Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1895-01-31
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 31 janvier 1895 31 janvier 1895
Description : 1895/01/31 (Numéro 12300). 1895/01/31 (Numéro 12300).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
On s'abonne aux Bureaux du journal. 5. BOULEVARD DES ITALIENS, A PARIS, et dans tous les Bureaux de Foste
JEUDI 31 JANVIER 1895
ÏRENTE-CINQUIÈME ANNÉE. Nt 12309
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS. Trois mois, 14 fr. Six mois, 23 fr. Un an, 56 fr,
DÉPt» & ALSACE-LORRAINE 17 fr.; 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE 18 fr.; 36fr.; 72 fr,
AUTRES PAYS. 23 h.; 4Sfr.; 92fe,
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET 16 DE CIIAQUB MOIS
Un numéro (départements) SO centime»
ANNONCES MM. Lagrange, CERF ET C, 8, place de la Bourse
Le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
Adrtast télégraphique TEMPS PARIS
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS. ,7. Trois mois, 11 fr. j Six mois, 28 fr. Un *a, 56 tt,
DÉP'«. & ALSACE-LORRAINB 17" fr.j 34 fr.; 68 fr.
TJHION POSTALE 18 fr.; 36 fr.; *72 fr*
AUTRES PAYS. 23fr.; 46fr.; S2 fr,
LES ABOÎWEMEKTS DATENT DES 1" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (à Paris) ES» centimes
Directeur politique Adrien Hébrarà
Toutes les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées au Directeur
Le Journal ne répond pas des articles non insérés
Paris, 30 janvier
BULLE TOT OT^TTÉTOINGER
TU QUOQUE!
Il était écrit que tous les pays du monde, l'un
d.près l'autre, mais l'un comme l'autre, connaî-
traient les amertumes du scandale politique et
parlementaire. S'il était un Etat qui semblât de-
voir échapper à cette contagion, c'était bien
l'Angleterre. A en juger par le langage de quel-
ques-uns des organes et non les moins im-
portants de sa presse, elle pouvait, comme le
pharisien de la parabole, se tenir droite et la
tête haute et s'écrier Mon Dieu, je te remercie
de ce que je ne suis pas comme ces péagers de
nations pécheresses qui, toutes, ont quelque tare
publique ou cachée 1
A peine si quelques érudits chagrins rien
n'aigrit l'humeur comme la poussière des ar-
chives se permettaient de rappeler qu'il fût
un temps où sir Robert Walpole se vantait de
posséder le tarif de toutes les consciences par-
lementaires et d'avoir corrompu au plus juste
prix les vertus les plus austères et où l'un de
ses principaux adversaires, le jacobite Ship-
pen, disait « Je ne connais à la Chambre des
communes que deux hommes honnêtes Bob
(c'était le premier ministre en personne) et
moi. » Ces souvenirs, encore qu'on pût les ra-
fraîchir avec l'histoire peu édifiante du chance-
lier lord Westbury, étaient bien lointains.
Il est vrai que le flot montant de la suspicion
n'a pas laissé d'atteindre tout récemment des
régions que l'on croyait parfaitement à l'abri.
Le contre-coup du terrible krach du Liberator
a ébranlé plus d'une réputation jusqu'alors
d'une solidité à toute épreuve.
Cet onctueux personnage, ce Tartuffe ou,
pour emprunter a Dickens un type plus exact,
ce Pecksniff achevé, M. Jabez Spencer Balfour,
a laissé dans les finances de son pays une trace
ineffaçable. Non seulement, tout en posant pour
le zèle religieux, tout en feignant un vif intérêt
pour la cause des églises non conformistes et
des sociétés missionnaires, ce dévot spéculateur
a raflé la fortune de centaines et de milliers de
dissidents, de révérends presbytériens ou bap-
tistes, de prédicateurs laïques wesleyens et,
chose plus odieuse, de pauvres veuves et d'or-
phelins qui croyaient placer leur petite fortune
dans une caisse du bon Dieu, mais encore il a
compromis bon nombre de personnages politi-
ques, pairs du royaume ou ses collègues à la
Chambre des communes.
Lord Oxenbridge, qui remplissait les fonc-
tions de grand-écuyer de la reine dans l'admi-
nistration libérale, a dû donner sa démission et
rentrer dans la vie privée, le cœur ulcéré de
l'ingratitude de ses compatriotes, simplement
pour avoir prêté son nom à l'une des innombra-
bles créations de ce financier.
C'est ainsi qu'un malheureux ministre, M.
Mundella, a vu se former contre lui un orage
auquel il a succombé. Homme d'affaires avant
d'être membre du gouvernement; il avait pris
une part principale à la formation et à la gestion
d'une compagnie dont la sphère d'opérations se
trouvait à la Nouvelle-Zélande. Après quelques
bilans brillants, l'horizon s'assombrit, des me-
sures irrégulières furent prises, la liquidation
judiciaire s'imposa et le juge chargé de présider
à cette formalité s'exprima dans les termes les
plus sévères sur le compte des administrateurs.
L'opinion se montrait satisfaite de l'énergie
déployée par le juge de la haute cour chargé de
toutes les affaires commerciales et de toutes les
liquidations judiciaires. M. Vaughan Williams
a acquis un tel renom d'incomparable probité,
d'intelligence et d'habileté dans un ressort très
spécial et hérissé de difficultés qu'il semblait
décidé, non seulement de le laisser dans son
poste, mais encore de le mettre à la tête d'une
cour commerciale proprement dite qu'il est
question d'organiser pour ramener la confiance
et la clientèle des gens d'a.ffaires, accoutumés
depuis quelque temps, par crainte des délais et
des frais, à recourir à des arbitrages officieux.
Or, voilà que l'on apprend tout à coup que le
lord chancelier Herschell, qui est membre du
cabinet libéral en même temps que chef su-
prême de la justice anglaise, aurait enlevé lé
juge Williams à sa cour pour l'envoyer juger
en circuit dans le pays de Galles des affaires
presque uniquement correctionnelles et l'aurait
remplacé dans son poste par le plus récemment
nommé des juges de la haute cour, M. Romer.
De là grand émoi. On n'y va pas par quatre
chemins. Le Times excusez du peu accuse
ouvertement lord Herschell d'avoir voulu punir
la fermeté, l'honnêteté du juge Williams. Les
feuilles des partis extrêmes parlent de la prosti-
tution de la justice. bientôt:
Il est à croire que ce bruit tombera bientôt:
soit que le chancelier, mieux avisé, répare dis-
crètement et vite cette grave erreur, soit qu'il
soit vrai qu'il ne s'agisse que d'une mesure de
service essentiellement temporaire.
]FE1U:B-DU 31 JANVIER 1895 (40)
DON RAPHAËL
AVENTURES ESPAGNOLES
(1SO7-1SOS)
IV
Conduit, après un court séjour dans la pri-
son de Madrid, au château-fort de Villaviciosa,
qui n'est qu'à trois lieues de la capitale, Raphaël
d'Osorio y avait été tout spécialement recom-
mandé aux sévérités de son gardien, le colonel
don Fernando de Baradil, commandant de cette
forteresse.
A la prière de Juan Morera, le prince de la
Paix s'était appliqué à rendre rigoureuse la dé-
tention du jeune conspirateur. Mise au secret,
défense expresse de communiquer avec les au-
tres détenus, surveillance incessante, il ne lui
avait rien épargné, si ce n'est les chaînes et la
paille humide des cachots. A l'en croire, tout
était à craindre de l'audace de ce grand coupa-
ble. Les précautions les plus minutieuses de-
vaient être prises pour l'empêcher de s'enfuir.
Mais le colonel de Baradil répugnait aux me-
sures extrêmes. Il n'avait pas voulu infliger
à un officier noble et draye, qu'il savait être
l'ami du prince des Asturies, les traitements
réservés aux malfaiteurs. Il partageait les sen-
timents de mépris et de haine que Manuel Go-
doï inspirait à la plupart des Espagnols. Comme
'.tous les patriotes, il appelait de ses vœux la
-.chute du puissant favori. Contraint d'obéir aux
ordres qui lui étaient donnés au nom du roi,
̃même quand ils constituaient un excès de pou-
Reproduction et traduction interdites.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Budapest, 30 janvier, 8 heures.
Le nouveau « parti du peuple que dirige le comte
Estcphazy et les adversaires des lois ecclésiastiques,
s'est constitué hier. Il a pour programme principal
la conservation du caractère catholique de la société
hongroise.
Le parti maintiendra son action sur le terrain de
la Constitution de 1867. Il poursuivra la revision des
nouvelles lois politico-ecclésiastiques et l'introduc-
tion do l'autonomie de la communauté catholique.
Sur le chapitre politique, le « parti du peuple »
s'efforcera d'obtenir des réformes agrariennes et la
satisfaction des desiderata des nationalités non ma-
gyares du royaume de Hongrie, dans la limite où
ils sont compatibles avec l'unité de l'Etat.
Sofia, 30 janvier, 8 heures.
Le ministère Stoïlof fait de grands efforts pour
empêcher que les chefs du parti russophile extrême,
Zankof, Karavelof et leurs amis ne passent aux
prochaines élections complémentaires pour le So-
braniô.
Le ministère s'attache à empêcher surtout que M.
Stamboulof, qui a décidément posé sa candidature
à Tirnovo, ne réussisse à s'y faire élire. Les préfets
ont reçu, à ce qu'on assure, des instructions en ce
sens, avec l'avis de leur destitution en cas d'insuc-
cès des candidats gouvernementaux.
La princesse Marie-Louise a donné audience à
M. Zankof.
La Turquie a protesté, de même que l'Autriche-
Hongrie, contre la loi sur l'accise.
(Service Havas)
Saint-Pétersbourg, 30 janvier.
Parlant du message de M. Félix Faure, le Journal de
Saint-Pétersbourg dit que ce document, qui a été bien
accueilli dans les deux assemblées, est de nature à
produire également une bonne impression dans tout le
pays ainsi qu'au dehors.
Les Novosti, parlant du passage relatif à la politique
extérieure, font remarquer que la France et la Russie
veulent la paix et le développement de leurs intérêts.
Mais, ajoute ce journal, elles ne perdront pas de vue
leur dignité ni leur ferme intention de maintenir l'é-
quilibre de la politique de l'Europe.
Rome, 30 janvier.
Le Corricre della sera avait annoncé que le gouver-
nement italien se proposait de faire une expédition
dans le Harrar.
Cette nouvelle est démentie dans les cercles officiels.
Washington, 30 janvier.
La Chambre des représentants a voté hier sans
amendement et par 239 voix contre 31, le bill suppri-
mant les droits différentiels sur les sucres.
Un article supplémentaire au bill consulaire et di-
plomatique, en ce moment devant le Sénat, affecte une
somme de 500,000 dollars à l'établissement d'un câble
sous-marin entre les Etats-Unis et Hawaï.
New-York, 30 janvier.
Le World publie la dépêche suivante de son corres-
pondant de Washington
« Si les vues de M. Cleveland ne sont pas acceptées
par le Congrès et si le drainage d'or continue, le gou-
vernement autorisera un emprunt de 100 millions de
dollars au taux de 4 0/0.
» M. Cleveland est bien déterminé à ne pas autori-
ser l'émission d'autres obligations rachetables au bout
de dix ans. »
Londres, 30 janvier.
Le « Board of trade »vient. de publier un rapport
sur la production et la consommation du charbon
dans toutes les principales parties du globe, de 1883 à
1893.
Nous y voyons qu'en 1893 la production de la houille
dans les Iles-Britanniques a été de 164,326,000 tonnes;
elle a atteint en Allemagne 73,832,000 tonnes, c'est-à-
dire un peu moins de moitié de la production du
Royaume-Uni.
La France est placée en troisième rang des puissan-
ces européennes, avec une production de 25,250,000
tonnes.
La Belgique vient ensuite avec un chiffre presque
égal. Milan, 30 janvier.
Une réunion d'industriels cotonniers s'est tenue à
Milan. L'assemblée, considérant que le droit sur les
matières premières et en particulier sur le coton brut,
est contraire à tous les principes économiques, s'est
prononcée en faveur de l'abrogation de la partie du dé-
cret du 10 décembre 1894 qui établit une taxe sur les
cotons..
Alais, 30, janvier.
M. Espérandieu, maire d'Alais, est appelé à compa-
raître le 18 février devant les assises du Gard pour in-
jures adressées en séance du conseil municipal au bri-
gadier de police Vigne, pour lequel on demandait une
augmentation de traitement de 100 francs.
Le maire s'était opposé à cette augmentation et avait
porté contre l'agent des accusations reconnues fausses
a la suite d'une enquête. Marseille, 30 janvier.
Le vapeur Tafna vient d'inaugurer le nouveau ser-
vi ce de vapeurs français qui a été récemment créé par
la Compagnie de navigation mixte pour établir des re-
lations accélérées entre Marseille, les Canaries, le Sé-
négal, la côte d'Ivoire et le Dahomey.
Le voyage de Marseille à Cotonou dure vingt jours,
et les départs de ces deux ports ont lieu deux fois par
trimestre, le 1er du premier mois et le 15 du mois sui-
vant.
DÉCENTRALISATION
Tout le monde sentaujourd'hui plus ou moins
confusément que, pour arriver à des réformes
vraiment démocratiques et libérales, il faut
commencer par une œuvre de décentralisation
sérieuse.
Les manifestations en ce sens ont été nom-
breuses dans le Parlement, depuis quelques
voir, il s'était efforcé, après avoir feint de se
soumettre à ceux qui concernaient Raphaël,
d'en tempérer la rigueur.
Il avait installé son prisonnier dans une cham-
bre qui ne différait guère de celles des officiers
de la garnison. Il lui faisait servir le même or-
dinaire qu'à eux. Il l'invitait parfois à sa table
et l'avait autorisé à circuler librement dans l'en-
ceinte du château, ne lui demandant en retour
de ces faveurs exceptionnelles que l'engage-
ment d'honneur de ne pas chercher à s'évader
et de s'interdire toute tentative de relations avec
l'extérieur. Cet engagement, Raphaël l'avait
pris et, l'ayant pris, il y demeurait fidèle.
Durant le jour, il se promenait ou il lisait. Le
soir venu, il allait passer quelques heures chez
le colonel de Baradil. Il était reçu comme un
ami par cet excellent homme, par sa femme et
ses deux filles, bonnes créatures aimables, en-
jouées, toujours disposées à s'attendrir quand
le prisonnier leur parlait de sa mère et de sa
fiancée.
Quoique déjà mûre, la sefiora de Baradil était
une belle personne, fringante et sémillante, am-
bitieuse surtout, qui ne supportait qu'avec im-
patience son trop long séjour dans ce triste châ-
teau-fort de Villaviciosa et qui nourrissait l'ar-
dent espoir de le quitter bientôt pour rentrer à
Madrid et y marier ses filles.
Mais cet espoir ne pouvait se réaliser qu'au-
tant que son mari serait pourvu d'un autre
commandement. Ce commandement, on s'obs-
tinait à le lui refuser. Indépendant et fier, il
n'avait pas su mériter la faveur du prince de la
Paix. On l'avait relégué à Villaviciosa comme
dans un exil. Il courait le risque d'y passer
toute sa vie si Manuel Godoï continuait à régner
sur l'Espagne. Aussi, en se donnant des droits
à la reconnaissance et à l'amitié du captif, le
colonel et sa femme avaient-ils surtout en vue
de ménager l'avenir, convaincus que don Fer-
dinand de Bourbon, une fois sur le trône, se
souviendrait des bienfaits prodigués pendant sa.
disgrâce à l'un de ses plus dévoués partisans
dontle crime consistait à s'être compromis pour
sa cause.
Cette préoccupation inspirait l'accueil qu'ils
faisaient à Raphaël, les procédés courtois et les
bonnes grâces qu'ils déployaient pour lui plaire
quand il venait s'asseoir à leur foyer. La cause-
rie, les cartes, la musique aidaient à passer les
heures.
A la fin de ces paisibles soirées, Raphaël ren-
trait dans sa chambre sans oser se plaindre,
quelque cruelle que fût l'épreuve qui lui était
imposée. L'espoir qu'elle cesserait bientôt le
soutenait. Il songeait à son amour, cet amour
qui remplissait son cœur et lui montrait, au
terme de ses maux. comme un dédommage-
mois. Nous rappellerons d'abord le discours
très applaudi sur tous les bancs de la Chambre
que M. Boudenoot, l'honorable député du Nord,
prononçait au commencement de décembre en
inaugurant la discussion générale du budget.
Que pourront être, disait-il, les économies et les
réformes, tant que la même bureaucratie pè-
sera sur l'initiative individuelle, tant que les
droits de l'Etat ne seront pas enfermés dans de
justes limites à l'égard de ceux des citoyens et
des groupes sociaux qui existent au-dessous de
lui? Peu après, un autre député, M. Labus-
sière, déposait un projet de loi tendant à mettre
au concours entre les employés de tous les
ministères une étude sur la simplification de
la méthyde de travail et de l'organisation
administrative. Il était peut-être chimérique
d'espérer arriver à quelque chose d'utile par ce
moyen; mais le fait seul de la proposition mon-
tre que tout le monde voit le mal sinon le véri-
table remède. La Chambre, d'ailleurs, votait
dans le même temps une motion sur la réforme
administrative et bientôt après, sur l'initiative
de MM. Maurice Faure et Beauquier, il se for-
mait un groupe parlementaire nouveau dit
« groupe de la décentralisation ». On voit que
les indications ne manquaient pas pour orienter
de ce côté les préoccupations de l'opinion. C'est
pour y répondre, en même temps que pour
remplir l'engagement pris par le cabinet Dupuy,
que le ministère a décidé hier la nomination
d'une commission extraparlementaire pour étu-
dier les questions de décentralisation adminis-
trative.
Outre les raisons économiques que l'on donne
le plus souvent, nous en apercevons d'autres
d'ordre essentiellement politique, plus générales
et plus graves encore qui doivent diriger de ce
côté les études de nos législateurs et de nos
gouvernants. Et d'abord le lien logique, l'intime
solidarité qui unit ensemble les idées de répu-
blique, de démocratie libre, de self-govern-
ment et de décentralisation. Cela forme un
groupe de notions corrélatives en parfaite anti-
thèse avec celui de despotisme, de démocratie
dupée et asservie, de centralisation césarienne
à outrance. Ainsi s'explique, malgré les progrès
accomplis dans l'opinion, que, demeurant cen-
tralisée, la République en France paraisse tou-
jours, et à chaque crise, précaire et en péril. La
pyramide politique repose sur sa pointe; son
équilibre est instable, et chacun, d'instinct, re-
doute que, sous une secousse brusque et vio-
lente, elle, ne se renverse comme d'elle-même.
L'histoire nous montre la répétition assez fré-
quente de ces accidents dont on s'étonne quand
ils se sont produits et qu'on ne prévoit jamais à
l'avance, bien que rien ne soit plus dans la lo-
gique de notre centralisation impériale. N'est-ce
pas sur cette centralisation toute-puissante que
repose ce dogme supersticieux qu'une démo-
cratie libre puisse, sans périr, s'incarner dans
un César ou cette espérance naïve que caressent
tant d'honnêtes gens de voir apparaître un sau-
veur, et leur déception plus naïve encore, lors-
que le sauveur n'apparaît pas. La centralisation
administrative est incompatible avec les mœurs
viriles de la liberté.
Ce n'est pas seulement le césarisme qui guette
à chaque tournant de voie notre troisième Ré-
publique, c'est encore le socialisme Quel mal
quel désastre ne ferait pas ce dernier, s'il arri-
vait jamais à posséder une majorité parlemen-
taire ? Ayant alors la légalité avec le pouvoir
tout-puissant de l'Etat, le voit-on mettre la France
entière avec ses quarante millions d'habitants
sous son laminoir écrasant? C'est une chose
effrayante de penser qu'une seule assemblée
siégeant à Paris, nourrie d'abstraction, obéis-
sant à la logique uniforme, peut régler souverai-
nement pour des provinces et des populations si
diverses les heures de travail, le minimum de
salaire, et jusqu'à la condition sociale et au
mode de vivre de chaque citoyen. Infiniment
redoutable dans un Etat centralisé comme le
nôtre, le socialisme se détend au contraire, il se
diversifie, se critique et se corrige lui-même,
dans des populations autonomes comme celles
de la Suisse, par exemple, par des expériences
locales et modestes où se fait dans la pratique,
le triage nécessaire entre ce qui est utopique et
ce qui est bon et vraiment utile. Avec la décen-
tralisation l'erreur et le malheur d'une commune
servent de leçon à toutes les autres. N'étant ja-
mais universel, le mal possible reste toujours
réparable.
Ce sont là des vérités élémentaires que tout
le monde commence d'apercevoir. Il est vrai que
l'on diffère autant sur les moyens de décentrali-
ser que l'on s'accorde à en reconnaître la né-
cessité. Autant de têtes, autant de systèmes. Ici
encore il faut savoir passer entre des écueils
contraires, et, en évitant les périlleuses aventu-
res, atteindre le but prochain qui est de déve-
lopper dans notre race les habitudes d'associa-
tions libres, de vie locale, et, pour tout dire en
un mot, de self-government. Voilà pourquoi
une commission d'études était nécessaire.
Cette commission aura, d'une part, à con-
cilier les intérêts généraux et supérieurs
de la patrie française qui doivent rester
1 intangibles, avec le jeu régulier des libertés in-
dividuelles et, d'autre part, à trouver des garan-
ment et une récompense, la réalisation du plus
ineffable rêve.
Le malheur est que, pour si dorée qu'elle soit,
une cage n'en reste pas moins une cage et qu'à
vivre toujours enfermée on finit par ne plus
pouvoir tolérer ce qui d'abord paraissait tolé-
rable. C'est l'éternelle histoire du loup et du
chien. « Attaché! dit le loup, vous ne courez
donc pas? «Raphaël, qui s'était résignée d'abord
à sa prison, ne tarda pas à s'en impatienter.
Le temps s'écoulait sans apporter de chan-
gement à son sort. Sa vie se déroulait mono-
tone, dépourvue de distractions assez puissantes
pour lui verser l'oubli. Il ne pouvait recevoir de
lettres et pas davantage en écrire. On le laissait
dans l'ignorance des événements du dehors. Il
ne savait où se trouvait sa mère, ce que faisait
sa fiancée et pas davantage si Borostidi avait
été relâché ou s'il était encore détenu.
Chaque matin, à son réveil, il se demandait
quel événement allait se produire. Comme il ne
s'en produisait aucun, il se fatiguait d'attendre.
Deux mois après son arrivée à Villaviciosa,
sa résignation était à bout, sa patience épui-
sée. L'idée de s'évader s'emparait de lui peu à
peu, et comme il employait ses interminables
loisirs à étudier les lieux où il se trouvait, il
était frappé par les chances de fuite que lui as-
suraient leur configuration et la complaisance
de ses geôliers.
Deux autres mois passèrent encore, plus uni-
formes, plus vides que les premiers, plus irri-
tants surtout. Sans cesse, à toute heure du jour
et de la nuit, renaissait en son esprit la même
tentation obsédante de reconquérir -sa liberté. Il
y résistait encore, se considérant comme lié par
la parole donnée. Mais cette parole lui pesait.
Il brûlait de la dégager.
Ce jour-là, dans le courant de l'après-midi, le
colonel de Baradil était seul dans son cabinet
quand on lui annonça le prisonnier. Il le reçut
aussitôt.
Avez-vous quelque réclamation à m'adres-
ser, lieutenant ? lui demanda-t-il
-Aucune, mon colonel, répondit le comte
d'Osorio. Grâce à vos bontés, tous mes désirs
sont prévenus et exaucés sans que j'aie besoin
de les manifester.
Alors, votre visite n'est qu'une visite de
courtoisie?
-Une visite intéressée, mon colonel. J'ai une
communication à vous faire.
Je vous écoute, lieutenant.
Il l'invitait à s'asseoir en face de lui et, les
coudes surle bureau, le menton dans ses mains,
il l'interrogeait d'un regard bienveillant, très
éloigné de se douter de ce qu'il allait entendre.
Lorsque j'ai été remis entre vos mains, re-
prit Raphaël, vous avez exigé de moi la nro-
ties sérieuses pour les citoyens et pour les
minorités en sorte qu'ils ne soient point tyran-
nisés et exploités par des majorités illibérales.
Il y aura là de difficiles et délicats problèmes,
dont les solutions théoriques échapperont peut-
être longtemps encore. Mais du concours de
toutes les lumières et de toutes les bonnes vo-
lontés ne sortirait-il que quelques réformes de
détail, comme la création des universités régio-
nales, l'organisation de la vie cantonale, la fa-
cult§ pour un groupe de départements de se
syndiquer, la simplification des paperasseries
bureaucratiques, une extension raisonnable des
attributions laissées aux pouvoirs locaux, le
pays estimerait qu'une commission qui aurait
préparé quelques réformes de ce genre et une
Chambre qui les aurait votées n'auraient pas
tout à fait perdu ni leur temps ni leur peine.
CERCLE VICIEUX
M. Gauthier (de Clagny) a déposé une nouvelle
proposition de revision. Aura-t-elle beaucoup plus
de succès que la plupart de celles qui l'ont précédée?
Cela paraît assez peu probable. On s'explique, par
contre, la tentation à laquelle l'ancien député bou-
langiste a cédé. Quand il a lu dans les journaux que
M. Casimir-Perier venait, par son message aux
Chambres, de poser lui-môme, à nouveau, cette ques-
tion, il a jugé l'occasion favorable pour en saisir,
lui, revisionniste chevronné, le Parlement et le pu-
blic. Mais M. Gautier (de Clagny) n'a pas vu qu'il
s'enfermait et nous tous avec lui dans un cer-
cle vicieux.
Supposons, en effet, que l'on allègue aujourd'hui
en faveur de la revision la nécessité d'étendre les
pouvoirs du président. Ce serait là, s'il devait entrer
en ligne de compte, le seul argument nouveau; le
seul qui tranchât sur la banalité des vieilles redites;
le seul à l'aide duquel on pût se flatter d'agir sur l'o-
pinion et de secouer l'indifférence dont elle n'a cessé
de faire preuve à l'égard de cette réforme, depuis
que les partis en agitent à nos yeux le spectre inof-
fensif. Mais pourquoi le pouvoir présidentiel a-t-il
semblé trop limité à M. Casimir-Perier, sinon parce
qu'il comparait ce sont les expressions dont il
s'est servi lui-mémo, au peu d'action que la Con-
stitution lui laissait l'immensité des responsabilités
dont on lui répétait, chaque jour, qu'il avait à porter
le poids ? C'est la polémique violente, acharnée, fu-
rieuse des socialistes; la polémique cauteleuse des
réactionnaires la polémique, enfin, des radicaux
(que l'on ne sait trop par quelle épithète qualifier,
car elle en mérite beaucoup), c'est cette triple polémi-
que coalisée qui a jeté M. Casimir-Perier dans l'état
d'esprit dont son message porto la marque et dont
sa démission atteste l'acuité.
Hier même, l'ancien président de la République,
en recevant des amis venus de l'Aube, se plaignait
à eux d'avoir vécu six mois sous le feu combiné et
incessant des partis. Supposez qu'il n'eût pas été
choisi par eux comme une cible vivante, il est bien
probable qu'il n'aurait pas senti au même degré la
disproportion qui lui a tout à coup paru exister en-
tre son pouvoir et sa responsabilité. Il se fût accom-
modé, comme ses prédécesseurs, de la présidence
telle que la Constitution la définit. Si bien que
l'exemple ne prouve pas ce qu'on voudrait en tirer.
M. Casimir-Perier n'a pas déposé ses pouvoirs parce
que, exercés dans des conditions normales, ils se
sont révélés à lui comme insuffisants. Il les a dépo-
sés parce qu'on l'empêchait de les exercer dans ces
conditions normales. Et qui est cet on ? Les révolu-
tionnaires de droite et de gauche, auxquels se joi-
gnaient, dans ce cas particulier, nombre de radicaux
hallucinés ou fanatisés.
Que les partisans de la revision, qui se recru-
tent parmi ces radicaux, ces socialistes, ces réac-
tionnaires, ne viennent donc pas nous dire Vous
voyez bien que la Constitution est détestable. Nous
leur répondrions Ce qui est détestable, ce n'est pas
la Constitution, c'est la campagne que vous avez
faite contre la présidence. Vous nous dites Voilà
une Constitution qu'il faut changer parce qu'elle est
hors d'état de fonctionner. Mais non elle fonction-
nerait très'bien, si vous la laissiez tranquille. Votre
raison de reviser la Constitution, c'est uniquement
le mal que vous en dites, et celui que vous lui fai-
tes Comment voulez-vous que cette raison nous
suffise et nous persuade ? R
Si l'expérience avait prouvé que tel rouage do la
Constitution est défectueux, il serait très simple et
très sage de le changer. Mais non l'expérience
prouve simplement que la Constitution a des adver-
saires implacables qui, d'abord, tentent de la démo-
lir puis, quand ils s'aperçoivent que c'est difficile,
s'écrient « Changeons-la » Et pourquoi la change-
rait-on ? Pour justifier rétrospectivement les atta-
ques qu'elle a subies ? `t
L'opinion est, heureusement, plus sensible aux
exigences logiques que les auteurs de propositions
de loi sur la revision. L'opinion répond à leur invite:
non, ce n'est pas la Constitution qu'il faut changer,
ce sont les mœurs politiques, les mauvaises prati-
ques qui corrompent et faussent la vie parlemen-
taire en ce moment et dans ce pays; l'état des es-
prits au Parlement, le ton des polémiques. Voilà la
véritable revision à faire.
Par malheur, si elle est plus justifiée que l'autre,
il s'en faut qu'elle soit aussi facile. L'autre dépend
du Congrès; celle-ci do tout le monde, et, plus par-
messe que je ne chercherais pas à m'évader.
Je l'ai exigée afin de vous faire un sort plus
doux; si vous me l'aviez refusée, j'eusse été con-
traint d'user de rigueur, de me conformer aux
ordres que j'avais reçus vous concernant.
Ordres très sévères, à ce que vous m'avez
dit, mon colonel?
Oui, très sévères, senor comte, et souvent
renouvelés depuis, encore aujourd'hui, ajouta
don Fernando de Baradil en désignant parmi
les papiers épars sur son bureau un pli minis-
tériel arrivé le matin. Ces ordres, votre promesse
m'a permis de ne pas les prendre au pied de la
lettre.
Je le sais, mon colonel, et je vous en serai
reconnaissant durant toute ma vie. J'espère que
l'avenir me fournira l'occasion de vous expri-
mer ma reconnaissance.autrement que par des
mots. Mais l'engagement que j'ai pris, je ne
peux plus le tenir et c'est pour vous l'apprendre
que je suis venu.
Vous voulez vous échapper s'écria le co-
lonel en se levant.
J'y suis fermement résolu, mon colonel.
Ah! senor comte, à quelle extrémité dou-
loureuse allez-vous me réduire I Avez-vous bien
pesé les conséquences de cette déclaration? Sa-
vez-vous à quoi elle m'oblige ? 7
A me mettre aux fers, peut-être ?
Non, non, pas cela, protesta lejfcjyrave
homme. Mais vous me contrai|»ez"'à retirer
quelques-unes des faveurs que je vous avais
accordées. Je ne pourrai plus vous autoriser à
circuler dans le château. Je serai contraint de
vous consigner dans votre chambre, de vous y
faire garder à vue.
C'est votre droit, mon colonel.
Dites que c'est mon devoir, seîior comte.
Vous m'êtes confié. Je suis responsable de vous,
et si votre projet de fuite accompli, à supposer
que vous parveniez à le réaliser, il était démon-
tré que je n'ai pas pris à votre égard les pré-
cautions d'usage, je serais perdu.
Aussi suis-je le premier à vous conseiller
de les prendre, mon colonel.
Mais vous m'en voudrez ? gémit don Fer-
nando.
Il faudrait donc que je fusse un ingrat. Je
suis un soldat comme vous, mon colonel, je
sais ce que vous commande la discipline, et, si
rigoureuses que soient les mesures qu'elle vous
conseille, elles n'effaceront pas de mon cœur
les sentiments de gratitude que j'ai conçus pour
vous et votre famille. Vous êtes dans votre rôle,
je suis dans le mien. Si vous étiez à ma place,
vous feriez ce que je fais. Si j'étais à la vô-
tre, j'agirais comme vous.
-Vous êtes un loyal gentilhomme, senor
comte, reprit don Fernando en tendant la main
ticulièrement, d'une opposition sans scrupules et
sans merci.
^>-
La Chambre ne doit pas se dissimuler qu'un mou-
vement d'opinion très marque su produit dans le
pays contre les retards successifs apportés au vote
du budget. La lettre suivante, que nous venons de
recevoir, se fait l'écho de cette impression très gé-
nérale et dont il faut espérer qu'on tiendra compte
au Palais-Bourbon p
Monsieur le directeur,
Peut-on dire une de leurs vérités àux puissances
du jour? Peuvent-elles l'écouter? Pouvez-vous la
publier?
Cette vérité, qui nous crève les yeux, à nous sim-
ples citoyens, placés à distance de la mêlée poli-
tique, c'est que la Chambre, la grande puissance du
moment, tient entre ses mains la destinée pro-
chaine de la République, du régime parlementaire,
de la démocratie libérale; qu'elle n'a qu'à se laisser
aller doucement à son train ordinaire pour mériter
bientôt que l'on dise d'elle: elle a tué la troisième
République comme le Corps légistatif de 1850 avait
tué la seconde.
Je dis la Chambre, et non pas la gauche ni la
droite. Demain, les partis opposés auront la res-
source de se rejeter la balle et de s'accuser mutuel-
lement, en attendant le verdict éloigné de l'impar-
tiale histoire ils s'essayent déjà par anticipation à
ce jeu de vaincus. Mais aujourd'hui leur appartient
encore, et ils n'ont pas trop des vingt-quatre heu-
res qui leur restent pour faire leur examen de con-
science et pour conjurer les astres malins.
Voilà, monsieur, l'évidence qui nous frappe, nous
autres; braves gens et bons Français, qui avons
souci de ne pas assister une fois de plus au naufrage
des libertés publiques. Et nous nous demandons
sans cosse à quoi pensent donc nos députés, que
ce péril imminent ne leur ouvre pas les yeux sur le
devoir essentiel, élémentaire, urgent, à remplir,
toutes querelles cessantes ?
Chacun fait son rêve. Pour moi, il m'arrive quel-
quefois de rêver que je suis député et que, n'ayant
pas l'étoffe d'un orateur ni d'un homme d'Etat, j'ose
pourtant monter à la tribune et proposer au bon
sens, au patriotisme de toutes les fractions de la
Chambre, une résolution en deux articles
« La Chambre décide 1° qu'elle s'occupera du bud-
get, jusqu'au parfait règlement des dépenses et des
recettes, dans toutes les séances de l'après-midi, y
compris les mercredis, vendredis, et, s'il le faut pour
finir, les dimanches; 2° qu'elle réservera s'il s'en
produit aux interpellations des séances exception-
nelles du matin. »
Ma sagesse politique et mon éloquence n'iraient
pas plus haut. Aurais-je quelque chance d'être
écouté ?
Un vieux parlementaire, à qui l'on demandait
quelle était à son avis la principale qualité d'une
bonne Chambre, répondait « Sans hésiter, c'est de
parler peu. » Et la seconde? « C'est de savoir écou-
ter. L'une est aussi difficile et aussi rare que l'autre
dans une assemblée nombreuse. »
Croyez-vous, monsieur, que notre Parlement, en
des circonstances si graves, soit incapable de ces
simples vertus-là, toutes difficiles qu'elles parais-
sent ? Il n'y a pourtant plus moyen d'avancer sans
cela.
UN DB VOS LECTEURS.
PAUL MANTZ
Une douloureuse nouvelle nous arrive. Notre
ami et collaborateur Paul Mantz vient de s'é-
teindre, dans sa soixante-quatorzième année,
à Paris. Il était né le 28 avril 1821, à Bordeaux.
Peu de vies ont été plus remplies et d'une
dignité plus haute que la sienne. Il en avait fait
deux parts dès le début, l'une consacrée au tra-
vail qui fait vivre, l'autre à celui qui nourrit la
pensée. Dans l'une de ces deux tâches comme
dans l'autre il a été quelqu'un.
En même temps qu'il s'essayait, dès 1844,
dans Y Artiste, aux questions de critique litté-
raire, il entrait, comme simple rédacteur, au
ministère de l'intérieur, à la direction des affai-
res départementales. Il y rendit de nombreux
et signalés services jusqu'au jour où ses impor-
tants travaux de critique d'art le firent élever,
en 1881, aux fonctions de directeur puis de di-
recteur général des beaux-arts.
Il n'occupa que deux ans ces fonctions. Dans
ce poste envié, mais absorbant, l'homme d'étu-
de se sentait à la gêne, et l'historien de notre
art à l'étroit .Dès qu'il put demander sa retraite.
il la prit et se donna tout entier, pour la plus
grande joie des lecteurs de ce journal, aux occu-
pations qui avaient rempli jusque-là toutes les
heures libres de sa vie.
Ces heures si courtes de loisir, il les avait
fructueusement employées. Après avoir payé à
la poésie, qu'il cultiva en secret jusqu'à sa der-
nière heure, le tribut que tous les esprits litté-
raires, dans leur prime jeunesse, lui payent,
après avoir rompu en sa faveur quelques lan-
ces, il avait dévié, brusquement. Les choses
d'art l'attiraient il en flt l'apprentissage, d'a-
bord en 1848, dans le journal [Evénement, puis
dans la Revue de Paris, puis dans la seconde
Revue française, où il écrivit les salons de 1855
et de 1857.
à son prisonnier. Maintenant, continua-t-il, d'un
accent où la sévérité succédait soudain à la
bienveillance, rentrez dans votre chambre et
ne vous étonnez pas s'il vous est défendu d'en
sortir.
Raphaël obéit. Le colonel, resté seul, se re-
mit à son bureau afin de rédiger les consignes
que nécessitait la résolution que son prisonnier
venait de lui signifier.
Quel dommage! murmura-t-il. Nous vi-
vions si bien. Nous étions si heureux ainsi I
Sa femme et ses filles, faisant à l'improviste
irruption dans son cabinet, coupèrent court à
l'expression de ses regrets. Elles entraient rieu-
ses et bruyantes. Mais leurs cris et leurs rires
s'arrêtèrent, tant elles étaient impressionnées
par l'attitude déconfite du colonel.
As-tu reçu de mauvaises nouvelles, Fer-
nando ? lui demanda sa femme. Pourquoi cet
air de consternation?
Le comte d'Osorio veut s'enfuir.
Je le comprends bien. Je m'étonne même
qu'il ne l'ait pas voulu plus tôt. Mais vouloir
n'est pas pouvoir. Et puis, tu as sa parole.
-Il l'a retirée, et me voilà obligé de le met-
tre en surveillance.
Ce fut au tour de la sefiora de Baradil et de ses
filles d'être consternées.
Prends garde de t'attirer son ressentiment,
observa la seîîora, recouvrant la première son
sang-froid. Le jour est proche où il vaudra
rtfteîu^^ôir ce jeune homme pour ami que pour
enne orsque viendra le règne de Ferdi-
nand il sera tout-puissant.
-En attendant, si je le laisse s'évader, je se-
rai destitué.
-Veille sur lui, mais sans l'irriter par un
excès de rigueur. Ne fais rien qui puisse l'of-
fenser ni t'empêcher de recourir à lui quand il
pourra te protéger. S'il s'évade, si tu es desti-
tué, tu n'en seras que plus assuré de sa protec-
tian.
C'est jouer gros jeu tout de même, reprit
don Fernando rêveur.
Il s'était levé. A pas lents, il s'approchait de
la croisée. Machinalement, il appuya son front
contre les vitres et demeura là, le regard perdu
sur le vaste horizon qu'il avait sous ses yeux,
bornant au loin la route de Madrid qui se dé-
roulait droite et blanche depuis la grande en-
trée du château jusqu'aux extrémités lointaines
où elle se perdait dans la campagne.
Soudain, sur cette route, un point noir se des-
sina. D'abord informe sous les brumes dorées
qui voilaient le paysage ensoleillé, il ne tarda
pas à prendre en s'avançant forme et couleur.
C'était une vieille berline attelée de deux mu-
les qui dévoraient l'espace et venaient vers le
château.
Ces débuts ne passèrent pas inaperçus. Oftjfo
goûta non seulement la forme, déjà persorai*!f
nelle, vive, alerte, mais l'indépendance de ju-
gement du critique. Il y avait quelque courage,
en ce temps-là, à dire de l'école de Delaroch6
qu'elle était surtout littéraire, qtie- te métier en
était un peu creux et que les qualités du vrai
peintre, si elles n'en étaient pas exclues de
parti pris, s'y laissaient le plus souvent désirer.
Ce courage, Paul Mantz le montra. On lui en
sut gré. En 1859, la Gazette des beaux-arts l'ap-
pelait à elle. Il y écrivit tout d'abord un Salon,
puis une longue série d'études aussi documen
tées qu'ingénieuses sur toutes les manifesta-
tions de l'art moderne. Ses Recherches sur l'his-
toire de l'orfèvrerie française lui valurent, entre
autres, un succès qui le désigna au choix de
Charles Blanc pour collaborer avec lui à sa
grande Histoire des peintres.
Dans cette tâche nouvelle pour lui, Mantz fit
preuve d'une érudition qu'on ne trouva jamais
en défaut. Les nombreuses études qu'il donna
se distinguèrent à la fois par ces qualités, si
rares alors, de conscience, et par une clarté,
une pénétration qui le mirent définitivement en
relief et le classèrent parmi les maîtres de
la jeune école de critique et d'histoire de l'art.
C'est en 1873 qu'il est devenu notre collabo-
rateur et qu'il a commencé dans ce journal
cette longue série de Salons, toujours si neufs
d'aperçus, si pleins de verve et de souriante
bonhomie, dans lesquels, pendant une durée
de vingt ans, il a suivi avec la même bienveil-
lance lucide l'évolution souvent déconcertante
de notre art.
Quoique les novateurs l'aient parfois trouvé
rebelle, jamais ils n'ont pu le taxer d'injustice.
Ses théories en critique étaient larges et son
esthétique n'avait rien de l'étroitesso, où ses
prédécesseurs s'enfermaient comme en un
dogme.
« Gardons-nous, s'était-il un jour écrié, gar-
dons-nous, pour abriter notre idéal, des con-
structions par trop exiguës. Ménageons autour de
l'édifice dévastes terrains qui puissent servir aux
agrandissements futurs; il est môme prudent
de débarrasser les avenues et de laisser toujours
ouvertes les fenêtres et les portes si nous avons
souci de la vérité et de la justice, réservons une
place à l'inconnu.
» L'inconnu, c'est la vie qui l'amène, et l'étude
tous les jours plus sincère, et cette curiosité
sainte qui veut tout savoir et qui ne veut pas être
trompée.
» A mesure qu'on gravit la colline, on voit les
perspectives s'étendre, on découvre les terres
ignorées. On s'instruit au spectacle changeant
des choses. On reconnaît que la nature parle
tous les langages, ou du moins qu'elle ne dicte
pas à chacun les mêmes leçons. L'éternel mo-
dèle admet des interprétations différentes; il
semble les solliciter par ses renouvellements.
Si les montagnes et les forêts donnent à Pous-
sin d'austères conseils, elles ne défendent pas
à Watteau de sourire. L'histoire de l'art n'est-
elle pas celle des transformations de l'idéal ?
» Les générations successives se passent l'une
à l'autre un rêve commencé, mais la nouvelle
venue y ajoute quelque chose, et elle l'achève
autrement. Comment deviner l'imprévu, et de
quel droit le condamnerait-on d'avance ? Et c'est
pour cela qu'il est prudent de ne pas s'en-
fermer au début dans une trop petite église.
L'air pourrait y manquer un jour, et la lumière.
Donnons donc à nos théories un logis où elles
puissent respirer librement. »
On ne saurait à la fois dire plus juste et s'ex.
primer dans une langue plus nuancée. Cette
profession de foi n'est pas seulement d'un maî-
tre en critique, elle est encore d'un maître écri-
vain.
Aussi le public faisait-il fête à Paul Mantz.
Quoi qu'il écrivît, article de journal ou livre
d'art, sa parole, toujours, faisait autorité. C'est
assez dire qu'il laisse une œuvre derrière lui.
Le Hans Holbein, le Boucher, le Watteau, qu'il
a successivement publiés, de 1870 à 1892, sont
des modèles achevés de critique érudito et lim-
pide. On les lira toujours avec joie, on les con.
sultera toujours avec fruit. T.-S.
Notre regretté collaborateur laisse une fille, Mme
d'Astoin, qui a entouré de soins touchants ses der-
niers jours.
Ses obsèques auront lieu vendredi. On se réunira
à midi à la maison mortuaire, 69, rue Caumartin; le
service sera célébré au temple do la rue Roquépine.
LA CHINE ET LE JAPON
(De notre correspondant spécial)
I
La prise de Port-Arthur
Port-Arthur, 20 décembre 1894.
La seconde armée avait trouvé à Chin-Chow-
Chiang (Kin-Tchôou), et à Taï-Lien-Wan, à la fois une
place où prendre haleine et une base d'opérations
très supérieure à Fouen-Kao otFou-Tsou-Woo (Piheo,
ou Pihouo, ou Pits-Ko en japonais). La flotte était as-
surée do communications faciles avec l'armée. Grâce
à la couardise des Chinois, qui restaient tapis der-'
Qui nous arrive là demanda le colonel.
-Des visiteurs probablement, répondit la se-
nora de Baradil qui rejoignait son mari à la
croisée.
Ou peut-être un nouveau prisonnier que
l'on met sous ma garde.
Si c'était un prisonnier, il y aurait des gen-
darmes et je n'en vois pas.
Roulant bon train, la voiture se rapprochait.
Maintenant, on distinguait le postillon et les
mules. Dans l'isolement où vivaient à Villavi-
ciosa le colonel et sa famille, l'arrivée de visi-
teurs était pour eux un événement de haute
importance. Leur attention fut aussitôt capti-
vée. Oubliant pour quelques instants Raphaël,
sa promesse retirée, sa volonté de s'enfuir, ils
regardaient, très intrigués, venir vers eux cet
équipage, autour duquel flottait en nuages
blancs la poussière 'du chemin. Ils le virent en-
fin s'arrêter devant l'entrée du château et deux
personnes en descendirent.
La première était une femme, petite, un peu
boulotte, le visage coloré sous un embroussail.
lement de cheveux blonds, à la cime desquels
tremblait un feutre gris orné d'un bouquet
de plumes noires, qui poignardait le ciel. Enve-
loppée d'une douillette en soie couleur de feuille
morte, elle marchait d'un pas ferme, la tète
haute, donnant l'impression d'une personne
qui n'a pas froid aux yeux.
Tandis qu'elle parlementait avec le portier
du château, sortait derrière elle, de la voiture,
un jeune homme vêtu de noir et dont, à la
distance où le colonel se trouvait de lui, il n'au-
rait pu préciser la condition sociale, si la dé-
marche un peu embarrassée du nouveau venu,
son attitude réservée, son silence et surtout une
caisse qu'il tenait à la main n'eussent laissé
deviner qu'il n'était la que comme un subal-
terne dont la visiteuse s'était fait accompagner.
Cependant, le portier, après avoir écouté
celle-ci, lui livrait passage. Elle entra dans la
conciergerie, suivie de son compagnon. Quel-
ques minutes après, le colonel était prévenu qua
Mme Stéphanie Defodon, de la maison Defodoa
sœurs de Paris, modes et robes, sollicitait l'hon-
neur d'être admise en sa présence.
Une couturière! fit-il dédaigneusement.
Que peut-elle nous vouloir?
Reçois-la, Fernando, pria la sefiora de Ba-
radil. Une couturière de Paris n'est pas comma
les autres. Elle nous distraira un moment.
Oh 1 oui, papa, recevez-la, reprirent à l'unis*
son les deux senoritas.
Le colonel était bon époux et bon père.
Faites venir cette dame, dit-il au portier.,
ERNEST DAUDET.
(A suioye).
JEUDI 31 JANVIER 1895
ÏRENTE-CINQUIÈME ANNÉE. Nt 12309
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS. Trois mois, 14 fr. Six mois, 23 fr. Un an, 56 fr,
DÉPt» & ALSACE-LORRAINE 17 fr.; 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE 18 fr.; 36fr.; 72 fr,
AUTRES PAYS. 23 h.; 4Sfr.; 92fe,
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET 16 DE CIIAQUB MOIS
Un numéro (départements) SO centime»
ANNONCES MM. Lagrange, CERF ET C, 8, place de la Bourse
Le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
Adrtast télégraphique TEMPS PARIS
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS. ,7. Trois mois, 11 fr. j Six mois, 28 fr. Un *a, 56 tt,
DÉP'«. & ALSACE-LORRAINB 17" fr.j 34 fr.; 68 fr.
TJHION POSTALE 18 fr.; 36 fr.; *72 fr*
AUTRES PAYS. 23fr.; 46fr.; S2 fr,
LES ABOÎWEMEKTS DATENT DES 1" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (à Paris) ES» centimes
Directeur politique Adrien Hébrarà
Toutes les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées au Directeur
Le Journal ne répond pas des articles non insérés
Paris, 30 janvier
BULLE TOT OT^TTÉTOINGER
TU QUOQUE!
Il était écrit que tous les pays du monde, l'un
d.près l'autre, mais l'un comme l'autre, connaî-
traient les amertumes du scandale politique et
parlementaire. S'il était un Etat qui semblât de-
voir échapper à cette contagion, c'était bien
l'Angleterre. A en juger par le langage de quel-
ques-uns des organes et non les moins im-
portants de sa presse, elle pouvait, comme le
pharisien de la parabole, se tenir droite et la
tête haute et s'écrier Mon Dieu, je te remercie
de ce que je ne suis pas comme ces péagers de
nations pécheresses qui, toutes, ont quelque tare
publique ou cachée 1
A peine si quelques érudits chagrins rien
n'aigrit l'humeur comme la poussière des ar-
chives se permettaient de rappeler qu'il fût
un temps où sir Robert Walpole se vantait de
posséder le tarif de toutes les consciences par-
lementaires et d'avoir corrompu au plus juste
prix les vertus les plus austères et où l'un de
ses principaux adversaires, le jacobite Ship-
pen, disait « Je ne connais à la Chambre des
communes que deux hommes honnêtes Bob
(c'était le premier ministre en personne) et
moi. » Ces souvenirs, encore qu'on pût les ra-
fraîchir avec l'histoire peu édifiante du chance-
lier lord Westbury, étaient bien lointains.
Il est vrai que le flot montant de la suspicion
n'a pas laissé d'atteindre tout récemment des
régions que l'on croyait parfaitement à l'abri.
Le contre-coup du terrible krach du Liberator
a ébranlé plus d'une réputation jusqu'alors
d'une solidité à toute épreuve.
Cet onctueux personnage, ce Tartuffe ou,
pour emprunter a Dickens un type plus exact,
ce Pecksniff achevé, M. Jabez Spencer Balfour,
a laissé dans les finances de son pays une trace
ineffaçable. Non seulement, tout en posant pour
le zèle religieux, tout en feignant un vif intérêt
pour la cause des églises non conformistes et
des sociétés missionnaires, ce dévot spéculateur
a raflé la fortune de centaines et de milliers de
dissidents, de révérends presbytériens ou bap-
tistes, de prédicateurs laïques wesleyens et,
chose plus odieuse, de pauvres veuves et d'or-
phelins qui croyaient placer leur petite fortune
dans une caisse du bon Dieu, mais encore il a
compromis bon nombre de personnages politi-
ques, pairs du royaume ou ses collègues à la
Chambre des communes.
Lord Oxenbridge, qui remplissait les fonc-
tions de grand-écuyer de la reine dans l'admi-
nistration libérale, a dû donner sa démission et
rentrer dans la vie privée, le cœur ulcéré de
l'ingratitude de ses compatriotes, simplement
pour avoir prêté son nom à l'une des innombra-
bles créations de ce financier.
C'est ainsi qu'un malheureux ministre, M.
Mundella, a vu se former contre lui un orage
auquel il a succombé. Homme d'affaires avant
d'être membre du gouvernement; il avait pris
une part principale à la formation et à la gestion
d'une compagnie dont la sphère d'opérations se
trouvait à la Nouvelle-Zélande. Après quelques
bilans brillants, l'horizon s'assombrit, des me-
sures irrégulières furent prises, la liquidation
judiciaire s'imposa et le juge chargé de présider
à cette formalité s'exprima dans les termes les
plus sévères sur le compte des administrateurs.
L'opinion se montrait satisfaite de l'énergie
déployée par le juge de la haute cour chargé de
toutes les affaires commerciales et de toutes les
liquidations judiciaires. M. Vaughan Williams
a acquis un tel renom d'incomparable probité,
d'intelligence et d'habileté dans un ressort très
spécial et hérissé de difficultés qu'il semblait
décidé, non seulement de le laisser dans son
poste, mais encore de le mettre à la tête d'une
cour commerciale proprement dite qu'il est
question d'organiser pour ramener la confiance
et la clientèle des gens d'a.ffaires, accoutumés
depuis quelque temps, par crainte des délais et
des frais, à recourir à des arbitrages officieux.
Or, voilà que l'on apprend tout à coup que le
lord chancelier Herschell, qui est membre du
cabinet libéral en même temps que chef su-
prême de la justice anglaise, aurait enlevé lé
juge Williams à sa cour pour l'envoyer juger
en circuit dans le pays de Galles des affaires
presque uniquement correctionnelles et l'aurait
remplacé dans son poste par le plus récemment
nommé des juges de la haute cour, M. Romer.
De là grand émoi. On n'y va pas par quatre
chemins. Le Times excusez du peu accuse
ouvertement lord Herschell d'avoir voulu punir
la fermeté, l'honnêteté du juge Williams. Les
feuilles des partis extrêmes parlent de la prosti-
tution de la justice. bientôt:
Il est à croire que ce bruit tombera bientôt:
soit que le chancelier, mieux avisé, répare dis-
crètement et vite cette grave erreur, soit qu'il
soit vrai qu'il ne s'agisse que d'une mesure de
service essentiellement temporaire.
]FE1U:B-
DON RAPHAËL
AVENTURES ESPAGNOLES
(1SO7-1SOS)
IV
Conduit, après un court séjour dans la pri-
son de Madrid, au château-fort de Villaviciosa,
qui n'est qu'à trois lieues de la capitale, Raphaël
d'Osorio y avait été tout spécialement recom-
mandé aux sévérités de son gardien, le colonel
don Fernando de Baradil, commandant de cette
forteresse.
A la prière de Juan Morera, le prince de la
Paix s'était appliqué à rendre rigoureuse la dé-
tention du jeune conspirateur. Mise au secret,
défense expresse de communiquer avec les au-
tres détenus, surveillance incessante, il ne lui
avait rien épargné, si ce n'est les chaînes et la
paille humide des cachots. A l'en croire, tout
était à craindre de l'audace de ce grand coupa-
ble. Les précautions les plus minutieuses de-
vaient être prises pour l'empêcher de s'enfuir.
Mais le colonel de Baradil répugnait aux me-
sures extrêmes. Il n'avait pas voulu infliger
à un officier noble et draye, qu'il savait être
l'ami du prince des Asturies, les traitements
réservés aux malfaiteurs. Il partageait les sen-
timents de mépris et de haine que Manuel Go-
doï inspirait à la plupart des Espagnols. Comme
'.tous les patriotes, il appelait de ses vœux la
-.chute du puissant favori. Contraint d'obéir aux
ordres qui lui étaient donnés au nom du roi,
̃même quand ils constituaient un excès de pou-
Reproduction et traduction interdites.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Budapest, 30 janvier, 8 heures.
Le nouveau « parti du peuple que dirige le comte
Estcphazy et les adversaires des lois ecclésiastiques,
s'est constitué hier. Il a pour programme principal
la conservation du caractère catholique de la société
hongroise.
Le parti maintiendra son action sur le terrain de
la Constitution de 1867. Il poursuivra la revision des
nouvelles lois politico-ecclésiastiques et l'introduc-
tion do l'autonomie de la communauté catholique.
Sur le chapitre politique, le « parti du peuple »
s'efforcera d'obtenir des réformes agrariennes et la
satisfaction des desiderata des nationalités non ma-
gyares du royaume de Hongrie, dans la limite où
ils sont compatibles avec l'unité de l'Etat.
Sofia, 30 janvier, 8 heures.
Le ministère Stoïlof fait de grands efforts pour
empêcher que les chefs du parti russophile extrême,
Zankof, Karavelof et leurs amis ne passent aux
prochaines élections complémentaires pour le So-
braniô.
Le ministère s'attache à empêcher surtout que M.
Stamboulof, qui a décidément posé sa candidature
à Tirnovo, ne réussisse à s'y faire élire. Les préfets
ont reçu, à ce qu'on assure, des instructions en ce
sens, avec l'avis de leur destitution en cas d'insuc-
cès des candidats gouvernementaux.
La princesse Marie-Louise a donné audience à
M. Zankof.
La Turquie a protesté, de même que l'Autriche-
Hongrie, contre la loi sur l'accise.
(Service Havas)
Saint-Pétersbourg, 30 janvier.
Parlant du message de M. Félix Faure, le Journal de
Saint-Pétersbourg dit que ce document, qui a été bien
accueilli dans les deux assemblées, est de nature à
produire également une bonne impression dans tout le
pays ainsi qu'au dehors.
Les Novosti, parlant du passage relatif à la politique
extérieure, font remarquer que la France et la Russie
veulent la paix et le développement de leurs intérêts.
Mais, ajoute ce journal, elles ne perdront pas de vue
leur dignité ni leur ferme intention de maintenir l'é-
quilibre de la politique de l'Europe.
Rome, 30 janvier.
Le Corricre della sera avait annoncé que le gouver-
nement italien se proposait de faire une expédition
dans le Harrar.
Cette nouvelle est démentie dans les cercles officiels.
Washington, 30 janvier.
La Chambre des représentants a voté hier sans
amendement et par 239 voix contre 31, le bill suppri-
mant les droits différentiels sur les sucres.
Un article supplémentaire au bill consulaire et di-
plomatique, en ce moment devant le Sénat, affecte une
somme de 500,000 dollars à l'établissement d'un câble
sous-marin entre les Etats-Unis et Hawaï.
New-York, 30 janvier.
Le World publie la dépêche suivante de son corres-
pondant de Washington
« Si les vues de M. Cleveland ne sont pas acceptées
par le Congrès et si le drainage d'or continue, le gou-
vernement autorisera un emprunt de 100 millions de
dollars au taux de 4 0/0.
» M. Cleveland est bien déterminé à ne pas autori-
ser l'émission d'autres obligations rachetables au bout
de dix ans. »
Londres, 30 janvier.
Le « Board of trade »vient. de publier un rapport
sur la production et la consommation du charbon
dans toutes les principales parties du globe, de 1883 à
1893.
Nous y voyons qu'en 1893 la production de la houille
dans les Iles-Britanniques a été de 164,326,000 tonnes;
elle a atteint en Allemagne 73,832,000 tonnes, c'est-à-
dire un peu moins de moitié de la production du
Royaume-Uni.
La France est placée en troisième rang des puissan-
ces européennes, avec une production de 25,250,000
tonnes.
La Belgique vient ensuite avec un chiffre presque
égal. Milan, 30 janvier.
Une réunion d'industriels cotonniers s'est tenue à
Milan. L'assemblée, considérant que le droit sur les
matières premières et en particulier sur le coton brut,
est contraire à tous les principes économiques, s'est
prononcée en faveur de l'abrogation de la partie du dé-
cret du 10 décembre 1894 qui établit une taxe sur les
cotons..
Alais, 30, janvier.
M. Espérandieu, maire d'Alais, est appelé à compa-
raître le 18 février devant les assises du Gard pour in-
jures adressées en séance du conseil municipal au bri-
gadier de police Vigne, pour lequel on demandait une
augmentation de traitement de 100 francs.
Le maire s'était opposé à cette augmentation et avait
porté contre l'agent des accusations reconnues fausses
a la suite d'une enquête. Marseille, 30 janvier.
Le vapeur Tafna vient d'inaugurer le nouveau ser-
vi ce de vapeurs français qui a été récemment créé par
la Compagnie de navigation mixte pour établir des re-
lations accélérées entre Marseille, les Canaries, le Sé-
négal, la côte d'Ivoire et le Dahomey.
Le voyage de Marseille à Cotonou dure vingt jours,
et les départs de ces deux ports ont lieu deux fois par
trimestre, le 1er du premier mois et le 15 du mois sui-
vant.
DÉCENTRALISATION
Tout le monde sentaujourd'hui plus ou moins
confusément que, pour arriver à des réformes
vraiment démocratiques et libérales, il faut
commencer par une œuvre de décentralisation
sérieuse.
Les manifestations en ce sens ont été nom-
breuses dans le Parlement, depuis quelques
voir, il s'était efforcé, après avoir feint de se
soumettre à ceux qui concernaient Raphaël,
d'en tempérer la rigueur.
Il avait installé son prisonnier dans une cham-
bre qui ne différait guère de celles des officiers
de la garnison. Il lui faisait servir le même or-
dinaire qu'à eux. Il l'invitait parfois à sa table
et l'avait autorisé à circuler librement dans l'en-
ceinte du château, ne lui demandant en retour
de ces faveurs exceptionnelles que l'engage-
ment d'honneur de ne pas chercher à s'évader
et de s'interdire toute tentative de relations avec
l'extérieur. Cet engagement, Raphaël l'avait
pris et, l'ayant pris, il y demeurait fidèle.
Durant le jour, il se promenait ou il lisait. Le
soir venu, il allait passer quelques heures chez
le colonel de Baradil. Il était reçu comme un
ami par cet excellent homme, par sa femme et
ses deux filles, bonnes créatures aimables, en-
jouées, toujours disposées à s'attendrir quand
le prisonnier leur parlait de sa mère et de sa
fiancée.
Quoique déjà mûre, la sefiora de Baradil était
une belle personne, fringante et sémillante, am-
bitieuse surtout, qui ne supportait qu'avec im-
patience son trop long séjour dans ce triste châ-
teau-fort de Villaviciosa et qui nourrissait l'ar-
dent espoir de le quitter bientôt pour rentrer à
Madrid et y marier ses filles.
Mais cet espoir ne pouvait se réaliser qu'au-
tant que son mari serait pourvu d'un autre
commandement. Ce commandement, on s'obs-
tinait à le lui refuser. Indépendant et fier, il
n'avait pas su mériter la faveur du prince de la
Paix. On l'avait relégué à Villaviciosa comme
dans un exil. Il courait le risque d'y passer
toute sa vie si Manuel Godoï continuait à régner
sur l'Espagne. Aussi, en se donnant des droits
à la reconnaissance et à l'amitié du captif, le
colonel et sa femme avaient-ils surtout en vue
de ménager l'avenir, convaincus que don Fer-
dinand de Bourbon, une fois sur le trône, se
souviendrait des bienfaits prodigués pendant sa.
disgrâce à l'un de ses plus dévoués partisans
dontle crime consistait à s'être compromis pour
sa cause.
Cette préoccupation inspirait l'accueil qu'ils
faisaient à Raphaël, les procédés courtois et les
bonnes grâces qu'ils déployaient pour lui plaire
quand il venait s'asseoir à leur foyer. La cause-
rie, les cartes, la musique aidaient à passer les
heures.
A la fin de ces paisibles soirées, Raphaël ren-
trait dans sa chambre sans oser se plaindre,
quelque cruelle que fût l'épreuve qui lui était
imposée. L'espoir qu'elle cesserait bientôt le
soutenait. Il songeait à son amour, cet amour
qui remplissait son cœur et lui montrait, au
terme de ses maux. comme un dédommage-
mois. Nous rappellerons d'abord le discours
très applaudi sur tous les bancs de la Chambre
que M. Boudenoot, l'honorable député du Nord,
prononçait au commencement de décembre en
inaugurant la discussion générale du budget.
Que pourront être, disait-il, les économies et les
réformes, tant que la même bureaucratie pè-
sera sur l'initiative individuelle, tant que les
droits de l'Etat ne seront pas enfermés dans de
justes limites à l'égard de ceux des citoyens et
des groupes sociaux qui existent au-dessous de
lui? Peu après, un autre député, M. Labus-
sière, déposait un projet de loi tendant à mettre
au concours entre les employés de tous les
ministères une étude sur la simplification de
la méthyde de travail et de l'organisation
administrative. Il était peut-être chimérique
d'espérer arriver à quelque chose d'utile par ce
moyen; mais le fait seul de la proposition mon-
tre que tout le monde voit le mal sinon le véri-
table remède. La Chambre, d'ailleurs, votait
dans le même temps une motion sur la réforme
administrative et bientôt après, sur l'initiative
de MM. Maurice Faure et Beauquier, il se for-
mait un groupe parlementaire nouveau dit
« groupe de la décentralisation ». On voit que
les indications ne manquaient pas pour orienter
de ce côté les préoccupations de l'opinion. C'est
pour y répondre, en même temps que pour
remplir l'engagement pris par le cabinet Dupuy,
que le ministère a décidé hier la nomination
d'une commission extraparlementaire pour étu-
dier les questions de décentralisation adminis-
trative.
Outre les raisons économiques que l'on donne
le plus souvent, nous en apercevons d'autres
d'ordre essentiellement politique, plus générales
et plus graves encore qui doivent diriger de ce
côté les études de nos législateurs et de nos
gouvernants. Et d'abord le lien logique, l'intime
solidarité qui unit ensemble les idées de répu-
blique, de démocratie libre, de self-govern-
ment et de décentralisation. Cela forme un
groupe de notions corrélatives en parfaite anti-
thèse avec celui de despotisme, de démocratie
dupée et asservie, de centralisation césarienne
à outrance. Ainsi s'explique, malgré les progrès
accomplis dans l'opinion, que, demeurant cen-
tralisée, la République en France paraisse tou-
jours, et à chaque crise, précaire et en péril. La
pyramide politique repose sur sa pointe; son
équilibre est instable, et chacun, d'instinct, re-
doute que, sous une secousse brusque et vio-
lente, elle, ne se renverse comme d'elle-même.
L'histoire nous montre la répétition assez fré-
quente de ces accidents dont on s'étonne quand
ils se sont produits et qu'on ne prévoit jamais à
l'avance, bien que rien ne soit plus dans la lo-
gique de notre centralisation impériale. N'est-ce
pas sur cette centralisation toute-puissante que
repose ce dogme supersticieux qu'une démo-
cratie libre puisse, sans périr, s'incarner dans
un César ou cette espérance naïve que caressent
tant d'honnêtes gens de voir apparaître un sau-
veur, et leur déception plus naïve encore, lors-
que le sauveur n'apparaît pas. La centralisation
administrative est incompatible avec les mœurs
viriles de la liberté.
Ce n'est pas seulement le césarisme qui guette
à chaque tournant de voie notre troisième Ré-
publique, c'est encore le socialisme Quel mal
quel désastre ne ferait pas ce dernier, s'il arri-
vait jamais à posséder une majorité parlemen-
taire ? Ayant alors la légalité avec le pouvoir
tout-puissant de l'Etat, le voit-on mettre la France
entière avec ses quarante millions d'habitants
sous son laminoir écrasant? C'est une chose
effrayante de penser qu'une seule assemblée
siégeant à Paris, nourrie d'abstraction, obéis-
sant à la logique uniforme, peut régler souverai-
nement pour des provinces et des populations si
diverses les heures de travail, le minimum de
salaire, et jusqu'à la condition sociale et au
mode de vivre de chaque citoyen. Infiniment
redoutable dans un Etat centralisé comme le
nôtre, le socialisme se détend au contraire, il se
diversifie, se critique et se corrige lui-même,
dans des populations autonomes comme celles
de la Suisse, par exemple, par des expériences
locales et modestes où se fait dans la pratique,
le triage nécessaire entre ce qui est utopique et
ce qui est bon et vraiment utile. Avec la décen-
tralisation l'erreur et le malheur d'une commune
servent de leçon à toutes les autres. N'étant ja-
mais universel, le mal possible reste toujours
réparable.
Ce sont là des vérités élémentaires que tout
le monde commence d'apercevoir. Il est vrai que
l'on diffère autant sur les moyens de décentrali-
ser que l'on s'accorde à en reconnaître la né-
cessité. Autant de têtes, autant de systèmes. Ici
encore il faut savoir passer entre des écueils
contraires, et, en évitant les périlleuses aventu-
res, atteindre le but prochain qui est de déve-
lopper dans notre race les habitudes d'associa-
tions libres, de vie locale, et, pour tout dire en
un mot, de self-government. Voilà pourquoi
une commission d'études était nécessaire.
Cette commission aura, d'une part, à con-
cilier les intérêts généraux et supérieurs
de la patrie française qui doivent rester
1 intangibles, avec le jeu régulier des libertés in-
dividuelles et, d'autre part, à trouver des garan-
ment et une récompense, la réalisation du plus
ineffable rêve.
Le malheur est que, pour si dorée qu'elle soit,
une cage n'en reste pas moins une cage et qu'à
vivre toujours enfermée on finit par ne plus
pouvoir tolérer ce qui d'abord paraissait tolé-
rable. C'est l'éternelle histoire du loup et du
chien. « Attaché! dit le loup, vous ne courez
donc pas? «Raphaël, qui s'était résignée d'abord
à sa prison, ne tarda pas à s'en impatienter.
Le temps s'écoulait sans apporter de chan-
gement à son sort. Sa vie se déroulait mono-
tone, dépourvue de distractions assez puissantes
pour lui verser l'oubli. Il ne pouvait recevoir de
lettres et pas davantage en écrire. On le laissait
dans l'ignorance des événements du dehors. Il
ne savait où se trouvait sa mère, ce que faisait
sa fiancée et pas davantage si Borostidi avait
été relâché ou s'il était encore détenu.
Chaque matin, à son réveil, il se demandait
quel événement allait se produire. Comme il ne
s'en produisait aucun, il se fatiguait d'attendre.
Deux mois après son arrivée à Villaviciosa,
sa résignation était à bout, sa patience épui-
sée. L'idée de s'évader s'emparait de lui peu à
peu, et comme il employait ses interminables
loisirs à étudier les lieux où il se trouvait, il
était frappé par les chances de fuite que lui as-
suraient leur configuration et la complaisance
de ses geôliers.
Deux autres mois passèrent encore, plus uni-
formes, plus vides que les premiers, plus irri-
tants surtout. Sans cesse, à toute heure du jour
et de la nuit, renaissait en son esprit la même
tentation obsédante de reconquérir -sa liberté. Il
y résistait encore, se considérant comme lié par
la parole donnée. Mais cette parole lui pesait.
Il brûlait de la dégager.
Ce jour-là, dans le courant de l'après-midi, le
colonel de Baradil était seul dans son cabinet
quand on lui annonça le prisonnier. Il le reçut
aussitôt.
Avez-vous quelque réclamation à m'adres-
ser, lieutenant ? lui demanda-t-il
-Aucune, mon colonel, répondit le comte
d'Osorio. Grâce à vos bontés, tous mes désirs
sont prévenus et exaucés sans que j'aie besoin
de les manifester.
Alors, votre visite n'est qu'une visite de
courtoisie?
-Une visite intéressée, mon colonel. J'ai une
communication à vous faire.
Je vous écoute, lieutenant.
Il l'invitait à s'asseoir en face de lui et, les
coudes surle bureau, le menton dans ses mains,
il l'interrogeait d'un regard bienveillant, très
éloigné de se douter de ce qu'il allait entendre.
Lorsque j'ai été remis entre vos mains, re-
prit Raphaël, vous avez exigé de moi la nro-
ties sérieuses pour les citoyens et pour les
minorités en sorte qu'ils ne soient point tyran-
nisés et exploités par des majorités illibérales.
Il y aura là de difficiles et délicats problèmes,
dont les solutions théoriques échapperont peut-
être longtemps encore. Mais du concours de
toutes les lumières et de toutes les bonnes vo-
lontés ne sortirait-il que quelques réformes de
détail, comme la création des universités régio-
nales, l'organisation de la vie cantonale, la fa-
cult§ pour un groupe de départements de se
syndiquer, la simplification des paperasseries
bureaucratiques, une extension raisonnable des
attributions laissées aux pouvoirs locaux, le
pays estimerait qu'une commission qui aurait
préparé quelques réformes de ce genre et une
Chambre qui les aurait votées n'auraient pas
tout à fait perdu ni leur temps ni leur peine.
CERCLE VICIEUX
M. Gauthier (de Clagny) a déposé une nouvelle
proposition de revision. Aura-t-elle beaucoup plus
de succès que la plupart de celles qui l'ont précédée?
Cela paraît assez peu probable. On s'explique, par
contre, la tentation à laquelle l'ancien député bou-
langiste a cédé. Quand il a lu dans les journaux que
M. Casimir-Perier venait, par son message aux
Chambres, de poser lui-môme, à nouveau, cette ques-
tion, il a jugé l'occasion favorable pour en saisir,
lui, revisionniste chevronné, le Parlement et le pu-
blic. Mais M. Gautier (de Clagny) n'a pas vu qu'il
s'enfermait et nous tous avec lui dans un cer-
cle vicieux.
Supposons, en effet, que l'on allègue aujourd'hui
en faveur de la revision la nécessité d'étendre les
pouvoirs du président. Ce serait là, s'il devait entrer
en ligne de compte, le seul argument nouveau; le
seul qui tranchât sur la banalité des vieilles redites;
le seul à l'aide duquel on pût se flatter d'agir sur l'o-
pinion et de secouer l'indifférence dont elle n'a cessé
de faire preuve à l'égard de cette réforme, depuis
que les partis en agitent à nos yeux le spectre inof-
fensif. Mais pourquoi le pouvoir présidentiel a-t-il
semblé trop limité à M. Casimir-Perier, sinon parce
qu'il comparait ce sont les expressions dont il
s'est servi lui-mémo, au peu d'action que la Con-
stitution lui laissait l'immensité des responsabilités
dont on lui répétait, chaque jour, qu'il avait à porter
le poids ? C'est la polémique violente, acharnée, fu-
rieuse des socialistes; la polémique cauteleuse des
réactionnaires la polémique, enfin, des radicaux
(que l'on ne sait trop par quelle épithète qualifier,
car elle en mérite beaucoup), c'est cette triple polémi-
que coalisée qui a jeté M. Casimir-Perier dans l'état
d'esprit dont son message porto la marque et dont
sa démission atteste l'acuité.
Hier même, l'ancien président de la République,
en recevant des amis venus de l'Aube, se plaignait
à eux d'avoir vécu six mois sous le feu combiné et
incessant des partis. Supposez qu'il n'eût pas été
choisi par eux comme une cible vivante, il est bien
probable qu'il n'aurait pas senti au même degré la
disproportion qui lui a tout à coup paru exister en-
tre son pouvoir et sa responsabilité. Il se fût accom-
modé, comme ses prédécesseurs, de la présidence
telle que la Constitution la définit. Si bien que
l'exemple ne prouve pas ce qu'on voudrait en tirer.
M. Casimir-Perier n'a pas déposé ses pouvoirs parce
que, exercés dans des conditions normales, ils se
sont révélés à lui comme insuffisants. Il les a dépo-
sés parce qu'on l'empêchait de les exercer dans ces
conditions normales. Et qui est cet on ? Les révolu-
tionnaires de droite et de gauche, auxquels se joi-
gnaient, dans ce cas particulier, nombre de radicaux
hallucinés ou fanatisés.
Que les partisans de la revision, qui se recru-
tent parmi ces radicaux, ces socialistes, ces réac-
tionnaires, ne viennent donc pas nous dire Vous
voyez bien que la Constitution est détestable. Nous
leur répondrions Ce qui est détestable, ce n'est pas
la Constitution, c'est la campagne que vous avez
faite contre la présidence. Vous nous dites Voilà
une Constitution qu'il faut changer parce qu'elle est
hors d'état de fonctionner. Mais non elle fonction-
nerait très'bien, si vous la laissiez tranquille. Votre
raison de reviser la Constitution, c'est uniquement
le mal que vous en dites, et celui que vous lui fai-
tes Comment voulez-vous que cette raison nous
suffise et nous persuade ? R
Si l'expérience avait prouvé que tel rouage do la
Constitution est défectueux, il serait très simple et
très sage de le changer. Mais non l'expérience
prouve simplement que la Constitution a des adver-
saires implacables qui, d'abord, tentent de la démo-
lir puis, quand ils s'aperçoivent que c'est difficile,
s'écrient « Changeons-la » Et pourquoi la change-
rait-on ? Pour justifier rétrospectivement les atta-
ques qu'elle a subies ? `t
L'opinion est, heureusement, plus sensible aux
exigences logiques que les auteurs de propositions
de loi sur la revision. L'opinion répond à leur invite:
non, ce n'est pas la Constitution qu'il faut changer,
ce sont les mœurs politiques, les mauvaises prati-
ques qui corrompent et faussent la vie parlemen-
taire en ce moment et dans ce pays; l'état des es-
prits au Parlement, le ton des polémiques. Voilà la
véritable revision à faire.
Par malheur, si elle est plus justifiée que l'autre,
il s'en faut qu'elle soit aussi facile. L'autre dépend
du Congrès; celle-ci do tout le monde, et, plus par-
messe que je ne chercherais pas à m'évader.
Je l'ai exigée afin de vous faire un sort plus
doux; si vous me l'aviez refusée, j'eusse été con-
traint d'user de rigueur, de me conformer aux
ordres que j'avais reçus vous concernant.
Ordres très sévères, à ce que vous m'avez
dit, mon colonel?
Oui, très sévères, senor comte, et souvent
renouvelés depuis, encore aujourd'hui, ajouta
don Fernando de Baradil en désignant parmi
les papiers épars sur son bureau un pli minis-
tériel arrivé le matin. Ces ordres, votre promesse
m'a permis de ne pas les prendre au pied de la
lettre.
Je le sais, mon colonel, et je vous en serai
reconnaissant durant toute ma vie. J'espère que
l'avenir me fournira l'occasion de vous expri-
mer ma reconnaissance.autrement que par des
mots. Mais l'engagement que j'ai pris, je ne
peux plus le tenir et c'est pour vous l'apprendre
que je suis venu.
Vous voulez vous échapper s'écria le co-
lonel en se levant.
J'y suis fermement résolu, mon colonel.
Ah! senor comte, à quelle extrémité dou-
loureuse allez-vous me réduire I Avez-vous bien
pesé les conséquences de cette déclaration? Sa-
vez-vous à quoi elle m'oblige ? 7
A me mettre aux fers, peut-être ?
Non, non, pas cela, protesta lejfcjyrave
homme. Mais vous me contrai|»ez"'à retirer
quelques-unes des faveurs que je vous avais
accordées. Je ne pourrai plus vous autoriser à
circuler dans le château. Je serai contraint de
vous consigner dans votre chambre, de vous y
faire garder à vue.
C'est votre droit, mon colonel.
Dites que c'est mon devoir, seîior comte.
Vous m'êtes confié. Je suis responsable de vous,
et si votre projet de fuite accompli, à supposer
que vous parveniez à le réaliser, il était démon-
tré que je n'ai pas pris à votre égard les pré-
cautions d'usage, je serais perdu.
Aussi suis-je le premier à vous conseiller
de les prendre, mon colonel.
Mais vous m'en voudrez ? gémit don Fer-
nando.
Il faudrait donc que je fusse un ingrat. Je
suis un soldat comme vous, mon colonel, je
sais ce que vous commande la discipline, et, si
rigoureuses que soient les mesures qu'elle vous
conseille, elles n'effaceront pas de mon cœur
les sentiments de gratitude que j'ai conçus pour
vous et votre famille. Vous êtes dans votre rôle,
je suis dans le mien. Si vous étiez à ma place,
vous feriez ce que je fais. Si j'étais à la vô-
tre, j'agirais comme vous.
-Vous êtes un loyal gentilhomme, senor
comte, reprit don Fernando en tendant la main
ticulièrement, d'une opposition sans scrupules et
sans merci.
^>-
La Chambre ne doit pas se dissimuler qu'un mou-
vement d'opinion très marque su produit dans le
pays contre les retards successifs apportés au vote
du budget. La lettre suivante, que nous venons de
recevoir, se fait l'écho de cette impression très gé-
nérale et dont il faut espérer qu'on tiendra compte
au Palais-Bourbon p
Monsieur le directeur,
Peut-on dire une de leurs vérités àux puissances
du jour? Peuvent-elles l'écouter? Pouvez-vous la
publier?
Cette vérité, qui nous crève les yeux, à nous sim-
ples citoyens, placés à distance de la mêlée poli-
tique, c'est que la Chambre, la grande puissance du
moment, tient entre ses mains la destinée pro-
chaine de la République, du régime parlementaire,
de la démocratie libérale; qu'elle n'a qu'à se laisser
aller doucement à son train ordinaire pour mériter
bientôt que l'on dise d'elle: elle a tué la troisième
République comme le Corps légistatif de 1850 avait
tué la seconde.
Je dis la Chambre, et non pas la gauche ni la
droite. Demain, les partis opposés auront la res-
source de se rejeter la balle et de s'accuser mutuel-
lement, en attendant le verdict éloigné de l'impar-
tiale histoire ils s'essayent déjà par anticipation à
ce jeu de vaincus. Mais aujourd'hui leur appartient
encore, et ils n'ont pas trop des vingt-quatre heu-
res qui leur restent pour faire leur examen de con-
science et pour conjurer les astres malins.
Voilà, monsieur, l'évidence qui nous frappe, nous
autres; braves gens et bons Français, qui avons
souci de ne pas assister une fois de plus au naufrage
des libertés publiques. Et nous nous demandons
sans cosse à quoi pensent donc nos députés, que
ce péril imminent ne leur ouvre pas les yeux sur le
devoir essentiel, élémentaire, urgent, à remplir,
toutes querelles cessantes ?
Chacun fait son rêve. Pour moi, il m'arrive quel-
quefois de rêver que je suis député et que, n'ayant
pas l'étoffe d'un orateur ni d'un homme d'Etat, j'ose
pourtant monter à la tribune et proposer au bon
sens, au patriotisme de toutes les fractions de la
Chambre, une résolution en deux articles
« La Chambre décide 1° qu'elle s'occupera du bud-
get, jusqu'au parfait règlement des dépenses et des
recettes, dans toutes les séances de l'après-midi, y
compris les mercredis, vendredis, et, s'il le faut pour
finir, les dimanches; 2° qu'elle réservera s'il s'en
produit aux interpellations des séances exception-
nelles du matin. »
Ma sagesse politique et mon éloquence n'iraient
pas plus haut. Aurais-je quelque chance d'être
écouté ?
Un vieux parlementaire, à qui l'on demandait
quelle était à son avis la principale qualité d'une
bonne Chambre, répondait « Sans hésiter, c'est de
parler peu. » Et la seconde? « C'est de savoir écou-
ter. L'une est aussi difficile et aussi rare que l'autre
dans une assemblée nombreuse. »
Croyez-vous, monsieur, que notre Parlement, en
des circonstances si graves, soit incapable de ces
simples vertus-là, toutes difficiles qu'elles parais-
sent ? Il n'y a pourtant plus moyen d'avancer sans
cela.
UN DB VOS LECTEURS.
PAUL MANTZ
Une douloureuse nouvelle nous arrive. Notre
ami et collaborateur Paul Mantz vient de s'é-
teindre, dans sa soixante-quatorzième année,
à Paris. Il était né le 28 avril 1821, à Bordeaux.
Peu de vies ont été plus remplies et d'une
dignité plus haute que la sienne. Il en avait fait
deux parts dès le début, l'une consacrée au tra-
vail qui fait vivre, l'autre à celui qui nourrit la
pensée. Dans l'une de ces deux tâches comme
dans l'autre il a été quelqu'un.
En même temps qu'il s'essayait, dès 1844,
dans Y Artiste, aux questions de critique litté-
raire, il entrait, comme simple rédacteur, au
ministère de l'intérieur, à la direction des affai-
res départementales. Il y rendit de nombreux
et signalés services jusqu'au jour où ses impor-
tants travaux de critique d'art le firent élever,
en 1881, aux fonctions de directeur puis de di-
recteur général des beaux-arts.
Il n'occupa que deux ans ces fonctions. Dans
ce poste envié, mais absorbant, l'homme d'étu-
de se sentait à la gêne, et l'historien de notre
art à l'étroit .Dès qu'il put demander sa retraite.
il la prit et se donna tout entier, pour la plus
grande joie des lecteurs de ce journal, aux occu-
pations qui avaient rempli jusque-là toutes les
heures libres de sa vie.
Ces heures si courtes de loisir, il les avait
fructueusement employées. Après avoir payé à
la poésie, qu'il cultiva en secret jusqu'à sa der-
nière heure, le tribut que tous les esprits litté-
raires, dans leur prime jeunesse, lui payent,
après avoir rompu en sa faveur quelques lan-
ces, il avait dévié, brusquement. Les choses
d'art l'attiraient il en flt l'apprentissage, d'a-
bord en 1848, dans le journal [Evénement, puis
dans la Revue de Paris, puis dans la seconde
Revue française, où il écrivit les salons de 1855
et de 1857.
à son prisonnier. Maintenant, continua-t-il, d'un
accent où la sévérité succédait soudain à la
bienveillance, rentrez dans votre chambre et
ne vous étonnez pas s'il vous est défendu d'en
sortir.
Raphaël obéit. Le colonel, resté seul, se re-
mit à son bureau afin de rédiger les consignes
que nécessitait la résolution que son prisonnier
venait de lui signifier.
Quel dommage! murmura-t-il. Nous vi-
vions si bien. Nous étions si heureux ainsi I
Sa femme et ses filles, faisant à l'improviste
irruption dans son cabinet, coupèrent court à
l'expression de ses regrets. Elles entraient rieu-
ses et bruyantes. Mais leurs cris et leurs rires
s'arrêtèrent, tant elles étaient impressionnées
par l'attitude déconfite du colonel.
As-tu reçu de mauvaises nouvelles, Fer-
nando ? lui demanda sa femme. Pourquoi cet
air de consternation?
Le comte d'Osorio veut s'enfuir.
Je le comprends bien. Je m'étonne même
qu'il ne l'ait pas voulu plus tôt. Mais vouloir
n'est pas pouvoir. Et puis, tu as sa parole.
-Il l'a retirée, et me voilà obligé de le met-
tre en surveillance.
Ce fut au tour de la sefiora de Baradil et de ses
filles d'être consternées.
Prends garde de t'attirer son ressentiment,
observa la seîîora, recouvrant la première son
sang-froid. Le jour est proche où il vaudra
rtfteîu^^ôir ce jeune homme pour ami que pour
enne orsque viendra le règne de Ferdi-
nand il sera tout-puissant.
-En attendant, si je le laisse s'évader, je se-
rai destitué.
-Veille sur lui, mais sans l'irriter par un
excès de rigueur. Ne fais rien qui puisse l'of-
fenser ni t'empêcher de recourir à lui quand il
pourra te protéger. S'il s'évade, si tu es desti-
tué, tu n'en seras que plus assuré de sa protec-
tian.
C'est jouer gros jeu tout de même, reprit
don Fernando rêveur.
Il s'était levé. A pas lents, il s'approchait de
la croisée. Machinalement, il appuya son front
contre les vitres et demeura là, le regard perdu
sur le vaste horizon qu'il avait sous ses yeux,
bornant au loin la route de Madrid qui se dé-
roulait droite et blanche depuis la grande en-
trée du château jusqu'aux extrémités lointaines
où elle se perdait dans la campagne.
Soudain, sur cette route, un point noir se des-
sina. D'abord informe sous les brumes dorées
qui voilaient le paysage ensoleillé, il ne tarda
pas à prendre en s'avançant forme et couleur.
C'était une vieille berline attelée de deux mu-
les qui dévoraient l'espace et venaient vers le
château.
Ces débuts ne passèrent pas inaperçus. Oftjfo
goûta non seulement la forme, déjà persorai*!f
nelle, vive, alerte, mais l'indépendance de ju-
gement du critique. Il y avait quelque courage,
en ce temps-là, à dire de l'école de Delaroch6
qu'elle était surtout littéraire, qtie- te métier en
était un peu creux et que les qualités du vrai
peintre, si elles n'en étaient pas exclues de
parti pris, s'y laissaient le plus souvent désirer.
Ce courage, Paul Mantz le montra. On lui en
sut gré. En 1859, la Gazette des beaux-arts l'ap-
pelait à elle. Il y écrivit tout d'abord un Salon,
puis une longue série d'études aussi documen
tées qu'ingénieuses sur toutes les manifesta-
tions de l'art moderne. Ses Recherches sur l'his-
toire de l'orfèvrerie française lui valurent, entre
autres, un succès qui le désigna au choix de
Charles Blanc pour collaborer avec lui à sa
grande Histoire des peintres.
Dans cette tâche nouvelle pour lui, Mantz fit
preuve d'une érudition qu'on ne trouva jamais
en défaut. Les nombreuses études qu'il donna
se distinguèrent à la fois par ces qualités, si
rares alors, de conscience, et par une clarté,
une pénétration qui le mirent définitivement en
relief et le classèrent parmi les maîtres de
la jeune école de critique et d'histoire de l'art.
C'est en 1873 qu'il est devenu notre collabo-
rateur et qu'il a commencé dans ce journal
cette longue série de Salons, toujours si neufs
d'aperçus, si pleins de verve et de souriante
bonhomie, dans lesquels, pendant une durée
de vingt ans, il a suivi avec la même bienveil-
lance lucide l'évolution souvent déconcertante
de notre art.
Quoique les novateurs l'aient parfois trouvé
rebelle, jamais ils n'ont pu le taxer d'injustice.
Ses théories en critique étaient larges et son
esthétique n'avait rien de l'étroitesso, où ses
prédécesseurs s'enfermaient comme en un
dogme.
« Gardons-nous, s'était-il un jour écrié, gar-
dons-nous, pour abriter notre idéal, des con-
structions par trop exiguës. Ménageons autour de
l'édifice dévastes terrains qui puissent servir aux
agrandissements futurs; il est môme prudent
de débarrasser les avenues et de laisser toujours
ouvertes les fenêtres et les portes si nous avons
souci de la vérité et de la justice, réservons une
place à l'inconnu.
» L'inconnu, c'est la vie qui l'amène, et l'étude
tous les jours plus sincère, et cette curiosité
sainte qui veut tout savoir et qui ne veut pas être
trompée.
» A mesure qu'on gravit la colline, on voit les
perspectives s'étendre, on découvre les terres
ignorées. On s'instruit au spectacle changeant
des choses. On reconnaît que la nature parle
tous les langages, ou du moins qu'elle ne dicte
pas à chacun les mêmes leçons. L'éternel mo-
dèle admet des interprétations différentes; il
semble les solliciter par ses renouvellements.
Si les montagnes et les forêts donnent à Pous-
sin d'austères conseils, elles ne défendent pas
à Watteau de sourire. L'histoire de l'art n'est-
elle pas celle des transformations de l'idéal ?
» Les générations successives se passent l'une
à l'autre un rêve commencé, mais la nouvelle
venue y ajoute quelque chose, et elle l'achève
autrement. Comment deviner l'imprévu, et de
quel droit le condamnerait-on d'avance ? Et c'est
pour cela qu'il est prudent de ne pas s'en-
fermer au début dans une trop petite église.
L'air pourrait y manquer un jour, et la lumière.
Donnons donc à nos théories un logis où elles
puissent respirer librement. »
On ne saurait à la fois dire plus juste et s'ex.
primer dans une langue plus nuancée. Cette
profession de foi n'est pas seulement d'un maî-
tre en critique, elle est encore d'un maître écri-
vain.
Aussi le public faisait-il fête à Paul Mantz.
Quoi qu'il écrivît, article de journal ou livre
d'art, sa parole, toujours, faisait autorité. C'est
assez dire qu'il laisse une œuvre derrière lui.
Le Hans Holbein, le Boucher, le Watteau, qu'il
a successivement publiés, de 1870 à 1892, sont
des modèles achevés de critique érudito et lim-
pide. On les lira toujours avec joie, on les con.
sultera toujours avec fruit. T.-S.
Notre regretté collaborateur laisse une fille, Mme
d'Astoin, qui a entouré de soins touchants ses der-
niers jours.
Ses obsèques auront lieu vendredi. On se réunira
à midi à la maison mortuaire, 69, rue Caumartin; le
service sera célébré au temple do la rue Roquépine.
LA CHINE ET LE JAPON
(De notre correspondant spécial)
I
La prise de Port-Arthur
Port-Arthur, 20 décembre 1894.
La seconde armée avait trouvé à Chin-Chow-
Chiang (Kin-Tchôou), et à Taï-Lien-Wan, à la fois une
place où prendre haleine et une base d'opérations
très supérieure à Fouen-Kao otFou-Tsou-Woo (Piheo,
ou Pihouo, ou Pits-Ko en japonais). La flotte était as-
surée do communications faciles avec l'armée. Grâce
à la couardise des Chinois, qui restaient tapis der-'
Qui nous arrive là demanda le colonel.
-Des visiteurs probablement, répondit la se-
nora de Baradil qui rejoignait son mari à la
croisée.
Ou peut-être un nouveau prisonnier que
l'on met sous ma garde.
Si c'était un prisonnier, il y aurait des gen-
darmes et je n'en vois pas.
Roulant bon train, la voiture se rapprochait.
Maintenant, on distinguait le postillon et les
mules. Dans l'isolement où vivaient à Villavi-
ciosa le colonel et sa famille, l'arrivée de visi-
teurs était pour eux un événement de haute
importance. Leur attention fut aussitôt capti-
vée. Oubliant pour quelques instants Raphaël,
sa promesse retirée, sa volonté de s'enfuir, ils
regardaient, très intrigués, venir vers eux cet
équipage, autour duquel flottait en nuages
blancs la poussière 'du chemin. Ils le virent en-
fin s'arrêter devant l'entrée du château et deux
personnes en descendirent.
La première était une femme, petite, un peu
boulotte, le visage coloré sous un embroussail.
lement de cheveux blonds, à la cime desquels
tremblait un feutre gris orné d'un bouquet
de plumes noires, qui poignardait le ciel. Enve-
loppée d'une douillette en soie couleur de feuille
morte, elle marchait d'un pas ferme, la tète
haute, donnant l'impression d'une personne
qui n'a pas froid aux yeux.
Tandis qu'elle parlementait avec le portier
du château, sortait derrière elle, de la voiture,
un jeune homme vêtu de noir et dont, à la
distance où le colonel se trouvait de lui, il n'au-
rait pu préciser la condition sociale, si la dé-
marche un peu embarrassée du nouveau venu,
son attitude réservée, son silence et surtout une
caisse qu'il tenait à la main n'eussent laissé
deviner qu'il n'était la que comme un subal-
terne dont la visiteuse s'était fait accompagner.
Cependant, le portier, après avoir écouté
celle-ci, lui livrait passage. Elle entra dans la
conciergerie, suivie de son compagnon. Quel-
ques minutes après, le colonel était prévenu qua
Mme Stéphanie Defodon, de la maison Defodoa
sœurs de Paris, modes et robes, sollicitait l'hon-
neur d'être admise en sa présence.
Une couturière! fit-il dédaigneusement.
Que peut-elle nous vouloir?
Reçois-la, Fernando, pria la sefiora de Ba-
radil. Une couturière de Paris n'est pas comma
les autres. Elle nous distraira un moment.
Oh 1 oui, papa, recevez-la, reprirent à l'unis*
son les deux senoritas.
Le colonel était bon époux et bon père.
Faites venir cette dame, dit-il au portier.,
ERNEST DAUDET.
(A suioye).
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