LA VIE PARISIENNE 105
A
L'ACADÉMIE
Nu comme le discours (l'il,?t académicien.
(A'fred de Musset, de l'Académie française.)
C'est plus fort que nous ; il nous est impossible de commencer cet
article autrement que par la phrase consacrée : « Une foule élégante
et choisie se pressait de bonne heure sous la coupole de l'Institut. »
Nous ne trouverions pas mieux que cet honnête cliché. Nous ajoute-
rons, en nous servant de notre propre style, que les dames y étaiert
en majorité, et surtout les dames sur le front desquelles les pensées
graves ont remplacé l'éclat d'une beauté périssable. Cela d'ailleurs
n'empêchait pas les roses de s'épanouir audacieusement dans leurs
coiffures. 11 y avait même un turban posé sur les cheveux d'une Co-
rinne, — la dernière Corinne et le dernier turban. Le reste de l'au-
ditoire se composait de fonctionnaires publics, ayant presque tous
sur la conscience quelques bouquets à Chloris, et d'anciens lauréats
ayant tous concouru pour l'éloge de Colbert.
On recevait ce jour-là M. Dufour; — et c'était M. Tapin qui devait
répondre au discours du nouvel élu. La curiosité publique était vive-
ment excitée depuis un mois par l'annonce de cette solennité (autre
cliché).
A deux heures, les immortels se trouvaient réunis presque au
complet. Les lorgnons et même les lorgnettes se promenaient sur eux
avec une avidité flatteuse. On se montrait cet Ésope-papillon, qui ne
peut tenir en place, et dont les gestes trahissent une si spirituelle
impétuosité. On demandait à voir ces deux ex-ministres, l'un si raide,
l'autre si frétillant, qui ont fait l'histoire de France pendant près
d'un quart de siècle. On cherchait à distinguer, dans un groupe de
crânes d'ivoire, celui de l'auteur sentimental de Mademoiselle de la
.Seiglièr¿. On voulait deviner, à son attitude penchée, l'amoureux de
M",e de Longueville, et, à son sourire sceptique, le conteur de Co-
lomba. — Où donc est ce parapluie qu'on attribue à Joseph Delorme?
— Serait-il possible que ce petit homme sanglé, busqué, cambré,
boutonné, eût cent-huit ans, et fût encore un Legouvé? 0 conserva-
tion miraculeuse par les procédés académiques! — Et ce fils à côté
de ce père, et ce père serré contre son fils? Pes doctrinaires, n'est-ce
pas? Allons, tant mieux; on ne sait plus ce que c'est, si tant est qu'on
l'ait jamais su. — J'aperçois, le cou serré dans une cravate haute, le
plus intolérant des fabulistes, qui rime des tragédies entre ses repas,
et qui ronfle des poèmes épiques. C'est ce qu'on appelle un aimable
vieillard. — Celui qui a traduit Lucrèce remercie celui qui a écrit le
traité de la Longévité humaine de lui avoir appris qu'il touchait ù.
peine à sa huitième jeunesse.—Voici le clan des membres à peu près
chevelus : les poètes révoltés et les rirreurs du bon sens.— Le rochet
d'un évêque manque Ù. cette cérémonie; mais le motif en est facile Ù.
concevoir : nous sommes en carême, et Monseigneur se doit à ses
ouailles.
Enfin, la sonnette du président annonce l'ouyerture de la séance.
M. Dufour, revêtu d'un habit aux fines herbes, déroule un cahier, et
lit le discours suivant :
« Messieurs,
» J'en suis encore Ù. me demander pourquoi je me trouve au mi-
lieu de vous. Des esprits maussades et qui prétendent tout expliquer
me répondront que c'est peut-être le résultat des trente-neuf visites
qu'on m'a poussé à vous faire. Dans tous les cas, je ne me serai pas
ruiné en frais de commissionnaires pour le transport de mes œuvres ;
aucun de vous n'aura à me reprocher la moindre insomnie causée
par la lecture de mes livres. Je n'ai jamais rien écrit, messieurs. C'est
ce qui me porte à vous adresser cette question : —Ne vous êtes-vous
pas trompés en me choisissant? Êtes-vous bien sûrs de ne pas m'avoir
pris pour un autre ?
« Ce que je vous dis là n'est, vous le devinez avec votre sagacité
habituelle, que pour me conformer aux traditions d'humilité léguées
par mes prédécesseurs. C'est un artifice oratoire, pas autre chose.
Au fond, je me suis donné beaucoup de mal pour arriver au fauteuil
que j'occupe maintenant. Moins on le mérite, plus on le souhaite; je
ne vous apprends rien de nouveau. En vain quelques amis chari-
A
L'ACADÉMIE
Nu comme le discours (l'il,?t académicien.
(A'fred de Musset, de l'Académie française.)
C'est plus fort que nous ; il nous est impossible de commencer cet
article autrement que par la phrase consacrée : « Une foule élégante
et choisie se pressait de bonne heure sous la coupole de l'Institut. »
Nous ne trouverions pas mieux que cet honnête cliché. Nous ajoute-
rons, en nous servant de notre propre style, que les dames y étaiert
en majorité, et surtout les dames sur le front desquelles les pensées
graves ont remplacé l'éclat d'une beauté périssable. Cela d'ailleurs
n'empêchait pas les roses de s'épanouir audacieusement dans leurs
coiffures. 11 y avait même un turban posé sur les cheveux d'une Co-
rinne, — la dernière Corinne et le dernier turban. Le reste de l'au-
ditoire se composait de fonctionnaires publics, ayant presque tous
sur la conscience quelques bouquets à Chloris, et d'anciens lauréats
ayant tous concouru pour l'éloge de Colbert.
On recevait ce jour-là M. Dufour; — et c'était M. Tapin qui devait
répondre au discours du nouvel élu. La curiosité publique était vive-
ment excitée depuis un mois par l'annonce de cette solennité (autre
cliché).
A deux heures, les immortels se trouvaient réunis presque au
complet. Les lorgnons et même les lorgnettes se promenaient sur eux
avec une avidité flatteuse. On se montrait cet Ésope-papillon, qui ne
peut tenir en place, et dont les gestes trahissent une si spirituelle
impétuosité. On demandait à voir ces deux ex-ministres, l'un si raide,
l'autre si frétillant, qui ont fait l'histoire de France pendant près
d'un quart de siècle. On cherchait à distinguer, dans un groupe de
crânes d'ivoire, celui de l'auteur sentimental de Mademoiselle de la
.Seiglièr¿. On voulait deviner, à son attitude penchée, l'amoureux de
M",e de Longueville, et, à son sourire sceptique, le conteur de Co-
lomba. — Où donc est ce parapluie qu'on attribue à Joseph Delorme?
— Serait-il possible que ce petit homme sanglé, busqué, cambré,
boutonné, eût cent-huit ans, et fût encore un Legouvé? 0 conserva-
tion miraculeuse par les procédés académiques! — Et ce fils à côté
de ce père, et ce père serré contre son fils? Pes doctrinaires, n'est-ce
pas? Allons, tant mieux; on ne sait plus ce que c'est, si tant est qu'on
l'ait jamais su. — J'aperçois, le cou serré dans une cravate haute, le
plus intolérant des fabulistes, qui rime des tragédies entre ses repas,
et qui ronfle des poèmes épiques. C'est ce qu'on appelle un aimable
vieillard. — Celui qui a traduit Lucrèce remercie celui qui a écrit le
traité de la Longévité humaine de lui avoir appris qu'il touchait ù.
peine à sa huitième jeunesse.—Voici le clan des membres à peu près
chevelus : les poètes révoltés et les rirreurs du bon sens.— Le rochet
d'un évêque manque Ù. cette cérémonie; mais le motif en est facile Ù.
concevoir : nous sommes en carême, et Monseigneur se doit à ses
ouailles.
Enfin, la sonnette du président annonce l'ouyerture de la séance.
M. Dufour, revêtu d'un habit aux fines herbes, déroule un cahier, et
lit le discours suivant :
« Messieurs,
» J'en suis encore Ù. me demander pourquoi je me trouve au mi-
lieu de vous. Des esprits maussades et qui prétendent tout expliquer
me répondront que c'est peut-être le résultat des trente-neuf visites
qu'on m'a poussé à vous faire. Dans tous les cas, je ne me serai pas
ruiné en frais de commissionnaires pour le transport de mes œuvres ;
aucun de vous n'aura à me reprocher la moindre insomnie causée
par la lecture de mes livres. Je n'ai jamais rien écrit, messieurs. C'est
ce qui me porte à vous adresser cette question : —Ne vous êtes-vous
pas trompés en me choisissant? Êtes-vous bien sûrs de ne pas m'avoir
pris pour un autre ?
« Ce que je vous dis là n'est, vous le devinez avec votre sagacité
habituelle, que pour me conformer aux traditions d'humilité léguées
par mes prédécesseurs. C'est un artifice oratoire, pas autre chose.
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