LA VIE PARISIENNE 63
NOTES SUR PARIS
LE MONDE
Au\ Italiens mardi et samedi, chaque spm.'unc, (Ic'puis deux mois; et.
j'y retourne ce soir; cela vaul Ions les salons, les plus décriés et les
plus choisis.
1
L'éclat est trop grand. De l'orchestre, la quadruple guirlande de
loges illuminées et de femmes parées monte en s'efageant sous le
rayonnement d'un lustre à cinq cents flammes. l'il air trop chaud,
chargé de parfums, traverse d'émanations humaines, oscille et fait
ondoyer les lumières vacitlantes. Le sol noir el mouvant de l'orchestre
s'agite aux enlr'acles avec un fourmillement élrangc. Les ligures usées
ou actives se crispent sous les reflets croisés et sous les paillettes
innombrables de la clarté brûlante. l.e bruissement sec des conver-
sations s'en Ile et s'élève. A les voir ainsi sc retourner, saluer, gesti-
culer, tordre leurs corps emprisonnés dar.s la stalle élroite, on pense
à l'entassement d'un peu [île d'insectes, comprime dans un entonnoir.
Ceci indique l'espèce de. plaisir qu'on vient chercher ici : le besoin
d'cTcilaliol/: ce mot à Paris revient toujours aux lèvres. Balzac disait.
qu'il mourait de cinquante mille tasses de café. Il eût dû ajouter
qu'il avait vécu de cinquante mille lasses de cale. La société pari-
sienne fait comme lui : c'est pour cela qu il l'a si bien peinte.
Combien de fois, aux loges de pourtour, n'ai-je pas regarde les
têtes? On demeure là un quart d'heure immobile, absorbe, devant
une ligure affinée, ardente, qui se détache toute seule comme dans un
cadre, dans le cercle de la lorgnette. Insensiblement on se trouve sou-
levé hors de sa stalle, attire ; on s'approche pour regarder de plus
près, pour tâcher de de\iner l'ilme étrange qui htul': et luit sous cette
enveloppe de soie, de satin et de gaze.
Des Cléopalies ; la pourriture et la culture égyptiennes faisaient
pousser, il y a dix-huit siècles, des fleurs aussi enivrantes et aussi
spVnciides, aussi maladives et aussi dangereuses que ce terreau pari-
sien où lions puisons noire, sève et nos maux. Au premier coup d'œil,
ce sont des sphinx. On les regarde en face, il deux pas, elles ne bron-
chent point. Sous trois lorgnons braqués, la plus jeune demeure im-
mobile. Kilo ne veut pas s'apercevoir que vous êtes là, pas une nu-
geur ne lui monte au front, pas un pli ne vient remuer ses lèvres;
elle continue à causer, à lorgner; elle vous traite comme un pieu
de bois sur lequel on a pendu trois morceaux de drap noir; elle est
comme un soldat en uniforme, sous le feu, les nerfs tendus, et pour-
tant le front serein, la tête haute. Mais la coiffure, la robe, un bout
de ruban, une boucle tordue, le plus indifférent et le plus léger des
mouvements de l'éventail, tout parle en elle, et tout cela crie : « Je
veux, j'aurai davantage; je veux, et j'aurai sans limite et toujours. »
l ue d'elles, en face de moi, aux narines dilatées, aux lèvres mobiles
semble une lampe de porcelaine éclairée par une flamme intérieure'
ses joues maigrissent; ses prunelles dans le blanc intense, ses joues
imperceptiblement caves distillent le désir et la volonté. Elle est pâle
et ses :"(\\1-:: sont ptdl's. Ses admirables cheveux noirs crêpelés lui font
le plus orgueilleux et le plus audacieux diadème, et des nœuds blancs
posés d'un seul côté jettent par-dessus celle magnificence l'éclair et
l'attrait de l'invention fantasque. Si elle cause ou écoute, c'est par
contenance; sa main tortille négligemment un bout de son mouchoir
de dcnteUes. elle est au repos, du moins elle a l'air d'y être. Mais
comme ce repos est inquiétant! La délicate et la plus charmante
petite, panthère n'a rien de plus coquet et de plus nerveux. Surtout,
le sourire est alarmant. Elle a tout goûté, elle a sucé toutes les dé-
lices épicées de notre âpre littérature moderne; elle a traversé Balzac,
NOTES SUR PARIS
LE MONDE
Au\ Italiens mardi et samedi, chaque spm.'unc, (Ic'puis deux mois; et.
j'y retourne ce soir; cela vaul Ions les salons, les plus décriés et les
plus choisis.
1
L'éclat est trop grand. De l'orchestre, la quadruple guirlande de
loges illuminées et de femmes parées monte en s'efageant sous le
rayonnement d'un lustre à cinq cents flammes. l'il air trop chaud,
chargé de parfums, traverse d'émanations humaines, oscille et fait
ondoyer les lumières vacitlantes. Le sol noir el mouvant de l'orchestre
s'agite aux enlr'acles avec un fourmillement élrangc. Les ligures usées
ou actives se crispent sous les reflets croisés et sous les paillettes
innombrables de la clarté brûlante. l.e bruissement sec des conver-
sations s'en Ile et s'élève. A les voir ainsi sc retourner, saluer, gesti-
culer, tordre leurs corps emprisonnés dar.s la stalle élroite, on pense
à l'entassement d'un peu [île d'insectes, comprime dans un entonnoir.
Ceci indique l'espèce de. plaisir qu'on vient chercher ici : le besoin
d'cTcilaliol/: ce mot à Paris revient toujours aux lèvres. Balzac disait.
qu'il mourait de cinquante mille tasses de café. Il eût dû ajouter
qu'il avait vécu de cinquante mille lasses de cale. La société pari-
sienne fait comme lui : c'est pour cela qu il l'a si bien peinte.
Combien de fois, aux loges de pourtour, n'ai-je pas regarde les
têtes? On demeure là un quart d'heure immobile, absorbe, devant
une ligure affinée, ardente, qui se détache toute seule comme dans un
cadre, dans le cercle de la lorgnette. Insensiblement on se trouve sou-
levé hors de sa stalle, attire ; on s'approche pour regarder de plus
près, pour tâcher de de\iner l'ilme étrange qui htul': et luit sous cette
enveloppe de soie, de satin et de gaze.
Des Cléopalies ; la pourriture et la culture égyptiennes faisaient
pousser, il y a dix-huit siècles, des fleurs aussi enivrantes et aussi
spVnciides, aussi maladives et aussi dangereuses que ce terreau pari-
sien où lions puisons noire, sève et nos maux. Au premier coup d'œil,
ce sont des sphinx. On les regarde en face, il deux pas, elles ne bron-
chent point. Sous trois lorgnons braqués, la plus jeune demeure im-
mobile. Kilo ne veut pas s'apercevoir que vous êtes là, pas une nu-
geur ne lui monte au front, pas un pli ne vient remuer ses lèvres;
elle continue à causer, à lorgner; elle vous traite comme un pieu
de bois sur lequel on a pendu trois morceaux de drap noir; elle est
comme un soldat en uniforme, sous le feu, les nerfs tendus, et pour-
tant le front serein, la tête haute. Mais la coiffure, la robe, un bout
de ruban, une boucle tordue, le plus indifférent et le plus léger des
mouvements de l'éventail, tout parle en elle, et tout cela crie : « Je
veux, j'aurai davantage; je veux, et j'aurai sans limite et toujours. »
l ue d'elles, en face de moi, aux narines dilatées, aux lèvres mobiles
semble une lampe de porcelaine éclairée par une flamme intérieure'
ses joues maigrissent; ses prunelles dans le blanc intense, ses joues
imperceptiblement caves distillent le désir et la volonté. Elle est pâle
et ses :"(\\1-:: sont ptdl's. Ses admirables cheveux noirs crêpelés lui font
le plus orgueilleux et le plus audacieux diadème, et des nœuds blancs
posés d'un seul côté jettent par-dessus celle magnificence l'éclair et
l'attrait de l'invention fantasque. Si elle cause ou écoute, c'est par
contenance; sa main tortille négligemment un bout de son mouchoir
de dcnteUes. elle est au repos, du moins elle a l'air d'y être. Mais
comme ce repos est inquiétant! La délicate et la plus charmante
petite, panthère n'a rien de plus coquet et de plus nerveux. Surtout,
le sourire est alarmant. Elle a tout goûté, elle a sucé toutes les dé-
lices épicées de notre âpre littérature moderne; elle a traversé Balzac,
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