LA VIE PARISIENNE 225
qui se le disent tout de suite; un chevalier qui affronte plus que la
mort, la prison pour une femme qu'il a vue trois fois.
Ce ton de causerie familière dépassa tout ce que Bauvron avait pu
espérer; quittant l'air d'amant suppliant, il reprit d'un ton dégagé :
— J'ai fait un roman comme cela.
— Vous savez bien que c'est celui-là que je lis.
— Est-ce que vous trouvez que mon chevalier va trop vite?
— Non. s'il aime. Mais puisque le hasard vous a fait, arriver jus-
qu'ici. reprit elle avec une vivacité singulière, répondez-moi : pour-
quoi hier m'avez-vous haisé la main ?
La question était d'une naïveté ou d'une rouerie prodigieuse : elle
demandait une réponse, une seule. Si Bauvron eût été l'homme de
ses conversations, le chevalier passionné qu'il aimait à peindre dans
ses romans, il se serait jeté aux pieds de la jeune femme, fou de joie,
et l'aurait attirée dans ses bras, perdant toute notion du danger, du
temps, du monde. Mais le malheureux n'était qu'un Parisien plein
d'expérience. Il ne croyait pas à ses effets dramatiques !
— Pourquoi je vous ai baisé la main? Comment pouVez-vous le
demander? Parce que je vous aime, madame.
Il avait débité sa phrase avec si peu de chaleur, que le visage de
Lucie, qui brillait d'enthousiasme, de tendresse, se décomposa ; elle
se recula et lui dit :
— Ah! vous êtes venu m'annoncer cela. Vous courez de chambre
en chambre pour me faire part de cette nouvelle ! Oui, sans doute,
ajouta-t-elle en riant d'un rire forcé, voilà deux jours que je vous
connais. I\h! ah ! un ami de M. de Lan.ac, cela est tout naturel, et
j'aurais eu le droit de me plaindre si vous n'en aviez pas agi ainsi !
Elle sonna vigoureusement.
—Permettez moi de vous prier de ne plus vous... égarer chez moi.
Au besoin, si cela vous arrivait encore, vous trouveriez à toutes les
cheminées des sonnettes pour appeler. Jacques, veuillez reconduire
monsieur.
Bauvron balbutiait quelques mots qu'il tâchait de rendre con-
venables en présence du domestique quand M'"" de Retz parut Mmc de
Retz avait suivi avec inquiétude Bauvron et Lucie pendant la lecture
de M. Vésinet. Elle vit un roman de Bauvron sur la table ; elle vit le
trouble des deux interlocuteurs; elle comprit aussitôt. Bauvron la
salua pro ondément, tandis que Lucie disait avec une voix qu'elle
parvint à rendre calme :
_— Vois, tante, comme le valet de-chambre que tu m'as donné fait
bien son service, il laisse pénétrer jusqu'ici ceux qui viennent voir mon
mari, et monsieur me surprend en peignoir. Est-ce que ces choses-là
arrivaient de ton temps? Reconduisez-monsieur, répéta-t-elle en sa-
luant Bauvron avec un sourire,
Bauvron sortit.
Crois-tu que ce soit sans intention que M. de Bauvron ait pénétré
jusqu'ici? dit Mme de Retz.
Lucie ne répondit pas Un des volumes était resté ouvert sur le
divan, elle le ferma et le jeta avec dépit sur la table.
— Lucie, tu n'as rien à me confier?
— Oue veux-tu dire, tante? je ne te comprends pas.
— Tu n'aimes pas ton mari, n:on enfant.
— A quel propos me dis-tu cela?
Et Lucie se mit à pleurer. l\lllle de Retz resta un instant à la re-
garder, puis elle se leva et se retira sans bruit. Elle rencontra dans
l antichambre Lansac qui sortait; elle lui toucha le bras et lui dit:
— Cher enfant, vous savez combien je vous estime. Je serai franche :
vous ne rendez pas Lucie heureuse. Je ne vous en veux pas ; car je
sais combien vous l'aimez. Mais venez consulter une vieille femme
comme moi, elle vous donnera de bons conseils. Ne craignez jamais
de me gêner; je sais que vous êtes timide. Sachez, si cela peut vous
donner du courage, que vous êtes à mes yeux le mari que j'ai passé
toute ma jeunesse à chercher et que je n'ai pas trouvé. Il n'y a pas
de flatterie entre nous. Au revoirl Je vous offre des conseils; c'est le
travers de mon âge. Ne m'en demandez que si vous en sentez vrai-
ment le besoin, mais demandez-moi de l'amitié toujours.
— Madame, si ce que j'ai cru deviner lout à l'heure a la moindre
apparence de vérité, c'est à l'instant même que j'aurais besoin de
vos conseils. Permettez-moi donc de vous offrir mon bras et de vous
ramener chez vous. Dix minutes après, Mme de Retz et Lansac étaient
assis en tête à tête dans le petit sillon blanc et or.
Bauvron comprenait toute la grandeur de la faute que trop de
sang-froid lui a\ait fait commettre. Il s'envoya mille l'ois auidiable;
cependant il ne renonça pas à toute espérance.
Le fait certain, qu'il aimait à constater avant tout parce qu'il flat-
tait sa vanité, c'est que Lucie paraissait l'aimer d'un amour fou,
dépassant toute attente, devançant toute marche régulière. 11 avait,
il est vrai, fort mal répondu ri cette passion ; il avait lait à Lucie
l injure entre toutes, il avait excité les fureurs d'Ilermione ; mais
il avait-il pas lu dans les livres, comme il disait, qu'une femme qui
aime est tôt ou tard apaisée? Il rentra chez lui poi r écrire à
Lucie une lettre brûlante, toute pleine de sanglots, de supplications
et surtout d 'arriour. Il écrivit : Madame... puis il chercha cinq minu-
tes ; puis il effaça madame qu'il jugea trop froid, et écrivit : « Je vous
quille, Lucie, et j'ai la fièvre; un feu subtil me dévore; je suis
humilié, anéanti ; il me prend envie de retourner, de me prosterner
à tes pieds (les tu et v combien il m 'a fallu d'empire sur moi, de respect pour vous, Lucie,
d'adoration, pour ne pas te serrer dans mes bras, t'enlever au monde,
unir nos deux existences en un... »
A ce moment, Bauvron reprit haleine. Il alluma un cigare, et, dix
minutes après, il était encore assis, les jambes étendues, sans pouvoir
se décider à reprendre la plume. Il se relut. trouva sa lettre parfaite-
ment ridicule et maladroite, froissa vivemeot la feuille et renonça à
écrire ; il avait décidément consommé pour longtemps sa petite pro-
vision de sentiment. On était au vendredi ; il se dit : J'irai mercredi
chez MUle de Retz, je me moquerai tout haut de Lucie, de son indi-
gnation de mauvais goût ; je la ferai rire et lions redevenons amis
comme par ]f passé. — Sur ce , Bauvron demanda si on n'avait
pas apporté des billets de Vaudeville qu'il attendait pour ce soir-là.
Il n'y en avait pas ; il alla au théâtre faire le méchant avec le direc-
teur. Naturellement, le directeur était parti ou pas encore arrivé.
Il rencontra au foyer uue act 'ice avec laquelle il avait coutume
de faire des calembours par à peu près: ils en firent cinquante-sept à
la file, et ils se donnèrent rendez-vous pour le soir.
(La suite au prochain numéro,) ÉMILE L.
LE COMTE DE SAULLES A L'AMBIGU
Avant de parler de Frédérick Lemaître, qui est à lui seul toute la pièce, es-
sayons de donner une analyse sommaire du drame de M. Plouvier dont les
principales scènes sont reproduites à la page précédente.
Il était, uno fois un mari, une femme et un amant — la trilogie consacrée
pour tout drame intime du théâtre de l'Ambigu. A eux trois, ils ont fait un en-
fant. Le mari étant mort, l'amant a épousé la veuve, et l'enfant, devenu
homme, se met à détester son bea, -père , qui avait négligé d'être son parrain
— pour ne pas cumuler sans doute. Tout le monde sait parfaitempnt à quoi
s'en tenir sur ce chu pitre-là, excepté le jeune homme qui a encore tous ses
che eux, c'est-à-dire ses illusions. Il y a cependant du substitut dans ce jeune
avocat. Il hait donc son beau-père et refuse les présents d'Artaxerces sous la
forme d'une dot qui lui permettrait d'épouser la jeun« Marthe, fille et petite-
fille de la raison sociale, Chaumont-Lacarrière. Cette haine de l'enfant em-
poisonne le bonheur de papa et de maman. Rien n'était plus facile, direz-vous,
que d'en finir en lui disant tout bonnement c« qui en est dès le premier acte, mais
alors plus de drame, plu" de Frédérick-Lemaître, dont tout le rôle pivote sur
cette situation d'un père qui se voit haï par son fils et n'ose lui avouer la vé-
rité, de peur de le forcer à rougir de sa mère. — La pièce pourrait s*appeter :
Faute de s entendre. — Le fils finit e' lin par comprendre ; il accepte la dot,
épouse l'héritière des Chllumvnt.-Lacanière et Frédérick les bénit, comme lui
seul sait bénir. Ajoutez à cela un m itelot, vrai stork/ish, retour de Terre-
Neuve (Boutin), qui éclaire le jeune homme, sans le savoir ni le vouloir, et un
jeune médecin (Castellano) qui porte des lunettes bleues et fait semblant de
priser pour arriver à attraper des clients que ses trente ans et ses yeux fendus
effaroucheraient.
Tout cela n'est pas bien fort. Mais que Préderick est beau! Qu'il est
grand, qu'il est puissant! plus puissant peut-être qu.md il se tait que quand
il parle. Lorsque son fils l'accable de sa haine et de son mépris, il souffre le
martyre, son cœur est près d'éclater dans sa poitrine, mais en même temps
comme il aime et admire, jusque dans ses colères, ce fils qui le méconnaît, et
accepte, comme une justi e et une expiation, ses reproches et ses injures. Et
lorsque son fils sort et le laisse à son désespoir, il ne trouve à dire que ces
mots :
« Il est beau, mon fils; il est grand, il est fier ! »
Rien ne peut rendre le geste de Frédérick en disant ces mots ; on sent que
malgré sa douleur immense, il est fier lui-même d'avoir un tel fils !
Jamais peut-être il n'a été plus admirable; jamais il n'a été aussi complet et
aussi soutenu que dans cette création. Je ne sais si la présence de son fils lui
imposait et le maintenait, mais il semblait vouloir lui donner une leçon. Plus de
cascades, plus d'excentricités : il joue avec tout le fini du Théâtre-Français et
loute la passion du drame. Il un bout à l'autre de son rôle il est digne, noble et
pathétique ; c'est bien là un grand seigneur de la vieille roche et un amiral qui a
gagné ses épaulettes et ses croix à la pointe de son épée. Cependant l'uniforme
ne lui va pas bien et lorsqu'il est en grand costume, son chapeau à plumes sur
la tête, il nous a rappelé, malgré nous, Vautrin , mais cela n'a duré qu'un ins-
tant et le grand seigneur a reparu bien vite. It n'a pu s'empêcher non plus de
recourir à son effet habituel d'arracher sa cravate et de montrer son gilet de fla-
nelle, mais cette fois-ci c'était bien situation : M. Tardieu a démontré, dans le
procès Armand, qu'eu certaines circonstances un lien autour du col, quelque
lûche qu'il fût, pouvait amener la suffocation.
Et le public, comme il l'applaudissait et rappelait frénétiquement à chaque
acte, à chaque scène! Des qu'il paraissait, un silence religieux se faisait dans la
salle, comme lorsqu'autretbts M. Tniers montait à la tubune, et l'on semblait
lui dire : « Va, vieux lion, rugis aussi bas que tu voudras, nous ne perdrons
pas une note de tes rugissements! »
Quelle soirée ! quel acteur! quel public !
Son fils a su se faire applaudir à côté de lui; c'est le plus grand éloge qu'on
puisse lui faire.
Malgré soi on cherchait, auprès de Frédérick Mme Dorval ; il n'y avait que
Mlle Lemerle ! Faites des chapeaux, Mlle Lemerle.
CHRtSTOl'HE.
qui se le disent tout de suite; un chevalier qui affronte plus que la
mort, la prison pour une femme qu'il a vue trois fois.
Ce ton de causerie familière dépassa tout ce que Bauvron avait pu
espérer; quittant l'air d'amant suppliant, il reprit d'un ton dégagé :
— J'ai fait un roman comme cela.
— Vous savez bien que c'est celui-là que je lis.
— Est-ce que vous trouvez que mon chevalier va trop vite?
— Non. s'il aime. Mais puisque le hasard vous a fait, arriver jus-
qu'ici. reprit elle avec une vivacité singulière, répondez-moi : pour-
quoi hier m'avez-vous haisé la main ?
La question était d'une naïveté ou d'une rouerie prodigieuse : elle
demandait une réponse, une seule. Si Bauvron eût été l'homme de
ses conversations, le chevalier passionné qu'il aimait à peindre dans
ses romans, il se serait jeté aux pieds de la jeune femme, fou de joie,
et l'aurait attirée dans ses bras, perdant toute notion du danger, du
temps, du monde. Mais le malheureux n'était qu'un Parisien plein
d'expérience. Il ne croyait pas à ses effets dramatiques !
— Pourquoi je vous ai baisé la main? Comment pouVez-vous le
demander? Parce que je vous aime, madame.
Il avait débité sa phrase avec si peu de chaleur, que le visage de
Lucie, qui brillait d'enthousiasme, de tendresse, se décomposa ; elle
se recula et lui dit :
— Ah! vous êtes venu m'annoncer cela. Vous courez de chambre
en chambre pour me faire part de cette nouvelle ! Oui, sans doute,
ajouta-t-elle en riant d'un rire forcé, voilà deux jours que je vous
connais. I\h! ah ! un ami de M. de Lan.ac, cela est tout naturel, et
j'aurais eu le droit de me plaindre si vous n'en aviez pas agi ainsi !
Elle sonna vigoureusement.
—Permettez moi de vous prier de ne plus vous... égarer chez moi.
Au besoin, si cela vous arrivait encore, vous trouveriez à toutes les
cheminées des sonnettes pour appeler. Jacques, veuillez reconduire
monsieur.
Bauvron balbutiait quelques mots qu'il tâchait de rendre con-
venables en présence du domestique quand M'"" de Retz parut Mmc de
Retz avait suivi avec inquiétude Bauvron et Lucie pendant la lecture
de M. Vésinet. Elle vit un roman de Bauvron sur la table ; elle vit le
trouble des deux interlocuteurs; elle comprit aussitôt. Bauvron la
salua pro ondément, tandis que Lucie disait avec une voix qu'elle
parvint à rendre calme :
_— Vois, tante, comme le valet de-chambre que tu m'as donné fait
bien son service, il laisse pénétrer jusqu'ici ceux qui viennent voir mon
mari, et monsieur me surprend en peignoir. Est-ce que ces choses-là
arrivaient de ton temps? Reconduisez-monsieur, répéta-t-elle en sa-
luant Bauvron avec un sourire,
Bauvron sortit.
Crois-tu que ce soit sans intention que M. de Bauvron ait pénétré
jusqu'ici? dit Mme de Retz.
Lucie ne répondit pas Un des volumes était resté ouvert sur le
divan, elle le ferma et le jeta avec dépit sur la table.
— Lucie, tu n'as rien à me confier?
— Oue veux-tu dire, tante? je ne te comprends pas.
— Tu n'aimes pas ton mari, n:on enfant.
— A quel propos me dis-tu cela?
Et Lucie se mit à pleurer. l\lllle de Retz resta un instant à la re-
garder, puis elle se leva et se retira sans bruit. Elle rencontra dans
l antichambre Lansac qui sortait; elle lui toucha le bras et lui dit:
— Cher enfant, vous savez combien je vous estime. Je serai franche :
vous ne rendez pas Lucie heureuse. Je ne vous en veux pas ; car je
sais combien vous l'aimez. Mais venez consulter une vieille femme
comme moi, elle vous donnera de bons conseils. Ne craignez jamais
de me gêner; je sais que vous êtes timide. Sachez, si cela peut vous
donner du courage, que vous êtes à mes yeux le mari que j'ai passé
toute ma jeunesse à chercher et que je n'ai pas trouvé. Il n'y a pas
de flatterie entre nous. Au revoirl Je vous offre des conseils; c'est le
travers de mon âge. Ne m'en demandez que si vous en sentez vrai-
ment le besoin, mais demandez-moi de l'amitié toujours.
— Madame, si ce que j'ai cru deviner lout à l'heure a la moindre
apparence de vérité, c'est à l'instant même que j'aurais besoin de
vos conseils. Permettez-moi donc de vous offrir mon bras et de vous
ramener chez vous. Dix minutes après, Mme de Retz et Lansac étaient
assis en tête à tête dans le petit sillon blanc et or.
Bauvron comprenait toute la grandeur de la faute que trop de
sang-froid lui a\ait fait commettre. Il s'envoya mille l'ois auidiable;
cependant il ne renonça pas à toute espérance.
Le fait certain, qu'il aimait à constater avant tout parce qu'il flat-
tait sa vanité, c'est que Lucie paraissait l'aimer d'un amour fou,
dépassant toute attente, devançant toute marche régulière. 11 avait,
il est vrai, fort mal répondu ri cette passion ; il avait lait à Lucie
l injure entre toutes, il avait excité les fureurs d'Ilermione ; mais
il avait-il pas lu dans les livres, comme il disait, qu'une femme qui
aime est tôt ou tard apaisée? Il rentra chez lui poi r écrire à
Lucie une lettre brûlante, toute pleine de sanglots, de supplications
et surtout d 'arriour. Il écrivit : Madame... puis il chercha cinq minu-
tes ; puis il effaça madame qu'il jugea trop froid, et écrivit : « Je vous
quille, Lucie, et j'ai la fièvre; un feu subtil me dévore; je suis
humilié, anéanti ; il me prend envie de retourner, de me prosterner
à tes pieds (les tu et v
d'adoration, pour ne pas te serrer dans mes bras, t'enlever au monde,
unir nos deux existences en un... »
A ce moment, Bauvron reprit haleine. Il alluma un cigare, et, dix
minutes après, il était encore assis, les jambes étendues, sans pouvoir
se décider à reprendre la plume. Il se relut. trouva sa lettre parfaite-
ment ridicule et maladroite, froissa vivemeot la feuille et renonça à
écrire ; il avait décidément consommé pour longtemps sa petite pro-
vision de sentiment. On était au vendredi ; il se dit : J'irai mercredi
chez MUle de Retz, je me moquerai tout haut de Lucie, de son indi-
gnation de mauvais goût ; je la ferai rire et lions redevenons amis
comme par ]f passé. — Sur ce , Bauvron demanda si on n'avait
pas apporté des billets de Vaudeville qu'il attendait pour ce soir-là.
Il n'y en avait pas ; il alla au théâtre faire le méchant avec le direc-
teur. Naturellement, le directeur était parti ou pas encore arrivé.
Il rencontra au foyer uue act 'ice avec laquelle il avait coutume
de faire des calembours par à peu près: ils en firent cinquante-sept à
la file, et ils se donnèrent rendez-vous pour le soir.
(La suite au prochain numéro,) ÉMILE L.
LE COMTE DE SAULLES A L'AMBIGU
Avant de parler de Frédérick Lemaître, qui est à lui seul toute la pièce, es-
sayons de donner une analyse sommaire du drame de M. Plouvier dont les
principales scènes sont reproduites à la page précédente.
Il était, uno fois un mari, une femme et un amant — la trilogie consacrée
pour tout drame intime du théâtre de l'Ambigu. A eux trois, ils ont fait un en-
fant. Le mari étant mort, l'amant a épousé la veuve, et l'enfant, devenu
homme, se met à détester son bea, -père , qui avait négligé d'être son parrain
— pour ne pas cumuler sans doute. Tout le monde sait parfaitempnt à quoi
s'en tenir sur ce chu pitre-là, excepté le jeune homme qui a encore tous ses
che eux, c'est-à-dire ses illusions. Il y a cependant du substitut dans ce jeune
avocat. Il hait donc son beau-père et refuse les présents d'Artaxerces sous la
forme d'une dot qui lui permettrait d'épouser la jeun« Marthe, fille et petite-
fille de la raison sociale, Chaumont-Lacarrière. Cette haine de l'enfant em-
poisonne le bonheur de papa et de maman. Rien n'était plus facile, direz-vous,
que d'en finir en lui disant tout bonnement c« qui en est dès le premier acte, mais
alors plus de drame, plu" de Frédérick-Lemaître, dont tout le rôle pivote sur
cette situation d'un père qui se voit haï par son fils et n'ose lui avouer la vé-
rité, de peur de le forcer à rougir de sa mère. — La pièce pourrait s*appeter :
Faute de s entendre. — Le fils finit e' lin par comprendre ; il accepte la dot,
épouse l'héritière des Chllumvnt.-Lacanière et Frédérick les bénit, comme lui
seul sait bénir. Ajoutez à cela un m itelot, vrai stork/ish, retour de Terre-
Neuve (Boutin), qui éclaire le jeune homme, sans le savoir ni le vouloir, et un
jeune médecin (Castellano) qui porte des lunettes bleues et fait semblant de
priser pour arriver à attraper des clients que ses trente ans et ses yeux fendus
effaroucheraient.
Tout cela n'est pas bien fort. Mais que Préderick est beau! Qu'il est
grand, qu'il est puissant! plus puissant peut-être qu.md il se tait que quand
il parle. Lorsque son fils l'accable de sa haine et de son mépris, il souffre le
martyre, son cœur est près d'éclater dans sa poitrine, mais en même temps
comme il aime et admire, jusque dans ses colères, ce fils qui le méconnaît, et
accepte, comme une justi e et une expiation, ses reproches et ses injures. Et
lorsque son fils sort et le laisse à son désespoir, il ne trouve à dire que ces
mots :
« Il est beau, mon fils; il est grand, il est fier ! »
Rien ne peut rendre le geste de Frédérick en disant ces mots ; on sent que
malgré sa douleur immense, il est fier lui-même d'avoir un tel fils !
Jamais peut-être il n'a été plus admirable; jamais il n'a été aussi complet et
aussi soutenu que dans cette création. Je ne sais si la présence de son fils lui
imposait et le maintenait, mais il semblait vouloir lui donner une leçon. Plus de
cascades, plus d'excentricités : il joue avec tout le fini du Théâtre-Français et
loute la passion du drame. Il un bout à l'autre de son rôle il est digne, noble et
pathétique ; c'est bien là un grand seigneur de la vieille roche et un amiral qui a
gagné ses épaulettes et ses croix à la pointe de son épée. Cependant l'uniforme
ne lui va pas bien et lorsqu'il est en grand costume, son chapeau à plumes sur
la tête, il nous a rappelé, malgré nous, Vautrin , mais cela n'a duré qu'un ins-
tant et le grand seigneur a reparu bien vite. It n'a pu s'empêcher non plus de
recourir à son effet habituel d'arracher sa cravate et de montrer son gilet de fla-
nelle, mais cette fois-ci c'était bien situation : M. Tardieu a démontré, dans le
procès Armand, qu'eu certaines circonstances un lien autour du col, quelque
lûche qu'il fût, pouvait amener la suffocation.
Et le public, comme il l'applaudissait et rappelait frénétiquement à chaque
acte, à chaque scène! Des qu'il paraissait, un silence religieux se faisait dans la
salle, comme lorsqu'autretbts M. Tniers montait à la tubune, et l'on semblait
lui dire : « Va, vieux lion, rugis aussi bas que tu voudras, nous ne perdrons
pas une note de tes rugissements! »
Quelle soirée ! quel acteur! quel public !
Son fils a su se faire applaudir à côté de lui; c'est le plus grand éloge qu'on
puisse lui faire.
Malgré soi on cherchait, auprès de Frédérick Mme Dorval ; il n'y avait que
Mlle Lemerle ! Faites des chapeaux, Mlle Lemerle.
CHRtSTOl'HE.
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