Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1889-05-14
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 14 mai 1889 14 mai 1889
Description : 1889/05/14 (Numéro 10235). 1889/05/14 (Numéro 10235).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
en s'aixmne aux Bureaux du Journal, 5, BOULEVARD DES ITALIENS, A PARIS, et flans tous les Bureaux de Posi*
MARDI- 14 MAI 1889.
:> /INGT-NEUV1ÈME ANNÉE. W° 10235
•-̃ »̃; PRIX DE L'ABONNEMENT \:V
PARIS. Trois mois, 14 fr. Six mois, 28 fr. Un an, 56 (W
DÉPfiALSAGE-LOItRAlNB 17fr.; i S4Ir,; i 6SBr.
DHIOH POSTALE 18 fr. 36 fr. *72fr.
LES ABONNEMEKTS DATEIST DES 1er ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un xixunéro (départements) SSO centiinesà .1
ANNONCES.: MM. La.gra.nge Cerf kt Gs 8, place de la Bourse
(Droit d'insertion réservé à la rédaction.)
BUREAUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
Adresse télégraphique TEMPS PARIS
PRIX DE 'L"ÍÜ30NNEM-ENT'
pbix de l'abonnement ''̃
PARIS..T. Trois mo's> fr> '• sil mois, 28 fr. Un u, 56 fr.
DÊPte & ALSAGS-LORRAINB lTfr.; 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE ISfr.; 36tr.; 72tr.
LES ABONNEME>TS DATENT DES 1er ET 16 DE CHAQUE MOIS
JJ» numéro (à Paris) lo centimes.
Directeur politique Adrien Hébrard
La rédaction ne répond pas des articles communiqués
BUREAUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
••̃̃ Adresse télégraphique TEHPS PARIS
PARIS, 13 MAI V
PULLETIN^DU JOUR
M. Tisza depuis le remaniement de son
cabinet, est placé .dans une position difficile.
D'une part, il est évident que, .s'il a appelé à
ses côtés des hommes de la valeur et de l'in-
dépendance de M. Szilagyi et du comte Sza-
pary, c'est qu'il a senti le besoin de renforcer
le petit état-major qu'il avait peu à peu laissé
envahir par des médiocrités dociles et des-
cendre au rang d'une simple escorte person-
nelle. D'autre part, il lui déplaît fort que l'op-
position relève l'importance de ce change-
ment et affecte de distinguer entre la poli-
tique de certains nouveaux ministres et celle
de leur chef.
La position de M. Szilagyi, qui avait peu à
peu glissô hors des rangs du parti ministé-
riel et qui n'est rentré au bercail que pour y
prendre la houlette, est particulièrement dé-
licate et les groupes ennemis, celui surtout
du comte Apponyi, que des nuances seule-
ment séparent du nouveau- ministre de la
justice, ne se font pas faute d'insister sur des
souvenirs compromettants.
Il faut convenir, du reste, que la situation
générale du gouvernement est fort affaiblie,
non seulement par la violence des ressenti-
ments qui se sont fait jour contre la person-
nalité un peu encombrante de M. Tisza au
cours des débats sur la loi militaire, mais en-
core par les révélations qui se multiplient
sur les étranges pratiques d'un régime soi-
disant libéral.
Le baron Kaas, le lieutenant du comte
Apponyi, à déclaré dans un débat récent que
dans les comitats, particulièrement- dans ce-
lui de Barun-y, les. juges locaux accepteraient
des épices ou présents des grands proprié-
taires fonciers. Le ministre par intérim de
l'intérieur a dû reconnaitre qu'il en est ainsi
et a ajouté qu'il ne voyait pas grand inconvé-
nient à cet usage. Cette phrase malheureuse,
jointe à ce que l'on sait des pratiques de cor-
ruption électorale et de pression administra-
tive des autorités, a causé un certain scan-
dale à Budapest.
L'abdication du roi Milan de Serbie, la
chute, en Roumanie, du cabinet Carp-Rosetti
ne laissent pas que de constituer, au détri-
ment de l'hégémonie austro-allemande dans
3a péninsule des Balkans, une rupture d'équi-
libre assez sensible. Il est intéressant de no-
ter avec quel zèle et au moyen de quels pro-
cédés une partie de la presse inféodée à la
politique antirusse dans ces parages s'ef-
force de diminuer l'effet de ces incidents et
d'infliger au cabinet de Pétersbourg, à titre
de compensation ou comme fiche de conso-
lation, des échecs fictifs sur un terrain pure-
ment imaginaire.
On a prétendu que la Russie se serait pro-
fondément humiliée devant M. Stamboulof
en envoyant au chef du gouvernement bul-
gare un agent qui, chapeau bas et en termes
d'une contrition achevée, aurait prié cet
homme d'Etat dé bien vouloir reprendre en
:grâce le tsar. Au lieu" d'agréer ces excuses
T7T-;si vraisemblables et de consentir à se
joindre à un complot 'diplomatique dirigé
contre le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg-
Gotha, l'incorruptible Stamboulof aurait fait
savoir à Alexandre III que le moment du
pardon était passé, que la Russie devait re-
noncer à une réconciliation qui eût été fort
aisée il y a trois ans, au moment de la chute
du prince de Battenberg, et que le chef du
cabinet de Sofia ne se séparerait jamais du
souverain qui est son œuvre.
A peine le public avait-il eu le temps de
savourer tout le charme, toute la probabilité
intrinsèque de ce fragment d'histoire authen-
tique, que de nouvelles révélations lui étaient
adressées de la même source. On raconte que
le parti russophile bulgare serait en pleine
décomposition. Las de piétiner sur place, les
membres de ce groupe auraient dépêché l'un
d'entre eux, l'avocat Franzia, à M. Zankof à
Bucarest, pour le prier de renoncer à' son at-
titude purement négative et de se prêter à un
rapprochement avec le prince Ferdinand de
Saxe-Cobourg-Gotha.
M. Zankof aurait répondu par un refus ca-
tégorique et se serait assez sèchement référé
au programme contenu dans le récit de son
entretien avec le tsar. Sur quoi ses partisans,
irrités, lui auraient poliment signifié que c'en
.était fait et qu'avec ou sans lui ils allaient
taire leur paix avec le gouvernement et pren-
dre dans l'Etat bulgare le rôle d'une opposi-
tion constitutionnelle conservatrice.
Ainsi, en face de M.. Stamboulof, uni par
les liens d'une indissoluble confiance mu-
tuelle avec le prince qu'il a créé, il n'y aurait
plus que ces trois grands débris, MM. Zan-
!FEa.JBLBL.ETOM nu a 7t'~liD' p;
DU 14 MAI 1889 [9]
UN CASQUE 1
VII– (Suite.)
Clérambourg se battait avec une carcasse de
pigeon et jurait entre ses dents. Coublevie,
l'aide-major, disséquait artistement son oi-
seau Bolandoz, le vétérinaire, faisait des ca-
lembours Albiosc regardait du coin de l'œil
Pierre, qui grignotait son pain, l'air son-
geur.
Ehl Savarèze, vous êtes malade? •
Pas du tout.
Si, si, ça se voit vous ne mangez rien.
Je n'ai pas faim, probablement.
Alors, ça vous est tombé sur f estomac,
mon petit.
Comprends pas.
-Allons donc, ne faites pas l'innocent: vous
vous réservez pour le dessert.
Le dessert?.
-Il y a les quatre-mendiants, interrompit
Clérambourg.
Laissez-nous donc, vieux, vous retardez
le dessert de Savarèze, on le lui servira cet hi-
ver sur un petit plat d'argent.
Albiosc, mon cher, je ne sais de quel plat
vous parlez; mais, s'il est petit, cela va gêner
vos pieds.
Pardon! vous avez trop d'esprit pour moi,
parlez donc français.
A l'amende, grogna le porte-étendard, tout
ça c'est du charabia, c'est vrai.
Il se fit un silence et Albiosc reprit
Non c'est incroyable ce que vous êtes ca-
chottier, Savarèze!
Je suis venu au monde comme ça c'est à
prendre ou à laisser.
Ne vous fâchez pas. Tantôt j'ai rencontré
cinq ou six « pontes qui m'ont dit sans mys-
tère « Vous savez, votre camarade Savarèze,
ça y est avec la petite. la petite Chose. Com-
ment diable s'appelle-t-elle ? »
Repiodmticn interdite.
kof, Karavelof et Radoslavof, tous trois per-
dus par l'excès de leur haine contre le ré-
gime actuel, tous trois abandonnés par leurs
propres partis. La sainte Russie ne serait plus
le phare vers lequel se tournent naturelle-
ment les regards de ceux que mécontente `
l'état présent des choses en Bulgarie.
C'est grand dommage que ces défaites ir-
réparables si souvent infligées dans la pe-
ninsule des Balkans, à en croire certaines
correspondances. viennoises, à la politique
du cabinetde Pétersbourg, aient presque tou-
jours lieu dans les coulisses, tandis que les
échecs retentissants que la politique d'un au-
tre cabinet a subis dans ces derniers mois à
Belgrade et à Bucarest ont éclaté à tous les re-
gards sur le devant même de la scène. Il faut
beaucoup de foi pour attacher à ces incidents
réparateurs l'importance que l'on parait leur
donner de certains côtés.
Peut-être nos instincts critiques sont-ils
trop mis en éveil par les contradictions sin-
gulières qui règnent dans le langage de cette
même presse au sujet du nouveau gouverne-
ment roumain. Hier, M. Catargi était anathé-
matisé comme un esclave de l'influence
russe; aujourd'hui, on affirme que cette mê-
me influence russe vient de recevoir une
atteinte grave par une circulaire où, à propos
de l'affaire des Iconistes (colporteurs et'mar-
chands d'images, sujets du tsar), le cabinet
de Bucarest affirmerait avec une certaine
hauteur les droits de la Roumanie à régler à
son gré ses affaires de l'ordre intérieur.
Il faudrait vraiment choisir entre les deux
versions et cesser de faire à la Russie un
crime de l'avènement d'hommes politiques
qu'on loue si fort d'avoir rompu en visière
à leurs prétendus protecteurs.
| |M|tf-||l I
DÉPÊCHES TÉUÉGH&PHiPEr^
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU TempS
.̃ ̃̃• '̃ Berlin, 13 mai, 8 h. 10.
On s'occupe activement des préparatifs pour l'ar-
rivée du roi Humbert. Il serait possible que, au
dernier moment, la reine se décidât à venir; l'invi-
tation lui a été renouvelée par l'impératrice. En
tout cas, on compte sur le duc et la duchesse
d'Âoste. Mais, en revanche, il ne paraît pas certain
que M. Crispi puisse venir, la situation politique le
retenant en Italie.
Berlin, 13 mai, 8 h. 40.
Le président du Reichstag a adressé une circu-
laire aux députés dans laquelle il blâme la négli-
gence de ceux qui se montrent si peu assidus aux
séances qu'il a fallu à plusieurs reprises renvoyer
des séances faute du Quorum nécessaire. Le prési-
dent engage les députés à se trouver toujours, si-
non dans la sàlle des délibérations, tout au moins
dans le palais législatif ou à proximité, afin qu'on
sache où les trouver en cas de besoin.
Berlin, 13 mai, 11 heures.
La grève s'étend au bassin d'Esses. Les ouvriers
ont quitté les quarante-deux puits de la compagnie.
Berlin, 13 mai, 11 h. 40.
Par une déclaration, les administrations des char-
bonnages refusent la réduction de la durée du tra-
vail, mais concèdent en principe l'augmentation de
salaires qui sera à déterminer entre chaque admi-
nisiration et ses équipes, après que les grévistes
auront repris le travail.
On dit qu'une députation de grévistes sera reçue
par l'empereur aujourd'hui.
Belgrade, 13 mai, 8 h. 15.
Je suis en mesure de vous affirmer que depuis
son départ l'ex-roi Milan a entretenu une corres-
pondance des plus suivies avec le comte Bray et
que, exploitant l'animosité bien connue du diplo-
mate allemand pour la reine Natalie, Milan n'a
cessé de stimuler M. de Bray afin qu'il fit son pos-
sible auprès des régents pour empêcher la reine de
rentrer en Serbie. Ces derniers temps, les dépê-
ches de M. de Bray étaient complètement rassu-
rantes, il promettait positivement à l'ex-roi que
« Mme Natalie Kechko «(c'est le nom qu'il affecte de
donner à l'ex-reine) ne rentrerait pas à Belgrade.
Ce sont ces télégrammes qui ont décidé Milan à
continuer son voyage en Orient.
Sofia, 13 mai, 8 h. 25.
C'est aujourd'hui que le prince Ferdinand doit
inaugurer, à Bourgas, les travaux de construction
de la ligne ferrée qui doit relier ce port de la mer
Noire à Yamboli et aux chemins de fer orientaux.
Cette ligne, qui aura une longueur de 112 kilomè-
tres, enlèvera à Dede-Agatch et à Constantinople le
transit des produits de la Roumélie orientale, qui
prendront à l'avenir le chemin de Bourgas. C'est
cette voie que prendront également les 15 millions
de kilogrammes de sel fournis par les salines
d'Adrielo, sur la mer Noire, qui représentent la
consommation annuelle de la Roumélie orientale et
qui passaient précédemment par Constantinople.
On calcule que les travaux seront achevés vers
la fin de cette année. Ils seront exécutés par des
soldats de l'armée bulgare. Les communes que tra-
versera la ligne fourniront les traverses.
Rome, 13 mai, 10 heures.
La Chambre suspendra bientôt ses séances pour
quelques jours. Ces vacances coïncideraient avec le
Avec qui était-elle avant? demanda naï-
vement Clérambourg; ça nous aiderait peut-
être à retrouver son nom.Et comme Albiosc
se tenait les côtes, il ajouta Voilà que j'ai
fait une gaffe 1 t i
Vous n'avez rien dit que de très naturel,
reprit Pierre dont la voix s'altérait. Quand un
monsieur se permet d'appeler une femme « la
petite Chose », c'est qu'il s'agit d'une figurante
ou d'une modiste.
Mon cher, répliqua Albiosc, vous prenez
drôlement les choses. Moi je n'y mets pas de
malice, et je vous raconte ce que je sais. Si
vous n'êtes pas content, après tout je m'en
fiche.
Mon cher, je ne vous reproche rien vous
êtes libre de parler comme il vous plaît, et moi
d'en penser ce que je veux.
Ah dites donc, Savarèze, assez comme
ça; je vous préviens que la patience n'est pas
ma vertu dominante l
Non, c'est le savoir-vivre.
Albiosc se leva très pâle. Les autres man-
geaient sans s'émouvoir, habitués à des que-
relles furibondes qui n'avaient pas de lende-
main.
Albiosc, appuyant sur la table ses poings
crispés, le corps penché en avant, dit à Pierre
Il y a trop longtemps, monsieur, que vous
affectez des manières insupportables. Nous ne
sommes pas une société digne de vous, paraît-
il, et vous nous dédaignez. Quand on vous re-
trouve, c'est pour s'entendre traiter de gens mal
élevés. je vous déclare que j'ai grande envie
de casser une carafe sur votre figure de cou-
reur de dots
Les officiers posèrent leurs fourchettes,
voyant qu'il ne retournait pas de bagatelles.
Saint-Sylvain hachait la nappe avec son cou-
teau et Pierre répondit d'un ton sec
Je ne sais pas parler votre langage, mon-
sieur, et n'aime guère le pugilat que vous sem-
blez fort goûter affaire d'éducation; mais, sans
briser la vaisselle, nous pouvons demander au
colonel la permission de nous couper la gorge.
Etes-vous satisfait?
Clérambourg, médusé par ce dénouement
tragique, bégayait
Ah! c'est raide. c'est raide de s'aligner
pour un cotillon. Jouez-le donc en cinq secs.
̃'̃ vin '̃ .̃ '̃
« Décision du 31 juillet. Pas de dressage de-
main matin au manège. Il y aura promenade
générale des jeunes chevaux. »
voyage du roi à Berlin et permettraient à quelques
députés de se rendre en Allemagne.
Le consistoire est renvoyé à la seconde moitié du
mois de juin, le pape voulant prononcer un grand
discours pour protester contre l'inauguration du
monument de Giordano Bruno.
Madrid,'13 mai, 9 h. 15.
Le conseil des ministres a décidé qu'il repoussera
ïa proposition des conservateurs demandant une
élévation des droits sur les céréales et les farines
étrangères et la proposition demandant d'établir un
impôt de 5 0/0 sur les coupons de la dette de l'Etat.
La discussion de ces propositions commence au-
jourd'hui à la Chambre, où elles seront appuyées
par l'opposition et même par une fraction de la ma-
jorité ministérielle.
Le Sénat discutera, avant le mois de juin, le pro-
jet de loi accordant au chemin de fer de Noguera-
pallares à Saint-Girons la morne subvention qu'à la
ligne de Canfranc.. ̃
(Service Havas) Tiflis, 13 mai.
Hier dans l'après-midi, 1r shah de Perse a passé la
frontière russe près do Djoulfa, où il a été reçu solen-
nellement par les autorités russes et une garde d'hon-
neur de 15a cosaques.
ÉlECTIOH SÉHATÛR1ALE DU 12 MAI 1889
̃. *̃̃ <•̃ SEINE -r-
» DEUXIÈME TOUR
Inscrits 711. Votants 660
Suffrages exprimés 640
Majorité absolue • 321
Bulletins blancs ou nuls. 20
MM. Poirrier, président de la chambre de
commerce de Paris, républicain.. 267
Alex. Lefèvre, vice-président du con-
seil général, radical • 222
Darlot, ancien président du conseil
municipal de Paris, autonomiste. 77
de Douville-Maillefeu, député, rad, 25
général, Boulanger 17.
L.-L. Vauthier, ancien conseiller mu-
nicipal, républicain. 11
'ff Âllaire, conseiller général de Neuilly, ;$ ?>; v;
r radical • '̃̃
*V. docteur Pouillet, conseiller d'arron-
• dissement, adjoint au maire de
Noisy, radical socialiste. 5
Emile Lefèvre, architecte, rép. ind. 3
Divers. 3
Aucun des candidats n'ayant obtenu, au deuxième
tour de scrutin la majorité absolue des suffrages, il
a fallu procéder à un troisième tour, pour lequel l'élec-
tion se fait à la majorilé relative. Ce troisième tour a
donné les résultats suivants:
TROISIÈME TOUR
Votants. 659
Bulletins blancs ou nuls. 18
Suffrages exprimés. 6H
MM.Poh-rier. 313 ÉLU
Alexandre Lefèvre 308
général Boulanger. 7
Darlot. 6
Vauthier. 2
de Douville-Maillefeu. 2
Divers. 3
̃M, Poirrior est donc élu.
Ce résultat n'a pas laissé de causer quelque sur-
prise et quelque désappointement parmi los candidats
et les électeurs radicaux qui se croyaient jusqu'au
-dernier moment sûrs de la victoire il convient à cet
égard de rechercher à quelles causes et à quelle suite
d'incidents est dû la victoire d'un candidat qui avait
contre lui la grande majorité du conseil municipal de
Paris et do la députation de la Seine.
Rappelons tout d'abord qu'au premier tour de scru-
tin les 637 suffrages exprimés s'étaient ainsi répartis
MM. Poirrier, 135; Al. Lefèvre, 112 Darlot, 71; Allaire,
68; Pouillet, 51; de Douville-Maillefeu, 45 Bailly, 34;
Hennape, 34; Vauthier, 25; Boulanger, 19; Pimbel, 17;
Jallon, 8; Emile Lefèvre, 7; Ferdinand Riànt, 5, etc.'
A la réunion d'électeurs sénatoriaux tenue entra le
premier et le second tour de scrutin, MM. Allaire et
Pouillet s'étaient, ainsi que nous l'avons dit hier, dé-
sistés en faveur de M. Alexandre Lefèvre; néan-
moins, une douzaine de leurs partisans persistaient au
second tour lus autres suffrages qu'ils avaient ob-
tenus, soit 105, se reportaient pour la plupart sur le
nom de M. Lefèvre, tandis que M. Poirrier gagnait la
plus grande partie des voix qui abandonnaient MM.
de Douville-Maillefou, Bailly, Vauthier, Hennape. A
ce même second tour, M. Darlot obtenait 77 voix, soit
une augmentation de 6 sur le premier tour. Plusieurs
journaux disent que ces 6 voix sont celles de délé-
gués ou de conseillers réactionnaires le fait paraît
vraisemblable si l'on considère d'une part, que les
5 voix obtenues au premier tour par M. Ferdinand
Riant ont disparu au second d'autre part, que les
réactionnaires se sont montrés hier constamment
fidèles à leur tactique habituelle de voter pour le can-
didat le plus avancé, puisquo avant le troisième tour
M. Ferdinand Duval déclarait qu'entre M. Poirrier et
M. Alex. Lefèvre les électeurs de droite devaient sans
hésitation voter pour le radical.
Quoi qu'il en soit, le résultat du second tour de scru-
tin avait nettement accusé le triomphe des candidats
de la banlieue sur le candidat qui représentait les
aspirations et l'état d'esprit de la majorité autono-
miste du conseil municipal de Paris. M. Darlot, ac-
ceptant cetto défaite, disait et faisait dire par ses
amis aussitôt le résultat du deuxième tour pro-
clamé qu'il se retirait et se désistait en faveur de
M Alexandre Lefèvre. Celui-ci maintenait sa candi-
dature, en rappelant qu'il n'avait promis de se retirer
au troisième tour, devant un candidat de la banlieue
plus favorisé, que si ce dernier avait un programme
radical. Or, les déclarations franchement modérées
de M. Poirrier ne pouvaient laisser aucun doute.
MM. Poirrier et Lefèvre restaient donc seuls en
présence le désistement de M. Darlot assurait sans
doute à la candidature de M. Lefèvre un appoint con-
sidérable de voix radicales parisiennes, mais cette set-
lidarité risquait de la compromettre auprès des élec-
teurs qui tenaient à donner à l'élection le caractère
bien tranché d'une victoire de la banlieue. Les parti-
sans de M. Poirrier avaient bien compris le parti
qu'ils pourraient tirer de ces dispositions bien con-
nues des délégués suburbains; aussi faisaient-ils affi-
cher près de la salle des Prévôts la note suivante
« La banlieue veut-elle, oui ou non, marcher à la
remorque de Paris ? Si non, qu'elle vote pour le ci-
toyen Poirrier, ayant obtenu 267 voix.
Les petits brigadiers-fourriers, les saute-ruis-
seaux des escadrons trottinaien t par les rues; ils
arrivaient essoufflés chez les capitaines et bre-
douillaient le rapport. Les capitaines, à l'an-
nonce de cette promenade générale inattendue,
s'exclamaient; les galopins à galons de laine
et d'or expliquaient respectueusement que M.
Albiosc et M. Savarèze se battaient demain
matin dans le manège, à l'heure du dressage,
et ils filaient à toutes jambes pour colporter la
grande nouvelle.
A la salle d'escrime, Borgès, l'adjudant-mal-
tre d'armes, faillit perdre la tête en apprenant
cette galante aventure. Il réunit son personnel,
le dispensa, vu la gravité des faits, de prendre
pour l'écouter la position militaire et, sa fa-
conde de Gascon aidant, il narra en style épi-
que les « pourquoi » et les « parce que » de la
rencontre, dont il ignorait, du reste, la cause.
Il inventa sans difficulté une discussion à pro-
pos de la supériorité de la latte sur le bancal.
Il proclama que le 35e dragons devait être fier,
que pour sa part, il était spécialement ho-
noré de la bonne grâce avec laquelle les deux
champions mettaient flamberge au vent.
Puis il commanda « Rompez 1 » et, sur
les planches enduites de résine, les appels
de pied, les allonges, les demi-allonges,
résonnèrent de plus belle. Borgès, frétillant
dans sa veste de marmiton, ployait les
coudes récalcitrants, cambrait les torses voû-
tés, écartait de force les genoux ankylosés
et se complaisait aux raffinements chevale-
resques du salut exécuté par deux prévôts,
la fleur de sa salle, des parangons de distinc-
tion et de grandes manières.
Partez, messieurs, faisait-il d'une voix
profonde.
Et messieurs commençaient avec des effets
de cuisses, des mines provocantes et cour-
toises à la fois
Gloire à Dieu 1.
Honneur aux dames 1.
Salut aux armes 1.
Merci pour « eusse » 1.
1
Pierre, très nerveux, passa une partie de la
journée avec Saint-Sylvain à causer de la pluie
et du beau temps. Par-ci, par-là, il leur échap-
pait une allusion à l'affaire du lendemain, qui
ne leur sortait pas de l'esprit; puis ils retom-
baient dans les lieux communs. Jamais la pa-
role n'avait mieux servi à déguiser la pensée.
Vers sept heures du soir, Pierre, incapable
de dîner, monta à cheval. Bientôt il se trouva,
sans préméditation, devant la maison Sauvain.
» La candidature Lefèvre perd le caractère de can-
didature de banlieue elle de viont essentiellement une.
candidature de Paris. »
Et lès partisans de M. Alexandre Lefèvre répli-
quaient par une autre affiche
«La banlieue ne. va à la remorque de. personne;
elle est de Paris.
» La "liaulieue fera justice des manœuvres de la
dernière heure de l'équivoque Poirrier.
» Le citoyen Dar'.ot se désiste en faveur du citoyen
Alexandre Leïèyre. »
Mais les' partisans de M. Lefèvre avaient beau faire;
on était, d'ailleurs, assez mal venu de vouloir accuser
d' « équivoque » la candidature motléréo; et le troi-
sième -tour faisait triompher M. Poirrier à cinq voix
de majorité sur son principal et pour ainsi dire uni-
que concurrent. Remarquons que les quarante-six
voix gagnées par M. Poirrier à ce scrutin définitif
représentent, à deux près, les suffr ages que MM. de
Douville-Maillefeu et Vauthier avaient obtenus au
deuxième tour et qui n'ont pas persisté.
Six partisans de M. Darlpt, se confinant au contraire
dans leur irrédentisme parisien, n'avaient pu se ré-
soudre à donner leurs voix à M. Lefèvre et se sont,
comme on l'a vu par notre tableau du résultat, obsti-
nés à voter pour leur candidat préféré.
Obéissant à un autre genre d'intransigeance, un
certain nombre d'électeurs n'ont pris aucune part aux
opérations sénatoriales d'hier. Quelques-uns d'entre
eux ont fait connaître les causes de leur abstention.
Ainsi, les membres du conseil municipal de Paris
appartenant au parti ouvrier ont rédigé une déclara-
tion alléguant qu'étant partisans de la suppression du
Sénat. ils ne pouvaient prendre part à l'élection d'un
sénateur,
Les mêmes motifs ont écartô du vote MM. Hum-
bert, conseiller municipal; Basly, Camélinat, Gaulier,
députés de la Seine. Quant à M. de Ménqrval, il a ra-
conté au banquet do Clamart, qui avait lieu hier soir,
qu'il avait saisi l'occasion du banquet pour ne pas
voter.
Les délégués de Saint-Ouen, au dire de l'Jnn'ansi-
geanl, se sont également abstenus ou ont voté aves
de bulletins blancs.
Le nouveau sénateur de la Seine, M. Poirrier, di-
rige à Saint-Denis une manufacture de matières co-
lorantes et de produits chimiques; il a été élu pour
la troisième fois président de la chambre de com-
merce de Paris. Il a fait autrefois partie du conseil
général de la Seine.
<«>
Hier a eu lieu, à Paris, une élection séna-
toriale. Les électeurs délégués du départe-,
ment de la Seine devaient pourvoir au siège
?fctissé vacant au Sénat parla mort de M. Son-
>geon, radical. Les candidats étaient nom-
breux la lutte a été chaude; trois tours de
scrutin ont été nécessaires. Mais ce qui frap-
pera l'attention, ce qui ne manquera pas sur-
tout d'impressionner favorablement l'opinion
publique en province et à l'étranger, c'est le
fait que le candidat de la République modé-
rée, le représentant du commerce et de l'in-
dustrie parisienne, l'honorable M. Poirrier,
a dès le commencement pris la tête dans ce
tournoi électoral a gardé jusqu'au bout
le premier rang et a fini par l'emporter sur
tous ses concurrents. Il est donc établi qu'à
Paris môme, qui passait jadis pour apparte-
nir au radicalisme le plus effréné et plus ré-
cemment pour s'être donné au boulangisme,
un républicain modéré, un défenseur du Sé-
nat et de la Constitution, un homme d'affai-
res enfin peut être préféré aux porte-dra-
peaux de toutes les politiques utopistes, in-
transigeantes ou révolutionnaires. Cette heu-
reuse élection, survenant dans la capitale
même après le Centenaire et l'ouverture de
l'Exposition, est le meilleur symptôme de
l'évolution pacifique et républicaine qui s'est
produite en France depuis quelques se-
maines.
̃̃̃ Nous ne nous dissimulons point que des
.causes bien diverses et très complexes ont
concouru au succès de M. Poirrier. Il était le
candidat de la banlieue et la banlioue est au-
jourd'hui très excitée contre le conseil mu-
nicipal' de Paris. Ce dernier a pu se convain-
cre dans la journée d'hier qu'on est fatigué,
hors des murs comme à l'intérieur, de sa ty-
rannie et que l'invocation de cette épithète sa-
cro-sainte de radical ne suffit plus pour em-
pêcher l'opinion de j uger les actes impolitiques
ou les délibérations intolérantes et imposer
la discipline à tous les électeurs. Le conseil
municipal de Paris s'est trouvé battu hier
ainsi que sa politique au moins dans ce
qu'elle a parfois d'illégal et de violent, dans
la personne de son ancien président M. Dar-
lot.
Toutefois, si la banlieue parisienne est con-
tente de l'élection de M. Poirrier, la Républi-
que a des raisons d'en être plus satisfaite en-
core. Ce qui triomphe avec lui, en effet, c'est
cette politique positive, la politique des affai-
res et des grands intérêts du pays dont notre
Exposition est le brillant symbole. Nous de-
mandions l'autre jour que la politique ab-
straite, celle qui vit de déclamations violen-
tes et de chimères, fût désormais subordon-
née à celle qui vit de réalités quotidiennes et
calcule en toute occasion, au point de vue de
l'avenir républicain du pays, le profit et la
perte. Nous disions que cette politique réa-
liste était aussi la seule qui pût effacer nos
divisions et faire la paix entre nous. La ma-
jorité des électeurs sénatoriaux de la Seine
semble l'avoir compris, et c'est pour cela
qu'un homme d'affaires se trouve être au-
jourd'hui son élu.
Mais ce n'est pas tout encore le troisième
En dépit de son énergie, malgré toutes les as-
surances qu'il se donnait du peu de gravité de
ces rencontres, de gros soupirs lui venaient
aux lèvres. Il passa, les yeux braqués sur la
fenêtre où si souvent jadis le rideau s'entr'ou-
vrait au bruit des fers sur le pavé, et, concen-
trant dans un effort démesuré toute sa volonté,
toute la puissance de sa vision, il essaya de se
graver dans la mémoire jusqu'aux moulures du
balcon, jusqu'aux taches de la pierre. Une voix
lui disait « Si tu es tué, c'est la dernière ima-
ge qui se présentera nette et claire à ton es-
prit. Il
Une autre voix répondait « Es-tu sot ? On
n'en meurt pas, » mais toujours la première
reprenait « Si tu es tué. si tu es tué. Il
Afin de fuir cette obsession, il enleva sa bête
au galop de charge, en pleine rue, pour le plus
grand scandale des agents de police munici-
paux. Il monta la côte de Vielcastel à une allure
folle, dépassa les barrières de l'octroi et se
trouva dans les champs.
Le plateau de Gueuseville étalait à perte de
vue des hectares de blé, un océan d'épis lourds
s'agitant a la brise d'un mouvement sans fin,
des nappes d'avoines secouant en tout sens
leurs paillettes argentines, leurs têtes folles, et
Pierre allait dans de petits chemins, sous les
pommiers, se laissant conduire par son cheval,
qui tendait le cou pour happer des feuilles ver-
tes. Un sentier qu'il avait pris serpentait le
long des haies, contournait les fossés, se cou-
dait en angles inattendus, si bien que Pierre
apercevait tantôt l'horizon mouvant des récol-
tes, tantôt Mauves couché le long de la Loire.
Il s'arrêta sur le bord du plateau à contempler
l'immense panorama qu'il avait devant lui au
loin, la forêt de Bonneuil recouvrant les colli-
nes, couronnant les falaises crayeuses de son
tapis sombre; plus près, les toits, les clochers
de la ville, qui enjambait le fleuve et s'éparpil-
lait dans la plaine, au fond de laquelle des fu-
mées d'usines cachaient les maisons du Petit et
du Grand-Chevilly.H essayait de percercenuage
et restait là, songeur, comme si quelque appa-
rition merveilleuse allait s'en dégager les ifs
noirs du cimetière de Brissac le poursuivaient
de leurs fantômes sinistres. « Si tu es tué.
si tu es tué. » murmurait une voix. Il secoua
la têië et, pour rompre le charme énervant qui
l'envalife^ait, il se mit à parler tout haut. « Que
«'est beau que c'est grand! » Mais la voix
reprenait « D'ai;s la foret de BonncuiI, tu as
vu qu'elle t'aimait au milieu de tous ces toits,
il en est un sous lequel fuuire hiver tu com-
menças à l'aimer; parmi ces petites maisons
trait remarquable de cette élection c'est son j
caractère antiboulangiste. C'est la plus nette
revanche à propos d'une élection sénatoriale
que Paris pût prendre de son vote du 27 jan-
vier dernier. Il faut relire à cet égard la cir-
culaire que M. Poirrier adressait le 3 mai à
ses électeurs. « En ces temps troublés, disait-
il, où la République attaquée avec une furie
nouvelle par une étrange coalition de monar-
chistes et de plébiscitaires traverse une crise
dont l'issue provoquera inévitablement ou la
résurrection du césarisme ou une régénéra-
tion démocratique, la mission d'un représen-
tant du peuple au Sénat, peut être une mis-
sion de dévouement et de combat. C'est
le rôle qu'on m'offre. C'est le rôle que
j'ai accepté. » Ces coalisés dont il par-
lait ainsi ne s'y sont pas trompés. Dès la
première heure, ils ont dénoncé le candidat
de la République modérée comme le plus re-
doutable et celui qu'il fallait faire échouer à
tout prix. Les principes conservateurs, la
tradition du parti royaliste n'y ont rien fait.
On les a voilés momentanément. Méditez
ceci, conservateurs honnêtes, qui redoutez
avant tout les crises révolutionnaires et les
catastrophes qu'elles ne manqueraient pas
d'amener méditez la conduite de la droite du
conseil municipal de Paris, partageant ses
voix entre M. Boulanger e-t les candidats
radicaux au second tour de scrutin et au
troisième, écoutez la tactique que M. Fer-
dinand Duval conseille à ses amis, et qu'ils
ont fidèlement suivie, de donner leurs suffra-
ges au candidat radical, attendu qu'il fallait,
avant tout, empêcher le succès du candidat
modéré Ainsi ce sont les mêmes hommes,
qui recommandent et réclament dans leurs
réunions une politique sage et pratique, une
politique d'affaires, et qui manœuvrent, en
piétinant sur leurs propres convictions, pour
faire échouer, au profit du radicalisme du
conseil municipal, le président trois fois élu
de la chambre de commerce de Paris Et nunc
enidimini!
Nous disions récemment, à propos de la dou-
ble conférence radicale de Mâcon, qu'il y avait
deux politiques en présence, celle de MM. Mil-
lerand et de Lanessan, qui, en jetant l'anathè-
me à une partie très considérable de l'armée
républicaine, fait indubitablement le jeu de la
réaction, et celle que défendait avec tant de
bon sens M. Henry Maret dans le Radical, celle
qu'il appelait la « politique nécessaire » con-
sistant à prêcher l'union entre républicains.
Hier, nous avions la satisfaction de lire dans
la Justice des réflexions analogues à celles de
M. Maret, présentées par M. Camille Pelletan
lui-même. Le député de l'extrême gauche n'hé-
sitait pas à trouver les paroles attribuées à son
collaborateur M. Millerand tellement impru-
dentes, qu'il refusait presque d'y croire.
Sans doute, disait-il, le premier compte ren-
du'télégraphique, rédigé et expédié en hâte,
avait dénaturé le sens du discours; il fal-
lait attendre des explications qui viendraient
probablement. En tout cas, M. Camille Pelle-
tan déclarait franchement qu'il était un par-
tisan décidé de l'alliance complète, inébranla-
ble entre les différents groupes du parti répu-
blicain. Aucune hésitation ne lui semble per-
mise en présence de l'assaut que dirigent contre
nos libertés les monarchico-boulangistes.
Le texte entier de la conférence de M. Mil-
lerand est enfin venu et nos confrères de la
Justice y ont trouvé non seulement ce qu'an-
nonçaient les télégrammes, ce dont s'inquié-
tait M. Pelletan, mais certaines déclarations
encore plus embarrassantes dans un assez
long passage de son discours, M. Millerand
n'avait pas craint de reproduire contre la poli-
tique de la majorité républicaine à la Cham-
bre, et surtout contre le Sénat et la haute
cour de justice les accusations et les vio-
lences qui traînent chaque jour dans les fouil-
les boulangistes et réactionnaires I C'en était
trop M. Clémenceau a eu la sagesse de
comprendre qu'il fallait désavouer catégori-
quement un pareil langage; il était convenu
que le discours de M. Millerand paraîtrait dans
la Justice son directeur a exigé, au préalable,
la suppression de tout le fragment où le radi-
calisme finissait par devenir si voisin du bou-
langisme qu'il semblait à peu près impossible
de les distinguer l'un de l'autre. La Justice pu-
blie ce matin une lettre dans laquelle M. Mille-
rand consent à la coupure qui lui avait été ré-
clamée. Il en a été quitte, d'ailleurs, pour com-
muniquer le passage supprimé à l'Intransigeant.
Il est vrai que, même allégé de cet extrait, le
discours de Mâcon reste en contradiction avec
le langage que la Justice tenait hier et qu'elle a
jugé dès lors inutile de reproduire aujourd'hui.
Ce qui reste donc bien acquis, c'est que les
.fractions du parti radical, obéissant à l'inspira-
tion de M. Henry Maret et de M. Clemenceau,
se séparent absolument de tous ceux qui croi-
raient bon de déclarer, avec M. Millerand, la
guerre aux républicains modérés. C'est de leur
part un acte non seulement de patriotisme,
mais de prudence. Il est évident, en effet, que
Je courant radical, à supposer qu'il ait été réel
pendant un certain temps, s'est brusquement
embrumées, là-bas, là-bas, derrière les fabri-
ques, il y a sa maison. et si tu es tué. si tu
es tué »
Pierre se sentit défaillir; un tourbillon de
pensées lâches et basses l'envahit. Il eut peur
de la mort, et l'angoisse lui serra la gorge.
Peu à peu, une buée blanche montait de la
Loire, s'épandait sur la ville, noyait le pied
des falaises; il semblait à Pierre qu'il assistât
à l'ensevelissement de tout ce qu'il connaissait,
de tout ce qu'il aimait. Derrière la forêt de Bon-
neuil, le ciel rougissait, des lueurs de sang bai-
gnaient la crête de la colline, une lassitude
mystérieuse et mélancolique enveloppait les
choses, le jour tombait. Tout à coup un souffle
tiède apporta, au milieu du bourdonnement con-
fus de la grande ville, des lambeaux de fanfare
sonore et légère la retraite; Pierre tressaillit,
le charme était rompu.
Sa main ne tremblait pas lorsque, bien avant
dans la nuit, assis à son bureau, il eut achevé
la revue des mille bibelots qui font un home
d'une chambre garnie. Il brûla des lettres, des
photographies; au fond d'un tiroir, il retrouva
des bouquets de fleurs fausses, deux grosses
bottes de violettes de Parme montées sur fil de
fer et agrémentées de rubans jadis roses. Au
feu, les violettes; au feu, les bouts de ruban, et
ce petit portrait enchignonné, derrière lequel la
patte d'un modillon avait griffonné « Colom-
bine à Pierrot. » Oui, Colombint, Mlle Colombe
Pochery, un amour d'antan, un trottin de chez
Burot la grande faiseuse. Et pendant que la
flamme dévorait le modillon, Pierre se re-
voyait en saint-cyrien tout neuf, grimpant à
perdre haleine l'interminable escalier qui con-
duisait à la chambre de Colombine. Lès diman-
ches de permission défilaient dans sa mémoi-
re celui-ci où ils étaient allés « en fumistes »,
comme elle disait, manger des fritures à Epi-
nay-sur-Seine celui-là, un dimanche d'hiver,
triste, où il avait trouvé la cage vide. L'oiseau
s'était envolé avec un pharmacien du Val-de-
Grâce il avait de si beaux parements en ve-
lours vert < <
Pierre examinait un à un ses fouels de
chasse, ses bronzes, des prix de steeple a Var-
rains-Chacé, ses gravures anglaises où les ha-
bits rouges dévalaient des pentes vertes à la
queue d'un renard, et dans chaque objet il re-
trouvait des aspects nouveaux. Il lui semblait
qu'il ne les eût jamais vus il les maniait soi-
gneusement, respectueusement, comme des re-
liques. Enfin, il prit une feuille de papier à
lettre et légua le tout à Saint-SyJvain, sauf un
jonc surmonté d'une pomme d'araent ancienne, i
arrêté. Il faudraitbien de l'aveuglement pour na
pas reconnaître que le pays revient de plus en
plus aux idées de modération et de sagesse
auxquelles nous sommes toujours restés, pour
notre part, fermement attachés. L'élection se*
natoriale d'hier nous en apporte une nouvelle
preuve, et très éclatante. Il devient de moina
en moins contestable que les républicains ra-
dicaux ne peuvent absolument rien en s'isolant
des républicains de gouvernement. Espéronar
qu'on le comprendra partout, dans la Chambre
et dans le pays. .us» r
L'ouverture de l'Exposition universelle a été
l'occasion, dans la presse étrangère, de nom-
breuses appréciations sur l'état politique de no-
tre pays. Voici celle qui a paru ce matin dans
le Standard ̃
Sauf les admirateurs du despotisme et les apôtres
de l'anarchie, personne ne saurait nier que jamais,
depuis un siècle, et c'est la seule période de leur
histoire à laquelle s'intéresse vraiment les Français
d'aujourd'hui, que jamais la France n'a joui, comme
à présent, d'une union aussi complète de la liberté
et de l'ordre, sous ce régime républicain qui a été
si libéralement vilipendé.
Ce gouvernement, nous n'hésitons pas à le dire,
est un bienfait sans précédent. Il y a eu des pério-
des d'ordre en France, on y a compté aussi des pé-
riodes de liberté; mais jamais auparavant les Fran-
çais n'avaient joui, dans une aussi, large mesure,
de ces deux biens réunis.
Que l'on ait la loyauté de tenir compte de ce
fait, et les erreurs de législation, lés extravagances
financières, les intrigues factieuses dans le Parle-
ment apparaitront réduites à une insignifiance rela-
tive. Et ce n'est pas là ce que tous les témoins
impartiaux peuvent faire valoir en faveur de la
République. Celle-ci a rendu à la France une arméa
et une marine elle a mis la diplomatie française à
même de relever la tête et de reprendre sa position
d'égalité dans toutes les cours et en face de tous
les cabinets do l'Europe.
Abolir un régime auquel on peut, sans exagéra-
tion ni flatterie, attribuer de tels résultats, l'abolir
pour donner carte blanche à l'aventurier le plus dé-
nué de titres de gloire qui se soit jamais présenté
devant une nation, serait un acte de folie tel que le
peuple français n'en a encore jamais commis dans
ses plus dangereux moments d'humeur irréfléchie
et impulsive.
Nous devons donc continuer d'espérer, sans une
bien ferme confiance, il est vrai, que c'est la sagesse
de la France et non sa nature fiévreuse, qui prendra
le dessus dans la phase critique qu'elle va avoir à
traverser.
Il n'est pas inutile de remarquer que le
Standard est l'organe le plus important du
parti conservateur dans la monarchique An-
gleterre, et il sera curieux de voir quel accueil
les journaux monarchico-boulangistes vont
faire aux réflexions significatives de leur con-
frère d'outre-Manche. En tout cas, il leur sera
difficile de soutenir désormais que la Républi-
que vaut à la France les anathèmes de l'Europe..
<
AFFAIRES COLONIALES
Nouvelles coloniales et maritime
Il y a quelques jours, au sujet du voyage du mi-
nistre des travaux publics à Saint-Malo et de l'en-
voi en ce point de la division cuirassée de la Man.
che, un journal demandait sur quels chapitres du
budget se soldaient les dépenses ainsi faites par
nos bâtiments de guerre. Il eût pu demander par
la même occasion, et avec le même à-propos, qui
payait les dépenses effectuées par les troupos qui
ont fait la haie sur le passage du ministre. En réa-
lité, le déplacement de nos bâtiments de guerre n'en-
traîne pas un sou de dépense qui ne soit prévu an
budget ordinaire.
Tout d'abord, il faut dire que la division de la
.Manche ne reste pas toujours en- rade de Cher-
bourg elle prend la mer fréquemment pour ma-
noeuvrer et exercer ses équipages, et consommé,
dans ses sorties, du charbon pour faire tourner ses
machines motrices. Aussi, qu'elle aille à Saint-
Malo ou à Dunkerque, qu'elle croise dans la Man-
che ou dans l'Océan, elle use des matières dont la
remplacement est prévu budgétairement.
Mais il est un chapitre de frais importants, celui
qui a trait à la solde et à la nourriture de ses équi-
pages. Or, la force navale dont il s'agit étant tou-
jours prête à appareiller, la dépense de ce second
chef est exactement la môme que nos bâtiments
soient à la mer ou au mouillage. Cela étant, où est
la dépense supplémentaire ouverte pour le voyago
de l'honorable M. Yves Guyot à Saint-Malo Le
journal qui la critique l'estime à 120,000 francs au
moins. Comment fait-il ses calculs ? S'il veut dire
que la division cuirassée do la Manche a coûté
quelque argent pendant ce voyage, il n'a pas tort,
puisqu'elle est armée, mais il oublie qu'elle eût dé-
pensé exactement les mêmes sommes si, au lieu
d'aller à Saint-Malo, on l'eût envoyé au large de la
digue de Cherbourg pour ses évolutions ordinaires.
Pour en finir aujourd'hui avec les affaires de ma-
rine, nous croyons bon de rectifier une appréciation
qui a été émise avant-hier par un autre journal.
En commentant la suppression de la division
du Levant et son rattachement à l'escadre d'évolu-
tions de la Méditerranée, ce journal disait qu'il ap-
prouvait cette mesure, d'une part parce que cette
division ne sert pas à grand'chose, d'autre part
parce que le toi de Grèce manque d'égards envers
nos marins.
Nous ne discuterons pau la mesure. Il y a do bon-
nes raisons pour la suppression de cette division
il y en a d'excellentes pour son maintien; mais
« Celui-là, écrivait-il, tu le brûleras je le por.
tais le jour du rallye. Tu brûleras aussi un
petit sac en vieille soie brochée qui vient des
grand'mamans d'autrefois. Il y a dedans un
nœud de cotillon et une branche de gui. »
Il arrêta là ses dispositions, les signa et les
data. Toutes les choses qui lui tenaient au
cœur devaient disparaître avec lui ou aller à
son meilleur ami. Il était satisfait. A ce mo-
ment où ses affections et ses souvenirs pre-
naient une intensité nouvelle, sa fortune, cette
abstraction représentée par des paperasses à
coupons et des cahiers de papier timbré, le
laissait indifférent. Les liasses multicolores
n'avaient pour lui aucune individualité, ne lui
rappelaient rien ni personne. Il se trouverait
bien des cousins au douzième degré pour en
faire la curée chaude.
Pourtant à l'idée que sa chère maison dans
les vignes passerait à des étrangers, à l'idée
que les tombes du cimetière de Brissac seraient
abandonnées sous les ifs noirs, il se remit à
écrire y
« Je veux qu'on m'enterre près des miens,
au bon pays que j'aime. Je lègue à Saint-Syl-
vain ma propriété de Brissac. Si mon cadeau
le gêne, je désire qu'il démolisse la maison et
qu'il morcelle les terres attenantes. »
Alors il sentit qu'un grand calme le péné-
trait ses sens lui parurent affinés comme s'i:
se fût matériellement dépouillé de tout ce qui
pesait sur lui et qu'un sang plus actif circulât
dans son être. Son esprit, plus net et plus subtil,
lui faisait remonter les ans écoulés et le rame-
nait bien loin en arrière; il évoquait les doucea
figures qui avaient souri à son enfance, et elles
se présentaient à lui dans tous leurs détails,
leurs habitudes ordinaires de physionomie,
avec la netteté et la réalité d'images matériel.
les. Il leur parlait, les appelait et elles répon-
daient. Chacune avait sa voix, une voix affai-
blie, comme un écho de la vraie; il les enten-
dait au fond de lui, distinctes et caressantes.
Des larmes lui vinrent aux yeux.
Oui, vous êtes là, dit-il tout bas, vous êtes
là et vous m'aimez toujours! 1
Mais ces voix n'avaient rien d'effrayant;
tnm-^ ces figures chéries souriaient comme
jadis. li fleura longtemps, sans amertume,
ainsi au"au retour d'êtres qu'on croyait a ja-
mafs disparus, f-t nulle inquiétude du lende-
main ne l'étrei™* HENRI ALLA[a.
(A suivre, J ̃• ̃̃̃̃
MARDI- 14 MAI 1889.
:> /INGT-NEUV1ÈME ANNÉE. W° 10235
•-̃ »̃; PRIX DE L'ABONNEMENT \:V
PARIS. Trois mois, 14 fr. Six mois, 28 fr. Un an, 56 (W
DÉPfiALSAGE-LOItRAlNB 17fr.; i S4Ir,; i 6SBr.
DHIOH POSTALE 18 fr. 36 fr. *72fr.
LES ABONNEMEKTS DATEIST DES 1er ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un xixunéro (départements) SSO centiinesà .1
ANNONCES.: MM. La.gra.nge Cerf kt Gs 8, place de la Bourse
(Droit d'insertion réservé à la rédaction.)
BUREAUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
Adresse télégraphique TEMPS PARIS
PRIX DE 'L"ÍÜ30NNEM-ENT'
pbix de l'abonnement ''̃
PARIS..T. Trois mo's> fr> '• sil mois, 28 fr. Un u, 56 fr.
DÊPte & ALSAGS-LORRAINB lTfr.; 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE ISfr.; 36tr.; 72tr.
LES ABONNEME>TS DATENT DES 1er ET 16 DE CHAQUE MOIS
JJ» numéro (à Paris) lo centimes.
Directeur politique Adrien Hébrard
La rédaction ne répond pas des articles communiqués
BUREAUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
••̃̃ Adresse télégraphique TEHPS PARIS
PARIS, 13 MAI V
PULLETIN^DU JOUR
M. Tisza depuis le remaniement de son
cabinet, est placé .dans une position difficile.
D'une part, il est évident que, .s'il a appelé à
ses côtés des hommes de la valeur et de l'in-
dépendance de M. Szilagyi et du comte Sza-
pary, c'est qu'il a senti le besoin de renforcer
le petit état-major qu'il avait peu à peu laissé
envahir par des médiocrités dociles et des-
cendre au rang d'une simple escorte person-
nelle. D'autre part, il lui déplaît fort que l'op-
position relève l'importance de ce change-
ment et affecte de distinguer entre la poli-
tique de certains nouveaux ministres et celle
de leur chef.
La position de M. Szilagyi, qui avait peu à
peu glissô hors des rangs du parti ministé-
riel et qui n'est rentré au bercail que pour y
prendre la houlette, est particulièrement dé-
licate et les groupes ennemis, celui surtout
du comte Apponyi, que des nuances seule-
ment séparent du nouveau- ministre de la
justice, ne se font pas faute d'insister sur des
souvenirs compromettants.
Il faut convenir, du reste, que la situation
générale du gouvernement est fort affaiblie,
non seulement par la violence des ressenti-
ments qui se sont fait jour contre la person-
nalité un peu encombrante de M. Tisza au
cours des débats sur la loi militaire, mais en-
core par les révélations qui se multiplient
sur les étranges pratiques d'un régime soi-
disant libéral.
Le baron Kaas, le lieutenant du comte
Apponyi, à déclaré dans un débat récent que
dans les comitats, particulièrement- dans ce-
lui de Barun-y, les. juges locaux accepteraient
des épices ou présents des grands proprié-
taires fonciers. Le ministre par intérim de
l'intérieur a dû reconnaitre qu'il en est ainsi
et a ajouté qu'il ne voyait pas grand inconvé-
nient à cet usage. Cette phrase malheureuse,
jointe à ce que l'on sait des pratiques de cor-
ruption électorale et de pression administra-
tive des autorités, a causé un certain scan-
dale à Budapest.
L'abdication du roi Milan de Serbie, la
chute, en Roumanie, du cabinet Carp-Rosetti
ne laissent pas que de constituer, au détri-
ment de l'hégémonie austro-allemande dans
3a péninsule des Balkans, une rupture d'équi-
libre assez sensible. Il est intéressant de no-
ter avec quel zèle et au moyen de quels pro-
cédés une partie de la presse inféodée à la
politique antirusse dans ces parages s'ef-
force de diminuer l'effet de ces incidents et
d'infliger au cabinet de Pétersbourg, à titre
de compensation ou comme fiche de conso-
lation, des échecs fictifs sur un terrain pure-
ment imaginaire.
On a prétendu que la Russie se serait pro-
fondément humiliée devant M. Stamboulof
en envoyant au chef du gouvernement bul-
gare un agent qui, chapeau bas et en termes
d'une contrition achevée, aurait prié cet
homme d'Etat dé bien vouloir reprendre en
:grâce le tsar. Au lieu" d'agréer ces excuses
T7T-;si vraisemblables et de consentir à se
joindre à un complot 'diplomatique dirigé
contre le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg-
Gotha, l'incorruptible Stamboulof aurait fait
savoir à Alexandre III que le moment du
pardon était passé, que la Russie devait re-
noncer à une réconciliation qui eût été fort
aisée il y a trois ans, au moment de la chute
du prince de Battenberg, et que le chef du
cabinet de Sofia ne se séparerait jamais du
souverain qui est son œuvre.
A peine le public avait-il eu le temps de
savourer tout le charme, toute la probabilité
intrinsèque de ce fragment d'histoire authen-
tique, que de nouvelles révélations lui étaient
adressées de la même source. On raconte que
le parti russophile bulgare serait en pleine
décomposition. Las de piétiner sur place, les
membres de ce groupe auraient dépêché l'un
d'entre eux, l'avocat Franzia, à M. Zankof à
Bucarest, pour le prier de renoncer à' son at-
titude purement négative et de se prêter à un
rapprochement avec le prince Ferdinand de
Saxe-Cobourg-Gotha.
M. Zankof aurait répondu par un refus ca-
tégorique et se serait assez sèchement référé
au programme contenu dans le récit de son
entretien avec le tsar. Sur quoi ses partisans,
irrités, lui auraient poliment signifié que c'en
.était fait et qu'avec ou sans lui ils allaient
taire leur paix avec le gouvernement et pren-
dre dans l'Etat bulgare le rôle d'une opposi-
tion constitutionnelle conservatrice.
Ainsi, en face de M.. Stamboulof, uni par
les liens d'une indissoluble confiance mu-
tuelle avec le prince qu'il a créé, il n'y aurait
plus que ces trois grands débris, MM. Zan-
!FEa.JBLBL.ETOM nu a 7t'~liD' p;
DU 14 MAI 1889 [9]
UN CASQUE 1
VII– (Suite.)
Clérambourg se battait avec une carcasse de
pigeon et jurait entre ses dents. Coublevie,
l'aide-major, disséquait artistement son oi-
seau Bolandoz, le vétérinaire, faisait des ca-
lembours Albiosc regardait du coin de l'œil
Pierre, qui grignotait son pain, l'air son-
geur.
Ehl Savarèze, vous êtes malade? •
Pas du tout.
Si, si, ça se voit vous ne mangez rien.
Je n'ai pas faim, probablement.
Alors, ça vous est tombé sur f estomac,
mon petit.
Comprends pas.
-Allons donc, ne faites pas l'innocent: vous
vous réservez pour le dessert.
Le dessert?.
-Il y a les quatre-mendiants, interrompit
Clérambourg.
Laissez-nous donc, vieux, vous retardez
le dessert de Savarèze, on le lui servira cet hi-
ver sur un petit plat d'argent.
Albiosc, mon cher, je ne sais de quel plat
vous parlez; mais, s'il est petit, cela va gêner
vos pieds.
Pardon! vous avez trop d'esprit pour moi,
parlez donc français.
A l'amende, grogna le porte-étendard, tout
ça c'est du charabia, c'est vrai.
Il se fit un silence et Albiosc reprit
Non c'est incroyable ce que vous êtes ca-
chottier, Savarèze!
Je suis venu au monde comme ça c'est à
prendre ou à laisser.
Ne vous fâchez pas. Tantôt j'ai rencontré
cinq ou six « pontes qui m'ont dit sans mys-
tère « Vous savez, votre camarade Savarèze,
ça y est avec la petite. la petite Chose. Com-
ment diable s'appelle-t-elle ? »
Repiodmticn interdite.
kof, Karavelof et Radoslavof, tous trois per-
dus par l'excès de leur haine contre le ré-
gime actuel, tous trois abandonnés par leurs
propres partis. La sainte Russie ne serait plus
le phare vers lequel se tournent naturelle-
ment les regards de ceux que mécontente `
l'état présent des choses en Bulgarie.
C'est grand dommage que ces défaites ir-
réparables si souvent infligées dans la pe-
ninsule des Balkans, à en croire certaines
correspondances. viennoises, à la politique
du cabinetde Pétersbourg, aient presque tou-
jours lieu dans les coulisses, tandis que les
échecs retentissants que la politique d'un au-
tre cabinet a subis dans ces derniers mois à
Belgrade et à Bucarest ont éclaté à tous les re-
gards sur le devant même de la scène. Il faut
beaucoup de foi pour attacher à ces incidents
réparateurs l'importance que l'on parait leur
donner de certains côtés.
Peut-être nos instincts critiques sont-ils
trop mis en éveil par les contradictions sin-
gulières qui règnent dans le langage de cette
même presse au sujet du nouveau gouverne-
ment roumain. Hier, M. Catargi était anathé-
matisé comme un esclave de l'influence
russe; aujourd'hui, on affirme que cette mê-
me influence russe vient de recevoir une
atteinte grave par une circulaire où, à propos
de l'affaire des Iconistes (colporteurs et'mar-
chands d'images, sujets du tsar), le cabinet
de Bucarest affirmerait avec une certaine
hauteur les droits de la Roumanie à régler à
son gré ses affaires de l'ordre intérieur.
Il faudrait vraiment choisir entre les deux
versions et cesser de faire à la Russie un
crime de l'avènement d'hommes politiques
qu'on loue si fort d'avoir rompu en visière
à leurs prétendus protecteurs.
| |M|tf-||l I
DÉPÊCHES TÉUÉGH&PHiPEr^
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU TempS
.̃ ̃̃• '̃ Berlin, 13 mai, 8 h. 10.
On s'occupe activement des préparatifs pour l'ar-
rivée du roi Humbert. Il serait possible que, au
dernier moment, la reine se décidât à venir; l'invi-
tation lui a été renouvelée par l'impératrice. En
tout cas, on compte sur le duc et la duchesse
d'Âoste. Mais, en revanche, il ne paraît pas certain
que M. Crispi puisse venir, la situation politique le
retenant en Italie.
Berlin, 13 mai, 8 h. 40.
Le président du Reichstag a adressé une circu-
laire aux députés dans laquelle il blâme la négli-
gence de ceux qui se montrent si peu assidus aux
séances qu'il a fallu à plusieurs reprises renvoyer
des séances faute du Quorum nécessaire. Le prési-
dent engage les députés à se trouver toujours, si-
non dans la sàlle des délibérations, tout au moins
dans le palais législatif ou à proximité, afin qu'on
sache où les trouver en cas de besoin.
Berlin, 13 mai, 11 heures.
La grève s'étend au bassin d'Esses. Les ouvriers
ont quitté les quarante-deux puits de la compagnie.
Berlin, 13 mai, 11 h. 40.
Par une déclaration, les administrations des char-
bonnages refusent la réduction de la durée du tra-
vail, mais concèdent en principe l'augmentation de
salaires qui sera à déterminer entre chaque admi-
nisiration et ses équipes, après que les grévistes
auront repris le travail.
On dit qu'une députation de grévistes sera reçue
par l'empereur aujourd'hui.
Belgrade, 13 mai, 8 h. 15.
Je suis en mesure de vous affirmer que depuis
son départ l'ex-roi Milan a entretenu une corres-
pondance des plus suivies avec le comte Bray et
que, exploitant l'animosité bien connue du diplo-
mate allemand pour la reine Natalie, Milan n'a
cessé de stimuler M. de Bray afin qu'il fit son pos-
sible auprès des régents pour empêcher la reine de
rentrer en Serbie. Ces derniers temps, les dépê-
ches de M. de Bray étaient complètement rassu-
rantes, il promettait positivement à l'ex-roi que
« Mme Natalie Kechko «(c'est le nom qu'il affecte de
donner à l'ex-reine) ne rentrerait pas à Belgrade.
Ce sont ces télégrammes qui ont décidé Milan à
continuer son voyage en Orient.
Sofia, 13 mai, 8 h. 25.
C'est aujourd'hui que le prince Ferdinand doit
inaugurer, à Bourgas, les travaux de construction
de la ligne ferrée qui doit relier ce port de la mer
Noire à Yamboli et aux chemins de fer orientaux.
Cette ligne, qui aura une longueur de 112 kilomè-
tres, enlèvera à Dede-Agatch et à Constantinople le
transit des produits de la Roumélie orientale, qui
prendront à l'avenir le chemin de Bourgas. C'est
cette voie que prendront également les 15 millions
de kilogrammes de sel fournis par les salines
d'Adrielo, sur la mer Noire, qui représentent la
consommation annuelle de la Roumélie orientale et
qui passaient précédemment par Constantinople.
On calcule que les travaux seront achevés vers
la fin de cette année. Ils seront exécutés par des
soldats de l'armée bulgare. Les communes que tra-
versera la ligne fourniront les traverses.
Rome, 13 mai, 10 heures.
La Chambre suspendra bientôt ses séances pour
quelques jours. Ces vacances coïncideraient avec le
Avec qui était-elle avant? demanda naï-
vement Clérambourg; ça nous aiderait peut-
être à retrouver son nom.Et comme Albiosc
se tenait les côtes, il ajouta Voilà que j'ai
fait une gaffe 1 t i
Vous n'avez rien dit que de très naturel,
reprit Pierre dont la voix s'altérait. Quand un
monsieur se permet d'appeler une femme « la
petite Chose », c'est qu'il s'agit d'une figurante
ou d'une modiste.
Mon cher, répliqua Albiosc, vous prenez
drôlement les choses. Moi je n'y mets pas de
malice, et je vous raconte ce que je sais. Si
vous n'êtes pas content, après tout je m'en
fiche.
Mon cher, je ne vous reproche rien vous
êtes libre de parler comme il vous plaît, et moi
d'en penser ce que je veux.
Ah dites donc, Savarèze, assez comme
ça; je vous préviens que la patience n'est pas
ma vertu dominante l
Non, c'est le savoir-vivre.
Albiosc se leva très pâle. Les autres man-
geaient sans s'émouvoir, habitués à des que-
relles furibondes qui n'avaient pas de lende-
main.
Albiosc, appuyant sur la table ses poings
crispés, le corps penché en avant, dit à Pierre
Il y a trop longtemps, monsieur, que vous
affectez des manières insupportables. Nous ne
sommes pas une société digne de vous, paraît-
il, et vous nous dédaignez. Quand on vous re-
trouve, c'est pour s'entendre traiter de gens mal
élevés. je vous déclare que j'ai grande envie
de casser une carafe sur votre figure de cou-
reur de dots
Les officiers posèrent leurs fourchettes,
voyant qu'il ne retournait pas de bagatelles.
Saint-Sylvain hachait la nappe avec son cou-
teau et Pierre répondit d'un ton sec
Je ne sais pas parler votre langage, mon-
sieur, et n'aime guère le pugilat que vous sem-
blez fort goûter affaire d'éducation; mais, sans
briser la vaisselle, nous pouvons demander au
colonel la permission de nous couper la gorge.
Etes-vous satisfait?
Clérambourg, médusé par ce dénouement
tragique, bégayait
Ah! c'est raide. c'est raide de s'aligner
pour un cotillon. Jouez-le donc en cinq secs.
̃'̃ vin '̃ .̃ '̃
« Décision du 31 juillet. Pas de dressage de-
main matin au manège. Il y aura promenade
générale des jeunes chevaux. »
voyage du roi à Berlin et permettraient à quelques
députés de se rendre en Allemagne.
Le consistoire est renvoyé à la seconde moitié du
mois de juin, le pape voulant prononcer un grand
discours pour protester contre l'inauguration du
monument de Giordano Bruno.
Madrid,'13 mai, 9 h. 15.
Le conseil des ministres a décidé qu'il repoussera
ïa proposition des conservateurs demandant une
élévation des droits sur les céréales et les farines
étrangères et la proposition demandant d'établir un
impôt de 5 0/0 sur les coupons de la dette de l'Etat.
La discussion de ces propositions commence au-
jourd'hui à la Chambre, où elles seront appuyées
par l'opposition et même par une fraction de la ma-
jorité ministérielle.
Le Sénat discutera, avant le mois de juin, le pro-
jet de loi accordant au chemin de fer de Noguera-
pallares à Saint-Girons la morne subvention qu'à la
ligne de Canfranc.. ̃
(Service Havas) Tiflis, 13 mai.
Hier dans l'après-midi, 1r shah de Perse a passé la
frontière russe près do Djoulfa, où il a été reçu solen-
nellement par les autorités russes et une garde d'hon-
neur de 15a cosaques.
ÉlECTIOH SÉHATÛR1ALE DU 12 MAI 1889
̃. *̃̃ <•̃ SEINE -r-
» DEUXIÈME TOUR
Inscrits 711. Votants 660
Suffrages exprimés 640
Majorité absolue • 321
Bulletins blancs ou nuls. 20
MM. Poirrier, président de la chambre de
commerce de Paris, républicain.. 267
Alex. Lefèvre, vice-président du con-
seil général, radical • 222
Darlot, ancien président du conseil
municipal de Paris, autonomiste. 77
de Douville-Maillefeu, député, rad, 25
général, Boulanger 17.
L.-L. Vauthier, ancien conseiller mu-
nicipal, républicain. 11
'ff Âllaire, conseiller général de Neuilly, ;$ ?>; v;
r radical • '̃̃
*V. docteur Pouillet, conseiller d'arron-
• dissement, adjoint au maire de
Noisy, radical socialiste. 5
Emile Lefèvre, architecte, rép. ind. 3
Divers. 3
Aucun des candidats n'ayant obtenu, au deuxième
tour de scrutin la majorité absolue des suffrages, il
a fallu procéder à un troisième tour, pour lequel l'élec-
tion se fait à la majorilé relative. Ce troisième tour a
donné les résultats suivants:
TROISIÈME TOUR
Votants. 659
Bulletins blancs ou nuls. 18
Suffrages exprimés. 6H
MM.Poh-rier. 313 ÉLU
Alexandre Lefèvre 308
général Boulanger. 7
Darlot. 6
Vauthier. 2
de Douville-Maillefeu. 2
Divers. 3
̃M, Poirrior est donc élu.
Ce résultat n'a pas laissé de causer quelque sur-
prise et quelque désappointement parmi los candidats
et les électeurs radicaux qui se croyaient jusqu'au
-dernier moment sûrs de la victoire il convient à cet
égard de rechercher à quelles causes et à quelle suite
d'incidents est dû la victoire d'un candidat qui avait
contre lui la grande majorité du conseil municipal de
Paris et do la députation de la Seine.
Rappelons tout d'abord qu'au premier tour de scru-
tin les 637 suffrages exprimés s'étaient ainsi répartis
MM. Poirrier, 135; Al. Lefèvre, 112 Darlot, 71; Allaire,
68; Pouillet, 51; de Douville-Maillefeu, 45 Bailly, 34;
Hennape, 34; Vauthier, 25; Boulanger, 19; Pimbel, 17;
Jallon, 8; Emile Lefèvre, 7; Ferdinand Riànt, 5, etc.'
A la réunion d'électeurs sénatoriaux tenue entra le
premier et le second tour de scrutin, MM. Allaire et
Pouillet s'étaient, ainsi que nous l'avons dit hier, dé-
sistés en faveur de M. Alexandre Lefèvre; néan-
moins, une douzaine de leurs partisans persistaient au
second tour lus autres suffrages qu'ils avaient ob-
tenus, soit 105, se reportaient pour la plupart sur le
nom de M. Lefèvre, tandis que M. Poirrier gagnait la
plus grande partie des voix qui abandonnaient MM.
de Douville-Maillefou, Bailly, Vauthier, Hennape. A
ce même second tour, M. Darlot obtenait 77 voix, soit
une augmentation de 6 sur le premier tour. Plusieurs
journaux disent que ces 6 voix sont celles de délé-
gués ou de conseillers réactionnaires le fait paraît
vraisemblable si l'on considère d'une part, que les
5 voix obtenues au premier tour par M. Ferdinand
Riant ont disparu au second d'autre part, que les
réactionnaires se sont montrés hier constamment
fidèles à leur tactique habituelle de voter pour le can-
didat le plus avancé, puisquo avant le troisième tour
M. Ferdinand Duval déclarait qu'entre M. Poirrier et
M. Alex. Lefèvre les électeurs de droite devaient sans
hésitation voter pour le radical.
Quoi qu'il en soit, le résultat du second tour de scru-
tin avait nettement accusé le triomphe des candidats
de la banlieue sur le candidat qui représentait les
aspirations et l'état d'esprit de la majorité autono-
miste du conseil municipal de Paris. M. Darlot, ac-
ceptant cetto défaite, disait et faisait dire par ses
amis aussitôt le résultat du deuxième tour pro-
clamé qu'il se retirait et se désistait en faveur de
M Alexandre Lefèvre. Celui-ci maintenait sa candi-
dature, en rappelant qu'il n'avait promis de se retirer
au troisième tour, devant un candidat de la banlieue
plus favorisé, que si ce dernier avait un programme
radical. Or, les déclarations franchement modérées
de M. Poirrier ne pouvaient laisser aucun doute.
MM. Poirrier et Lefèvre restaient donc seuls en
présence le désistement de M. Darlot assurait sans
doute à la candidature de M. Lefèvre un appoint con-
sidérable de voix radicales parisiennes, mais cette set-
lidarité risquait de la compromettre auprès des élec-
teurs qui tenaient à donner à l'élection le caractère
bien tranché d'une victoire de la banlieue. Les parti-
sans de M. Poirrier avaient bien compris le parti
qu'ils pourraient tirer de ces dispositions bien con-
nues des délégués suburbains; aussi faisaient-ils affi-
cher près de la salle des Prévôts la note suivante
« La banlieue veut-elle, oui ou non, marcher à la
remorque de Paris ? Si non, qu'elle vote pour le ci-
toyen Poirrier, ayant obtenu 267 voix.
Les petits brigadiers-fourriers, les saute-ruis-
seaux des escadrons trottinaien t par les rues; ils
arrivaient essoufflés chez les capitaines et bre-
douillaient le rapport. Les capitaines, à l'an-
nonce de cette promenade générale inattendue,
s'exclamaient; les galopins à galons de laine
et d'or expliquaient respectueusement que M.
Albiosc et M. Savarèze se battaient demain
matin dans le manège, à l'heure du dressage,
et ils filaient à toutes jambes pour colporter la
grande nouvelle.
A la salle d'escrime, Borgès, l'adjudant-mal-
tre d'armes, faillit perdre la tête en apprenant
cette galante aventure. Il réunit son personnel,
le dispensa, vu la gravité des faits, de prendre
pour l'écouter la position militaire et, sa fa-
conde de Gascon aidant, il narra en style épi-
que les « pourquoi » et les « parce que » de la
rencontre, dont il ignorait, du reste, la cause.
Il inventa sans difficulté une discussion à pro-
pos de la supériorité de la latte sur le bancal.
Il proclama que le 35e dragons devait être fier,
que pour sa part, il était spécialement ho-
noré de la bonne grâce avec laquelle les deux
champions mettaient flamberge au vent.
Puis il commanda « Rompez 1 » et, sur
les planches enduites de résine, les appels
de pied, les allonges, les demi-allonges,
résonnèrent de plus belle. Borgès, frétillant
dans sa veste de marmiton, ployait les
coudes récalcitrants, cambrait les torses voû-
tés, écartait de force les genoux ankylosés
et se complaisait aux raffinements chevale-
resques du salut exécuté par deux prévôts,
la fleur de sa salle, des parangons de distinc-
tion et de grandes manières.
Partez, messieurs, faisait-il d'une voix
profonde.
Et messieurs commençaient avec des effets
de cuisses, des mines provocantes et cour-
toises à la fois
Gloire à Dieu 1.
Honneur aux dames 1.
Salut aux armes 1.
Merci pour « eusse » 1.
1
Pierre, très nerveux, passa une partie de la
journée avec Saint-Sylvain à causer de la pluie
et du beau temps. Par-ci, par-là, il leur échap-
pait une allusion à l'affaire du lendemain, qui
ne leur sortait pas de l'esprit; puis ils retom-
baient dans les lieux communs. Jamais la pa-
role n'avait mieux servi à déguiser la pensée.
Vers sept heures du soir, Pierre, incapable
de dîner, monta à cheval. Bientôt il se trouva,
sans préméditation, devant la maison Sauvain.
» La candidature Lefèvre perd le caractère de can-
didature de banlieue elle de viont essentiellement une.
candidature de Paris. »
Et lès partisans de M. Alexandre Lefèvre répli-
quaient par une autre affiche
«La banlieue ne. va à la remorque de. personne;
elle est de Paris.
» La "liaulieue fera justice des manœuvres de la
dernière heure de l'équivoque Poirrier.
» Le citoyen Dar'.ot se désiste en faveur du citoyen
Alexandre Leïèyre. »
Mais les' partisans de M. Lefèvre avaient beau faire;
on était, d'ailleurs, assez mal venu de vouloir accuser
d' « équivoque » la candidature motléréo; et le troi-
sième -tour faisait triompher M. Poirrier à cinq voix
de majorité sur son principal et pour ainsi dire uni-
que concurrent. Remarquons que les quarante-six
voix gagnées par M. Poirrier à ce scrutin définitif
représentent, à deux près, les suffr ages que MM. de
Douville-Maillefeu et Vauthier avaient obtenus au
deuxième tour et qui n'ont pas persisté.
Six partisans de M. Darlpt, se confinant au contraire
dans leur irrédentisme parisien, n'avaient pu se ré-
soudre à donner leurs voix à M. Lefèvre et se sont,
comme on l'a vu par notre tableau du résultat, obsti-
nés à voter pour leur candidat préféré.
Obéissant à un autre genre d'intransigeance, un
certain nombre d'électeurs n'ont pris aucune part aux
opérations sénatoriales d'hier. Quelques-uns d'entre
eux ont fait connaître les causes de leur abstention.
Ainsi, les membres du conseil municipal de Paris
appartenant au parti ouvrier ont rédigé une déclara-
tion alléguant qu'étant partisans de la suppression du
Sénat. ils ne pouvaient prendre part à l'élection d'un
sénateur,
Les mêmes motifs ont écartô du vote MM. Hum-
bert, conseiller municipal; Basly, Camélinat, Gaulier,
députés de la Seine. Quant à M. de Ménqrval, il a ra-
conté au banquet do Clamart, qui avait lieu hier soir,
qu'il avait saisi l'occasion du banquet pour ne pas
voter.
Les délégués de Saint-Ouen, au dire de l'Jnn'ansi-
geanl, se sont également abstenus ou ont voté aves
de bulletins blancs.
Le nouveau sénateur de la Seine, M. Poirrier, di-
rige à Saint-Denis une manufacture de matières co-
lorantes et de produits chimiques; il a été élu pour
la troisième fois président de la chambre de com-
merce de Paris. Il a fait autrefois partie du conseil
général de la Seine.
<«>
Hier a eu lieu, à Paris, une élection séna-
toriale. Les électeurs délégués du départe-,
ment de la Seine devaient pourvoir au siège
?fctissé vacant au Sénat parla mort de M. Son-
>geon, radical. Les candidats étaient nom-
breux la lutte a été chaude; trois tours de
scrutin ont été nécessaires. Mais ce qui frap-
pera l'attention, ce qui ne manquera pas sur-
tout d'impressionner favorablement l'opinion
publique en province et à l'étranger, c'est le
fait que le candidat de la République modé-
rée, le représentant du commerce et de l'in-
dustrie parisienne, l'honorable M. Poirrier,
a dès le commencement pris la tête dans ce
tournoi électoral a gardé jusqu'au bout
le premier rang et a fini par l'emporter sur
tous ses concurrents. Il est donc établi qu'à
Paris môme, qui passait jadis pour apparte-
nir au radicalisme le plus effréné et plus ré-
cemment pour s'être donné au boulangisme,
un républicain modéré, un défenseur du Sé-
nat et de la Constitution, un homme d'affai-
res enfin peut être préféré aux porte-dra-
peaux de toutes les politiques utopistes, in-
transigeantes ou révolutionnaires. Cette heu-
reuse élection, survenant dans la capitale
même après le Centenaire et l'ouverture de
l'Exposition, est le meilleur symptôme de
l'évolution pacifique et républicaine qui s'est
produite en France depuis quelques se-
maines.
̃̃̃ Nous ne nous dissimulons point que des
.causes bien diverses et très complexes ont
concouru au succès de M. Poirrier. Il était le
candidat de la banlieue et la banlioue est au-
jourd'hui très excitée contre le conseil mu-
nicipal' de Paris. Ce dernier a pu se convain-
cre dans la journée d'hier qu'on est fatigué,
hors des murs comme à l'intérieur, de sa ty-
rannie et que l'invocation de cette épithète sa-
cro-sainte de radical ne suffit plus pour em-
pêcher l'opinion de j uger les actes impolitiques
ou les délibérations intolérantes et imposer
la discipline à tous les électeurs. Le conseil
municipal de Paris s'est trouvé battu hier
ainsi que sa politique au moins dans ce
qu'elle a parfois d'illégal et de violent, dans
la personne de son ancien président M. Dar-
lot.
Toutefois, si la banlieue parisienne est con-
tente de l'élection de M. Poirrier, la Républi-
que a des raisons d'en être plus satisfaite en-
core. Ce qui triomphe avec lui, en effet, c'est
cette politique positive, la politique des affai-
res et des grands intérêts du pays dont notre
Exposition est le brillant symbole. Nous de-
mandions l'autre jour que la politique ab-
straite, celle qui vit de déclamations violen-
tes et de chimères, fût désormais subordon-
née à celle qui vit de réalités quotidiennes et
calcule en toute occasion, au point de vue de
l'avenir républicain du pays, le profit et la
perte. Nous disions que cette politique réa-
liste était aussi la seule qui pût effacer nos
divisions et faire la paix entre nous. La ma-
jorité des électeurs sénatoriaux de la Seine
semble l'avoir compris, et c'est pour cela
qu'un homme d'affaires se trouve être au-
jourd'hui son élu.
Mais ce n'est pas tout encore le troisième
En dépit de son énergie, malgré toutes les as-
surances qu'il se donnait du peu de gravité de
ces rencontres, de gros soupirs lui venaient
aux lèvres. Il passa, les yeux braqués sur la
fenêtre où si souvent jadis le rideau s'entr'ou-
vrait au bruit des fers sur le pavé, et, concen-
trant dans un effort démesuré toute sa volonté,
toute la puissance de sa vision, il essaya de se
graver dans la mémoire jusqu'aux moulures du
balcon, jusqu'aux taches de la pierre. Une voix
lui disait « Si tu es tué, c'est la dernière ima-
ge qui se présentera nette et claire à ton es-
prit. Il
Une autre voix répondait « Es-tu sot ? On
n'en meurt pas, » mais toujours la première
reprenait « Si tu es tué. si tu es tué. Il
Afin de fuir cette obsession, il enleva sa bête
au galop de charge, en pleine rue, pour le plus
grand scandale des agents de police munici-
paux. Il monta la côte de Vielcastel à une allure
folle, dépassa les barrières de l'octroi et se
trouva dans les champs.
Le plateau de Gueuseville étalait à perte de
vue des hectares de blé, un océan d'épis lourds
s'agitant a la brise d'un mouvement sans fin,
des nappes d'avoines secouant en tout sens
leurs paillettes argentines, leurs têtes folles, et
Pierre allait dans de petits chemins, sous les
pommiers, se laissant conduire par son cheval,
qui tendait le cou pour happer des feuilles ver-
tes. Un sentier qu'il avait pris serpentait le
long des haies, contournait les fossés, se cou-
dait en angles inattendus, si bien que Pierre
apercevait tantôt l'horizon mouvant des récol-
tes, tantôt Mauves couché le long de la Loire.
Il s'arrêta sur le bord du plateau à contempler
l'immense panorama qu'il avait devant lui au
loin, la forêt de Bonneuil recouvrant les colli-
nes, couronnant les falaises crayeuses de son
tapis sombre; plus près, les toits, les clochers
de la ville, qui enjambait le fleuve et s'éparpil-
lait dans la plaine, au fond de laquelle des fu-
mées d'usines cachaient les maisons du Petit et
du Grand-Chevilly.H essayait de percercenuage
et restait là, songeur, comme si quelque appa-
rition merveilleuse allait s'en dégager les ifs
noirs du cimetière de Brissac le poursuivaient
de leurs fantômes sinistres. « Si tu es tué.
si tu es tué. » murmurait une voix. Il secoua
la têië et, pour rompre le charme énervant qui
l'envalife^ait, il se mit à parler tout haut. « Que
«'est beau que c'est grand! » Mais la voix
reprenait « D'ai;s la foret de BonncuiI, tu as
vu qu'elle t'aimait au milieu de tous ces toits,
il en est un sous lequel fuuire hiver tu com-
menças à l'aimer; parmi ces petites maisons
trait remarquable de cette élection c'est son j
caractère antiboulangiste. C'est la plus nette
revanche à propos d'une élection sénatoriale
que Paris pût prendre de son vote du 27 jan-
vier dernier. Il faut relire à cet égard la cir-
culaire que M. Poirrier adressait le 3 mai à
ses électeurs. « En ces temps troublés, disait-
il, où la République attaquée avec une furie
nouvelle par une étrange coalition de monar-
chistes et de plébiscitaires traverse une crise
dont l'issue provoquera inévitablement ou la
résurrection du césarisme ou une régénéra-
tion démocratique, la mission d'un représen-
tant du peuple au Sénat, peut être une mis-
sion de dévouement et de combat. C'est
le rôle qu'on m'offre. C'est le rôle que
j'ai accepté. » Ces coalisés dont il par-
lait ainsi ne s'y sont pas trompés. Dès la
première heure, ils ont dénoncé le candidat
de la République modérée comme le plus re-
doutable et celui qu'il fallait faire échouer à
tout prix. Les principes conservateurs, la
tradition du parti royaliste n'y ont rien fait.
On les a voilés momentanément. Méditez
ceci, conservateurs honnêtes, qui redoutez
avant tout les crises révolutionnaires et les
catastrophes qu'elles ne manqueraient pas
d'amener méditez la conduite de la droite du
conseil municipal de Paris, partageant ses
voix entre M. Boulanger e-t les candidats
radicaux au second tour de scrutin et au
troisième, écoutez la tactique que M. Fer-
dinand Duval conseille à ses amis, et qu'ils
ont fidèlement suivie, de donner leurs suffra-
ges au candidat radical, attendu qu'il fallait,
avant tout, empêcher le succès du candidat
modéré Ainsi ce sont les mêmes hommes,
qui recommandent et réclament dans leurs
réunions une politique sage et pratique, une
politique d'affaires, et qui manœuvrent, en
piétinant sur leurs propres convictions, pour
faire échouer, au profit du radicalisme du
conseil municipal, le président trois fois élu
de la chambre de commerce de Paris Et nunc
enidimini!
Nous disions récemment, à propos de la dou-
ble conférence radicale de Mâcon, qu'il y avait
deux politiques en présence, celle de MM. Mil-
lerand et de Lanessan, qui, en jetant l'anathè-
me à une partie très considérable de l'armée
républicaine, fait indubitablement le jeu de la
réaction, et celle que défendait avec tant de
bon sens M. Henry Maret dans le Radical, celle
qu'il appelait la « politique nécessaire » con-
sistant à prêcher l'union entre républicains.
Hier, nous avions la satisfaction de lire dans
la Justice des réflexions analogues à celles de
M. Maret, présentées par M. Camille Pelletan
lui-même. Le député de l'extrême gauche n'hé-
sitait pas à trouver les paroles attribuées à son
collaborateur M. Millerand tellement impru-
dentes, qu'il refusait presque d'y croire.
Sans doute, disait-il, le premier compte ren-
du'télégraphique, rédigé et expédié en hâte,
avait dénaturé le sens du discours; il fal-
lait attendre des explications qui viendraient
probablement. En tout cas, M. Camille Pelle-
tan déclarait franchement qu'il était un par-
tisan décidé de l'alliance complète, inébranla-
ble entre les différents groupes du parti répu-
blicain. Aucune hésitation ne lui semble per-
mise en présence de l'assaut que dirigent contre
nos libertés les monarchico-boulangistes.
Le texte entier de la conférence de M. Mil-
lerand est enfin venu et nos confrères de la
Justice y ont trouvé non seulement ce qu'an-
nonçaient les télégrammes, ce dont s'inquié-
tait M. Pelletan, mais certaines déclarations
encore plus embarrassantes dans un assez
long passage de son discours, M. Millerand
n'avait pas craint de reproduire contre la poli-
tique de la majorité républicaine à la Cham-
bre, et surtout contre le Sénat et la haute
cour de justice les accusations et les vio-
lences qui traînent chaque jour dans les fouil-
les boulangistes et réactionnaires I C'en était
trop M. Clémenceau a eu la sagesse de
comprendre qu'il fallait désavouer catégori-
quement un pareil langage; il était convenu
que le discours de M. Millerand paraîtrait dans
la Justice son directeur a exigé, au préalable,
la suppression de tout le fragment où le radi-
calisme finissait par devenir si voisin du bou-
langisme qu'il semblait à peu près impossible
de les distinguer l'un de l'autre. La Justice pu-
blie ce matin une lettre dans laquelle M. Mille-
rand consent à la coupure qui lui avait été ré-
clamée. Il en a été quitte, d'ailleurs, pour com-
muniquer le passage supprimé à l'Intransigeant.
Il est vrai que, même allégé de cet extrait, le
discours de Mâcon reste en contradiction avec
le langage que la Justice tenait hier et qu'elle a
jugé dès lors inutile de reproduire aujourd'hui.
Ce qui reste donc bien acquis, c'est que les
.fractions du parti radical, obéissant à l'inspira-
tion de M. Henry Maret et de M. Clemenceau,
se séparent absolument de tous ceux qui croi-
raient bon de déclarer, avec M. Millerand, la
guerre aux républicains modérés. C'est de leur
part un acte non seulement de patriotisme,
mais de prudence. Il est évident, en effet, que
Je courant radical, à supposer qu'il ait été réel
pendant un certain temps, s'est brusquement
embrumées, là-bas, là-bas, derrière les fabri-
ques, il y a sa maison. et si tu es tué. si tu
es tué »
Pierre se sentit défaillir; un tourbillon de
pensées lâches et basses l'envahit. Il eut peur
de la mort, et l'angoisse lui serra la gorge.
Peu à peu, une buée blanche montait de la
Loire, s'épandait sur la ville, noyait le pied
des falaises; il semblait à Pierre qu'il assistât
à l'ensevelissement de tout ce qu'il connaissait,
de tout ce qu'il aimait. Derrière la forêt de Bon-
neuil, le ciel rougissait, des lueurs de sang bai-
gnaient la crête de la colline, une lassitude
mystérieuse et mélancolique enveloppait les
choses, le jour tombait. Tout à coup un souffle
tiède apporta, au milieu du bourdonnement con-
fus de la grande ville, des lambeaux de fanfare
sonore et légère la retraite; Pierre tressaillit,
le charme était rompu.
Sa main ne tremblait pas lorsque, bien avant
dans la nuit, assis à son bureau, il eut achevé
la revue des mille bibelots qui font un home
d'une chambre garnie. Il brûla des lettres, des
photographies; au fond d'un tiroir, il retrouva
des bouquets de fleurs fausses, deux grosses
bottes de violettes de Parme montées sur fil de
fer et agrémentées de rubans jadis roses. Au
feu, les violettes; au feu, les bouts de ruban, et
ce petit portrait enchignonné, derrière lequel la
patte d'un modillon avait griffonné « Colom-
bine à Pierrot. » Oui, Colombint, Mlle Colombe
Pochery, un amour d'antan, un trottin de chez
Burot la grande faiseuse. Et pendant que la
flamme dévorait le modillon, Pierre se re-
voyait en saint-cyrien tout neuf, grimpant à
perdre haleine l'interminable escalier qui con-
duisait à la chambre de Colombine. Lès diman-
ches de permission défilaient dans sa mémoi-
re celui-ci où ils étaient allés « en fumistes »,
comme elle disait, manger des fritures à Epi-
nay-sur-Seine celui-là, un dimanche d'hiver,
triste, où il avait trouvé la cage vide. L'oiseau
s'était envolé avec un pharmacien du Val-de-
Grâce il avait de si beaux parements en ve-
lours vert < <
Pierre examinait un à un ses fouels de
chasse, ses bronzes, des prix de steeple a Var-
rains-Chacé, ses gravures anglaises où les ha-
bits rouges dévalaient des pentes vertes à la
queue d'un renard, et dans chaque objet il re-
trouvait des aspects nouveaux. Il lui semblait
qu'il ne les eût jamais vus il les maniait soi-
gneusement, respectueusement, comme des re-
liques. Enfin, il prit une feuille de papier à
lettre et légua le tout à Saint-SyJvain, sauf un
jonc surmonté d'une pomme d'araent ancienne, i
arrêté. Il faudraitbien de l'aveuglement pour na
pas reconnaître que le pays revient de plus en
plus aux idées de modération et de sagesse
auxquelles nous sommes toujours restés, pour
notre part, fermement attachés. L'élection se*
natoriale d'hier nous en apporte une nouvelle
preuve, et très éclatante. Il devient de moina
en moins contestable que les républicains ra-
dicaux ne peuvent absolument rien en s'isolant
des républicains de gouvernement. Espéronar
qu'on le comprendra partout, dans la Chambre
et dans le pays. .us» r
L'ouverture de l'Exposition universelle a été
l'occasion, dans la presse étrangère, de nom-
breuses appréciations sur l'état politique de no-
tre pays. Voici celle qui a paru ce matin dans
le Standard ̃
Sauf les admirateurs du despotisme et les apôtres
de l'anarchie, personne ne saurait nier que jamais,
depuis un siècle, et c'est la seule période de leur
histoire à laquelle s'intéresse vraiment les Français
d'aujourd'hui, que jamais la France n'a joui, comme
à présent, d'une union aussi complète de la liberté
et de l'ordre, sous ce régime républicain qui a été
si libéralement vilipendé.
Ce gouvernement, nous n'hésitons pas à le dire,
est un bienfait sans précédent. Il y a eu des pério-
des d'ordre en France, on y a compté aussi des pé-
riodes de liberté; mais jamais auparavant les Fran-
çais n'avaient joui, dans une aussi, large mesure,
de ces deux biens réunis.
Que l'on ait la loyauté de tenir compte de ce
fait, et les erreurs de législation, lés extravagances
financières, les intrigues factieuses dans le Parle-
ment apparaitront réduites à une insignifiance rela-
tive. Et ce n'est pas là ce que tous les témoins
impartiaux peuvent faire valoir en faveur de la
République. Celle-ci a rendu à la France une arméa
et une marine elle a mis la diplomatie française à
même de relever la tête et de reprendre sa position
d'égalité dans toutes les cours et en face de tous
les cabinets do l'Europe.
Abolir un régime auquel on peut, sans exagéra-
tion ni flatterie, attribuer de tels résultats, l'abolir
pour donner carte blanche à l'aventurier le plus dé-
nué de titres de gloire qui se soit jamais présenté
devant une nation, serait un acte de folie tel que le
peuple français n'en a encore jamais commis dans
ses plus dangereux moments d'humeur irréfléchie
et impulsive.
Nous devons donc continuer d'espérer, sans une
bien ferme confiance, il est vrai, que c'est la sagesse
de la France et non sa nature fiévreuse, qui prendra
le dessus dans la phase critique qu'elle va avoir à
traverser.
Il n'est pas inutile de remarquer que le
Standard est l'organe le plus important du
parti conservateur dans la monarchique An-
gleterre, et il sera curieux de voir quel accueil
les journaux monarchico-boulangistes vont
faire aux réflexions significatives de leur con-
frère d'outre-Manche. En tout cas, il leur sera
difficile de soutenir désormais que la Républi-
que vaut à la France les anathèmes de l'Europe..
<
AFFAIRES COLONIALES
Nouvelles coloniales et maritime
Il y a quelques jours, au sujet du voyage du mi-
nistre des travaux publics à Saint-Malo et de l'en-
voi en ce point de la division cuirassée de la Man.
che, un journal demandait sur quels chapitres du
budget se soldaient les dépenses ainsi faites par
nos bâtiments de guerre. Il eût pu demander par
la même occasion, et avec le même à-propos, qui
payait les dépenses effectuées par les troupos qui
ont fait la haie sur le passage du ministre. En réa-
lité, le déplacement de nos bâtiments de guerre n'en-
traîne pas un sou de dépense qui ne soit prévu an
budget ordinaire.
Tout d'abord, il faut dire que la division de la
.Manche ne reste pas toujours en- rade de Cher-
bourg elle prend la mer fréquemment pour ma-
noeuvrer et exercer ses équipages, et consommé,
dans ses sorties, du charbon pour faire tourner ses
machines motrices. Aussi, qu'elle aille à Saint-
Malo ou à Dunkerque, qu'elle croise dans la Man-
che ou dans l'Océan, elle use des matières dont la
remplacement est prévu budgétairement.
Mais il est un chapitre de frais importants, celui
qui a trait à la solde et à la nourriture de ses équi-
pages. Or, la force navale dont il s'agit étant tou-
jours prête à appareiller, la dépense de ce second
chef est exactement la môme que nos bâtiments
soient à la mer ou au mouillage. Cela étant, où est
la dépense supplémentaire ouverte pour le voyago
de l'honorable M. Yves Guyot à Saint-Malo Le
journal qui la critique l'estime à 120,000 francs au
moins. Comment fait-il ses calculs ? S'il veut dire
que la division cuirassée do la Manche a coûté
quelque argent pendant ce voyage, il n'a pas tort,
puisqu'elle est armée, mais il oublie qu'elle eût dé-
pensé exactement les mêmes sommes si, au lieu
d'aller à Saint-Malo, on l'eût envoyé au large de la
digue de Cherbourg pour ses évolutions ordinaires.
Pour en finir aujourd'hui avec les affaires de ma-
rine, nous croyons bon de rectifier une appréciation
qui a été émise avant-hier par un autre journal.
En commentant la suppression de la division
du Levant et son rattachement à l'escadre d'évolu-
tions de la Méditerranée, ce journal disait qu'il ap-
prouvait cette mesure, d'une part parce que cette
division ne sert pas à grand'chose, d'autre part
parce que le toi de Grèce manque d'égards envers
nos marins.
Nous ne discuterons pau la mesure. Il y a do bon-
nes raisons pour la suppression de cette division
il y en a d'excellentes pour son maintien; mais
« Celui-là, écrivait-il, tu le brûleras je le por.
tais le jour du rallye. Tu brûleras aussi un
petit sac en vieille soie brochée qui vient des
grand'mamans d'autrefois. Il y a dedans un
nœud de cotillon et une branche de gui. »
Il arrêta là ses dispositions, les signa et les
data. Toutes les choses qui lui tenaient au
cœur devaient disparaître avec lui ou aller à
son meilleur ami. Il était satisfait. A ce mo-
ment où ses affections et ses souvenirs pre-
naient une intensité nouvelle, sa fortune, cette
abstraction représentée par des paperasses à
coupons et des cahiers de papier timbré, le
laissait indifférent. Les liasses multicolores
n'avaient pour lui aucune individualité, ne lui
rappelaient rien ni personne. Il se trouverait
bien des cousins au douzième degré pour en
faire la curée chaude.
Pourtant à l'idée que sa chère maison dans
les vignes passerait à des étrangers, à l'idée
que les tombes du cimetière de Brissac seraient
abandonnées sous les ifs noirs, il se remit à
écrire y
« Je veux qu'on m'enterre près des miens,
au bon pays que j'aime. Je lègue à Saint-Syl-
vain ma propriété de Brissac. Si mon cadeau
le gêne, je désire qu'il démolisse la maison et
qu'il morcelle les terres attenantes. »
Alors il sentit qu'un grand calme le péné-
trait ses sens lui parurent affinés comme s'i:
se fût matériellement dépouillé de tout ce qui
pesait sur lui et qu'un sang plus actif circulât
dans son être. Son esprit, plus net et plus subtil,
lui faisait remonter les ans écoulés et le rame-
nait bien loin en arrière; il évoquait les doucea
figures qui avaient souri à son enfance, et elles
se présentaient à lui dans tous leurs détails,
leurs habitudes ordinaires de physionomie,
avec la netteté et la réalité d'images matériel.
les. Il leur parlait, les appelait et elles répon-
daient. Chacune avait sa voix, une voix affai-
blie, comme un écho de la vraie; il les enten-
dait au fond de lui, distinctes et caressantes.
Des larmes lui vinrent aux yeux.
Oui, vous êtes là, dit-il tout bas, vous êtes
là et vous m'aimez toujours! 1
Mais ces voix n'avaient rien d'effrayant;
tnm-^ ces figures chéries souriaient comme
jadis. li fleura longtemps, sans amertume,
ainsi au"au retour d'êtres qu'on croyait a ja-
mafs disparus, f-t nulle inquiétude du lende-
main ne l'étrei™* HENRI ALLA[a.
(A suivre, J ̃• ̃̃̃̃
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