196
LA VIE PARISIENNE
TJ N SALON DE PARIS
NOUVELLE (1)
Ili
En approchant de l'extrémité de la galerie attenante au salon de
Mme de Retz, Bauvron entendit derrière la porte une voix monotone et
pénétrante qui parlait et. s'arrêtait à intervalles égaux: c était comme
des gouttes d'huile tombant sur un plat d'argent.
— A qui appartient cette voix? demanda-t-il à Lansac.
— C'est celle de mon cousin de Navailles.
— Je l'avais dc\iné. Tais-toi et écoutons.
La voix disait :
— Ici l'émotion morale se confond avec celle de sens ; les idées, les
sentiments de l'âme avec les instincts de l'animal; la brutalité calcu-
lée (et comme recherchée en haine de notre sociélé amollie) avec la
grandeur. Est-ce làl'emction que je viens chercher au théatre? Sont-;: e
là les vraies ressources de l'art dramatique? Oh! permettez-moi de
croire qu'il n'en est rien. Non, poëte imprudent! vous avez dépassé
le but, vous avez méconnu ce beau précepte qui domine ] .'art anti-
que : l'excès dans la passion ôte la dignité. Non, vous dis-je, je me
refuse à vous suivre, car ici mon sentiment deviendrait sensation et
ma pi ié souffrance. Non, vous ne devez pas, vous ne^ pouvez pas pré-
tendre exciter ma sympathie ; car je ne l'accorde qu aux douleurs et
aux combats de l'âme, et vous étalez sous mes yeux les plaies dégoû-
tantes du cirque! . ,
— A qui en a-t-il? dit Bauvron. Est-ce qu'il y a dans la société de
Mmc de Retz quelque poëte fourvoyé?
— Non, ceci est un simple jugement sur quelque œuvre litté-
raire.
— Tu appelles cela simple, et c'est ainsi qu'on cause chez vous!
Mais écoutons, je voudrais deviner...
La voix coulait toujours .
— Quoi! au milieu de tant de vices, de souillures, de crimes épou-
vantables, celte femme a conservé la plus pure des tendresses, la
tendresse ma'ernelle! Et tous ces vices n'étouffent pas cette vertu
unique, ou cette vertu unique ne purifie pas tous ces vices? Au cor,-
traire, ils se partagent ce . auvre cœur. Quoi! vous avez prépara de
tels contrastes, ménagé de tels effets, persuadé que cette lumière
brillerait d'autant mieux à travers les ombres, que ces ombres en-
toureraient d'autant mieux cette lumière ! Oh! que non pas. Oh ! qu'il
n'en est pas ainsi dans le cœur de l'homme! De même qu'un seul
vice dans une âme vertueuse peut la corrompre tout entière, de
môme aussi (il faut le dire, le proclamer, car cela est aussi naturel
que consolant, aussi consolant que naturel) une seule vertu dans une
âme vicieuse peut, doit la convertir tout entière au bien. Non, vous
ne pouvez pas, suivant votre odieuse expression, mettre la mère dans
le monstre.
— Dieu me pardonne! dit Bauvron en étouffant ses rires, il parle
de Lucre e Borgia .
— Pourquoi ris-tu? J'ai lu l'ouvrage dont il s'agit, et je trouve le
jugement de M. de Navailles très-juste et très-sensé.
— Et moi aussi, très-juste, trop juste, si juste qu'il n'est pas de
bon sens vulgaire qui nc trouve, en les cherchant, des remarques pa-
reilles. Aussi je ris de voir un homme qui se dit sérieux couvrir de
toutes les lieurs de sa rhétorique et mettre sous verre de pareilles
balivernes.
Sans attendre la réponse de Lansac, qui paraissait n'avoir pas très-
bien compris, Bauvron entra. M. de Navailles était accoudé
à la cheminée, sur le bras gauche, lançant de temps à autre sa main
droite à la façon des magnétiseurs, pour appuyer sa parole susurrante.
Il était dins la pose du Bacchus Hermaphrodite; mais son long
corps d'homme de cinquante ans, bien conservé, décrivait une courbe
infiniment moins gracieuse. Il interrompit poliment sor: petit cours
de littérature, et, bien qu'il fût contrarié de cette interruption, un
sourire gracieux se peignit sur ses lèvres et illumina tous ses traits.
Une douzaine d'hommes du même fige que M. de Navailles, ou plutôt
douze messieurs assis régulièrement autour de la cheminée, le cha-
peau Ii. la main, gantés et cravatée, se levèrent lentement. Mmc de
Retz, qui était assise au coin gauche, se tourna sans se lever vers
les arrivants et s'inclina légèrement. Elle se demandait quel pouvait
être ce nouveau venu ; elle craignait que son jeune parent n'eût in-
troduit au cénac e quelque profane. Cependant, elle aussi lança à tout
hasard le sourire qu'elle avait à son service depuis le temps du Di-
rectoire. C'était, chose singulière à voir q"e ce visage d'une blancheur
excessive et encadré de boucles blanches, qui, tout à l'heure impss-
lubie et pareil à. une statue funèbre, s'animail tout à coup comme mû
par un ressort, retrouvait dans un éclair toute sa jeunesse, toute sa
grnce, toute sa délicatesse féminine, racontait toute une vie royale,
puis reprenait son immobilité.
Mmc de Retz était grande et d'une taille admirable. Elle portait le
soir une lévite de moire blanche de sa composition, et qui n'était
d'aucun temps. Le seul objet qui eût une date dans sa toilette était
(t) Voir le numéro du ::!G niais.
son grand éventail, avec laquelle elle ne s'éventait jamais, mais que
souvent elle faisait jouer comme à la Comédie..
La jolie Mme de Lansac et son amie Mlle de Navailles faisaient des
réussites dans un coin du salon. Avec le sans-gêne moderne,
eurent à peine l'air de s'apercevoir de l arrivée de Bauvron. Celui-ci,
en comparant les deux jeunes femmes et Mme de Hetz, vit bienjjue
c'était là une femme d'une espèce différente, bien autrement
femme, qui avait marqué dans l'histoire de son temps, qui
avait eu autorité sur d'autres qu 'un mari ou un amant; une
de ces femmes qui, même en ne vous donnant rien,
vous récompenser de la peine qu'on se donnait autre fois
leur plaire, et vous tenir pendant des années sous le ,. "ur
dans cet état dont M. de Navailles aurait pu dirii aussi que
morale s'y confond avec celle des sens. Dans sa jeunesse i émotion
e
avait passé pour sotte ; sa grande beauté lui avait va 'rette
tion. D'ailleurs, elle n'était éloquente et irrési? ' ^ang réputa-
|eg
grandes occasions, quand elle avait un motif Lparier. Ordinaire-
ment son esprit était tout négatif, non de SI1 r le mais d>inleliiger)Ce.
Elle montrait plutôt par ses ac tes q r ses propos combien
elle était fine observatrice. Elle s^aU .cl plutôt faire causer que
causer. Aussi avait-elle era ce qurjn appelait autrefois un salon.
Ce salon, aujourd hl!.1 à U'.ùltié dépeuplé, était boisé, blanc et or,
un peu vide et nu, malgré les dorures dont il était surchargé. Les
vastes fauteuils r... pieds droits de Jacob, les rideaux de drap sem-
blaient somno . r.omme les hôtes. Ce qu'il y avait, de plus vivant
dans la eh-- 1 c'était le portrait en pied de Mme de Relz en cos-
tume du ",on ¡:'u lat. Elle souriait du sourire inaltérable des déesses an-
tiques ^ Vue de dos, elle se retournait vers le spectateur en levant un
des oras, comme pour faire voir son visage et sa poitrine. Ses cheveux,
e'.i boucles folâtres, se jouaientsurson cou et sur son front. Une cein-
ture ruban, fixée par des camées entre les seins qu'elle soutenait,
retombait par derrièrp en bouts très-longs. La robe, décolletée en
pointe, cachait à moitié la poitrine et les épaules, dont elle dessinait
les contours. A partir de la ceinture, des flots transparents de mous-
seline tombaient en tunique, à longs et larges plis autour d'elle.
Comme en une gravure de modes, les bras, couverts de serpents
d'or, écartaient le châle de cachemire rouge, afin qu'aucun détail de
l'ajustement ne pÙt échapper à l'œil.
— Madame, dit Lansac, permettez-moi de vous présenter mon ami,
le chevalier de Bauvron, dont j'ai eu plusieurs fois l'honneur de vous
entretenir.
Bauvron, ses moustaches et sa cravate s'inclinèrent; il s'approcha
ensuite de M. de Navailles, qu'il avait rencontré plusieurs fois dom le
monde et dont il avait fait danser la fille, au temps où il n'avait pas
encore rompu avec son père. Il s'informa avec sollicitude de sa santé.
M. de Navailles et la marquise savaient les différends de la famille
Bauvron et considéraient le fils comme un très-mauvais gas ; ils se
renfermèrent tous les deux dans une politesse froide. Bauvron était
de leur caste : ils se croyaient tenus envers lui à plus de roideur
qu'envers un plébéien. Donc, Bauvron une fois installé et assis, M. de
Navailles continua son petit cours de littérature.
De petits cours de littérature entremêlés de satires politiques, tel
était le fond de la conversation dans le salon de la marquise. Ce n'é-
tait pus la conversation à la manière moderne, des mots lancés, puis
rejetés, un cliquetis de voix partant à la fois de différents côtés; cha-
cun parlait à son tour et indiquait le plus souvent qu'il allait parler
en se levant. Bauvron remarqua que la marquise seule se permettait
d'interrompre et que les hommes ne se coupaient jamais la parole :
politesse exquise qui le frappa, mais lui parut superlativement en-
nuyeuse. Ce salon avait perdu -son élément vivace, le feu, la variété,
l'actualité et l'importance sociale qu'il tenait autrefois du dehors;
quand tous ceux qui s'y réunissaient venaient là comme sur un ter-
rain neutre, s'écouter vivre et penser après une journée de lutte et
d'affaires ; quand tous étaient mêlés aux grands intérêts du pays.
Maintenant, réduits à une inaction forcée, tournant toujours dans le
même cercle d'idées et d'amers regrets, leur délicatesse de pensée
s'était peu à peu changée en niaiserie, leurs convictions en diatribes.
Tous ceux qui, parmi les fidèles de la marquise, s'étaient senti quel-
que jeunesse et quelque énergie, s'étaient retirés dans leurs vastes
terres, où ils essayaient des perfectionnements agricoles et s'occu-
paient de réunir autour d'eux de nombreux clients. Pour combler
ces vides, la marquise avait admis chez elle des plébéiens lettrés,
hommes d'esprit ou soi-disant tels, chargés d'être les interprètes de
l'aristocratique mécontentement et de ridiculiser les actes et surtout
les hommes du pouvoir. Une certaine vergogne et des habitudes élé-
gantes maintenaient toujours l'opposition g es gentilshommes dans les
bornes décentes ; mais les plébéiens lettrés, eux, n'avaient rien à mé-
rager et ne ménageaient rien. Ces invalides de la pensée, bouffons
qui se trouvaient suffisamment payés par la joie d'être là, par le
colportage de leurs bons mots, par la satisfaction de lire, au milieu
d'un silence religieux, quelque fable vieillotte ou quelque épitre ri-
dicule, étaient sûrs de voir favorablement accueillie toute imputation
calomnieuse, même ordurière en sa forme, si elle frappait sur l'ordre
de choses établi . « Oh! mon cher monsieur, leur disait-on, vous al-
LA VIE PARISIENNE
TJ N SALON DE PARIS
NOUVELLE (1)
Ili
En approchant de l'extrémité de la galerie attenante au salon de
Mme de Retz, Bauvron entendit derrière la porte une voix monotone et
pénétrante qui parlait et. s'arrêtait à intervalles égaux: c était comme
des gouttes d'huile tombant sur un plat d'argent.
— A qui appartient cette voix? demanda-t-il à Lansac.
— C'est celle de mon cousin de Navailles.
— Je l'avais dc\iné. Tais-toi et écoutons.
La voix disait :
— Ici l'émotion morale se confond avec celle de sens ; les idées, les
sentiments de l'âme avec les instincts de l'animal; la brutalité calcu-
lée (et comme recherchée en haine de notre sociélé amollie) avec la
grandeur. Est-ce làl'emction que je viens chercher au théatre? Sont-;: e
là les vraies ressources de l'art dramatique? Oh! permettez-moi de
croire qu'il n'en est rien. Non, poëte imprudent! vous avez dépassé
le but, vous avez méconnu ce beau précepte qui domine ] .'art anti-
que : l'excès dans la passion ôte la dignité. Non, vous dis-je, je me
refuse à vous suivre, car ici mon sentiment deviendrait sensation et
ma pi ié souffrance. Non, vous ne devez pas, vous ne^ pouvez pas pré-
tendre exciter ma sympathie ; car je ne l'accorde qu aux douleurs et
aux combats de l'âme, et vous étalez sous mes yeux les plaies dégoû-
tantes du cirque! . ,
— A qui en a-t-il? dit Bauvron. Est-ce qu'il y a dans la société de
Mmc de Retz quelque poëte fourvoyé?
— Non, ceci est un simple jugement sur quelque œuvre litté-
raire.
— Tu appelles cela simple, et c'est ainsi qu'on cause chez vous!
Mais écoutons, je voudrais deviner...
La voix coulait toujours .
— Quoi! au milieu de tant de vices, de souillures, de crimes épou-
vantables, celte femme a conservé la plus pure des tendresses, la
tendresse ma'ernelle! Et tous ces vices n'étouffent pas cette vertu
unique, ou cette vertu unique ne purifie pas tous ces vices? Au cor,-
traire, ils se partagent ce . auvre cœur. Quoi! vous avez prépara de
tels contrastes, ménagé de tels effets, persuadé que cette lumière
brillerait d'autant mieux à travers les ombres, que ces ombres en-
toureraient d'autant mieux cette lumière ! Oh! que non pas. Oh ! qu'il
n'en est pas ainsi dans le cœur de l'homme! De même qu'un seul
vice dans une âme vertueuse peut la corrompre tout entière, de
môme aussi (il faut le dire, le proclamer, car cela est aussi naturel
que consolant, aussi consolant que naturel) une seule vertu dans une
âme vicieuse peut, doit la convertir tout entière au bien. Non, vous
ne pouvez pas, suivant votre odieuse expression, mettre la mère dans
le monstre.
— Dieu me pardonne! dit Bauvron en étouffant ses rires, il parle
de Lucre e Borgia .
— Pourquoi ris-tu? J'ai lu l'ouvrage dont il s'agit, et je trouve le
jugement de M. de Navailles très-juste et très-sensé.
— Et moi aussi, très-juste, trop juste, si juste qu'il n'est pas de
bon sens vulgaire qui nc trouve, en les cherchant, des remarques pa-
reilles. Aussi je ris de voir un homme qui se dit sérieux couvrir de
toutes les lieurs de sa rhétorique et mettre sous verre de pareilles
balivernes.
Sans attendre la réponse de Lansac, qui paraissait n'avoir pas très-
bien compris, Bauvron entra. M. de Navailles était accoudé
à la cheminée, sur le bras gauche, lançant de temps à autre sa main
droite à la façon des magnétiseurs, pour appuyer sa parole susurrante.
Il était dins la pose du Bacchus Hermaphrodite; mais son long
corps d'homme de cinquante ans, bien conservé, décrivait une courbe
infiniment moins gracieuse. Il interrompit poliment sor: petit cours
de littérature, et, bien qu'il fût contrarié de cette interruption, un
sourire gracieux se peignit sur ses lèvres et illumina tous ses traits.
Une douzaine d'hommes du même fige que M. de Navailles, ou plutôt
douze messieurs assis régulièrement autour de la cheminée, le cha-
peau Ii. la main, gantés et cravatée, se levèrent lentement. Mmc de
Retz, qui était assise au coin gauche, se tourna sans se lever vers
les arrivants et s'inclina légèrement. Elle se demandait quel pouvait
être ce nouveau venu ; elle craignait que son jeune parent n'eût in-
troduit au cénac e quelque profane. Cependant, elle aussi lança à tout
hasard le sourire qu'elle avait à son service depuis le temps du Di-
rectoire. C'était, chose singulière à voir q"e ce visage d'une blancheur
excessive et encadré de boucles blanches, qui, tout à l'heure impss-
lubie et pareil à. une statue funèbre, s'animail tout à coup comme mû
par un ressort, retrouvait dans un éclair toute sa jeunesse, toute sa
grnce, toute sa délicatesse féminine, racontait toute une vie royale,
puis reprenait son immobilité.
Mmc de Retz était grande et d'une taille admirable. Elle portait le
soir une lévite de moire blanche de sa composition, et qui n'était
d'aucun temps. Le seul objet qui eût une date dans sa toilette était
(t) Voir le numéro du ::!G niais.
son grand éventail, avec laquelle elle ne s'éventait jamais, mais que
souvent elle faisait jouer comme à la Comédie..
La jolie Mme de Lansac et son amie Mlle de Navailles faisaient des
réussites dans un coin du salon. Avec le sans-gêne moderne,
eurent à peine l'air de s'apercevoir de l arrivée de Bauvron. Celui-ci,
en comparant les deux jeunes femmes et Mme de Hetz, vit bienjjue
c'était là une femme d'une espèce différente, bien autrement
femme, qui avait marqué dans l'histoire de son temps, qui
avait eu autorité sur d'autres qu 'un mari ou un amant; une
de ces femmes qui, même en ne vous donnant rien,
vous récompenser de la peine qu'on se donnait autre fois
leur plaire, et vous tenir pendant des années sous le ,. "ur
dans cet état dont M. de Navailles aurait pu dirii aussi que
morale s'y confond avec celle des sens. Dans sa jeunesse i émotion
e
avait passé pour sotte ; sa grande beauté lui avait va 'rette
tion. D'ailleurs, elle n'était éloquente et irrési? ' ^ang réputa-
|eg
grandes occasions, quand elle avait un motif Lparier. Ordinaire-
ment son esprit était tout négatif, non de SI1 r le mais d>inleliiger)Ce.
Elle montrait plutôt par ses ac tes q r ses propos combien
elle était fine observatrice. Elle s^aU .cl plutôt faire causer que
causer. Aussi avait-elle era ce qurjn appelait autrefois un salon.
Ce salon, aujourd hl!.1 à U'.ùltié dépeuplé, était boisé, blanc et or,
un peu vide et nu, malgré les dorures dont il était surchargé. Les
vastes fauteuils r... pieds droits de Jacob, les rideaux de drap sem-
blaient somno . r.omme les hôtes. Ce qu'il y avait, de plus vivant
dans la eh-- 1 c'était le portrait en pied de Mme de Relz en cos-
tume du ",on ¡:'u lat. Elle souriait du sourire inaltérable des déesses an-
tiques ^ Vue de dos, elle se retournait vers le spectateur en levant un
des oras, comme pour faire voir son visage et sa poitrine. Ses cheveux,
e'.i boucles folâtres, se jouaientsurson cou et sur son front. Une cein-
ture ruban, fixée par des camées entre les seins qu'elle soutenait,
retombait par derrièrp en bouts très-longs. La robe, décolletée en
pointe, cachait à moitié la poitrine et les épaules, dont elle dessinait
les contours. A partir de la ceinture, des flots transparents de mous-
seline tombaient en tunique, à longs et larges plis autour d'elle.
Comme en une gravure de modes, les bras, couverts de serpents
d'or, écartaient le châle de cachemire rouge, afin qu'aucun détail de
l'ajustement ne pÙt échapper à l'œil.
— Madame, dit Lansac, permettez-moi de vous présenter mon ami,
le chevalier de Bauvron, dont j'ai eu plusieurs fois l'honneur de vous
entretenir.
Bauvron, ses moustaches et sa cravate s'inclinèrent; il s'approcha
ensuite de M. de Navailles, qu'il avait rencontré plusieurs fois dom le
monde et dont il avait fait danser la fille, au temps où il n'avait pas
encore rompu avec son père. Il s'informa avec sollicitude de sa santé.
M. de Navailles et la marquise savaient les différends de la famille
Bauvron et considéraient le fils comme un très-mauvais gas ; ils se
renfermèrent tous les deux dans une politesse froide. Bauvron était
de leur caste : ils se croyaient tenus envers lui à plus de roideur
qu'envers un plébéien. Donc, Bauvron une fois installé et assis, M. de
Navailles continua son petit cours de littérature.
De petits cours de littérature entremêlés de satires politiques, tel
était le fond de la conversation dans le salon de la marquise. Ce n'é-
tait pus la conversation à la manière moderne, des mots lancés, puis
rejetés, un cliquetis de voix partant à la fois de différents côtés; cha-
cun parlait à son tour et indiquait le plus souvent qu'il allait parler
en se levant. Bauvron remarqua que la marquise seule se permettait
d'interrompre et que les hommes ne se coupaient jamais la parole :
politesse exquise qui le frappa, mais lui parut superlativement en-
nuyeuse. Ce salon avait perdu -son élément vivace, le feu, la variété,
l'actualité et l'importance sociale qu'il tenait autrefois du dehors;
quand tous ceux qui s'y réunissaient venaient là comme sur un ter-
rain neutre, s'écouter vivre et penser après une journée de lutte et
d'affaires ; quand tous étaient mêlés aux grands intérêts du pays.
Maintenant, réduits à une inaction forcée, tournant toujours dans le
même cercle d'idées et d'amers regrets, leur délicatesse de pensée
s'était peu à peu changée en niaiserie, leurs convictions en diatribes.
Tous ceux qui, parmi les fidèles de la marquise, s'étaient senti quel-
que jeunesse et quelque énergie, s'étaient retirés dans leurs vastes
terres, où ils essayaient des perfectionnements agricoles et s'occu-
paient de réunir autour d'eux de nombreux clients. Pour combler
ces vides, la marquise avait admis chez elle des plébéiens lettrés,
hommes d'esprit ou soi-disant tels, chargés d'être les interprètes de
l'aristocratique mécontentement et de ridiculiser les actes et surtout
les hommes du pouvoir. Une certaine vergogne et des habitudes élé-
gantes maintenaient toujours l'opposition g es gentilshommes dans les
bornes décentes ; mais les plébéiens lettrés, eux, n'avaient rien à mé-
rager et ne ménageaient rien. Ces invalides de la pensée, bouffons
qui se trouvaient suffisamment payés par la joie d'être là, par le
colportage de leurs bons mots, par la satisfaction de lire, au milieu
d'un silence religieux, quelque fable vieillotte ou quelque épitre ri-
dicule, étaient sûrs de voir favorablement accueillie toute imputation
calomnieuse, même ordurière en sa forme, si elle frappait sur l'ordre
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