LA VIE PARISIENNE
177
trahissent la distinction native et révèlent cette fleur d'adorable cour-
toisie qui ne saurait nuire au ministre de Dieu et dont on ne peut se
passer de ce côté-ci de la rue du Bac.
Si Dieu veut qu'il y ait dans le monde un Faubourg-Saint-Germain,
et l'on ne saurait nier qu'il le souhaite, n'est-il pas juste qu'il nous
donne un ministre parlant notre langue et comprenant nos délica-
tesses? Cela tombe sous le sens, et je ne comprends pas, en vérité,
certaines de ces dames qui viennent me p l'1er de l'abbé Brice ; non
pas que je veuille dire du mal de ce brave abbé, ce n'est ni le mo-
ment, ni l'endroit. C'est un saint homme, mais d'une sainteté un peu
commune et qui demanderait un coup de brosse.
Il faut lui mettre les points sur les 1; il comprend mal ou ne com-
prend pas du tout.
Avouez-lui une peccadille et son sourcil se fronce, il lui faut
l'heure, l'instant, les circonstances, les antécédents ; il examine, il
palpe, il pèse et finit, avec ses mille questions, par être indiscret et
friser l'inconvenance. N'y a-t-il pas même dans la sainte mission du
prêtre une façon d'être sévère avec politesse et de rester gentilhomme
avec les gens bien nés?
L'abbé Brice sent la charrue, pourquoi ne le dirais je pas? et cela
lui nuira. — Il est bien un peu républicain ! mal chaussé, des ongles
déplorables et quand il a ses gants — deux fois par an — ses doigts
restent écartés et roides...
Je ne nie pas ses admirables vertus, remarquez bien, mais vous
aurez beau faire, vous n'amenerez jamais une femme du monde à
raconter ses petites affaires au fils de son fermier, en lui disant
mon 1ère.
Il ne faut pas non plus pousser les choses jusqu'à l'absurde.
Et puis, je ne sais, mais cet excellent Brice répand une détestable
odeur de tabac à priser.
Il confesse toutes sortes de gens, et vous conviendrez qu'il est
désagréable d'avoir sa femme de chambre ou sa cuisinière pour vis-
à-vis de cellule?
Il n'y a pas de femme comprenant mieux que vous, chère madame,
l'humilité chrétienne ; mais enfin, vous n'avez pas l'habitude d'aller
en omnibus, et vous ne tenez pas à le prendre.
On vous dira qu'au ciel vous serez trop heureuse d'appeler votre
cocher mon frère et de dire à Rosalie ma sœur, mais ces braves gens
auront avant, passé par le purgatoire, et le feu purifie tout. D'ailleurs
qui m'assure que Rosalie ira au ciel, puisque vous-même, chère
madame, vous n'êtes pas sûre d'y entrer!
On comprend donc parfaitement que la chapelle de l'abbé Gélon
soit pleine. Si l 'on chuchotte un peu c'est qu'il y a trois grandes
heures que l'on attend et qne tout le monde se connaît.
Toutes ces dames sont là en vérité.
Faites-moi donc une petite place, ma belle, dit. tout bas une nou-
velle arrivante en se faufilant au milieu des jupes, des prie-Dieu et
des chaises.
Ah c'est vous, chère amie; venez donc! Clémentine et Mmc de B.
sont là dans le.coin, à la boui he du canon. Vous en avez pour deux
bonnes heures.
Si M,ne de B. est là, ça ne m'étonne pas, elle est intarissable et il
n 'y a pas de femme qui... raconte plus lentement. Est-ce que tout
ce monde là n'a pas encore passé? Ah voilà Ernestine, (Elle lui
adresse de la main un petit salut discret.) c'est un ange cet enfant là.
Elle m'a avoué l'autre jour qu'elle avait la conscience fort troublée,
parce qu 'à la lecture de la Passion elle ne pouvait pas se décider à
embrasser le paillasson.
Ah charmant! mais, dites-moi, est-ce que vous l'embrassez, ce
paillasson?
Moi? jamais de la vie; c'est fort malpropre, ma chère.
Vous en accusez-vous au moins?
Oh ! je m accuse de tous ces petits brinborions en masse, je dis :
mon père, j 'ai eu du respect humain. Je donne le total.
— C'est absolument comme moi, et ce bon abbé Gélon acquitte la
note.
— Sérieusement le temps lui manquerait s'il voulait faire autre-
ment. Mais il me semble que nous causons un peu trop, mignonne,
permettez que je songe à mes affaires.
Madame s'étale sur son prie-Dieu. Elégamment elle ôle, sans quit-
ter les yeux de l'autel, le gant de sa main droite, et de son pouce
elle fait tourner, en remuant les lèvres, sa bague de Sainte-Geneviève
qui lui sert de chapelet. Piiis,l: s yeux baissés et la bouche pincée, elle
soulève le fermoir fleurdelisé de son livre d'heures et y cherche les
prières qui ont rapport à sa position.
(Lisant avec ferveur) Mon Dieu, c'est accablée sovs le poids de mes
fautes que je me prosterre à vos piels... — Ce qui est désolant c'est le
froid aux pieds. Avec mon mal de gorge, c'est une bonne grippe que
ça me coûtera... — Que je me prosterne à voi pieds... — Dites-moi, ma
belle, savez-vous si la femme des cierges à une chaufferette? Rien
n'est plus mauvais que le froid aux pieds, et cette Madame de P...
qui reste-là des heures! je suis sûre qu'elle raconte les péchés de ses
amies en même temps que les siens. — Ça n'a pas le sens commun !
je ne fens plus mon pied droit, je lui payerais sa chaufferette à cette
femme 1 (lisant) f incline mon front d ms la poussière sous le puids du re-
pentir et de la...
Ah! Madame de P... a fini, elle est rouge comme un coq. Quatre
dames se précipitent avec un pieux élan pour la remplacer.
— Ah! madame, ne me poussez pas, je vous prie.
— Mais, madame, j'étais ici avant vous.
— Je vous demande mille pardons, madame.
— Vous entendez singulièrement le respect du saint lieu!
Chut! chut ! —Profitez de l'occasion, madame, faufilez-vous et pre-
nez la place vide, (à l'oreille) n'oubliez pas le gros d'hier, et les deux
petits de ce matin.
Z.
SONNET
Lorsque le soir, placé sous une girandole,
Vous regardez le bal déjà près tle finir,
Avez-vous vu, lecteur, un mari bénévole,
En attendant sa femme, et bâiller et gémir.
Le pauvre homme a perdu mille écus sur parole,
Quatre heures vont sonner, il voudrait bien dormir;
Madame est à danser ; — Madame est un peu folle,
Et songe beaucoup moins au sommeil qu'au plaisir.
Il l'appel!e, il la somme et de l'œil et du geste,
On lui voit des fureurs dignes du vieil Oreste,
Et les sourcils froncés d'un Jupiter tonnant.
Mais l'orchestre a parlé; la dame passe et preste,
Elle lui jette un mot tout en cotillonnant:
« Qu'avez-vous donc, Monsieur, je vous trouve étonnant! Il
B.
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trahissent la distinction native et révèlent cette fleur d'adorable cour-
toisie qui ne saurait nuire au ministre de Dieu et dont on ne peut se
passer de ce côté-ci de la rue du Bac.
Si Dieu veut qu'il y ait dans le monde un Faubourg-Saint-Germain,
et l'on ne saurait nier qu'il le souhaite, n'est-il pas juste qu'il nous
donne un ministre parlant notre langue et comprenant nos délica-
tesses? Cela tombe sous le sens, et je ne comprends pas, en vérité,
certaines de ces dames qui viennent me p l'1er de l'abbé Brice ; non
pas que je veuille dire du mal de ce brave abbé, ce n'est ni le mo-
ment, ni l'endroit. C'est un saint homme, mais d'une sainteté un peu
commune et qui demanderait un coup de brosse.
Il faut lui mettre les points sur les 1; il comprend mal ou ne com-
prend pas du tout.
Avouez-lui une peccadille et son sourcil se fronce, il lui faut
l'heure, l'instant, les circonstances, les antécédents ; il examine, il
palpe, il pèse et finit, avec ses mille questions, par être indiscret et
friser l'inconvenance. N'y a-t-il pas même dans la sainte mission du
prêtre une façon d'être sévère avec politesse et de rester gentilhomme
avec les gens bien nés?
L'abbé Brice sent la charrue, pourquoi ne le dirais je pas? et cela
lui nuira. — Il est bien un peu républicain ! mal chaussé, des ongles
déplorables et quand il a ses gants — deux fois par an — ses doigts
restent écartés et roides...
Je ne nie pas ses admirables vertus, remarquez bien, mais vous
aurez beau faire, vous n'amenerez jamais une femme du monde à
raconter ses petites affaires au fils de son fermier, en lui disant
mon 1ère.
Il ne faut pas non plus pousser les choses jusqu'à l'absurde.
Et puis, je ne sais, mais cet excellent Brice répand une détestable
odeur de tabac à priser.
Il confesse toutes sortes de gens, et vous conviendrez qu'il est
désagréable d'avoir sa femme de chambre ou sa cuisinière pour vis-
à-vis de cellule?
Il n'y a pas de femme comprenant mieux que vous, chère madame,
l'humilité chrétienne ; mais enfin, vous n'avez pas l'habitude d'aller
en omnibus, et vous ne tenez pas à le prendre.
On vous dira qu'au ciel vous serez trop heureuse d'appeler votre
cocher mon frère et de dire à Rosalie ma sœur, mais ces braves gens
auront avant, passé par le purgatoire, et le feu purifie tout. D'ailleurs
qui m'assure que Rosalie ira au ciel, puisque vous-même, chère
madame, vous n'êtes pas sûre d'y entrer!
On comprend donc parfaitement que la chapelle de l'abbé Gélon
soit pleine. Si l 'on chuchotte un peu c'est qu'il y a trois grandes
heures que l'on attend et qne tout le monde se connaît.
Toutes ces dames sont là en vérité.
Faites-moi donc une petite place, ma belle, dit. tout bas une nou-
velle arrivante en se faufilant au milieu des jupes, des prie-Dieu et
des chaises.
Ah c'est vous, chère amie; venez donc! Clémentine et Mmc de B.
sont là dans le.coin, à la boui he du canon. Vous en avez pour deux
bonnes heures.
Si M,ne de B. est là, ça ne m'étonne pas, elle est intarissable et il
n 'y a pas de femme qui... raconte plus lentement. Est-ce que tout
ce monde là n'a pas encore passé? Ah voilà Ernestine, (Elle lui
adresse de la main un petit salut discret.) c'est un ange cet enfant là.
Elle m'a avoué l'autre jour qu'elle avait la conscience fort troublée,
parce qu 'à la lecture de la Passion elle ne pouvait pas se décider à
embrasser le paillasson.
Ah charmant! mais, dites-moi, est-ce que vous l'embrassez, ce
paillasson?
Moi? jamais de la vie; c'est fort malpropre, ma chère.
Vous en accusez-vous au moins?
Oh ! je m accuse de tous ces petits brinborions en masse, je dis :
mon père, j 'ai eu du respect humain. Je donne le total.
— C'est absolument comme moi, et ce bon abbé Gélon acquitte la
note.
— Sérieusement le temps lui manquerait s'il voulait faire autre-
ment. Mais il me semble que nous causons un peu trop, mignonne,
permettez que je songe à mes affaires.
Madame s'étale sur son prie-Dieu. Elégamment elle ôle, sans quit-
ter les yeux de l'autel, le gant de sa main droite, et de son pouce
elle fait tourner, en remuant les lèvres, sa bague de Sainte-Geneviève
qui lui sert de chapelet. Piiis,l: s yeux baissés et la bouche pincée, elle
soulève le fermoir fleurdelisé de son livre d'heures et y cherche les
prières qui ont rapport à sa position.
(Lisant avec ferveur) Mon Dieu, c'est accablée sovs le poids de mes
fautes que je me prosterre à vos piels... — Ce qui est désolant c'est le
froid aux pieds. Avec mon mal de gorge, c'est une bonne grippe que
ça me coûtera... — Que je me prosterne à voi pieds... — Dites-moi, ma
belle, savez-vous si la femme des cierges à une chaufferette? Rien
n'est plus mauvais que le froid aux pieds, et cette Madame de P...
qui reste-là des heures! je suis sûre qu'elle raconte les péchés de ses
amies en même temps que les siens. — Ça n'a pas le sens commun !
je ne fens plus mon pied droit, je lui payerais sa chaufferette à cette
femme 1 (lisant) f incline mon front d ms la poussière sous le puids du re-
pentir et de la...
Ah! Madame de P... a fini, elle est rouge comme un coq. Quatre
dames se précipitent avec un pieux élan pour la remplacer.
— Ah! madame, ne me poussez pas, je vous prie.
— Mais, madame, j'étais ici avant vous.
— Je vous demande mille pardons, madame.
— Vous entendez singulièrement le respect du saint lieu!
Chut! chut ! —Profitez de l'occasion, madame, faufilez-vous et pre-
nez la place vide, (à l'oreille) n'oubliez pas le gros d'hier, et les deux
petits de ce matin.
Z.
SONNET
Lorsque le soir, placé sous une girandole,
Vous regardez le bal déjà près tle finir,
Avez-vous vu, lecteur, un mari bénévole,
En attendant sa femme, et bâiller et gémir.
Le pauvre homme a perdu mille écus sur parole,
Quatre heures vont sonner, il voudrait bien dormir;
Madame est à danser ; — Madame est un peu folle,
Et songe beaucoup moins au sommeil qu'au plaisir.
Il l'appel!e, il la somme et de l'œil et du geste,
On lui voit des fureurs dignes du vieil Oreste,
Et les sourcils froncés d'un Jupiter tonnant.
Mais l'orchestre a parlé; la dame passe et preste,
Elle lui jette un mot tout en cotillonnant:
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