Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1935-05-04
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 04 mai 1935 04 mai 1935
Description : 1935/05/04 (Numéro 26907). 1935/05/04 (Numéro 26907).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
3» ^ LE TEMPS. i mai 1935
3. T LE TEMPS. r_ 4 mai 1935
A. côté de l'Histoire
NAPOLEON AGENT MATRIMONIAL
On sait que Napoléon I". a été hanté, toute
sa vie, par le désir de rallier à lui le faubourg
Saint-Germain : « Il n'y a décidément que les
nobles pour savoir servir », avait-il dit un
jour que M. de Narbonne, en campagne, lui
avait présenté une dépêche sur le revers de
son chapeau.
Dès le Consulat, il avait fait des avances aux
vieilles familles royalistes, autant par goût que
par esprit politique. Une fois sur le trône, il
se fortifia dans ces dispositions : la proclama-
tion de l'Empire, puis le mariage avec Marie-
Louise amenèrent, du reste, des changements
dans les idées des monarchistes les plus intran-
sigeants, et beaucoup n'attendirent qu'un pré-
texte pour se rallier. Les haines s'adoucirent
dans les salons, on hésita à bouder plus long-
temps un gouvernement qui avait au moins
ramené l'ordre et ravivé la confiance.
Satisfait de ces premiers résultats, mais rê-
vant mieux encore et redoutant toujours l'op-
position sourde de la faction royaliste, Napo-
éon chercha, d'une part, à opérer une fusion
véritable entre l'ancienne France et la nouvelle,
en amalgamant plus étroitement la noblesse
qu'il avait créée à celle qu'avaient faite les rois
et" les siècles. Il songea, d'autre part, qu'il y
avait,, répandues par tout l'Empire, de multi-
ples héritières pourvues de grosses dois, d'ori-
gine bourgeoise et même plébéienne, qui con-
viendraient parfaitement aux brillants officiers,
aux fringants maîtres des requêtes ou aux di-
ligents préfats qu'il avait nommés et anoblis.
L'entreprise n'était pas pour lui déplaire. On
sait qu'il était très marieur : il avait imposé
Leclerc à Pauline et son frère Louis à Hor-
tense, il avait presque forcé Talleyrand à épou-
ser Mme Grant et avait uni Berthier à une
princesse de Bavière; il avait dit à Fanny de
Dillon qui ne voulait pas de Bertrand : « Je
pars pour Erfurth dans huit jours. Il faut
être mariée alors. » C'était une forme de des-
potisme qui lui agréait assez, et, quand il s'y
mêla de la politique, qui l'enchanta.
S'en ouvrit-il le premier à Rovigo ou est-ce
ce dernier qui alla au-devant des désirs de
l'empereur? En tout cas, c'est entre eux qu'ils
arrangèrent toute cette affaire qui devait rece-
voir le»'nom de « conscription des filles » et
donner lieu à des scènes comiques - ou tragi-
ques, comme l'on voudra. Taine, dans ses Ori-
gines de la France contemporaine, y avait déjà
fait allusion. M. Louis Madelin, dans son der-
nier ouvrage la Contre-révolution sous la Ré-
volution (Pion, éditeur), où il brosse un remar-
quable tableau de la persistance de l'esprit
monarchique sous la Révolution et l'Empire,
vient d'y revenir. Il a fourni de nombreux dé-
tails sur cette entreprise incroyable, mais n'a
pu les donner tous, le cadre de son livre ne s'y
prêtant pas.
En les complétant, on s'aperçoit comment le
projet napoléonien fut mis à exécution. Il était
apparu à Rovigo, ainsi qu'à son maître, nous
l'avons dit, comme un moyen de « réserver »
dé riches héritières, bourgeoises ou nobles, à
tous les serviteurs du régime, et c'est dans ce
sens que le ministre de la police générale
envoya, en 1811, une circulaire à tous les pré-
fets, lesquels durent être légèrement ahuris de
se voir transformés en agents matrimoniaux.
Il leur était enjoint de fournir immédiatement
la liste des demoiselles à marier de leur dé-
partement, accompagnée de détails sur leur
physique, leur moral, « leurs .talents acquis et
leurs agréments naturels », et, surtout, leur
fortune, afin qu'on pût les classer par caté-
gories.
Tous les préfets répondirent-ils? Il faut
Croire que non puisque Rovigo dut, trois mois
plus tard, leur envoyer une circulaire plus
impérative. Néanmoins quelques-uns s'exécu-
tèrent. Nous avons leurs réponses, et celles-ci
sont parfois fort piquantes. C'est un album que
l'on peut feuilleter de jeunes demoiselles du
temps de Mme Campan, aux .robes pincées,
aux courtes manches bouffantes, aux ?visages j
encadrés de longues boucles de cheveux, dont
on entrevoit la silhouette derrière les lignes des
rapports officiels.
Voici le préfet du Cher qui nous apprend
que la plus riche héritière de Bourges est Mlle
Delavienne. Elle a seize à dix-huit ans, fille
unique, et 40,000 livres de rentes. « Tournure
et figure agréables, taille moyenne, éducation
distinguée sous tous les rapports. » M. Gassot
Delavienne, son père, était officier aux gardes
françaises; sa mère, née Migieux, est d'une
bonne famille de Bourgogne. « L'on s'occupe
en ce moment de son établissement, mais l'on
n'a pas pu savoir avec qui l'on a entamé à ce
sujet des négociations. » Et le préfet s'étend
avec complaisance sur la fortune des parents.
Nous apprenons qu'ils ont à Paris un hôtel,
90, rue des Mathurins, qu'ils ont payé 100,000
francs, qu'ils possèdent des bois dans le dé-
partement qui leur rapportent plus de 18,000
francs, qu'ils ont des terres près de Dijon;
enfin « on croit que M. Delavienne a un porte-
feuille considérable, ayant toujours vécu avec
ordre et géré ses biens avec économie ».
Voici le préfet de la Drôme qui signale au
duc de Rovigo Mlle Blanche dé Bellegarde,
âgée de vingt-quatre ans et dotée de 300,000
francs. Ses parents sont morts. Et le préfet
ajoute : « d'une figure agréable, de l'usage et
de l'esprit ».
Voici, dans la Haute-Garonne, Mlle Nogarède
Babut, âgée de dix-neuf ans, fille d'un capi-
taine d'infanterie qui la dote de 150,000 francs;
tandis que dans la Haute-Vienne Mlle Monte-
not-Duchatard, âgée de seize ans et demi, est
grande et bien faite. Elle a reçu une éducation
Soignée.Son père, ancien noble, a 800,000francs
de biens; elle aura 300,000 francs de dot et
des « espérances ».
Veut-on de grands noms? La fille du duc de
Conegliano, âgée de dix-huit ans, a un physi-
que agréable, « des talents » et 100,000 livres
de dot. Mlle de Choiseul-Praslin, âgée de qua-
torze ans, fille du sénateur, a 100,000 livres de
rentes. « Son éducation est surveillée par son
frère, le chambellan; on en dit beaucoup de
bien. » Mlle Délia Cisterna, à Turin, fille du
prince, âgée de dix-sept ans, « est fort agréa-
bles » et a 80,000 livres de Rentes. 1
Le préfet du Gard signale la propre fille du
président de la cour d'appel de Nîmes, Mlle
Maynaud, âgée de dix-huit ans et bien élevée.
« Son père a plus de 70,000 livres de rentes. »
Il y a encore, à Nantes, Mlle Chevigny qui est
fort jolie et a reçu une éducation soignée; dans
le département du Pô, Mlle Alfiéri, fille du
maître des cérémonies, « d'une tournure agréa-
ble et bien élevée », qui a 600,000 livres de dot;
à Limoges, Mlle Jouglars, « belle personne
ayant des talents et 25,000 livres de rentes » ; à
Bordeaux, Mlle de Saint-Emillion, âgée de;dix-
huit ans, dont le père a 900,000 francs de biens.
Il y a même une veuve dans le département
de l'Oise, Mme de Courvoisier, âgée de dix-
huit ans, demeurée seule au bout de six mois
de mariage et qui possède 80,000 livres de ren-
tes.
Nous en passons, et des plus belles et des
plus riches...
L'échantillonnage paraît complet, et Rovigo
put présenter à l'empereur une liste éclatante
de fiancées possibles à « réserver » pour les
tenants du régime.
Ceci paraît déjà un peu fort, mais voici qui
fut plus extraordinaire encore. Vers 1810, la
ville de Lyon comptait- parmi les jeunes filles
à marier un des plus riches partis dans la per-
sonne de Pierrette Delglat. Pille unique, en
possession d'une belle fortune, « accorte et
charmante », elle était visée, comme on pense,
par tous les coureurs de dot et par toutes les
familles ayant un rejeton mâle à caser.
;Un ami de ses parents, le comte de Beuf-
nônville, sénateur, s'était mis en tête, de lui
trouver un mari, « titré autant que ^possible »,*.'
demandait-on. Il avait jeté son dévolu sur un
gentilhomme d'âge mûr, M. de Durfort, lequel
avait paru fort séduit et avait fait la conquête
de M. et Mme Delglat. Les choses avaient donc
l'air de s'arranger de la plus bourgeoise et de
la plus banale façon lorsque, au début de 1811,
le sénateur reçut du duc de Rovigo, ministre
de la police générale, la lettre suivante écrite
dans le plus pur charabia administratif et qui
dut l'ahurir :
« J'ai reçu, monsieur le comte, disait cet im-
portant personnage, la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire, par laquelle vous me
préveniez de l'intention que vous avez d'unir
M. de Durfort à Mlle Delglat, riche héritière
de Lyon.
» Sans doute, dans un temps ordinaire et
plus éloigné des troubles politiques dont nous
sortons, cette union ne souffrirait aucune diffi-
culté; mais vous, monsieur le co.mte, qui avez
traversé tous les événements de notre Révolu-
tion, vous concevez aisément l'intérêt que je
prends comme ' ministre à. l'alliance de Mlle
Delglat à M. de Durfort. Si la jeune personne
était ingénue ou avait connu M. de Durfort,
cela pourrait lui être favorable. Mais, outre
que ce n'est qu'un arrangement entre les pa-
rents qui n'ont point consulté la disproportion
d'âge et l'importance qu'on pouvait y attacher,
il. y a encore une autre considération plus
grande que celle-ci : M. de Durfort, très esti-
mable, sans doute, et issu d'une famille dis-
tinguée dans notre, histoire, était susceptible,
sous.la dernière dynastie, de s'allier à tous les
grands partis de France. Ces temps-là sont
changés. La dynastie que nous servons a ses
créatures et ses familles à former, et il n'y a
plus en France aujourd'hui assez de partis de
l'importance de celui de Mlle Delglat pour
qu'on ne les réserve pas pour les serviteurs de
l'empereur. La famille de Durfort a besoin de
donner à la dynastie nouvelle les mêmes ga-
ges que les nouvelles familles qu'elle a créées,
et la souche de ce nom est plutôt, sous ce rap-
port, dans le jeune Durfort qui est au service
que dans celui qui ne peut plus y entrer.
» D'après ce principe, vous concevez, mon-
sieur le comte, le motif qui m'a déterminé à
réitérer à M. le préfet du Rhône l'ordre de ne
laisser contracter aucun acte qui lierait Mlle
Delglat et sa fortune, et ce sera un service à
fendre à M. de Durfort que de l'engager à re-
noncer de bonne grâce à ce mariage. »
De bonne grâce est, à lui seul, tout un
poème. Cette lettre était un ordre du ministre
de la police, et, plus haut, de l'empereur : le
comte de Beurnonville ne s'y trompa point, ni.
l'infortuné M. de Durfort, ni les parents de
Mlle Delglat. Peu de temps après, du reste, le
préfet du Rhone, M. Taillepied de Bondy, fai-
sait connaître à ces derniers le nom du pré-
tendant qu'on avait, en haut lieu, réservé à leur
fille. C'était un jeune capitaine de vingt-cinq
ans, d'origine corse, officier d'ordonnance de
Sa Majesté, Laurent-Francois-Marie de Mar-
beuf, baron de l'Empire, et qu'il fallait épou-
ser sans tarder. Le mariage se fit, en effet,
tambour battant, mais l'année suivante la ba-
ronne de Marbeuf était veuvè, son mari ayant
été tué en Pologne!
Telle était la « conscription des filles » ima-
ginée par Napoléon et réalisée par les préfets
sous l'oeil de Rovigo. On imagine aisément que
le procédé ne plaisait pas à tout le monde.
M. Louis Madelin nous dit qu'un Aligre esquiva
pour son enfant un des serviteurs impériaux
en la mariant brusquement à un Pomereu. Un
Croy, secrètement averti par le préfet de son
département qu'on allait bientôt « réserver »
sa fille, l'unit sans tarder à un petit cousin. Un
gentilhomme convié, par le baron Dupin, pré-
fet des Deux-Sèvres, à donner la sienne, aurait
répondu : « Vous nous avez tout pris, Vous
voudriez encore nous prendre l'honneur; f...*
nous la paix. » C'est bien le mot de la fin qui
convient à cette histoire.
JULES. BERTAUT.
NOUVELLES DU JOUR
Au comité interministériel
de l'économie nationale
Le comité interministériel de l'économie natio-
nalë s'est réuni, hier après-midi, sous la prési-
dence de M. P.-E. Flandin. Y assistaient : MM. Ger-
main-Martin, ministre des finances; Marcel Ré-
gnier, ministre de l'intérieur; Henri Roy, ministre
des travaux publics; Paul Marchandeau, ministre
du commerce; Louis Rollin, ministre des colonies;
Jacquier, ministre du travail; Cassez, ministre de
l'agriculture; William Bertrand, ministre de la
marine marchande, et M. Coulondre, ministre plé-
nipotentiaire, représentant M, Pierre Laval, mi-
nistre des affaires étrangères.
Le comité a procédé à un premier examen des
principes et des mesures appliqués en matière de
politique commerciale avec l'étranger et a décidé
de poursuivre, dans une prochaine séance, l'étude
des contingentements des produits importés en
France.
M. Herriot à Lyon
r ;M. Edouard Herriot, présidant une réunion po-
litique, a Lyon, dans le quartier des Brotteaux, a
été amené à faire ^ déclarations suivantes rela-
tivement à la défense passive :
Maire d'une grande ville, mon-devoir me commande
de protéger !a population contre les attaques aériennes.
Une expérience devait avoir lieu aux abattoirs de Ja
Mouche. J'ai transmis cet ordre à mon personnel muni-
cipal dont une partie crut bon de ne pas obéir. J'ai puni,
ainsi que le commandait mon devoir. Mais je suie bien
obligé de constater que ceux qui ont ordonné la résis-
tance à mes ordres sont restés prudemment dans l'ombre
alors qu'ils laissaient frapper les humbles.
A ce propos, je ne puis m'empêcher de constater que
c'est la dernière des sottises que de prétendre qu'un
maire qui Veille à la sécurité de ses concitoyens tra-
vaille à préparer la guerre. La défense passive? Mais je
dis aux communstes présents dans cette salle qu'elle est
beaucoup plus poussée en Russie que chez nous. Bn
Russie ,on s'étonne que nous ne nous y arrêtions pas
davantage.
Le ministre d'Etat a déclaré ensuite. :
La démocratie ne sera vraiment organisée que
lorsqu'elle aura la science pour méthode et la morale
pour but. Pour ma part, je voudrais aider Je peuple à
marcher sur le6 voies de l'intelligence. J'ai toujours
placé au premier rang de mes préoccupations l'ins-
truction des enfants du peuple. Pour elle je n'ai rien
négligé.
.M. Herriot a dit aussi :
L'école unique est embrayée; maintenant on ne l'ar-
rêtera plue. Voyez-vous, pour fonder une démocratie,
rien ne vaut que de lui donner un système d'instruction
tel que l'enfant paresseux, soit éliminé de l'école au
bénéfice du laborieux, sans égard pour les conditions
de fortune.
> r'- tAu ministère'.'de l'intérieur
M. Marcel Régnier, ministre de l'intérieur» a
reçu, hier. Une délégation du comité pour l'érec-
tion d'un monument au général Marchand. Les dé-
légués ont demandé au ministre d'autoriser à ce
sujet une « journée » dans les cent quarante-cinq
communes de France où la ligue coloniale pos-
sède des : sections. Le ministre a accordé l'autori-
sation demandée pour le 30 juin.
,M. Marcel Régnier a reçu également une déléga-
tion de la chambre syndicale des hôteliers, accom-
pagnée par MM. Fiancette et Martinaud-Déplat,
députés, qui lui a soumis un certain nombre de
suggestions relatives à la législation intéressant
l'industrie hôtelière.
Le ministre de l'intérieur a promis d'examiner
avec bienveillance les doléances qui lui ont été
exprimées.
L'Exposition de 1937
M. Gabriel Amand, officier de la Légion d'hon-
neur, Croix de guerre, membre du comité français
des expositions, est nommé secrétaire général de
l'Exposition internationale de Paris 1937, en rem-
placement de M. Ettori appelé à d'autres fonc-
tions.
Un discours de M. Lémery à Gournay
A Gournay-en-Bray a eu lieu une réunion or-
ganisée par les élus de la Seine-Inférieure appar-
tenant à l'Alliance démocratique. Près de mille
électeurs étaient présents. M. Thoumyre, sénateur,
ancien ministre, présidait, assisté de MM. La-
voinne et Veyssière, sénateurs; Thureau-Dangin,
député, des élus de la municipalité de Gournay
et des municipalités environnantes.
M. Henry Lémery, sénateur, ancien ministre,
spécialement invité, a prononcé un discours au
début duquel il s'est étonné de la « relative indif-
férence » dont semble faire preuve le corps élec-
toral à la veille dë la consultation du 5 mai alors
que jamais peut-être la situation intérieure et
extérieure de notre pays n'a donné plus de sujets
d'inquiétude.
Il y a quinz'e mois pourtant a poursuivi M. Lémery,
la France avait eu un ' splendide sursaut, mais son
attente d'une réforme profonde des choses et des
hommes a été trompée. C'est pourquoi le décourage^
men s'empare peu à peu des meilleurs éléments.
Eh .bien, non, nous ne souscrirons jamais à ce tra-
gique renoncement.
. L'ancien gardé dés sceaux a ensuite souligné
avec force le péril extérieur. .
> / L'attitude de l'Allemagne, a-t-il dit, est do plus en
plus inquiétante. Le sentiment d'insécurité créé par
elle se répand en Europe. Chacun se rend compte dé-
sormais qu'il faut prendre des précautions positives.
L'Angleterre si longtemps obstinée dans son obnubila-
tion systématique, se rend compte de son erreur.
Aucun Français de bonne foi ne pourra plus admettre
que nous ne tenions pas notre partie «- la principale -
dans Ce concert dé vigilances et de résolutions.
L'âme nationale a repris conscience d'elle-même de-
vant le péril extérieur. Elle ne s'endormira plus.
Après s'être élevé avec indignation contre les
agents de la propagande antimilitariste, M. Lé-
mery a traité ae la situation financière, qu'il tient
pour grave et a plaidé pour de sérieuses écono-
mies budgétaires.
Dans sa conclusion l'ancien ministre a insisté
sur la nécessité d'un regroupement des forces na-
tionales. Il a demandé que les radicaux prennent
à cet égard une position nette, car demain, « il
faudra opter entre la patrie et la révolution, en-
tre la France et l'antiFrance » et dès lors l'union
deviendra possible, car « elle aura m sens, une
raison, un centre ».
LES ELECTIONS MUNICIPALES
' f V- - " . . ' .- ?
Une réunion de M. Jean Chiappe
M. Jean Chiappe avait convié ses électeurs à
venir l'entendre, salle Bullier, exposer son pro-
gramme. Ce fut une ruée que le service d'ordre
canalisa et répartit avec un art auquel il convient
de rendre hommage. Bien avant l'ouverture des
portes, les hauteurs de Montparnasse s'animaient
d'ombres, de mouvements et de rumeurs. Cette
réunion, en effet, débordait les dimensions habi-
tuelles d'une éleotion municipale. La personnalité
de Jean Chiappe, son magnifique passé de fonction-
nàire loyal, son rôle apaisant dans les heures
sombres faisaient de lui, aux yeux de cette foule
impatiente, « plutôt qu'un candidat* un chef, un
guide et un espoir ».
Aussi dans ce coin du quartier latin, celui où la
jeunesse jadis venait chercher le plaisir,, les pre-
miers flots d'électeurs roulaient gravement autour
des panneaux électoraux, presque sans bruit. Quand
les premières lumières jaillirent de la salle Bul-
lier, ils s'engouffrèrent avec une discipline de
bon augure, dans les passages jalonnés par
d'agiles et entreprenants jeunes gens. La salle sou-
dainement bondéo s'emplit de murmures où la
curiosité des uns pour la figure populaire de Jean
Chiappe n'est pas moins vive que l'amitié des
autres.
A neuf heures précises, M. Jean Chiappe, en-
touré de quelques amis, apparut sur l'estrade au
milieu d'une formidable ovation. Cet homme est
étonnant. Il est petit, et c'est cependant lui qu'on
apecoit le premier dans une foule. Il supplée aux'
inconvénients de sa taille par une activité, une
mobilité, une sorte de don d'ubiquité qui font
que derrière ses contemporains les mieux char-
pentés, on devine qu'il se déroule quelque chose
d'exceptionnel, un spectacle qu'il ne faut pas man-
quer, un beau combat où l'intelligence et l'action
mettent en déroute ces vilains tours que joue sou-
vent à ses enfants les mieux doués une nature
malicieuse ou perfide. Derrière Jean Chiappe, ar-
rive le colonel Fabry, le pas raidi par ses blessu-
res de guerre. Sa droiture, sa loyauté, ont fait de
lui une sorte de paladin. C'est un soldat. M. Dé-
siré Ferry, souriant, aimable, empressé; le suit
accompagné de M. Horace de Carbuccia, député de
la; Gôrse, et gendre 'de Jean Chiappe. Il a des airs
nonchalants, avec un vague sourire sur ses lèvres,
qui doit trahir des impressions cocasses qu'il
garde jalousement pour lui.
Lorsque les applaudissements de l'auditoire que
l'on peut évaluer à 7,000 ou 8,000 personnes, se fu-
rent- éteints , M. Jarlot commissaire du comité
électoral, présente le candidat Jean Chiappe aux
électeurs. Puis, le colonel Fabry prend la parole.
En quelques phrases courtes, jetées d'une voix
rude, il retraça le beau passé de l'homme qui bri-
guait la succession du colonel Ferrandi. Et enfin,
Jeau Chiappe parla.
Pendant deux heures, il remua l'assistance, pas-
sionna son auditoire, fit de l'histoire, évoqua ses
souvenirs, ses origines, retraça en larges touches
lumineuses, sans ombres ni arrière plan un des-
tin déjà beau, que la calomnie et la haine n'avaient
pas épargné. La foule vibrait, tour à tour émue,
ravië, indignée. Jamais, elle n'était lasse. Jèan
Chiappe a des dons oratoires exceptionnels inat-
tendus qui échappent à toute règle. Il bouscule
l'échiquier parce que lui ne pousse pas les pions.
Il les cloue, là où ils sont avec une éloquence ima-
gée, vive, sarcastique, entraînante, dont on peut
déjà-mesurer les effets quand elle affrontera les
débats municipaux. Cette splendide coulée de mots
jaillissants, d'anathèmes mêlés de mépris et d'al-
lègres férocité, de trouvailles éclatantes, d'épithètés
mortelles, respirait la santé, la solidité, je ne
sais quel parfum grisant et vif comme un vin de
terroir. Ses formules ingénieuses, jetées dans une
bonne humeur communicatitve, atténuaient la
cruauté du trait. Ses adversaires passèrent quel-
Sues mauvais moments, mais le public dut à Jean
hiappe d'en passer quelques bons.
Toute cette partie du discours fut hachée d'ap-
plaudissements. Quand il exposa son programme,
la fièvre n'était pas tombée. Pour la première fois
un candidat, faisait figurer dans ses promesses
électorales : 1° Un système fiscal spécial pour
Paris; 2° la restauration du prestige de l'armée;
3" la participation des artistes et de l'artisanat
par quartiers à l'Exposition de 1937.
Tout à l'heure, en parlant de son étrange pro-
motion comme gouverneur général au Maroc, il
avait dit « on voulait m'expulser par en haut ».
Quelle leçon il donnait en offrant l'exemple de
ce qu'on peut faire pour un quartier de Paris,
quand on a refusé le premier proconsulat de la
République. Jean Chiappe ayant tracé l'histori-
que du statut administratif spécial qui régit Pa-
ris, conclut en effet avec logique que les raisons
qui ont distingué la capitale au point de vue ad-
ministratif, ne sont pas moins impérieuses dans
le domaine fiscal.
L'assistance l'acclame une nouvelle fois.
Puis ce fut la péroraison où l'orateur - qui ne
veut réserver de son passé, pour se présenter
dans le quartier de Notre-Dame-des-Champs, que
son titre d'ancien préfet de police- se résume dans
un appel émouvant à l'électeur pour la défense de
Paris et la protection du pays. La foule debout lui
fait une longue ovation. Le colonel Fabry lut un
ordre du jour qui fut voté à l'unanimité. La Mar-
seillaise éclaté, chantée par sept mille voix. Jean
Chiappe venait de remporter une grande victoire.
GEORGES SUAREZ.
BOUCHES-DU-RHONE. - A Marseille, pour les
élections municipales, la ville est divisée en cinq
sections. Dams chacune d'elles, les listes suivantes
présentent leurs candidats :
1° Liste S. F. I. 0., ayant à sa tête, M. Henri
Tasso, député, président de la commission de la
marine marchande et comprenant notamment les
députés Raymond Vidal, Ambrosini et l'ex-député
Remy Roux;
2° Une liste d'union républicaine, ayant à sa
tête M. Eugène Pierre, député, ancien maire, Fé-
dération républicaine et comprenant entre autres
M. Joseph Vidal, député, U. R. D.; Marcel Gand,
conseiller général;
3° Liste sortante Ribot-Sabiani, comprenant le
docteur Ribot, maire radical socialiste; M. Sa-
biani, premier adjoint, conseiller général, député
socialiste-communiste;
4° La liste communiste;
5" La liste modérée de M. Bontona, conseiller
municipal sortant, à laquelle nulle chance de suc-
cès n'est attribuée;
6° Quelques candidatures sans importance.
Il est à remarquer que les radicaux socialistes,
comme toujours à Marseille, ne suivent pas une
ligne de conduite arrêtée. Leurs membres, candi-
dats à l'élection, ont donné, les uns leur concours
à la liste Ribot-Sabiani, les autres à la liste Eu-
gène Pierre.
La lutte sera entre la liste sortante, la liste
modérée Eugène Pierre et celle des S. F. I. O.
A Aix-en-Provence, quatre listes sont en 'pré-
sence :
1" Celle de M. Louis Coirard, maire sortant,
démocrate populaire;
2° Ml Louis Peytral, trésorier payeur général
en retraite, cartel;
3° M. Bertrand, ancien maire, modéré;
4" Liste communiste.
La liste Coirard doit arriver en tête, mais il y
aura ballottage.
A Aubagne, quatre listes en présence :
1" Liste sortante de concentration républicaine
avec, comme tête de liste, M. Marius Boyer, dé-
puté, maire sortant;
2° Liste S. F. I. 0. de M. Espanet, commis des
postes en retraite;
3° Liste modérée dont la composition n'est pas
terminée;
4° Liste communiste.
A Arles, 4 listes:
1" Liste sortante avec son maire M. Sixte Que-
nin, député S. F. I. 0.;
2° Liste radicale socialiste, Crouanson;
3" Liste du parti démocrate populaire (incom-
plète);
4° Liste communiste.
MANCHE. - A Cherbourg, une liste de concen-
tration républicaine groupant des radicaux so-
cialistes, des centristes, des démocrates populai-
res s'opposera à une liste socialiste sur laquèlle
figurent quelques républicains socialistes. Une
liste communiste sollicite également lés suffrages
des électeurs.
De plus, un ancien membre du parti socialiste
S.F.I.O., exclu depuis deux ans, a formé une liste
partielle, sans étiquette politique.
C'est la première fois, depuis 35 ans, que les
radicaux socialistes refusent de s'allier aux so-
cialistes S.F.I.O. et réalisent un accord avec les
républicains modérés.
M. Cabart-Danneville, sénateur de là Manche
(U. R.), conseiller sortant, se présente avec ses amis
sur la liste de concentration républicaine.
Conseiller municipal blessé dans une réunion
Au cours d'une réunion électorale tenue au
préau de l'école, 42, rue Pouchet, par M. Copi-
gneaux, conseiller municipal sortant du quartier
des Epinettes, celui-ci, au cours d'une bagarre,
dans la salle de réunion même, a été frappé à coups
de pied et de poing par des adversaires politiques.
M. Copigneaux a dû être reconduit à son domicile
par des amis. Un autre candidat, M. Bécuve, qui
assistait. à la réunion, a été lui-même frappé.
Transporté à l'hôpital Bicbat, où il a été pansé, il
a pu regagner son domicile. Les « polices-secours »
des 17" et 18° arrondissements, alertées, sont inter-
venues pour dégager les abords de la salle.
Le Décor de la vie
Àïï SALON DES ARTISTES FRANÇAIS
Du point de vue de l'urbanisme et de l'archi-
tecture, le Salon des Artistes français manifeste
une heureuse prédilection pour l'archéologie et
le régionalisme. Je dis bien heureuse, sans crainte
d'être accusé d'esprit rétrospectif; car cette dou-
ble tendance qui, en vérité, .est la double face
d'une même idée et comme l'avers et le revers
d'une médaille, reflète, par lg, manière dont elle
est abordée par ses adeptes, une manière de con-
sidérer toutes choses sous l'aspect de la vie. Je
ne puis me défendre d'un sentiment d'admiration
quand je vois des artistes, dans le brouhaha et
la bousculade contemporains, consacrer plu-
sieurs mois, plusieurs années à chercher par
exemple l'état probable d'un ensemble comme
celui de Karnak à l'époque d'Aménophis III. II
y a là une survivance de l'esprit qui animait les
anciennes corporations, qui est le propre de l'ar-
tisanat et qui est fort capable de sauver un
monde pourri par la machine et la mauvaise po-
litique.
Ce qui me plaît par-dessus tout dans ces rele-
vés minutieux, c'est que leurs auteurs semblent
avoir assez heureusement subi l'influence de la
peinture contemporaine. Il y a en eux plus de
goût pour la couleur et la présentation. Enfin, les
auteurs de ces investigations sur le passé s'effor-
cent de nous faire percevoir, non parfois sans
malice, ce qu'il y a de permanent dans des ou-
vrages anciens, autrement dit, pour employer un
terme du pathos actuel, le « modernisme » de
conceptions dont quelques-unes remontent à plu-
sieurs siècles^ avant notre ère.
Je crois par là même avoir indiqué les affinités
du régionalisme et de l'archéologie ainsi com-
prise. Car si le régionalisme entend se relier au
passé, ce n'est point pour le copier, mais pour
l'adapter à la vie contemporaine, ayant opéré
un tri préalable entre les éléments devenus
inutiles et ceux que le climat, le paysage, les
coutumes locales, les matériaux accessibles
conseillent de garder, Je ne m'appesantirai pas
davantage sur cette question que j'ai souvent
traitée ici même il y a quelque vingt ans, dès
qu'il_ s'est agi de reconstruire les provinces dé-
vastées. Nul doute que le centre régional de
l'Exposition de 1937, s'il n'est pas abandonné à
la démagogie, mais dirigé avec fermeté et unité,
n'ait une répercussion immense sur les aspects
futurs de notre pays. Ce sera l'occasion, pour
nous, de surveiller l'évolution du régionalisme,'
évolution absolument nécessaire, qu'il s'agisse
des modes de construire, du mobilier, du costume,
de la gastronomie, de la musique, de la danse, si!
l'on veut que le régionalisme ne meure pas du
« régionalisme », c'est-à-dire de la cristallisation
de l'esprit provincial. x . 7
On verra au Salon des Artistes français beau-
coup d'études capables de renseigner ceux qui ont
charge de mener à bien « le centre régional » de
1937. La maison de retraite pour les artistes, que
M. Bardet situe avec esprit en Provence; uûe
maison de ce genre que M. Lemaire situe éga-
lement en Provence. Ce dernier projet reflété un
sentiment très fin de l'architecture toscane, telle
qu'on l'aimait en 1830, à l'époque où l'on cons-
truisait ce chef-d'oeuvre qu'est l'hospice des
aliénés de Charenton. Le collège franco-britan-
nique que MM. Martin et Maurice Vieu Construi-
sent à la Cité universitaire de Paris serait fort
bien à sa place à Oxford ou à.Cambridge; et par
là même il relève du régionalisme, avec ses pi-
gnons pointus, ses murailles de briques rouges
sur lesquelles tranchent les encadrements de fe-
nêtres peintes en blanc. Malheureusement, il
est à Paris, en Ile-de-France, et renouvelle une
erreur commise à la Cité universitaire de Paris
où, sous couleur de rappeler aux étudiants étran-
gers, par le style de leurs diverses maisons, leur
pays d'origine, on a édifié une manière de « rue
des Nations » hétéroclite, de l'effet le plus discor-
dant, encore que chaque édifice considéré en soi
révèle un talent certain.
M. Jean Jouvenet médite une plaza de toros,
bâtie sur .plan circulaire, aux murs sang de boeuf,
dans une ancienne colonie espagnole, il ne diti
pas laquelle, où les arènes répondent à la passion
as tout un peuple pour la tauromachie.
La Suisse a toujours aimé, jusque dans son
unité politique et peut-être même à cause d'elle,
la variété monumentale qui manifeste aux yeux
de ses habitants, en même temps qu'une parfaite
accommodation aux conditions physiques, l'indé-
pendance de chacun de ses cantons. A ceux qui
affectent de craindre, en France, la répercussion
politique du régionalisme sur l'unité du pays, je
conseille de considérer l'exemple de la Suisse, qui .
a toujours su trouver un équilibre plein de tact
et de goût entre la tendance fédérale et cantonale.
L'église que M. Genoud relie à son presbytère par
un portique témoigne avec bonheur d'un parti-
cularisme local s'intégrant à une discipline plus
générale. De nombreuses aquarelles enlevées pres-
tement au cours d'un voyage accompli avec une
bourse... de voyage, la reconstitution conscien-
cieuse du château de la Motte-Josserand, près de
Cosnes, qui date du quinzième siècle et s'adosse
aux remparts de la ville, une hôtellerie solide-
ment implantée sur les rochers du cap Fréhel, en
Bretagne, montrent l'attention désormais portée
FEUILLETON DU §£8!p£
DU 4 MAI 1935
LES CONCERTS
dès le berceau sur la plus saine des voies,
a Pourvou que cela doure », n'eût pas manqué
de souligner l'inquiète Laetitia. En attendant
reconnaissons que leurs efforts ne furent pas
vains et que dans cette débonnaire Belle au
bois dormant, une des plus fraîches, des plus
pittoresques inspirations de l'auteur de la Pie
borgne, la Benjamine fut à sa grande soeur
Amicitia d'une aide précieuse. De temps à au-
tre se détachaient les vibrants soli de Mme
Doniau-Blanc, cantatrice à la voix pure, ar-
gentée : pouvait-il en être autrement pour cette
princesse dûment reposée par un siècle de
sommeil ?...
La présence des chorales Amicitia et Benja-
mine nous valut également d'entendre - et
d'applaudir - une oeuvrette où Henri Barraud
semble vouloir se défendre de toute intention
d'héroïsme, spécialité dans laquelle, depuis son
beau Poème de l'an dernier, une classification
étroite et maniaque le confinerait volontiers.
Qui peut le plus ne peut pas toujours le moins.
Mais ce n'est pas le cas d'Henri Barraud. Il
nous le prouve avec sa charmante Chanson
villageoise, très réussie dans ce style ingénieu-
sement populaire adapté de son folklore per-
sonnel, et plus encore avec la Ronde des petites
filles vaniteuses, où il imagine trois jeunes
pécores en mal d'Utopie, qui ne consentiront à
épouser qu'un colonel, un président du con-
seil ou un fils de roi, et. qui, descendant peu à
peu les échelons, comme le héron de la fable,
se contenteraient d'un berger si le berger' ne
dédaignait leurs avances pour élire une ber-
gère. Entre les lignes du texte, un orchestre
piauant, drolatique, qui me fait songer à la |
danseuse Trudi Schoop, éperonne de ses traits
aigus, de ses saillies spirituelles, les gestes, les
mines, les moues et la déception finale de ces
mégalomanes en robe courte.
On retrouva non sans plaisir, car il y avait
longtemps, quelques-uns des jolis morceaux de !
l'Artésienne. Et joués avec quelle perfection !
Musicien béni des dieux que celui qui décou-
vrait par hasard des mélodies campagnardes
naturellement aptes au canon à l'octave, comme
dans le prélude, ou à la superposition, comme !
dans la Farandole. Ce qu'on ne voit guère à
notre époque tourmentée où la plupart du
temps les thèmes ne s'imitent et ne se che-
vauchent que sous la contrainte d'ajustages
harmoniques qui les violentent et les torturent
plus ou moins. Heureux, trois fois heureux
Bizet !
Passé le premier moment de surprise et une
fois pris le parti de l'accepter telle quelle, la
symphonie de Paul Paray gagne à être réen-
tendue. Le Quasi lento, qui s'enchaîne sur VAl-
legro initial et dans lequel, par une transition
subtile, une dégradation imperceptible du mou-
vement, on se trouve tout d'un coup plongé, est
une page affectueuse et émue. Mais le finale
surtout m'a frappé par sa gaîté, son humour,
la jovialité un peu mystificatrice de ses thè-
mes, et la légèreté, la transparence d'un orches-
tre qu'eût envié le Liszt des Préludes. De nos
iours. il noua arrive de mêler d£S musiciens
COLONNE : « Divertissement rapsodique », de
M. Edouard Mignan. -« La Belle au bois dor-
mant», de M. Henri Bosser. - « Ronde des peti-
tes filles vaniteuses », de M. Henri Barraud. -.
« Un jardin sur I'Oronte », de M, Alfred Bachelet.
TRITON.
Trois festivals de compositeurs français : MM. Ga-
briel Pierné, Charles Koechlin, Paul Ladmirault.
« Cette pièce pour piano et orchestre, nous
dit M. Edouard Mignan, est écrite sur un thème
inachevé de caractère mi-mélodique, _ mi-
rythmique. » Thème inachevé ! Si les thèmes
eux-mêmes s'en mêlent, maintenant... D'ail-
leurs ia dénomination me paraît assez vague, j
Comment discerner un thème inachevé d'un
thème achevé ? Un thème peut contenir trois
mesures et avoir un sens complet comme il
peut' en contenir dix et laisser l'impression
.d'une idée seulement ébauchée.
Quoi qu'il en soit, cette lacune intentionnelle,,
si vraiment lacune il y a, ne saurait nous alar-
mer. Elle est comblée et au delà par une solide
facture et un orchestre parfaitement au point,
dont émergeront aux bons moments les figu-
ration? harmoniques et les traits de bravoure
de Mme Germaine Beauclavon. Ce Divertisse-
ment rapsodique, admirablement présenté par
Paul Paray,' qui ne fait jamais rien à demi,
constitue, en somme, une oeuvre fort honora-
ble, sinon très audacieuse, conçue par un mu-'
sicien qui sait son métier, qui du moins pos-
sède le métier de ses idées et la réalisa de façon
intéressante et variée. La seconde partie sur-
tout a beaucoup de vie. Le thème binaire ini-
tial, déformé en rythme ternaire à l'allure vive
de scherzo, y contraste heureusement avec la
phrase expressive des violons. Et la conclu-
sion où il éclate en valeurs augmentées ne
manque pas de brillant.
Composée en 1933 à l'intention de la chorale
"des lycées de jeunes filles et exécutée d'abord
à la Sorbonne, l'ode lyrique d'Henri Busser,
d'après, un. poème de Gabriel Vicaire, mêle ou
fait dialoguer, soutenu par un orchestre coloré
mais discret, un double choeur de femmes et
d'enfants. Aussi l'estrade, ce jour-là, est-elle
touté gazouillante d'une jeune effervescence :
aux choeurs de Mme Samuel se sont joints les
choeurs miniatures de Mme Péan, escadron de
tout petits « l'aîné a bien sept ans = aiaguillés
d'autrefois, Couperin et Rameau, par exemple,
pourtant si différents à certains points de vue :
qui sait si le public de l'an 2135, tant la musi-
que aura changé, 11e confondra pas dans une
tendresse indistincte les symphonies de Paray
et de Ferroud ?... .
On réentendit aussi le Cercle des heures, de
Gustave Samazeuilh, chanté cette fois par
Mme Balguerie. Résumés en quelques mots
choisis, en quelques notes combinées avec art,
sorte de hâï-kaï musicaux, où l'atmosphère
créée par le texte rapide, qu'il soit de Franz
Toussaint ou de l'anthologie chinoise, imprè-
gne l'orchestre d'une traînée de sonorités
exquises et rares, ces petits poèmes sont parmi
les productions les plus réussies du musicien
do Canope.
Le 14 avril, dernier concert de la saison.
Abstraction faite, toutefois, de celui du ven-
dredi saint, immuablement consacré à l'homme
de Bayreuth, encore qu'on ne saisisse pas très
bien, hormis l'ironie du Crépuscule des dieux,
quels rapports, même indirects, même symbo-
liques, des Tannhaeuser, Vaisseau, Corporations
et Chevauchée peuvent avoir avec la mort du
Christ. « Simplement parce que c'est l'usage »,
eût dit Golaud.
Donc le 14 avril, dernière séance « pro-
fane », Paul Paray nous gratifia d'une glo-
rieuse ouverture de Gwendoline, d'une Lia pré-
debussyste un peu inutile et dont on devrait
bien nous faire grâce en faveur de chefs-
d'oeuvre moins contestables, les mélancoli-
ques Gigues, les Jeux d'une fantaisie si alerte,
qui pendant ce temps sommeillent dans les
archives sans profit pour personne; enfin d'im-
portants fragments d'Un jardin sur I'Oronte,
ce drame lyrique d'Alfred Bachelet (et Mau-
rice Barrés) que l'Opéra nous révéla en 1$32.1
Mais pour d'administratives raisons d'horaire
on avait dû couper le prélude. Nous ignorions j
ce que nous perdions. Par la noblesse des
idées, leur caractère ardent, passionné, ce pré-
Inde est simplement' une des pages les plus,
expressives et les plus humaines de l'auteur
de Scemo. Non seulement il évoque les enchan-
tements du jardin de Syrie, la féerie de ses
cascades et ses rumeurs enivrantes, le charme
des sultanes dévoilées qui « veillent dans les
kiosques », mais aussi et surtout il fait agir,
penser, vibrer des êtres qui transparaissent
visiblement parmi les jeux chatoyants de l'or-
chestre.
Mme Balguerie vocalisa délicieusement le
chant de la belle Oriante : « La rose dans sa
brève saison., » Et pour la Danse du jardin,
vrai ballet de croisades, l'auteur avait eu
recours à de lointains airs de France qu'il
instrumenta dans une couleur archaïque très
adéquate : la Pastourelle aux sonorités de
vielle, l'amoureuse Caroie, l'Estampée solen-
nelle, la Tresque, anticipation sur un « retour-
à-Bach » avant la lettre, enfin la Gigue toute
rougeoyante d'entrain, le tout exécuté par l'ad-
mirable orchestre Colonne avec une vie extra-
ordinaire. Félicitons entre autres les solistes !
du prélude, MM. Darrieux, Blanquart. Câhuzac, J
France, oeuvre pensée, mûrie, définitive, vrai
type contemporain du genre et dont l'inlassable
Trio Pasquier donna une exécution aussi
vivante que minutieuse. Aux pôles : le Martyre
de sainte Ursule, de Scarlatti, dûment recons-
titué par Ennemond Trillat, et le Bal masqué
de Poulenc, cantate sur des « vers laïques »
- des vers religieux eussent peut-être mieux
convenu - de Max Jacob.
Je ne pus assister à la cinquième séance. Je
le regrette puisqu'elle comportait, outre les
originales Chansons madécasses de Ravel et
l'humoristique scherzo pour quatre bassons de
Prokofiefï, des quatuors de Félix Labunski,
un Polonais aimablement bronzé par le soleil
d'Ile-de-France, et de Conrad Beck, ce farou-
che et sympathique Zurichois pour qui l'archet
n'est pas une badine, en ce sens qu'il ne badine
pas avec la musique, et dont, en maintes occa-
sions, je vous ai dit le mal et le bien que je
pensais d'oeuvres savantes, âpres et hautaines
comme l'hindemithien concerto d'orchestre, la
cinquième symphonie, le concerto, plus acces-
sible celui-là, pour quatuor à cordes et orches-
tre, Innominata, etc.
dont le violon, la flûte la clarinette n'en furent
pas les moins précieux ornements.
Lé troisième concert de Triton, dédié à la
musique tchécoslovaque, commençait par une
sonâté pour piano et violon de Leos Janacek,
datant de 1914, époque bien récente pour dater
déjà, . et dçnt le mérite le plus tangible fut
d'avoir été jouée par Mme Germaine Leroux
et; M. Robert Soetens. Au demeurant, musique
assez froide, mal équilibrée, incohérente, aux
thèmes sans relief et qui, plutôt qu'ils ne se
développent, se répètent à satiété. Bref, de la
musique, comme on disait un peu dédaigneu-
sement en 1805, de musicien de théâtre. Je
préférai la sonatine pour violon et alto -
MM. Jean et Pierre Pasquier - de Jaroslav
Kricka. Certes la sonorité n'y est non plus très
ample, et pour cause. Du moins, de ces deux
frêles instruments, le musicien en tire-t-il le
maximum, comme fit naguère Ravel dans son
extraordinaire duo de violon et violoncelle. Par
ailleurs les idées y sont autrement person-
nelles que dans Janacek. Quant à la sonaite
de Jaroslav Jezek, si tout ce qu'elle apporte
n'est pas absolument inédit, elle parvient néan-
moins, en l'ardeur et la variété qui l'animent,
sa construction ferme, à prouver son droit à
l'existence.
D'une série de mélodies chantées par
Mlle Branèze et jouées par Mme d'Aleman,
je retiendrai surtout, de K.-B. Jirak, l'Inter-
mezzo lyrique - d'après Henri Heine, oui -
qui concilie ingénieusement la couleur et le
pittoresque avec la sensibilité, et Mars, de
L. Vicpalek - poème de K. Toman traduit,
comme Y Intermezzo, par l'éminent polyglotte
André Coeuroy, - d'une inspiration un peu
distante mais dont l'évidente sincérité touche
malgré tout.
4 .Parlés qualités et défauts déjà observés dans
des oeuvrés: antérieures, un trio à cordes de
Bohuslay Martinu. joué par les mêmes frères
Pasquîer plus Etienne, témoignait d'une cer-
taine, constance imaginative chez ce jeune
musiçi.en bien doué mais peut-être trop fêté
aux - débuts de sa carrière : d'une part idées
claires, abondantes, généreuses; d'autre part
extrême facilité, complaisance à tout accepter
dont le résultat se traduit par quelque chose
de hâtif et comme improvisé. Mais rien n'est
encore perdu s'il consent à un contrôle plus
strict de soi-même.
Parmi lês oeuvres révélées au quatrième
concert, citons un Andante et scherzo d'Albert
Roussel, bref, léger, charmant, mais terminant
un peu court, et un Divertimento de H. Neu-
geboren, un peu long et moins intéressant, à
mon avis, que ses compositions précédentes,
ces deux morceaux, pour flûte et: piano, dénon-
cés par Monique Haas et Marcel Moi je avec
toute l'élégance et l'aménité requises ; une
petite suite , très adroite de Jean Rivier pour
le Trio d'anches de Paris {MM. More!, Lefeb-
vre, Oubradous) ; un poème virgilien, la Mort
de Dâphnis, de Maurice Bagot, et surtout un
irio à cordes de Tibor Harsanyi, Hongrois de
Parmi les séances éparpillées durant ce der-
nier trimestre aux quatre coins du temps et
de l'espace, citons d'abord, par droit d'ancien-
neté, le festival Paul Ladmirault pour en rete-
nir principalement, chantées par Mlle Branèze,
quatre Chansonnettes d'Antoine de Baïf dont
l'archaïsme s'actualise d'harmonies neuves et
piquantes, une sonate pour violon et piano
d'un généreux lyrisme et une série fort pitto-
resque et imagée de quatuors vocaux inter-
prétés par l'Accord panait : Dans mon beau
château, Chanson de la mer, la Violette. On ne
connaît pas assez Paul Ladmirault, qui est un
musicien de grand talent. La raison en est
peut-être, raison ignorée de la raison, qu'il a
le dos ingralement tourné, je veux dire qu'il
vit toute l'année loin des agitations parisiennes
dans son splendide isolement de Bretagne. Or
nous savons par expérience que Paris, si atten-
tif aux morts, ne pardonne qu'à contre-coeur
aux simples absents. On ne peut cependant,
même dans son intérêt, souhaiter à Paul Lad-
mirault pareille extrémité.
Le cas de Charles Koechlin, autre méconnu,
est encore moins explicable puisque, sauf
quelques brefs séjours dans les conservatoires
de Californie où il enseigna le contrepoint et
la fugue, il vit généralement à Paris. Sans
doute a-t-il été victime de cette manie de clas-
sification dont je parlais tout à l'heure. Gpmme
André Gedalge, le compositeur d'une sympho-
nie très vivante et de curieux vaux-de-vire,
comme Maurice Emmanuel, ce grave auteur
d'un conte gai qu'une justice tardive est en
train de repêcher, Ch. Koechlin a- été rangé irré-
médiablement dans la catégorie _- soi-disant
réfractaire à la création - des êrudits et des
théoriciens. Il y a trois ans un premier festival
de ses oeuvres, sous la direction de Roger Dé-
sormières, ne laissa pas de surprendre et émou-
voir certains incrédules. Mais la leçon ne suf-
fit pas, hélas ! L'indifférence persista à l'égard
de tant d'oeuvres profondes ou charmantes.
Zeus veuille que cette seconde épreuve soit
plus décisive.
L'Interlude et la Pastorale de la sonatine
d'orgue, sans être austères, reflètent néanmoins
un sentiment intérieur d'une grande émotion.
Et le Choral en fa mineur qui, après un début
presque traditionnel, se dirige peu à peu vers
une bitonalité assez âpre, a beaucoup de no-
blesse. Interprétée avec sûreté par Olivier Mes-
siaen, cette pièce eut les honneurs du bis.
Puis voici, avec le beau violoncelle d'André
Lévy, une série de chansons bretonnes très
variées - poétiques, sombres, féeriques -
d'après des thèmes de l'ancien folklore, har-
monisées'de façon modale et très libre où la
crainte des fausses relations n'est pas toujours
le commencement de la sagesse. Et trois Chan-
sons de Bilitis opposaient leur espiègle viva-
cité à la grandeur tragique de la Prière du
mort, de Heredia, que chanta Mme Marthe
Bailloux avec beaucoup de sensibilité.
Après une suite pour piano intitulée l'An-
cienne maison de campagne, sorte de pendant
au Poème de la maison de Witkowski où le
musicien évoque de mélancoliques souvenirs
- la jeunesse, dit-il, vue du seuil de la vieil-
lesse, - oeuvre avant tout mélodique malgré
de discrètes incursions dans la polytonie, 011
entendait le troisième quatuor à cordes, oeuvre
solide, condensée, où apparaît évident le souci
de fuir les longueurs et les développements
trop copieux. Excellente exécution par le qua-
tuor Gentil, surtout lAndante où, malgré les
rythmes heurtés, il sut maintenir toute la sé-
rénité désirable et le scherzo dont il fit ressor-
tir à merveille le caractère fantasque.
En l'artiste si divers qu'est Gabriel Pierné,
délicat et fort, tendre et ironique, sensible et
humoriste, qui se meut avec une égale aisance
dans des genres à priori inconciliables et dont
la science profonde sait n'être jamais pédante,
la gravité jamais ennuyeuse, on s'est décidé
peu à peu à reconnaître un maître authenti-
que de la musique d'aujourd'hui. Pendant une
heure et demie l'innombrable auditoire du Cer-
cle interallié fut sous le charme, qu'il s'.agit de
l'exquise Sonata di caméra,. Ae la pittoresque
Fantaisie basque ou encore cfe ce chef-d'oeuvre
qui a nom Variations libres' et finale, le tout
exécuté respectivement par Mlle Lily Laskine,
MM. Moi j se, André Lévy, Jean Dayen, Dar-
rieux, Boulay. Et ce charme projeté sur l'audi-
toire, ce n'est pas Roger Bourdin, certes, qui se
fût chargé de le rompre en interprétant avec
tant d'intelligence et de finesse ces spirituels
croquis: Petit rentier, Trois petits chais blancs,
Marionnettes, etc. Pour finir, Giration fut don-
née dans sa version originale, en disque, mais
un disque si parfait qu'il faisait illusion. Ce
charmant ballet, dansé avec une grâce non-
pareille par Serge Lifar encadré de Mlles Ker-
grist et Bardan, fut également une joie pour
les yeux
Fuirent Schmitt.
3. T LE TEMPS. r_ 4 mai 1935
A. côté de l'Histoire
NAPOLEON AGENT MATRIMONIAL
On sait que Napoléon I". a été hanté, toute
sa vie, par le désir de rallier à lui le faubourg
Saint-Germain : « Il n'y a décidément que les
nobles pour savoir servir », avait-il dit un
jour que M. de Narbonne, en campagne, lui
avait présenté une dépêche sur le revers de
son chapeau.
Dès le Consulat, il avait fait des avances aux
vieilles familles royalistes, autant par goût que
par esprit politique. Une fois sur le trône, il
se fortifia dans ces dispositions : la proclama-
tion de l'Empire, puis le mariage avec Marie-
Louise amenèrent, du reste, des changements
dans les idées des monarchistes les plus intran-
sigeants, et beaucoup n'attendirent qu'un pré-
texte pour se rallier. Les haines s'adoucirent
dans les salons, on hésita à bouder plus long-
temps un gouvernement qui avait au moins
ramené l'ordre et ravivé la confiance.
Satisfait de ces premiers résultats, mais rê-
vant mieux encore et redoutant toujours l'op-
position sourde de la faction royaliste, Napo-
éon chercha, d'une part, à opérer une fusion
véritable entre l'ancienne France et la nouvelle,
en amalgamant plus étroitement la noblesse
qu'il avait créée à celle qu'avaient faite les rois
et" les siècles. Il songea, d'autre part, qu'il y
avait,, répandues par tout l'Empire, de multi-
ples héritières pourvues de grosses dois, d'ori-
gine bourgeoise et même plébéienne, qui con-
viendraient parfaitement aux brillants officiers,
aux fringants maîtres des requêtes ou aux di-
ligents préfats qu'il avait nommés et anoblis.
L'entreprise n'était pas pour lui déplaire. On
sait qu'il était très marieur : il avait imposé
Leclerc à Pauline et son frère Louis à Hor-
tense, il avait presque forcé Talleyrand à épou-
ser Mme Grant et avait uni Berthier à une
princesse de Bavière; il avait dit à Fanny de
Dillon qui ne voulait pas de Bertrand : « Je
pars pour Erfurth dans huit jours. Il faut
être mariée alors. » C'était une forme de des-
potisme qui lui agréait assez, et, quand il s'y
mêla de la politique, qui l'enchanta.
S'en ouvrit-il le premier à Rovigo ou est-ce
ce dernier qui alla au-devant des désirs de
l'empereur? En tout cas, c'est entre eux qu'ils
arrangèrent toute cette affaire qui devait rece-
voir le»'nom de « conscription des filles » et
donner lieu à des scènes comiques - ou tragi-
ques, comme l'on voudra. Taine, dans ses Ori-
gines de la France contemporaine, y avait déjà
fait allusion. M. Louis Madelin, dans son der-
nier ouvrage la Contre-révolution sous la Ré-
volution (Pion, éditeur), où il brosse un remar-
quable tableau de la persistance de l'esprit
monarchique sous la Révolution et l'Empire,
vient d'y revenir. Il a fourni de nombreux dé-
tails sur cette entreprise incroyable, mais n'a
pu les donner tous, le cadre de son livre ne s'y
prêtant pas.
En les complétant, on s'aperçoit comment le
projet napoléonien fut mis à exécution. Il était
apparu à Rovigo, ainsi qu'à son maître, nous
l'avons dit, comme un moyen de « réserver »
dé riches héritières, bourgeoises ou nobles, à
tous les serviteurs du régime, et c'est dans ce
sens que le ministre de la police générale
envoya, en 1811, une circulaire à tous les pré-
fets, lesquels durent être légèrement ahuris de
se voir transformés en agents matrimoniaux.
Il leur était enjoint de fournir immédiatement
la liste des demoiselles à marier de leur dé-
partement, accompagnée de détails sur leur
physique, leur moral, « leurs .talents acquis et
leurs agréments naturels », et, surtout, leur
fortune, afin qu'on pût les classer par caté-
gories.
Tous les préfets répondirent-ils? Il faut
Croire que non puisque Rovigo dut, trois mois
plus tard, leur envoyer une circulaire plus
impérative. Néanmoins quelques-uns s'exécu-
tèrent. Nous avons leurs réponses, et celles-ci
sont parfois fort piquantes. C'est un album que
l'on peut feuilleter de jeunes demoiselles du
temps de Mme Campan, aux .robes pincées,
aux courtes manches bouffantes, aux ?visages j
encadrés de longues boucles de cheveux, dont
on entrevoit la silhouette derrière les lignes des
rapports officiels.
Voici le préfet du Cher qui nous apprend
que la plus riche héritière de Bourges est Mlle
Delavienne. Elle a seize à dix-huit ans, fille
unique, et 40,000 livres de rentes. « Tournure
et figure agréables, taille moyenne, éducation
distinguée sous tous les rapports. » M. Gassot
Delavienne, son père, était officier aux gardes
françaises; sa mère, née Migieux, est d'une
bonne famille de Bourgogne. « L'on s'occupe
en ce moment de son établissement, mais l'on
n'a pas pu savoir avec qui l'on a entamé à ce
sujet des négociations. » Et le préfet s'étend
avec complaisance sur la fortune des parents.
Nous apprenons qu'ils ont à Paris un hôtel,
90, rue des Mathurins, qu'ils ont payé 100,000
francs, qu'ils possèdent des bois dans le dé-
partement qui leur rapportent plus de 18,000
francs, qu'ils ont des terres près de Dijon;
enfin « on croit que M. Delavienne a un porte-
feuille considérable, ayant toujours vécu avec
ordre et géré ses biens avec économie ».
Voici le préfet de la Drôme qui signale au
duc de Rovigo Mlle Blanche dé Bellegarde,
âgée de vingt-quatre ans et dotée de 300,000
francs. Ses parents sont morts. Et le préfet
ajoute : « d'une figure agréable, de l'usage et
de l'esprit ».
Voici, dans la Haute-Garonne, Mlle Nogarède
Babut, âgée de dix-neuf ans, fille d'un capi-
taine d'infanterie qui la dote de 150,000 francs;
tandis que dans la Haute-Vienne Mlle Monte-
not-Duchatard, âgée de seize ans et demi, est
grande et bien faite. Elle a reçu une éducation
Soignée.Son père, ancien noble, a 800,000francs
de biens; elle aura 300,000 francs de dot et
des « espérances ».
Veut-on de grands noms? La fille du duc de
Conegliano, âgée de dix-huit ans, a un physi-
que agréable, « des talents » et 100,000 livres
de dot. Mlle de Choiseul-Praslin, âgée de qua-
torze ans, fille du sénateur, a 100,000 livres de
rentes. « Son éducation est surveillée par son
frère, le chambellan; on en dit beaucoup de
bien. » Mlle Délia Cisterna, à Turin, fille du
prince, âgée de dix-sept ans, « est fort agréa-
bles » et a 80,000 livres de Rentes. 1
Le préfet du Gard signale la propre fille du
président de la cour d'appel de Nîmes, Mlle
Maynaud, âgée de dix-huit ans et bien élevée.
« Son père a plus de 70,000 livres de rentes. »
Il y a encore, à Nantes, Mlle Chevigny qui est
fort jolie et a reçu une éducation soignée; dans
le département du Pô, Mlle Alfiéri, fille du
maître des cérémonies, « d'une tournure agréa-
ble et bien élevée », qui a 600,000 livres de dot;
à Limoges, Mlle Jouglars, « belle personne
ayant des talents et 25,000 livres de rentes » ; à
Bordeaux, Mlle de Saint-Emillion, âgée de;dix-
huit ans, dont le père a 900,000 francs de biens.
Il y a même une veuve dans le département
de l'Oise, Mme de Courvoisier, âgée de dix-
huit ans, demeurée seule au bout de six mois
de mariage et qui possède 80,000 livres de ren-
tes.
Nous en passons, et des plus belles et des
plus riches...
L'échantillonnage paraît complet, et Rovigo
put présenter à l'empereur une liste éclatante
de fiancées possibles à « réserver » pour les
tenants du régime.
Ceci paraît déjà un peu fort, mais voici qui
fut plus extraordinaire encore. Vers 1810, la
ville de Lyon comptait- parmi les jeunes filles
à marier un des plus riches partis dans la per-
sonne de Pierrette Delglat. Pille unique, en
possession d'une belle fortune, « accorte et
charmante », elle était visée, comme on pense,
par tous les coureurs de dot et par toutes les
familles ayant un rejeton mâle à caser.
;Un ami de ses parents, le comte de Beuf-
nônville, sénateur, s'était mis en tête, de lui
trouver un mari, « titré autant que ^possible »,*.'
demandait-on. Il avait jeté son dévolu sur un
gentilhomme d'âge mûr, M. de Durfort, lequel
avait paru fort séduit et avait fait la conquête
de M. et Mme Delglat. Les choses avaient donc
l'air de s'arranger de la plus bourgeoise et de
la plus banale façon lorsque, au début de 1811,
le sénateur reçut du duc de Rovigo, ministre
de la police générale, la lettre suivante écrite
dans le plus pur charabia administratif et qui
dut l'ahurir :
« J'ai reçu, monsieur le comte, disait cet im-
portant personnage, la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire, par laquelle vous me
préveniez de l'intention que vous avez d'unir
M. de Durfort à Mlle Delglat, riche héritière
de Lyon.
» Sans doute, dans un temps ordinaire et
plus éloigné des troubles politiques dont nous
sortons, cette union ne souffrirait aucune diffi-
culté; mais vous, monsieur le co.mte, qui avez
traversé tous les événements de notre Révolu-
tion, vous concevez aisément l'intérêt que je
prends comme ' ministre à. l'alliance de Mlle
Delglat à M. de Durfort. Si la jeune personne
était ingénue ou avait connu M. de Durfort,
cela pourrait lui être favorable. Mais, outre
que ce n'est qu'un arrangement entre les pa-
rents qui n'ont point consulté la disproportion
d'âge et l'importance qu'on pouvait y attacher,
il. y a encore une autre considération plus
grande que celle-ci : M. de Durfort, très esti-
mable, sans doute, et issu d'une famille dis-
tinguée dans notre, histoire, était susceptible,
sous.la dernière dynastie, de s'allier à tous les
grands partis de France. Ces temps-là sont
changés. La dynastie que nous servons a ses
créatures et ses familles à former, et il n'y a
plus en France aujourd'hui assez de partis de
l'importance de celui de Mlle Delglat pour
qu'on ne les réserve pas pour les serviteurs de
l'empereur. La famille de Durfort a besoin de
donner à la dynastie nouvelle les mêmes ga-
ges que les nouvelles familles qu'elle a créées,
et la souche de ce nom est plutôt, sous ce rap-
port, dans le jeune Durfort qui est au service
que dans celui qui ne peut plus y entrer.
» D'après ce principe, vous concevez, mon-
sieur le comte, le motif qui m'a déterminé à
réitérer à M. le préfet du Rhône l'ordre de ne
laisser contracter aucun acte qui lierait Mlle
Delglat et sa fortune, et ce sera un service à
fendre à M. de Durfort que de l'engager à re-
noncer de bonne grâce à ce mariage. »
De bonne grâce est, à lui seul, tout un
poème. Cette lettre était un ordre du ministre
de la police, et, plus haut, de l'empereur : le
comte de Beurnonville ne s'y trompa point, ni.
l'infortuné M. de Durfort, ni les parents de
Mlle Delglat. Peu de temps après, du reste, le
préfet du Rhone, M. Taillepied de Bondy, fai-
sait connaître à ces derniers le nom du pré-
tendant qu'on avait, en haut lieu, réservé à leur
fille. C'était un jeune capitaine de vingt-cinq
ans, d'origine corse, officier d'ordonnance de
Sa Majesté, Laurent-Francois-Marie de Mar-
beuf, baron de l'Empire, et qu'il fallait épou-
ser sans tarder. Le mariage se fit, en effet,
tambour battant, mais l'année suivante la ba-
ronne de Marbeuf était veuvè, son mari ayant
été tué en Pologne!
Telle était la « conscription des filles » ima-
ginée par Napoléon et réalisée par les préfets
sous l'oeil de Rovigo. On imagine aisément que
le procédé ne plaisait pas à tout le monde.
M. Louis Madelin nous dit qu'un Aligre esquiva
pour son enfant un des serviteurs impériaux
en la mariant brusquement à un Pomereu. Un
Croy, secrètement averti par le préfet de son
département qu'on allait bientôt « réserver »
sa fille, l'unit sans tarder à un petit cousin. Un
gentilhomme convié, par le baron Dupin, pré-
fet des Deux-Sèvres, à donner la sienne, aurait
répondu : « Vous nous avez tout pris, Vous
voudriez encore nous prendre l'honneur; f...*
nous la paix. » C'est bien le mot de la fin qui
convient à cette histoire.
JULES. BERTAUT.
NOUVELLES DU JOUR
Au comité interministériel
de l'économie nationale
Le comité interministériel de l'économie natio-
nalë s'est réuni, hier après-midi, sous la prési-
dence de M. P.-E. Flandin. Y assistaient : MM. Ger-
main-Martin, ministre des finances; Marcel Ré-
gnier, ministre de l'intérieur; Henri Roy, ministre
des travaux publics; Paul Marchandeau, ministre
du commerce; Louis Rollin, ministre des colonies;
Jacquier, ministre du travail; Cassez, ministre de
l'agriculture; William Bertrand, ministre de la
marine marchande, et M. Coulondre, ministre plé-
nipotentiaire, représentant M, Pierre Laval, mi-
nistre des affaires étrangères.
Le comité a procédé à un premier examen des
principes et des mesures appliqués en matière de
politique commerciale avec l'étranger et a décidé
de poursuivre, dans une prochaine séance, l'étude
des contingentements des produits importés en
France.
M. Herriot à Lyon
r ;M. Edouard Herriot, présidant une réunion po-
litique, a Lyon, dans le quartier des Brotteaux, a
été amené à faire ^ déclarations suivantes rela-
tivement à la défense passive :
Maire d'une grande ville, mon-devoir me commande
de protéger !a population contre les attaques aériennes.
Une expérience devait avoir lieu aux abattoirs de Ja
Mouche. J'ai transmis cet ordre à mon personnel muni-
cipal dont une partie crut bon de ne pas obéir. J'ai puni,
ainsi que le commandait mon devoir. Mais je suie bien
obligé de constater que ceux qui ont ordonné la résis-
tance à mes ordres sont restés prudemment dans l'ombre
alors qu'ils laissaient frapper les humbles.
A ce propos, je ne puis m'empêcher de constater que
c'est la dernière des sottises que de prétendre qu'un
maire qui Veille à la sécurité de ses concitoyens tra-
vaille à préparer la guerre. La défense passive? Mais je
dis aux communstes présents dans cette salle qu'elle est
beaucoup plus poussée en Russie que chez nous. Bn
Russie ,on s'étonne que nous ne nous y arrêtions pas
davantage.
Le ministre d'Etat a déclaré ensuite. :
La démocratie ne sera vraiment organisée que
lorsqu'elle aura la science pour méthode et la morale
pour but. Pour ma part, je voudrais aider Je peuple à
marcher sur le6 voies de l'intelligence. J'ai toujours
placé au premier rang de mes préoccupations l'ins-
truction des enfants du peuple. Pour elle je n'ai rien
négligé.
.M. Herriot a dit aussi :
L'école unique est embrayée; maintenant on ne l'ar-
rêtera plue. Voyez-vous, pour fonder une démocratie,
rien ne vaut que de lui donner un système d'instruction
tel que l'enfant paresseux, soit éliminé de l'école au
bénéfice du laborieux, sans égard pour les conditions
de fortune.
> r'- tAu ministère'.'de l'intérieur
M. Marcel Régnier, ministre de l'intérieur» a
reçu, hier. Une délégation du comité pour l'érec-
tion d'un monument au général Marchand. Les dé-
légués ont demandé au ministre d'autoriser à ce
sujet une « journée » dans les cent quarante-cinq
communes de France où la ligue coloniale pos-
sède des : sections. Le ministre a accordé l'autori-
sation demandée pour le 30 juin.
,M. Marcel Régnier a reçu également une déléga-
tion de la chambre syndicale des hôteliers, accom-
pagnée par MM. Fiancette et Martinaud-Déplat,
députés, qui lui a soumis un certain nombre de
suggestions relatives à la législation intéressant
l'industrie hôtelière.
Le ministre de l'intérieur a promis d'examiner
avec bienveillance les doléances qui lui ont été
exprimées.
L'Exposition de 1937
M. Gabriel Amand, officier de la Légion d'hon-
neur, Croix de guerre, membre du comité français
des expositions, est nommé secrétaire général de
l'Exposition internationale de Paris 1937, en rem-
placement de M. Ettori appelé à d'autres fonc-
tions.
Un discours de M. Lémery à Gournay
A Gournay-en-Bray a eu lieu une réunion or-
ganisée par les élus de la Seine-Inférieure appar-
tenant à l'Alliance démocratique. Près de mille
électeurs étaient présents. M. Thoumyre, sénateur,
ancien ministre, présidait, assisté de MM. La-
voinne et Veyssière, sénateurs; Thureau-Dangin,
député, des élus de la municipalité de Gournay
et des municipalités environnantes.
M. Henry Lémery, sénateur, ancien ministre,
spécialement invité, a prononcé un discours au
début duquel il s'est étonné de la « relative indif-
férence » dont semble faire preuve le corps élec-
toral à la veille dë la consultation du 5 mai alors
que jamais peut-être la situation intérieure et
extérieure de notre pays n'a donné plus de sujets
d'inquiétude.
Il y a quinz'e mois pourtant a poursuivi M. Lémery,
la France avait eu un ' splendide sursaut, mais son
attente d'une réforme profonde des choses et des
hommes a été trompée. C'est pourquoi le décourage^
men s'empare peu à peu des meilleurs éléments.
Eh .bien, non, nous ne souscrirons jamais à ce tra-
gique renoncement.
. L'ancien gardé dés sceaux a ensuite souligné
avec force le péril extérieur. .
> / L'attitude de l'Allemagne, a-t-il dit, est do plus en
plus inquiétante. Le sentiment d'insécurité créé par
elle se répand en Europe. Chacun se rend compte dé-
sormais qu'il faut prendre des précautions positives.
L'Angleterre si longtemps obstinée dans son obnubila-
tion systématique, se rend compte de son erreur.
Aucun Français de bonne foi ne pourra plus admettre
que nous ne tenions pas notre partie «- la principale -
dans Ce concert dé vigilances et de résolutions.
L'âme nationale a repris conscience d'elle-même de-
vant le péril extérieur. Elle ne s'endormira plus.
Après s'être élevé avec indignation contre les
agents de la propagande antimilitariste, M. Lé-
mery a traité ae la situation financière, qu'il tient
pour grave et a plaidé pour de sérieuses écono-
mies budgétaires.
Dans sa conclusion l'ancien ministre a insisté
sur la nécessité d'un regroupement des forces na-
tionales. Il a demandé que les radicaux prennent
à cet égard une position nette, car demain, « il
faudra opter entre la patrie et la révolution, en-
tre la France et l'antiFrance » et dès lors l'union
deviendra possible, car « elle aura m sens, une
raison, un centre ».
LES ELECTIONS MUNICIPALES
' f V- - " . . ' .- ?
Une réunion de M. Jean Chiappe
M. Jean Chiappe avait convié ses électeurs à
venir l'entendre, salle Bullier, exposer son pro-
gramme. Ce fut une ruée que le service d'ordre
canalisa et répartit avec un art auquel il convient
de rendre hommage. Bien avant l'ouverture des
portes, les hauteurs de Montparnasse s'animaient
d'ombres, de mouvements et de rumeurs. Cette
réunion, en effet, débordait les dimensions habi-
tuelles d'une éleotion municipale. La personnalité
de Jean Chiappe, son magnifique passé de fonction-
nàire loyal, son rôle apaisant dans les heures
sombres faisaient de lui, aux yeux de cette foule
impatiente, « plutôt qu'un candidat* un chef, un
guide et un espoir ».
Aussi dans ce coin du quartier latin, celui où la
jeunesse jadis venait chercher le plaisir,, les pre-
miers flots d'électeurs roulaient gravement autour
des panneaux électoraux, presque sans bruit. Quand
les premières lumières jaillirent de la salle Bul-
lier, ils s'engouffrèrent avec une discipline de
bon augure, dans les passages jalonnés par
d'agiles et entreprenants jeunes gens. La salle sou-
dainement bondéo s'emplit de murmures où la
curiosité des uns pour la figure populaire de Jean
Chiappe n'est pas moins vive que l'amitié des
autres.
A neuf heures précises, M. Jean Chiappe, en-
touré de quelques amis, apparut sur l'estrade au
milieu d'une formidable ovation. Cet homme est
étonnant. Il est petit, et c'est cependant lui qu'on
apecoit le premier dans une foule. Il supplée aux'
inconvénients de sa taille par une activité, une
mobilité, une sorte de don d'ubiquité qui font
que derrière ses contemporains les mieux char-
pentés, on devine qu'il se déroule quelque chose
d'exceptionnel, un spectacle qu'il ne faut pas man-
quer, un beau combat où l'intelligence et l'action
mettent en déroute ces vilains tours que joue sou-
vent à ses enfants les mieux doués une nature
malicieuse ou perfide. Derrière Jean Chiappe, ar-
rive le colonel Fabry, le pas raidi par ses blessu-
res de guerre. Sa droiture, sa loyauté, ont fait de
lui une sorte de paladin. C'est un soldat. M. Dé-
siré Ferry, souriant, aimable, empressé; le suit
accompagné de M. Horace de Carbuccia, député de
la; Gôrse, et gendre 'de Jean Chiappe. Il a des airs
nonchalants, avec un vague sourire sur ses lèvres,
qui doit trahir des impressions cocasses qu'il
garde jalousement pour lui.
Lorsque les applaudissements de l'auditoire que
l'on peut évaluer à 7,000 ou 8,000 personnes, se fu-
rent- éteints , M. Jarlot commissaire du comité
électoral, présente le candidat Jean Chiappe aux
électeurs. Puis, le colonel Fabry prend la parole.
En quelques phrases courtes, jetées d'une voix
rude, il retraça le beau passé de l'homme qui bri-
guait la succession du colonel Ferrandi. Et enfin,
Jeau Chiappe parla.
Pendant deux heures, il remua l'assistance, pas-
sionna son auditoire, fit de l'histoire, évoqua ses
souvenirs, ses origines, retraça en larges touches
lumineuses, sans ombres ni arrière plan un des-
tin déjà beau, que la calomnie et la haine n'avaient
pas épargné. La foule vibrait, tour à tour émue,
ravië, indignée. Jamais, elle n'était lasse. Jèan
Chiappe a des dons oratoires exceptionnels inat-
tendus qui échappent à toute règle. Il bouscule
l'échiquier parce que lui ne pousse pas les pions.
Il les cloue, là où ils sont avec une éloquence ima-
gée, vive, sarcastique, entraînante, dont on peut
déjà-mesurer les effets quand elle affrontera les
débats municipaux. Cette splendide coulée de mots
jaillissants, d'anathèmes mêlés de mépris et d'al-
lègres férocité, de trouvailles éclatantes, d'épithètés
mortelles, respirait la santé, la solidité, je ne
sais quel parfum grisant et vif comme un vin de
terroir. Ses formules ingénieuses, jetées dans une
bonne humeur communicatitve, atténuaient la
cruauté du trait. Ses adversaires passèrent quel-
Sues mauvais moments, mais le public dut à Jean
hiappe d'en passer quelques bons.
Toute cette partie du discours fut hachée d'ap-
plaudissements. Quand il exposa son programme,
la fièvre n'était pas tombée. Pour la première fois
un candidat, faisait figurer dans ses promesses
électorales : 1° Un système fiscal spécial pour
Paris; 2° la restauration du prestige de l'armée;
3" la participation des artistes et de l'artisanat
par quartiers à l'Exposition de 1937.
Tout à l'heure, en parlant de son étrange pro-
motion comme gouverneur général au Maroc, il
avait dit « on voulait m'expulser par en haut ».
Quelle leçon il donnait en offrant l'exemple de
ce qu'on peut faire pour un quartier de Paris,
quand on a refusé le premier proconsulat de la
République. Jean Chiappe ayant tracé l'histori-
que du statut administratif spécial qui régit Pa-
ris, conclut en effet avec logique que les raisons
qui ont distingué la capitale au point de vue ad-
ministratif, ne sont pas moins impérieuses dans
le domaine fiscal.
L'assistance l'acclame une nouvelle fois.
Puis ce fut la péroraison où l'orateur - qui ne
veut réserver de son passé, pour se présenter
dans le quartier de Notre-Dame-des-Champs, que
son titre d'ancien préfet de police- se résume dans
un appel émouvant à l'électeur pour la défense de
Paris et la protection du pays. La foule debout lui
fait une longue ovation. Le colonel Fabry lut un
ordre du jour qui fut voté à l'unanimité. La Mar-
seillaise éclaté, chantée par sept mille voix. Jean
Chiappe venait de remporter une grande victoire.
GEORGES SUAREZ.
BOUCHES-DU-RHONE. - A Marseille, pour les
élections municipales, la ville est divisée en cinq
sections. Dams chacune d'elles, les listes suivantes
présentent leurs candidats :
1° Liste S. F. I. 0., ayant à sa tête, M. Henri
Tasso, député, président de la commission de la
marine marchande et comprenant notamment les
députés Raymond Vidal, Ambrosini et l'ex-député
Remy Roux;
2° Une liste d'union républicaine, ayant à sa
tête M. Eugène Pierre, député, ancien maire, Fé-
dération républicaine et comprenant entre autres
M. Joseph Vidal, député, U. R. D.; Marcel Gand,
conseiller général;
3° Liste sortante Ribot-Sabiani, comprenant le
docteur Ribot, maire radical socialiste; M. Sa-
biani, premier adjoint, conseiller général, député
socialiste-communiste;
4° La liste communiste;
5" La liste modérée de M. Bontona, conseiller
municipal sortant, à laquelle nulle chance de suc-
cès n'est attribuée;
6° Quelques candidatures sans importance.
Il est à remarquer que les radicaux socialistes,
comme toujours à Marseille, ne suivent pas une
ligne de conduite arrêtée. Leurs membres, candi-
dats à l'élection, ont donné, les uns leur concours
à la liste Ribot-Sabiani, les autres à la liste Eu-
gène Pierre.
La lutte sera entre la liste sortante, la liste
modérée Eugène Pierre et celle des S. F. I. O.
A Aix-en-Provence, quatre listes sont en 'pré-
sence :
1" Celle de M. Louis Coirard, maire sortant,
démocrate populaire;
2° Ml Louis Peytral, trésorier payeur général
en retraite, cartel;
3° M. Bertrand, ancien maire, modéré;
4" Liste communiste.
La liste Coirard doit arriver en tête, mais il y
aura ballottage.
A Aubagne, quatre listes en présence :
1" Liste sortante de concentration républicaine
avec, comme tête de liste, M. Marius Boyer, dé-
puté, maire sortant;
2° Liste S. F. I. 0. de M. Espanet, commis des
postes en retraite;
3° Liste modérée dont la composition n'est pas
terminée;
4° Liste communiste.
A Arles, 4 listes:
1" Liste sortante avec son maire M. Sixte Que-
nin, député S. F. I. 0.;
2° Liste radicale socialiste, Crouanson;
3" Liste du parti démocrate populaire (incom-
plète);
4° Liste communiste.
MANCHE. - A Cherbourg, une liste de concen-
tration républicaine groupant des radicaux so-
cialistes, des centristes, des démocrates populai-
res s'opposera à une liste socialiste sur laquèlle
figurent quelques républicains socialistes. Une
liste communiste sollicite également lés suffrages
des électeurs.
De plus, un ancien membre du parti socialiste
S.F.I.O., exclu depuis deux ans, a formé une liste
partielle, sans étiquette politique.
C'est la première fois, depuis 35 ans, que les
radicaux socialistes refusent de s'allier aux so-
cialistes S.F.I.O. et réalisent un accord avec les
républicains modérés.
M. Cabart-Danneville, sénateur de là Manche
(U. R.), conseiller sortant, se présente avec ses amis
sur la liste de concentration républicaine.
Conseiller municipal blessé dans une réunion
Au cours d'une réunion électorale tenue au
préau de l'école, 42, rue Pouchet, par M. Copi-
gneaux, conseiller municipal sortant du quartier
des Epinettes, celui-ci, au cours d'une bagarre,
dans la salle de réunion même, a été frappé à coups
de pied et de poing par des adversaires politiques.
M. Copigneaux a dû être reconduit à son domicile
par des amis. Un autre candidat, M. Bécuve, qui
assistait. à la réunion, a été lui-même frappé.
Transporté à l'hôpital Bicbat, où il a été pansé, il
a pu regagner son domicile. Les « polices-secours »
des 17" et 18° arrondissements, alertées, sont inter-
venues pour dégager les abords de la salle.
Le Décor de la vie
Àïï SALON DES ARTISTES FRANÇAIS
Du point de vue de l'urbanisme et de l'archi-
tecture, le Salon des Artistes français manifeste
une heureuse prédilection pour l'archéologie et
le régionalisme. Je dis bien heureuse, sans crainte
d'être accusé d'esprit rétrospectif; car cette dou-
ble tendance qui, en vérité, .est la double face
d'une même idée et comme l'avers et le revers
d'une médaille, reflète, par lg, manière dont elle
est abordée par ses adeptes, une manière de con-
sidérer toutes choses sous l'aspect de la vie. Je
ne puis me défendre d'un sentiment d'admiration
quand je vois des artistes, dans le brouhaha et
la bousculade contemporains, consacrer plu-
sieurs mois, plusieurs années à chercher par
exemple l'état probable d'un ensemble comme
celui de Karnak à l'époque d'Aménophis III. II
y a là une survivance de l'esprit qui animait les
anciennes corporations, qui est le propre de l'ar-
tisanat et qui est fort capable de sauver un
monde pourri par la machine et la mauvaise po-
litique.
Ce qui me plaît par-dessus tout dans ces rele-
vés minutieux, c'est que leurs auteurs semblent
avoir assez heureusement subi l'influence de la
peinture contemporaine. Il y a en eux plus de
goût pour la couleur et la présentation. Enfin, les
auteurs de ces investigations sur le passé s'effor-
cent de nous faire percevoir, non parfois sans
malice, ce qu'il y a de permanent dans des ou-
vrages anciens, autrement dit, pour employer un
terme du pathos actuel, le « modernisme » de
conceptions dont quelques-unes remontent à plu-
sieurs siècles^ avant notre ère.
Je crois par là même avoir indiqué les affinités
du régionalisme et de l'archéologie ainsi com-
prise. Car si le régionalisme entend se relier au
passé, ce n'est point pour le copier, mais pour
l'adapter à la vie contemporaine, ayant opéré
un tri préalable entre les éléments devenus
inutiles et ceux que le climat, le paysage, les
coutumes locales, les matériaux accessibles
conseillent de garder, Je ne m'appesantirai pas
davantage sur cette question que j'ai souvent
traitée ici même il y a quelque vingt ans, dès
qu'il_ s'est agi de reconstruire les provinces dé-
vastées. Nul doute que le centre régional de
l'Exposition de 1937, s'il n'est pas abandonné à
la démagogie, mais dirigé avec fermeté et unité,
n'ait une répercussion immense sur les aspects
futurs de notre pays. Ce sera l'occasion, pour
nous, de surveiller l'évolution du régionalisme,'
évolution absolument nécessaire, qu'il s'agisse
des modes de construire, du mobilier, du costume,
de la gastronomie, de la musique, de la danse, si!
l'on veut que le régionalisme ne meure pas du
« régionalisme », c'est-à-dire de la cristallisation
de l'esprit provincial. x . 7
On verra au Salon des Artistes français beau-
coup d'études capables de renseigner ceux qui ont
charge de mener à bien « le centre régional » de
1937. La maison de retraite pour les artistes, que
M. Bardet situe avec esprit en Provence; uûe
maison de ce genre que M. Lemaire situe éga-
lement en Provence. Ce dernier projet reflété un
sentiment très fin de l'architecture toscane, telle
qu'on l'aimait en 1830, à l'époque où l'on cons-
truisait ce chef-d'oeuvre qu'est l'hospice des
aliénés de Charenton. Le collège franco-britan-
nique que MM. Martin et Maurice Vieu Construi-
sent à la Cité universitaire de Paris serait fort
bien à sa place à Oxford ou à.Cambridge; et par
là même il relève du régionalisme, avec ses pi-
gnons pointus, ses murailles de briques rouges
sur lesquelles tranchent les encadrements de fe-
nêtres peintes en blanc. Malheureusement, il
est à Paris, en Ile-de-France, et renouvelle une
erreur commise à la Cité universitaire de Paris
où, sous couleur de rappeler aux étudiants étran-
gers, par le style de leurs diverses maisons, leur
pays d'origine, on a édifié une manière de « rue
des Nations » hétéroclite, de l'effet le plus discor-
dant, encore que chaque édifice considéré en soi
révèle un talent certain.
M. Jean Jouvenet médite une plaza de toros,
bâtie sur .plan circulaire, aux murs sang de boeuf,
dans une ancienne colonie espagnole, il ne diti
pas laquelle, où les arènes répondent à la passion
as tout un peuple pour la tauromachie.
La Suisse a toujours aimé, jusque dans son
unité politique et peut-être même à cause d'elle,
la variété monumentale qui manifeste aux yeux
de ses habitants, en même temps qu'une parfaite
accommodation aux conditions physiques, l'indé-
pendance de chacun de ses cantons. A ceux qui
affectent de craindre, en France, la répercussion
politique du régionalisme sur l'unité du pays, je
conseille de considérer l'exemple de la Suisse, qui .
a toujours su trouver un équilibre plein de tact
et de goût entre la tendance fédérale et cantonale.
L'église que M. Genoud relie à son presbytère par
un portique témoigne avec bonheur d'un parti-
cularisme local s'intégrant à une discipline plus
générale. De nombreuses aquarelles enlevées pres-
tement au cours d'un voyage accompli avec une
bourse... de voyage, la reconstitution conscien-
cieuse du château de la Motte-Josserand, près de
Cosnes, qui date du quinzième siècle et s'adosse
aux remparts de la ville, une hôtellerie solide-
ment implantée sur les rochers du cap Fréhel, en
Bretagne, montrent l'attention désormais portée
FEUILLETON DU §£8!p£
DU 4 MAI 1935
LES CONCERTS
dès le berceau sur la plus saine des voies,
a Pourvou que cela doure », n'eût pas manqué
de souligner l'inquiète Laetitia. En attendant
reconnaissons que leurs efforts ne furent pas
vains et que dans cette débonnaire Belle au
bois dormant, une des plus fraîches, des plus
pittoresques inspirations de l'auteur de la Pie
borgne, la Benjamine fut à sa grande soeur
Amicitia d'une aide précieuse. De temps à au-
tre se détachaient les vibrants soli de Mme
Doniau-Blanc, cantatrice à la voix pure, ar-
gentée : pouvait-il en être autrement pour cette
princesse dûment reposée par un siècle de
sommeil ?...
La présence des chorales Amicitia et Benja-
mine nous valut également d'entendre - et
d'applaudir - une oeuvrette où Henri Barraud
semble vouloir se défendre de toute intention
d'héroïsme, spécialité dans laquelle, depuis son
beau Poème de l'an dernier, une classification
étroite et maniaque le confinerait volontiers.
Qui peut le plus ne peut pas toujours le moins.
Mais ce n'est pas le cas d'Henri Barraud. Il
nous le prouve avec sa charmante Chanson
villageoise, très réussie dans ce style ingénieu-
sement populaire adapté de son folklore per-
sonnel, et plus encore avec la Ronde des petites
filles vaniteuses, où il imagine trois jeunes
pécores en mal d'Utopie, qui ne consentiront à
épouser qu'un colonel, un président du con-
seil ou un fils de roi, et. qui, descendant peu à
peu les échelons, comme le héron de la fable,
se contenteraient d'un berger si le berger' ne
dédaignait leurs avances pour élire une ber-
gère. Entre les lignes du texte, un orchestre
piauant, drolatique, qui me fait songer à la |
danseuse Trudi Schoop, éperonne de ses traits
aigus, de ses saillies spirituelles, les gestes, les
mines, les moues et la déception finale de ces
mégalomanes en robe courte.
On retrouva non sans plaisir, car il y avait
longtemps, quelques-uns des jolis morceaux de !
l'Artésienne. Et joués avec quelle perfection !
Musicien béni des dieux que celui qui décou-
vrait par hasard des mélodies campagnardes
naturellement aptes au canon à l'octave, comme
dans le prélude, ou à la superposition, comme !
dans la Farandole. Ce qu'on ne voit guère à
notre époque tourmentée où la plupart du
temps les thèmes ne s'imitent et ne se che-
vauchent que sous la contrainte d'ajustages
harmoniques qui les violentent et les torturent
plus ou moins. Heureux, trois fois heureux
Bizet !
Passé le premier moment de surprise et une
fois pris le parti de l'accepter telle quelle, la
symphonie de Paul Paray gagne à être réen-
tendue. Le Quasi lento, qui s'enchaîne sur VAl-
legro initial et dans lequel, par une transition
subtile, une dégradation imperceptible du mou-
vement, on se trouve tout d'un coup plongé, est
une page affectueuse et émue. Mais le finale
surtout m'a frappé par sa gaîté, son humour,
la jovialité un peu mystificatrice de ses thè-
mes, et la légèreté, la transparence d'un orches-
tre qu'eût envié le Liszt des Préludes. De nos
iours. il noua arrive de mêler d£S musiciens
COLONNE : « Divertissement rapsodique », de
M. Edouard Mignan. -« La Belle au bois dor-
mant», de M. Henri Bosser. - « Ronde des peti-
tes filles vaniteuses », de M. Henri Barraud. -.
« Un jardin sur I'Oronte », de M, Alfred Bachelet.
TRITON.
Trois festivals de compositeurs français : MM. Ga-
briel Pierné, Charles Koechlin, Paul Ladmirault.
« Cette pièce pour piano et orchestre, nous
dit M. Edouard Mignan, est écrite sur un thème
inachevé de caractère mi-mélodique, _ mi-
rythmique. » Thème inachevé ! Si les thèmes
eux-mêmes s'en mêlent, maintenant... D'ail-
leurs ia dénomination me paraît assez vague, j
Comment discerner un thème inachevé d'un
thème achevé ? Un thème peut contenir trois
mesures et avoir un sens complet comme il
peut' en contenir dix et laisser l'impression
.d'une idée seulement ébauchée.
Quoi qu'il en soit, cette lacune intentionnelle,,
si vraiment lacune il y a, ne saurait nous alar-
mer. Elle est comblée et au delà par une solide
facture et un orchestre parfaitement au point,
dont émergeront aux bons moments les figu-
ration? harmoniques et les traits de bravoure
de Mme Germaine Beauclavon. Ce Divertisse-
ment rapsodique, admirablement présenté par
Paul Paray,' qui ne fait jamais rien à demi,
constitue, en somme, une oeuvre fort honora-
ble, sinon très audacieuse, conçue par un mu-'
sicien qui sait son métier, qui du moins pos-
sède le métier de ses idées et la réalisa de façon
intéressante et variée. La seconde partie sur-
tout a beaucoup de vie. Le thème binaire ini-
tial, déformé en rythme ternaire à l'allure vive
de scherzo, y contraste heureusement avec la
phrase expressive des violons. Et la conclu-
sion où il éclate en valeurs augmentées ne
manque pas de brillant.
Composée en 1933 à l'intention de la chorale
"des lycées de jeunes filles et exécutée d'abord
à la Sorbonne, l'ode lyrique d'Henri Busser,
d'après, un. poème de Gabriel Vicaire, mêle ou
fait dialoguer, soutenu par un orchestre coloré
mais discret, un double choeur de femmes et
d'enfants. Aussi l'estrade, ce jour-là, est-elle
touté gazouillante d'une jeune effervescence :
aux choeurs de Mme Samuel se sont joints les
choeurs miniatures de Mme Péan, escadron de
tout petits « l'aîné a bien sept ans = aiaguillés
d'autrefois, Couperin et Rameau, par exemple,
pourtant si différents à certains points de vue :
qui sait si le public de l'an 2135, tant la musi-
que aura changé, 11e confondra pas dans une
tendresse indistincte les symphonies de Paray
et de Ferroud ?... .
On réentendit aussi le Cercle des heures, de
Gustave Samazeuilh, chanté cette fois par
Mme Balguerie. Résumés en quelques mots
choisis, en quelques notes combinées avec art,
sorte de hâï-kaï musicaux, où l'atmosphère
créée par le texte rapide, qu'il soit de Franz
Toussaint ou de l'anthologie chinoise, imprè-
gne l'orchestre d'une traînée de sonorités
exquises et rares, ces petits poèmes sont parmi
les productions les plus réussies du musicien
do Canope.
Le 14 avril, dernier concert de la saison.
Abstraction faite, toutefois, de celui du ven-
dredi saint, immuablement consacré à l'homme
de Bayreuth, encore qu'on ne saisisse pas très
bien, hormis l'ironie du Crépuscule des dieux,
quels rapports, même indirects, même symbo-
liques, des Tannhaeuser, Vaisseau, Corporations
et Chevauchée peuvent avoir avec la mort du
Christ. « Simplement parce que c'est l'usage »,
eût dit Golaud.
Donc le 14 avril, dernière séance « pro-
fane », Paul Paray nous gratifia d'une glo-
rieuse ouverture de Gwendoline, d'une Lia pré-
debussyste un peu inutile et dont on devrait
bien nous faire grâce en faveur de chefs-
d'oeuvre moins contestables, les mélancoli-
ques Gigues, les Jeux d'une fantaisie si alerte,
qui pendant ce temps sommeillent dans les
archives sans profit pour personne; enfin d'im-
portants fragments d'Un jardin sur I'Oronte,
ce drame lyrique d'Alfred Bachelet (et Mau-
rice Barrés) que l'Opéra nous révéla en 1$32.1
Mais pour d'administratives raisons d'horaire
on avait dû couper le prélude. Nous ignorions j
ce que nous perdions. Par la noblesse des
idées, leur caractère ardent, passionné, ce pré-
Inde est simplement' une des pages les plus,
expressives et les plus humaines de l'auteur
de Scemo. Non seulement il évoque les enchan-
tements du jardin de Syrie, la féerie de ses
cascades et ses rumeurs enivrantes, le charme
des sultanes dévoilées qui « veillent dans les
kiosques », mais aussi et surtout il fait agir,
penser, vibrer des êtres qui transparaissent
visiblement parmi les jeux chatoyants de l'or-
chestre.
Mme Balguerie vocalisa délicieusement le
chant de la belle Oriante : « La rose dans sa
brève saison., » Et pour la Danse du jardin,
vrai ballet de croisades, l'auteur avait eu
recours à de lointains airs de France qu'il
instrumenta dans une couleur archaïque très
adéquate : la Pastourelle aux sonorités de
vielle, l'amoureuse Caroie, l'Estampée solen-
nelle, la Tresque, anticipation sur un « retour-
à-Bach » avant la lettre, enfin la Gigue toute
rougeoyante d'entrain, le tout exécuté par l'ad-
mirable orchestre Colonne avec une vie extra-
ordinaire. Félicitons entre autres les solistes !
du prélude, MM. Darrieux, Blanquart. Câhuzac, J
France, oeuvre pensée, mûrie, définitive, vrai
type contemporain du genre et dont l'inlassable
Trio Pasquier donna une exécution aussi
vivante que minutieuse. Aux pôles : le Martyre
de sainte Ursule, de Scarlatti, dûment recons-
titué par Ennemond Trillat, et le Bal masqué
de Poulenc, cantate sur des « vers laïques »
- des vers religieux eussent peut-être mieux
convenu - de Max Jacob.
Je ne pus assister à la cinquième séance. Je
le regrette puisqu'elle comportait, outre les
originales Chansons madécasses de Ravel et
l'humoristique scherzo pour quatre bassons de
Prokofiefï, des quatuors de Félix Labunski,
un Polonais aimablement bronzé par le soleil
d'Ile-de-France, et de Conrad Beck, ce farou-
che et sympathique Zurichois pour qui l'archet
n'est pas une badine, en ce sens qu'il ne badine
pas avec la musique, et dont, en maintes occa-
sions, je vous ai dit le mal et le bien que je
pensais d'oeuvres savantes, âpres et hautaines
comme l'hindemithien concerto d'orchestre, la
cinquième symphonie, le concerto, plus acces-
sible celui-là, pour quatuor à cordes et orches-
tre, Innominata, etc.
dont le violon, la flûte la clarinette n'en furent
pas les moins précieux ornements.
Lé troisième concert de Triton, dédié à la
musique tchécoslovaque, commençait par une
sonâté pour piano et violon de Leos Janacek,
datant de 1914, époque bien récente pour dater
déjà, . et dçnt le mérite le plus tangible fut
d'avoir été jouée par Mme Germaine Leroux
et; M. Robert Soetens. Au demeurant, musique
assez froide, mal équilibrée, incohérente, aux
thèmes sans relief et qui, plutôt qu'ils ne se
développent, se répètent à satiété. Bref, de la
musique, comme on disait un peu dédaigneu-
sement en 1805, de musicien de théâtre. Je
préférai la sonatine pour violon et alto -
MM. Jean et Pierre Pasquier - de Jaroslav
Kricka. Certes la sonorité n'y est non plus très
ample, et pour cause. Du moins, de ces deux
frêles instruments, le musicien en tire-t-il le
maximum, comme fit naguère Ravel dans son
extraordinaire duo de violon et violoncelle. Par
ailleurs les idées y sont autrement person-
nelles que dans Janacek. Quant à la sonaite
de Jaroslav Jezek, si tout ce qu'elle apporte
n'est pas absolument inédit, elle parvient néan-
moins, en l'ardeur et la variété qui l'animent,
sa construction ferme, à prouver son droit à
l'existence.
D'une série de mélodies chantées par
Mlle Branèze et jouées par Mme d'Aleman,
je retiendrai surtout, de K.-B. Jirak, l'Inter-
mezzo lyrique - d'après Henri Heine, oui -
qui concilie ingénieusement la couleur et le
pittoresque avec la sensibilité, et Mars, de
L. Vicpalek - poème de K. Toman traduit,
comme Y Intermezzo, par l'éminent polyglotte
André Coeuroy, - d'une inspiration un peu
distante mais dont l'évidente sincérité touche
malgré tout.
4 .Parlés qualités et défauts déjà observés dans
des oeuvrés: antérieures, un trio à cordes de
Bohuslay Martinu. joué par les mêmes frères
Pasquîer plus Etienne, témoignait d'une cer-
taine, constance imaginative chez ce jeune
musiçi.en bien doué mais peut-être trop fêté
aux - débuts de sa carrière : d'une part idées
claires, abondantes, généreuses; d'autre part
extrême facilité, complaisance à tout accepter
dont le résultat se traduit par quelque chose
de hâtif et comme improvisé. Mais rien n'est
encore perdu s'il consent à un contrôle plus
strict de soi-même.
Parmi lês oeuvres révélées au quatrième
concert, citons un Andante et scherzo d'Albert
Roussel, bref, léger, charmant, mais terminant
un peu court, et un Divertimento de H. Neu-
geboren, un peu long et moins intéressant, à
mon avis, que ses compositions précédentes,
ces deux morceaux, pour flûte et: piano, dénon-
cés par Monique Haas et Marcel Moi je avec
toute l'élégance et l'aménité requises ; une
petite suite , très adroite de Jean Rivier pour
le Trio d'anches de Paris {MM. More!, Lefeb-
vre, Oubradous) ; un poème virgilien, la Mort
de Dâphnis, de Maurice Bagot, et surtout un
irio à cordes de Tibor Harsanyi, Hongrois de
Parmi les séances éparpillées durant ce der-
nier trimestre aux quatre coins du temps et
de l'espace, citons d'abord, par droit d'ancien-
neté, le festival Paul Ladmirault pour en rete-
nir principalement, chantées par Mlle Branèze,
quatre Chansonnettes d'Antoine de Baïf dont
l'archaïsme s'actualise d'harmonies neuves et
piquantes, une sonate pour violon et piano
d'un généreux lyrisme et une série fort pitto-
resque et imagée de quatuors vocaux inter-
prétés par l'Accord panait : Dans mon beau
château, Chanson de la mer, la Violette. On ne
connaît pas assez Paul Ladmirault, qui est un
musicien de grand talent. La raison en est
peut-être, raison ignorée de la raison, qu'il a
le dos ingralement tourné, je veux dire qu'il
vit toute l'année loin des agitations parisiennes
dans son splendide isolement de Bretagne. Or
nous savons par expérience que Paris, si atten-
tif aux morts, ne pardonne qu'à contre-coeur
aux simples absents. On ne peut cependant,
même dans son intérêt, souhaiter à Paul Lad-
mirault pareille extrémité.
Le cas de Charles Koechlin, autre méconnu,
est encore moins explicable puisque, sauf
quelques brefs séjours dans les conservatoires
de Californie où il enseigna le contrepoint et
la fugue, il vit généralement à Paris. Sans
doute a-t-il été victime de cette manie de clas-
sification dont je parlais tout à l'heure. Gpmme
André Gedalge, le compositeur d'une sympho-
nie très vivante et de curieux vaux-de-vire,
comme Maurice Emmanuel, ce grave auteur
d'un conte gai qu'une justice tardive est en
train de repêcher, Ch. Koechlin a- été rangé irré-
médiablement dans la catégorie _- soi-disant
réfractaire à la création - des êrudits et des
théoriciens. Il y a trois ans un premier festival
de ses oeuvres, sous la direction de Roger Dé-
sormières, ne laissa pas de surprendre et émou-
voir certains incrédules. Mais la leçon ne suf-
fit pas, hélas ! L'indifférence persista à l'égard
de tant d'oeuvres profondes ou charmantes.
Zeus veuille que cette seconde épreuve soit
plus décisive.
L'Interlude et la Pastorale de la sonatine
d'orgue, sans être austères, reflètent néanmoins
un sentiment intérieur d'une grande émotion.
Et le Choral en fa mineur qui, après un début
presque traditionnel, se dirige peu à peu vers
une bitonalité assez âpre, a beaucoup de no-
blesse. Interprétée avec sûreté par Olivier Mes-
siaen, cette pièce eut les honneurs du bis.
Puis voici, avec le beau violoncelle d'André
Lévy, une série de chansons bretonnes très
variées - poétiques, sombres, féeriques -
d'après des thèmes de l'ancien folklore, har-
monisées'de façon modale et très libre où la
crainte des fausses relations n'est pas toujours
le commencement de la sagesse. Et trois Chan-
sons de Bilitis opposaient leur espiègle viva-
cité à la grandeur tragique de la Prière du
mort, de Heredia, que chanta Mme Marthe
Bailloux avec beaucoup de sensibilité.
Après une suite pour piano intitulée l'An-
cienne maison de campagne, sorte de pendant
au Poème de la maison de Witkowski où le
musicien évoque de mélancoliques souvenirs
- la jeunesse, dit-il, vue du seuil de la vieil-
lesse, - oeuvre avant tout mélodique malgré
de discrètes incursions dans la polytonie, 011
entendait le troisième quatuor à cordes, oeuvre
solide, condensée, où apparaît évident le souci
de fuir les longueurs et les développements
trop copieux. Excellente exécution par le qua-
tuor Gentil, surtout lAndante où, malgré les
rythmes heurtés, il sut maintenir toute la sé-
rénité désirable et le scherzo dont il fit ressor-
tir à merveille le caractère fantasque.
En l'artiste si divers qu'est Gabriel Pierné,
délicat et fort, tendre et ironique, sensible et
humoriste, qui se meut avec une égale aisance
dans des genres à priori inconciliables et dont
la science profonde sait n'être jamais pédante,
la gravité jamais ennuyeuse, on s'est décidé
peu à peu à reconnaître un maître authenti-
que de la musique d'aujourd'hui. Pendant une
heure et demie l'innombrable auditoire du Cer-
cle interallié fut sous le charme, qu'il s'.agit de
l'exquise Sonata di caméra,. Ae la pittoresque
Fantaisie basque ou encore cfe ce chef-d'oeuvre
qui a nom Variations libres' et finale, le tout
exécuté respectivement par Mlle Lily Laskine,
MM. Moi j se, André Lévy, Jean Dayen, Dar-
rieux, Boulay. Et ce charme projeté sur l'audi-
toire, ce n'est pas Roger Bourdin, certes, qui se
fût chargé de le rompre en interprétant avec
tant d'intelligence et de finesse ces spirituels
croquis: Petit rentier, Trois petits chais blancs,
Marionnettes, etc. Pour finir, Giration fut don-
née dans sa version originale, en disque, mais
un disque si parfait qu'il faisait illusion. Ce
charmant ballet, dansé avec une grâce non-
pareille par Serge Lifar encadré de Mlles Ker-
grist et Bardan, fut également une joie pour
les yeux
Fuirent Schmitt.
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