LA VIE PARISIENNE
m
NOTES SUR PARIS
AUX ITALIENS
Il me semble que j 'ai été injuste la dernière fois pour le public
des Italiens. Il faisait trop chaud, probablement j'avais des nerfs,
quand au retour j'ai griffonné mes notes.
Charmante jeune fille de seize ans dans la troisième loge de
face. La loge est louée à l 'année. Le père, la mère, accompagnent;
quelquefois le frère, un élégant, un membre du Jockey-Club, à
cravates irréprochables, avec une petite tête volontaire, un air
sec et de défi hautain, le regard dur en homme habitué à ma-
nier et mener les chevaux et les filles, les tilles plus rudement
que les chevaux ; assez régulièrement un grand long gaillard, un
gentilhomme de campagne, barbu et velu, avec la mine d'un
orang-outang distingué, probablement un futur en expectative.
Belle famille, bien posée. La mère a des restes fort convenables.
Excellents chevaux, et laquais superbement fourrés, au péris-
tyle.
Elle s appelle Marguerite, elle est rieuse, mais sans excès, point
évaporée ni précoce : c'est l'enfant heureuse, riche, née dans le
luxe, pour qui la grande toilette, les bals, un château sont choses
aussi naturelles que l'air, qui dirait volontiers des gens sans pain:
« Eh bien, alors, qu'ils achètent de la brioche! » — Une créature
rare dans ce monde de plébéiens enrichis, travailleurs ambitieux,
piqués incessamment d'inquiétudes et rongés de convoitises. Je la
regarde depuis cinq ou six jours, elle me rafraîchit et me délasse.
Cela fait contraste. Quand je regarde les Parisiens, sur le bou-
levard, à la Bourse, au café, au théâtre, il me semble toujours
voir un pèle-môle de fourmis affairées et enragées sur lesquelles
on a versé du poivre.
Bien jolie toilette avant-hier soir : un corsage de soie bleue à
l'enfant qui serre et marque la taille et remonte un peu entre les
deux seins; au-dessus le plus moelleux nid de dentelles. Très-
chaste, et très-jeune fille encore, elle n'est que peu décolletée, et
coiffée d'une simple rose.Mais cette fine taille si visiblement prise,
et cette douce blancheur virginale pour cacher et indiquer la poi-
trine sont d'une invention savante; l'invention n'est pas d'elle,
elle suit la mode, c'est la mère qui l'habille ; elle est bien trop
jeune pour soupçonner l'effet exact de sa toilette. Ses pensées sont
trop vagues et trop neuves; c'est moi en ce moment qui explique
cet effet, en sculpteur, en homme du monde ; elle rougirait si elle
entendait mon explication. Et pourtant dans le demi-jour de ses
pensées, elle en soupçonne quelque chose. Elle sait que cela lui
va bien , qu'un autre corsage lui siérait moins bien, qu'elle
plaît, que les yeux s'attachent à sa taille. Elle ne va pas
plus loin, elle entrevoit dans un brouillard diaphane et doré
comme une aurore des choses. Une vraie rose endormie :
pendant que les vapeurs du matin s'évanouissent et que des
blancheurs lumineuses s'étalent sur le ciel nacré, elle écoute im-
mobile et comme en songe des battements d'ailes lointaines, le
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NOTES SUR PARIS
AUX ITALIENS
Il me semble que j 'ai été injuste la dernière fois pour le public
des Italiens. Il faisait trop chaud, probablement j'avais des nerfs,
quand au retour j'ai griffonné mes notes.
Charmante jeune fille de seize ans dans la troisième loge de
face. La loge est louée à l 'année. Le père, la mère, accompagnent;
quelquefois le frère, un élégant, un membre du Jockey-Club, à
cravates irréprochables, avec une petite tête volontaire, un air
sec et de défi hautain, le regard dur en homme habitué à ma-
nier et mener les chevaux et les filles, les tilles plus rudement
que les chevaux ; assez régulièrement un grand long gaillard, un
gentilhomme de campagne, barbu et velu, avec la mine d'un
orang-outang distingué, probablement un futur en expectative.
Belle famille, bien posée. La mère a des restes fort convenables.
Excellents chevaux, et laquais superbement fourrés, au péris-
tyle.
Elle s appelle Marguerite, elle est rieuse, mais sans excès, point
évaporée ni précoce : c'est l'enfant heureuse, riche, née dans le
luxe, pour qui la grande toilette, les bals, un château sont choses
aussi naturelles que l'air, qui dirait volontiers des gens sans pain:
« Eh bien, alors, qu'ils achètent de la brioche! » — Une créature
rare dans ce monde de plébéiens enrichis, travailleurs ambitieux,
piqués incessamment d'inquiétudes et rongés de convoitises. Je la
regarde depuis cinq ou six jours, elle me rafraîchit et me délasse.
Cela fait contraste. Quand je regarde les Parisiens, sur le bou-
levard, à la Bourse, au café, au théâtre, il me semble toujours
voir un pèle-môle de fourmis affairées et enragées sur lesquelles
on a versé du poivre.
Bien jolie toilette avant-hier soir : un corsage de soie bleue à
l'enfant qui serre et marque la taille et remonte un peu entre les
deux seins; au-dessus le plus moelleux nid de dentelles. Très-
chaste, et très-jeune fille encore, elle n'est que peu décolletée, et
coiffée d'une simple rose.Mais cette fine taille si visiblement prise,
et cette douce blancheur virginale pour cacher et indiquer la poi-
trine sont d'une invention savante; l'invention n'est pas d'elle,
elle suit la mode, c'est la mère qui l'habille ; elle est bien trop
jeune pour soupçonner l'effet exact de sa toilette. Ses pensées sont
trop vagues et trop neuves; c'est moi en ce moment qui explique
cet effet, en sculpteur, en homme du monde ; elle rougirait si elle
entendait mon explication. Et pourtant dans le demi-jour de ses
pensées, elle en soupçonne quelque chose. Elle sait que cela lui
va bien , qu'un autre corsage lui siérait moins bien, qu'elle
plaît, que les yeux s'attachent à sa taille. Elle ne va pas
plus loin, elle entrevoit dans un brouillard diaphane et doré
comme une aurore des choses. Une vraie rose endormie :
pendant que les vapeurs du matin s'évanouissent et que des
blancheurs lumineuses s'étalent sur le ciel nacré, elle écoute im-
mobile et comme en songe des battements d'ailes lointaines, le
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