LE PATINAGE SUR LE GRAND BASSIN DES TUILERIES
bles quadrupèdes, quand on se sent les jambes embarrassées
par ces longues perches.
Inutile de dire, n'est-ce pas? qu'en Suède, en Danemarek,
en Norwége, et même en Hollande, le patin est le sabot des
paysans de l'endroit, et que lesperrettes septentrionales trans-
portent le lait et les autres provisions du ménage dans la
position du génie de la Bastille ?
Nous avons encore le patin à roulettes, invention moderne,
qui n'a fait, je crois, qu'un adepte. — Le patineur de la place
Louis XV. Quelques temps qu'il fasse, il est toujours à son poste
— sur le trottoir à gauche en venant de la rue Royale. Il le
parcourt dans tous les sens avec une rapidité vertigineuse — il
tourne sur lui-même, —s'arrête net,— reprend sa course en
arrière, accumulant les courbes, jusqu'au mome-.t où vient la
nui'. On m'a assuré qu'il se livrait à cet exercice par raison de
santé : c'est bien possible.
Quoi qu'il en soit, le patin à roulettes n'a aucun rapport
avec lepatin ordinaire, — et je suis persuadé qu'un homme
qui en aurait fait usage serait plus embarrassé en se trouvant
sur la glace qu'un homme qli n'aurait jamais mis le pied sur
un patin. —Il aurait pris des habitudes difficiles à perdre, —
et complètement opposées à celles qu'il lui faudrait prendre;
sur le patin à lame, l'équilibre ne s'obtient qu'à force de
laisser-allor et de souplesse dans les mouvements, tandis que
le patin à roulettes exige des efforts, qui, sur la glace amé-
neraient une chute certaine. — En outre, la position habi-
tuelle n'est pas la même, — le véritable patineur est obligé,
pour se maintenir en équilibre de tenir le corps beaucoup plus
incliné. — L'arrêt complet s'obtient par des procédés diffé-
rents, et déplus, les ch jtes qui avec des patins à roulettes se
produisent le plus souvent d'arrière en avant se font, avec les
patins à-lame, d'avant en arrière. Je ne siurais dire laq ,.ielle
de ces chutes est la plus pénible, n'étant jamais tombé qu'à
la renverse, mais je puis affirmer que ce dernier procédé est
tout à fait désobligeant.
J'étais bien jeune alors, mais depuis ce moment l'idée ne
m'est jamais venue de remettre le pied sur un patin. — Après
une dizaine de leçons consciencieuses j'avais pris mon élan, je
décrivais des cercles en avant, en arrière, et après quelque
temps de travail, j'étais arrivé à graver mon prénom sur la
glace ; il faut dire que c'est un monosyllabe.
En résumé, j'avais une confiance absolue dans mon talent :
ce fut la cause de ma perte. C'était à la glacière, le bois de
Boulogne n'ayant pas encore mis ses bassins à la disposition
des amateurs. J'étais lancé à toute vitesse, et devant moi se
dressait une superbe branche de peuplier emprisonnée dans
la glace par ses extrémités. — J'aurais pu passer à droite ou
à gauche, — la jeunesse ne veut pas reconnaître les obstacles,
— je fis un violent effort par un habile mouvement de reins,
je détachai mes pieds du sol, je franchis la branche et l'on me
rapporta ensanglanté chez moi j'étais retombé sur la tête.
Au reste, j'aurais peut-être mauvaise grâce à gémir de cet
accident; qui sait si la partie de mon crâne renfoncé dans cette
chute ne renfermait pas la bosse du meurtre?
C.
bles quadrupèdes, quand on se sent les jambes embarrassées
par ces longues perches.
Inutile de dire, n'est-ce pas? qu'en Suède, en Danemarek,
en Norwége, et même en Hollande, le patin est le sabot des
paysans de l'endroit, et que lesperrettes septentrionales trans-
portent le lait et les autres provisions du ménage dans la
position du génie de la Bastille ?
Nous avons encore le patin à roulettes, invention moderne,
qui n'a fait, je crois, qu'un adepte. — Le patineur de la place
Louis XV. Quelques temps qu'il fasse, il est toujours à son poste
— sur le trottoir à gauche en venant de la rue Royale. Il le
parcourt dans tous les sens avec une rapidité vertigineuse — il
tourne sur lui-même, —s'arrête net,— reprend sa course en
arrière, accumulant les courbes, jusqu'au mome-.t où vient la
nui'. On m'a assuré qu'il se livrait à cet exercice par raison de
santé : c'est bien possible.
Quoi qu'il en soit, le patin à roulettes n'a aucun rapport
avec lepatin ordinaire, — et je suis persuadé qu'un homme
qui en aurait fait usage serait plus embarrassé en se trouvant
sur la glace qu'un homme qli n'aurait jamais mis le pied sur
un patin. —Il aurait pris des habitudes difficiles à perdre, —
et complètement opposées à celles qu'il lui faudrait prendre;
sur le patin à lame, l'équilibre ne s'obtient qu'à force de
laisser-allor et de souplesse dans les mouvements, tandis que
le patin à roulettes exige des efforts, qui, sur la glace amé-
neraient une chute certaine. — En outre, la position habi-
tuelle n'est pas la même, — le véritable patineur est obligé,
pour se maintenir en équilibre de tenir le corps beaucoup plus
incliné. — L'arrêt complet s'obtient par des procédés diffé-
rents, et déplus, les ch jtes qui avec des patins à roulettes se
produisent le plus souvent d'arrière en avant se font, avec les
patins à-lame, d'avant en arrière. Je ne siurais dire laq ,.ielle
de ces chutes est la plus pénible, n'étant jamais tombé qu'à
la renverse, mais je puis affirmer que ce dernier procédé est
tout à fait désobligeant.
J'étais bien jeune alors, mais depuis ce moment l'idée ne
m'est jamais venue de remettre le pied sur un patin. — Après
une dizaine de leçons consciencieuses j'avais pris mon élan, je
décrivais des cercles en avant, en arrière, et après quelque
temps de travail, j'étais arrivé à graver mon prénom sur la
glace ; il faut dire que c'est un monosyllabe.
En résumé, j'avais une confiance absolue dans mon talent :
ce fut la cause de ma perte. C'était à la glacière, le bois de
Boulogne n'ayant pas encore mis ses bassins à la disposition
des amateurs. J'étais lancé à toute vitesse, et devant moi se
dressait une superbe branche de peuplier emprisonnée dans
la glace par ses extrémités. — J'aurais pu passer à droite ou
à gauche, — la jeunesse ne veut pas reconnaître les obstacles,
— je fis un violent effort par un habile mouvement de reins,
je détachai mes pieds du sol, je franchis la branche et l'on me
rapporta ensanglanté chez moi j'étais retombé sur la tête.
Au reste, j'aurais peut-être mauvaise grâce à gémir de cet
accident; qui sait si la partie de mon crâne renfoncé dans cette
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