28 mai 18GL LA VIE PARISIENNE 201
MISÈRE
SOUVENIRS DE LA VIE MILITAIRE
A mes camarades du 3e régiment d'infantct'H'.
Vous vous le rappelez tous, mes chers camarades, ce Misère que
nous avons tant aimé.
Il n était pas beau, — mais quel cœur! quelle intelMgencc!
llar. i, brave, fier, généreux, fidèle au drapeau; toutes les qualités
du soldat.
Nous l'avions trouvé dans un fossé, pendant l'étape de Hreloncelles
il Prez-en-Paiile. il était étendu sur le liane, mourant de l'aim et
de maladie et attendant, avec stoïcisme, l'heure suprême du vagabond.
Ce fut un clairon qui le premier l'aperçut. Il s'arrêta et lui pré-
senta un morceau de pain de munition qu'il dévora. — Puis,
remarquant les plaies qui le couvraient, il fit appel aux bidons et cha-
cun se mit à les lui laver avec de l'eau-de-vie.
11 poussait de temps en temps defs petits cris, arrachés par la dou-
leur que lui causait le contact de ce corrosif a\ec les chairs vives,
mais bon œil était chargé de reconnaissance.
Lorsqu cm l'eut bien soigné, ont lui lit avaler une goutte : !e coup
de l 'éti-ier; puis, reprenant le sac et le fusil, on se remit en route.
Il leva la tête, et voyant ses bienfaiteurs s'éloigner, il fil un violent
effort, parvint it se mettre debout el suivit le bataillon.
Mai.-., lecteurs, j oubliais de vous le dire : c était un chien.
un grand cnien fauve, un chien de berger, au museau allongé, Ù.
I œil intelligent, au crocs aigus mais blancs comme l'ivoire; haut Si r
pattes, trottant l'amble, comme le loup avec lequel il avait de l'aux
airs de l'aulille ; tellement maigre que les os trouaient sa peau; pelé,
galeux, et probablement expulsé comme lépreux de quelque l'terme
des enviions.
J en demande pardon aux délicates lectrices de ce journal, il n'avait
rien du havannais pomponné, enrubanné et musqué, à l'air idiot et
au caractère hargneux, qui fait le plus bel ornement des boudoirs-
mais tel qu il était il nous plaisait.
Le voyant nous suivre, nous lui fîmes préparer une pâtée plantu-
reuse a la grande halte el, lorsque le commandant leva son épée poul-
le roulement, signal du départ, Misère était adopté.
Prez-en-Paille est un gros bourg du département de la Mayenne
Une longue et large rue en ligne droite - deux cents maisons : voici
l endtoil. Seulement une chose peut étonner l'homme qui traverse
ce village clans un jour ordinaire : c'est que chaque maison est ornée
d'une plaque de tôle grinçant sur une tringle — avec un Soleil d'or,
un Cheval, rtwje, une Houle noire et ces invariables mots : Loge à pied
et il cheval.
Tous les habitants sont aubergistes. — Cela surprend tout d'abord,
maison se rappelant la Suisse, la chose s'explique. Tous les Suisses
sont aubergistes et sont 'tous a l'aise : c'est qu'à la belle saison les
étrangers arri'en:}.
Il en est de même pour les indigènes de Prez-en-Paille. La foire
aux bœufs qui se tient là deux fois par mois enrichit l'endroit.
Le bataillon arriva un jour de marché et Misère retrouva là des
confrères, liah il n'eut pas seulement l'air de les connaître. La mu-
sique jouait le Défi é (les Prinres et notre nouvelle recrue avait choisi
sa place de bataille entre le cheva1 du colonel et le capitaine des
grenadiers. Portant haut la tête, levant hardiment la patte , il mar-
chait au pas comme un vieux chevronné. Toute la journée, il se pro-
mena avec les hommes, dédaignant profondément le pékin et répon-
dant vigoureusement par un coup de croc aux chiens qui venaient
essayer à le r manière de fraterniser a\ ec lui.
Le lendemain, il trois heures du matin, tambours et clairons, dis-
pr' i's dans le village, battaient et sonnaient la marche du régiment
et un quart d'heure après, tout le bataillon en armes était rassemblé
sur la place. — Misère seul manquait. Qu'élait-il devenu '? C'est la
question qu'on s'adressait. Néanmoins on partit.
Quelques jours après , à un kilomètre de Vitré, un poids énorme
tombe sur le sac d'un homme de l'al'l'ière-gal'de, qui traînait la jambe
comme s'il était de la compagnie hors l'tIr, y , - Le traînard se retourne,
puis recule, effrayé de voir une large langue rouge sortant d'un mu-
seau f .uve qui se promène sur sa figure.
C'était Misère. — Misère traînant après lui les anneaux d'une
chaîne brisée et rappelant à quelque différence près le Spartac/J..s de
Loyal ier.
Quelque conducteur de bestiaux l'avait probablement trouvé à son
goût et avait essayé dp, se ['attacher. Mais, semblable au Zéphyr d'Aïn-
Gkettuut-i, Misère avait triomphé de tous les obstacles et rejoint son
drapeau !
Rennes est certes l'une des garnisons les moins agréables de France;
— on n'y aime pas beaucoup le soldat. — Aussi, nous vécûmes chez
MISÈRE
SOUVENIRS DE LA VIE MILITAIRE
A mes camarades du 3e régiment d'infantct'H'.
Vous vous le rappelez tous, mes chers camarades, ce Misère que
nous avons tant aimé.
Il n était pas beau, — mais quel cœur! quelle intelMgencc!
llar. i, brave, fier, généreux, fidèle au drapeau; toutes les qualités
du soldat.
Nous l'avions trouvé dans un fossé, pendant l'étape de Hreloncelles
il Prez-en-Paiile. il était étendu sur le liane, mourant de l'aim et
de maladie et attendant, avec stoïcisme, l'heure suprême du vagabond.
Ce fut un clairon qui le premier l'aperçut. Il s'arrêta et lui pré-
senta un morceau de pain de munition qu'il dévora. — Puis,
remarquant les plaies qui le couvraient, il fit appel aux bidons et cha-
cun se mit à les lui laver avec de l'eau-de-vie.
11 poussait de temps en temps defs petits cris, arrachés par la dou-
leur que lui causait le contact de ce corrosif a\ec les chairs vives,
mais bon œil était chargé de reconnaissance.
Lorsqu cm l'eut bien soigné, ont lui lit avaler une goutte : !e coup
de l 'éti-ier; puis, reprenant le sac et le fusil, on se remit en route.
Il leva la tête, et voyant ses bienfaiteurs s'éloigner, il fil un violent
effort, parvint it se mettre debout el suivit le bataillon.
Mai.-., lecteurs, j oubliais de vous le dire : c était un chien.
un grand cnien fauve, un chien de berger, au museau allongé, Ù.
I œil intelligent, au crocs aigus mais blancs comme l'ivoire; haut Si r
pattes, trottant l'amble, comme le loup avec lequel il avait de l'aux
airs de l'aulille ; tellement maigre que les os trouaient sa peau; pelé,
galeux, et probablement expulsé comme lépreux de quelque l'terme
des enviions.
J en demande pardon aux délicates lectrices de ce journal, il n'avait
rien du havannais pomponné, enrubanné et musqué, à l'air idiot et
au caractère hargneux, qui fait le plus bel ornement des boudoirs-
mais tel qu il était il nous plaisait.
Le voyant nous suivre, nous lui fîmes préparer une pâtée plantu-
reuse a la grande halte el, lorsque le commandant leva son épée poul-
le roulement, signal du départ, Misère était adopté.
Prez-en-Paille est un gros bourg du département de la Mayenne
Une longue et large rue en ligne droite - deux cents maisons : voici
l endtoil. Seulement une chose peut étonner l'homme qui traverse
ce village clans un jour ordinaire : c'est que chaque maison est ornée
d'une plaque de tôle grinçant sur une tringle — avec un Soleil d'or,
un Cheval, rtwje, une Houle noire et ces invariables mots : Loge à pied
et il cheval.
Tous les habitants sont aubergistes. — Cela surprend tout d'abord,
maison se rappelant la Suisse, la chose s'explique. Tous les Suisses
sont aubergistes et sont 'tous a l'aise : c'est qu'à la belle saison les
étrangers arri'en:}.
Il en est de même pour les indigènes de Prez-en-Paille. La foire
aux bœufs qui se tient là deux fois par mois enrichit l'endroit.
Le bataillon arriva un jour de marché et Misère retrouva là des
confrères, liah il n'eut pas seulement l'air de les connaître. La mu-
sique jouait le Défi é (les Prinres et notre nouvelle recrue avait choisi
sa place de bataille entre le cheva1 du colonel et le capitaine des
grenadiers. Portant haut la tête, levant hardiment la patte , il mar-
chait au pas comme un vieux chevronné. Toute la journée, il se pro-
mena avec les hommes, dédaignant profondément le pékin et répon-
dant vigoureusement par un coup de croc aux chiens qui venaient
essayer à le r manière de fraterniser a\ ec lui.
Le lendemain, il trois heures du matin, tambours et clairons, dis-
pr' i's dans le village, battaient et sonnaient la marche du régiment
et un quart d'heure après, tout le bataillon en armes était rassemblé
sur la place. — Misère seul manquait. Qu'élait-il devenu '? C'est la
question qu'on s'adressait. Néanmoins on partit.
Quelques jours après , à un kilomètre de Vitré, un poids énorme
tombe sur le sac d'un homme de l'al'l'ière-gal'de, qui traînait la jambe
comme s'il était de la compagnie hors l'tIr, y , - Le traînard se retourne,
puis recule, effrayé de voir une large langue rouge sortant d'un mu-
seau f .uve qui se promène sur sa figure.
C'était Misère. — Misère traînant après lui les anneaux d'une
chaîne brisée et rappelant à quelque différence près le Spartac/J..s de
Loyal ier.
Quelque conducteur de bestiaux l'avait probablement trouvé à son
goût et avait essayé dp, se ['attacher. Mais, semblable au Zéphyr d'Aïn-
Gkettuut-i, Misère avait triomphé de tous les obstacles et rejoint son
drapeau !
Rennes est certes l'une des garnisons les moins agréables de France;
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