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LA VIE PARISIENNE
21 mai 1864.
viens de lui couper la tête, mais vois un peu comme je suis calme.
Est-il possible d'être plus calme que je ne le suis? Je suis calme
parce que j'espère, et j'espère parce que j'ai une robe verte.
LE GARÇON. — Mais oui, mais oui, je sais que vous êtes calme, c'est
entendu; vous me dites tous les matins la même chose... C'est que
je suis un peu pressé. (il h*us«e les fautes ) Les clients ne sont pas rai-
sonnables : il faudrait leur faire à tous des compliments, (011 entend
C est l Italien et l'Italienne du n° 1171 qui demandent quelque chose.
appeler.) C est
l'Italien et
l'Italienne du
n° 1171 qui de-
mandent quel-
que chose. (Il
rajuste le J)omd de
sa cravate.) Ah 1
voilà des gens
distingués! et
puis un cadre
et c'est pro-
pre ! (Haut. après
avoir fait une ré-
vérence.) Qu'est-
ce que désirent
leurs seigneu-
ries?
L ITALIENNE. — Garçon, retiens ceci : Ce qui fait notre supériorité,
c ; est que la puissance de tons extrêmement chauds s'allie en nous à
la finesse, à la pureté, à la distinction des contours.
LE GARÇON. — Madame m'excusera, mais j'ai peu de temps à moi .
la distinction des contours, cela est incontestable... Madame désire-
t-elle une jolie timbale milanaise?
L'ITALIENNE. — Sers-nous quelque chose d'élégant, qui ait du carac-
tère et qu on
puisse manger
sans faire de
mouvements ,
car je tiens à
ne pas déran-
ger les plis si
heureux et si
naturels en
même temps
de mon ajuste-
ment.
LE GARÇON.-
Madame d é-
sire-t-elle qu 'on
la fasse man-
ger? on peut
même la faire
Le veau de M. Millet.
manger en musique et lui placer sous les veux un paysage ou une
marine pour récréer ses yeux, celle de M. Giului, par exemple, ou le
veau de M. Millet. (L Italienne eternue dans son innurlioir brrdé.) Si madame
est habituée à ia nourriture italienne, un joli macaroni à la vanille et
à la pistache ne saurait lui déplaire.
L 'ITALIENNE. — La nourriture italienne! me prends-tu pour une
paysanne ou une de ces mendiantes qui courent les chemins? En dé-
pit de ce déguisement qui nous couvre, l'exquise perfection de mes
lignes et de celles de M. le comte qui m'accompagne, ne trahit-elle
pas la naissance la plus aristocratique? Ne cherche point ailleurs que
dans ce cadre des italiennes qui me ressemblent, des italiens qui
ressemblent à M. le comte.
OEDIPE. — Garçon! faut-il que ma poule aille le chercher?
LE GARÇON (a part). — Bon, voilà le crevé qui s'agite encore; qu'est-
ce que veut monsieur?
OiDiPE. — Je suis énervé,
agacé; j'ai mal aux genoux, et
j'ai besoin de t'expliquer ma
pensée; suis-moi bien : je suis
maladif, donc je suis maigre;
or, le symbole de la pensée
dans le mysticisme infini de
l'idéale beauté est à la fable
antique comme... frotte un
peu ma pauvre jambe et ap-
porte-moi une pomme verte,
ton citron m'a creusé, — bien
verte, ami. Oh! l'idéalisation
du contour de M. Chesneau
dans sa pensée profonde!... (il
se gratte la tête avec frénésie.)
LE GARÇON. — Il me fait du
mal, ma parole d'honneur, ce
gar(-on-li'i. ; il son âge ! avec de
la gymnastique et des viandes
rôties, il en reviendrait peut-
ètre. Enfin, je ne suis pas son
père, il faut se faire une raison...
Courons, le n° 201 s'impa-
tiente.
M. HAVIN (dans le plus beau cadre
du salon). — Je demande la
M. Havin. — Je demande la parole.
parole... le Moniteur et un cure dent, veux-je dire, depuis un quart
d'heure... prends garde à mon cadre, et c'est comme si je chantais.
Tu donneras un coup de plumeau sur mon cadre, et tu m'apporteras
demain matin un verre d'eau sucrée sur un plateau ; il est possible
que je prenne la parole dans la journée.
LE GARÇON. — Et après son Monitevr, que prendra Monsieur? Mon-
sieur veut-il un joli gigot de l'Erigone de M. Riesner, viande mé-
daillée; c'est exquis! ou une tranche du veau de M. MiDet?
M. HAVIN. — Je vous dirai
cela tout à l'heure ; apporte-
moi toujours un cure-dents.
Quand je te dis de faire at-
tention à mon cadre!
VOIX NOMBREUSES. — Gar-
çon ! garçon !
LE GARÇON. — Voilà, mes-
sieurs, voilà mesdames.
(A part. ) Heureusement en-
core que les paysages sont
sobres.
?
Heureuscment encore que Ics paysages sont sobres.
COMME IL VOUS PLAIRA
1
Pamphile avait raison, l'amour est douce chose ;
Par un jour de printemps, lorsque le ciel est bleu,
Il est doux de rêver dans sa douillette rose,
Regardant le pré vert et l'horizon en feu,
Quand on est femme, et si l'on est seule en sa chambre,
Avec des fleurs partout, des gants parfumés d'ambre,
Un petit chien tout blanc couché sur ses genoux ;
Il est doux de songer à son amant, à l'heure
De ses^ premiers aveux, quand il disait : « Je meure
Si je n'obtiens ce soir, madame, un rendez-vous »
II
Il est doux de penser qu'on a fait la sévère,
Que l'on s'est fait prier, supplier, puis qu'enfin,
Après bien des façons par ce seul mot : « Espère ! »
On sembla l'inviter à revenir demain.
Il est doux de penser qu'il revint tout de flamme,
Téméraire à l'excès, et qu'au fond de son âme,
On lui sut très-bon gré de sa témérité,
— Bien qu'on ait cru devoir se montrer offensée,
Qu'en ait parlé bien haut de dignité blessée,
De ses devoirs d'épouse et de sa chasteté.
111
Il est doux de penser que l'on eut la faiblesse
... De céder... qu'on pleura pendant toute la nuit;
Puis qu'on s'est consolée et qu'aux heures d'ivresse
Le devoir dans l'oreille a fait bien peu de bruit.
Il est doux de songer à l'absent, de se dire
Que l'on est le seul bien vers qui son âme aspire,
(Etrange illusion dont le cœur a besoin.)
Il est doux d'essayer une robe nouvelle,
Une fleur, un ruban pour lui paraître belle,
Et de tirer ses gants sur sa main avec soin.
IV
Et. de bien constater qu'un six et quart est large. —
Bien doux, de feuilleter les pages d'un roman,
Et çà et lit d'écrire un très-bien à la marge,
Aux endroits où l'auteur a fait du sentiment,
Où l'on se reconnaît ; — doux, de n'avoir qu'un rêve,
Qu'une pensée au cœur, qu'on dorme ou qu'on se lève,
En compagnie ou seule, aux champs, dans son salon,
Partout; — et de rester à tout indifférente,
A la pièce du jour, aux cancans, à la rente,
Et quand il n'est pas là, de trouver le temps long.
V
Il est doux de garder au fond d'une cassette
Mignonne, en bois de rose, avec une clef d'or, —
Les lettres de l'amant... de les lire en cachette,
De les savoir par cœur et de les lire encor ;
Oui ,c'est très-doux,pourvuqu'on n'ait pasl'imprudence
D'abandonner son coffre ouvert, et que l'on pense
A retirer la clef quand on part pour le bois.
L'amour nous fait, hélas ! oublier tant de choses;
Gare au mari, s'il va trouver le pot aux roses !
L'entendez-vous crier : « Ciel ! qu'est-ce que je vois? »
B.
LA VIE PARISIENNE
21 mai 1864.
viens de lui couper la tête, mais vois un peu comme je suis calme.
Est-il possible d'être plus calme que je ne le suis? Je suis calme
parce que j'espère, et j'espère parce que j'ai une robe verte.
LE GARÇON. — Mais oui, mais oui, je sais que vous êtes calme, c'est
entendu; vous me dites tous les matins la même chose... C'est que
je suis un peu pressé. (il h*us«e les fautes ) Les clients ne sont pas rai-
sonnables : il faudrait leur faire à tous des compliments, (011 entend
C est l Italien et l'Italienne du n° 1171 qui demandent quelque chose.
appeler.) C est
l'Italien et
l'Italienne du
n° 1171 qui de-
mandent quel-
que chose. (Il
rajuste le J)omd de
sa cravate.) Ah 1
voilà des gens
distingués! et
puis un cadre
et c'est pro-
pre ! (Haut. après
avoir fait une ré-
vérence.) Qu'est-
ce que désirent
leurs seigneu-
ries?
L ITALIENNE. — Garçon, retiens ceci : Ce qui fait notre supériorité,
c ; est que la puissance de tons extrêmement chauds s'allie en nous à
la finesse, à la pureté, à la distinction des contours.
LE GARÇON. — Madame m'excusera, mais j'ai peu de temps à moi .
la distinction des contours, cela est incontestable... Madame désire-
t-elle une jolie timbale milanaise?
L'ITALIENNE. — Sers-nous quelque chose d'élégant, qui ait du carac-
tère et qu on
puisse manger
sans faire de
mouvements ,
car je tiens à
ne pas déran-
ger les plis si
heureux et si
naturels en
même temps
de mon ajuste-
ment.
LE GARÇON.-
Madame d é-
sire-t-elle qu 'on
la fasse man-
ger? on peut
même la faire
Le veau de M. Millet.
manger en musique et lui placer sous les veux un paysage ou une
marine pour récréer ses yeux, celle de M. Giului, par exemple, ou le
veau de M. Millet. (L Italienne eternue dans son innurlioir brrdé.) Si madame
est habituée à ia nourriture italienne, un joli macaroni à la vanille et
à la pistache ne saurait lui déplaire.
L 'ITALIENNE. — La nourriture italienne! me prends-tu pour une
paysanne ou une de ces mendiantes qui courent les chemins? En dé-
pit de ce déguisement qui nous couvre, l'exquise perfection de mes
lignes et de celles de M. le comte qui m'accompagne, ne trahit-elle
pas la naissance la plus aristocratique? Ne cherche point ailleurs que
dans ce cadre des italiennes qui me ressemblent, des italiens qui
ressemblent à M. le comte.
OEDIPE. — Garçon! faut-il que ma poule aille le chercher?
LE GARÇON (a part). — Bon, voilà le crevé qui s'agite encore; qu'est-
ce que veut monsieur?
OiDiPE. — Je suis énervé,
agacé; j'ai mal aux genoux, et
j'ai besoin de t'expliquer ma
pensée; suis-moi bien : je suis
maladif, donc je suis maigre;
or, le symbole de la pensée
dans le mysticisme infini de
l'idéale beauté est à la fable
antique comme... frotte un
peu ma pauvre jambe et ap-
porte-moi une pomme verte,
ton citron m'a creusé, — bien
verte, ami. Oh! l'idéalisation
du contour de M. Chesneau
dans sa pensée profonde!... (il
se gratte la tête avec frénésie.)
LE GARÇON. — Il me fait du
mal, ma parole d'honneur, ce
gar(-on-li'i. ; il son âge ! avec de
la gymnastique et des viandes
rôties, il en reviendrait peut-
ètre. Enfin, je ne suis pas son
père, il faut se faire une raison...
Courons, le n° 201 s'impa-
tiente.
M. HAVIN (dans le plus beau cadre
du salon). — Je demande la
M. Havin. — Je demande la parole.
parole... le Moniteur et un cure dent, veux-je dire, depuis un quart
d'heure... prends garde à mon cadre, et c'est comme si je chantais.
Tu donneras un coup de plumeau sur mon cadre, et tu m'apporteras
demain matin un verre d'eau sucrée sur un plateau ; il est possible
que je prenne la parole dans la journée.
LE GARÇON. — Et après son Monitevr, que prendra Monsieur? Mon-
sieur veut-il un joli gigot de l'Erigone de M. Riesner, viande mé-
daillée; c'est exquis! ou une tranche du veau de M. MiDet?
M. HAVIN. — Je vous dirai
cela tout à l'heure ; apporte-
moi toujours un cure-dents.
Quand je te dis de faire at-
tention à mon cadre!
VOIX NOMBREUSES. — Gar-
çon ! garçon !
LE GARÇON. — Voilà, mes-
sieurs, voilà mesdames.
(A part. ) Heureusement en-
core que les paysages sont
sobres.
?
Heureuscment encore que Ics paysages sont sobres.
COMME IL VOUS PLAIRA
1
Pamphile avait raison, l'amour est douce chose ;
Par un jour de printemps, lorsque le ciel est bleu,
Il est doux de rêver dans sa douillette rose,
Regardant le pré vert et l'horizon en feu,
Quand on est femme, et si l'on est seule en sa chambre,
Avec des fleurs partout, des gants parfumés d'ambre,
Un petit chien tout blanc couché sur ses genoux ;
Il est doux de songer à son amant, à l'heure
De ses^ premiers aveux, quand il disait : « Je meure
Si je n'obtiens ce soir, madame, un rendez-vous »
II
Il est doux de penser qu'on a fait la sévère,
Que l'on s'est fait prier, supplier, puis qu'enfin,
Après bien des façons par ce seul mot : « Espère ! »
On sembla l'inviter à revenir demain.
Il est doux de penser qu'il revint tout de flamme,
Téméraire à l'excès, et qu'au fond de son âme,
On lui sut très-bon gré de sa témérité,
— Bien qu'on ait cru devoir se montrer offensée,
Qu'en ait parlé bien haut de dignité blessée,
De ses devoirs d'épouse et de sa chasteté.
111
Il est doux de penser que l'on eut la faiblesse
... De céder... qu'on pleura pendant toute la nuit;
Puis qu'on s'est consolée et qu'aux heures d'ivresse
Le devoir dans l'oreille a fait bien peu de bruit.
Il est doux de songer à l'absent, de se dire
Que l'on est le seul bien vers qui son âme aspire,
(Etrange illusion dont le cœur a besoin.)
Il est doux d'essayer une robe nouvelle,
Une fleur, un ruban pour lui paraître belle,
Et de tirer ses gants sur sa main avec soin.
IV
Et. de bien constater qu'un six et quart est large. —
Bien doux, de feuilleter les pages d'un roman,
Et çà et lit d'écrire un très-bien à la marge,
Aux endroits où l'auteur a fait du sentiment,
Où l'on se reconnaît ; — doux, de n'avoir qu'un rêve,
Qu'une pensée au cœur, qu'on dorme ou qu'on se lève,
En compagnie ou seule, aux champs, dans son salon,
Partout; — et de rester à tout indifférente,
A la pièce du jour, aux cancans, à la rente,
Et quand il n'est pas là, de trouver le temps long.
V
Il est doux de garder au fond d'une cassette
Mignonne, en bois de rose, avec une clef d'or, —
Les lettres de l'amant... de les lire en cachette,
De les savoir par cœur et de les lire encor ;
Oui ,c'est très-doux,pourvuqu'on n'ait pasl'imprudence
D'abandonner son coffre ouvert, et que l'on pense
A retirer la clef quand on part pour le bois.
L'amour nous fait, hélas ! oublier tant de choses;
Gare au mari, s'il va trouver le pot aux roses !
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