Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1914-03-31
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 31 mars 1914 31 mars 1914
Description : 1914/03/31 (Numéro 19261). 1914/03/31 (Numéro 19261).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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MARDI 3i MARS i9i4
CINQUANTE-QUATRIEME ANNEE.– N" 19261
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SOMMAIRE:
Page 2 ,̃
NOUVELLES DE L'ETRANGER Mexique la Ba-
taille de Torrcoh (carte). Colonies et protec-
torats. Chronique électorale. LES TRAVAUX
DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'AFFAIRE
ROCHETTE.
PAGE 3
Variétés Un grand évêque Mgr Dupanloup; A
travers la presse, A. Mézières.
La Musique, PIERRE LALO.
M. ROBERT DE FLERS parle de Victorien Sardou in-
time. Le Centenaire des Alliés, HENRI
CHERVET.
PAGE 4
Des secousses ont ébranlé le Massif central.
Faits-divers. Courrier commercial Indus-
trie, Commerce, Agriculture. Théâtres.
Art et curiosité. Automobile, Aéronautique.
PAGE 5
Informations financières et commerciales. Mar-
chés étrangers. Bourse.
PAGE 6
Dernières Nouvelles LA COMMISSION D'EN-
QUÊTE SUR L'AFFAIRE ROCHETTE. Chambre et
Sénat. Mort d'Emile Gentil. A la Société
des gens de lettres, etc.
BULLETIN DEJ/ÉTRANGER
LA "MISSION DE LA ROUMANIE
ET LA FRANCE
Le prince héritier de Roumanie et la prin-
cesse, ainsi que leur fils aîné le prince Charles,
sont arrivés au palais de Tsarskoïé-Sélo, rési-
dence actuelle de la famille impériale russe,
où ils ont été reçus avec une cordialité toute
particulière. Cette visite correspond, à ce que
l'on affirme, à des projets matrimoniaux entre
le prince Charles et une fille de l'empereur Ni-
colas.
Les princes roumains en se rendant à Saint-
Pétersbourg ont fait un arrêt prolongé à Berlin.
Leur voyage n'en excite pas moins la mauvaise
humeur de la presse allemande et autrichienne.
Les journaux de Berlin et de Vienne soulignent
avec une indignation un peu lourde l'évolu-
tion de l'opinion et de la politique roumaines
depuis la crise balkanique. On avait, pris l'ha-
bitude en Allemagne et en Autriche-Hongrie
de considérer la Roumanie comme une sorte
de prolongement oriental de la Triple-Alliance.
On la traitait à la fois en cliente et en obligée
avec laquelle il n'y avait pas à se gêner. La
sympathie agissante de l'Autriche pour la Bul-
garie, ses efforts pour amener une revision
du traité de Bucarest achevèrent de dessiler les
yeux des Roumains que la question de Tran-
sylvanie n'avait pas encore détournés d'une
politique sans profit mais non sans danger.
Les efforts de la diplomatie autrichienne pour
reprendre pied dans la péninsule balkanique,
y entretenir des divisions et des rivalités ré-
pondant à de vagues espérances et à de vieilles
ambitions, lae côllaboraî.ion. de l'Italie et celle
de l'Allemagne, quoique plus limitée, ont achevé
de mettre en garde la Roumanie contre la Tri-
ple-All-iance.
L'intervention décisive de la Roumanie dans
la crise orientale lui a assuré le rôle d'arbitre
dans les Balkans. La nécessité de protéger le
nouvel équilibre établi à Bucarest l'a amenée
à s'assurer le concours de la Serbie et de la
Grèce, politique de rapprochement que souligne
encore le projet de mariage entre le diadoque
et la princesse Elisabeth de Roumanie. En
même temps le roi Charles et son gouverne-
ment ont cherché, grâce à de bonnes relations
avec Sofia et Constantinople, à élargir la tâche
de pacification et de conciliation qu'ils se sont
imposée dans les Balkans. Pour remplir cette
mission, dont elle s'honore à juste titre, la Rou-
manie a besoin de toute sa liberté d'action. Il
semble bien qu'elle l'ait reprise. C'est ce dont
lés journaux autrichiens et allemands se plai-
gnent si violemment. Ils le font sur un ton
d'autant plus agressif que les sympathies tra-
ditionnelles des Roumains pour la culture
française se donnent librement 'cours depuis
qu'ils ne se sentent plus arrêtés par des consi-
dératio.ns de politique, et qu'en même temps
les préventions contre la Russie s'atténuent à
Bucarest.
L'attitude nouvelle de la Roumanie a donné
lieu à de multiples combinaisons. Certains
concluent déjà des projets de mariage entre
les familles régnantes à une alliance de la
Russie et de la Roumanie dont une rétrocession
d'une partie de la Bessarabie serait le prix.
FEUILLETO1~T DU ~tttpS
DU 31 MARS 1914 415)
CATHERINE
DEUXIÈME PARTIE
Deux ans après la première rencontre de Ca-
therine et Julien, c'était encore un printemps
fleuri.
Il y avait une nouvelle à la Basse-Coudre
la grande Marie à la mère Bossu, de la ferme
des Epines, se mariait avec le gas Vincent Mi-
chault, du Lingoult. Ils étaient venus, un soir
de la semaine de Pâques, trouver M. le maire
pour la publication des bans. Ils avaient choisi
le soir par pudeur peut-être, dans la crainte
des plaisanteries lourdes qu'ils auraient enten-
dues au passage, par raison aussi, quand tous
les ouvrages auraient été faits à la ferme,
l'amble donnée aux vaches; le grain jeté aux
poules, le lait tiré, la soupe placée sur le feu,
enfin par vague instinct de poésie et par dé-
sir amoureux, parce qu'il est plus gracieux de
s'en aller tous les deux au soir tombant le long
des haies et plus commode pour se serrer un
peu et s'embrasser de temps en temps.
Ils étaient arrivés comme deux nigauds, le
gars les bras brinqueballants et la fille les
mains croisées sur son tablier, avec les yeux
baissés. On voyait qu'ils s'étaient reblanchis
avant de venir; lui avait mis le gilet à man-
ches qui maintenant a remplacé la blouse, et
à la mode du régiment, il avait bien trempé
d'eau ses cheveux avant de les mettre en
raie; elle, la Marie, avait caché son chignon
pommadé sous une fanchon de laine blan-
che car il y a longtemps, comme disait un
jour papa Desvignès, que les filles de la cam-
pagne ont renié le petit bonnet si commode et
bienséant et elle avait mis un corsage clair
avec le tablier à carreaux grossièrement fes-
tonné acheté au bazar ambulant. Elle avait
gardé là-dessous sa jupe des jours, un peu.
usée, et elle apportait avec elle une odeur d'é-
EeDroduction interdite..
D'autres proclament que le rapprochement
russo-roumain pourrait être contre-balancé au
profit de l'Autriche-Hongrie par des conces-
sions aux Roumains de Transylvanie. Ce jeu
de combinaisons est assez vain. Ces spécula-
tions plus ou moins ingénieuses doivent ë're
mises au même rang que les conversations at-
tribuées à Guillaume II et à des hommes d'Etat
russes relativement à un nouveau groupement
d'alliances. La politique internationale se nour-
rit de réalités et les démentis venus de Berlin en
ce qui touche les entretiens de l'empereur al-
lemand et du ministre de la guerre russe dé-
montrent, s'il était besoin de ce témoignage.
qu'il ne s'agit dans tout cela que de fantaisies.
Comme le disait le chancelier de Hohenlohe, les
événements dans la politique internationale
et les relations entre les puissances sont sou-
vent plus simples qu'on ne le pense et point
n'est besoin de se livrer à des combinaisons
compliquées pour s'expliquer que la Roumanie
veuille être désormais seule maîtresse de ses
destinées.
Les sympathies françaises n'ont jamais fait
défaut à la Roumanie et nous n'avons pas dis-
simulé nos sentiments lorsqu'elle a fait appel
à plusieurs de nos compatriotes, personnalités
savantes et oratoires les plus marquantes, pour
maintenir entre les deux pays le traditionnel
courant intellectuel. Le retour de la Roumanie
à une vieille amitié coïncide heureusement
avec une attitude politique nouvelle qui Téloi-
gne de la Triple-Alliance pour la rapprocher de
la France, de la Russie et de l'Angleterre. Njpus
n'en serons que plus libres et mieux disposés
pour marcher de conserve avec elle vers le
but difficile, mais nécessaire, d'assurer l'équi-
libre et une paix sincère dans l'Orient de l'Eu-
rope. `
«».
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU SÏClttpS
Constantinople, 30 mars.
Le maréchal Liman von Sanders, accompagné
de quelques officiers allemands, est parti pour
Smyrne,
New
EXCELLENTES ELECTIONS
Les élections sénatoriales d'hier sont un ex-
cellent indice du courant d'idées que nos amis
de la Fédération des gauches et de l'Alliance
républicaine démocratique ont déterminé dans
le pays. Encore un effort, et le pays se pro-
noncera aux élections générales dans le sens
de la raison victoire nettement républicaine
et victoire patriotique tout ensemble! Il est vrai
que nos adversaires du parti radical unifié gar-
deront la suprême ressource de prétendre que
c'est eux les vainqueurs. Ils s'essayent à cette
audace à propos de la double élection sénato-
riale do la Seine qui a eu lieu hier. Le Radical
célèbre 'la triomphe 8» « d£ux radicaux éoeiar-
listes inscrits à ce groupe unifié issu du congrès
de Pau et si copieusement honni ». Il est exact
que MM. Charles Deloncle et Steeg, un peu
trop préoccupés de plaire à tout le monde, ont 't
eu comme cinquante autres la faiblesse
de se faire inscrire (ou de se laisser inscrire)
au groupe unifié sans partager ses idées ni
ses passions. Mais, dès qu'ils se sont trouvés
en face du corps électoral, ils n'ont eu rien
de plus pressé que de répudier le Syllabus
voté au congrès de Pau. Ils se sont prononcés
pour le service de trois ans, contre la déclara-
tion contrôlée, pour la réforme électorale par
le système du quotient ce qui revient à dire
que sur tous lés points essentiels de la doc-
trine affirmée solennellement au congrès de
Pau, MM. Charles Deloncle et Steeg ont ré-
pudié les formules impératives du soi-disant
parti unifié.
Le comité de la rue de Valois s'est bien
gardé de lancer l'excommunication contre ces
deux esprits libres qui bravaient l'orthodoxie
récemment codifiée. Le comité n'a pas voulu
risquer le ridicule d'une lamentable défaite. Il
s'est voilé la face; ou plutôt, il s'est souvenu
que les décisions du congrès de Pau furent
une satisfaction donnée aux militants, qu'elles
obligent les petits candidats, les débutants,
sans notoriété, mais que les gros candidats
n'ont que faire de s'embarrasser de telles bil-
levesées.
Ainsi, l'élection sénatoriale de la Seine dé-
montre 1° que pour se faire élire, même par un
collège radical, le plus sûr est d'emprunter le
table et de foin qui se mélangeait bizarrement
à la brillantine de ses cheveux, mais ne conve-
nait point mal à sa beauté rustique.
M. le maire, qui finissait de dîner, re-
poussa son assiette, et rit de les voir entrer
tous deux, avec leur faux air de modestie.
Mme Desvignes avait donné des chaises et les
deux nigauds assis tout au bord regardaient
« ces demoiselles » pour se donner une conte-
nance. Paulette, de son côté, les considérait
avec effronterie et Catherine songeait au jour
encore lointain où ses bans à elle seraient pu-
bliés.
Alors papa Desvignes fit apporter du papier,
enfourcha ses lunettes, et prit minutieusement,
en faisant épeler l'orthographe, les noms des
quatre témoins et des parents des mariés, avec
leurs dates de naissance.
Vincent dictait, le prénom à la suite.
Moreau, Célestin, cultivateur, né le.
Lherissé, Zéphire, fermier.
Alors Catherine se demanda quels seraient
ses témoins à elle, et comme un écho mali-
cieux de ses pensées, la voix perçante de Pau-
lette s'éleva
Grand-père, qui ce sera, les témoins .de
Catherine?
Grand-père, -dérangé, fit un geste» mécontent.
Catherine devint toute rouge, Mme Desvignes,
qui desservait, se retourna tout d'une pièce
Paulette!
Mais Paulette ne se rendait pas pour si peu
Il lui faudra bien des témoins, pourtant!
La Marie se mit à rire niaisement
C'est vrai, mademoiselle Catherine, votre
tour viendra pourtant.
Et Vincent, balourd
Ben, pour ce qui est de l'attente, j'aime
mieux pour vous que pour moi!
La Marie rit plus fort.
Oh! toi.
Mais elle s'arrêta par convenance, à cause de
la jeunesse. Et puis elle n'était pas encore ma-
riée pour plaisanter librement.
Les explications terminées, M. le maire
ayant remis ses lunettes dans leur étui, ma-
man Desvignes proposa
Un petit verre de liqueur ?
Ils n'ont pas besoin de ça, les amoureux,
fit papa Desvignes avec sa petite voix de
flûte.
Mais la Marie n'écoutait nas. Elle était em-.
programme de la Fédération des gauches et
du parti -républicain démocratique, neutre pro-
gramme en un mot; 2° que les députés ios»
crîts au groupe radical unifié et le comité de
la rue de Valois reconnaissent qu'on n'a .pas
à tenir compte des formules de combat votées
au congrès de Pau.
Dans l'Ariège, M. Pérès, président du conseil
général, avocat très distingué du barreau de
Toulouse, est élu sénateur au premier tour
de scrutin par 305 voix contre 157 à M. Soula,
conseiller général, maire de Pamiers, et 111 à
M. Bordes-Pagès, ingénieur. Ces trois candi-
dats étaient républicains radicaux. M. Bordes-
Pagès, dont oh avait annoncé ta candidature
à grand fracas et qui a essuyé un échec si
complet, se proclamait antidclcassistc. MM. Pé-
res et Soula sont deux amis de M. Delcassé.
Ils n'ont pu se mettre d'accord avant le scru-
tin à cause des aspirations rivales des deux
régions auxquelles ils appartiennent M. Ber-
nère, le sénateur décédé, était maire de Saint-
Girons et Saint-Girons a voulu garder le sé-
nateur en la personne de M. Pères.
Choix excellent, d'ailleurs, à tous égards. On
a peu vu M. Pérès à la Chambre; mais il y
avait laissé le souvenir d'un orateur disert,
d'un esprit ouvert et laborieux. Il échoua aux
élections dernières contre une coalition parce
qu'il est ami de M. Delcassé. En ce temps-là,
l'Ariège avait subi un dur régime de tyrannie
administrative. M. Clemenceau, ministre de
l'intérieur, qui poursuivait M. Delcassé d'une
haine inextinguible, avait donné au préfet toute
licence pour abattre l'ennemi per fas et nefas.
On pourra juger de ce qui fut tenté si l'on
veut bien noter que onze maires de la circons-
cription de M. Delcassé ont été condamnés
pour fraudes électorales commises au préju-
dice de l'honorable ancien ministre. Telles fu-
rent les mœurs de l'Ariège, en un temps de
tyrannie administrative, exercée par ordre au
nom d'un gouvernement républicain!
Il s'est trouvé un préfet honnête homme, qui
a gardé l'impartialité et qui a laissé faire les
électeurs. On voit le résultat. Les sénateurs
ennemis de M. Delcassé ont été culbutés, et la
majorité du conseil général a été conquise par
ses amis. L'élection sénatoriale d'hier consacre
le succès des amis de M. Delcassé. Il est, plus
encore, le triomphe de la probité administrative
et de la liberté électorale.
UN POINT D'HISTOIRE
Le Temps ayant, une fois de plus, reproduit
hier l'énergique protestation formulée au Sénat,
le 20 janvier dernier, par M. Perchot, contre
l'impôt personnel sur le revenu global, le
Radical, dont M. Perchot est directeur, nous re-
proche notre « maligne erreur ». Maligne, peut-
être mais erreur, non pas.
Et sans doute, il n'est pas agréable à notre
confrère de se voir remettre sous les .yeux les
termis de la eôndaïtmâtibîi décisive q\ie le> -direc-
teur du Radical, vice-président du comité exé-
cutif du parti dont le Radical est l'organe officiel,
prononça contre un article essentiel du pro-
gramme de'ce même parti. Mais il ne nous platt
aucunement de nous voir accuser d'erreur, lors-
que nous nous bornons à reproduire intégrale-
ment des citations sur lesquelles aucune erreur,
même d'interprétation, n'est possible.
« De ce que notre directeur, écrit le Radical, a
combattu la thèse de M. Aimond, pour défendre
un impôt véritable et complet sur le revenu, il
ne s'ensuit nullement qu'il se soit prononcé à
l'avance contre l'impôt complémentaire proposé
aujourd'hui par le gouvernement. » Pardon! Il
importe que la discussion soit loyale, et nous ne
laisserons pas dénaturer les faits. Assurément ce
fut à l'occasion de l'impôt complémentaire pré-
senté par M. Aimond que M. Perchot condamna
« le système global ». Et évidemment aussi il
ne pouvait, le 20 janvier, protester directement
contre le projet proposé aujourd'hui par le gou-
vernement, puisque ce projet n'avait pas encore
vu le jour. Mais en s'opposant au texte Aimond,
M. Perchot se prononçait à l'avance contre le
texte Renoult-Glémentel; car le directeur du Ra-
dical faisait le. procès du système global » en
soi, indépendamment de toute modalité.
C'est le principe même de l'impôt global, non
une certaine formule d'impôt global, que M. Per-
chot -repoussait. Et il sufilt, pour en être
convaincu, de citer à nouveau son discours du
20 janvier « II est bien évident que la déter-
» mination globale, en bloc, d'un revenu, com-
» porte si on veut un résultat fiscal, si l'on
barrassée de ce qu'elle avait à dire son tour,
Enfin, elle se décida
S'il vous plaisait, monsieur, madame, et
vos demoiselles, maman m'a chargée de vous
inviter pour la noce. Vous nous ferez bien de
l'honneur, ajouta-t-elle après un instant de la-
borieux silence.
Paulette avait battu des mains..
Vrai, Marie, j'irai à la noce ?
r– De vrai, mademoiselle Paulette.
Mais maman Desvignes intervint.
D'abord, toi, Paulette, tu seras à Clamecy,
bien occupée à travailler. Et puis les petites
filles de ton âge ne vont pas aux noces!
Catherine ne disait rien.
Vous, mademoiselle Catherine, vous vien-
drez ? insista la Marie. •
Catherine, embarrassée, ne savait que ré-
pondre. Elle songeait
« Non, bien sûr, je n'irai pas, parce que je
ne veux pas prendre du plaisir quand Julien
n'est pas là. »
Mais la Marie, qui n'était pas bête à ses heu-
res, ajoutait bien vite 'h"
Votre prétendu aussi, bien entendu!
Alors Catherine eut envie de l'embrasser.
De leur côté, M. le maire et Mme Des-
vignes acceptaient, parce qu'ils ne savaient
rien refuser de semblable et que- depuis quel-
que quinze ans, ils se voyaient dans l'obliga-
tion d'occuper à tous les repas de noces la
place d'honneur en face des mariés.
Enfin, Marie et Vincent se levèrent pour
prendre congé.
Quand ils furent partis, on fit des projets.
J'ai ma robe de soie de ta première com-
munion, disait Mme Desvignes.
Et justement maman doit me faire faire
une robe blanche pour l'été, reprenait Catherine.
Même, s'écriait tout à coup papa Desvi-
gnes, pourvu que je puisse passer ma redin-
gote J'ai tellement engraissé.
Seule, Paulette ne disait rien, renfermée
dans sa dignité, après avoir balancé si elle fe-
rait une grande scène de cris et de trépigne-
ments.
Il fut donc convenu que Julien serait de
noce, et Catherine se réjouissait à l'avoir au-
près d'elle dans une cérémonie et des divertis-
sements si significatifs. Mais environ une se-
maine avant, il écrivit qu'un examen avancé
de auelaues jours le retenait à Paris: pourtant
»' veut éviter la fraude soit le contrôle inqui-
M'Mtorial de toute déclaration, soit même, en plus
» -ni; cette' inquisition, une taxation d'autorité im-
mposée par l'administration, qui doit avoir le
» dernier Mot. L'inquisition ET l'arbitraire
» réunis sont 'la rançon de da simplicité dans le
» système global. »
Donc aucune équivoque n'est possible. C'est de
tout système, quel qu'il fût, d'impôt personnel
sur le revenu global que M. Perchot disait
qu'il implique nécessairement « l'inquisition et
l'arbitraire réunis »'. Etvoilà, que le Radical en
soit ou non contristé, un ;point d'Histoire défini-
tivement flxé.
SYNDICALISME SCOLAIRE
Au cours du débat scolaire, le Sénat s'est vu
convié à une entreprise insoutenable.
En vérité, M. Empereur a poussé loin la fan-
taisie lorsqu'il essaya de blanchir si l'on peut
ainsi parler les instituteurs syndicalistes qui
ont donné le scandale de Chambéry. M. Empereur
se moque du monde royalement. Que le gouver-
nement ait passé une éponge plus qu'indulgente
sur ces trustes souvenirs, il avait ses raisons pour
incliner à la faiblesse. Mais qu'on tâche mainte-
nant à profiter de cette faiblesse pour l'altération
des faits, ni le Sénat n'est assez naïf pour être
dupe, ni le pays assez niais que de prendre le
change. Cette façon de lessiver et colorer l'His-
toire après coup ne trompe personne; pais à
supposer -qu'elle eût pu réussir dans., la haute As-
semblée, ce ne pouvait être que comme le « fait
du prince » disons mieux le fait de l'empereur.
Ainsi donc la faute retombe sur les journalistes
si des instituteurs, réunis en un congrès inoublié,
ont envoyé leurs' saluts fraternels et ratifié leur
adhésion à la C. G. T.! La presse porte la respon-
sabilité de l'aberration qui a poussé des maîtres
de l'école nationale à adhérer du même coup au
« $ou du soldat des Bourses du travail! On nous
la bâille bonne. Comme si les congressistes qui
ont fait litière de leurs devoirs primordiaux ne
l'avaient pas fait à bon escient, dans un esprit de
pression et d'intimidation! Et la preuve en est
que l'intimidation a réussi, puisque quelques mois
plus tard leurs traitements s'augmentaient dans
des proportions considérables. Et une autre
preuve, c'est que quelques semaines après le con-
grès de Chambéry se réunissait au Havre le con-
grès de la C. G. T., que la propagande du « Sou
du soldat » y était de nouveau adoptée, et que le
délégué des instituteurs syndicalistes se gardait
de toute opposition et négligeait de sortir en cla-
quant la porte. Mais les coupables n'ont pas nié
d'afjord; ils ne se sont mis que plus tard à co-
lorer leur mauvais cas, par la crainte de l'émo-
tion soulevée dans le pays. Hier. M. Empereur,
persuadé qu'il était temps de mettre la dernière
main aux atténuations, présenta enfin l'organisa-
tion révolutionnaire de la C. G. T; comme un la-
boratoire de paix* sociale, une forteresse contre le
sabotage, un asile de patriotisme gràM à J'adop-
-tioS' Técetifte "d\i syatëttre allemande Q'est bien c'e
que? nous pensions M. Empereur nous convainc
que les congressistes de Chambéry travaillaient
déjà pour le roi de Prusse.
Il a dû toutefois reconnaître que cette « jeu-
nesse, exubérante » le syndicalisme de jou-
vence a clos la dernière séance de son inoublié
congrès au chant de l'Internationale. Mais il ne se
frappe pas pour si peu; et la révolte qui secoua
le pays entier ne trouble point sa grande âme.
Des instituteurs payés, retraités, défendus à tour
de bras et de lois par les Chambres, ont réservé
en choeur « les balles pour les généraux » qu'est-
ce que cela? Moins que rien. C'est le pays qui a
tort de s'émouvoir. Bien plus, leurs syndicats dis-
sous légalement, ils les ont reconstitués, sous le
regard volontairement distrait du gouvernement
radical socialiste; qu'est-ce à dire, sinon qu'il faut
bien opposer pas vrai? une internationale
rouge à l'internationale noire? Et à M. César-
Constantin Empereur qu'a répondu le grand-maî-
tre de l'Université, gardien de la loi, de l'ordre
et du patriotisme dans ce grand corps? Rien.
LETTRES DE PROVINCE
Au directeur du Temps.
Dans la petite ville éloignée où je me trou-
vais~ au moment où se déroulait la tragédie du
"Figaro, la nouvelle en fut apportée par les
feuilles régionales à la première heure du jour,
et, presque aussitôt, voilà les rues, les bouti-
ques, les maisons remplies de stupeur. Vite,
il ne voulait point empêcher sa fiancée de
s'amuser, exigeait qu'elle allât à la noce quand
même. Et par manière de plaisanterie il lui
assignait pour le remplacer le gars Benjamin
qui ne manquerait point la fête, étant du pays
du marié. v
Catherine se désola d'abord. Elle en prit son
parti sur la promesse que Julien viendrait pas-
ser quèlques jours sitôt l'examen fini.
La noce devait se faire un samedi. On était
au jeudi. Déjà les volailles destinées au sacri-
fice .par la mère Bossu piaillaient à la ferme, et
les filles du village aidaient la Marie à plu-
mer pendant que les garçons allaient chercher
de jeunes chênes et des branches de sapin
poùr la décoration de la grange où se ferait le
repas. Le soir, tout ce monde-là devait manger
lesâbatis dans la cuisine de la ferme, et l'on
rirait gros autour des tables, garçons et filles
mêlés. Il y avait aussi de la galette qui cuisait,
et dont, la bonne odeur se répandait dans toutes
les rues d'alentour. Des parents de Paris
étaient venus, avec tous leurs embarras; la
mère Bossu l,es logeait comme elle pouvait,
chez l'un et chez l'autre, et ces petits employés
riaient sottement des habitudes de leurs hôtes,
tdûjf f ri" se~boûrrant dé leur crème,, de leur lait
et -de' leurs poulets.
'ïié'fremuë-ménage dé la ferme avait donc ga-
gné-toiït le village. Chacun maintenant s'acti-
vait' dans les maisons, parce qu'il y avait tou-
jours un gas ou une fille de noce, et parfois la
famille entière. On voyait des carrioles rappor-
ter de Clamecy les avisements du dernier mo-
ment, une chemise fine pour le garçon qui ne
pouvait plus mettre celle de la première com-
munion, une cravate blanche au père, des
gants pour les femmes. C'était le père qu'on
avait envoyé en expédition faute de temps
pour la mere qui avait les préparatifs à sur-
veiller, ses bêtes à soigner et sa maison à tenir.
Et souvent le pauvre homme revenait avec un
mauvais marché et c'étaient des récrimina-
tions qu'il supportait l'épaule basse.
La contagion n'avait pas épargné la maison
de M. le maire. Mme Michotte, la mine
importante, était venue avec une jolie robe
pour sa fille, une robe longue dans laquelle Ca-
therine'se pavanait à tout petits pas, car même
fiancée, elle avait conservé à la Basse-Coudre
ses jupes assez courtes; grand-père pouvait
entrer dans sa redingote, mais il avait com-
je m'en allai écouter la rumeur publique. Une
chose singujière ne tarda pas à me frapper
l'unanimité du sentiment manifesté par les uns
etles autres.
C-'était là des marchands, des ouvriers, des
petits bourgeois, toutes gens d'ordinaire divisés
par leurs intérêts, leurs partis pris, leurs ja-
lousies, par ces indestructibles ferments d'hos-
tilité innée qui les jettent tôt ou tard dans des
partis ennemis. Combien parmi eux lisaient le
Figaro ? Combien connaissaient seulement de
nom le malheureux Calmette? Aucun, peut-
être Or, je l'atteste, tous paraissaient affolés
comme par une catastrophe publique, une
lourde tristesse pesait sur leurs poitrines op-
pressées, et ces hommes, plus préoccupés de
leurs affaires personnelles que des péripéties
politiques, la plupart égoïstes ou de cœur in-
différent, ou encore opposés d'opinions, une
même détresse les accablait. Ils comprenaient
que l'événement de la veille était plus qu'un
meurtre vulgaire, que toute cette sanglante
brutalité symbolisait un grand drame social.
« De mon temps, disait un vieillard, on eût
fait, au lendemain d'un pareil coup, une révo-
lution. » Mais une femme du peuple, et non
l'une des moins indignées, protesta « Une
révolution? Encore des tueries? Ah! misère de
misère! Est-ce qu'ils n'en finiront jamais, à
Paris, avec leurs. politique? Le mot suffit
à déchaîner les colères, et c'est le monde poli-
tique qui en fit les frais, largement.
Toute semence porte son fruit. Oh ne crai-
gnez point que je veuille ici me risquer sur le
terrain des moralistes. Certes, ils l'ont belle de
'lancer leurs lamentations sur la société actuelle,
de dénoncer l'influence pernicieuse de ces bi-
zarres éléments de dissociation et de démorali-
sation qui s'y sont mêlés à la suite du maté-
rialisme et de la facilité des choses; et sans
doute ce leur est une merveilleuse occasion, en
rappelant que les convulsions sont toujours
précédées de coups de tonnerre, d'ajouter avec
Bonald que rien n'est plus près des mœurs fé-
roces qu'un peuple dont les mœurs sont volup-
tueuses. Ce point de vue, propice aux magnifi-
cences et aux désolations de la chaire, dépasse
mes modestes et profanes moyens. Sans le né-
gliger, il me semble plus légitime de rattacher
l'assassinat dont la France restera longtemps
ébranlée à sa cause véritable, et c'est la dépra-
vation des mœurs politiques.
Voici tout juste un siècle que retentissait
dans la Sorbonne étonnée la déclaration caté-
gorique de Royer-Collard « On ne fait pas au
scepticisme sa part » Formule de janséniste
morose, dira-t-on, et cependant, l'histoire de la
civilisation l'établit péremptoirement, le scepti-
cisme est le chancre des nations. Les nations
ne demeurent saines et fortes qu'en restant,
en dépit des transformations de -leurs formes
gouvernementales, fidèles à un idéal intangible.
A plus forte raison, les gouvernements, dont la
•durée e»t .essentiellement inç&ïlaiiie, ont. UU
intérêt vital à s'àttaclier à leur principe. Le
jour où ils s'en écartent, par déviation ou par
corruption, leur raison d'être cesse s'ils
n'aperçoivent pas le danger, s'ils ne sont pas
capables de se galvaniser, de se corriger, leurs
derniers jours arrivent fatalement.
Cette situation est généralement celle des
républiques où règne le scepticisme. Les doc-
trines devenant gênantes, d'abord on les édul-
core, on les assouplit, on les adapte, puis si
quelque gêneur se récrie, on les ridiculise et
on gouverne sans elles. On gouverne! Je veux
dire que l'on occupe le pouvoir, tant bien que
mal, pour, soi, pour ses amis, pour son parti,
et comme tous les partis considèrent que la
la politique d'idées n'est plus qu'une bêtise,
celui qui tient le pouvoir pratique avec désm-
volture la politique des appétits. Seulement,
l'opinion publique elle-même se corrompt, les
mœurs s'affaiblissent, les têtes se détraquent,
les désordres s'aggravent, l'heure vient où un
Salluste peut écrire « Deux vices opposés, l'a-
varice (c'est-à-dire la soif de l'or) et la débau-
che, éteignent en nous tout ce qu'il y avait dans
nos aïeux de bon et d'énergique, et nous ne
nous arrêterons plus sur cette pente, rapide. »
Cette heure de décomposition dans les républi-
ques, c'est celle des Catilina.
Nos mœurs politiques, si douloureusement
illustrées par un assassinat, en sont-elles là ?
Le certain est que les événements des derniers
jours n'ont pas trompé les 'prévisions des ob-
servateurs. Rarement la guerre des partis,
lorsqu'elle atteint un tel degré de fureur, se
termine sans une conflagration violente ou
mandé des bottines qui n'arrivaient pas. Enfin
Mme Desvignes fit remarquer
Et ma robe que je n'ai pas seulement re-
gardée Je sais bien que je n'ai pas changé de-
puis quatre ans, et qu'il n'y a guère de mode
pour les vieilles femmes. Mais il faut au moins
la mettre au soleil pour la défriper.
Et avec précaution, elle sortait du placard à
penderie la robe bien emmaillottée d'une toile
blanche.
Mme Michotte hocha la tête avec sévérité.
Pas changé, pas changé, la mode non
plus! C'est vrai qu'il n'y a rien à reprendre à
la jupe, mais on pourrait faire quelques re-
touches au corsage, par exemple raccourcir les
manches au coude, avec un volant de dentelle!
Laisse donc, ma fille. De mon temps, on
ne faisait pas tant d'histoires, et les modes
changeaient moins. On avait sa robe de fille
qui durait jusqu'au mariage, et après, sa robe
de femme qui servait à toutes les cérémonies
et avec quoi on nous enterrait.
Ici, papa Desvignes voulut mettre son mot.
Et que c'était joli, ces modes! Tu te rap-
pelles, Mémé, la première fois que je t'ai vue?
C'était à une fête de printemps; tu portais, en
tête de la procession, la bannière de la Sainte-
Vierge tu avais une robe en mousseline blan-
che, et' un gros nœud de ruban à la taille;
c'était aussi le moment de la coiffure en an-
glaises, et elles descendaient de ton petit cha-
peau tout autour de ton cou. Et moi je me di-
sais « C'est elle, la Sainte-Vierge, avec son
petit air doux et la belle robe blanche »
Oui, expliqua maman Desvignes, sitôt la
taille prise, quand on avait quitté de grandir,
on mettait la robe de mousseline blanche. La
mienne était belle, avec beaucoup de petits
ruchés de valenciennes le corsage tombait
en tunique par derrière, et j'avais aussi des
volants aux manches, retenus à la saignée par
un petit nœud. Quand j'étais encore assez jeu-
nette, ma mère m'avait mis une ceinture de
soie bleue, mais plus tard c'en a été une blan-
che, qu'un garçon d'honneur m'avait donnée
en cadeau à une noce.
Elle hocha la tête.
Ç'a été encore ma robe de mariée, et plus
tard j'en ai fait la robe de première com-
munion de ta mère.
Catherine s'intéressait fort.
Ce devait être joli, si toutes les jeunes
filles avaient des toilettes blanches
scandaleuse. Nous voyons ici les conséquences
logiques de la politique parlementaire. Quand
on en dépeignait les tares et les vices, quand
on les montrait redoutables à la tranquillité
publique, quand on réclamait une réforme de
nature à. en pallier la dangereuse contagion, on
ne faisait pas autre chose que découvrir la
plaie dont les purulences aujourd'hui nous em-
poisonnent. Ce parlementarisme, malfaisant,
c'est celui dont la réforme électorale aurait
certainement préparé une juste épuration. Ah!
les intéressés l'ont bien compris. En sont-ils
plus avancés ? Grand merci Déjà la réforme
électorale apparaît trop bénigne à beaucoup de
braves gens qui hier s'en seraient conten-
C'est qu'aussi l'horrible prépotence parle-
mentaire n'est plus niable. L'affaire en cours
prouve avec éclat l'absolutisme du pouvoir re-'
présentatif. Phénomène curieux, en même
temps que les parlementaires détendaient pour
leurs clientèles les ressorts du gouvernement,
au contraire ils les tendaient durement à leur
propre bénéfice. De cette sorte, il ont absorbé
toute la force gouvernementale. Un pouvoir au
moins aurait dû résister à leurs empiétements,
celui-là même qui, sous un régime représenta-
tif, constitue en principe la plus forte garantie
des citoyens: j'ai nommé le pouvoir judiciaire.
Hélas! ils l'ont mis dans leur poche. Nécessai-
rement, les politiciens étant les maîtres de la
faveur dans toutes les administrations, la judi-
ciaire comprise, les magistrats à leur tour de-
vaient succomber. Ne sont-ce pas des hommes?
De plus, ils se trouvent forcément mêlés au
monde politique il paraît à la barre tant d'avo-
cats dontlarobe laisse passerl'écharpe de député 1
Ces avocats, alors même qu'ils sont de simples
députés, ce n'est pas rien, car le juge sait bien
qu'ils ont leurs entrées libres à la chancellerie.
Que serait-ce s'ils devenaient ministres, oh 1
terreur, ministres de la justice! On parle de
nouveau de prononcer l'incompatibilité entre le
mandat de député et certaines professions si
l'on y comprenait celle d'avocat, le pays ap-
plaudirait avec joie. Mais chaque chose a son
heure. La République a à jetqr tant de lest!
Ainsi omnipotent, que redouterait le Parle-
ment? Tout lui cède, tout lui obéit, et la nation
serait désarmée si, en face de lui, une autre
puissance ne se dressait, aussi formidable
la presse. De tout temps, entre les deux, il y
eut rivalité. De tout temps également, les hom-
mes politiques ont recherché les louanges de la
presse, et tous l'ont courtisée. Elle les fait con-
naître, elle répand leur nom, elle leur ouvre
les avenues du pouvoir: c'est lorsqu'ils y sont
parvenus, très souvent grâce à elle, qu'ils com-
mencent à lui trouver des inconvénients. Ils
sont ministres, et elle les discute! Ils sont puis-
sants, et elle leur résiste! Ils se font mena-
çants, et elle redouble ses attaques! Il n'y a.
doriepau dé lois contre elle? Si, il y a,.des lois
punissant la'diffamation et la calomnie, des
lois dont plus d'un journal apprit la teneur à
ses dépens, des lois dont les ministres ont le
droit de réclamer l'application seulement,
iront-ils affronter la lumière de la cour d'assi-
ses, lorsque ce qu'ils reprochent à la presse,
c'est précisément de la faire trop crue? La
clarté sur leurs actes, ce n'est pas ce qu'ils
veulent, c'est un ténébreux silence.
Presse et Parlement, le publicles départage
les excès de l'une corrigent à ses yeux les maux
de l'autre. La presse est sa dernière ressource
contre le Parlement. Cela explique en partie
le bouleversement des esprits devant la tragé-
die du Figaro. Ajoutez-y ces retentissantes
révélations sur l'usage quç- les gouvernants
font du pouvoir. C'est donc là; le vrai principe
de toute cette politique forcenée? Ainsi Cal-
mette avait raison, lorsqu'il dénonçait la su-
bornation du pouvoir judiciaire par le pouvoir
parlementaire? Il avait raison, et c'est pourquoi
sa mort a fait trembler. Elle a provoqué un
sentiment général d'épouvante et d'écœure-
ment. Toute une société reste éclaboussée de
son sang.
II y a trois quarts de siècle, fin 1847, un crime
atroce souleva la France entière dans une
explosion d'indignation c'est l'assassinat de la
duchesse Choiseul de Praslin par son mari,
pair du royaume. Un témoin de l'époque écrit
que ce drame sanglant passionna jusqu'aux
campagnes les plus reculées: « Le peuple se
prit à maudire tout haut une société où se com-
mettaient de tels forfaits. Il multiplia, il géné~
Joli, ma fille On aurait dit dans les
champs des buissons fleuris, quand la noce ou
la procession défilait en s'espaçant un peu.
Et après, grand'mère, quand vous étiez
mariées?
Quand on était femme, ma fille, on met-
tait la robe de soie et le châle.
̃ De quelle couleur, la rofie de. soie ?
Noire, ou grise, ou mouchetée. La mienne
était gorge de pigeon, qui était la grande mode
du moment. Je l'ai usée en jiipe cette pauvre
robe, voyant que les modes passaient; mais
elle a été longtemps jolie. Elle avait une jupe
très froncée -à la taille avec un corsage plat,
des manches à volants, et le col échancré avec
un petit rabat de mousseline tout autour. J'a-
vais passé tout un hiver à broder ce col aux
veillées; car dans ce temps toutes les filles bro-
daient comme des duchesses.
Catherine, qui n'était pas habile aux ouvrages
des mains, rougit et reprit la conversation.
Je la connais, grand'mère, ta robe de soie.
Tu es photographiée avec dans l'album où sont
tous les vieux parents que je n'ai pas connus.
Tu t'appuies sur le dossier d'une chaise sculp-
tée, et tu portes avec cela un chignon bas sur le
cou, serré dans un filet.
Mme Michotte n'avait rien dit' encore, toutes
occupée à coudre une dentelle au bout des
manches raccourcies, ainsi qu'elle l'avait dé-
cidé. Au dernier point fini, elle leva la tête
Montre-lui donc, maman, ton beau châle
de noces.
Amusée, et attendrie un peu, Mme Des-
vignes alla vers l'armoire, et sur la planche
du haut saisit un paquet soigneusement épin-
glé dans une serviette.
Voilà, dit-elle, ce qu'on se mettait sur le
dos, le lendemain du mariage, et le « beau di-
manche ».
Et elle déplia avec beaucoup de soins le ca-
chemire à ramages, d'où pendaient des effilés
de toutes couleurs. Le ton dominant était un
rouge de coquelicot, où se mêlaient curieuse-
ment des teintes de vert, de noir et de bleu qui
en faisaient comme une fleur éclatante teintée
d'ombre. Maman Desvignes installa le châle
sur ses épaules, formant une mante, disposant
des plis. Et elle allait et venait par la maison.-
avec ses mines d'autrefois.
Claude Faanchst.
(A. suivteà J
MARDI 3i MARS i9i4
CINQUANTE-QUATRIEME ANNEE.– N" 19261
PRIX DE L'ABONNEMENT
T4KIS, SEIHE8tSEINE-ET-0ISE. Trois moi», 14 te.; Siimois, S8 Ir.; TJnan, BS
DÉPART'- «tAlSACE-LOXRAIllB. IV fr.; 3
LES ABONNEMENTS DATENT SES 1" ET 10 DE CHAQUE HOIS
Un numéro (départements) SO centimes
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS, SEINE et SEIHK-ET-OISE. Trois mois, X 4 fr. Sii mois, 3S fr. lin, 5Sfr.
DÉPA3T»«tAIiSàOE-IiOERAINE. 17" fr.; 84 1.; 68fc
BKIÛH POSTALE 1S fr.i 3S fr.; 72fri
LES ABOWEMEHIS DATENT DES i" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (à Paris) 1» centimes
Directeur politique Adrien Hébrard
Toutes les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées an'Direotenr
Le fournal ne pouvant répondre des manuscrits communiqués
prie les auteurs d'en garder copie
Adresse télégraphique iemps parie*
ANNONCES Société Générale des ANNONCES, 8, place de la Bourse.
te Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
TÉLÉPHONE CIKÇ LIGNES
Gutenberg 03.07 03.08 03.09 03.32 03.33
SOMMAIRE:
Page 2 ,̃
NOUVELLES DE L'ETRANGER Mexique la Ba-
taille de Torrcoh (carte). Colonies et protec-
torats. Chronique électorale. LES TRAVAUX
DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'AFFAIRE
ROCHETTE.
PAGE 3
Variétés Un grand évêque Mgr Dupanloup; A
travers la presse, A. Mézières.
La Musique, PIERRE LALO.
M. ROBERT DE FLERS parle de Victorien Sardou in-
time. Le Centenaire des Alliés, HENRI
CHERVET.
PAGE 4
Des secousses ont ébranlé le Massif central.
Faits-divers. Courrier commercial Indus-
trie, Commerce, Agriculture. Théâtres.
Art et curiosité. Automobile, Aéronautique.
PAGE 5
Informations financières et commerciales. Mar-
chés étrangers. Bourse.
PAGE 6
Dernières Nouvelles LA COMMISSION D'EN-
QUÊTE SUR L'AFFAIRE ROCHETTE. Chambre et
Sénat. Mort d'Emile Gentil. A la Société
des gens de lettres, etc.
BULLETIN DEJ/ÉTRANGER
LA "MISSION DE LA ROUMANIE
ET LA FRANCE
Le prince héritier de Roumanie et la prin-
cesse, ainsi que leur fils aîné le prince Charles,
sont arrivés au palais de Tsarskoïé-Sélo, rési-
dence actuelle de la famille impériale russe,
où ils ont été reçus avec une cordialité toute
particulière. Cette visite correspond, à ce que
l'on affirme, à des projets matrimoniaux entre
le prince Charles et une fille de l'empereur Ni-
colas.
Les princes roumains en se rendant à Saint-
Pétersbourg ont fait un arrêt prolongé à Berlin.
Leur voyage n'en excite pas moins la mauvaise
humeur de la presse allemande et autrichienne.
Les journaux de Berlin et de Vienne soulignent
avec une indignation un peu lourde l'évolu-
tion de l'opinion et de la politique roumaines
depuis la crise balkanique. On avait, pris l'ha-
bitude en Allemagne et en Autriche-Hongrie
de considérer la Roumanie comme une sorte
de prolongement oriental de la Triple-Alliance.
On la traitait à la fois en cliente et en obligée
avec laquelle il n'y avait pas à se gêner. La
sympathie agissante de l'Autriche pour la Bul-
garie, ses efforts pour amener une revision
du traité de Bucarest achevèrent de dessiler les
yeux des Roumains que la question de Tran-
sylvanie n'avait pas encore détournés d'une
politique sans profit mais non sans danger.
Les efforts de la diplomatie autrichienne pour
reprendre pied dans la péninsule balkanique,
y entretenir des divisions et des rivalités ré-
pondant à de vagues espérances et à de vieilles
ambitions, lae côllaboraî.ion. de l'Italie et celle
de l'Allemagne, quoique plus limitée, ont achevé
de mettre en garde la Roumanie contre la Tri-
ple-All-iance.
L'intervention décisive de la Roumanie dans
la crise orientale lui a assuré le rôle d'arbitre
dans les Balkans. La nécessité de protéger le
nouvel équilibre établi à Bucarest l'a amenée
à s'assurer le concours de la Serbie et de la
Grèce, politique de rapprochement que souligne
encore le projet de mariage entre le diadoque
et la princesse Elisabeth de Roumanie. En
même temps le roi Charles et son gouverne-
ment ont cherché, grâce à de bonnes relations
avec Sofia et Constantinople, à élargir la tâche
de pacification et de conciliation qu'ils se sont
imposée dans les Balkans. Pour remplir cette
mission, dont elle s'honore à juste titre, la Rou-
manie a besoin de toute sa liberté d'action. Il
semble bien qu'elle l'ait reprise. C'est ce dont
lés journaux autrichiens et allemands se plai-
gnent si violemment. Ils le font sur un ton
d'autant plus agressif que les sympathies tra-
ditionnelles des Roumains pour la culture
française se donnent librement 'cours depuis
qu'ils ne se sentent plus arrêtés par des consi-
dératio.ns de politique, et qu'en même temps
les préventions contre la Russie s'atténuent à
Bucarest.
L'attitude nouvelle de la Roumanie a donné
lieu à de multiples combinaisons. Certains
concluent déjà des projets de mariage entre
les familles régnantes à une alliance de la
Russie et de la Roumanie dont une rétrocession
d'une partie de la Bessarabie serait le prix.
FEUILLETO1~T DU ~tttpS
DU 31 MARS 1914 415)
CATHERINE
DEUXIÈME PARTIE
Deux ans après la première rencontre de Ca-
therine et Julien, c'était encore un printemps
fleuri.
Il y avait une nouvelle à la Basse-Coudre
la grande Marie à la mère Bossu, de la ferme
des Epines, se mariait avec le gas Vincent Mi-
chault, du Lingoult. Ils étaient venus, un soir
de la semaine de Pâques, trouver M. le maire
pour la publication des bans. Ils avaient choisi
le soir par pudeur peut-être, dans la crainte
des plaisanteries lourdes qu'ils auraient enten-
dues au passage, par raison aussi, quand tous
les ouvrages auraient été faits à la ferme,
l'amble donnée aux vaches; le grain jeté aux
poules, le lait tiré, la soupe placée sur le feu,
enfin par vague instinct de poésie et par dé-
sir amoureux, parce qu'il est plus gracieux de
s'en aller tous les deux au soir tombant le long
des haies et plus commode pour se serrer un
peu et s'embrasser de temps en temps.
Ils étaient arrivés comme deux nigauds, le
gars les bras brinqueballants et la fille les
mains croisées sur son tablier, avec les yeux
baissés. On voyait qu'ils s'étaient reblanchis
avant de venir; lui avait mis le gilet à man-
ches qui maintenant a remplacé la blouse, et
à la mode du régiment, il avait bien trempé
d'eau ses cheveux avant de les mettre en
raie; elle, la Marie, avait caché son chignon
pommadé sous une fanchon de laine blan-
che car il y a longtemps, comme disait un
jour papa Desvignès, que les filles de la cam-
pagne ont renié le petit bonnet si commode et
bienséant et elle avait mis un corsage clair
avec le tablier à carreaux grossièrement fes-
tonné acheté au bazar ambulant. Elle avait
gardé là-dessous sa jupe des jours, un peu.
usée, et elle apportait avec elle une odeur d'é-
EeDroduction interdite..
D'autres proclament que le rapprochement
russo-roumain pourrait être contre-balancé au
profit de l'Autriche-Hongrie par des conces-
sions aux Roumains de Transylvanie. Ce jeu
de combinaisons est assez vain. Ces spécula-
tions plus ou moins ingénieuses doivent ë're
mises au même rang que les conversations at-
tribuées à Guillaume II et à des hommes d'Etat
russes relativement à un nouveau groupement
d'alliances. La politique internationale se nour-
rit de réalités et les démentis venus de Berlin en
ce qui touche les entretiens de l'empereur al-
lemand et du ministre de la guerre russe dé-
montrent, s'il était besoin de ce témoignage.
qu'il ne s'agit dans tout cela que de fantaisies.
Comme le disait le chancelier de Hohenlohe, les
événements dans la politique internationale
et les relations entre les puissances sont sou-
vent plus simples qu'on ne le pense et point
n'est besoin de se livrer à des combinaisons
compliquées pour s'expliquer que la Roumanie
veuille être désormais seule maîtresse de ses
destinées.
Les sympathies françaises n'ont jamais fait
défaut à la Roumanie et nous n'avons pas dis-
simulé nos sentiments lorsqu'elle a fait appel
à plusieurs de nos compatriotes, personnalités
savantes et oratoires les plus marquantes, pour
maintenir entre les deux pays le traditionnel
courant intellectuel. Le retour de la Roumanie
à une vieille amitié coïncide heureusement
avec une attitude politique nouvelle qui Téloi-
gne de la Triple-Alliance pour la rapprocher de
la France, de la Russie et de l'Angleterre. Njpus
n'en serons que plus libres et mieux disposés
pour marcher de conserve avec elle vers le
but difficile, mais nécessaire, d'assurer l'équi-
libre et une paix sincère dans l'Orient de l'Eu-
rope. `
«».
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU SÏClttpS
Constantinople, 30 mars.
Le maréchal Liman von Sanders, accompagné
de quelques officiers allemands, est parti pour
Smyrne,
New
EXCELLENTES ELECTIONS
Les élections sénatoriales d'hier sont un ex-
cellent indice du courant d'idées que nos amis
de la Fédération des gauches et de l'Alliance
républicaine démocratique ont déterminé dans
le pays. Encore un effort, et le pays se pro-
noncera aux élections générales dans le sens
de la raison victoire nettement républicaine
et victoire patriotique tout ensemble! Il est vrai
que nos adversaires du parti radical unifié gar-
deront la suprême ressource de prétendre que
c'est eux les vainqueurs. Ils s'essayent à cette
audace à propos de la double élection sénato-
riale do la Seine qui a eu lieu hier. Le Radical
célèbre 'la triomphe 8» « d£ux radicaux éoeiar-
listes inscrits à ce groupe unifié issu du congrès
de Pau et si copieusement honni ». Il est exact
que MM. Charles Deloncle et Steeg, un peu
trop préoccupés de plaire à tout le monde, ont 't
eu comme cinquante autres la faiblesse
de se faire inscrire (ou de se laisser inscrire)
au groupe unifié sans partager ses idées ni
ses passions. Mais, dès qu'ils se sont trouvés
en face du corps électoral, ils n'ont eu rien
de plus pressé que de répudier le Syllabus
voté au congrès de Pau. Ils se sont prononcés
pour le service de trois ans, contre la déclara-
tion contrôlée, pour la réforme électorale par
le système du quotient ce qui revient à dire
que sur tous lés points essentiels de la doc-
trine affirmée solennellement au congrès de
Pau, MM. Charles Deloncle et Steeg ont ré-
pudié les formules impératives du soi-disant
parti unifié.
Le comité de la rue de Valois s'est bien
gardé de lancer l'excommunication contre ces
deux esprits libres qui bravaient l'orthodoxie
récemment codifiée. Le comité n'a pas voulu
risquer le ridicule d'une lamentable défaite. Il
s'est voilé la face; ou plutôt, il s'est souvenu
que les décisions du congrès de Pau furent
une satisfaction donnée aux militants, qu'elles
obligent les petits candidats, les débutants,
sans notoriété, mais que les gros candidats
n'ont que faire de s'embarrasser de telles bil-
levesées.
Ainsi, l'élection sénatoriale de la Seine dé-
montre 1° que pour se faire élire, même par un
collège radical, le plus sûr est d'emprunter le
table et de foin qui se mélangeait bizarrement
à la brillantine de ses cheveux, mais ne conve-
nait point mal à sa beauté rustique.
M. le maire, qui finissait de dîner, re-
poussa son assiette, et rit de les voir entrer
tous deux, avec leur faux air de modestie.
Mme Desvignes avait donné des chaises et les
deux nigauds assis tout au bord regardaient
« ces demoiselles » pour se donner une conte-
nance. Paulette, de son côté, les considérait
avec effronterie et Catherine songeait au jour
encore lointain où ses bans à elle seraient pu-
bliés.
Alors papa Desvignes fit apporter du papier,
enfourcha ses lunettes, et prit minutieusement,
en faisant épeler l'orthographe, les noms des
quatre témoins et des parents des mariés, avec
leurs dates de naissance.
Vincent dictait, le prénom à la suite.
Moreau, Célestin, cultivateur, né le.
Lherissé, Zéphire, fermier.
Alors Catherine se demanda quels seraient
ses témoins à elle, et comme un écho mali-
cieux de ses pensées, la voix perçante de Pau-
lette s'éleva
Grand-père, qui ce sera, les témoins .de
Catherine?
Grand-père, -dérangé, fit un geste» mécontent.
Catherine devint toute rouge, Mme Desvignes,
qui desservait, se retourna tout d'une pièce
Paulette!
Mais Paulette ne se rendait pas pour si peu
Il lui faudra bien des témoins, pourtant!
La Marie se mit à rire niaisement
C'est vrai, mademoiselle Catherine, votre
tour viendra pourtant.
Et Vincent, balourd
Ben, pour ce qui est de l'attente, j'aime
mieux pour vous que pour moi!
La Marie rit plus fort.
Oh! toi.
Mais elle s'arrêta par convenance, à cause de
la jeunesse. Et puis elle n'était pas encore ma-
riée pour plaisanter librement.
Les explications terminées, M. le maire
ayant remis ses lunettes dans leur étui, ma-
man Desvignes proposa
Un petit verre de liqueur ?
Ils n'ont pas besoin de ça, les amoureux,
fit papa Desvignes avec sa petite voix de
flûte.
Mais la Marie n'écoutait nas. Elle était em-.
programme de la Fédération des gauches et
du parti -républicain démocratique, neutre pro-
gramme en un mot; 2° que les députés ios»
crîts au groupe radical unifié et le comité de
la rue de Valois reconnaissent qu'on n'a .pas
à tenir compte des formules de combat votées
au congrès de Pau.
Dans l'Ariège, M. Pérès, président du conseil
général, avocat très distingué du barreau de
Toulouse, est élu sénateur au premier tour
de scrutin par 305 voix contre 157 à M. Soula,
conseiller général, maire de Pamiers, et 111 à
M. Bordes-Pagès, ingénieur. Ces trois candi-
dats étaient républicains radicaux. M. Bordes-
Pagès, dont oh avait annoncé ta candidature
à grand fracas et qui a essuyé un échec si
complet, se proclamait antidclcassistc. MM. Pé-
res et Soula sont deux amis de M. Delcassé.
Ils n'ont pu se mettre d'accord avant le scru-
tin à cause des aspirations rivales des deux
régions auxquelles ils appartiennent M. Ber-
nère, le sénateur décédé, était maire de Saint-
Girons et Saint-Girons a voulu garder le sé-
nateur en la personne de M. Pères.
Choix excellent, d'ailleurs, à tous égards. On
a peu vu M. Pérès à la Chambre; mais il y
avait laissé le souvenir d'un orateur disert,
d'un esprit ouvert et laborieux. Il échoua aux
élections dernières contre une coalition parce
qu'il est ami de M. Delcassé. En ce temps-là,
l'Ariège avait subi un dur régime de tyrannie
administrative. M. Clemenceau, ministre de
l'intérieur, qui poursuivait M. Delcassé d'une
haine inextinguible, avait donné au préfet toute
licence pour abattre l'ennemi per fas et nefas.
On pourra juger de ce qui fut tenté si l'on
veut bien noter que onze maires de la circons-
cription de M. Delcassé ont été condamnés
pour fraudes électorales commises au préju-
dice de l'honorable ancien ministre. Telles fu-
rent les mœurs de l'Ariège, en un temps de
tyrannie administrative, exercée par ordre au
nom d'un gouvernement républicain!
Il s'est trouvé un préfet honnête homme, qui
a gardé l'impartialité et qui a laissé faire les
électeurs. On voit le résultat. Les sénateurs
ennemis de M. Delcassé ont été culbutés, et la
majorité du conseil général a été conquise par
ses amis. L'élection sénatoriale d'hier consacre
le succès des amis de M. Delcassé. Il est, plus
encore, le triomphe de la probité administrative
et de la liberté électorale.
UN POINT D'HISTOIRE
Le Temps ayant, une fois de plus, reproduit
hier l'énergique protestation formulée au Sénat,
le 20 janvier dernier, par M. Perchot, contre
l'impôt personnel sur le revenu global, le
Radical, dont M. Perchot est directeur, nous re-
proche notre « maligne erreur ». Maligne, peut-
être mais erreur, non pas.
Et sans doute, il n'est pas agréable à notre
confrère de se voir remettre sous les .yeux les
termis de la eôndaïtmâtibîi décisive q\ie le> -direc-
teur du Radical, vice-président du comité exé-
cutif du parti dont le Radical est l'organe officiel,
prononça contre un article essentiel du pro-
gramme de'ce même parti. Mais il ne nous platt
aucunement de nous voir accuser d'erreur, lors-
que nous nous bornons à reproduire intégrale-
ment des citations sur lesquelles aucune erreur,
même d'interprétation, n'est possible.
« De ce que notre directeur, écrit le Radical, a
combattu la thèse de M. Aimond, pour défendre
un impôt véritable et complet sur le revenu, il
ne s'ensuit nullement qu'il se soit prononcé à
l'avance contre l'impôt complémentaire proposé
aujourd'hui par le gouvernement. » Pardon! Il
importe que la discussion soit loyale, et nous ne
laisserons pas dénaturer les faits. Assurément ce
fut à l'occasion de l'impôt complémentaire pré-
senté par M. Aimond que M. Perchot condamna
« le système global ». Et évidemment aussi il
ne pouvait, le 20 janvier, protester directement
contre le projet proposé aujourd'hui par le gou-
vernement, puisque ce projet n'avait pas encore
vu le jour. Mais en s'opposant au texte Aimond,
M. Perchot se prononçait à l'avance contre le
texte Renoult-Glémentel; car le directeur du Ra-
dical faisait le. procès du système global » en
soi, indépendamment de toute modalité.
C'est le principe même de l'impôt global, non
une certaine formule d'impôt global, que M. Per-
chot -repoussait. Et il sufilt, pour en être
convaincu, de citer à nouveau son discours du
20 janvier « II est bien évident que la déter-
» mination globale, en bloc, d'un revenu, com-
» porte si on veut un résultat fiscal, si l'on
barrassée de ce qu'elle avait à dire son tour,
Enfin, elle se décida
S'il vous plaisait, monsieur, madame, et
vos demoiselles, maman m'a chargée de vous
inviter pour la noce. Vous nous ferez bien de
l'honneur, ajouta-t-elle après un instant de la-
borieux silence.
Paulette avait battu des mains..
Vrai, Marie, j'irai à la noce ?
r– De vrai, mademoiselle Paulette.
Mais maman Desvignes intervint.
D'abord, toi, Paulette, tu seras à Clamecy,
bien occupée à travailler. Et puis les petites
filles de ton âge ne vont pas aux noces!
Catherine ne disait rien.
Vous, mademoiselle Catherine, vous vien-
drez ? insista la Marie. •
Catherine, embarrassée, ne savait que ré-
pondre. Elle songeait
« Non, bien sûr, je n'irai pas, parce que je
ne veux pas prendre du plaisir quand Julien
n'est pas là. »
Mais la Marie, qui n'était pas bête à ses heu-
res, ajoutait bien vite 'h"
Votre prétendu aussi, bien entendu!
Alors Catherine eut envie de l'embrasser.
De leur côté, M. le maire et Mme Des-
vignes acceptaient, parce qu'ils ne savaient
rien refuser de semblable et que- depuis quel-
que quinze ans, ils se voyaient dans l'obliga-
tion d'occuper à tous les repas de noces la
place d'honneur en face des mariés.
Enfin, Marie et Vincent se levèrent pour
prendre congé.
Quand ils furent partis, on fit des projets.
J'ai ma robe de soie de ta première com-
munion, disait Mme Desvignes.
Et justement maman doit me faire faire
une robe blanche pour l'été, reprenait Catherine.
Même, s'écriait tout à coup papa Desvi-
gnes, pourvu que je puisse passer ma redin-
gote J'ai tellement engraissé.
Seule, Paulette ne disait rien, renfermée
dans sa dignité, après avoir balancé si elle fe-
rait une grande scène de cris et de trépigne-
ments.
Il fut donc convenu que Julien serait de
noce, et Catherine se réjouissait à l'avoir au-
près d'elle dans une cérémonie et des divertis-
sements si significatifs. Mais environ une se-
maine avant, il écrivit qu'un examen avancé
de auelaues jours le retenait à Paris: pourtant
»' veut éviter la fraude soit le contrôle inqui-
M'Mtorial de toute déclaration, soit même, en plus
» -ni; cette' inquisition, une taxation d'autorité im-
mposée par l'administration, qui doit avoir le
» dernier Mot. L'inquisition ET l'arbitraire
» réunis sont 'la rançon de da simplicité dans le
» système global. »
Donc aucune équivoque n'est possible. C'est de
tout système, quel qu'il fût, d'impôt personnel
sur le revenu global que M. Perchot disait
qu'il implique nécessairement « l'inquisition et
l'arbitraire réunis »'. Etvoilà, que le Radical en
soit ou non contristé, un ;point d'Histoire défini-
tivement flxé.
SYNDICALISME SCOLAIRE
Au cours du débat scolaire, le Sénat s'est vu
convié à une entreprise insoutenable.
En vérité, M. Empereur a poussé loin la fan-
taisie lorsqu'il essaya de blanchir si l'on peut
ainsi parler les instituteurs syndicalistes qui
ont donné le scandale de Chambéry. M. Empereur
se moque du monde royalement. Que le gouver-
nement ait passé une éponge plus qu'indulgente
sur ces trustes souvenirs, il avait ses raisons pour
incliner à la faiblesse. Mais qu'on tâche mainte-
nant à profiter de cette faiblesse pour l'altération
des faits, ni le Sénat n'est assez naïf pour être
dupe, ni le pays assez niais que de prendre le
change. Cette façon de lessiver et colorer l'His-
toire après coup ne trompe personne; pais à
supposer -qu'elle eût pu réussir dans., la haute As-
semblée, ce ne pouvait être que comme le « fait
du prince » disons mieux le fait de l'empereur.
Ainsi donc la faute retombe sur les journalistes
si des instituteurs, réunis en un congrès inoublié,
ont envoyé leurs' saluts fraternels et ratifié leur
adhésion à la C. G. T.! La presse porte la respon-
sabilité de l'aberration qui a poussé des maîtres
de l'école nationale à adhérer du même coup au
« $ou du soldat des Bourses du travail! On nous
la bâille bonne. Comme si les congressistes qui
ont fait litière de leurs devoirs primordiaux ne
l'avaient pas fait à bon escient, dans un esprit de
pression et d'intimidation! Et la preuve en est
que l'intimidation a réussi, puisque quelques mois
plus tard leurs traitements s'augmentaient dans
des proportions considérables. Et une autre
preuve, c'est que quelques semaines après le con-
grès de Chambéry se réunissait au Havre le con-
grès de la C. G. T., que la propagande du « Sou
du soldat » y était de nouveau adoptée, et que le
délégué des instituteurs syndicalistes se gardait
de toute opposition et négligeait de sortir en cla-
quant la porte. Mais les coupables n'ont pas nié
d'afjord; ils ne se sont mis que plus tard à co-
lorer leur mauvais cas, par la crainte de l'émo-
tion soulevée dans le pays. Hier. M. Empereur,
persuadé qu'il était temps de mettre la dernière
main aux atténuations, présenta enfin l'organisa-
tion révolutionnaire de la C. G. T; comme un la-
boratoire de paix* sociale, une forteresse contre le
sabotage, un asile de patriotisme gràM à J'adop-
-tioS' Técetifte "d\i syatëttre allemande Q'est bien c'e
que? nous pensions M. Empereur nous convainc
que les congressistes de Chambéry travaillaient
déjà pour le roi de Prusse.
Il a dû toutefois reconnaître que cette « jeu-
nesse, exubérante » le syndicalisme de jou-
vence a clos la dernière séance de son inoublié
congrès au chant de l'Internationale. Mais il ne se
frappe pas pour si peu; et la révolte qui secoua
le pays entier ne trouble point sa grande âme.
Des instituteurs payés, retraités, défendus à tour
de bras et de lois par les Chambres, ont réservé
en choeur « les balles pour les généraux » qu'est-
ce que cela? Moins que rien. C'est le pays qui a
tort de s'émouvoir. Bien plus, leurs syndicats dis-
sous légalement, ils les ont reconstitués, sous le
regard volontairement distrait du gouvernement
radical socialiste; qu'est-ce à dire, sinon qu'il faut
bien opposer pas vrai? une internationale
rouge à l'internationale noire? Et à M. César-
Constantin Empereur qu'a répondu le grand-maî-
tre de l'Université, gardien de la loi, de l'ordre
et du patriotisme dans ce grand corps? Rien.
LETTRES DE PROVINCE
Au directeur du Temps.
Dans la petite ville éloignée où je me trou-
vais~ au moment où se déroulait la tragédie du
"Figaro, la nouvelle en fut apportée par les
feuilles régionales à la première heure du jour,
et, presque aussitôt, voilà les rues, les bouti-
ques, les maisons remplies de stupeur. Vite,
il ne voulait point empêcher sa fiancée de
s'amuser, exigeait qu'elle allât à la noce quand
même. Et par manière de plaisanterie il lui
assignait pour le remplacer le gars Benjamin
qui ne manquerait point la fête, étant du pays
du marié. v
Catherine se désola d'abord. Elle en prit son
parti sur la promesse que Julien viendrait pas-
ser quèlques jours sitôt l'examen fini.
La noce devait se faire un samedi. On était
au jeudi. Déjà les volailles destinées au sacri-
fice .par la mère Bossu piaillaient à la ferme, et
les filles du village aidaient la Marie à plu-
mer pendant que les garçons allaient chercher
de jeunes chênes et des branches de sapin
poùr la décoration de la grange où se ferait le
repas. Le soir, tout ce monde-là devait manger
lesâbatis dans la cuisine de la ferme, et l'on
rirait gros autour des tables, garçons et filles
mêlés. Il y avait aussi de la galette qui cuisait,
et dont, la bonne odeur se répandait dans toutes
les rues d'alentour. Des parents de Paris
étaient venus, avec tous leurs embarras; la
mère Bossu l,es logeait comme elle pouvait,
chez l'un et chez l'autre, et ces petits employés
riaient sottement des habitudes de leurs hôtes,
tdûjf f ri" se~boûrrant dé leur crème,, de leur lait
et -de' leurs poulets.
'ïié'fremuë-ménage dé la ferme avait donc ga-
gné-toiït le village. Chacun maintenant s'acti-
vait' dans les maisons, parce qu'il y avait tou-
jours un gas ou une fille de noce, et parfois la
famille entière. On voyait des carrioles rappor-
ter de Clamecy les avisements du dernier mo-
ment, une chemise fine pour le garçon qui ne
pouvait plus mettre celle de la première com-
munion, une cravate blanche au père, des
gants pour les femmes. C'était le père qu'on
avait envoyé en expédition faute de temps
pour la mere qui avait les préparatifs à sur-
veiller, ses bêtes à soigner et sa maison à tenir.
Et souvent le pauvre homme revenait avec un
mauvais marché et c'étaient des récrimina-
tions qu'il supportait l'épaule basse.
La contagion n'avait pas épargné la maison
de M. le maire. Mme Michotte, la mine
importante, était venue avec une jolie robe
pour sa fille, une robe longue dans laquelle Ca-
therine'se pavanait à tout petits pas, car même
fiancée, elle avait conservé à la Basse-Coudre
ses jupes assez courtes; grand-père pouvait
entrer dans sa redingote, mais il avait com-
je m'en allai écouter la rumeur publique. Une
chose singujière ne tarda pas à me frapper
l'unanimité du sentiment manifesté par les uns
etles autres.
C-'était là des marchands, des ouvriers, des
petits bourgeois, toutes gens d'ordinaire divisés
par leurs intérêts, leurs partis pris, leurs ja-
lousies, par ces indestructibles ferments d'hos-
tilité innée qui les jettent tôt ou tard dans des
partis ennemis. Combien parmi eux lisaient le
Figaro ? Combien connaissaient seulement de
nom le malheureux Calmette? Aucun, peut-
être Or, je l'atteste, tous paraissaient affolés
comme par une catastrophe publique, une
lourde tristesse pesait sur leurs poitrines op-
pressées, et ces hommes, plus préoccupés de
leurs affaires personnelles que des péripéties
politiques, la plupart égoïstes ou de cœur in-
différent, ou encore opposés d'opinions, une
même détresse les accablait. Ils comprenaient
que l'événement de la veille était plus qu'un
meurtre vulgaire, que toute cette sanglante
brutalité symbolisait un grand drame social.
« De mon temps, disait un vieillard, on eût
fait, au lendemain d'un pareil coup, une révo-
lution. » Mais une femme du peuple, et non
l'une des moins indignées, protesta « Une
révolution? Encore des tueries? Ah! misère de
misère! Est-ce qu'ils n'en finiront jamais, à
Paris, avec leurs. politique? Le mot suffit
à déchaîner les colères, et c'est le monde poli-
tique qui en fit les frais, largement.
Toute semence porte son fruit. Oh ne crai-
gnez point que je veuille ici me risquer sur le
terrain des moralistes. Certes, ils l'ont belle de
'lancer leurs lamentations sur la société actuelle,
de dénoncer l'influence pernicieuse de ces bi-
zarres éléments de dissociation et de démorali-
sation qui s'y sont mêlés à la suite du maté-
rialisme et de la facilité des choses; et sans
doute ce leur est une merveilleuse occasion, en
rappelant que les convulsions sont toujours
précédées de coups de tonnerre, d'ajouter avec
Bonald que rien n'est plus près des mœurs fé-
roces qu'un peuple dont les mœurs sont volup-
tueuses. Ce point de vue, propice aux magnifi-
cences et aux désolations de la chaire, dépasse
mes modestes et profanes moyens. Sans le né-
gliger, il me semble plus légitime de rattacher
l'assassinat dont la France restera longtemps
ébranlée à sa cause véritable, et c'est la dépra-
vation des mœurs politiques.
Voici tout juste un siècle que retentissait
dans la Sorbonne étonnée la déclaration caté-
gorique de Royer-Collard « On ne fait pas au
scepticisme sa part » Formule de janséniste
morose, dira-t-on, et cependant, l'histoire de la
civilisation l'établit péremptoirement, le scepti-
cisme est le chancre des nations. Les nations
ne demeurent saines et fortes qu'en restant,
en dépit des transformations de -leurs formes
gouvernementales, fidèles à un idéal intangible.
A plus forte raison, les gouvernements, dont la
•durée e»t .essentiellement inç&ïlaiiie, ont. UU
intérêt vital à s'àttaclier à leur principe. Le
jour où ils s'en écartent, par déviation ou par
corruption, leur raison d'être cesse s'ils
n'aperçoivent pas le danger, s'ils ne sont pas
capables de se galvaniser, de se corriger, leurs
derniers jours arrivent fatalement.
Cette situation est généralement celle des
républiques où règne le scepticisme. Les doc-
trines devenant gênantes, d'abord on les édul-
core, on les assouplit, on les adapte, puis si
quelque gêneur se récrie, on les ridiculise et
on gouverne sans elles. On gouverne! Je veux
dire que l'on occupe le pouvoir, tant bien que
mal, pour, soi, pour ses amis, pour son parti,
et comme tous les partis considèrent que la
la politique d'idées n'est plus qu'une bêtise,
celui qui tient le pouvoir pratique avec désm-
volture la politique des appétits. Seulement,
l'opinion publique elle-même se corrompt, les
mœurs s'affaiblissent, les têtes se détraquent,
les désordres s'aggravent, l'heure vient où un
Salluste peut écrire « Deux vices opposés, l'a-
varice (c'est-à-dire la soif de l'or) et la débau-
che, éteignent en nous tout ce qu'il y avait dans
nos aïeux de bon et d'énergique, et nous ne
nous arrêterons plus sur cette pente, rapide. »
Cette heure de décomposition dans les républi-
ques, c'est celle des Catilina.
Nos mœurs politiques, si douloureusement
illustrées par un assassinat, en sont-elles là ?
Le certain est que les événements des derniers
jours n'ont pas trompé les 'prévisions des ob-
servateurs. Rarement la guerre des partis,
lorsqu'elle atteint un tel degré de fureur, se
termine sans une conflagration violente ou
mandé des bottines qui n'arrivaient pas. Enfin
Mme Desvignes fit remarquer
Et ma robe que je n'ai pas seulement re-
gardée Je sais bien que je n'ai pas changé de-
puis quatre ans, et qu'il n'y a guère de mode
pour les vieilles femmes. Mais il faut au moins
la mettre au soleil pour la défriper.
Et avec précaution, elle sortait du placard à
penderie la robe bien emmaillottée d'une toile
blanche.
Mme Michotte hocha la tête avec sévérité.
Pas changé, pas changé, la mode non
plus! C'est vrai qu'il n'y a rien à reprendre à
la jupe, mais on pourrait faire quelques re-
touches au corsage, par exemple raccourcir les
manches au coude, avec un volant de dentelle!
Laisse donc, ma fille. De mon temps, on
ne faisait pas tant d'histoires, et les modes
changeaient moins. On avait sa robe de fille
qui durait jusqu'au mariage, et après, sa robe
de femme qui servait à toutes les cérémonies
et avec quoi on nous enterrait.
Ici, papa Desvignes voulut mettre son mot.
Et que c'était joli, ces modes! Tu te rap-
pelles, Mémé, la première fois que je t'ai vue?
C'était à une fête de printemps; tu portais, en
tête de la procession, la bannière de la Sainte-
Vierge tu avais une robe en mousseline blan-
che, et' un gros nœud de ruban à la taille;
c'était aussi le moment de la coiffure en an-
glaises, et elles descendaient de ton petit cha-
peau tout autour de ton cou. Et moi je me di-
sais « C'est elle, la Sainte-Vierge, avec son
petit air doux et la belle robe blanche »
Oui, expliqua maman Desvignes, sitôt la
taille prise, quand on avait quitté de grandir,
on mettait la robe de mousseline blanche. La
mienne était belle, avec beaucoup de petits
ruchés de valenciennes le corsage tombait
en tunique par derrière, et j'avais aussi des
volants aux manches, retenus à la saignée par
un petit nœud. Quand j'étais encore assez jeu-
nette, ma mère m'avait mis une ceinture de
soie bleue, mais plus tard c'en a été une blan-
che, qu'un garçon d'honneur m'avait donnée
en cadeau à une noce.
Elle hocha la tête.
Ç'a été encore ma robe de mariée, et plus
tard j'en ai fait la robe de première com-
munion de ta mère.
Catherine s'intéressait fort.
Ce devait être joli, si toutes les jeunes
filles avaient des toilettes blanches
scandaleuse. Nous voyons ici les conséquences
logiques de la politique parlementaire. Quand
on en dépeignait les tares et les vices, quand
on les montrait redoutables à la tranquillité
publique, quand on réclamait une réforme de
nature à. en pallier la dangereuse contagion, on
ne faisait pas autre chose que découvrir la
plaie dont les purulences aujourd'hui nous em-
poisonnent. Ce parlementarisme, malfaisant,
c'est celui dont la réforme électorale aurait
certainement préparé une juste épuration. Ah!
les intéressés l'ont bien compris. En sont-ils
plus avancés ? Grand merci Déjà la réforme
électorale apparaît trop bénigne à beaucoup de
braves gens qui hier s'en seraient conten-
C'est qu'aussi l'horrible prépotence parle-
mentaire n'est plus niable. L'affaire en cours
prouve avec éclat l'absolutisme du pouvoir re-'
présentatif. Phénomène curieux, en même
temps que les parlementaires détendaient pour
leurs clientèles les ressorts du gouvernement,
au contraire ils les tendaient durement à leur
propre bénéfice. De cette sorte, il ont absorbé
toute la force gouvernementale. Un pouvoir au
moins aurait dû résister à leurs empiétements,
celui-là même qui, sous un régime représenta-
tif, constitue en principe la plus forte garantie
des citoyens: j'ai nommé le pouvoir judiciaire.
Hélas! ils l'ont mis dans leur poche. Nécessai-
rement, les politiciens étant les maîtres de la
faveur dans toutes les administrations, la judi-
ciaire comprise, les magistrats à leur tour de-
vaient succomber. Ne sont-ce pas des hommes?
De plus, ils se trouvent forcément mêlés au
monde politique il paraît à la barre tant d'avo-
cats dontlarobe laisse passerl'écharpe de député 1
Ces avocats, alors même qu'ils sont de simples
députés, ce n'est pas rien, car le juge sait bien
qu'ils ont leurs entrées libres à la chancellerie.
Que serait-ce s'ils devenaient ministres, oh 1
terreur, ministres de la justice! On parle de
nouveau de prononcer l'incompatibilité entre le
mandat de député et certaines professions si
l'on y comprenait celle d'avocat, le pays ap-
plaudirait avec joie. Mais chaque chose a son
heure. La République a à jetqr tant de lest!
Ainsi omnipotent, que redouterait le Parle-
ment? Tout lui cède, tout lui obéit, et la nation
serait désarmée si, en face de lui, une autre
puissance ne se dressait, aussi formidable
la presse. De tout temps, entre les deux, il y
eut rivalité. De tout temps également, les hom-
mes politiques ont recherché les louanges de la
presse, et tous l'ont courtisée. Elle les fait con-
naître, elle répand leur nom, elle leur ouvre
les avenues du pouvoir: c'est lorsqu'ils y sont
parvenus, très souvent grâce à elle, qu'ils com-
mencent à lui trouver des inconvénients. Ils
sont ministres, et elle les discute! Ils sont puis-
sants, et elle leur résiste! Ils se font mena-
çants, et elle redouble ses attaques! Il n'y a.
doriepau dé lois contre elle? Si, il y a,.des lois
punissant la'diffamation et la calomnie, des
lois dont plus d'un journal apprit la teneur à
ses dépens, des lois dont les ministres ont le
droit de réclamer l'application seulement,
iront-ils affronter la lumière de la cour d'assi-
ses, lorsque ce qu'ils reprochent à la presse,
c'est précisément de la faire trop crue? La
clarté sur leurs actes, ce n'est pas ce qu'ils
veulent, c'est un ténébreux silence.
Presse et Parlement, le publicles départage
les excès de l'une corrigent à ses yeux les maux
de l'autre. La presse est sa dernière ressource
contre le Parlement. Cela explique en partie
le bouleversement des esprits devant la tragé-
die du Figaro. Ajoutez-y ces retentissantes
révélations sur l'usage quç- les gouvernants
font du pouvoir. C'est donc là; le vrai principe
de toute cette politique forcenée? Ainsi Cal-
mette avait raison, lorsqu'il dénonçait la su-
bornation du pouvoir judiciaire par le pouvoir
parlementaire? Il avait raison, et c'est pourquoi
sa mort a fait trembler. Elle a provoqué un
sentiment général d'épouvante et d'écœure-
ment. Toute une société reste éclaboussée de
son sang.
II y a trois quarts de siècle, fin 1847, un crime
atroce souleva la France entière dans une
explosion d'indignation c'est l'assassinat de la
duchesse Choiseul de Praslin par son mari,
pair du royaume. Un témoin de l'époque écrit
que ce drame sanglant passionna jusqu'aux
campagnes les plus reculées: « Le peuple se
prit à maudire tout haut une société où se com-
mettaient de tels forfaits. Il multiplia, il géné~
Joli, ma fille On aurait dit dans les
champs des buissons fleuris, quand la noce ou
la procession défilait en s'espaçant un peu.
Et après, grand'mère, quand vous étiez
mariées?
Quand on était femme, ma fille, on met-
tait la robe de soie et le châle.
̃ De quelle couleur, la rofie de. soie ?
Noire, ou grise, ou mouchetée. La mienne
était gorge de pigeon, qui était la grande mode
du moment. Je l'ai usée en jiipe cette pauvre
robe, voyant que les modes passaient; mais
elle a été longtemps jolie. Elle avait une jupe
très froncée -à la taille avec un corsage plat,
des manches à volants, et le col échancré avec
un petit rabat de mousseline tout autour. J'a-
vais passé tout un hiver à broder ce col aux
veillées; car dans ce temps toutes les filles bro-
daient comme des duchesses.
Catherine, qui n'était pas habile aux ouvrages
des mains, rougit et reprit la conversation.
Je la connais, grand'mère, ta robe de soie.
Tu es photographiée avec dans l'album où sont
tous les vieux parents que je n'ai pas connus.
Tu t'appuies sur le dossier d'une chaise sculp-
tée, et tu portes avec cela un chignon bas sur le
cou, serré dans un filet.
Mme Michotte n'avait rien dit' encore, toutes
occupée à coudre une dentelle au bout des
manches raccourcies, ainsi qu'elle l'avait dé-
cidé. Au dernier point fini, elle leva la tête
Montre-lui donc, maman, ton beau châle
de noces.
Amusée, et attendrie un peu, Mme Des-
vignes alla vers l'armoire, et sur la planche
du haut saisit un paquet soigneusement épin-
glé dans une serviette.
Voilà, dit-elle, ce qu'on se mettait sur le
dos, le lendemain du mariage, et le « beau di-
manche ».
Et elle déplia avec beaucoup de soins le ca-
chemire à ramages, d'où pendaient des effilés
de toutes couleurs. Le ton dominant était un
rouge de coquelicot, où se mêlaient curieuse-
ment des teintes de vert, de noir et de bleu qui
en faisaient comme une fleur éclatante teintée
d'ombre. Maman Desvignes installa le châle
sur ses épaules, formant une mante, disposant
des plis. Et elle allait et venait par la maison.-
avec ses mines d'autrefois.
Claude Faanchst.
(A. suivteà J
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