Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1921-01-16
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 16 janvier 1921 16 janvier 1921
Description : 1921/01/16 (Numéro 21716). 1921/01/16 (Numéro 21716).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
3. »» LE TEMPS. « 16 Janvier i&âfï-
1
Après l'audience
,LE RENCHÉRISSES! ENT OU CRISSE PASSIONNEL l
LA PETITE FEHffiE SAVANTE
Le bâtonnier Martini aimait a nommer les
recueils dç jurisprudence l'histoire des va-
riations judiciaires. Les magistrats, qui sont
gens d'esprit, ont le droit et le devoir de
changer davis. Et c'est avec grande réserve
qu'on doit parler de, « jurisprudence cons-
tante ». La jurisprudence des cours est femme,
et varie.
Plus mobile encore en ses tendances est
cette juridiction nécessaire, mais hasardeuse,
qu'on nomme,le jury. Juges de passage, ils
n'ont à consulter que leurs impressions et à
ne se soucier que du fait. Aussi faut-il appor-
ter encore plus de prùdëùce quand on' prétend
indiquer une jurisprudence du jury. On doit
alors emprunter la formule de doute scienti-
fique « Tout se passe comme si. »
Sous le bénéfice de ces observations, disons
'donc que tout se passe, en ce moment, à la
cour d'assises de' la Seine, comme si le jury
TOulait inaugurer une jurisprudence nouvelle
de défense sociale en matière de crime pas-
sionnel. Jadis, en ces procès, l'acquittement 't
suivait la plaidoirie comme l'envoi suit la bal-
lade. En ces dernièères semaines, tel n'a plus
été le dénouement de ces débats. Les jurés se
sont avisés qu'ils ont à leur disposition le
système répressif le plus élastique (circons-
tances atténuantes, questions subsidiaires, loi
de sursis que la cour no refuse pas à leur
.indication). Cette échelle pénale aux degrés
multipliés leur permet l'indulgence sans aller
jusqu'à l'absolution. Ils s'en sont servis.
L'amour, aux assises comme ailleurs, de-
meure l'excuse traditionnelle des méfaits hu-
mains. Les juges ne renient pas toute la lit-
térature. Romanciers feuilletonistes, drama-
turges de toujours les ont intéressés à l'amour
en lutte contre la règle ,mondaine, sociale ou
légale. Ils ont, en classe, appris à admirer
lès imprécations de Camille ils ont récité
l'épître à Racine, dans laquelle Boileau ac-
corde des circonstances atténuantes à la « dou-
leur vertueuse de Phèdre, malgré soi perfide. ».
Donc, pitié aux amants qui se vengent. Mais
désormais plus de sortie triomphale sur le
quai de l'Horloge après une audience où l'on
a fait figure d'héroïne. On peut très bien, le
soir, rentrer à. Saint-Lazare pour un bout de
temps; on peut ne s'en tirer qu'avec les hum-
î>lés honneurs de la loi de sursis.
Le jury paraît avoir réfléchi que la police
correctionnelle ne frappe l'adultère le mieux
caractérisé que de quelques francs d'amende
ou de quelques jours de prison. L'époux le
punit de mort, et pour ce meurtre de jalousie,
naguère il ne risquait plus rien. Une série de
condamnations permet de vérifier la tendance
actuelle toute contraire.
Aux dernières sessions d'assises de la Seine,
quatre affaires l'ont nettement marquée. Le
jury est allé jusqu'à condamner au bagne à
perpétuité un coiffeur qui avait de son instru-
ment professionnel coupé le cou de sa femme.
Ce Figaro meurtrier s'était vengé de jouer les
Sgnanarelle. Pas de circonstances atténuantes.
Une petite bourgeoise parisienne, Mme Gar-
'der, trouve; dans la poche de son mari une
photographie qui la renseigne.
Elle attend que Garder soit couché, et d'un
coup de revolver elle le tue, sur l'oreiller. Le
rapport médical eût fait en d'autres temps
acquitter cette accusée l'aliéniste déclarait la
responsabilité limitée. Cinq ans de réclusion,
tout de même!
Cinq ans de prison, quelques jours plus
tard, à la femme Lelong qui, de même, avait
châtié à coups de revolver la trahison conju-
gale. Cinq ans de réclusion à une marchande
des quatre-saisons qu'affolait le mariage d'une
de ses collègues avec un Grainquebille quel-'
conque, et. qui avait mis le feu à la 'baraque
;de: iajiouvelîe mariée.
« La guerre a fait assez de cadavres et de rui-
nes.», a dit l'avocat général Saillard. et cet ar-
gument a porté. Le jury l'a écouté.
Tel est le courant de sévérité actuel, que le
maître des maîtres en ces affaires, le bâton-
nier Henri-Robert, plaidant ces jours-ci dans
un procès d'assises auquel on ne semble, pas
avoir prêté toute l'attention convenable, se
gardait de demander formellement l'acquitte-
ment de sa cliente.
Celle-ci avait tiré sur son mari qui voulait
•la quitter et qui, devant elle, embrassait sa
rivale. L'éminent défenseur évoqua la scène
avec son art habituel de romancier véridique,
il peignit les tourments de la femme trahie,
et, selon sa méthode, il amena le jury à pren-
dre, dans la querelle, le parti de l'accusée con-
tre la victime. Mais le mot d'acquittement, en
heurtant les jurés, pouvait changer l'atmos-
phère de sympathie déterminée par la plai-
doirie; il se garda de preciser.il implora leur
pitié, et l'obtint.
La cour, présidée par M.- Gilbert, prononça
'deux ans de prison avec sursis. Le soir même
l'accusée était. libre, mais le crime n'avait pas
été. absous. On restait dans la mesure et dans
la vérité. Y demeurera-t-on ? Peut-être ? Le
ijury actuel, en effet, n'est pas un jury qui
ferme les oreilles et répond toujours oui. Dans
une affaire de meurtre (une rixe), où plaidait
FEBJILH~E7i'OI~T ID~3 ~L~1$
DU 16 JANVIER 1921 (3)
SA JEUJIE FEMME
I– Suite
/Exprès teJiléjieuner^ il résolut de* «monter en -se
promenant à la gare du SNord. Le soleil d'avril
ruisselait à flots un peu rouges en'tre les voitu-
res, sur la chaussée humide et miroitante, et
sur les trottoirs entre le va-et-vient de la foule.
Pensif et vaguement mélancolique, il croisait
"sans les voir de fringantes jeunes femmes à
J'allure vive et directe, leurs corps altiers non
̃plus perdus dans la vague des paniers et des
crinolines, mais moulés et révélés par la jupe
brève, juste mesurée à l'ampleur de leurs pas,
et qui claquait nerveusement sur leurs belles
jjambes rapides.'Ainsi la nouvelle beauté, la
nouvelle jeunesse, cingle vers le délicieux in-
connu, le lendemain, le toujours. Il voulut à
toute force ne plus rêver; mais sa pensée re-
tournait invinciblement vers Félise de Ghis-
3ain» H se complaisait à la savoir dans un asile
très douillet, '-rès sûr, où aucune intempérie
n'allait l'empêcher de s'épanouir, de se répandre
autour d'elle en joie comme les fleurs se répan-
dent en parfum. Cette nouvelle évocation de la
jeunesse ne l'amena point à de pénibles re-
tours sur lui-même.
(La montée du boulevard lestement faite, il se
trouvait devant l'édifice écrasé de la gare du
•.Nord. La jeunesse?. Eh bien, il en gardait tout
l'essentiel de la jeunesse! Sa résistance vitale,
son 'activité musculaire et nerveuse n'étaient
pas près de défaillir; les chevauchées de qua-
tre-vingts kilomètres par les boues, les neiges
et Je verglas le laissaient dispos comme ses
̃lieutenants, plus frais que la plupart de ses ca-
pitaines et chefs d'escadron. Enfin, le même
ressort vibrait et faisait tout vibrer en lui,
'le même feu couvait dans ses veines, le ra-
vageait cruellement ou délicieusement,
cœur et tout.
Aimer, être aimé, oui, mais non plus de
ces amours où chacun n'est occupé qu'à se
rechercher soi-même; plus de ces rencontres
clandestines où l'on se rend avec des façons
de flibustiers armés de sourdes méfiances, plus
d'amours à l'aventure, enfin.
Copyright by. Mlle Octavie Aubérv
aussi M* Henri-Robert, avant-hier, l'acquitte-
ment pur et complet a été prononcé. Il sem-
ble donc qu'il y ait là une volonté limitée,
mais ferme, dont il serait bon que les jaloux
des deux sexes fussent avertis.̃
Le jour même où se plaidait l'affaire dont
nous venons de parler, la première chambre du
tribunal était saisie d'un procès plein d'actua-
lité puisque la solution peut apporter un soula-
gement à « la misère de nos laboratoires ».
Lorsque les journaux, l'an passé, annoncè-
rent que la faculté des sciences venait d'ac-
cepter le legs universel de 400,000 francs que lui
avait fait Mme Degoulet-Beer, on se demanda
dans les milieux universitaires quelle était cette
généreuse donatrice? Sans doute quelque vieille
dame sans, enfant, veuve d'un professeur ou-
blié et qui voulait perpétuer le, nom de ce sa-
vant époux.
Ni vieille, ni veuve. Elle est mopte, h 25 ans,
en 1918. Et c'est son mari- -qui, demand'ant, par
l'organe de M* Chatonet, ̃ f annulation du testa-
ment qu'elle; a laissé,, a tracé d'©l-lé,"à la barre,
une originale silhouette. •
Mlle: Raphaële Béer s'était mariée en. 1908; à
Londres, d'abord, où trop éprise pour attendre
la fin des résistances familiales, elle s'était fait
mener par M. Degoulet, le jeune homme qu'elle
avait élu. Elle avait.seize ans. Dès leur rentrée
en France, les époux régularisèrent à la mairie
l'union hâtive contractée secrètement de l'autre
côté de la Manche. ̃ ̃
Vite, Mme Degoulet s'aperçut que « le ma-:
riage est une lourde' chaîne » tout à fait insup-
portable, quand on est une petite femme qui a
de La fantaisie, de la fortune, le respect. ennuyé
de la famille, le goût de l'indépendance, le dé-
dain des préjugés, l'esprit vif, assez de juge-
ment pour comprendre l'agrément de la vie
sans joug, assez de frivolité pour ne pas réflé-
chir que la médaille de la liberté, aussi, a son
revers. •
Aisément les deux époux s'accordèrent pour
distendre, sans divorce, le lien qui trop tôt' les
avait unis. Séparation de biens, séparation de
fait les libérèrent avant que fussent nées entre
eux les vilaines querelles.
En ce temps d'avant-guerre, toutes les jeunes
femmes indépendantes et cultivées s'enga-
geaient dans la légion intellectuelle. On quittait
le domicile conjugal pour « développer sa per-
sonnalité ». Plus de Froufrou; toutes, Nora.
Ce fut du côté des sciences biologique, chimi-
que et physique que Mme Degoulet, qui avait
repris son nom de jeune fille,et qu'on appelait
mademoiselle, s'en fut vivre sa vie. Elle n'avait
point de bagage élémentaire elle ne possédait
nul diplôme, mais elle était intelligente et te-
nace. Elle se fît inscrire à la faculté comme
étudiante bénévole. D'ailleurs, fort attentive aux
cours, fort assidue aux exercices techniques,
aux manipulations, apportant à ces travaux le
sérieux passionné que les femmes mettent à
tout ce qui leur plaît bridge, étude ou es-
sayage. La guei're vint. Mme Degoulet fut inûr-
mière, très zélée, qui ne quittait ses fonctions
que pour aller à Biarritz ou à la montagne; Puis
elle reprit ses cours. Elle avait, dè° '.4, conçu
le projet de laisser après elle sa fortune à la fa-
culté dont elle suivait l'enseignement
Un jour, conte M. Tombeck, le secrétaire de Ja
faculté des sciences, qui, dans une lettre à M"
Porée, avocat de cette faculté, rend hommage à
l'effort laborieux de la jeune femme, eUè vint
me trouver me disant « Je vais mourir ». Gomme
elle avait fort bonne mine, je ta, plaisantai; mais
elle me dit son intention de tester en faveur de la
faculté. Conformément aux instructions de M. le
doyen A'ppeW, je lui donnai les indications sur la
marche a suivre, si elle persistait dans cette vo-
Jonté.
M. Tombeck n'avai-fc pas tort de plaisanter
l'étudiante pour la rassurer sur sa santé, mais
c'est elle qui avait raison en ses sombres pres-
sentiments. Le 28 juillet 1018, elle était opérée
de l'appendicite, elle mourait le ,28 décembre
suivant.
Elle avait réalisé son dessein, institué la fa-
culté des sciences sa légataire universelle. Elle
déshéritait sa mère et sa sœur. Elle laissait à
son mari 6,000 francs de rente viagère. à 'lui
servir quand -il aurasoixante ans. -̃- ̃ •̃•• •
Enfin, elle donnait à M. Louis Jou, graveur
sur bois, le mobilier de son appartement du
quai des Orfèvres, (vieux meubles bois sculp-
tés, etc.) plus une somme de 100,0(30 francs.
C'est ce legs particulier qui est la base de
l'action en nullité intentée par M. Degoulet. La
faculté des sciences, à ses yeux, n'est dans le
testament de sa femme que pour masquer
l'immoralité de la donation particulière. L'a-
mour du beau n'unissait pas seul, à l'entendre,
l'artiste et la jeune femme. Une correspon-
dance retrouvée dans les papiers de Mme De-
goulet montre, dit-il, tout ce que le legs fait à
M. Louis Jou peut avoir d'injurieux pour lui,
le mari. Ce ne sont pas des lettres d'amour;
sp.ns doute; mais le tutoiement y est constant
et toutes finissent par un « Je t'embrasse n
alarmant pour un époux. M. Jou appelle « Mlle
Beer » my dear boy et lui envoie des cartes
postales singulières. M" Chatonet y lit des phra-
ses de ce genre en légende sous une « Vénus
d'Arles », envoyée des Baux « Elle est belle
aussi. Comment vas-tu? » Du même endroit
« Le mistral souffle. Amoureux si l'on peut
dire végétal, je confie au vent le pollen de
mon âme. » Il loge quai aux Fleurs, elle de-
meure quai des Orfèvres. C'est son mobilier
qu'elle lui laisse. Quand elle est opérée, la pre-
mière personne qu'elle autorise à venir à son
chevet, c'est M. Jou. En voilà assez pour qu'un
mari puisse demander l'annulation de ce legs
Ainsi, songeait M. de Lestaque, debout à la
vitre de' son wagop, au moment où s'ébau-
chait en lui le rêve de l'aventure d'amour la
plus téméraire de toute sa vie. Le crépuscule
emmantelait de gris la campagne uniforme,
mais sous ce manteau mélancolique ressor-
tait de loin en loin le bouquet d'un arbre à
fruits avec ses tendres couleurs de pastel, car
en tous lieux doivent être célébrées les nou-
velles fiançailles du Temps et, de la Nature.
Alors, il se retrouva en imagination aux heu-
res matinales de ce jour, dans le jardinet
parisien tout envoilé de buée dorée qui me-
nait au pavillon de Mlla, de Ligneux; il revit
les yeux enchantés de Félise et l'air qu'elle
avait, en marchant près de lui, de se caresser
les lèvres aux effluves si délicatement sau-
vages des pruniers tout blancs et des pom-
miers tout roses.
Maintenant, il traversait la petite ville, ar-
rivait à sa maison sur la place de l'Eglise. Il
entra, mais sortit presque aussitôt en tenue de
cheval, et sauta, plein d'allégresse, sur la jeune
jument qu'il avait donné l'ordre de lui amener,
n'ayant pas eu le temps de la monter le ma-
tin, et il se laissa emporter à fond de train dans
la campagne de plus en plus crépusculaire.
Entre les rivières qui se réveillaient dans les
plis des champs pour jeter des miroitements
d'allégresse, Renaud de Lestaque galopa long-
temps. Même lorsqu'il' tourna bride, il gardait
l'éblouissement d'un beau coucher de soleil. H
en gardait aussi une sorte d'enthousiasme qui
précipitait le sang dans ses veines, sang fluide
et rapide comme au courant de sa jeun'esse. En
vain ses yeux voyaient, minute à minute, les
plis de la nuit s'épaissir àTOrient; il avait l'im-
pression enivrante de retourner vers l'aurore
même de sa vie, vers l'aurore du jour où il eut
vingt ans, l'aurore du premier jour où il aima,
où il fut aimé.
Après son dîner, il passa dans son cabinet
de travail, et tendit nonchalamment la main
vers Tunique lettre apportée pendant sa prû'
menade, à la dernière distribution.
« Mon cher Renaud,
» Je vous sais dans une semaine de loisir
» relatif; moi, de même, et mes filles comme
» leur mère. Mon mari est en Russie, mon gen-
» dre Lecomtois est à Londres et mon gendre de
» Balbit va à Monaco pour un suprême match
» de tir au pigeon les affaires sont lesaffai-
» res. Je profite de tous nos congés pour vous of-
» frir votre annuel déjeuner des Trois-Blondes.
» Voulez-vous jeudi? Préférez-vous samedi? Et
» ne criez pas au miracle si en entrant chez moi
» vous découvrez que trois font quatre. Souve-
» nez-vous de notre dernier entretien; mon
» cœur de vieille femme se tenait tout coi dans
fait à un homme de 36 ans. Ce testament, sou-
tient encore M. Degoulet, il a été écrit sous l'in-
fluence de M. Jou: II a été suggéré à la volonté
débile d'une femme suggestionnée.
Avec plus de réserve; la sœur exhérédée de
l'étudiante, Mme Haas, conclut également à
l'annulation du legs, et M* Querenet a déve-
loppé sa demande à la barre avec beaucoup de
tact et de talent.
Au nom de M. Jou, M* Rodrigues a répondu.
Il a apporté un chaleureux démenti à ce qu'il
appelle « une double, calomnie, contre une
morte «t contre un honnête homme ». Et plai-
dant pour un artiste qu'il admire et qui est,
proclame-t-il, son ami, le distingué avocat pro-
teste d'abord contre les intentions cupides
qu'on a prêtées à son client. Il produit d'émi-
nents témoignages du « désintéressement, de
l'ingénue probité », de cet homme laborieux.
Qui donc est M. Jou? Un ancien ouvrier typo-
graphe arrivé de Barcelone à Paris, à 25 ans, il
y a dix ou douze ans, qui a 'grandi et qui s?est
classé aux dires des meilleurs critiques parmi
les premiers graveurs, sur bois du*vingtièm'e'
siècle. Il a illustré des livres d'Anatole France,
desi ouvrages de Vigny. Le musée dos Arts ''dé-
coratifs possède de lui un « Chemin de croix -V
qui est une œuvre remarquable. Un de ses amis,
M. F. Meyer, docteur ès sciences, professeur au
lycée Carnot, a tracé de M. Jou, dans une sorte
de testimonial qu'il lui adresse en vue de ce e
procès, un portrait des plus élogieux. Il le mon-
tre tout enfermé dans un labeur monacal. °
C'est un réconfort, dit M. Meyer, pour quicon-
que- est découragé de vous voir accomplir votre
belle tâche.
Assis devant vos bois, à votre clair6 fenêtre du
quai aux Fleurs, vous réalisez la figure clasique du
probe artisan qui fait son œuvre avec amour et
gaieté.
D'autres que moi, j'en suis sûr, Anatole France,
André Gide, Suarez diront le prix' qu'ils attachent à
vos travaux et d'estime qu'ils ont pour vous d'une
voix 'plus poignante que celle de votre ami dé-
voué. "̃
C'est chez M. F. Meyer que M. Jou a ren-
contré Mme Degoulet. Elle 5,'est intéressée à ses
travaux; disciple .des Grasset et des Auriol, il
se livrait à des recherches de caractères typo-
graphiques, il lui expliqua les beautés de son
art, et lui grava un encadrement pour'la devise
qu'elle avait choisie « Lege, ora, labora ». 11
traita la jeune femme en étudiante, curieuse de
savoir, en camarade du quartier. Un codicille
explique la pensée qui a présidé au legs des
100,000 francs. « Je te laisse, a écrit Mme De-
goulet, 100,000 francs pour l'imprimerie et pour
acheter de belles choses. » Elle songé à secon^
der les efforts d'un artiste, après avoir subvenu
à des besoins de savants. Voilà la vérité.
« Je te laisse. » Qui, elle le tutoyait. M. Jou
qui parle et écrit encore le français comme un
artisan espagnol tutoie un peu tout le monde.
La jeune femme s'amusa de cette familiarité
toute verbale. Tutoiements d'atelier, habitudes
d'artistes qui dans leur langage aiment à pren-
dre le contrepied des usages, pour mieux man-
quer leur mépris des poncifs. On s'arme contre
eux, dans leur correspondance, de quelques
formules bizarres, peut-être; mais dans ces let-
tres, il n'y a pas une expression d'amour, pas
une allusion intime, pas un souvenir. Rien -qui
justifie l'attaque dirigée parles siens contre la
mémoire de.cette enfant de vingt-cinq 'ans qui
n'a pas mésusé de la liberté qu'elle avait re-
prise et qui, après elle, fait un bon emploi de
son argent. Oh a parlé d'influences malsaines,
de captation1? Eh 1018, M. Jou a passé neuf
mois en Provence à rêver en travaillant. Mme
Degoulet, entre sa convalescence et sa mort, a
voyagé durant trois mois à Biarritz et en Au-
vergne. Libres tous deux, ils n'ont rien fait pour
se joindre. Est-ce le fait d'un couple uni par
des liens cachés? Est-ce le fait d'un intrigant,
d'un chercheur d'héritages de s'éloigner ainsi
de celle dont il escompte la succession et qu'il
veut circonvenir? Et Me Rodrigues conclut à la
validité du testament en « soumettant aux dé-
dains du tribunal » ce roman inventé contre la
donatrice pour compromettre avec elle l'ac-
complissement de ses derniers vœux.
Ainsi proteste V-.Jou. Amis? amants? Que
croire? Ce que les juges à huitaine décide-
ront.
Contre le testament un dernier grief est
articulé, tout de forme, celui-là. Mme, Degoulet
a incomplètement daté l'acte de ses volontés
suprêmes. Ëîe a oublié le millésime, écrivant
simplement « i5 juillet veille de mon opé-
ration ». Cela suffit-il,?
Cela suffit, a affirmé M* Porée, qui, au nom
du doyen de la faculté des sciences, a plaidé
les questions de droit du procès avec beaucoup
de force et de clarté. Mais, comme on l'a dit
à l'audience, cela suffit encore à prouver qu'on
peut être une petite femme savantè, intelli-
gente et généreuse, et, tout de même, paraître
un peu tête de linotte.
H. Vonoven.
P.-S. Les tribunaux aussi souffrent de
l'abondance des matières. Et les plaidoiries,
parfois, y subissent le sort des feuilletons en
certains journaux. C'est ainsi que n'est pas
encore terminé le plaidoyer de M* Léouzon le
Duc dans le procès de filiation contestée que
nous avons exposé il y a quinze jours. Elle
vient en tête du rôle- (lt0, oommencée) tous las
jeudis, et puis des « observations », des af-
faires plus urgentes lui barrent le chemin.
Et c'est en fin de journée, pendant une heure
au plus, qu'on reprend l'affaire Godeville-
Blanchet. Nous en reparlerons quand M" Bon-
net aura plaidé. ̃,
»'ma poitrine; vous l'avez touché avec les
» grands tic-tac du vôtre, le voilà mainte-
» nant qui ne s'arrête plus!
»' D'ESTELLE-MONGLAR. »
Mme Monglar était une cousine de M. de
Lestaque, un peu son aînée, sans fortune, qui
peut-être l'avait aimé, et désespérant de se voir
payée de retour, avait accepté un mariage en
pleine roture, qui lui assurait du moins le foyer
conjugal, les joies de la maternité, le bien-être
matériel et le brio de la vie élégante.
Avec des allures de mondaine, Mme Monglar
portait une âme recueillie, et réservait beau-
coup d'elle-même à une vie intérieure intense,
ardente, toute de nobles émois et de mouve-
ments désintéressés. Renaud de Lsstaque la
connaissait bien, et il y avait, de lui à elle, cette
entière confiance qui est le partage de l'ami-
tié, que l'amour connaît bien rarement. Elle
avait su le nom de toutes ses liaisons sérieu-
ses, et même plus d'une fois lui signala le pé-
ril de nœuds en lesquels sa clairvoyance fémi-
nine avait cru reconnaître un piège. Depuis deux
ou trois ans, elle suivait d'un regard attentif et
touché cette phase quelque peu redoutable, la
seconde jeunesse de son brillant cousin; et lors-
que enfin Mme Leroy-Cernay se fût re-
tirée de lui, aigrie de l'avoir vu tant hésiter
à prononcer le suprême serment, ce fut à l'a-
mie de toujours qu'il vint confesser, sa faute.
confier sa déception, son indéfinissable et
général endolorissement. Il connaissait l'idéa-
lisme pratique de Mme Mongar. Dès l'ins-
tant qu'il lui avait laissé voir son désarroi
intime, elle devait s'appliquer à changer'un
état moral affligeant, singulier peut-être, mais
que son expérience de la. vie l'empêchait de
croire exceptionnel et irrémédiable. Il ne douta
point que la lettre de ce soir fût en quelque
j sorte l'acte préliminaire de cette entreprise.
C'est pourquoi il prit cette année avec moins
d'entrain ses dispositions pour assister au dé-
jeuner des Blondes. C'était lui qui avait bap-
tisé ainsi Mme Monglar et ses deux filles.
Toutes trois avaient les plus belles chevelures
de ce blond cendré, réputé le blond de la
Parisienne, dans le fait très rare à Paris
comme partout ailleurs. L'apparition annoncée
d'une quatrième blonde le troublait quelque
peu, mais il ne crut pas pouvoir se dérober à
l'invite.
Le ménage d'Estelle-Monglar occupait le
deuxième étage d'un bel hôtel, jadis bâti pour un
Bourbon. Il était midi; les cloches de Saint-
Philippe du Roule et celles de toutes les au-
tres paroisses se mettaient à sonner V Angélus
quand M. de- Lestaque prit place dans l'ascen-
seur récemment ajouté au vieil immeuble.
Mme Monglar se trouvait encore seule quand
le domestique ^introduisit son unique invité du
'Nouvelles du jour"
j~~MVÊ&Ët~ DU JOUR
Légion d'honneur
MINISTÈRE DE L'HYGIÈNE
Sont nommés chevaliers de la Légion d'honneur
au titre du ministère de l'hygiène, de l'assistance
et do la prévoyance sociatos
Mme Thalheimer, présidente fondatrice de 1' « En-
tr'aide des femmes françaises », infirmière-major pen-
dant la guerre à l'hôpital militaire du Grand-Palais;
Mlle Milliard, agrégée de l'Université, membre du oon-
scil supérieur de l'Assistance publique; MM. Boucha-
court, directeur de la maison nationale maternelle de
Saint-Maurice (Seine); Joly, secrétaire du conseil su-
périeur de la mutualité; le docteur Gourivaud, inspec-
teur de l'Assistance publique de la Haute-Vienne.
l.~
Mouvement dans les finances
Sont nommés
-u s Trésoriers généraux
De l'Indre, M. Pomot, trésorier de la Corrêze, en
remplacement de M. Boutard, décédé.'
•ée 'la Çorrèze, M.' Dupuy, receveur des finances, à
Avranches.
Receveurs des finances
A Gorbeil, M. Raillard, chef d.e bureau au ministère
des, finances.
A Avranches. M. Rivière, receveur à Dôle.
À Dôle, M. frayssé, receveur à Saint-Marceilin.
A Saint-Marcellin, M. Calvé, receveur à Montmédy.
A Montmédy, M. Muret, contrôleur principal des con-
tributions directes.
» À Compiègne, M. Souchet, receveur à. Vienne.
A Lisieux, M. Dassier, receveur à Saint-Calais.
A Saint-Calais, M. Dumas, receveur à Saint-Pons.
Ai Vcrvins, M. Barguet, receveur à Tonnerre.
A Tonnerre, M. Bernard, receveur à Saint-Claude.
A Saint-Claude, M. Karl, receveur à Ussel.
A Oloron, M. Calestrenié, receveur à Brignoles.
A: Brignoles, M. Marfaing, receveur au Vigan.
A Clamecy, M. Prudot, receveur en disponibilité..
A'Avallon, M. Philippon, chef du cabinet du résident
à Tunis.
Au Vigan, M. Albertucci, percepteur- au Caylar.
A Die, M. Gaillard, percepteur à Salnt-Firmin.
A Ussel, M. Leslgne, percepteur à Beaumesnil.
A Saint-Pons, M. Calmeltes, percepteur à Saint-
Pierre-du-Mont.
A, Nyons, M, Berard, contrôleur des contributions dt-
rectes.
Les loyers
La commission sénatoriale des loyers a examiné
de nouveau le projet relatif à la prorogation des
baux des locataires de bonne foi. Elle a supprimé
la fixation légale des forfaits. Le juge pourra
accorder le maintien dans les lieux loués pen-
dant un délai de six mois, à partir du terme, sui-
vant la décision à intervenir et qui, à défaut d'ac-
cord amiable entre les partie déterminera l'aug-
mep.ta.f,i.on' du loyer pendant la période de la pro.
rëgatjîin, étant tenu compte, de l'aggravation dcharges subies par le propriétaire.
La loi ne s'appliquera qu'aux locations prenant
fin avant le 1" juillet 1921 et ne sera applicable
que dans les communes de 3,000 habitants et au-
dessus.
M. Morand a été chargé du rapport.
ACADÉMIES, UNIVERSITÉS, ÉCOLES
Académie des inscriptions et belles-lettres
Le président, M. Cuq, signale .la. présence de M.
Jorga, professeur à l'université de Bucarest (Rou-
manie), correspondant de l'Académie.
Le thédtre de Delos. M. Homolle annonce qu'il
vient de recevoir une lettre de M. Valtois, dui an-
nonçant qu'en réunissant les débris du théâtre de
Dèilos il a pu rétablir l'ordre du portique de la
scène et diverses autres parties de ce monument.
Subvention. M. Homolle annonce, en outre, que
d'académie de Copenhague vient de mettre une
somme d« 10,000 fr. à la disposition de l'Union
académique interalliée pour l'édition du Corpus
des vases antiques, publié eous la direction de
M, Edmond Pottier. p •
Epigraphie. M. Cowtey, directeur de. la bi-
bliothèque bodiléienne d'Oxford, donri'e lecture d'une
note sur « l'Inscription toïlinguie ararnéolydienDe
do Sardes ».
̃ ̃ ->ï»'AeàCour* et conférences
;4j» Conférences de puériculture à la « Goutte de
lait de BellevUle » Le docteur Varjot a repris ses
̃«onf érenoes ̃ de puériouîture pratique, à, la Goutte de
lalt^de BeHeville «.boulevard de Belleville, 426, hier
vendredi,' devant une nombreuse assistance, et les
éontinuera chaque vendredi à la même heure. Dans une
brève-- allocution, J'éminent pédiatre a rappelé la fon-
dation, par donations volontaires, en 1892, du dispen-
saire de Belleville, ;.çjui fut inauguré par'Jules Simon
et. qui est devenu le berceau des gouttes de lait. Plus
d'un million de litres de lait stérilisé y ont été dis-
tribués à plus de 25,000 nourrissons. Actuellement
l'élevage d'environ trois cents enfants y est contrôlé
régulièrement.
M. Luquet, conseiller municipal de.Belleville, a
souhaité la bienvenue aux auditrices et aux auditeurs
du cours; il a remercié, au nom de la ville de Paris, le
docteur Variot des services qu'il n'a cessé de rendre,
depuis plus de trente ans, aux enfants du premier âge
et de l'oeuvre si importante, si patriotique, qu'il pour-
suit, en sauvegardant la vie des nourrissons et en
enseignant la puériculture.
Ecole interalliée des hautes études sociales, i€,
rue de la Sorbonne, Lundi 17 janvier, 3 h. i/2, M.
Déicètre Negulesco « la Société des nations à la con-
férence de Genève » 5 heures, M. Henry-Marx « les
Héroïnes d'amour dans le drame contemporain ».
Mardi 18, 4 h. 1/2, M. Jean Pommier « Michelet,.
Renan, Taine »; 5 h. 1/2, M. Alfred Groiset « l'Esprit
gréco-latin ».
Mercredi 19, 4 h. 1/4, M. H. Delacroix « Sten-
dhal »; 5 h. 1/2, M. Henri La FontaiDe « la Société
des nations ».
Le cours libre sur 1' « Histoire de la gravure en
France », que fait à la Sorbonne Mlle Duportal,' doc-
teur ès lettres, reprendra le mardi 18 janvier (amphi-
théâtre Guizot). L'époque étudiée cette année est celle
des n quinzième, çt. seizième ̃ siècles..
getrrè masculin dans 'le petit salon qu'elle
animait si harmonieusement, vêtue d'une robe
gris clair, nuance justement affectionnée par
les- blondes au teint un peu vif. L'âge avait à
peina touché sa beauté, à peine fané ses che-
veux, à peine alourdi la souplesse de sa taille
et de ses attitudes. Il y avait une ressemblance
de sœurs entre aile et les quelques rosés qui
fléchissaient sur le col de vases étroits en verre
de Venise posés ici et là sur les meubles pré-
cieux. M. de Lestaque lui baisa la main.
Ils se dévisageaient, la main dans la main,
encore avec des yeux doucement charmés, les
siens, à lui, un peu ironiques semblant dire
Vous voyez, je n'ai pas peur!
Les propos de l'abord achevaient de s'éehàn-
;ger quand arriva la deuxième dès blondes, Mme
de Baldit. Cette jeune femme avait ce qu'on
appelle une tête d'expression, un sourire exta-
sié," des yeux dévorant la vie. Musicienne jus-
qu'à la virtuosité, elle tirait en effet de la vie,
grâce à son art, de précieuses joies quotidien-
nes et en berçait un cœur déçu dès l'heure de
réveil Les deux autres blondes la suivaient de
près Mme Lecomtois qui, sur un corps très
élancé, portait un visage rond d'une fraîcheur
agreste et qui parlait du haut de la tête avec
une voix aiguë de moineau grisé par le grand
air et le grand soleil; enfin Mlle de Marquan,
moins exubérante, moins moderne peut-être.
Elle avait de la distinction, des traits fins et
doux, dés yeux striés gris et or qui souriaient à
-la vie, et cela n'allait. point chez elle sans
mérite.
Mme Monglar lui présenta M. de Lestaque.
'Cependant le maître d'hôtel ouvrait la porte
delà salle à manger, où les cinq convives 'al-
lèrent se ranger autour d'une immense table
ronde. M. de Lestaque présidait, comme font
les rois chez leurs sujets et sujettes. Tout au
long du repas, les jeunes femmes montrèrent
une gaieté étourdissante; etl>ien que le déjeu-
ner fût servi comme à la baguette d'un chef
d'orchestre qui afîectionne l'allégro, Mme de
Baldit demanda qu'on prît le café à table pour
en finir plus vite.
J'ai promis que Blanche et moi, nous
irions vendre à partir de deux heures au comp-
toir de la duchesse d'Armençon.
Sa sœur se récria
Une vente au mois d'avril! Tu ne feras
pas le sou!
Bah! J'ai un joli fond de bourse! Venez,
Blanche, il faut que nous passions au parc
Monceau; mes petites me bouderaient ce, soir
si je n'allais pas leur dire bonjour.
Alors, je te suis aussi pour que mon Pier-
rot ne batte pas de jalousie ses deux cousines.
fit toutes trois s'envolèrent, comme soulevées
•paries ailes de leurs immenses chapeaux.
ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES
1 ET POLITIQUES 1
Un discours de M. Alexandre Millerand
Afin de se conformer au règlement qui veut
que tout membre élu donne Lecture ù ses confrè-
res; et ce dans le délai le plus bref possible, d'une
notice sur la vie et les travaux de son prédéces-
seur direct, M. Alexandre Millerand, président de
la République, s'est. rendu aujourd'hui à: l'Institut',
pour y communiquer l'étude qu'il a écrite sur
M. Sabotier, ancien- avocat au Conseil d'Etat, savant
auquel il a succédé en 1918 dans la section de lé-
gislation, droit public et jurisprudence de l'Acadé-
mie des sciences moralés et politiques.
Après la lecture de la correspondance et du
procès-verbal, M. Millerand a pris la parole en
ces termes
Messieurs,
Maurice Sabatier appartenait à une famille
de robe. En 1595 avait été créée par Henri IV,
à Roquebrun, aujourd'hui une petite com-
mune de l'arrondissement de Saint-Pons, dans
l'Hérault, une étude de notaire pour Vincent
Sabatier, aïeul de voire, confrère. Elle ne sortit
jamais depuis lors de la famille, et il ne dé-
pendit que de Maurice Sabatier de l'occuper.
Un rôle plus brillant lui était réservé sur
un plus vaste théâtre.
L'ambition paternelle le destinait à l'Ecole
polytechnique cet idéal des familles bour-
geoises, dit-on, au siècle dernier.
Par bonheur pour lui, l'un de ses maîtres qui
exerça sur la formation de son esprit une in-
contestable influence, le P. Lacordaire, protesta
que les aptitudes de l'adolescent étaient beau-
coup moins scientifiques que littéraires et
obtint, qu'il fût envoyé à Paris pour y suivre
'les cours de la faculté de droit.
Maurice Sabàtier, qui était né à Narbonne le
31 décembre 1841, avait fait, et très brillam-
ment, la plus grande partie de ses études au
petit séminaire de cette ville. Il ne le quitta que
pour Sorèze où il passa deux années en rhéto-
rique puis en philosophie, à la tête de sa classe.
Sous le titre Mes souvenirs, le P. Lacordaire
à Sorèze, il a ramassé plus tard ses impres-
sions sous forme d'une conférence publiée, en
mars 1913, par la Revue hebdomadaire.
Le jeune disciple que devait animer toute sa
vie le démon oratoire ne pouvait manquer
d'être subjugué par le génie de Lacordaire.
« A peine, écrit-il, avions-nous passé le seuil
(de Sorèze) que nous étions saisis par une élo-
quence qui gouvernait tout. Une parole tour à
tour grandiose et familière, émouvante et sou-
riante, nous prenait dès, l'entrée, nous envelop-
pait comme d'un vêtement ou d'un réseau,
ponctuait en quelque sorte toutes les heures
de notre existence. Nous la rencontrions par-
tout. et partout et toujours c'était le même
effet. Elle nous soulevait au-dessus de nous-
mêmes. »
Une autre influence devait se faire sentir,
forte et durable, sur l'esprit du jeune étudiant.
Sa licence en droit conquise, Maurice Saba-
tier s'était fait inscrire, en 1862, au barreau de
la cour de Paris. L'année suivante avaient lieu
les élections générales au Corps législatif.
Montalembert fut battu.
A l'instigation de ôabatisr quelques jeunes
gens résolurent de lui remettre une adresse
où ils exprimaient les seniknents que leur ins-
pirait l'échec du grand orateur catholique.
« Nous avons tenu disent ces jeunes gens,
à ne paraître ni indifférents, ni complices. Les
causes qae vous servez sont les nôtres; votre
gloire est la nôtre; nous avons partagé vos
revers. Nous ne vous apportons pas des con-
soiaiione; de tels revers ne vous diminuent
pas; mais des regrats, car c'est nous surtout
qui sommes atteints". Laissez^nous toutefois
vous dire nos espérances là génération à la-
quelle nous apipartenons, si elle n'a pas reçu
vos enseignements directs, en voit chaque
jour autour d'elle l'éclatante confirmation.
Instruite par l'expérience, elle comprend que
l'avenir est tout entier aux grands principes
qui ont dirigé votre vie. Nous avons foi dans
cet avenir et nous y marcherons, à travers les
trahisons et les défaillances, fidèles à votre
nom, comme à ceux d'O'Connell et de Lacor-
daire. »
Voicî la lettre que Montalembert écrivit à
cette occasion à son jeune admirateur, qui af-
firmait ainsi, avec tant d'assurance, les con-
victions religieuses et politiques qu'il gardera
toute sa vie
Monsieur, •̃
En relisant l'adresse que vous m'avez apportée avant-
hier au nom de vos amis et camarades, j'ai été plus tou-
ché encore qu'à la première audition de l'éloquence et
de la générosité du langage que vous m'avez tenu.
Je désire vivement savoir le nom du rédacteur de cette
adresse où je trouve réunis, non seulement mes- petits
services, mais les grands principes qui ont présidé à ma
vie. ̃̃'̃̃
Ayez donc l'aimable indiscrétion de me le dire; et si,
comme je le suppose, ce rédacteur n'est autre que vous-
même/recevez de nouveau mes cordiales et sincères ac-
tions de grâces.
Mais que ce soit vous^u un autre, je désire que l'au-
teur de ces lignes si honorables pour moi veuille bien ac-
cepter de ma part un exemplaire complet do mes dis-
cours et opuscules politiques. Cette collection offre ,uu
Renaud, dit Mme Monglar, vous n'allez
pas m'abandonner, vous, du moins?
Il l'installait au salon dans une bergère de
soie et d'or.
Puisque vous me tolérez des cigarettes
ad libitum. Et puis, moi, je n'ai pas de pe-
tites filles ni de petit garçon en train de m'at-
tendre au parc Monceau;
Vous n'en avez pas, et c'est bien ce qui
vous manque! Et aussi ajouta-t-eUe en riant,
la collaboratrice indispensable.
Puis, redevenue toute gravité, elle reprit à
voix pénétrante 1'
J'ai tant pensé à vous depuis le mois dèr-
nier Et je comprends si bien l'angoisse d'un
cœur tel que le vôtre, réduit à crier dans le dé-
sert. Du moins il est temps pour vous encore;
vous pouvez encore fonder un foyer, vous créer
une famille.
Il hocha la tête, et avec un rire chargé d'a-
mertume
Il est fâcheux que l'appréciation de Made-
leine Leroy-Cernay ait différé de la vôtre" du
tout au tout.
Vous m'avez avoué qu'elle n'avait pu man-
quer de pénétrer le secret de vos hésitations
blessantes. Et puis, Madeleine n'était peut-être
pas la femme née pour faire avec vous une as-
sociation heureuse, presque trop riche, pres-
que trop énergique, s'entendant presque trop
bien à la vie. Nul besoir de s'appuyer sur une
épaule virile, Madeleine. Le meilleur de vous
serait demeuré sans emploi, tandis qu'avec
ma chère petite Blanche de Marquan. Chut
laissez-moi achever la présentation ébauchée
tout à l'heure vingt-neuf ans aujourd'hui,
douloureusement isolée; Mme de /Marquan, la
veuve du général, est morte il y a dix-huit
mois laissant un héritage si maigre, dépouillé
des pensions de l'Etat et rentes viagères! Du
reste, si on l'avait sue en mesure de faire à sa
fille une dot appréciable, Blanche est assez jo-
lie.
Certes! convint-il courtoisement, et très
sincèrement aussi". ̃
Ah! vous voyez! J'en étais bien sûre que
vous armeriez cette quatrième blonde, blonde
a éclairer toute votre maison rien qu'en y en-
trant.
Quoi! Grand Dieu! Que voulez-vous dire?
Mais, Geneviève, vous m'entraîneriez à faire
de ces pas.
Vous seriez à la veille de faire le pas
suprême si Madeleine Leroy-Cernay.
Il interrompit avec une vivacité surprenante
et en se montant peu à peu
Madeleine est une femme; elle a été
mère; l'amour, le mariage, la vie enfin n'ont,
plus que des répliques à lu; offrir, et ceux et
celles qui en sont là. peuvent, se sentant par-
certain intérêt, à titre de renseignements et de docu-
ments historiques, sur une époque à peu près inconnue
de la jeunesse actuelle.
Je compte sur vous et sur vos amis, monsieur, pour
que cette chère jeunesse, notre unique espérance, à nous
autres vaincus et naufragés, consente à rester en rela-
tions avec moi; et dès l'hiver prochain j'aviserai aux
moyens de me tenir à sa disposition. Agréez; en atten-
dant, 'mon affectueux dévouement. •;
11 juin 1863.
'̃ MONTALEMJffiHT.
Les relations épistolaires de Montalemfaert
avec Maurice Saibatier ne devaient pas se bor-
ner là.
Stagiaire, Maurice Sabàtier avait naturelle-
ment conçu l'ambition d'être admis; à inscrire
son nom dans ce Livre 'd'or du barreau pari-
sien qu'est la liste des secrétaires de la confé-
rence des avocats. On ne peut la feuilleter «ans
voir se lever à chaque page les noms d'hom-
mes qui illustrèrent, dans le courant du siècle
dernier et des premières années du nôtre, nos
fastes judiciaires et politiques.
Sabatier fut le premier élu de la promotion
1806-1807, sous le bétonnât d'AMou. La promo-
tion précédente avait à sa tête notre confrère
M. Alexandre Ribot.
Appelé par son rang à prononcer à l'ouver-
ture de la conférence, le 7 décembre 18ff7, le
discours de rentrée, le jeune avocat avait choisi
pour sujet « l'Eloge de Rossi ».
Au moment de l'aborder, il s'était adressé à
M. de Montalembert, dans l'espoir- sans doute
de recevoir de lui des renseignements et des
conseils.
La réponse, vous T'allez voir, fut plutôt déoe-
̃ vante. ̃ ̃
Rugensa'rt, par Ottlgnies (Belgique), 6 août 18Ô7:
Monsieur,
Je vous .félicite du sujet que vous avez à traiter parce
qu'il est extrémement difflotle et que. à votre âge et avec
votre talent, il n'y a rien de plus utile que d'avoir à
lutter de bonne heure contre de grandes difficultés.
Mais en vérité je ne sais comment vous vous y prendrez
pour trouver moyen de rendre témoignage è. vos.convic-
tions catholiques et libérales en parlant de M. Rossi, ft
moins de vous décider courageusement à dire du mat do.
votre héros. Il y a dans sa vie une page vraiment su-
blime c'est la dernière. Mais dans toute sa carrière an-
térieure, je ne sache rien que l'on puisse admirer ou
vanter.
J'ignore absolument ce qu'il a fait ou voulu faire en
Suisse. A la Chambre des pairs, où 11 est entré à peu
près en même temps'que mol. si je ne me trompe, j'ai
toujours eu à le combattre; d'abord en 1837, sur la loi
relative à l'emploi des enfants dans les, manufactures.
puis en 1844 dans le grand débat sur la liberté d'ensei-
gnement. Ce grand philosophe voulait que l'industrie
pùt exploiter à son gré l'enfance, et il ne voulait pas qu«
les pères de famille pussent faire élever leurs enfants k
leur gré. Dans la vie privée, où je l'a!, du reste, rare-
ment rencontre, il était hautain et dédaigneux, comrr.s c
tous les doctrinaires de ce temps-là. Quant à la Disso-
ciation sur les Jésuites, c'est assurément une des pages
les plus tristes de notre histoire parlementaire. Entamée
par la peur, elle a été continuée et menée à terme par
la mauvaise foi. Ni la royauté, ni la papauté, ni le ré-
gime parlementaire n'y ont brillé. Les jésuites seuls en
sont sortis avec honneur. M. Guizot l'a racontée dans ie
tome VII de ses Mémoires, où il fait de vains efforts
pour en pallier- la triste nature et les pitoyables résul-
tats.. Quelques-unes de ses inexactitudes ont, été relevées s
dans un petit écrit du Père Cahier, qu'il vous sera indis-
pensable de connaître, et qui, publié d'abord dans les
Etudes religieuses, a paru en brochure chez Douniol.
J'ose croire aussi que vous trouvères quelques ap-
préciations utiles dans un discours de mol à la Chambre o
des pairs, en juin ou juillet 1845, à ce sujet. Vous verrez
aussi ce que j'ai dit de M. Rossi après sa mort dans les
interpellations sur l'expédition de Rome le 30 novembre
1S-S8. Je crois vous avoir donné dans le temps la col-
lection de mes discours, sinon voiis pourriez vous les
procurer par le petit bon 'ci-joint.
Je vous engage, du reste, à voir Iè prince de Brogli?,
qui a été secrétaire d'ambassade de M, Rossi à Rome et
qui l'a beaucoup connu et aimé. H est l'homme du monde
le mieux fait pour vous renseigner sur le sujet que vous
avez à traiter. Je fais d'ailleurs les vœux les plus sin-
cères pour le succès de la tâche laborieuse où vous ûtes
engagé et je vous prie de croire à mon fidèle et affec-
tusux dévouement.
CH. DB MÔXT.U.EM3ERT.
Les vœux de Montalembert furent exaucés
au delà sans doute de ses propres espérances,
et il le marquait à son jeune ami dans ce billet
où le grand orateur se livre tout entier avec une
franchise et un abandon si sympathiques
Paris, le 31 décembre 18C7.1 3,
40, rue du Bac,
Je viens de lire, monsieur, avec autant d'intérêt qu«
d'attention, votre discours sur RoëS! et j'en suis charmé.
Vous m'avez réconcilié avec le rôle et la carrière d'un
homme qui m'était personnellement désagréable.
Mais vous m'avez surtout inspiré un rè;ioubiemoh1
d'estime et de sympathie pour votre talent comme pour
votre caractère.
Ce que j'admire le plus dans votre œuvre c'est le cou-
rage avec lequel vous avez bravé les passions violentes
et les sots préjugés qui ont cours au Palais sur la re-
ligion en générai et la question romaine en particulier.
Ce courage vous portera bonheur, soycr.-sn sûr. Npiis
périssons par la lftcb,eté universelle, par les misérsbles
complaisances des forts envers ceux qu'ils estiment plus
forts qu'eux-mimes. Se peut-il imaginer quoique cho-c
de plus lâche que cette lettre de M.' 3. F. à M. G. pour
s'excuser d'avoir flétri l'atûéisme ? Nous cruserons de
J–)!)~m!<~M~)MM~U)~M~)i)MM))~ d> -p'~
venus à peu près au même poiq*, pos-sr ensem-
ble la pierre du foyer; mais uns créature qui en
est encore à sa première évolution, c'est loin
de moi comme ma jeunesse elle-même, que je
ne reconnais plus quand je regarde au fond
de mon passé.
Et songeur, il continua
Une jeune fille? Combien cela m'est in-
connu J'entrevois un être subtil à l'ex-
trême, qui pour un rien se dérobe, si suscep-
tible qu'un rien le glace,de peur, si tendre qu'un
rien l'écraserait. Moi, épouser une^éune fille!
Je me sentirais interdit, épais, gauche, mala-
droit à lui sembler rude, à lui donner l'impres-
sion de vivre à la caserne.
Oh! oh! oh! près de vo-us, l'homme si
exercé, si habile a ménager les sensibilités
féminines!
Mme Monglar souriait, bien que très décon-
certée intérieurement. Comment un honimo
célébré par tant d'amoureuses en arrivait-il
soudain à douter, à se défier ainsi de lui-
même ? '̃•̃••
Mais il reprenait, avec presque de l'amer-
tume, comme tout à l'heure
Et ne pensez-vous pas. aussi, que les rôvea
d'une jeune fille doivent être sans ressemblance
aucune avec ma réalité? L'époux qu'appellent
les vœux secrets d'une jeune fille est un homme
en rapport d'âge avec elle,, un jeune homms,
.ou du moins, dans le cas de Mlle de Marquan.
un homme très jeune encore, la nature
qui le veut ainsi.
Mme Monglar secoua la tête.
La nature, la nature! Il faut bi-en qu'elle
s'accommode avec nous, la nature, empêtrés
que nous sommes dans les combinaisons
de la vie sociale par deux mille ans de civili-
sation en ce moment, « Régine ar-
rive au parc Monceau, ses petites se jettent
sur elle et la couvrent de baisers; Blan-
che de Marquan assiste à la scène et so.urit,
en dévorant peut-être' ses larmes et en jalou-
sant toutes les jeunes mères de l'innombrable
marmaille bondissante qui criaille dans le jar-
din ses sentiments sont conformes au vœu le
plus modéré, de la nature, cependant.
Elle continua, rêveuse et mélancolique
Voyez- vous, Renaud, qu'un accueil em-
pressé soit réservé à son cœur qui se donne,
qu'un appui moelleux et sûr attende sa délica-
tesse et sa relative faiblesse voilà ce qu'une
femme comme Blanche de Marquan aspire à
trouver dans le mariage, et ce que lui garantirait
le mari qu'elle aurait en vous. De son côté, elle
ne serait pas ingrate, je vous l'affirme.
AiBÉRICH-GHABROI*
(A suivre.).
1
Après l'audience
,LE RENCHÉRISSES! ENT OU CRISSE PASSIONNEL l
LA PETITE FEHffiE SAVANTE
Le bâtonnier Martini aimait a nommer les
recueils dç jurisprudence l'histoire des va-
riations judiciaires. Les magistrats, qui sont
gens d'esprit, ont le droit et le devoir de
changer davis. Et c'est avec grande réserve
qu'on doit parler de, « jurisprudence cons-
tante ». La jurisprudence des cours est femme,
et varie.
Plus mobile encore en ses tendances est
cette juridiction nécessaire, mais hasardeuse,
qu'on nomme,le jury. Juges de passage, ils
n'ont à consulter que leurs impressions et à
ne se soucier que du fait. Aussi faut-il appor-
ter encore plus de prùdëùce quand on' prétend
indiquer une jurisprudence du jury. On doit
alors emprunter la formule de doute scienti-
fique « Tout se passe comme si. »
Sous le bénéfice de ces observations, disons
'donc que tout se passe, en ce moment, à la
cour d'assises de' la Seine, comme si le jury
TOulait inaugurer une jurisprudence nouvelle
de défense sociale en matière de crime pas-
sionnel. Jadis, en ces procès, l'acquittement 't
suivait la plaidoirie comme l'envoi suit la bal-
lade. En ces dernièères semaines, tel n'a plus
été le dénouement de ces débats. Les jurés se
sont avisés qu'ils ont à leur disposition le
système répressif le plus élastique (circons-
tances atténuantes, questions subsidiaires, loi
de sursis que la cour no refuse pas à leur
.indication). Cette échelle pénale aux degrés
multipliés leur permet l'indulgence sans aller
jusqu'à l'absolution. Ils s'en sont servis.
L'amour, aux assises comme ailleurs, de-
meure l'excuse traditionnelle des méfaits hu-
mains. Les juges ne renient pas toute la lit-
térature. Romanciers feuilletonistes, drama-
turges de toujours les ont intéressés à l'amour
en lutte contre la règle ,mondaine, sociale ou
légale. Ils ont, en classe, appris à admirer
lès imprécations de Camille ils ont récité
l'épître à Racine, dans laquelle Boileau ac-
corde des circonstances atténuantes à la « dou-
leur vertueuse de Phèdre, malgré soi perfide. ».
Donc, pitié aux amants qui se vengent. Mais
désormais plus de sortie triomphale sur le
quai de l'Horloge après une audience où l'on
a fait figure d'héroïne. On peut très bien, le
soir, rentrer à. Saint-Lazare pour un bout de
temps; on peut ne s'en tirer qu'avec les hum-
î>lés honneurs de la loi de sursis.
Le jury paraît avoir réfléchi que la police
correctionnelle ne frappe l'adultère le mieux
caractérisé que de quelques francs d'amende
ou de quelques jours de prison. L'époux le
punit de mort, et pour ce meurtre de jalousie,
naguère il ne risquait plus rien. Une série de
condamnations permet de vérifier la tendance
actuelle toute contraire.
Aux dernières sessions d'assises de la Seine,
quatre affaires l'ont nettement marquée. Le
jury est allé jusqu'à condamner au bagne à
perpétuité un coiffeur qui avait de son instru-
ment professionnel coupé le cou de sa femme.
Ce Figaro meurtrier s'était vengé de jouer les
Sgnanarelle. Pas de circonstances atténuantes.
Une petite bourgeoise parisienne, Mme Gar-
'der, trouve; dans la poche de son mari une
photographie qui la renseigne.
Elle attend que Garder soit couché, et d'un
coup de revolver elle le tue, sur l'oreiller. Le
rapport médical eût fait en d'autres temps
acquitter cette accusée l'aliéniste déclarait la
responsabilité limitée. Cinq ans de réclusion,
tout de même!
Cinq ans de prison, quelques jours plus
tard, à la femme Lelong qui, de même, avait
châtié à coups de revolver la trahison conju-
gale. Cinq ans de réclusion à une marchande
des quatre-saisons qu'affolait le mariage d'une
de ses collègues avec un Grainquebille quel-'
conque, et. qui avait mis le feu à la 'baraque
;de: iajiouvelîe mariée.
« La guerre a fait assez de cadavres et de rui-
nes.», a dit l'avocat général Saillard. et cet ar-
gument a porté. Le jury l'a écouté.
Tel est le courant de sévérité actuel, que le
maître des maîtres en ces affaires, le bâton-
nier Henri-Robert, plaidant ces jours-ci dans
un procès d'assises auquel on ne semble, pas
avoir prêté toute l'attention convenable, se
gardait de demander formellement l'acquitte-
ment de sa cliente.
Celle-ci avait tiré sur son mari qui voulait
•la quitter et qui, devant elle, embrassait sa
rivale. L'éminent défenseur évoqua la scène
avec son art habituel de romancier véridique,
il peignit les tourments de la femme trahie,
et, selon sa méthode, il amena le jury à pren-
dre, dans la querelle, le parti de l'accusée con-
tre la victime. Mais le mot d'acquittement, en
heurtant les jurés, pouvait changer l'atmos-
phère de sympathie déterminée par la plai-
doirie; il se garda de preciser.il implora leur
pitié, et l'obtint.
La cour, présidée par M.- Gilbert, prononça
'deux ans de prison avec sursis. Le soir même
l'accusée était. libre, mais le crime n'avait pas
été. absous. On restait dans la mesure et dans
la vérité. Y demeurera-t-on ? Peut-être ? Le
ijury actuel, en effet, n'est pas un jury qui
ferme les oreilles et répond toujours oui. Dans
une affaire de meurtre (une rixe), où plaidait
FEBJILH~E7i'OI~T ID~3 ~L~1$
DU 16 JANVIER 1921 (3)
SA JEUJIE FEMME
I– Suite
/Exprès teJiléjieuner^ il résolut de* «monter en -se
promenant à la gare du SNord. Le soleil d'avril
ruisselait à flots un peu rouges en'tre les voitu-
res, sur la chaussée humide et miroitante, et
sur les trottoirs entre le va-et-vient de la foule.
Pensif et vaguement mélancolique, il croisait
"sans les voir de fringantes jeunes femmes à
J'allure vive et directe, leurs corps altiers non
̃plus perdus dans la vague des paniers et des
crinolines, mais moulés et révélés par la jupe
brève, juste mesurée à l'ampleur de leurs pas,
et qui claquait nerveusement sur leurs belles
jjambes rapides.'Ainsi la nouvelle beauté, la
nouvelle jeunesse, cingle vers le délicieux in-
connu, le lendemain, le toujours. Il voulut à
toute force ne plus rêver; mais sa pensée re-
tournait invinciblement vers Félise de Ghis-
3ain» H se complaisait à la savoir dans un asile
très douillet, '-rès sûr, où aucune intempérie
n'allait l'empêcher de s'épanouir, de se répandre
autour d'elle en joie comme les fleurs se répan-
dent en parfum. Cette nouvelle évocation de la
jeunesse ne l'amena point à de pénibles re-
tours sur lui-même.
(La montée du boulevard lestement faite, il se
trouvait devant l'édifice écrasé de la gare du
•.Nord. La jeunesse?. Eh bien, il en gardait tout
l'essentiel de la jeunesse! Sa résistance vitale,
son 'activité musculaire et nerveuse n'étaient
pas près de défaillir; les chevauchées de qua-
tre-vingts kilomètres par les boues, les neiges
et Je verglas le laissaient dispos comme ses
̃lieutenants, plus frais que la plupart de ses ca-
pitaines et chefs d'escadron. Enfin, le même
ressort vibrait et faisait tout vibrer en lui,
'le même feu couvait dans ses veines, le ra-
vageait cruellement ou délicieusement,
cœur et tout.
Aimer, être aimé, oui, mais non plus de
ces amours où chacun n'est occupé qu'à se
rechercher soi-même; plus de ces rencontres
clandestines où l'on se rend avec des façons
de flibustiers armés de sourdes méfiances, plus
d'amours à l'aventure, enfin.
Copyright by. Mlle Octavie Aubérv
aussi M* Henri-Robert, avant-hier, l'acquitte-
ment pur et complet a été prononcé. Il sem-
ble donc qu'il y ait là une volonté limitée,
mais ferme, dont il serait bon que les jaloux
des deux sexes fussent avertis.̃
Le jour même où se plaidait l'affaire dont
nous venons de parler, la première chambre du
tribunal était saisie d'un procès plein d'actua-
lité puisque la solution peut apporter un soula-
gement à « la misère de nos laboratoires ».
Lorsque les journaux, l'an passé, annoncè-
rent que la faculté des sciences venait d'ac-
cepter le legs universel de 400,000 francs que lui
avait fait Mme Degoulet-Beer, on se demanda
dans les milieux universitaires quelle était cette
généreuse donatrice? Sans doute quelque vieille
dame sans, enfant, veuve d'un professeur ou-
blié et qui voulait perpétuer le, nom de ce sa-
vant époux.
Ni vieille, ni veuve. Elle est mopte, h 25 ans,
en 1918. Et c'est son mari- -qui, demand'ant, par
l'organe de M* Chatonet, ̃ f annulation du testa-
ment qu'elle; a laissé,, a tracé d'©l-lé,"à la barre,
une originale silhouette. •
Mlle: Raphaële Béer s'était mariée en. 1908; à
Londres, d'abord, où trop éprise pour attendre
la fin des résistances familiales, elle s'était fait
mener par M. Degoulet, le jeune homme qu'elle
avait élu. Elle avait.seize ans. Dès leur rentrée
en France, les époux régularisèrent à la mairie
l'union hâtive contractée secrètement de l'autre
côté de la Manche. ̃ ̃
Vite, Mme Degoulet s'aperçut que « le ma-:
riage est une lourde' chaîne » tout à fait insup-
portable, quand on est une petite femme qui a
de La fantaisie, de la fortune, le respect. ennuyé
de la famille, le goût de l'indépendance, le dé-
dain des préjugés, l'esprit vif, assez de juge-
ment pour comprendre l'agrément de la vie
sans joug, assez de frivolité pour ne pas réflé-
chir que la médaille de la liberté, aussi, a son
revers. •
Aisément les deux époux s'accordèrent pour
distendre, sans divorce, le lien qui trop tôt' les
avait unis. Séparation de biens, séparation de
fait les libérèrent avant que fussent nées entre
eux les vilaines querelles.
En ce temps d'avant-guerre, toutes les jeunes
femmes indépendantes et cultivées s'enga-
geaient dans la légion intellectuelle. On quittait
le domicile conjugal pour « développer sa per-
sonnalité ». Plus de Froufrou; toutes, Nora.
Ce fut du côté des sciences biologique, chimi-
que et physique que Mme Degoulet, qui avait
repris son nom de jeune fille,et qu'on appelait
mademoiselle, s'en fut vivre sa vie. Elle n'avait
point de bagage élémentaire elle ne possédait
nul diplôme, mais elle était intelligente et te-
nace. Elle se fît inscrire à la faculté comme
étudiante bénévole. D'ailleurs, fort attentive aux
cours, fort assidue aux exercices techniques,
aux manipulations, apportant à ces travaux le
sérieux passionné que les femmes mettent à
tout ce qui leur plaît bridge, étude ou es-
sayage. La guei're vint. Mme Degoulet fut inûr-
mière, très zélée, qui ne quittait ses fonctions
que pour aller à Biarritz ou à la montagne; Puis
elle reprit ses cours. Elle avait, dè° '.4, conçu
le projet de laisser après elle sa fortune à la fa-
culté dont elle suivait l'enseignement
Un jour, conte M. Tombeck, le secrétaire de Ja
faculté des sciences, qui, dans une lettre à M"
Porée, avocat de cette faculté, rend hommage à
l'effort laborieux de la jeune femme, eUè vint
me trouver me disant « Je vais mourir ». Gomme
elle avait fort bonne mine, je ta, plaisantai; mais
elle me dit son intention de tester en faveur de la
faculté. Conformément aux instructions de M. le
doyen A'ppeW, je lui donnai les indications sur la
marche a suivre, si elle persistait dans cette vo-
Jonté.
M. Tombeck n'avai-fc pas tort de plaisanter
l'étudiante pour la rassurer sur sa santé, mais
c'est elle qui avait raison en ses sombres pres-
sentiments. Le 28 juillet 1018, elle était opérée
de l'appendicite, elle mourait le ,28 décembre
suivant.
Elle avait réalisé son dessein, institué la fa-
culté des sciences sa légataire universelle. Elle
déshéritait sa mère et sa sœur. Elle laissait à
son mari 6,000 francs de rente viagère. à 'lui
servir quand -il aurasoixante ans. -̃- ̃ •̃•• •
Enfin, elle donnait à M. Louis Jou, graveur
sur bois, le mobilier de son appartement du
quai des Orfèvres, (vieux meubles bois sculp-
tés, etc.) plus une somme de 100,0(30 francs.
C'est ce legs particulier qui est la base de
l'action en nullité intentée par M. Degoulet. La
faculté des sciences, à ses yeux, n'est dans le
testament de sa femme que pour masquer
l'immoralité de la donation particulière. L'a-
mour du beau n'unissait pas seul, à l'entendre,
l'artiste et la jeune femme. Une correspon-
dance retrouvée dans les papiers de Mme De-
goulet montre, dit-il, tout ce que le legs fait à
M. Louis Jou peut avoir d'injurieux pour lui,
le mari. Ce ne sont pas des lettres d'amour;
sp.ns doute; mais le tutoiement y est constant
et toutes finissent par un « Je t'embrasse n
alarmant pour un époux. M. Jou appelle « Mlle
Beer » my dear boy et lui envoie des cartes
postales singulières. M" Chatonet y lit des phra-
ses de ce genre en légende sous une « Vénus
d'Arles », envoyée des Baux « Elle est belle
aussi. Comment vas-tu? » Du même endroit
« Le mistral souffle. Amoureux si l'on peut
dire végétal, je confie au vent le pollen de
mon âme. » Il loge quai aux Fleurs, elle de-
meure quai des Orfèvres. C'est son mobilier
qu'elle lui laisse. Quand elle est opérée, la pre-
mière personne qu'elle autorise à venir à son
chevet, c'est M. Jou. En voilà assez pour qu'un
mari puisse demander l'annulation de ce legs
Ainsi, songeait M. de Lestaque, debout à la
vitre de' son wagop, au moment où s'ébau-
chait en lui le rêve de l'aventure d'amour la
plus téméraire de toute sa vie. Le crépuscule
emmantelait de gris la campagne uniforme,
mais sous ce manteau mélancolique ressor-
tait de loin en loin le bouquet d'un arbre à
fruits avec ses tendres couleurs de pastel, car
en tous lieux doivent être célébrées les nou-
velles fiançailles du Temps et, de la Nature.
Alors, il se retrouva en imagination aux heu-
res matinales de ce jour, dans le jardinet
parisien tout envoilé de buée dorée qui me-
nait au pavillon de Mlla, de Ligneux; il revit
les yeux enchantés de Félise et l'air qu'elle
avait, en marchant près de lui, de se caresser
les lèvres aux effluves si délicatement sau-
vages des pruniers tout blancs et des pom-
miers tout roses.
Maintenant, il traversait la petite ville, ar-
rivait à sa maison sur la place de l'Eglise. Il
entra, mais sortit presque aussitôt en tenue de
cheval, et sauta, plein d'allégresse, sur la jeune
jument qu'il avait donné l'ordre de lui amener,
n'ayant pas eu le temps de la monter le ma-
tin, et il se laissa emporter à fond de train dans
la campagne de plus en plus crépusculaire.
Entre les rivières qui se réveillaient dans les
plis des champs pour jeter des miroitements
d'allégresse, Renaud de Lestaque galopa long-
temps. Même lorsqu'il' tourna bride, il gardait
l'éblouissement d'un beau coucher de soleil. H
en gardait aussi une sorte d'enthousiasme qui
précipitait le sang dans ses veines, sang fluide
et rapide comme au courant de sa jeun'esse. En
vain ses yeux voyaient, minute à minute, les
plis de la nuit s'épaissir àTOrient; il avait l'im-
pression enivrante de retourner vers l'aurore
même de sa vie, vers l'aurore du jour où il eut
vingt ans, l'aurore du premier jour où il aima,
où il fut aimé.
Après son dîner, il passa dans son cabinet
de travail, et tendit nonchalamment la main
vers Tunique lettre apportée pendant sa prû'
menade, à la dernière distribution.
« Mon cher Renaud,
» Je vous sais dans une semaine de loisir
» relatif; moi, de même, et mes filles comme
» leur mère. Mon mari est en Russie, mon gen-
» dre Lecomtois est à Londres et mon gendre de
» Balbit va à Monaco pour un suprême match
» de tir au pigeon les affaires sont lesaffai-
» res. Je profite de tous nos congés pour vous of-
» frir votre annuel déjeuner des Trois-Blondes.
» Voulez-vous jeudi? Préférez-vous samedi? Et
» ne criez pas au miracle si en entrant chez moi
» vous découvrez que trois font quatre. Souve-
» nez-vous de notre dernier entretien; mon
» cœur de vieille femme se tenait tout coi dans
fait à un homme de 36 ans. Ce testament, sou-
tient encore M. Degoulet, il a été écrit sous l'in-
fluence de M. Jou: II a été suggéré à la volonté
débile d'une femme suggestionnée.
Avec plus de réserve; la sœur exhérédée de
l'étudiante, Mme Haas, conclut également à
l'annulation du legs, et M* Querenet a déve-
loppé sa demande à la barre avec beaucoup de
tact et de talent.
Au nom de M. Jou, M* Rodrigues a répondu.
Il a apporté un chaleureux démenti à ce qu'il
appelle « une double, calomnie, contre une
morte «t contre un honnête homme ». Et plai-
dant pour un artiste qu'il admire et qui est,
proclame-t-il, son ami, le distingué avocat pro-
teste d'abord contre les intentions cupides
qu'on a prêtées à son client. Il produit d'émi-
nents témoignages du « désintéressement, de
l'ingénue probité », de cet homme laborieux.
Qui donc est M. Jou? Un ancien ouvrier typo-
graphe arrivé de Barcelone à Paris, à 25 ans, il
y a dix ou douze ans, qui a 'grandi et qui s?est
classé aux dires des meilleurs critiques parmi
les premiers graveurs, sur bois du*vingtièm'e'
siècle. Il a illustré des livres d'Anatole France,
desi ouvrages de Vigny. Le musée dos Arts ''dé-
coratifs possède de lui un « Chemin de croix -V
qui est une œuvre remarquable. Un de ses amis,
M. F. Meyer, docteur ès sciences, professeur au
lycée Carnot, a tracé de M. Jou, dans une sorte
de testimonial qu'il lui adresse en vue de ce e
procès, un portrait des plus élogieux. Il le mon-
tre tout enfermé dans un labeur monacal. °
C'est un réconfort, dit M. Meyer, pour quicon-
que- est découragé de vous voir accomplir votre
belle tâche.
Assis devant vos bois, à votre clair6 fenêtre du
quai aux Fleurs, vous réalisez la figure clasique du
probe artisan qui fait son œuvre avec amour et
gaieté.
D'autres que moi, j'en suis sûr, Anatole France,
André Gide, Suarez diront le prix' qu'ils attachent à
vos travaux et d'estime qu'ils ont pour vous d'une
voix 'plus poignante que celle de votre ami dé-
voué. "̃
C'est chez M. F. Meyer que M. Jou a ren-
contré Mme Degoulet. Elle 5,'est intéressée à ses
travaux; disciple .des Grasset et des Auriol, il
se livrait à des recherches de caractères typo-
graphiques, il lui expliqua les beautés de son
art, et lui grava un encadrement pour'la devise
qu'elle avait choisie « Lege, ora, labora ». 11
traita la jeune femme en étudiante, curieuse de
savoir, en camarade du quartier. Un codicille
explique la pensée qui a présidé au legs des
100,000 francs. « Je te laisse, a écrit Mme De-
goulet, 100,000 francs pour l'imprimerie et pour
acheter de belles choses. » Elle songé à secon^
der les efforts d'un artiste, après avoir subvenu
à des besoins de savants. Voilà la vérité.
« Je te laisse. » Qui, elle le tutoyait. M. Jou
qui parle et écrit encore le français comme un
artisan espagnol tutoie un peu tout le monde.
La jeune femme s'amusa de cette familiarité
toute verbale. Tutoiements d'atelier, habitudes
d'artistes qui dans leur langage aiment à pren-
dre le contrepied des usages, pour mieux man-
quer leur mépris des poncifs. On s'arme contre
eux, dans leur correspondance, de quelques
formules bizarres, peut-être; mais dans ces let-
tres, il n'y a pas une expression d'amour, pas
une allusion intime, pas un souvenir. Rien -qui
justifie l'attaque dirigée parles siens contre la
mémoire de.cette enfant de vingt-cinq 'ans qui
n'a pas mésusé de la liberté qu'elle avait re-
prise et qui, après elle, fait un bon emploi de
son argent. Oh a parlé d'influences malsaines,
de captation1? Eh 1018, M. Jou a passé neuf
mois en Provence à rêver en travaillant. Mme
Degoulet, entre sa convalescence et sa mort, a
voyagé durant trois mois à Biarritz et en Au-
vergne. Libres tous deux, ils n'ont rien fait pour
se joindre. Est-ce le fait d'un couple uni par
des liens cachés? Est-ce le fait d'un intrigant,
d'un chercheur d'héritages de s'éloigner ainsi
de celle dont il escompte la succession et qu'il
veut circonvenir? Et Me Rodrigues conclut à la
validité du testament en « soumettant aux dé-
dains du tribunal » ce roman inventé contre la
donatrice pour compromettre avec elle l'ac-
complissement de ses derniers vœux.
Ainsi proteste V-.Jou. Amis? amants? Que
croire? Ce que les juges à huitaine décide-
ront.
Contre le testament un dernier grief est
articulé, tout de forme, celui-là. Mme, Degoulet
a incomplètement daté l'acte de ses volontés
suprêmes. Ëîe a oublié le millésime, écrivant
simplement « i5 juillet veille de mon opé-
ration ». Cela suffit-il,?
Cela suffit, a affirmé M* Porée, qui, au nom
du doyen de la faculté des sciences, a plaidé
les questions de droit du procès avec beaucoup
de force et de clarté. Mais, comme on l'a dit
à l'audience, cela suffit encore à prouver qu'on
peut être une petite femme savantè, intelli-
gente et généreuse, et, tout de même, paraître
un peu tête de linotte.
H. Vonoven.
P.-S. Les tribunaux aussi souffrent de
l'abondance des matières. Et les plaidoiries,
parfois, y subissent le sort des feuilletons en
certains journaux. C'est ainsi que n'est pas
encore terminé le plaidoyer de M* Léouzon le
Duc dans le procès de filiation contestée que
nous avons exposé il y a quinze jours. Elle
vient en tête du rôle- (lt0, oommencée) tous las
jeudis, et puis des « observations », des af-
faires plus urgentes lui barrent le chemin.
Et c'est en fin de journée, pendant une heure
au plus, qu'on reprend l'affaire Godeville-
Blanchet. Nous en reparlerons quand M" Bon-
net aura plaidé. ̃,
»'ma poitrine; vous l'avez touché avec les
» grands tic-tac du vôtre, le voilà mainte-
» nant qui ne s'arrête plus!
»' D'ESTELLE-MONGLAR. »
Mme Monglar était une cousine de M. de
Lestaque, un peu son aînée, sans fortune, qui
peut-être l'avait aimé, et désespérant de se voir
payée de retour, avait accepté un mariage en
pleine roture, qui lui assurait du moins le foyer
conjugal, les joies de la maternité, le bien-être
matériel et le brio de la vie élégante.
Avec des allures de mondaine, Mme Monglar
portait une âme recueillie, et réservait beau-
coup d'elle-même à une vie intérieure intense,
ardente, toute de nobles émois et de mouve-
ments désintéressés. Renaud de Lsstaque la
connaissait bien, et il y avait, de lui à elle, cette
entière confiance qui est le partage de l'ami-
tié, que l'amour connaît bien rarement. Elle
avait su le nom de toutes ses liaisons sérieu-
ses, et même plus d'une fois lui signala le pé-
ril de nœuds en lesquels sa clairvoyance fémi-
nine avait cru reconnaître un piège. Depuis deux
ou trois ans, elle suivait d'un regard attentif et
touché cette phase quelque peu redoutable, la
seconde jeunesse de son brillant cousin; et lors-
que enfin Mme Leroy-Cernay se fût re-
tirée de lui, aigrie de l'avoir vu tant hésiter
à prononcer le suprême serment, ce fut à l'a-
mie de toujours qu'il vint confesser, sa faute.
confier sa déception, son indéfinissable et
général endolorissement. Il connaissait l'idéa-
lisme pratique de Mme Mongar. Dès l'ins-
tant qu'il lui avait laissé voir son désarroi
intime, elle devait s'appliquer à changer'un
état moral affligeant, singulier peut-être, mais
que son expérience de la. vie l'empêchait de
croire exceptionnel et irrémédiable. Il ne douta
point que la lettre de ce soir fût en quelque
j sorte l'acte préliminaire de cette entreprise.
C'est pourquoi il prit cette année avec moins
d'entrain ses dispositions pour assister au dé-
jeuner des Blondes. C'était lui qui avait bap-
tisé ainsi Mme Monglar et ses deux filles.
Toutes trois avaient les plus belles chevelures
de ce blond cendré, réputé le blond de la
Parisienne, dans le fait très rare à Paris
comme partout ailleurs. L'apparition annoncée
d'une quatrième blonde le troublait quelque
peu, mais il ne crut pas pouvoir se dérober à
l'invite.
Le ménage d'Estelle-Monglar occupait le
deuxième étage d'un bel hôtel, jadis bâti pour un
Bourbon. Il était midi; les cloches de Saint-
Philippe du Roule et celles de toutes les au-
tres paroisses se mettaient à sonner V Angélus
quand M. de- Lestaque prit place dans l'ascen-
seur récemment ajouté au vieil immeuble.
Mme Monglar se trouvait encore seule quand
le domestique ^introduisit son unique invité du
'Nouvelles du jour"
j~~MVÊ&Ët~ DU JOUR
Légion d'honneur
MINISTÈRE DE L'HYGIÈNE
Sont nommés chevaliers de la Légion d'honneur
au titre du ministère de l'hygiène, de l'assistance
et do la prévoyance sociatos
Mme Thalheimer, présidente fondatrice de 1' « En-
tr'aide des femmes françaises », infirmière-major pen-
dant la guerre à l'hôpital militaire du Grand-Palais;
Mlle Milliard, agrégée de l'Université, membre du oon-
scil supérieur de l'Assistance publique; MM. Boucha-
court, directeur de la maison nationale maternelle de
Saint-Maurice (Seine); Joly, secrétaire du conseil su-
périeur de la mutualité; le docteur Gourivaud, inspec-
teur de l'Assistance publique de la Haute-Vienne.
l.~
Mouvement dans les finances
Sont nommés
-u s Trésoriers généraux
De l'Indre, M. Pomot, trésorier de la Corrêze, en
remplacement de M. Boutard, décédé.'
•ée 'la Çorrèze, M.' Dupuy, receveur des finances, à
Avranches.
Receveurs des finances
A Gorbeil, M. Raillard, chef d.e bureau au ministère
des, finances.
A Avranches. M. Rivière, receveur à Dôle.
À Dôle, M. frayssé, receveur à Saint-Marceilin.
A Saint-Marcellin, M. Calvé, receveur à Montmédy.
A Montmédy, M. Muret, contrôleur principal des con-
tributions directes.
» À Compiègne, M. Souchet, receveur à. Vienne.
A Lisieux, M. Dassier, receveur à Saint-Calais.
A Saint-Calais, M. Dumas, receveur à Saint-Pons.
Ai Vcrvins, M. Barguet, receveur à Tonnerre.
A Tonnerre, M. Bernard, receveur à Saint-Claude.
A Saint-Claude, M. Karl, receveur à Ussel.
A Oloron, M. Calestrenié, receveur à Brignoles.
A: Brignoles, M. Marfaing, receveur au Vigan.
A Clamecy, M. Prudot, receveur en disponibilité..
A'Avallon, M. Philippon, chef du cabinet du résident
à Tunis.
Au Vigan, M. Albertucci, percepteur- au Caylar.
A Die, M. Gaillard, percepteur à Salnt-Firmin.
A Ussel, M. Leslgne, percepteur à Beaumesnil.
A Saint-Pons, M. Calmeltes, percepteur à Saint-
Pierre-du-Mont.
A, Nyons, M, Berard, contrôleur des contributions dt-
rectes.
Les loyers
La commission sénatoriale des loyers a examiné
de nouveau le projet relatif à la prorogation des
baux des locataires de bonne foi. Elle a supprimé
la fixation légale des forfaits. Le juge pourra
accorder le maintien dans les lieux loués pen-
dant un délai de six mois, à partir du terme, sui-
vant la décision à intervenir et qui, à défaut d'ac-
cord amiable entre les partie déterminera l'aug-
mep.ta.f,i.on' du loyer pendant la période de la pro.
rëgatjîin, étant tenu compte, de l'aggravation dcharges subies par le propriétaire.
La loi ne s'appliquera qu'aux locations prenant
fin avant le 1" juillet 1921 et ne sera applicable
que dans les communes de 3,000 habitants et au-
dessus.
M. Morand a été chargé du rapport.
ACADÉMIES, UNIVERSITÉS, ÉCOLES
Académie des inscriptions et belles-lettres
Le président, M. Cuq, signale .la. présence de M.
Jorga, professeur à l'université de Bucarest (Rou-
manie), correspondant de l'Académie.
Le thédtre de Delos. M. Homolle annonce qu'il
vient de recevoir une lettre de M. Valtois, dui an-
nonçant qu'en réunissant les débris du théâtre de
Dèilos il a pu rétablir l'ordre du portique de la
scène et diverses autres parties de ce monument.
Subvention. M. Homolle annonce, en outre, que
d'académie de Copenhague vient de mettre une
somme d« 10,000 fr. à la disposition de l'Union
académique interalliée pour l'édition du Corpus
des vases antiques, publié eous la direction de
M, Edmond Pottier. p •
Epigraphie. M. Cowtey, directeur de. la bi-
bliothèque bodiléienne d'Oxford, donri'e lecture d'une
note sur « l'Inscription toïlinguie ararnéolydienDe
do Sardes ».
̃ ̃ ->ï»'AeàCour* et conférences
;4j» Conférences de puériculture à la « Goutte de
lait de BellevUle » Le docteur Varjot a repris ses
̃«onf érenoes ̃ de puériouîture pratique, à, la Goutte de
lalt^de BeHeville «.boulevard de Belleville, 426, hier
vendredi,' devant une nombreuse assistance, et les
éontinuera chaque vendredi à la même heure. Dans une
brève-- allocution, J'éminent pédiatre a rappelé la fon-
dation, par donations volontaires, en 1892, du dispen-
saire de Belleville, ;.çjui fut inauguré par'Jules Simon
et. qui est devenu le berceau des gouttes de lait. Plus
d'un million de litres de lait stérilisé y ont été dis-
tribués à plus de 25,000 nourrissons. Actuellement
l'élevage d'environ trois cents enfants y est contrôlé
régulièrement.
M. Luquet, conseiller municipal de.Belleville, a
souhaité la bienvenue aux auditrices et aux auditeurs
du cours; il a remercié, au nom de la ville de Paris, le
docteur Variot des services qu'il n'a cessé de rendre,
depuis plus de trente ans, aux enfants du premier âge
et de l'oeuvre si importante, si patriotique, qu'il pour-
suit, en sauvegardant la vie des nourrissons et en
enseignant la puériculture.
Ecole interalliée des hautes études sociales, i€,
rue de la Sorbonne, Lundi 17 janvier, 3 h. i/2, M.
Déicètre Negulesco « la Société des nations à la con-
férence de Genève » 5 heures, M. Henry-Marx « les
Héroïnes d'amour dans le drame contemporain ».
Mardi 18, 4 h. 1/2, M. Jean Pommier « Michelet,.
Renan, Taine »; 5 h. 1/2, M. Alfred Groiset « l'Esprit
gréco-latin ».
Mercredi 19, 4 h. 1/4, M. H. Delacroix « Sten-
dhal »; 5 h. 1/2, M. Henri La FontaiDe « la Société
des nations ».
Le cours libre sur 1' « Histoire de la gravure en
France », que fait à la Sorbonne Mlle Duportal,' doc-
teur ès lettres, reprendra le mardi 18 janvier (amphi-
théâtre Guizot). L'époque étudiée cette année est celle
des n quinzième, çt. seizième ̃ siècles..
getrrè masculin dans 'le petit salon qu'elle
animait si harmonieusement, vêtue d'une robe
gris clair, nuance justement affectionnée par
les- blondes au teint un peu vif. L'âge avait à
peina touché sa beauté, à peine fané ses che-
veux, à peine alourdi la souplesse de sa taille
et de ses attitudes. Il y avait une ressemblance
de sœurs entre aile et les quelques rosés qui
fléchissaient sur le col de vases étroits en verre
de Venise posés ici et là sur les meubles pré-
cieux. M. de Lestaque lui baisa la main.
Ils se dévisageaient, la main dans la main,
encore avec des yeux doucement charmés, les
siens, à lui, un peu ironiques semblant dire
Vous voyez, je n'ai pas peur!
Les propos de l'abord achevaient de s'éehàn-
;ger quand arriva la deuxième dès blondes, Mme
de Baldit. Cette jeune femme avait ce qu'on
appelle une tête d'expression, un sourire exta-
sié," des yeux dévorant la vie. Musicienne jus-
qu'à la virtuosité, elle tirait en effet de la vie,
grâce à son art, de précieuses joies quotidien-
nes et en berçait un cœur déçu dès l'heure de
réveil Les deux autres blondes la suivaient de
près Mme Lecomtois qui, sur un corps très
élancé, portait un visage rond d'une fraîcheur
agreste et qui parlait du haut de la tête avec
une voix aiguë de moineau grisé par le grand
air et le grand soleil; enfin Mlle de Marquan,
moins exubérante, moins moderne peut-être.
Elle avait de la distinction, des traits fins et
doux, dés yeux striés gris et or qui souriaient à
-la vie, et cela n'allait. point chez elle sans
mérite.
Mme Monglar lui présenta M. de Lestaque.
'Cependant le maître d'hôtel ouvrait la porte
delà salle à manger, où les cinq convives 'al-
lèrent se ranger autour d'une immense table
ronde. M. de Lestaque présidait, comme font
les rois chez leurs sujets et sujettes. Tout au
long du repas, les jeunes femmes montrèrent
une gaieté étourdissante; etl>ien que le déjeu-
ner fût servi comme à la baguette d'un chef
d'orchestre qui afîectionne l'allégro, Mme de
Baldit demanda qu'on prît le café à table pour
en finir plus vite.
J'ai promis que Blanche et moi, nous
irions vendre à partir de deux heures au comp-
toir de la duchesse d'Armençon.
Sa sœur se récria
Une vente au mois d'avril! Tu ne feras
pas le sou!
Bah! J'ai un joli fond de bourse! Venez,
Blanche, il faut que nous passions au parc
Monceau; mes petites me bouderaient ce, soir
si je n'allais pas leur dire bonjour.
Alors, je te suis aussi pour que mon Pier-
rot ne batte pas de jalousie ses deux cousines.
fit toutes trois s'envolèrent, comme soulevées
•paries ailes de leurs immenses chapeaux.
ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES
1 ET POLITIQUES 1
Un discours de M. Alexandre Millerand
Afin de se conformer au règlement qui veut
que tout membre élu donne Lecture ù ses confrè-
res; et ce dans le délai le plus bref possible, d'une
notice sur la vie et les travaux de son prédéces-
seur direct, M. Alexandre Millerand, président de
la République, s'est. rendu aujourd'hui à: l'Institut',
pour y communiquer l'étude qu'il a écrite sur
M. Sabotier, ancien- avocat au Conseil d'Etat, savant
auquel il a succédé en 1918 dans la section de lé-
gislation, droit public et jurisprudence de l'Acadé-
mie des sciences moralés et politiques.
Après la lecture de la correspondance et du
procès-verbal, M. Millerand a pris la parole en
ces termes
Messieurs,
Maurice Sabatier appartenait à une famille
de robe. En 1595 avait été créée par Henri IV,
à Roquebrun, aujourd'hui une petite com-
mune de l'arrondissement de Saint-Pons, dans
l'Hérault, une étude de notaire pour Vincent
Sabatier, aïeul de voire, confrère. Elle ne sortit
jamais depuis lors de la famille, et il ne dé-
pendit que de Maurice Sabatier de l'occuper.
Un rôle plus brillant lui était réservé sur
un plus vaste théâtre.
L'ambition paternelle le destinait à l'Ecole
polytechnique cet idéal des familles bour-
geoises, dit-on, au siècle dernier.
Par bonheur pour lui, l'un de ses maîtres qui
exerça sur la formation de son esprit une in-
contestable influence, le P. Lacordaire, protesta
que les aptitudes de l'adolescent étaient beau-
coup moins scientifiques que littéraires et
obtint, qu'il fût envoyé à Paris pour y suivre
'les cours de la faculté de droit.
Maurice Sabàtier, qui était né à Narbonne le
31 décembre 1841, avait fait, et très brillam-
ment, la plus grande partie de ses études au
petit séminaire de cette ville. Il ne le quitta que
pour Sorèze où il passa deux années en rhéto-
rique puis en philosophie, à la tête de sa classe.
Sous le titre Mes souvenirs, le P. Lacordaire
à Sorèze, il a ramassé plus tard ses impres-
sions sous forme d'une conférence publiée, en
mars 1913, par la Revue hebdomadaire.
Le jeune disciple que devait animer toute sa
vie le démon oratoire ne pouvait manquer
d'être subjugué par le génie de Lacordaire.
« A peine, écrit-il, avions-nous passé le seuil
(de Sorèze) que nous étions saisis par une élo-
quence qui gouvernait tout. Une parole tour à
tour grandiose et familière, émouvante et sou-
riante, nous prenait dès, l'entrée, nous envelop-
pait comme d'un vêtement ou d'un réseau,
ponctuait en quelque sorte toutes les heures
de notre existence. Nous la rencontrions par-
tout. et partout et toujours c'était le même
effet. Elle nous soulevait au-dessus de nous-
mêmes. »
Une autre influence devait se faire sentir,
forte et durable, sur l'esprit du jeune étudiant.
Sa licence en droit conquise, Maurice Saba-
tier s'était fait inscrire, en 1862, au barreau de
la cour de Paris. L'année suivante avaient lieu
les élections générales au Corps législatif.
Montalembert fut battu.
A l'instigation de ôabatisr quelques jeunes
gens résolurent de lui remettre une adresse
où ils exprimaient les seniknents que leur ins-
pirait l'échec du grand orateur catholique.
« Nous avons tenu disent ces jeunes gens,
à ne paraître ni indifférents, ni complices. Les
causes qae vous servez sont les nôtres; votre
gloire est la nôtre; nous avons partagé vos
revers. Nous ne vous apportons pas des con-
soiaiione; de tels revers ne vous diminuent
pas; mais des regrats, car c'est nous surtout
qui sommes atteints". Laissez^nous toutefois
vous dire nos espérances là génération à la-
quelle nous apipartenons, si elle n'a pas reçu
vos enseignements directs, en voit chaque
jour autour d'elle l'éclatante confirmation.
Instruite par l'expérience, elle comprend que
l'avenir est tout entier aux grands principes
qui ont dirigé votre vie. Nous avons foi dans
cet avenir et nous y marcherons, à travers les
trahisons et les défaillances, fidèles à votre
nom, comme à ceux d'O'Connell et de Lacor-
daire. »
Voicî la lettre que Montalembert écrivit à
cette occasion à son jeune admirateur, qui af-
firmait ainsi, avec tant d'assurance, les con-
victions religieuses et politiques qu'il gardera
toute sa vie
Monsieur, •̃
En relisant l'adresse que vous m'avez apportée avant-
hier au nom de vos amis et camarades, j'ai été plus tou-
ché encore qu'à la première audition de l'éloquence et
de la générosité du langage que vous m'avez tenu.
Je désire vivement savoir le nom du rédacteur de cette
adresse où je trouve réunis, non seulement mes- petits
services, mais les grands principes qui ont présidé à ma
vie. ̃̃'̃̃
Ayez donc l'aimable indiscrétion de me le dire; et si,
comme je le suppose, ce rédacteur n'est autre que vous-
même/recevez de nouveau mes cordiales et sincères ac-
tions de grâces.
Mais que ce soit vous^u un autre, je désire que l'au-
teur de ces lignes si honorables pour moi veuille bien ac-
cepter de ma part un exemplaire complet do mes dis-
cours et opuscules politiques. Cette collection offre ,uu
Renaud, dit Mme Monglar, vous n'allez
pas m'abandonner, vous, du moins?
Il l'installait au salon dans une bergère de
soie et d'or.
Puisque vous me tolérez des cigarettes
ad libitum. Et puis, moi, je n'ai pas de pe-
tites filles ni de petit garçon en train de m'at-
tendre au parc Monceau;
Vous n'en avez pas, et c'est bien ce qui
vous manque! Et aussi ajouta-t-eUe en riant,
la collaboratrice indispensable.
Puis, redevenue toute gravité, elle reprit à
voix pénétrante 1'
J'ai tant pensé à vous depuis le mois dèr-
nier Et je comprends si bien l'angoisse d'un
cœur tel que le vôtre, réduit à crier dans le dé-
sert. Du moins il est temps pour vous encore;
vous pouvez encore fonder un foyer, vous créer
une famille.
Il hocha la tête, et avec un rire chargé d'a-
mertume
Il est fâcheux que l'appréciation de Made-
leine Leroy-Cernay ait différé de la vôtre" du
tout au tout.
Vous m'avez avoué qu'elle n'avait pu man-
quer de pénétrer le secret de vos hésitations
blessantes. Et puis, Madeleine n'était peut-être
pas la femme née pour faire avec vous une as-
sociation heureuse, presque trop riche, pres-
que trop énergique, s'entendant presque trop
bien à la vie. Nul besoir de s'appuyer sur une
épaule virile, Madeleine. Le meilleur de vous
serait demeuré sans emploi, tandis qu'avec
ma chère petite Blanche de Marquan. Chut
laissez-moi achever la présentation ébauchée
tout à l'heure vingt-neuf ans aujourd'hui,
douloureusement isolée; Mme de /Marquan, la
veuve du général, est morte il y a dix-huit
mois laissant un héritage si maigre, dépouillé
des pensions de l'Etat et rentes viagères! Du
reste, si on l'avait sue en mesure de faire à sa
fille une dot appréciable, Blanche est assez jo-
lie.
Certes! convint-il courtoisement, et très
sincèrement aussi". ̃
Ah! vous voyez! J'en étais bien sûre que
vous armeriez cette quatrième blonde, blonde
a éclairer toute votre maison rien qu'en y en-
trant.
Quoi! Grand Dieu! Que voulez-vous dire?
Mais, Geneviève, vous m'entraîneriez à faire
de ces pas.
Vous seriez à la veille de faire le pas
suprême si Madeleine Leroy-Cernay.
Il interrompit avec une vivacité surprenante
et en se montant peu à peu
Madeleine est une femme; elle a été
mère; l'amour, le mariage, la vie enfin n'ont,
plus que des répliques à lu; offrir, et ceux et
celles qui en sont là. peuvent, se sentant par-
certain intérêt, à titre de renseignements et de docu-
ments historiques, sur une époque à peu près inconnue
de la jeunesse actuelle.
Je compte sur vous et sur vos amis, monsieur, pour
que cette chère jeunesse, notre unique espérance, à nous
autres vaincus et naufragés, consente à rester en rela-
tions avec moi; et dès l'hiver prochain j'aviserai aux
moyens de me tenir à sa disposition. Agréez; en atten-
dant, 'mon affectueux dévouement. •;
11 juin 1863.
'̃ MONTALEMJffiHT.
Les relations épistolaires de Montalemfaert
avec Maurice Saibatier ne devaient pas se bor-
ner là.
Stagiaire, Maurice Sabàtier avait naturelle-
ment conçu l'ambition d'être admis; à inscrire
son nom dans ce Livre 'd'or du barreau pari-
sien qu'est la liste des secrétaires de la confé-
rence des avocats. On ne peut la feuilleter «ans
voir se lever à chaque page les noms d'hom-
mes qui illustrèrent, dans le courant du siècle
dernier et des premières années du nôtre, nos
fastes judiciaires et politiques.
Sabatier fut le premier élu de la promotion
1806-1807, sous le bétonnât d'AMou. La promo-
tion précédente avait à sa tête notre confrère
M. Alexandre Ribot.
Appelé par son rang à prononcer à l'ouver-
ture de la conférence, le 7 décembre 18ff7, le
discours de rentrée, le jeune avocat avait choisi
pour sujet « l'Eloge de Rossi ».
Au moment de l'aborder, il s'était adressé à
M. de Montalembert, dans l'espoir- sans doute
de recevoir de lui des renseignements et des
conseils.
La réponse, vous T'allez voir, fut plutôt déoe-
̃ vante. ̃ ̃
Rugensa'rt, par Ottlgnies (Belgique), 6 août 18Ô7:
Monsieur,
Je vous .félicite du sujet que vous avez à traiter parce
qu'il est extrémement difflotle et que. à votre âge et avec
votre talent, il n'y a rien de plus utile que d'avoir à
lutter de bonne heure contre de grandes difficultés.
Mais en vérité je ne sais comment vous vous y prendrez
pour trouver moyen de rendre témoignage è. vos.convic-
tions catholiques et libérales en parlant de M. Rossi, ft
moins de vous décider courageusement à dire du mat do.
votre héros. Il y a dans sa vie une page vraiment su-
blime c'est la dernière. Mais dans toute sa carrière an-
térieure, je ne sache rien que l'on puisse admirer ou
vanter.
J'ignore absolument ce qu'il a fait ou voulu faire en
Suisse. A la Chambre des pairs, où 11 est entré à peu
près en même temps'que mol. si je ne me trompe, j'ai
toujours eu à le combattre; d'abord en 1837, sur la loi
relative à l'emploi des enfants dans les, manufactures.
puis en 1844 dans le grand débat sur la liberté d'ensei-
gnement. Ce grand philosophe voulait que l'industrie
pùt exploiter à son gré l'enfance, et il ne voulait pas qu«
les pères de famille pussent faire élever leurs enfants k
leur gré. Dans la vie privée, où je l'a!, du reste, rare-
ment rencontre, il était hautain et dédaigneux, comrr.s c
tous les doctrinaires de ce temps-là. Quant à la Disso-
ciation sur les Jésuites, c'est assurément une des pages
les plus tristes de notre histoire parlementaire. Entamée
par la peur, elle a été continuée et menée à terme par
la mauvaise foi. Ni la royauté, ni la papauté, ni le ré-
gime parlementaire n'y ont brillé. Les jésuites seuls en
sont sortis avec honneur. M. Guizot l'a racontée dans ie
tome VII de ses Mémoires, où il fait de vains efforts
pour en pallier- la triste nature et les pitoyables résul-
tats.. Quelques-unes de ses inexactitudes ont, été relevées s
dans un petit écrit du Père Cahier, qu'il vous sera indis-
pensable de connaître, et qui, publié d'abord dans les
Etudes religieuses, a paru en brochure chez Douniol.
J'ose croire aussi que vous trouvères quelques ap-
préciations utiles dans un discours de mol à la Chambre o
des pairs, en juin ou juillet 1845, à ce sujet. Vous verrez
aussi ce que j'ai dit de M. Rossi après sa mort dans les
interpellations sur l'expédition de Rome le 30 novembre
1S-S8. Je crois vous avoir donné dans le temps la col-
lection de mes discours, sinon voiis pourriez vous les
procurer par le petit bon 'ci-joint.
Je vous engage, du reste, à voir Iè prince de Brogli?,
qui a été secrétaire d'ambassade de M, Rossi à Rome et
qui l'a beaucoup connu et aimé. H est l'homme du monde
le mieux fait pour vous renseigner sur le sujet que vous
avez à traiter. Je fais d'ailleurs les vœux les plus sin-
cères pour le succès de la tâche laborieuse où vous ûtes
engagé et je vous prie de croire à mon fidèle et affec-
tusux dévouement.
CH. DB MÔXT.U.EM3ERT.
Les vœux de Montalembert furent exaucés
au delà sans doute de ses propres espérances,
et il le marquait à son jeune ami dans ce billet
où le grand orateur se livre tout entier avec une
franchise et un abandon si sympathiques
Paris, le 31 décembre 18C7.1 3,
40, rue du Bac,
Je viens de lire, monsieur, avec autant d'intérêt qu«
d'attention, votre discours sur RoëS! et j'en suis charmé.
Vous m'avez réconcilié avec le rôle et la carrière d'un
homme qui m'était personnellement désagréable.
Mais vous m'avez surtout inspiré un rè;ioubiemoh1
d'estime et de sympathie pour votre talent comme pour
votre caractère.
Ce que j'admire le plus dans votre œuvre c'est le cou-
rage avec lequel vous avez bravé les passions violentes
et les sots préjugés qui ont cours au Palais sur la re-
ligion en générai et la question romaine en particulier.
Ce courage vous portera bonheur, soycr.-sn sûr. Npiis
périssons par la lftcb,eté universelle, par les misérsbles
complaisances des forts envers ceux qu'ils estiment plus
forts qu'eux-mimes. Se peut-il imaginer quoique cho-c
de plus lâche que cette lettre de M.' 3. F. à M. G. pour
s'excuser d'avoir flétri l'atûéisme ? Nous cruserons de
J–)!)~m!<~M~)MM~U)~M~)i)MM))~ d> -p'~
venus à peu près au même poiq*, pos-sr ensem-
ble la pierre du foyer; mais uns créature qui en
est encore à sa première évolution, c'est loin
de moi comme ma jeunesse elle-même, que je
ne reconnais plus quand je regarde au fond
de mon passé.
Et songeur, il continua
Une jeune fille? Combien cela m'est in-
connu J'entrevois un être subtil à l'ex-
trême, qui pour un rien se dérobe, si suscep-
tible qu'un rien le glace,de peur, si tendre qu'un
rien l'écraserait. Moi, épouser une^éune fille!
Je me sentirais interdit, épais, gauche, mala-
droit à lui sembler rude, à lui donner l'impres-
sion de vivre à la caserne.
Oh! oh! oh! près de vo-us, l'homme si
exercé, si habile a ménager les sensibilités
féminines!
Mme Monglar souriait, bien que très décon-
certée intérieurement. Comment un honimo
célébré par tant d'amoureuses en arrivait-il
soudain à douter, à se défier ainsi de lui-
même ? '̃•̃••
Mais il reprenait, avec presque de l'amer-
tume, comme tout à l'heure
Et ne pensez-vous pas. aussi, que les rôvea
d'une jeune fille doivent être sans ressemblance
aucune avec ma réalité? L'époux qu'appellent
les vœux secrets d'une jeune fille est un homme
en rapport d'âge avec elle,, un jeune homms,
.ou du moins, dans le cas de Mlle de Marquan.
un homme très jeune encore, la nature
qui le veut ainsi.
Mme Monglar secoua la tête.
La nature, la nature! Il faut bi-en qu'elle
s'accommode avec nous, la nature, empêtrés
que nous sommes dans les combinaisons
de la vie sociale par deux mille ans de civili-
sation en ce moment, « Régine ar-
rive au parc Monceau, ses petites se jettent
sur elle et la couvrent de baisers; Blan-
che de Marquan assiste à la scène et so.urit,
en dévorant peut-être' ses larmes et en jalou-
sant toutes les jeunes mères de l'innombrable
marmaille bondissante qui criaille dans le jar-
din ses sentiments sont conformes au vœu le
plus modéré, de la nature, cependant.
Elle continua, rêveuse et mélancolique
Voyez- vous, Renaud, qu'un accueil em-
pressé soit réservé à son cœur qui se donne,
qu'un appui moelleux et sûr attende sa délica-
tesse et sa relative faiblesse voilà ce qu'une
femme comme Blanche de Marquan aspire à
trouver dans le mariage, et ce que lui garantirait
le mari qu'elle aurait en vous. De son côté, elle
ne serait pas ingrate, je vous l'affirme.
AiBÉRICH-GHABROI*
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