qui, à base prébeethovenieenne,
n'en sont pas moins de magnifiques poèmes
pleins d'élan et d'imprévu, construits d'ailleurs
avec une supérieure habileté, et auxquels, passé
les premiers hérissements, on commencera à
s'intéresser pour finir peu à peu par s'y pas-
sionner, car leur effet dynamique et pour ainsi
dire physiologique est irrésistible.
Le petit nombre, en la confirmant, échappe
à la règle. Ainsi en est-il de Kurt Rasch (Ber-
lin) dont le concertino pour piano et orchestre
affecte la forme d'une sonate essentiellement
mélodique, voire parfois charmante comme
dans l'Andante expressivo, page tout emplie
de poésie où toutefois je regrettai que l'in-
terprète, M. Erwin Bischoff, excellent pianiste,
d'ailleurs, dans sa louable intention d'extério-
riser le thème, tranchât un peu rudement, par
des forte disparates, dans la sonorité estompée
de l'orchestre.
Parmi les « étrangers » je reconnais d'abord
un compatriote, Jean Clergue, dont la Ballade
pour violon et orchestre, récemment révélée
chez Colonne et, comme chez Colonne, admi-
rablement jouée par Mme Renée Chemet, eut
le plus vif succès; puis un compatriote d'adop-
tion, Bohuslav Martinu, qui fit grande sensa-
tion avec son beau concerto de violoncelle.
D'une difficulté à toute épreuve, cette oeuvre,
néanmoins, n'en laisse rien soupçonner sous
l'archet aisé et les chaudes sonorités de Pierre
Fournier, lequel fut appelé et réappelé par une
foule délirante.
Il y avait aussi deux Italiens : Francesco
Malipiero, le musicien, bien connu en France,
des Sept- chansons, qui présentait six commen-
taires symphoniques pour l'Hécube d'Euri-
pide : musique voilée, sensible, tout en effleu-
rements légers, sans cris et sans heurts, et j
Giovanni Salviucci, un jeune Romain disparu
avant d'avoir donné sa mesure, mais dont
l'Introduzione, Passaglia e finale contient
mieux que des promesses. Puis un Belge. J'ai
cité plusieurs fois Marcel Poot, et récemment
encore à propos de cet ardent et tumultueux
Triptyque symphonique que nous révéla Franz
André, l'éminent chef d'orchestre de Bruxel-
les, et qui n'eut pas moins de succès au Kur-
haus de Bade qu'à la salle Gaveau.
Mentionnons encore la Fantaisie sur un
chant maritime, pour piano et orchestre, du
jeune Hollandais Hans Osieck; le Capriccio,
pastorale e danza de Mikla Rozsa, de Buda-
pest, dont la fantaisie prime-sautière apporta,
au premier concert, une heureuse diversion
à l'austérité ambiante, et, de l'Uruguayen.
Eduardo Fabini, un tableau symphonique inti-
tulé Mburucuya (murmures de la forêt), for-
tement imprégné d'Albeniz en son atmosphère
nostalgique.
Toutes ces oeuvres furent dirigées par Gotth.
E. Lessing avec une maîtrise, une conscience
et un éclectisme qui lui font honneur. Nous
ne connaissons pas encore à Paris M. Lessing.
C'est dommage. Souhaitons sa prochaine ve-
nue dans l'une de nos associations. Nul doute
qu'elle n'y soit accueillie avec la plus grande
faveur.
En dehors des trois concerts d'orchestre eurent
lieu une soirée de choeurs et une matinée de
musique de chambre. Dans la première on eut
grande joie à l'audition, par la somptueuse
maîtrise de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, -
directeur Th. Rehmann - des beaux motets
d'Obrecht, Josquin des Prés, Lassus, Willaert,
musiciens de la Renaissance, suivis des très
séduisants Geusenlieder de Jef van Hoof, mu-
sicien d'aujourd'hui, et de vieilles chansons
populaires d'Arthur Meulemans. La seconde
comprenait le trio à cordes de Jean Rivier,
troisième Français du groupe, qui enchanta
l'assistance; un intéressant Konzertmusik de
Helmut Degen; des lieds de Julius Weisman
d'après Goethe et R.-M. Rilke, et le quatuor è
cordes de Wolfgang Fortner . que nous cors
naissions déjà grâce à « Triton » et que nous
retrouvâmes avec plaisir.
r A la Société nationale, notons brièvement,
joué par Mme Manchon-Theiss, le Thème et
variations où G. Sptizmuller semble évoquer;
par des moyens fort subtils, de romantiques
souvenirs, non point de jeunesse puisque, par
la grâce du Ciel, sa courbe de vie en est encore
à ce bienheureux stade, mais d'une enfance
que durent hanter profondément les voix infi-
nies de Schubert, Schumann et Chopin. Puis
cinq mélodies très expressives de Pierre Cap-
devielle d'après Baudelaire, Suarès et R.-M.
! Rilke que chanta Mme Lily Jessua avec grâce
r et sensibilité, et une aimable et limpide sona-
fine de Lazare Lévy.
Mais les minutes supérieures de ce 596" con-
cert (depuis la fondation, rassurez-vous), ce
fut le Nantais Paul Ladmirault et le Morlai-
sien Adolphe Piriou, proches voisins à plus
d'un titre, qui nous les valurent, le premier
avec ses poétiques quatuors vocaux : deux
chansons écossaises et l'air national de Ker-
bili dont il tire un fort ingénieux parti, chan-
tés délicieusement par le quatuor Seupel; le
second avec un intéressant quatuor à cordes
par l'ensemble Loewenguth, très en progrès e!;
très applaudi, où j'ai remarqué surtout la
Sarabande, conçue dans cette atmosphère de
mélancolie ingénue - et si pénétrante! - par
quoi l'on reconnaît immédiatement l'authen-
tique Breton de Bretagne.
Au 597* concert, avec orchestre de chambre,
on réentendit saçs déplaisir les spirituels pré-
ludes pour cordes d'Henry Barraud que Ch.
Munch nous avait révélés l'an dernier à la
Philharmonique, et la Création du monde, un
des feuillets, sinon les plus épais, du moins
| les plus strictement ex propriis libris du
cyclopéen catalogue darique. Puis quelques
inédits : trois pièces de Marcel Stern, bien un
peu sages pour un « divertissement » ; trois
Berceuses chantées par Georges Migot ei
Mme Hélène Bouvier, chacun, sous-entendez,
selon ses capacités respectives, sur les beaux-
poèmes de Marie Gevers ; Mots, Enfants
d'avril, O pluie...; une Kammermusik d'Hinde-
mith première manière, qui était peut-être la
bonne, d'un dynamisme coruscant; enfin,
d'Eugène Bozza, un Prélude et invention où
cette dernière aurait peut-être droit de pré-
séance, sonore, riche de rythme et avec un>i
logique dans la construction, une lucidité qui
président en général aux oeuvres de ce musi-
cien.
Je compte vous parler aussi des « Reiters
koris », des oeuvres d'Inghelbrecht et Mihalo-
vici à l'Orchestre national, des conservatoires
de Nancy et de Strasbourg, de divers récitals
et enfin du Berlioz de Guy de Pourtalès -.
mais pas aujourd'hui.
FLORENT SCHMITT.
3. == LE TEMPS. - L15 avril 1939
LES ÉVÉNEMENTS D'ESPAGNE
L'organisation de l'ordre à Madrid
Le colonel Carlos de Silva-Ribera a été nommé |
chef des services de l'ordre public de Madrid.
[Le colonel de Silva-Ribera a pris part â la répres-
sion de la révolte des Asturies en 1934, et a perdu une
jambe au cours des sanglantes échauffourées qui 6'y
sont produites. Décoré à cette occasion de l'ordre de
la République, le colonel de Silva-Ribera refusa la
décoration.]
Parmi les personnes, qui ont été arrêtées ces
derniers jours figurent les nommés Demetrio Ruiz, j
l'un des auteurs de l'assassinat du général Lopez
Ochoa, qui fut chargé en 1934 de la répression
dans les Asturies, et Alphonse Beeerill, inculpé
de plus de quatre-vingts assassinats.
Remise de décorations italiennes
à deux personnalités espagnoles
On télégraphie de Burgos:
L'ambassadeur d'Italie a remis à M. Serrano
Suner, ministre de l'intérieur, les insignes de
grand-croix des saints Maurice et Lazare, qui lui
sont conférés par le roi d'Italie.
Il a remis également les insignes de grand-offi-
cier de l'ordre de la couronne d'Italie au sous-
secrétaire d'Etat à l'intérieur.
Avant la parade dn 2 mai
M. Alcocer, maire de Madrid, a invité les habi-
tants de la ville à mettre à la disposition de la
municipalité des chambres et des lits qui seront
destinés aux officiers nationalistes qui participe-
ront au défilé de la victoire.
On mande, d'autre part, de Burgos qu'aux côtés
de la légion Condor, groupant tous les Allemands
- aviateurs, techniciens, instructeurs, etc. - qui
sont intervenus dans la guerre civile, et des trou-
pes italiennes, de hautes personnalités alleman-
des et italiennes assisteront à ce défilé. Il serait
même question d'y convier le maréchal Graziani
et le maréchal Goering.
Les pertes dans la guerre civile
On télégraphie de Madrid:
On estime à environ 1 million 200,000 le nombre
total des personnes, tant civiles que militaires, qui
ont été tuées des deux côtés espagnols, au cours
de la guerre civile, c'est-à-dire du 18 juillet 1936
au 30 mars 1939.
Le nombre des militaires tués au front est d'en-
viron 450,000; le nombre des civils, fusillés ou vic-
times de la guerre, est d'environ 750,000.
On souligne ici que dans la zone nationale,
8,000 personnes seulement ont été tuées par les
bombardements aériens républicains.
En ce qui concerne les pertes strictement mili-
taires, sur 450,000 tués au total, les nationalistes
n'ont eu & déplorer que la mort de 150,000 des
leurs. On explique la différence des pertes par
l'écrasante supériorité des franquistes en artille-
rie et én aviation.
On précise que le déploiement maximum des
forces d'artillerie républicaines eut lieu à Teruel,
où 180 canons furent alignés. C'est, en revan-
che, à la bataille de l'Ebre que les nationalistes
eurent la supériorité de feu la plus écrasante,
quand le général Franco fit donner à la fois
1,400 pièces contre les 120 que possédait l'adver-
saire sur le même front.
De toutes les batailles de la guerre civile, la
plus sanglante fut celle de l'Ebre, où les deux
partis perdirent 120,000 hommes. On place en-
suite la bataille de Brunete, où les pertes furent
de 50,000 hommes, et celle de.Teruel, où le nombre
des morts atteignit le même chiffre.
Le retonr dn maréchal Pétain en Espagne
Le maréchal Pétain, ambassadeur de France en
Espagne, a quitté Paris jeudi soir, rentrant à
Saint-Sébastien.
L'ambassadeur d'Espagne en Argentine
On télégraphie de Buenos-Aires:
Le gouvernement argentin a donné son agré-
ment à la désignation de M. Pedro Saenz Rodri-
guez comme ambassadeur d'Espagne à Buenos-
Aires.
L'aide aux réfugiés espagnols
Ofi télégraphie de Stockholm:
Le « Comité de l'aide à l'Espagne » a alloué une
somme de 50,000 couronnes, à titre d'appui immé-
diat, aux femmes et aux enfants espagnols rési-
dant dans les camps de concentration français.
rOn télégraphie de-Montevideo:
La Chambre a repoussé la motion déposée par
un député tendant à permettre l'entrée en Uru-
guay de cinq mille réfugiés républicains espa-
gnols.
Les trésors d'art espagnols
M. Sotomayor, conservateur du musée du
Prado, et M. Eugenio d'Ors, directeur des arts au
ministère de l'éducation espagnole, sont arrivés
à Genève pour procéder à un examen du trésor
d'art espagnol déposé au palais de la Société des
nations.
Les chefs-d'oeuvre de l'art espagnol seront très
probablement l'objet d'une prochaine Exposition
à Genève.
Le général Miaja va se rendre à Cuba
Notre correspondant particulier de Marseille télé-
graphie le 14 avril:
Le général Miaja, qui était depuis quelque
temps en Algérie, est arrivé à Marseille ce matin,
à bord du paquebot Ville-d'Alger, en compagnie
d'un de ses neveux.
Sur le quai de débarquement, ses deux fils et
son gendre l'attendaient avec quelques amis. Le
général a déclaré qu'étant données les circons-
tances, il estimait correct de ne donner aucune
interview. « Je n'ai, d'ailleurs, fait aucune dé-
claration depuis que je suis sur le sol français,
a-t-il ajouté, et c'est là une simple marque de
déférence envers le pays qui m'accueille et pour
lequel j'ai toujours éprouvé la plus grande sym-
pathie. » Le général partira dans la soirée pour
Paris, d'où il gagnera le Havre, pour s'embar-
quer avec sa famille à destination de Cuba.
Lettre d'Espagne
LA POLITIQUE INTÉRIEURE
DE L'ÉTAT FRANQUISTE
Quatre partis politiques ont appuyé
le mouvement nationaliste à ses débuts
(De notre envoyé spécial)
Madrid, avril.
Il n'est peut-être ipas d'épreuve plus rude pour
l'existence et l'indépendance des partis politiques
qu'une guerre de longue durée.
L'Espagne vient d'en faire l'expérience avec sa
guerre civile.
Quatre partis avaient appuyé le mouvement
nationaliste du 18 juillet 1936. Le premier, « l'Ac-
tion populaire » - dont le chef Gil Roblès, après
avoir participé aux préparatifs du soulèvement,
hésita à s'y rallier officiellement, - fut, de ce
fait, dissous au bout de quelques semaines.
Le second, « Renovacion Espanola », était un
; regroupement d'anciens monarchistes autour de
Caivo Sotelo. Il bénéficiait de l'appui d'un mou-
vement d'idées dirigé par Ramiro de Maetzu, cé-
lèbre écrivain de gauche que le général Primo
de Rivera avait su rallier à la cause de la royauté.
? Le troisième, le parti « traditionaliste », ras-
semblait les forces carlistes nées de la querelle
de succession de 1833 et dont la caractéristique
était de reprendre de la vigueur'à chaque effa-
cement de la dynastie légitime, en 1869 et en
1931 principalement. Sous l'impulsion d'un avo-
cat énergique, Fal Condé, il avait réorganisé les
« Requeles », légendaires troupes de choc du
carlisme.
Le quatrième, la « Phalange », réunissait autour
de José Antonio Primo de Rivera, fils de l'ancien
dictateur, une jeunesse qui apportait dans la poli-
tique espagnole une spiritualité nouvelle d'austé-
rité et de grandeur nationale, avec une vision de
l'avenir plus poétique qu'immédiatement dirigée
vers les réalisations pratiques. Ses fondateurs
étaient, pour, la plupart, des écrivains d'avant-
garde : Alfaro, Sanchez Mazas, Fernandez Cuesta...
Us eurent le mérite d'être les seuls à apporter un
programme social moderne, les 26 fameux points
e la « Phalange » que le général Franco devait
rapidement faire siens.
Ces partis, tout en ralliant, en nombre inégal,
les fugitifs du camp républicain, entendaient
poursuivre isolément leur propagande, avec l'es-
poir secret de devenir chacun totalitaire. Ils pro-
cédaient même à l'envoi sur le front d'unités en-
rôlées sous' leurs bannières respectives. Cette
façon d'agir ne pouvait présenter que des inconvé-
nients du point de vue militaire comme de celui
de l'unité nationale. Aussi, dès avril 1937, le géné-
ral Franco, devenu entre temps chef de l'Etat,
prit-il un décret d'unification des diverses forces
en présence.
Il n'y a plus qu'un parti officiel :
la Phalange espagnole traditionaliste
L'Espagne n'a plus désormais qu'un seul parti
officiel, intégré à l'Etat : la Phalange sepagnole
traditionaliste. Son conseil directeur représente
les trois tendances constitutives et se complète de
hautes personnalités militaires. Le chef unique
est Franco.
La nouvelle organisation s'est vu assigner une
tâche considérable : police politique, formation
de la jeunesse, vie syndicale, renouvellement des
cadres administratifs. Sa réussite la plus mar-
quante fut, sans conteste, la mise sur pied d'un
service dit d' « Auxilio social » ou de lutte contre
les misères sociales nées de la guerre. Beaucoup
veulent y voir le fait de la vigueur de l'esprit
phalangiste de Valladolid, ville où cette institu-
tion vit le jour, et plus particulièrement le suc-
cès personnel d'une militante extraordinaire,
Mercedes Sanz Bachiller, veuve d'un des chefs de
la première heure, Onesimo Redondo, tombé dan3
une embuscade des « rouges ».
Pour le reste de ses activités, il apparaît que
le parti unifié, malgré des bonnes volontés évi-
dentes, a plutôt marqué le pas. L'état de guerre,
les nécessités militaires, le manque de cadres suf-
fisamment éduqués ont, plus ou moins, entravé
ses initiatives. Une réorganisation pratique est
fatale et elle accompagnera le remaniement mi-
nistériel qu'annonce la victoire.
Toutefois, ce serait une erreur absolue de
croire que 1 unification a échoué et que - comme
së plaisait à l'affirmer de l'extérieur une propa-
gande extrémiste - des frottements sérieux
aient pu opposer les unes aux autres les tendant
ces représentées. Ce serait se tromper non moins
gravement que de penser à un recul éventuel de
l'influence proprement phalangiste dans le « parti
unifié » de demain.
La guerre civile, dans l'esprit de tous les Espa-
gnols, n'est qu'une étape préliminaire du redres-
sement historique de la nation. Manuel Aznar, le
grand journaliste du régime, me l'exprimait dans
une formule concrète : « La seule légitimation du
conflit fratricide sera qu'il aboutisse à reclasser
l'Espagne dans le concert des puissances euro-
péennes et à lui restituer une personnalité poli-
tique perdue dans la décadence du dix-neuvième
siècle. »
La pensée « impériale »
Cette pensée « impériale », comme on la quali-
fie volontiers, ici, implique un effort prolongé de
discipline et d'enthousiasme entièrement fondé
sur la jeunesse. Or il n'est pas douteux que celle-
ci est surtout représentée par l'inspiration pha-
langiste.
Le général Franco le sait bien et tous ses actes
manifestent cette conviction. Il est d'ailleurs l'ar-
bitre suprême et incontesté de la . vie politique
espagnole, celui devant lequel s'arrêtent toutes
les critiques individuelles. Son autorité person-
nelle constamment accrue, sa simplicité de moeurs,
sa justice libéralement exercée et enfin la vic-
toire continue de ses armes l'ont vraiment fait
passer sur le plan de l'histoire. Il est à la fois
l'incarnation du régime et sa plus haute garantie.
Franco bénéficiera d'ailleurs d'un levier puis-
sant qu'aucun homme d'Etat espagnol n'a eu à
sa disposition dans les trois derniers siècles :
une armée victorieuse, toujours ménagée dans les
combats, attachée à lui corps et âme. La démobili-
sation, en rendant à la vie civile cette élite
d'hommes patiemment formée, infusera vraisem-
blablement à la nation un sang nouveau et pro-
longera dans la paix l'esprit de croisade.
Un autre facteur important sera l'intégration
dans le mouvement national de grandes villes
comme Madrid, Valence, Barcelone. Leurs popu-
lations,- soumises deux années à l'expérience de
la terreur marxiste, apporteraient, avec leurs res-
sources en talents, un élément de pondération qui
concourra à l'élargissement de l'Etat franquiste,
jusqu'à ce jour forcément d'essence plutôt pro-
vinciale et partisane.
La question de la restauration monarchique
Une restauration monarchique viendra-t-elle
couronner -l'oeuvre, on vois d'accomplissement "?
L'infant don Juan de Bourbon, héritier du trône,
vient, à l'occasion de la chute de Madrid, d'adres-
ser au général Franco un télégramme où il célèbre
la « jeunesse, garantie du glorieux avenir de
l'Espagne », et qu'il termine par le cri de la Pha-
lange : « Arriba Espana ! » Le général, en réponse,
a félicité l'infant « d'avoir, à plusieurs reprises,
sollicité une place de soldat dans les rangs de
cette jeunesse glorieuse ».
. D'autre part, M. Fernandez Cuesta, secrétaire
général du « parti unifié », a fait à un correspon-
dant du Popolo d'italia une déclaration que le
Temps a déjà rapportée, et qui a été très remar-
quée : « La Phalange n'a pas de sentiment anti-
monarchique, a-t-il dit, et le général décidera, en
la matière, ce que l'intérêt de l'Espagne lui com-
mandera. »
Ceux qui déclarent qu'il n'y aura pas de restau-
ration risquent donc fort de se tromper. Mais ceux
qui affectent de croire que le couronnement de
1 infant don Juan entraînerait une modification du
régime instauré commettraient une erreur non
moins lourde.
CLAUDE POPELIN.
L'ADHÉSION DE L'ESPAGNE
AU PACTE ANTIKOMINTERN
On télégraphie d'autre part de Berlin 13 avril à
?l'agence Hàvas :
L'Espagne est de nouveau au premier plan dés
pensées et des projets qui agitent les milieux poli-
tiques allemands. Il faut évidemment considérer
que Berlin s'efforce de présenter l'adhésion de
lEspagne au pacte antikomintern comme un ar-
gument de propagande « de nature à faire réflé-
chir les démocraties occidentales ». .
Toutefois, l'intérêt manifesté ici pour l'Espagne
dépasse cet argument. Tout ce qu on lit dans la
presse allemande tend à représenter l'Espagne
comme s'intégrant dans les « revendications vita-
les des peuples jeunes » et rien n'est négligé, ici,
pour faire de ces revendications espagnoles une
réalité prochaine et inquiétante pour la France
et la Grande-Bretagne.
La Frankfurter Zeitung relève, aujourd'hui, que
l'adhésion de l'Espagne au pacte antikomintern
ouvre aux puissances autoritaires un débouché
qui leur manquait jusqu'ici sur l'Atlantique. Elle
prend soin d'affirmer que les liens entre ces Etats
ne sont pas platoniques.
Dans la Boersen Zeitung, le colonel von Xylan-
der ne craint pas d'affirmer que Franco gardera
sous les armes plus de soldats qu'il ne lui en faut
pour défendre son territoire.
Il ajoute que la puissance de l'Angleterre à Gi-
braltar et la prédominance de la France au Maroc
sont incompatibles avec la Gleichberechtigung,
c'est-à-dire l'égalité des droits dé l'Espagne. Il
conclut en exhortant l'Espagne à profiter « de la
conjoncture favorable pour renouveler son antique
gloire ».
Le sens de ces commentaires est clair : il s'agit
de jeter l'Espagne, après l'Italie, dans des reven-
dications, au nom de l'espace vital, contre la
France et l'Angleterre. On affecte ici la plus abso-
lue confiance dans la réussite de cette opération.
Le général Franco
hésiterait à s'engager nettement
dans la politique de l'axe
On télégraphie de Londres à l'agence Badlo :
On recueille l'impression, à Burgos, dans, les
cercles politiques espagnols, qu'une très forte
pression s'exerce sur le général Franco pour
l'obliger à souscrire envers ses alliés et surtout
ses créanciers, les Italiens, des engagements plus
précis que ceux que comportent les protocoles du
pacte antikomintern.
Le généralissime semble disposé'à résister à ces
objurgations, mais il chercherait à obtenir des
compensations du côté de la France et de la
Grande-Bretagne, en un mot « à monnayer sa neu-
tralité dans un conflit éventuel ».
Activité militaire dans la zone de
On télégraphie de Londres:
Les nouvelles qui parviennent de Gibraltar in-
diquent qu'à la suite de l'activité des troupes
espagnoles aux alentours de cette place, les auto-
rités militaires anglaises ont pris des précau-
tions.
Deux cents soldats du génie travaillent à la
construction d'une barricade sur la grand' route,
à deux cents mètres environ de la zone neutre
séparant les territoires espagnol et anglais.
Ces mesures ont été prises à la suite d'une série
de constatations.
On rapporte que des canons de campagne de
types divers, des mitrailleuses, des tanks et des
munitions seraient transportés tous les jours de
Cadix à la Linéa dans de gros camions. 2 à 3,000
hommes de troupe seraient arrivés dans cette
ville depuis mardi et auraient pris quartier en
majeure partie dans les arènes. On aurait vu
dernièrement des transports arrivant à Algésiras
de Ceuta et Melilla et repartant aussitôt.
En passant
L'OR ET LA PIERRE
Les anlhropologistes, dont c'est l'affaire,
nous disent, pour la plupart, que l'âge des
métaux a commencé en Europe il y a environ'
cinq mille ans, alors que l'homo sapiens -
d'où nous descendons - y est apparu il y a
trente mille ans, et les premiers types hu-
mains il y aurait cinq cent mille ans. Par
conséquent, l'âge des métaux, dans cette
Europe, berceau de notre civilisation, ne re-
présente qu'un centième de l'existence de
l'humanité.
Ainsi parle M. T. A. Rickard, traduit par
M. Laparra. Il faudrait ici une réserve. Notre
civilisation nous est venue d'Asie. Les Sumé-
riens, les Egyptiens ont peut-être connu les
métaux mille ou deux mille ans avant notre
Europe, même méridionale : avant les Egéens,
les'Mycéniens, pour l'or; avant les Chypriotes,
pour le cuivre. Mais, après tout, mille ou deux
mille ans ne changent pas grand'chose à
l'estimation de ce centième.
Et ceci explique pourquoi les deux premiers
métaux connus, l'or, et ensuite le cuivre, ne
l'ont d'abord été que comme des . « pierres ».
C'est tout naturel : il y avait vingt-cinq mille
ans que l'homme, pour faire ses outils, n'uti-
lisait, ne recherchait que des pierres.: le
silex (un rognon de silice assemblée, dans un
banc de craie, autour d'une petite éponge) et
plus tard l'obsidienne. D'où il vient que nom-
bre de peuples primitifs actuels nomment
encore « pierres » les métaux qu'ils rencon-
trent à l'état natif.
Et le premier de ces métaux fut l'or : parce
que les premiers hommes, ét peut-être encore
aujourd'hui nos compagnes, sont comme les
pies : leur regard est attiré, séduit par ce qui
brille. Et l'or brille naturellement, parce qu'il
est inoxydable - en quoi il diffère de l'argent
qui, même pur, se couvre avec rapidité d'une
patine noire. Ce n'est pas tout : comme il est
impérissable, indestructible, et peut être, con-
sidéré comme insoluble, du moins sous l'ac-
tion de l'air, de l'eau, de la végétation, il est,
contrairement à ce qu'on, pourrait croire, un
métal « abondant ». Si abondant qu'il est
presque aussi courant que le fer, avec lequel
on le trouve allié dans certains minerais. Mais
ne parlons pas de celui-là, puisqu'il faut le
«. traiter » et que, par conséquent, il n'est pas
aprimitif », il n'est pas une « pierre ». Mais
e l'on songe qu'une minuscule proportion
/ce métal, dans le rocher, parvient au cours
des siècles, par suite de l'érosion de la gan-
gue, à aller, si j'ose ainsi dire, se promener,
jusqu'à ce qu'il trouve un sol plat, où sa pe-
santeur le fait enfin reposer à la surface :
sous la mousse, tout simplement, ou dans
le sable des rivières : la plus grosse pépite
qu'on ait jamais rencontrée a été découverte
en 1869, à Ballarat, en Australie, rien qu'en
arrachant l'herbe : elle pesait 190 livres
anglaises !
Ç'a été le travail des siècles, même de mil-
liers d'années, et davantage. Dans bien des
régions où l'or alluvial se manifestait, jamais
le prospecteur n'a pu découvrir le filon d'où
il provient.
Alors le primitif - le préhistorique ou celui
de nos jours - le ramasse, tel qu'il est, à la
surface du sol ou presque. Lentement - car
son cerveau opère très lentement - il arrive à
« laver » le sable des rivières, qui sont des
sluices naturels, pour employer un terme des
prospecteurs de nos jours, qui ménagent des
sluices artificiels. Il ne va pas plus loin, et il
ne lui en faut pas plus : c'est une pierre
comme les autres, mais ductile, et que ce pri-
mitif peut marteler avec une autre pierre,
pour en faire des colliers, des bracelets, pour
lui et pour ses femmes, qui en sont encore
plus avides que lui : puisque ça brille ! Mais
pas plus que tel ou tel coquillage, pas plus
qu'un morceau de ce quartz pur que nous
appelons cristal de roche : c'est inutile, mais
plaît aux .yeux. En d'autres termes* cela est
beau! Gest pourquoi l'homme primitif et le
primitif dés temps historiques n'ont jamais
vu dans l'qr qu'une matière décorative, et n'ont
jamais songé à en faire une monnaie. Les
Aztèques né pouvaient comprendre pourquoi
les Espagnols de Cortès tenaient tant à obtenir
d'eux-mêmes par la violence leurs beaux
bijoux d'or pour les fondre en lingots... Il n'est
pas impossible cependant que des tribus qui
possédaient" de l'or, mais pas de silex, aient
fait de longs trajets pour échanger leur or
contre ce silex, des bijoux en or contre des
outils en silex, bien plus utiles à leurs yeux :
de même qu'aujourd'hui les Allemands atten-
dent qu'on échange leur fer travaillé, et d'au-
tres produits de leur industrie, contre cette
figuration de l'or que nous nommons des
devises... On a trouvé des « caches » paléoli-
thiques qui contenaient des haches de pierre
admirablement exécutées, et destinées, selon
toute apparence, à l'exportation. Contre quoi
ces exportateurs d'il y a vingt mille ans les
échangeaient-ils ? Contre de l'or, peut-être!
Pourtant, puisque l'or était « une pierre
comme les autres », et qui avait l'avantage de
pouvoir se marteler, pourquoi n'en pas faire
aussi un outil ? On a essayé : quand les Por-
tugais, il y a quatre cents ans, découvrirent
le Brésil, ce ne fut pas sans étonnement ni
dédain qu'ils s'aperçurent que les hameçons
des indigènes étaient en or ! Et il en est de
même encore aujourd'hui de ceux des indi-
gènes de l'intérieur de la Colombie. Bien en-
tendu, la science a analysé l'or de ces hame-
çons : il contient près d'un huitième pour cent
de cuivre, et un peu de platine, résultant sans
doute d'un alliage naturel : car l'or natif pur
est trop mou pour être employé à cet usage.
Mais il y avait aussi une autre « pierre »
qui se pouvait marteler, devenait même cas-
sante, comme les autres, quand on insistait
trop : le cuivre natif, le cuivre pur. Il existe
en plus grande quantité, sinon comme abon-
dance, du moins comme masse, à la surface
du sol : mais, alors, il s'oxyde, assez profon-
dément, et devient d'un vert noir. Cependant
cette « pierre » pouvait servir comme les au-
tres. En la brisant en morceaux utilisables,
ou bien en frottant ces morceaux contre un
grès pour lui donner une forme, on constata
qu'elle aussi brillait. Et en vérité, plus que
l'or : d'un jaune rouge encore plus écla-
tant. Aussi c'est à peine si au début on la
différencia de l'or, et l'on en fît d'abord des
bijoux /gui semblaient tout aussi précieux.
Aucune idée, toujours, d'en faire une mon-
naie. On en vint seulement, comme pour l'or,
à celle de l'employer comme outil. Pas plus
tard qu'en 1901, M. G. Holland cherchait de
l'or au Katanga, et lavait, à la bâtée, le ruis-
seau Livingstone, dans la région de Kambovi.
Le voyant faire, un chef lui dit, avec appro-
bation, qu'en effet « le cuivre jaune », autre-
ment dit l'or, était plus facile à transformer
en balles de fusil que le cuivre ordinaire, dont
il y avait beaucoup . aussi. Evidemment ses
congénères avaient connu le cuivre avant l'or,
par exception, et ensuite avaient donné à cet
or le nom du métal qui leur était déjà familier.
Mais pratiquer une mine - comme pourtant
les néolithiques le faisaient déjà pour la
recherche des nodules de silex, plus faciles à
ouvrer sur place quand ils étaient « frais », -
mais faire une opération de fonte, les primitifs
n'y songèrent pas avant bien longtemps. Ils
se contentèrent des blocs qu'ils rencontraient
à l'état natif. Et quand ce bloc était trop gros,
cela ne leur faisait aucun plaisir. Us ramas-
saient d'autres « cailloux », d'une autre espèce,
mais plus petits, plus maniables, et arra-
chaient au bloc les éclats qui leur suffisaient.
Il en fut ainsi pour le fer, chez les Esqui-
maux. C'est du fer pur, météorique - et aussi
le nomment-ils « la pierre tombée du ciel ».
Petit à petit, ils l'écorniflent. De ces aérolithes
composés de fer pur, il existe au moins trois
masses énormes sur le continent arctique.
Il fallut donc des millénaires encore pour
que l'or et l'argent - dont je ne parle pas
- fussent appréciés en tant que monnaie
d'échange. Le nom même de pecunia, en latin,
le prouve : une chose valait tant de boeufs ou
de vaches, non pas tant de pièces d'or, d'ar-
gent, de cuivre. Et l'or et l'argent ont été rares
tant qu'on n'a exploité que les assez pauvres
gisements alluvionnaires d'Europe. Ce fut la
découverte des gisements d'Amérique - bien
qu'alluvionnaires aussi, eux, pour commencer
- qui bouleversa l'économie du globe, fit
monter le prix de toutes choses, enrichit les
uns, appauvrit les autres.
Le dix-neuvième et le vingtième siècle ont
été l'époque d'une nouvelle « ruée » vers l'or.
Songez donc ! De nouvelles mines en Améri-
que, exploitables par des procédés qu'on igno-
rait auparavant. Puis les gisements d'Austra-
lie. Puis la période « industrielle » du traite-
ment des minerais relativement pauvres, mais
se présentant en couches étendues, du Wit-
watersrand en Afrique du Sud. Puis, de nou-
veau, la découverte des alluvions aurifères
du Klondyke, fortune - ou déception - du
prospecteur indépendant, qui d'ailleurs bien-
tôt finit par être absorbé par des organisations
financières.
Alors une foule de belles histoires, aventu-
reuses, parfois tragiques, souvent mélancoli-
ques. Connaissez-vous celle des frères Gordon,
au Queensland (Australie), en 1873? Us avaient
acquis un peu plus de 150 hectares pour y
faire paître leurs bestiaux. Donald était un
bon paysan, dur à la peine; son frère Sandy
un ivrogne, bon à rien, qui avait de l'imagina-
tion après boire. Peut-être un Irlandais : de
sorte que nul ne croyait à ses « yarns ». Un
jour il parle, à la fonderie où il est employé,
du « grand filon de terre rouge » qu'il a vu
sur les terres de son frère. C'est un blagueur,
on ne l'écoute pas d'abord. Enfin l'on se dit :
.« On peut toujours y aller voir ! » Et c'est
vrai ! On organise un syndicat dont tous les
membres deviennent millionnaires en guinées.
Le pauvre Donald, l'éleveur de bestiaux, avait
vendu sa propriété pour 50 francs or l'hectare.
Son frère Sandy, le bon pochard, reçut
500 francs, et autant de whisky qu'il en vou-
drait jusqu'à sa mort. Il en but vraiment tant
qu'il voulut, et mourut après une crise de
delirium tremens. On y comptait bien ! Jus-
qu'à la fin de 1919 la mine du mont Morgan
a produit, en or et en cuivre, 120 millions de
dollars, dont 58 millions ont été versés aux
actionnaires.
Le pauvre Donald, l'éleveur de boeufs ? U
était mort de chagrin. Et un poète australien,
Brunton Stevens, écrivit alors la Dernière
chance : « L'espoir manqué d'un cheveu :
manqué, non, je l'ai tenu - Dans ma main.
Elle a glissé dans mes doigts, la riche terre
brune... - Espoir lumineux qui pour moi ne
brillera jamais plus. » Ce qui est le plus im-
moral, je crois, dans l'aventure, c'est que
l'honnête Donald expire, désolé, voyant ce Ilot
d'or qui lui avait échappé; tandis que cette
espèce de clochard, Sandy, son frère, s'estima
sans doute fort heureux, jusqu'à son dernier,
jour, avec son crédit illimité au -public house.
Et, aujourd'hui, nous assistons à un conflit
économique nouveau dans l'histoire : entre les
Etats qui ont de l'or, qui le gardent, l'accumu-
lent, ou s'efforcent de le faire revenir quand
il s'en va; et un Etat qui n'en a pas, affirme
pouvoir s'en passer, vivant de l'excédent de
ses exportations. Mais cela même exige qu'il
obtienne ces fameuses « devises », qui ne sont
que des « certificats » d'or; et alors, comme
le montrait ici M. Max Hermant en une page
lumineuse, qu'il puisse continuer chaque an->
née à exporter un tiers ou un quart au moins
de plus que l'année précédente, indéfiniment»
PIERRE MILLE.
ACADEMIES, UNIVERSITES. ECOLES
Académie française
La séance est tout entière consacrée au Dic-
tionnaire dont la revision est poursuivie de
agame à âgé.
Congrès des sociétés de philosophie
de langue française
Le deuxième congrès des sociétés de philosophie
de langue française s'est ouvert jeudi, à la faculté
des lettres de Lyon. Le programme de ces assises
intellectuelles comprend deux sujets : 1* l'univers,
2° Spinoza.. Le congrès a été organisé par la so-
ciété de philosophie de Lyon, sous la direction du
professeur Etienne Souriau, assisté de M. Victor
Carlhian, secrétaire du congrès, et de Mme Hen-
riette Waltz. Assistaient aux séances, en outre, de
nombreux Lyonnais, des délégués des sociétés de
philosophie de Paris, Louvain, Lausanne, Genève,
Rennes, Montpellier, Toulouse, Marseille, Dijon,
Nancy, Metz, Aix - en - Provence, Bordeaux et
Bruxelles.
En l'absence de M. Etienne Souriau, mobilisé, et
de M. Darbon, doyen de la faculté des lettres de
Bordeaux, retenu par les circonstances, la séance
d'ouverture a été présidée par M. Michel Sou-
riau, doyen de la faculté des lettres de Nancy, frère
de M. Etienne Souriau.
M. Gaston Berger a présenté une communica-
tion collective de la société d'études philoso-
phiques de Marseille sur l'idée de l'univers. Le
thème de cette communication est le suivant :
Le mot d'univers éveille, chez ceux qui l'entendent,
l'ensemble des choses existantes, tout ce que Dieu a
créé. L'idée d'univers étend au maximum l'idée de
totalité, qui ne joue à propos des mondes que d'une
manière relative. Elle comprend l'ensemble de6 mondes.
Il ne faut rien exclure a priori, même pas le non-être.
Cette totalité est-elle finie ou infinie ? Il n'est .pas évi-
dent que la question puisse recevoir une réponse de la
seule philosophie. L'idée d'univers exprime une Inter-
dépendance totale et en même temps unique, estiment
les auteurs. Ils pensent que cette idée ne peut pas
représenter une réalité qui lui correspondrait, puisqu'elle
englobe tout, alors qu'une représentation suppose une
opposition à quelque chose qui reste en dehors. Penser
l'univers n'est pas s'en former une idée; c'est éprouver
notre insertion dans l'ensemble, c'est sentir notre liât-'
son aveo le reste de l'univers.
Une seconde communication a été faite par
M. Bachelard, de Dijon, qui a traité de « Univers
et réalité ». Pour lui, l'idée d'univers dialectise
immédiatement et définitivement sa pensée objec-
tive et le met en dehors du monde. L'idée d'univers
unique, d'un tout vraiment solidaire d'un principe
homogène de l'être correspond a une totalisation
négligente, à une unification trop tôt faite, bref à
une définition non systématique d'un système.
L'univers est déjà au delà.
En troisième lieu, M. Bridoux, de Paris, a pro-
posé quelques remarques sur le hasard, et M. Mi-
chel Souriau a parlé de la précarité de l'univers.
L'auteur conclut qu'aucun raisonnement ne peut
valoir contre la commune précarité du monde et
du moi, car aucun raisonnement n'est indépen-
dant d'une représentation du sujet raisonnant dans
le monde. Quand la pensée éprouve qu'elle cesse
d'être efficace, le monde s'écroule. J1 y a autant
d'univers que de vivants. Une médiation légitime
entre les mondes ne peut se constituer que par
l'abandon de l'idée même d'univers et sa trans-
formation en un symbolisme acosmique.
Une seconde séance a été consacrée à Spinoza.
On a entendu des communications de MM. Brun-
schvicg et Bréhier, de Paris, Balthasar, de Louvain,
et Gagnebin, de Lausanne. Une assistance nom-
breuse a suivi ces exposés, qu'ont complétés plu-
sieurs discussions. Trois séances sont encore
prévues.
CONGRÈS ET RÉUNIONS
Le congrès national de la tuberculose
La dernière journée du congrès national de la
tuberculose à Lille a débuté hier par une séance
d'études, salle des conférences de l'hôpital A.-Cal-
mette, sous la présidence de M. Bezançon, de
l'Académie de médecine. Les congressistes ont
discuté la question médico-sociale. Les rappor-
teurs, MM. Courcoux et Codvelle, de Paris; Ber-
thier, Mattéi et Olmer, de Marseille, et Vaucher,
de Strasbourg, ont parlé de la prophylaxie anti-
tuberculeuse par les examens systématiques des
collectivités. Après cette séance d'études, les mem-
bres du congrès ont visité le musée de Lille.
L'après-midi s'est poursuivie la discussion de
la question médico-sociale. Puis a eu lieu, à
16 heures, la séance de clôture du congrès dans
la nouvelle salle de la faculté de médecine, sous
la présidence de M. Caries, préfet du Nord, entouré
de MM. Honnorat, ancien ministre, président du
comité national de défense contre la tuberculose;
Sergebt et Bezançon, de l'Académie de médecine;
des professeurs Rist, Leclercq, Courcoux, Fois
et Gernez.
Le professeur Rist a présenté le résumé des
travaux du congrès, puis le préfet du Nord a
remercié les personnalités et les congressistes.
Le congrès a décidé ensuite que le prochain
congrès aurait lieu en 1934 à Alger, aux fêtes
de Pâques, pour répondre à la demande du gou-
verneur de l'Algérie.
DU 15 AVRIL 1939
LES CONCERTS
CONSERVATOIRE : Festival Beethoven. >- La
musique aux Etats-Unis.
PASDELOUP : « Saisons », de M. Louis Aubert. -
« Messe brève de Requiem », de M. Albert
Wolff.
Festival international de Bade.
SOCIETE NATIONALE.
La Société des concerts ne craint pas les
contrastes. Sans transition autre que celle de
la salle du Conservatoire au grand amphi-
théâtre de la Sorbonne, elle passe allègrement
de Beethoven aux Américains de la Norman-
die, id est du dernier bateau. Eclectisme
hardi et louable qui, enjambant d'une traite
romantisme et impressionnisme, nous valut, à
peine remis d'une exécution splendide de la
Neuvième avec Mmes Branèze, Schirman,
MM. Jobin, Morturier et la magnifique chorale
d'Yvonne Gouverné, l'heureuse surprise du
Concerto pour orchestre de Walter Piston,
d'une audace toute transatlantique. Car si le
premier temps s'imprègne encore de ce fa-
meux retour à Bach dont la fureur incendiaire
d'il y a dix ans ne saurait s'éteindre sans lais-
ser traîner çà et là quelques flammèches attar-
dées, en revanche il n'y paraît plus dans les
deux suivants. Le finale surtout est d'une
liberté de pensée, d'une verve et d'une variété
rythmiques qui, ouvertes résolument sur les
« espaces vitaux » du futur, ne doivent rien de
direct à l'illustre cantor. Bref, une page de
haut intérêt.
Egalement très séduisants furent les Ame-
rican sketches de G. Converse et El Salon
Mexico d'Aaron Copland, ce dernier submergé
dans une débauche de rythme et renforcé
d'une percussion que l'auteur distribue de
façon très curieuse dans un généreux et im-
pressionnant crescendo. Plus sage mais peut-
être plus poète, Burlingham Hill, s'il nous sur-
prend moins, nous charmera sans doute da-
vantage avec ses Lilacs. tout parfumés de prin-
temps. Quant à la deuxième symphonie de
R. Thompson, c'est le travail consciencieux
d'un musicien non encore complètement
affranchi d'habitudes scolaires qui ne sau-
raient suppléer à l'originalité. Mais l'extrême
jeunesse que je lui suppose nous autorise à lui
faire crédit jusqu'à une nouvelle rencontre.
Entre temps, Ch. Munch nous révélait le
deuxième concerto de Max Dowell. Apparem-
ment écrit il y a au moins un demi-siècle, ce
concerto nous fait songer parfois à celui do
Grieg, ce qui ne saurait nous déplaire, mais
parfois aussi au Nouveau Monde de Dvorak.
Il est en son abondance mélodique d'une ingé-
nuité et d'une sincérité touchantes. Bien ins-
trumenté, la partie de clavier habilement
écrite, il fut interprété par Mlle Z. de Castro,
une jeune pianiste brésilienne, avec tant de
brillant, de précision et de grâce, que l'audi-
toire conquis par l'interprète sinon par l'oeuvre
pardonna aimablement, dans sa faculté de
sentir volontiers rétrospective, cette dissonance
qu'excuse son grand âge.
Pour clore leur saison les concerts Pasde-
.oup avaient réinscrit au programme « celles »
de Louis Aubert. Je vous ai dit en son temps
toute la beauté de ce vaste poème pour orches-
tre, choeur et solo de soprano. Destinée primi-
tivement aux fêtes de l'eau et de la lumière,
cette apothéose du feu grégeois, symbole de la
lutte perpétuelle entre l'ombre et la lumière,
de l'aspiration universelle vers la bienfaisant»
clarté, méritait, en sa subtile splendeur, ua
auditoire plus digne que les foules anonymes
et distraites de l'Exposition. Aussi est-ce avec
joie que nous voyons les Saisons s'implanter
peu à peu au répertoire des grandes associa-
tions. Hormis quelques passages qu'on eût
souhaités plus impétueux et dont le mouve-
ment, peut-être, ne correspondait qu'avec un
léger retard aux prévisions les plus extensi-
bles du compositeur, cette nouvelle exécution
fut très remarquable, avec la voix chaude, vi-
brante de Mme Maryse Vildy et la chorale
ardente et merveilleusement disciplinée de
Félix Raugel. Aussi oeuvre et interprètes
furent-ils longuement applaudis.
Egalement le concerto de Ravel, joué avec
une élégante dextérité par Mlle Valérie Hamil-
ton, et dont le public redemanda - et obtint -
le Presto final, malgré toute son impatiente
curiosité de l'oeuvre inédite qui allait suivre, à
savoir une Messe brève de Requiem d'Albert
Wolff lui-même. Au président de l'Associa-
tion Pasdeloup, lequel est en même temps,
comme vous savez, l'auteur de l'Oiseau bleu
et de la Randonnée de l'âme défunte, auteur
modeste et discret s'il en fut, on serait mal
venu à reprocher d'accaparer l'orchestre à son
profit personnel. Il suit en ce sens les tradi-
tions de désintéressement inaugurées par son i
prédécesseur Rhené-Baton, discret, lui aussi, ;
jusqu'à l'indiscrétion, se contentant de diriger
de son mieux les oeuvres des autres, qu'elles
l'amusent ou qu'elles l'ennuient, qu'elles soient
bonnes, médiocres ou pires.
Aussi quand par hasard Albert Wolff joint
à l'éloquence du geste celle du verbe pouvons-
nous être certains qu'il ne parlera pas pour ne
rien dire. Le caractère de douloureuse et sobre
gravité qui nous avait frappés dans la Ran-
donnée de l'âme défunte, bien éntendu nous le
retrouvons dans ce Requiem, mais troublé ça
et là par des sursauts de révolte. Ce n'est plus
ici l'atmosphère consolante, la divine résigna-
tion du Requiem de Fauré. Le Dies iras, qu?
d'ailleurs omet Fauré, nous montre une tout
autre conception de la mort. Cette épouvante
des « fins dernières de l'homme », cette évoca-
tion impitoyable du jugement suprême, ce?
interjections de terreur et de désespoir nous
rapprocheraient plutôt, sans toutefois ses cinq
orchestres légendaires, ses douze trombones,
ses huit paires de timbales et tous ses pa-
roxysmes de romantique exaspéré, du Requiem
moins céleste mais cordialement humain de
Berlioz. Cependant le Kyrie initial, l'Agnus
Dei, Vin Paradisum surtout sont d'émouvantes
et poétiques pages, empreintes d'une tendresse
et d'une ferveur toutes mystiques. Je ne vous
donne là, naturellement, que des impressions
forcément résumées après cette audition uni-
que. Il en faudrait plusieurs pour pénétrer
plus avant dans la connaissance d'une oeuvre
qui ne saurait livrer tous ses secrets au pre-
mier contact. En attendant, félicitons, en même
temps que l'auteur, ses excellents interprètes :
Mme Marguerite Myrtal à la voix de velours,
si expressive; Mme Inès Jouglet, très remar-
£uée dans lin Paradisum; MM, Arnoult et
ovano, et encore l'admirable chorale Raugel.
Le lendemain avait lieu la traditionnelle
séance avec le concours de la classe de danse"
du Conservatoire. C'est en vain, hélas ! qu'on
y cherchait sa très aimée et très regrettée ini-
tiatrice, Mme Chasles, prématurément disparue
peu de jours auparavant sans avoir eu sa part
d'une fête dont elle se promettait tant de joie.
Mais son souvenir planait d'un bout à l'autre
du programme, qu'il s'agit des Chansons d'Al-
sace, de Weckerlin, si gracieusement dansées
par les jeunes élèves, des Valses romantiques
de Chabrier, de la Pavane de Fauré, des Suites
anglaises d'Henri Rabaud ou de la Sarabande
de Debussy. Une assistance émue souligna de
chaleureux applaudissements sa reconnais-
sance pour un enseignement aussi efficace.
Eloigné de Paris, je n'ai pu assister aux
derniers concerts Colonne. J'y perdis, outre
la Révélation, par Reynaldo Hahn, de Maître
Pierre de Gounod, trois oeuvres inédites, ce qui
est considérable pour un seul coup si l'on
songe d'autre part à tant de semaines creuses :
un Trumpeldor, épopée lyrique de Daniel Laza-
rus en l'honneur du fameux pionnier de la
Palestine moderne; un concerto de violon
d'Eugène Bozza joué par Mme Denyse Ber-
trand, et une Sinfonia andorrana de Mlle Hen-
riette Roget. Je le regrette vivement, étant
donnée la qualité de ces compositeurs. Mais
mon ubiquité parisienne, déjà aux abois, était
compliquée cette fois d'une présence de sur-
croît en pays étranger, ce qui rendait décidé-
ment impossible toute. supercherie de répéti-
tion préalable. C'est donc, si vous voulez bien,
non du Châtelet que je vous parlerai, mais du
quatrième festival international de musique
contemporaine qui eut lieu à Bade du 30 mars
au 2 avril, sous la direction de G.-E. Lessing.
Des jeunes musiciens d'Allemagne, la ca-
ractéristique générale fait apparaître une foi
sans limites dans le style fugué. Hors de la
fugue, point de salut. J'entendis plus d'expo-
sitions, de divertissements et de strettes en ces
trois jours que dans tout un hiver de Paris.
Mais certaines de ces compositions ont une
liberté d'allure, une fantaisie et ce ie ne sais
quoi de grandiose dans le métier qui les rédime
et au delà d'un point de départ si gros de tra-
dition et de conformisme. Voici, par exemple,
le Triptychon de Hans Brehme - de Stuttgart
- sur un thème de Haendel, et Passacaille
et fligue, d'après Frescobaldi, de Karl Höller
(Francfort) qui, à base prébeethovenieenne,
n'en sont pas moins de magnifiques poèmes
pleins d'élan et d'imprévu, construits d'ailleurs
avec une supérieure habileté, et auxquels, passé
les premiers hérissements, on commencera à
s'intéresser pour finir peu à peu par s'y pas-
sionner, car leur effet dynamique et pour ainsi
dire physiologique est irrésistible.
Le petit nombre, en la confirmant, échappe
à la règle. Ainsi en est-il de Kurt Rasch (Ber-
lin) dont le concertino pour piano et orchestre
affecte la forme d'une sonate essentiellement
mélodique, voire parfois charmante comme
dans l'Andante expressivo, page tout emplie
de poésie où toutefois je regrettai que l'in-
terprète, M. Erwin Bischoff, excellent pianiste,
d'ailleurs, dans sa louable intention d'extério-
riser le thème, tranchât un peu rudement, par
des forte disparates, dans la sonorité estompée
de l'orchestre.
Parmi les « étrangers » je reconnais d'abord
un compatriote, Jean Clergue, dont la Ballade
pour violon et orchestre, récemment révélée
chez Colonne et, comme chez Colonne, admi-
rablement jouée par Mme Renée Chemet, eut
le plus vif succès; puis un compatriote d'adop-
tion, Bohuslav Martinu, qui fit grande sensa-
tion avec son beau concerto de violoncelle.
D'une difficulté à toute épreuve, cette oeuvre,
néanmoins, n'en laisse rien soupçonner sous
l'archet aisé et les chaudes sonorités de Pierre
Fournier, lequel fut appelé et réappelé par une
foule délirante.
Il y avait aussi deux Italiens : Francesco
Malipiero, le musicien, bien connu en France,
des Sept- chansons, qui présentait six commen-
taires symphoniques pour l'Hécube d'Euri-
pide : musique voilée, sensible, tout en effleu-
rements légers, sans cris et sans heurts, et j
Giovanni Salviucci, un jeune Romain disparu
avant d'avoir donné sa mesure, mais dont
l'Introduzione, Passaglia e finale contient
mieux que des promesses. Puis un Belge. J'ai
cité plusieurs fois Marcel Poot, et récemment
encore à propos de cet ardent et tumultueux
Triptyque symphonique que nous révéla Franz
André, l'éminent chef d'orchestre de Bruxel-
les, et qui n'eut pas moins de succès au Kur-
haus de Bade qu'à la salle Gaveau.
Mentionnons encore la Fantaisie sur un
chant maritime, pour piano et orchestre, du
jeune Hollandais Hans Osieck; le Capriccio,
pastorale e danza de Mikla Rozsa, de Buda-
pest, dont la fantaisie prime-sautière apporta,
au premier concert, une heureuse diversion
à l'austérité ambiante, et, de l'Uruguayen.
Eduardo Fabini, un tableau symphonique inti-
tulé Mburucuya (murmures de la forêt), for-
tement imprégné d'Albeniz en son atmosphère
nostalgique.
Toutes ces oeuvres furent dirigées par Gotth.
E. Lessing avec une maîtrise, une conscience
et un éclectisme qui lui font honneur. Nous
ne connaissons pas encore à Paris M. Lessing.
C'est dommage. Souhaitons sa prochaine ve-
nue dans l'une de nos associations. Nul doute
qu'elle n'y soit accueillie avec la plus grande
faveur.
En dehors des trois concerts d'orchestre eurent
lieu une soirée de choeurs et une matinée de
musique de chambre. Dans la première on eut
grande joie à l'audition, par la somptueuse
maîtrise de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, -
directeur Th. Rehmann - des beaux motets
d'Obrecht, Josquin des Prés, Lassus, Willaert,
musiciens de la Renaissance, suivis des très
séduisants Geusenlieder de Jef van Hoof, mu-
sicien d'aujourd'hui, et de vieilles chansons
populaires d'Arthur Meulemans. La seconde
comprenait le trio à cordes de Jean Rivier,
troisième Français du groupe, qui enchanta
l'assistance; un intéressant Konzertmusik de
Helmut Degen; des lieds de Julius Weisman
d'après Goethe et R.-M. Rilke, et le quatuor è
cordes de Wolfgang Fortner . que nous cors
naissions déjà grâce à « Triton » et que nous
retrouvâmes avec plaisir.
r A la Société nationale, notons brièvement,
joué par Mme Manchon-Theiss, le Thème et
variations où G. Sptizmuller semble évoquer;
par des moyens fort subtils, de romantiques
souvenirs, non point de jeunesse puisque, par
la grâce du Ciel, sa courbe de vie en est encore
à ce bienheureux stade, mais d'une enfance
que durent hanter profondément les voix infi-
nies de Schubert, Schumann et Chopin. Puis
cinq mélodies très expressives de Pierre Cap-
devielle d'après Baudelaire, Suarès et R.-M.
! Rilke que chanta Mme Lily Jessua avec grâce
r et sensibilité, et une aimable et limpide sona-
fine de Lazare Lévy.
Mais les minutes supérieures de ce 596" con-
cert (depuis la fondation, rassurez-vous), ce
fut le Nantais Paul Ladmirault et le Morlai-
sien Adolphe Piriou, proches voisins à plus
d'un titre, qui nous les valurent, le premier
avec ses poétiques quatuors vocaux : deux
chansons écossaises et l'air national de Ker-
bili dont il tire un fort ingénieux parti, chan-
tés délicieusement par le quatuor Seupel; le
second avec un intéressant quatuor à cordes
par l'ensemble Loewenguth, très en progrès e!;
très applaudi, où j'ai remarqué surtout la
Sarabande, conçue dans cette atmosphère de
mélancolie ingénue - et si pénétrante! - par
quoi l'on reconnaît immédiatement l'authen-
tique Breton de Bretagne.
Au 597* concert, avec orchestre de chambre,
on réentendit saçs déplaisir les spirituels pré-
ludes pour cordes d'Henry Barraud que Ch.
Munch nous avait révélés l'an dernier à la
Philharmonique, et la Création du monde, un
des feuillets, sinon les plus épais, du moins
| les plus strictement ex propriis libris du
cyclopéen catalogue darique. Puis quelques
inédits : trois pièces de Marcel Stern, bien un
peu sages pour un « divertissement » ; trois
Berceuses chantées par Georges Migot ei
Mme Hélène Bouvier, chacun, sous-entendez,
selon ses capacités respectives, sur les beaux-
poèmes de Marie Gevers ; Mots, Enfants
d'avril, O pluie...; une Kammermusik d'Hinde-
mith première manière, qui était peut-être la
bonne, d'un dynamisme coruscant; enfin,
d'Eugène Bozza, un Prélude et invention où
cette dernière aurait peut-être droit de pré-
séance, sonore, riche de rythme et avec un>i
logique dans la construction, une lucidité qui
président en général aux oeuvres de ce musi-
cien.
Je compte vous parler aussi des « Reiters
koris », des oeuvres d'Inghelbrecht et Mihalo-
vici à l'Orchestre national, des conservatoires
de Nancy et de Strasbourg, de divers récitals
et enfin du Berlioz de Guy de Pourtalès -.
mais pas aujourd'hui.
FLORENT SCHMITT.
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