Titre : La Vie parisienne : moeurs élégantes, choses du jour, fantaisies, voyages, théâtres, musique, modes / par Marcellin
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1864
Contributeur : Marcelin, Émile (1825-1887). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328892561
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 1864 1864
Description : 1864 (A2,N1)- (A2,N25). 1864 (A2,N1)- (A2,N25).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k1256583w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, FOL-LC13-81
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/06/2016
LA VIE PARISIENNE 151
LES BOSSUS SANS LE SAVOIR
J'ai été lié autrefois avec un charmant garçon qui rachetait de
grandes qualités morales, — il faut tout payer! — par une infirmité
physique difficile à dissimuler. Il etait bossu ; mais bossu comme
Ésope !
Dans les profondeurs de ma bonté, je souffrais vraiment de son in-
firmité, tant elle était choquante, cl j'évitais, dans la conversation,
les allusions les plus lointaines aux infirmités physiques ; lorsqu'un
jour Oll nous traversions le boulevard, nous coudoyâmes un monsieur
dont le dos, sans égaler le sien en grosseur, était cependant sensible-
ment défectueux.
— En voilà un qui est drôlement bâti, s'écria mon ami en me
montrant son semblable. Il faut avoir un aplomb infernal pour oser
sortir en plein jour quand on a de ses infirmités-là; et il partit d'un
franc éclat de rire. — Le malheureux !
D'où j'ai conclu que le propre du bossu est : 1" d'avoir une bosse ;
2° de ne pas s'en douter. Ce qui m'amena bientôt à craindre que
tous tant que nous sommes, nous ne fussions un peu contrefaits, sans
le bavoir.
Notez qu'il y a bosse et bosse ; qu'on peut l'avoir dans la cervelle
aussi bien qu'entre les deux épaules. Certains la portent au cœur, et
d'autres...
Vous riez, belle dame, et faites l'incrédule? — Oui, j'ai dit tous et
je n'en démors pas. Vous même, belle lectrice, qui me narguez sous
vos longs cils dédaigneux, vous même vous avez votre petite bosse,
coquette, élégante, mignonne au possible, mais enfin vous l'avez.
Vous en doutez ?
La voici : — Les épaules rondelettes de votre femme de chambre,
chère madame, vous font damner.
Vous avez épousé ce brave Monsieur Dumont tout court, qui est ar-
rivé à Paris en sabots, comme il le dit lui-même.
Pourquoi sur les lettres de votre dernière quête à Saint-Thomas
d'Aquin y avait-il madame Louise d'Humont?— faute d'impression !
— Lorsque vous êtes parée pour le bal, votre corsage semble un
bouquet de fleurs caché dans du satin ; pourquoi faut-il que de ce
bouquet les tiges seules soient naturelles ?
Oh ! madame, encore un coup, n'irritez pas un homme aigri ! —
Vos cheveux sont adorables, d'une couleur indécise, inappréciable
pour les amateurs ; leurs ondes dorées se détachent sur l'ivoire de
votre peau avec un charme tout à fait aristocratique.
Voilà pour la qualité, mais, madame, que dirons-nous de la quan-
tité ? C'est la troisième fois qu'on retourne en Allemagne pour ras-
sortir, vous le savez bien. Dans cette rangée de perles blanches qui
brille derrière vos jolies lèvres, faut-il avouer une petite tache
bleuâtre sur la seconde canine adroite? Cette malheureuse petite
tache qui vous fait toujours sourire de côté.
Et malgré tout cela, chère madame, n'avez-vous pas des prétentions
sérieuses à la rondeur des épaules, à la réalité du corsage, à l'abon-
dance de la chevelure, à la blancheur immaculée des canines?
Bon ! voilà que vous vous fâchez. Faites-moi mourir sous le bâton
de votre valet, mais, sur mon honneur, il y a bosse... petite... bos-
selette, si vous voulez, mais enfin il y a bosselette.— Votre pardon,
chère madame? N'est-il pas visible que je plaisantais? Et d'ailleurs
nous allons dire du mal des voisins.
Ahl vous avez souri ; j'en étais bien sûr ! Parlons des voisins.
Les voisins, c'est-à-dire la France, c'est-à-dire l'espèce humaine,
sont tous bossus et plus bossus que nous, c'est convenu, et pour preuve,
prenons au hasard :
— N'est-il pas vrai que Mmc de C... a le visage écarlate
— Parbleu ! elle a l'air d'un brasier. Je n'ose pas m'approcher
d'elle de peur de roussir. Aussi elle se couvre de poudre de riz et
empêche ses enfants de l'embrasser ; les lèvres de ces petits anges
enlèveraient la farine et ça ferait des taches rouges. Eh bien! ma-
dame de C... — c'est à mourir de rire — dit qu'elle prend du fer pour
un appauvrissement du sang.
Je ne vous l'ai pas fait dire, chère madame, il y a de la bosse la
dessous.
Vous m'accorderez bien aussi que Mme X est un peu pâle?
— Ah! sans peine! c'est un navet. — Elle met du rouge et dit
qu'elle a des étourdissements.
— Et madame de N... ?
— Je vous conseille de parler de celle-là, elle est orange.
— Ce qui n'empêche pas ces trois dames d'être charmantes.
— A la brume.
— Que vous dirai-je de M'"" L... qui pèse 213 livres?
A propos, vous savez qu'elle a défoncé son coupé en pleine allée
de l Impératrice ? ses jambes, ses grosses jambes, passaient en des-
sous, et la voiture allait toujours...
Eh bien, M'"" L..., ne donnerait-elle pas dix litres de son sang,
pour ne peser que 200 livres ?
A coup sur. Elle fait pendant à M. L... son mari, qui est étique ,
comme vous savez et qui marche comme un père noble, en alléguant
son ventre qui commence à le gêner.
— Et M. de C..., qu'est-il?
— Il est bête, parbleu, bêle à faire arrêter les pendules.
- Absolument; et cependant tout le monde sait que M. de C...
va tous les trois mois, déposer son petit acte au Gymnase.
— Mais on lui rend ?
— Toujours.
Ainsi va le monde. L'épicier veut avoir l'air d'un notaire, et le
notaire donnerait sa charge, pour ne pas ressembler à son épicier.
L'avoué veut être espiègle. A ses moments perdus, il ôte ses lu-
nettes pour parler aux danseuses, et se met un lorgnon dans l'œil
pour avoir l'air mauvais sujet.
Le Parisien pur sang, parle agriculture, drainage, et s'indigne
qu'il y ait des landes en Sologne.
Être ce qu'on n'est pas, c'est là la grande chimère.
Eh ! mon Dieu, moi qui vous parle, je me surprends quelquefois
lorsque je me rase devant ma glace, des gestes qui me font regretter
de n'être point ministre sans portefeuille.
La bosse la plus étrange, et cependant une des plus communes
est celle qui pousse le roturier à s'ennoblir, à ajouter la particule
devant un nom d'arrière-boutique, qu'il modifie avec art, et qu'enfin
de compte, il transforme complétement.
Pourquoi ne pas respecter la crasse paternelle ?'
Je comprends jusqu'à un certain point, que si votre père a habité
Toulon, Brest ou Rochefort par exigence du gouvernement, vous
teniez à ne pas vous présenter dans le monde sous la même étiquette
que lui, que vous désiriez ne pas endosser le même habit et vous
servir du même nom ; mais en dehors de cette raison assez rare en
somme, par quelle suite de raisonnements absurdes, un homme
peut-il arriver à jeter dans un coin le nom paternel, comme une
vieille botte percée ?
Cela arrive pourtant. Chez les uns, c'est pure bêtise. J'ai un bras-
seur de mes amis qui fait imprimer ses armes dans le fond de ses
bottes, pour les reconnaître, dit-il, quand il va au bain.
Chez d'autres, c'est désir de laisser à leur fils un nom qui leur
évite l'accident trop connu de M. Mathieu.
LES BOSSUS SANS LE SAVOIR
J'ai été lié autrefois avec un charmant garçon qui rachetait de
grandes qualités morales, — il faut tout payer! — par une infirmité
physique difficile à dissimuler. Il etait bossu ; mais bossu comme
Ésope !
Dans les profondeurs de ma bonté, je souffrais vraiment de son in-
firmité, tant elle était choquante, cl j'évitais, dans la conversation,
les allusions les plus lointaines aux infirmités physiques ; lorsqu'un
jour Oll nous traversions le boulevard, nous coudoyâmes un monsieur
dont le dos, sans égaler le sien en grosseur, était cependant sensible-
ment défectueux.
— En voilà un qui est drôlement bâti, s'écria mon ami en me
montrant son semblable. Il faut avoir un aplomb infernal pour oser
sortir en plein jour quand on a de ses infirmités-là; et il partit d'un
franc éclat de rire. — Le malheureux !
D'où j'ai conclu que le propre du bossu est : 1" d'avoir une bosse ;
2° de ne pas s'en douter. Ce qui m'amena bientôt à craindre que
tous tant que nous sommes, nous ne fussions un peu contrefaits, sans
le bavoir.
Notez qu'il y a bosse et bosse ; qu'on peut l'avoir dans la cervelle
aussi bien qu'entre les deux épaules. Certains la portent au cœur, et
d'autres...
Vous riez, belle dame, et faites l'incrédule? — Oui, j'ai dit tous et
je n'en démors pas. Vous même, belle lectrice, qui me narguez sous
vos longs cils dédaigneux, vous même vous avez votre petite bosse,
coquette, élégante, mignonne au possible, mais enfin vous l'avez.
Vous en doutez ?
La voici : — Les épaules rondelettes de votre femme de chambre,
chère madame, vous font damner.
Vous avez épousé ce brave Monsieur Dumont tout court, qui est ar-
rivé à Paris en sabots, comme il le dit lui-même.
Pourquoi sur les lettres de votre dernière quête à Saint-Thomas
d'Aquin y avait-il madame Louise d'Humont?— faute d'impression !
— Lorsque vous êtes parée pour le bal, votre corsage semble un
bouquet de fleurs caché dans du satin ; pourquoi faut-il que de ce
bouquet les tiges seules soient naturelles ?
Oh ! madame, encore un coup, n'irritez pas un homme aigri ! —
Vos cheveux sont adorables, d'une couleur indécise, inappréciable
pour les amateurs ; leurs ondes dorées se détachent sur l'ivoire de
votre peau avec un charme tout à fait aristocratique.
Voilà pour la qualité, mais, madame, que dirons-nous de la quan-
tité ? C'est la troisième fois qu'on retourne en Allemagne pour ras-
sortir, vous le savez bien. Dans cette rangée de perles blanches qui
brille derrière vos jolies lèvres, faut-il avouer une petite tache
bleuâtre sur la seconde canine adroite? Cette malheureuse petite
tache qui vous fait toujours sourire de côté.
Et malgré tout cela, chère madame, n'avez-vous pas des prétentions
sérieuses à la rondeur des épaules, à la réalité du corsage, à l'abon-
dance de la chevelure, à la blancheur immaculée des canines?
Bon ! voilà que vous vous fâchez. Faites-moi mourir sous le bâton
de votre valet, mais, sur mon honneur, il y a bosse... petite... bos-
selette, si vous voulez, mais enfin il y a bosselette.— Votre pardon,
chère madame? N'est-il pas visible que je plaisantais? Et d'ailleurs
nous allons dire du mal des voisins.
Ahl vous avez souri ; j'en étais bien sûr ! Parlons des voisins.
Les voisins, c'est-à-dire la France, c'est-à-dire l'espèce humaine,
sont tous bossus et plus bossus que nous, c'est convenu, et pour preuve,
prenons au hasard :
— N'est-il pas vrai que Mmc de C... a le visage écarlate
— Parbleu ! elle a l'air d'un brasier. Je n'ose pas m'approcher
d'elle de peur de roussir. Aussi elle se couvre de poudre de riz et
empêche ses enfants de l'embrasser ; les lèvres de ces petits anges
enlèveraient la farine et ça ferait des taches rouges. Eh bien! ma-
dame de C... — c'est à mourir de rire — dit qu'elle prend du fer pour
un appauvrissement du sang.
Je ne vous l'ai pas fait dire, chère madame, il y a de la bosse la
dessous.
Vous m'accorderez bien aussi que Mme X est un peu pâle?
— Ah! sans peine! c'est un navet. — Elle met du rouge et dit
qu'elle a des étourdissements.
— Et madame de N... ?
— Je vous conseille de parler de celle-là, elle est orange.
— Ce qui n'empêche pas ces trois dames d'être charmantes.
— A la brume.
— Que vous dirai-je de M'"" L... qui pèse 213 livres?
A propos, vous savez qu'elle a défoncé son coupé en pleine allée
de l Impératrice ? ses jambes, ses grosses jambes, passaient en des-
sous, et la voiture allait toujours...
Eh bien, M'"" L..., ne donnerait-elle pas dix litres de son sang,
pour ne peser que 200 livres ?
A coup sur. Elle fait pendant à M. L... son mari, qui est étique ,
comme vous savez et qui marche comme un père noble, en alléguant
son ventre qui commence à le gêner.
— Et M. de C..., qu'est-il?
— Il est bête, parbleu, bêle à faire arrêter les pendules.
- Absolument; et cependant tout le monde sait que M. de C...
va tous les trois mois, déposer son petit acte au Gymnase.
— Mais on lui rend ?
— Toujours.
Ainsi va le monde. L'épicier veut avoir l'air d'un notaire, et le
notaire donnerait sa charge, pour ne pas ressembler à son épicier.
L'avoué veut être espiègle. A ses moments perdus, il ôte ses lu-
nettes pour parler aux danseuses, et se met un lorgnon dans l'œil
pour avoir l'air mauvais sujet.
Le Parisien pur sang, parle agriculture, drainage, et s'indigne
qu'il y ait des landes en Sologne.
Être ce qu'on n'est pas, c'est là la grande chimère.
Eh ! mon Dieu, moi qui vous parle, je me surprends quelquefois
lorsque je me rase devant ma glace, des gestes qui me font regretter
de n'être point ministre sans portefeuille.
La bosse la plus étrange, et cependant une des plus communes
est celle qui pousse le roturier à s'ennoblir, à ajouter la particule
devant un nom d'arrière-boutique, qu'il modifie avec art, et qu'enfin
de compte, il transforme complétement.
Pourquoi ne pas respecter la crasse paternelle ?'
Je comprends jusqu'à un certain point, que si votre père a habité
Toulon, Brest ou Rochefort par exigence du gouvernement, vous
teniez à ne pas vous présenter dans le monde sous la même étiquette
que lui, que vous désiriez ne pas endosser le même habit et vous
servir du même nom ; mais en dehors de cette raison assez rare en
somme, par quelle suite de raisonnements absurdes, un homme
peut-il arriver à jeter dans un coin le nom paternel, comme une
vieille botte percée ?
Cela arrive pourtant. Chez les uns, c'est pure bêtise. J'ai un bras-
seur de mes amis qui fait imprimer ses armes dans le fond de ses
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