Titre : Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques : hebdomadaire d'information, de critique et de bibliographie / direction : Jacques Guenne et Maurice Martin du Gard
Éditeur : Larousse (Paris)
Date d'édition : 1940-03-09
Contributeur : Guenne, Jacques (1896-1945). Directeur de publication
Contributeur : Martin Du Gard, Maurice (1896-1970). Directeur de publication
Contributeur : Gillon, André (1880-1969). Directeur de publication
Contributeur : Charles, Gilbert (18..-19.. ; poète). Directeur de publication
Contributeur : Lefèvre, Frédéric (1889-1949). Directeur de publication
Contributeur : Charensol, Georges (1899-1995). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328268096
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 6724 Nombre total de vues : 6724
Description : 09 mars 1940 09 mars 1940
Description : 1940/03/09 (N908). 1940/03/09 (N908).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t5952237
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GR FOL-Z-133
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 02/05/2021
9-3-40 — LES NOUVELLES LITTERAIRES
3
LE
MONDE
DES
LIVRES
LIVRE
LES CLEFS
Aucun de nos lecteurs n’a oublié le roman
dont ils eurent ici la primeur. C’est l’un des
pius significatifs qu’ait écrits Germaine
Beaumont. Son œuvre ne compte guère
qu’une demi-douzaine de romans (i), mais
chacun atteint à la parfaite maturité d’un
beau fruit et ils suffisent à classer leur au
teur dans la famille des grands romanciers.
Les Clefs (2) témoignent hautement en fa
veur d’un talent qui ne saurait se comparer
à nul autre dans la littérature française
contemporaine.
Nous parlions la semaine dernière du don
des lomanciers anglais de créer l’atmos
phère, de substituer à l’univers du lecteur
celui de leurs personnages. Germaine Beau
mont offre avec les meilleurs d’entre eux,
une parenté manifeste et sa maîtrise n-e le
cède en rien à la leur. Mais alors que les
Anglais s’inspirent des mille détails succu
lents de l’immédiate réalité et les utilisent
directement, la romancière de Piège, de
Fruit de Solitude, de Cendre, est avant tout
un poète et un poète sensible à l’invisible, à
tous les invisibles. La vie, pour elle, demeu
re toujours singulièrement présente, frémis
sante, impérieuse même, mais sa réalité, elle
l’appréhende d’abord par ce qui n’est pas
perceptible à tous, elle va au delà du réel et
en saisit de préférence les reflets maléfi
ques. Ce fil d’Ariane jamais ne l’égare.
Douée d’un sens merveilleux, complémen
taire des cinq autres, Germaine Beaumont
apprivoise le mystère, poétique, fantastique
ou pervers, le cajole, l’orchestre et lui fait
enfanter tous les miracles de vie qu’il con
tient en puissance. Elle le décèle partout où
il est, dans les êtres, les choses, les paysa
ges, et toujours elle réussit à le rendre sen
sible par sa poésie. Ce don subtil nimbe les
créations de Germaine Beaumont d’une
sorte de fluidité irréelle, souvent satani
que, dont le secret n’appartient qu’à elle.
De ce halo, aux lueurs azurées ou sulfu
reuses, émerge et se précise le domaine
qu’elle veut nous livrer car, les admira
teurs de Germaine Beaumont ne s’y trom
pent pas, loin de l’isoler dans le domaine
du rêve, poésie et mystère lui sont deux
moyens extraordinaires d’investigation du
réel, clefs symboliques ouvrant les portes
de l’univers humain. Et cette rare fa
culté de voir le monde sous un angle dou
ble, lui confère une cruauté de vision, une
pénétration psychologique telles que par
fois son analyse y prend quelque chose de
glacé, d’implacable, de meurtrier. La galerie
des monstres Clauvel prouve à quel point
elle possède ce don puissant de vriller les
âmes, d’amener leur vérité du fond le plus
fangeux jusqu’à la lumière. Quels abîmes
nauséeux ne nous révèle-t-elle pas par une
seule attitude de la secrète Frédérique
Marshall, l’unique personnage sympa
thique de cette trouble histoire, par un
réflexe de l’inquiétante Agnès, par une
intonation de l’ignoble Léon, par un éclair
dans l’œil cruel de la vieille Clauvel ? Et
toutes ces notations sont triées avec la
science la plus avisée. Un métier en pleine
possession de sa force et de ses techniques,
MARTHA DODD
L’AMBASSADE
REGARDE
Un volume : 21 fr.
L’Allemagne vue de l’ambassade des
États-Unis, par la fille elle-même
Je l’ambassadeur, de 1933 à 1938 :
jrands nazis, Gestapo, espionnages,
oersécutions ont ici le relief de la vie.
De tels récits effarent et angoissent.
AUBIER, 13, Quai de Conti,’PARIS
Vient de paraître
BERNARD MALAN
VOLONTÉ
DE
BONHEUR
La volonté de puissance per
sécute et divise les hommes
depuis toujours. Une volonté de
bonheur unanime, seule, peut
les réconcilier.
MAIN
sert avec dévotion et lucidité une inspira
tion qui, pas plus que lui, ne connaît de dé
faillance.
Les lecteurs des Clefs admireront l’habi
leté de composition du roman, solidement
et sévèrement construit, et dont pourtant
la charpente n’apparaît nulle part. Cette
rigueur invisible de la construction est ici
l’une des raisons de la réussite artistique
d’un livre, en apparence libre de toute
discipline et dont la progression s’opère
comme par miracles successifs et intime
ment fondus. Ce roman d’atmosphère qui
est en même temps un roman psychologique
se lit avec un intérêt qu’accroît le mystère
éclairci seulement aux dernières pages. U
est aussi une étude de mœurs bourgeoises
provinciales, un peu exceptionnelles, et cam
pe quelques types odieux, avec vigueur■ Mais
où les dons poétiques de Germaine Beau
mont se manifestent une fois de plus, c’est
dans la grâce de son style imagé, dont la
souple démarche s’adapte à merveille au
rythme interne du roman, « colle » si étroi
tement à l’action, s’identifie avec tant de
vérité au comportement des personnages.
Tous ceux qui ont lu Les Clefs dans les
Nouvelles Littéraires les reliront en volume.
INTERIM.
(1) Nous ne parlons naturellement que des
romans parus en librairie.
(2) Plon, éditeur.
U,
ROMANS
15 fr.
DENOEL
La Maison du Saint=Sang
par Marino Moretti
C’est une ville qui est à la fois l’inspiratrice,
le principal personnage et le cadre de La Mai
son du Saint-Sang. Et cette ville s’appelle Bru
ges. Ce nom seul fait surgir dans le souvenir
de tous ceux qui la connaissent et dans l’ima
gination de tous ceux qui en rêvent, cet émoi
indéfinissable qui ne s’attache qu’à ce qui est
unique. L’auteur, le grand romancier italien
Marino" Moretti, en écrivant cette originale mo
nographie romanesque et sentimentale, a sans
aucun doute voulu acquitter son tribut de re
connaissance envers la plus belle des cités wal
lonnes, si prodigue de ses enchantements à
ceux de ses amants qui se montrent dignes
d’elle. Marino Moretti est de ceux-là, et grâce
à sa ferveur il a su rendre toute la poésie de
cette ville unique, Bruges. C’est en écoutant
battre le cœur du Béguinage « la minuscule
cité dévote dont les portes se ferment le soir »,
que Marino Moretti a pénétré l’un des plus
purs secrets de Bruges. 11 n’appartenait qu’à
un poète de se mouvoir dans cette atmosphère
de piété aimable, de sérénité, de douceur quiète
qui baigne les maisonnettes gothiques groupées
en rond autour d’un pré planté d’arbres et dont
chacune porte un nom. Celle où se réfugiera
temporairement Marthe, l’héroïne, venue d’Ita
lie guérir un chagrin d’amour, s’appelle « La
Maison du Saint-Sang ». Elle lui portera bon
heur. Comblée à nouveau par l’amour retrouvé
et dont la résurrection n’est pas étrangère à ce
« climat » unique, au voisinage des béguines
silencieuses, de la « Grande Dame », Marthe la
quittera, mais un lien l’unira à tout jamais
« au doux pays flamand, à Bruges, à ses
tours, à ses moulins, à ses eaux d’amoirr ».
Pour laisser à la cité qu’il voulait chanter son
rôle de premier plan, l’auteur a traité avec une
infinie délicatesse, en l’effleurant, l’intrigue
romanesque. Et, par cette discrétion même,
il a rendu miraculeusement proches et fré
missants les personnages, il a rendu intensé
ment émouvant le drame, plus suggéré que
révélé, dont le Béguinage ne parviendra pas à
retenir l’héfoïne. Le roman, nimbé de cette
teinte pasteilisée qui est celle de Bruges, est
tout entier en harmonie avec le climat de la
ville et il faut louer cette réussite qui porte
la marque d’un maître. Peut-être devrait-on
faire quelque réserve sur la façon dont est in
troduit ce qui concerne l’historique du Bégui
nage. C’est une petite critique. Il fallait néan
moins la signaler à Marino Moretti pour qui
le souci de composition ne semble pas primor
dial. L’excellente traduction de Juliette Ber
trand fera oublier aux lecteurs français qu’ils
ne lisent pas dans le texte La Maison du Saint-
Sang. — (Editions Albert ). Guy Ardes.
Jk Jk.
Les Filles d’Henerxburg
par Jean Javey
Rien qu’avec de temps à autre un clin d’œil
au lecteur, M. Jean Javey eût pu nous faire
croire qu’il avait écrit une parodie du roman
populaire. Le fantastique, le mystère, l’hor
reur s’y mêlent à plaisir. Si c’est le genre de
roman qui convient le mieux aux époques pai
sibles, on n’est pas sûr que, de nos jours, la
vérité ne suffise pas à contenter les âmes sim
ples, avides de sensations. Un vieux burg tel
que Victor Hugo aimait à en griffonner sur les
marges de ses manuscrits, une crypte funé
raire, le casino de Monte-Carlo, Paris et un
cabaret de style 1910, une croisière dans l’ar
chipel Grec et en Norvège, rien ne manque à
ce roman qui eût tenté un metteur en scène al
lemand en 1925 avec Conrad Veidt dans le rôle
du personnage fantastique de Magnus de Stuc-
kelberg, époux morganatique d’une de ces
filles d’Henerxburg qu’une maladie héréditaire
fait toutes mourir à 21 ans et trois mois. Je
m’en voudrais de révéler la fin de l’histoire,
j’en laisse la surprise au lecteur. Il y avait
deux façons d’écrire ce livre : laisser aux per
sonnages tout leuT relief en ne les écrasant
pas sous les accessoires du mélodrame et aussi
surveiller son style, ou bien céder à la tenta
tion de la couverture en couleurs où l’on voit
un homme en habit effondré aux pieds de la
baronne qui déchire ses dentelles d’une main
crispée, tandis qu’en surimpression un yacht
blanc vogue sut les poufs d’un salon rouge et
or. C’est ce qu’a fait M. Jean Javey. — ( Bau-
dinière .) André du Dognon.
Le Cavalier Franken
par Lucien Delmas
Une déception sentimentale, un coup de tête
et Cari Franken prend sa voiture, file jusqu’à
Marseille, jette son auto dans le Vieux Port
et s’en va au Fort Saint-Jean s’engager dans
la Légion Etrangère. Les premiers contacts
avec l’armée sont sans douceur. Puis c’est le
départ pour l’Afrique, mais le cavalier Franken
traîne interminablement au dépôt : « Alors
une crainte angoissante s’empara de lui, celle
de passer cinq ans à faire de la haute école et
du pansage dans ce trou perdu du bled tuni
sien. » Le cafard le conduit à un nouveau coup
de tête : il déserte, et gagne Tunis où il réussit
à devenir caissier dans un grand restaurant.
Mais bientôt il est traqué par la police. Ré
solu à lui échapper, il va trouver un commis
saire qu’il a rencontré quelquefois et le voilà
engagé dans une autre légion, celle des indica
teurs. L’Afrique du Nord est travaillée par la
propagande étrangère, il s’agit de renseigner
la police sur ce travail souterrain. Ici com
mence pour Franken un roman d’aventures peu
plé de belles intoxiquées, d’agents doubles et
de chefs indigènes qui prennent l’argent qu’on
leur offre sans en chercher l’origine. Le policier
amateur reçoit des coups et en donne ; il ap
porte des renseignements utiles et d’autres qui
le sont moins, et, naturellement, les aventures
féminines se mêlent au roman policier. D’ail
leurs Franken n’en sera pas quitte à si bon
compte : finalement, on l’arrête et il passe
en Conseil de guerre. Mais tout de même, la
chance tourne : sa désertion ne lui vaut que
deux ans de prison avec sursis, et, revenu à
la Légion, une heureuse réforme le rend à la
vie civile et à l’Europe.
Sur ce thème compliqué, Lucien Delmas a
écrit un roman d’une psychologie assez som
maire, mais alerte, vivant et sans prétention.
— (Denoël.) G. Ch.
Les Contes de la Vierge
par Jérôme et Jean Tharaud
Les histoires que les frères Tharaud nous
content remontent pour la plupart au Moyen
Age, qui mit le meilleur de son âme dans
son culte pour la Vierge. C’en est ici la
plus délicate floraison. On lira dans ce livre
la légende de la sauge, celle du Jongleur de
Notre-Dame, celle de la sacristine infidèle qui
s’enfuit un jour hors de son couvent, mais dont
Notre-Dame prit la place en attendant son
retour — bien d’autres encore.
Elles ont été si souvent reprises par la poé
sie et les arts que chacun a l’impression de
les connaître, et cependant elles n’ont laissé
dans les mémoires surmenées que de vagues
réminiscences. D’où le plaisir tout spécial
qu’on éprouve à les relire. Et qui donc irait
les chercher dans le texte original devenu dé
sormais le patrimoine des érudits ?
Jérôme et Jean Tharaud ont procédé com
me Joseph Bédier, dont le nom est d’ailleurs
cité dans leur charmante préface. Ils ont su,
comme lui, éviter le défaut le plus ordinaire
à ce genre de productions qui est de donner
dans le faux archaïsme. Ils ont repris le thème
de l’histoire et, pour le développer, ils ont
retrouvé un style d’une clarté d’eau fraîche,
équivalent dans sa simplicité à celui des con
teurs anciens.
Ajoutons qu’en un temps où tous les auteurs
se voient plus ou moins menacés du papier à
Qswald DUTCH
Les 12 Apôtres d’Hitler
24 fr.
Douglas REED
La Foire aux Folies
30 fr.
A. MORROW-LINDBERGH
Le vent se lève
24 fr.
J.-M. SPAIGHT
Aviation de Guerre
21 fr.
SEYMOUR BERKSON
Les Rois en pantoufles
30 fr.
CORREA
chandelle, on aura double satisfaction à les
lire dans cette édition élégante dont la déco
ration s’harmonise si bien avec le sujet. —
(Plon). Jeanne Ancelet-Hustache.
ESSAIS
Le Barbare tout nu
par Pierre Dominique
Un tableau saisissant, brossé d’une patte
puissante de grand peintre toujours soumis
à son œil infaillible, implacable, que les cou
leurs hardies enchantent, qui possède une
palette d’une variété permettant toutes les
nuances et toutes les violences, telle est l’im
pression que produit le nouvel essai historique
de Pierre Dominique, le Barbare tout nu, cu
rieuse analyse de ce que fut en 1914 l’appa
rition sur la scène du monde de la barbarie
des temps modernes, déchaînée par l’Allema
gne, que la Révolution russe amplifia en 1917,
que personnifia hier Lénine, et qu’incarnent
aujourd’hui Hitler et Staline.
Peu d’évocations historiques présentent ce
dramatisme aigu, sensuel, direct, qui provoque
un choc presque physique par l’image, le
ton, le style. L’accent de Pierre Dominique
est unique, son élan irrésistible, sa phrase,
coulée de lave, entraîne tout avec elle, et
pourtant c’est la froide raison, l’observation
clinique, la science historique et politique la
plus complète et la plus rigoureuse, qui com
mandent à ce brûlant talent. Que de préci
sions cruelles et justes sur ceux qui ont
ébranlé le monde, quelle vision impitoyable
de ce qu’ils furent, de ce qu’ils devinrent , du
péril dont ils menacent notre univers ! Pierre
Dominique a un don prestigieux de résurrec
tion, une sorte de brutalité dans l’image qui
parfois coupe le souffle, et quand il retrace
les événements de ces dernières années, nous
haletons, un peu, bien entendu, de la légitime
émotion suscitée par le rappel des faits, mais
beaucoup du rythme de son inspiration et de
la cadence de sa phrase. Son jugement d’his
torien s’appuie sur le diagnostic du médecin
qu’il n’a jamais cessé d’être. Il ne rêve pas
autour de la nature de l’homme, il décèle les
tares , les vices, les terribles possibilités, les
limites de son organisme et c’est cette
effrayante lucidité qui nous fait trembler. Son
intelligence aiguë, étincelante, son grand,
très grand talent en font l’un des écrivains
politiques les plus remarquables de notre
temps, l’un de ceux qui devraient avoir la
plus large audience car la clairvoyance d’un
historien peut devenir l’un des facteurs de
la justice de demain. (Les Œuvres Libres,
Fayard, éditeur.) Frédéric Lefèvre.
Théâtre
de Tristan Bernard
Voici que paraît le septième et dernier vo
lume du Théâtre de Tristan Bernard. Vif est
le plaisir que l’on prend à relire les cinq piè
ces qui sont réunies dans ce livre, des Jumeaux
de Brighton à L’Etrangleuse en passant par
L’Enlèvement d’Agathe, Le Négociant de Be
sançon et Les Coteaux du Médoc.
En guise de préface on trouvera la causerie,
faite par l’auteur, qui précéda la première re
présentation des Jumeaux de Brighton, pièce
créée en 1908, et dont le succès fut grand.
Cette causerie mériterait de figurer dans une
anthologie tant elle est représentative d’une
époque, et de ce que fut l’esprit « humo
riste » ; c’est tourte une ambiance que, selon
son âge, le lecteur pénètre ou découvre, et ces
courtes pages vous mettent dans le meilleur et
le plus favorable état de réceptivité pour lire
la suite, à commencer par les Jumeaux de
Brighton. Excellente pièce ! esprit dans les
situations, esprit dans le texte.
Tristan Bernard a de l’esprit comme cer
taines femmes bénies des dieux ont diu charme,
•-don naturel que l’on prodigue à tout moment,
sans le savoir, et dont on use malgré soi, pour
la seule joie de plaire. En lisant Tristan Ber
nard, comme en l’écoutant, on s’émerveille de
le voir rester ausei bon, tout en étant si bien
doué, et armé, pour le coup de patte et même
pour le coup de dent. Pourtant ! que ce doit
être tentant pour lui, et facile, de faire un mot
« terrible », qui emporterait le morceau ! On
l’attend, œ mot, et il ne vient jamais. L’œil se
fait parfois aigu, mai* il reste débonnaire, et
la satire, d’un humour si souvent irrésistible,
demeure légère et souriante. C’esrt comme un
géant qui dirait : « Je pourrais tout casser, si
je voulais, mais je ne veux pas : ça m’en
nuierait. »
Cette nature bien particulière, bien sym
pathique et plus rare encore, déborde de l’hom
me et se sent dans toute l’œuvre.
Parmi les pièces en un acte que contient le
présent volume, nous avons une préférence
marquée pour L’Etrangleuse, drame au comi
que impayable, charge plutôt que comédie, à
la fantaisie facile et souple. Cette sorte de po
chade semble avoir été écrite sur le coin d’une
table, pas même retouchée, par quelqu’un qui,
le premier, s’en est amusé ; ce à quoi, sans
d'oute, elle doit son effet direct et certain, ■—
(Calmann-Lévy.) Roger Dacy.
Les nati
Les régimes de liberté
et les régimes autoritaires (1)
Les hommes qui ont déjà assez vécu pour
avoir pleinement goûté le XIX e siècle, ce
siècle dont s’est achevé en 1914 le cours
curieux et parfois glorieux, se sentent, dès
qu’ils confrontent le présent avec leurs
souvenirs, transportés dans un monde nou
veau. Ils ont le sentiment d’être moins heu
reux que jadis, et, de fait, ils le sont beau
coup moins, si le bonheur est dans la sécu
rité. Quoi qu’on dise, de 1815 à 1914, les
nations, les familles, les hommes, leurs
biens, jouirent d’une sécurité, relative, cer
tes, mais très appréciable. Une invasion
n’entraînait pas alors la mort d’un pays ; la
monnaie subsistait à travers les guerres et
les révolutions, et l’épargne avec elle ; en
majeure partie les hommes conservaient
sans grands efforts ce qu’ils avaient acquis
et le transmettaient sans grandes pertes à
leurs descendants. La guerre de 1914 a tout
saccagé : la révolution de type soviétique
est venue par là-dessus ; les révolutions de
type national-socialiste ont éclaté à leur
tour ; et la guerre que nous vivons à l’heu
re actuelle a fait le reste.
Il n’y a plus de sécurité — en tout cas
il n’y a plus celle d’autrefois — ni aux
frontières, ni à l’intérieur, ni dans le do
maine de la rue, ni sur le plan social ou
économique. Le beau résultat est l’appau
vrissement des nations et des hommes, la
baisse du niveau de la culture, et, malgré
le perfectionnement journalier de la tech
nique, le recul de la civilisation.
M. Lescure, comparant les régimes de
liberté aux régimes autoritaires, souligne
avec preuves à l’appui tout ce que je viens
de dire, et il ajoute qu’il faut voir dans
cette lamentable aventure la faillite de
l’esprit de système. Les systèmes contre
la science, voilà le stupide assaut qu’on a
pu observer, et, de même que la mauvaise
monnaie chasse la bonne, les systèmes ont
démoli le bel édifice élevé par la longue
expérience humaine.
D’ailleurs, dit l’auteur, il a bien fallu
reconnaître l’erreur ; déjà, les Russes en
sont revenus ; on en revient dans notre Oc
cident. « La vie économique a ses néces
sités, ses lois..- » Tout le sang répandu pour
nier les unes et combattre les autres, l’a
été inutilement.
Cependant, deux questions ici se posent :
d’abord, est-ce que le capitalisme n’a pas
ET LES HOMMES
vieilli ? M. Lescure dit non et combat sur
ce point la thèse défendue notamment par
M. Mussolini. Deuxième question ; les
champs d’action se sont démesurément
élargis. En présence de la complication de
la lutte et de l’énormité des intérêts enga
gés, un individu ne peut plus grand’chose ;
il y faut des compagnies, des trusts. Est-ce
que dans ces conditions l’Etat n’est pas
plus capable que l’individu — réserve faite
de la compagnie qui peut, il est vrai, deve
nir trop puissante et dominer l’Etat —
d’avoir une politique de « plan » ? Je me
contente aujourd’hui de ces deux questions.
Les réponses qu’on y peut faire sont im
portantes pour l’avenir de l’Occident, car
déjà nous ne vivons plus sous un régime de
liberté et nous sommes à mi-chemin du ré
gime autoritaire. Faut-il revenir en arriè
re ? Pousser jusqu’au mussolinisme ? Nous
maintenir où nous sommes ? Et, le point
d’équilibre trouvé, comment nous y main
tenir ?
Car il ne saurait y avoir place dans le
monde pour plusieurs régimes économiques
contradictoires. La civilisation du XIX*
siècle valait ce qu’elle valait ; elle était
faite d’une identité de vues, de goûts, de
rythmes. Les hommes s’entendaient, les na
tions se comprenaient et se complétaient ;
nous parlions tous le même langage éco
nomique et social ; nous tendions au même
régime politique ; et nous avions, enfin, la
même notion du bien et du mal. Or, juste
ment le régime autoritaire né de la gue. e
de 19^4 tend à isoler la communauté qu’il
dirige : il est à base de destruction et de
contradiction.
Pierre DOMINIQUE.
(1) par Jean Lescure, Domat-Montchrestien,
éditeur.
INFORMATIONS
— Créé pour récompenser alternativement,
pendant un cycle de quatre années un roman
cier, un poète, un historien, un philosophe, es
sayiste ou critique, qu’il s’agisse d’un débutant
ou d’un écrivain pour l’ensemble de son œuvre,
le Grand, Prix Littéraire de la Ville de Paris
sera attribué dans le courant de mars, à un
historien. Rappelons qu’en 1937, le Grand Prix
Littéraire de la Ville de Paris a été attribué à
un romancier : M. Roger Martin du Gard, et,
en 1938, à un poète : M. André Dumas.
— C’est grâce à M. Jean de Beaumont, dé
puté de Cochinchine, que le Grand Prix de
l’Empire qui sera attribué le 14 mars, a pu
être porté de 5.000 à 10.000 francs.
Chronique privée
par
JACQUES CHARDONNE
Voici un livre admirable. Je le déclare, tout bien pesé, parce que
M. Jacques Chardonne est un écrivain admirable, parce qu’il nous offre
le magistral exemple d’une pensée indépendante et que sa marque propre
est un art infini de la nuance dans tous les ordres.
FRANÇOIS PORCHÉ (L’Rpoqoe)
Aussi pittoresque qu’une autobiographie, aussi animée qu’un journal
intime, cette Chronique d’un artiste, d’un citoyen, d'un sage, nous transporte
à Bordeaux, à Limoges, à Barbezieux, à Paris, en 1900, en 1940. Elle est
de ce style cristallin qui fait de Jacques Chardonne le plus pur écrivain
français.
ANDRÉ THERIVE
(Le Temps)
L’intraduisible mot anglais survey rend assez bien T attitude que
M- Jacques Chardonne observe en présence de la vie. La vie ! Personne
de notre temps, personne jamais peut-être ne se sera penché avec une
attention plus sérieuse sur l’insaisissable réalité que d ésigne ce mot.
GABRIEL MARCEL
Jour)
Il y a chez Jacques Chardonne un miracle de style qui dérobe presque
les choses à force de limpidité.
ANDRÉ ROUSSEAUX
(Le Figaro)
STOCK
L’ES R RI T = D ESül LIVRE
NS le portrait que j’ai essayé de faire,
y a une semaine, de J.-H. Rosny aîné,
j’ai laissé bien des points de côté. Un
portrait, s’il doit montrer un dessin
général, est fatalement condamnée à un
aspect linéaire. Ou il est nécessaire
de lui consacrer pages^ sur pages,
ou on laisse trop de choses de côté. Voici quel
ques-unes de celles que j’ai dû abandonner précé
demment. Elles se présenteront sans ordre et
presque sans suite. Les réintégrer à un ensem
ble équivaudrait à nouvelles coupures. ^ Mieux
vaut laisser ces notes comme elles sont, à l’état
de marginulia.
Je le revois, de taille moyenne, bâti en force,
un peu voûté. Dans la figure mate, aux grands
traits, brillaient des yeux extraordinaires, noirs,
d’un éclat minéral, sous des sourcils hirsutes et
farouches. Le nez avait un puissant dessin aqui-
lin ; le front, une rondeur de coupole. Longtemps,
il garda noirs ses cheveux un peu longs, sa
barbe souple, effilée. Il ne décida de blanchir que
très tard. L’âge ne voila, ne ternit jamais le feu,
la violence de son regard. A ses débuts, Jules Le
maître le comparait à un « Mahdi jeune ». Sa
physionomie était étrange. Il avait je ne sais
quoi d’illuminé, l’air d’un sorcier de village, d’un
pasteur ayant renoncé au culte, d’un philosophe
de génie. Belge, il montrait dans tout son être
une forte hérédité espagnole, avec la carrure
flamande.
Je n’ai pas été son ami. En a-t-il eu ? Je veux
dire de ceux qui entrent vraiment dans notre in
timité. Il semblait immensément solitaire, malgré
son culte des sentiments familiaux ,qu’il a tou
jours exprimés avec une si jolie chaleur, de Marc
Fane à Un Banquier. Je ne peux me le représen
ter que rôdeur infatigable, explorateur des rues
et des forêts, pareil au Bilatéral, à Vamireh, à
cet énigmatique personnage chez lequel se réfu
gie à la fin du livre Marthe Baraquin.
Je le revois encore à l’enterrement de Paul
Adam. Quand il se leva pour prononcer son dis
cours, solide, un peu lourd, si pâle entre ses mè
ches noires, avec quelque chose de prophétique et
de velu, il faisait penser à un homme préhistori
que ; il sortait vraiment des temps qu’il a évo
qués si magistralement.
Sa diction était particulière aussi ; détachée,
scandée, découpant les mots, semblait-il, avec une
ioie féroce. Il se plaisait à discourir ; à la fin des
banquets, il aimait à prendre la parole, qu’il y
fût ou non engagé. Il avait toujours quelque chose
à dire, mai® il ne craignait pas de déplaire et les
« gaffes » ne le gênaient pas.
Sa surdité l’isolait depuis bien longtemps.
Comme il avait la parole facile et abondante, il
devait souffrir moins qu’un autre, mais il y avait
perdu ce goût de la contradiction, dont Edmond
de Goncourt disait que cela le prenait « comme
une maladie ». Sans doute, cette surdité a-t-elle
contribué à augmenter cette impression de soli
tude dont je parle.
Gomme il ne mesurait plus le degré de force
de sa voix et que celle-ci était creuse et sonore,
il nous faisait souvent des confidences pénibles,
car il croyait murmurer et tout le monde l’enten
dait. A une réunion, où se trouvait une ving
taine de gens de lettres, il me prit à part pour
me montrer Marcel Boulenger et il me chuchota
à tue-tête :
— Comme Marcel Boulenger est fin et racé !
La jolie tête, et qui a l'air dessinée par un ar
tiste ! Mais comme tous les autres, à côté, sont
laids ou vulgaires !
Ce sont de ces propos qu’il est difficile d’ap
prouver publiquement, même quand ils sont jus
tes.
On aimait, on estimait J.-H. Rosny aîné dans le
monde des lettres. Personne ne parut l’avoir en
tendu.
Il montrait à tous une grande bienveillance,
une mansuétude de patriarche, et aux femmes
une galanterie très seigneuriale. Il a aidé beau
coup de jeunes écrivains. Mais je ne crois pas
qu’il ait beaucoup aimé ses confrères. Il a laissé
sur ses sentiments intimes un témoignage assez
impitoyable : Torches et Lumignons. S’il y dit
quelque bien de ses maîtres, il exécute presque
tous ses contemporains avec un extrême mépris.
De bons romanciers, ses camarades, des gens
de talent, à succès, ou d’autres qui n’ont pas
réussi, sont vidés en quelques lignes, avec une
insensibilité d’insecte. Ce livre m’a fait long
temps de la peine ; je le trouvais indigne d’un
homme qui avait une grande intelligence et le
cœur haut ; on y sentait traîner de vagues sou
venirs de rivalités littéraires. Je préférais l’atti
tude de Bourges, si indulgent à tous, si prompt
à trouver des dons charmants à des nouveaux
venus, et qui louait avant tout l’effort, l’amour
des lettres, le sens de la poésie. Et puisqu’on
n’était ni Eschyle, ni Euripide, ni Dante, ni
Shakespeare, ni Michel-Ange, ni le père Hugo,
n’est-ce pas ? tout le monde se valait ; à cette
différence près, toutefois, que Dumas père et
"Notes sur J.-H. ROSNY aîné
Paul Féval étaient plus amusants à lire que
Zola. Quand Bourges avait à se plaindre de quel
qu’un, il se taisait. Il y a des pages de Torches
et Lumignons dont on aurait aimé qu’elles ne
fussent jamais écrites.
%%
La situation de J.-H. Rosny, dans l’opinion,
aurait été supérieure à ce qu’elle est sans les mo
difications subies par le monde littéraire, du fait
des déplacements de force et de stratégies nou
velles, couronnées par la mode. On ne sait rien
de l’avenir d’un auteur tant que ses successeurs
ne sont pas nés. Gentil-Bernard et Parny nous
paraîtraient des poètes de classe supérieure si
Lamartine n’avait pas écrit les Méditations ;
Jean-Baptiste Rousseau, sans Hugo, brillerait
tout autrement. J.-H. Rosny, en 1892-1898, était
le grand romancier que les nouveaux venus imi
taient, aimé des jeunes, ayant une revue (la se
conde Revue Indépendante) % pour l’encenser. Il
avait ses disciples : François de Nion, Georges
Bonnamour, Adrien Remacle, Alfred Valette,
combien d’autres ! De nouveaux groupes se sont
formés ; de nouvelles revues ont régi l’opinion ;
de nouveaux grands hommes ont été découverts.
Que pensera de J.-H. Rosny et de ceux qui lui au
ront succédé la jeunesse de 1945, de 1950 ? Elle
les repoussera sans doute ensemble dans le même
oubli provisoire, ayant à son tour ses mythes,
ses demi-dieux à créer et à défendre.
A un jeune écrivain qui venait demander à
Rosny, au sujet du prix Goncourt, s’il avait lu
son premier, son unique roman, l’auteur de
NeU Hom répondit :
— Et vous, avez-vous lu les miens ?
De certaines fonctions, à un certain moment de
la vie, demandent de la grandeur d’âme.
Son type de composition ne ressemblait guère
à celui de notre roman classique. Il avait subi
avant tout l’influence des Goncourt, exagérant en
core leur manière, cette façon de distribuer la
vie en tableaux, en coupes de cellules. Encore
Charles Demailly ou Madame Gervaisais sont-ils
déterminés par le caractère de Charles Demailly
ou de Madame Gervaisais. ^ Dans l’œuvre de
J.-H. Rosny aîné, le hasard règne, et un certain
optimisme à l’égard des décrets du Fatum. Les
crises psychologiques, chez Paul Bourget, comme
l’action chez Balzac, ont pour cause les « carac
tères » ; chez J.-H. Rosny, ces crises naissent
des circonstances, et non de ces circonstances
particulières, dues à la fatalité, mais d’incidents
minuscules. Cela donne, a-t-on dit, une impres
sion de vie très vive et très intense. Oui et non.
Aux observateurs, l’existence offre une série de
perspectives où le hasard joue un rôle minime.
J.-H. Rosny passe d’un romanesque Souvent con
ventionnel à l’absence complète d’épisodes drama
tiques. H y aurait lieu d’étudier les rapports de
ses romans avec s,a philosophie du « pluralisme ».
Sans doute, a-t-il été trop philosophe ; il n’est
pas assailli par les événements comme l’ont été
un Barbey d’Aurevilly, un Mirbeau, un Chtché-
drine ; il est plutôt de la race des Meredith, des
Henry James, des Proust. Il médite sur la vie
tout en la vivant. Grande race de conteurs aussi,
nullement inférieure à l’autre, même si on pré
fère celle-ci.
Ce grand auteur, un des honneurs de la France
contemporaine, a toujours vécu dans la gêne. Ce
n’est pas un secret que la création du Prix Flau
bert avait pour but de faire donner une somme
considérable à l’auteur des Purs et les Impurs ;
une somme qui pût lui enlever^ pour de longs
jours ses soucis cuisants. Le mécène qui l’offrait
ne demandait qu’un peu de notoriété éphémère
contre cet engagement. Le zèle de quelques per
sonnes, toujours prêtes à crier au scandale, fit
échouer ce projet. Et J.-H. Rosny se remit à son
dur labeur. Car notre société philanthropique
qui fait, dit-elle, tout pour tous, n’a jamais pensé
à subvenir aux besoins de ses grands écrivains
et de ses grands artistes, quand la vieillesse ou
les circonstances les frappent ; et ce ne sont pas
les dernières interpellations de quelques députés,
au Parlement, la semaine dernière — interpella
tions dont il faudra se souvenir quand le temps
en sera venu — qui révèlent une meilleure dis
position de l’esprit public.
**
J’ai lu cette semaine un des derniers romans
de J.-H. Rosny aîné : Un Banquier. Il a paru en
1937. L’auteur avait donc quatre-vingts ans quand
il l’écrivit. Il vaut ses livres de la soixante, de la
quarantième année ; ni fatigue, ni redites ; le
moule habituel de ses livres ; mais chaque auteur
a le sien. C’est une étude du monde des affaires,
extraordinaire de pénétration et d’intelligence.
Evidemment l’aventure spéculative est sommaire.
Un tel sujet prêtait à une ampleur balzacienne,
à cette prolifération de détails pratiques, minu
tieusement choisis, d’apparence exacte, qui carac
térise La Comédie Humaine. J.-H. Rosny se rat
trape par la finesse d’observation avec laquelle il
étudie le financier, son génie spécial, les ressorts
de son action, les rapports des banquiers entre
eux. Ici encore, le « caractère » manque : Guil
laume de Vermaignes-Méreuise ne rappelle, mê
me de loin, ni Nucingen, ni Saccard, ni le baron
Saffre. La concentration dramatique du récit de
meure indécise ou factice. On dirait que le sens
du temps et de l’espace a été trop vif chez J.-H.
Rosny pour lui permettre de créer ces paroxys
mes de luttes, explosant à une heure fatale, si
nécessaires au roman, et particulièrement au ro
man français. Gomme d’habitude, les personnages
sont presque invisibles : quand on nous dit que le
marquis de Nadaylles « montrait des yeux de
gerfaut, un teint résineux et une magnifique
chevelure aussi fine que le pelage du renard
polaire », écartelés par trois images aussi dispa
rates et aussi saugrenues (comment se représen
ter, en moins d’unie seconde, le regard particulier
de tel rapace, une secrétion végétale — et la
quelle ? toutes les résines n’ont pas la même cou
leur — et la fourrure de l’isatis ?) nous pas
sons, sans garder aucune idée de l’homme ren
contré.
Intéressant, vivant, riche en idées, en observa
tions, en pathétique, en vues cavalières, Un Ban
quier n’est cependant que le schéma d’un roman
sur la vie des affaires, qui aurait dû être admi
rable. Mais on y trouve de beaux morceaux, de
puissantes confrontations d’intérêt et un type
très bien décrit de financier en dehors de la vie,
sans passion, sans attaches, et clairvoyant com
me un devin. Il s’appelle Horus ; il a beaucoup
plus de relief que Guillaume de Vermaignes-
Méreuse. Un autre de ses banquiers est très re
connaissable ; il a déjà servi de modèle à M. Jean
Giraudoux.
Il est à souhaiter que l’on établisse au plus tôt
une bibliographie complète de cette œuvre, trop
dispersée, à peu près introuvable dans son en
semble. Sans doute écrira-t-on de nombreuses
thèses sur elle. Elle a ce qu'il faut pour cela,
n’ayant aucun caractère linéaire ou unilatéral.
Seul, un vaste travail, bien établi, pourra faire
entrevoir l’importance de cette création répandue
sur près de cinquante-six ans.
Edmond JALOUX,
4 » l’Académie Française.
3
LE
MONDE
DES
LIVRES
LIVRE
LES CLEFS
Aucun de nos lecteurs n’a oublié le roman
dont ils eurent ici la primeur. C’est l’un des
pius significatifs qu’ait écrits Germaine
Beaumont. Son œuvre ne compte guère
qu’une demi-douzaine de romans (i), mais
chacun atteint à la parfaite maturité d’un
beau fruit et ils suffisent à classer leur au
teur dans la famille des grands romanciers.
Les Clefs (2) témoignent hautement en fa
veur d’un talent qui ne saurait se comparer
à nul autre dans la littérature française
contemporaine.
Nous parlions la semaine dernière du don
des lomanciers anglais de créer l’atmos
phère, de substituer à l’univers du lecteur
celui de leurs personnages. Germaine Beau
mont offre avec les meilleurs d’entre eux,
une parenté manifeste et sa maîtrise n-e le
cède en rien à la leur. Mais alors que les
Anglais s’inspirent des mille détails succu
lents de l’immédiate réalité et les utilisent
directement, la romancière de Piège, de
Fruit de Solitude, de Cendre, est avant tout
un poète et un poète sensible à l’invisible, à
tous les invisibles. La vie, pour elle, demeu
re toujours singulièrement présente, frémis
sante, impérieuse même, mais sa réalité, elle
l’appréhende d’abord par ce qui n’est pas
perceptible à tous, elle va au delà du réel et
en saisit de préférence les reflets maléfi
ques. Ce fil d’Ariane jamais ne l’égare.
Douée d’un sens merveilleux, complémen
taire des cinq autres, Germaine Beaumont
apprivoise le mystère, poétique, fantastique
ou pervers, le cajole, l’orchestre et lui fait
enfanter tous les miracles de vie qu’il con
tient en puissance. Elle le décèle partout où
il est, dans les êtres, les choses, les paysa
ges, et toujours elle réussit à le rendre sen
sible par sa poésie. Ce don subtil nimbe les
créations de Germaine Beaumont d’une
sorte de fluidité irréelle, souvent satani
que, dont le secret n’appartient qu’à elle.
De ce halo, aux lueurs azurées ou sulfu
reuses, émerge et se précise le domaine
qu’elle veut nous livrer car, les admira
teurs de Germaine Beaumont ne s’y trom
pent pas, loin de l’isoler dans le domaine
du rêve, poésie et mystère lui sont deux
moyens extraordinaires d’investigation du
réel, clefs symboliques ouvrant les portes
de l’univers humain. Et cette rare fa
culté de voir le monde sous un angle dou
ble, lui confère une cruauté de vision, une
pénétration psychologique telles que par
fois son analyse y prend quelque chose de
glacé, d’implacable, de meurtrier. La galerie
des monstres Clauvel prouve à quel point
elle possède ce don puissant de vriller les
âmes, d’amener leur vérité du fond le plus
fangeux jusqu’à la lumière. Quels abîmes
nauséeux ne nous révèle-t-elle pas par une
seule attitude de la secrète Frédérique
Marshall, l’unique personnage sympa
thique de cette trouble histoire, par un
réflexe de l’inquiétante Agnès, par une
intonation de l’ignoble Léon, par un éclair
dans l’œil cruel de la vieille Clauvel ? Et
toutes ces notations sont triées avec la
science la plus avisée. Un métier en pleine
possession de sa force et de ses techniques,
MARTHA DODD
L’AMBASSADE
REGARDE
Un volume : 21 fr.
L’Allemagne vue de l’ambassade des
États-Unis, par la fille elle-même
Je l’ambassadeur, de 1933 à 1938 :
jrands nazis, Gestapo, espionnages,
oersécutions ont ici le relief de la vie.
De tels récits effarent et angoissent.
AUBIER, 13, Quai de Conti,’PARIS
Vient de paraître
BERNARD MALAN
VOLONTÉ
DE
BONHEUR
La volonté de puissance per
sécute et divise les hommes
depuis toujours. Une volonté de
bonheur unanime, seule, peut
les réconcilier.
MAIN
sert avec dévotion et lucidité une inspira
tion qui, pas plus que lui, ne connaît de dé
faillance.
Les lecteurs des Clefs admireront l’habi
leté de composition du roman, solidement
et sévèrement construit, et dont pourtant
la charpente n’apparaît nulle part. Cette
rigueur invisible de la construction est ici
l’une des raisons de la réussite artistique
d’un livre, en apparence libre de toute
discipline et dont la progression s’opère
comme par miracles successifs et intime
ment fondus. Ce roman d’atmosphère qui
est en même temps un roman psychologique
se lit avec un intérêt qu’accroît le mystère
éclairci seulement aux dernières pages. U
est aussi une étude de mœurs bourgeoises
provinciales, un peu exceptionnelles, et cam
pe quelques types odieux, avec vigueur■ Mais
où les dons poétiques de Germaine Beau
mont se manifestent une fois de plus, c’est
dans la grâce de son style imagé, dont la
souple démarche s’adapte à merveille au
rythme interne du roman, « colle » si étroi
tement à l’action, s’identifie avec tant de
vérité au comportement des personnages.
Tous ceux qui ont lu Les Clefs dans les
Nouvelles Littéraires les reliront en volume.
INTERIM.
(1) Nous ne parlons naturellement que des
romans parus en librairie.
(2) Plon, éditeur.
U,
ROMANS
15 fr.
DENOEL
La Maison du Saint=Sang
par Marino Moretti
C’est une ville qui est à la fois l’inspiratrice,
le principal personnage et le cadre de La Mai
son du Saint-Sang. Et cette ville s’appelle Bru
ges. Ce nom seul fait surgir dans le souvenir
de tous ceux qui la connaissent et dans l’ima
gination de tous ceux qui en rêvent, cet émoi
indéfinissable qui ne s’attache qu’à ce qui est
unique. L’auteur, le grand romancier italien
Marino" Moretti, en écrivant cette originale mo
nographie romanesque et sentimentale, a sans
aucun doute voulu acquitter son tribut de re
connaissance envers la plus belle des cités wal
lonnes, si prodigue de ses enchantements à
ceux de ses amants qui se montrent dignes
d’elle. Marino Moretti est de ceux-là, et grâce
à sa ferveur il a su rendre toute la poésie de
cette ville unique, Bruges. C’est en écoutant
battre le cœur du Béguinage « la minuscule
cité dévote dont les portes se ferment le soir »,
que Marino Moretti a pénétré l’un des plus
purs secrets de Bruges. 11 n’appartenait qu’à
un poète de se mouvoir dans cette atmosphère
de piété aimable, de sérénité, de douceur quiète
qui baigne les maisonnettes gothiques groupées
en rond autour d’un pré planté d’arbres et dont
chacune porte un nom. Celle où se réfugiera
temporairement Marthe, l’héroïne, venue d’Ita
lie guérir un chagrin d’amour, s’appelle « La
Maison du Saint-Sang ». Elle lui portera bon
heur. Comblée à nouveau par l’amour retrouvé
et dont la résurrection n’est pas étrangère à ce
« climat » unique, au voisinage des béguines
silencieuses, de la « Grande Dame », Marthe la
quittera, mais un lien l’unira à tout jamais
« au doux pays flamand, à Bruges, à ses
tours, à ses moulins, à ses eaux d’amoirr ».
Pour laisser à la cité qu’il voulait chanter son
rôle de premier plan, l’auteur a traité avec une
infinie délicatesse, en l’effleurant, l’intrigue
romanesque. Et, par cette discrétion même,
il a rendu miraculeusement proches et fré
missants les personnages, il a rendu intensé
ment émouvant le drame, plus suggéré que
révélé, dont le Béguinage ne parviendra pas à
retenir l’héfoïne. Le roman, nimbé de cette
teinte pasteilisée qui est celle de Bruges, est
tout entier en harmonie avec le climat de la
ville et il faut louer cette réussite qui porte
la marque d’un maître. Peut-être devrait-on
faire quelque réserve sur la façon dont est in
troduit ce qui concerne l’historique du Bégui
nage. C’est une petite critique. Il fallait néan
moins la signaler à Marino Moretti pour qui
le souci de composition ne semble pas primor
dial. L’excellente traduction de Juliette Ber
trand fera oublier aux lecteurs français qu’ils
ne lisent pas dans le texte La Maison du Saint-
Sang. — (Editions Albert ). Guy Ardes.
Jk Jk.
Les Filles d’Henerxburg
par Jean Javey
Rien qu’avec de temps à autre un clin d’œil
au lecteur, M. Jean Javey eût pu nous faire
croire qu’il avait écrit une parodie du roman
populaire. Le fantastique, le mystère, l’hor
reur s’y mêlent à plaisir. Si c’est le genre de
roman qui convient le mieux aux époques pai
sibles, on n’est pas sûr que, de nos jours, la
vérité ne suffise pas à contenter les âmes sim
ples, avides de sensations. Un vieux burg tel
que Victor Hugo aimait à en griffonner sur les
marges de ses manuscrits, une crypte funé
raire, le casino de Monte-Carlo, Paris et un
cabaret de style 1910, une croisière dans l’ar
chipel Grec et en Norvège, rien ne manque à
ce roman qui eût tenté un metteur en scène al
lemand en 1925 avec Conrad Veidt dans le rôle
du personnage fantastique de Magnus de Stuc-
kelberg, époux morganatique d’une de ces
filles d’Henerxburg qu’une maladie héréditaire
fait toutes mourir à 21 ans et trois mois. Je
m’en voudrais de révéler la fin de l’histoire,
j’en laisse la surprise au lecteur. Il y avait
deux façons d’écrire ce livre : laisser aux per
sonnages tout leuT relief en ne les écrasant
pas sous les accessoires du mélodrame et aussi
surveiller son style, ou bien céder à la tenta
tion de la couverture en couleurs où l’on voit
un homme en habit effondré aux pieds de la
baronne qui déchire ses dentelles d’une main
crispée, tandis qu’en surimpression un yacht
blanc vogue sut les poufs d’un salon rouge et
or. C’est ce qu’a fait M. Jean Javey. — ( Bau-
dinière .) André du Dognon.
Le Cavalier Franken
par Lucien Delmas
Une déception sentimentale, un coup de tête
et Cari Franken prend sa voiture, file jusqu’à
Marseille, jette son auto dans le Vieux Port
et s’en va au Fort Saint-Jean s’engager dans
la Légion Etrangère. Les premiers contacts
avec l’armée sont sans douceur. Puis c’est le
départ pour l’Afrique, mais le cavalier Franken
traîne interminablement au dépôt : « Alors
une crainte angoissante s’empara de lui, celle
de passer cinq ans à faire de la haute école et
du pansage dans ce trou perdu du bled tuni
sien. » Le cafard le conduit à un nouveau coup
de tête : il déserte, et gagne Tunis où il réussit
à devenir caissier dans un grand restaurant.
Mais bientôt il est traqué par la police. Ré
solu à lui échapper, il va trouver un commis
saire qu’il a rencontré quelquefois et le voilà
engagé dans une autre légion, celle des indica
teurs. L’Afrique du Nord est travaillée par la
propagande étrangère, il s’agit de renseigner
la police sur ce travail souterrain. Ici com
mence pour Franken un roman d’aventures peu
plé de belles intoxiquées, d’agents doubles et
de chefs indigènes qui prennent l’argent qu’on
leur offre sans en chercher l’origine. Le policier
amateur reçoit des coups et en donne ; il ap
porte des renseignements utiles et d’autres qui
le sont moins, et, naturellement, les aventures
féminines se mêlent au roman policier. D’ail
leurs Franken n’en sera pas quitte à si bon
compte : finalement, on l’arrête et il passe
en Conseil de guerre. Mais tout de même, la
chance tourne : sa désertion ne lui vaut que
deux ans de prison avec sursis, et, revenu à
la Légion, une heureuse réforme le rend à la
vie civile et à l’Europe.
Sur ce thème compliqué, Lucien Delmas a
écrit un roman d’une psychologie assez som
maire, mais alerte, vivant et sans prétention.
— (Denoël.) G. Ch.
Les Contes de la Vierge
par Jérôme et Jean Tharaud
Les histoires que les frères Tharaud nous
content remontent pour la plupart au Moyen
Age, qui mit le meilleur de son âme dans
son culte pour la Vierge. C’en est ici la
plus délicate floraison. On lira dans ce livre
la légende de la sauge, celle du Jongleur de
Notre-Dame, celle de la sacristine infidèle qui
s’enfuit un jour hors de son couvent, mais dont
Notre-Dame prit la place en attendant son
retour — bien d’autres encore.
Elles ont été si souvent reprises par la poé
sie et les arts que chacun a l’impression de
les connaître, et cependant elles n’ont laissé
dans les mémoires surmenées que de vagues
réminiscences. D’où le plaisir tout spécial
qu’on éprouve à les relire. Et qui donc irait
les chercher dans le texte original devenu dé
sormais le patrimoine des érudits ?
Jérôme et Jean Tharaud ont procédé com
me Joseph Bédier, dont le nom est d’ailleurs
cité dans leur charmante préface. Ils ont su,
comme lui, éviter le défaut le plus ordinaire
à ce genre de productions qui est de donner
dans le faux archaïsme. Ils ont repris le thème
de l’histoire et, pour le développer, ils ont
retrouvé un style d’une clarté d’eau fraîche,
équivalent dans sa simplicité à celui des con
teurs anciens.
Ajoutons qu’en un temps où tous les auteurs
se voient plus ou moins menacés du papier à
Qswald DUTCH
Les 12 Apôtres d’Hitler
24 fr.
Douglas REED
La Foire aux Folies
30 fr.
A. MORROW-LINDBERGH
Le vent se lève
24 fr.
J.-M. SPAIGHT
Aviation de Guerre
21 fr.
SEYMOUR BERKSON
Les Rois en pantoufles
30 fr.
CORREA
chandelle, on aura double satisfaction à les
lire dans cette édition élégante dont la déco
ration s’harmonise si bien avec le sujet. —
(Plon). Jeanne Ancelet-Hustache.
ESSAIS
Le Barbare tout nu
par Pierre Dominique
Un tableau saisissant, brossé d’une patte
puissante de grand peintre toujours soumis
à son œil infaillible, implacable, que les cou
leurs hardies enchantent, qui possède une
palette d’une variété permettant toutes les
nuances et toutes les violences, telle est l’im
pression que produit le nouvel essai historique
de Pierre Dominique, le Barbare tout nu, cu
rieuse analyse de ce que fut en 1914 l’appa
rition sur la scène du monde de la barbarie
des temps modernes, déchaînée par l’Allema
gne, que la Révolution russe amplifia en 1917,
que personnifia hier Lénine, et qu’incarnent
aujourd’hui Hitler et Staline.
Peu d’évocations historiques présentent ce
dramatisme aigu, sensuel, direct, qui provoque
un choc presque physique par l’image, le
ton, le style. L’accent de Pierre Dominique
est unique, son élan irrésistible, sa phrase,
coulée de lave, entraîne tout avec elle, et
pourtant c’est la froide raison, l’observation
clinique, la science historique et politique la
plus complète et la plus rigoureuse, qui com
mandent à ce brûlant talent. Que de préci
sions cruelles et justes sur ceux qui ont
ébranlé le monde, quelle vision impitoyable
de ce qu’ils furent, de ce qu’ils devinrent , du
péril dont ils menacent notre univers ! Pierre
Dominique a un don prestigieux de résurrec
tion, une sorte de brutalité dans l’image qui
parfois coupe le souffle, et quand il retrace
les événements de ces dernières années, nous
haletons, un peu, bien entendu, de la légitime
émotion suscitée par le rappel des faits, mais
beaucoup du rythme de son inspiration et de
la cadence de sa phrase. Son jugement d’his
torien s’appuie sur le diagnostic du médecin
qu’il n’a jamais cessé d’être. Il ne rêve pas
autour de la nature de l’homme, il décèle les
tares , les vices, les terribles possibilités, les
limites de son organisme et c’est cette
effrayante lucidité qui nous fait trembler. Son
intelligence aiguë, étincelante, son grand,
très grand talent en font l’un des écrivains
politiques les plus remarquables de notre
temps, l’un de ceux qui devraient avoir la
plus large audience car la clairvoyance d’un
historien peut devenir l’un des facteurs de
la justice de demain. (Les Œuvres Libres,
Fayard, éditeur.) Frédéric Lefèvre.
Théâtre
de Tristan Bernard
Voici que paraît le septième et dernier vo
lume du Théâtre de Tristan Bernard. Vif est
le plaisir que l’on prend à relire les cinq piè
ces qui sont réunies dans ce livre, des Jumeaux
de Brighton à L’Etrangleuse en passant par
L’Enlèvement d’Agathe, Le Négociant de Be
sançon et Les Coteaux du Médoc.
En guise de préface on trouvera la causerie,
faite par l’auteur, qui précéda la première re
présentation des Jumeaux de Brighton, pièce
créée en 1908, et dont le succès fut grand.
Cette causerie mériterait de figurer dans une
anthologie tant elle est représentative d’une
époque, et de ce que fut l’esprit « humo
riste » ; c’est tourte une ambiance que, selon
son âge, le lecteur pénètre ou découvre, et ces
courtes pages vous mettent dans le meilleur et
le plus favorable état de réceptivité pour lire
la suite, à commencer par les Jumeaux de
Brighton. Excellente pièce ! esprit dans les
situations, esprit dans le texte.
Tristan Bernard a de l’esprit comme cer
taines femmes bénies des dieux ont diu charme,
•-don naturel que l’on prodigue à tout moment,
sans le savoir, et dont on use malgré soi, pour
la seule joie de plaire. En lisant Tristan Ber
nard, comme en l’écoutant, on s’émerveille de
le voir rester ausei bon, tout en étant si bien
doué, et armé, pour le coup de patte et même
pour le coup de dent. Pourtant ! que ce doit
être tentant pour lui, et facile, de faire un mot
« terrible », qui emporterait le morceau ! On
l’attend, œ mot, et il ne vient jamais. L’œil se
fait parfois aigu, mai* il reste débonnaire, et
la satire, d’un humour si souvent irrésistible,
demeure légère et souriante. C’esrt comme un
géant qui dirait : « Je pourrais tout casser, si
je voulais, mais je ne veux pas : ça m’en
nuierait. »
Cette nature bien particulière, bien sym
pathique et plus rare encore, déborde de l’hom
me et se sent dans toute l’œuvre.
Parmi les pièces en un acte que contient le
présent volume, nous avons une préférence
marquée pour L’Etrangleuse, drame au comi
que impayable, charge plutôt que comédie, à
la fantaisie facile et souple. Cette sorte de po
chade semble avoir été écrite sur le coin d’une
table, pas même retouchée, par quelqu’un qui,
le premier, s’en est amusé ; ce à quoi, sans
d'oute, elle doit son effet direct et certain, ■—
(Calmann-Lévy.) Roger Dacy.
Les nati
Les régimes de liberté
et les régimes autoritaires (1)
Les hommes qui ont déjà assez vécu pour
avoir pleinement goûté le XIX e siècle, ce
siècle dont s’est achevé en 1914 le cours
curieux et parfois glorieux, se sentent, dès
qu’ils confrontent le présent avec leurs
souvenirs, transportés dans un monde nou
veau. Ils ont le sentiment d’être moins heu
reux que jadis, et, de fait, ils le sont beau
coup moins, si le bonheur est dans la sécu
rité. Quoi qu’on dise, de 1815 à 1914, les
nations, les familles, les hommes, leurs
biens, jouirent d’une sécurité, relative, cer
tes, mais très appréciable. Une invasion
n’entraînait pas alors la mort d’un pays ; la
monnaie subsistait à travers les guerres et
les révolutions, et l’épargne avec elle ; en
majeure partie les hommes conservaient
sans grands efforts ce qu’ils avaient acquis
et le transmettaient sans grandes pertes à
leurs descendants. La guerre de 1914 a tout
saccagé : la révolution de type soviétique
est venue par là-dessus ; les révolutions de
type national-socialiste ont éclaté à leur
tour ; et la guerre que nous vivons à l’heu
re actuelle a fait le reste.
Il n’y a plus de sécurité — en tout cas
il n’y a plus celle d’autrefois — ni aux
frontières, ni à l’intérieur, ni dans le do
maine de la rue, ni sur le plan social ou
économique. Le beau résultat est l’appau
vrissement des nations et des hommes, la
baisse du niveau de la culture, et, malgré
le perfectionnement journalier de la tech
nique, le recul de la civilisation.
M. Lescure, comparant les régimes de
liberté aux régimes autoritaires, souligne
avec preuves à l’appui tout ce que je viens
de dire, et il ajoute qu’il faut voir dans
cette lamentable aventure la faillite de
l’esprit de système. Les systèmes contre
la science, voilà le stupide assaut qu’on a
pu observer, et, de même que la mauvaise
monnaie chasse la bonne, les systèmes ont
démoli le bel édifice élevé par la longue
expérience humaine.
D’ailleurs, dit l’auteur, il a bien fallu
reconnaître l’erreur ; déjà, les Russes en
sont revenus ; on en revient dans notre Oc
cident. « La vie économique a ses néces
sités, ses lois..- » Tout le sang répandu pour
nier les unes et combattre les autres, l’a
été inutilement.
Cependant, deux questions ici se posent :
d’abord, est-ce que le capitalisme n’a pas
ET LES HOMMES
vieilli ? M. Lescure dit non et combat sur
ce point la thèse défendue notamment par
M. Mussolini. Deuxième question ; les
champs d’action se sont démesurément
élargis. En présence de la complication de
la lutte et de l’énormité des intérêts enga
gés, un individu ne peut plus grand’chose ;
il y faut des compagnies, des trusts. Est-ce
que dans ces conditions l’Etat n’est pas
plus capable que l’individu — réserve faite
de la compagnie qui peut, il est vrai, deve
nir trop puissante et dominer l’Etat —
d’avoir une politique de « plan » ? Je me
contente aujourd’hui de ces deux questions.
Les réponses qu’on y peut faire sont im
portantes pour l’avenir de l’Occident, car
déjà nous ne vivons plus sous un régime de
liberté et nous sommes à mi-chemin du ré
gime autoritaire. Faut-il revenir en arriè
re ? Pousser jusqu’au mussolinisme ? Nous
maintenir où nous sommes ? Et, le point
d’équilibre trouvé, comment nous y main
tenir ?
Car il ne saurait y avoir place dans le
monde pour plusieurs régimes économiques
contradictoires. La civilisation du XIX*
siècle valait ce qu’elle valait ; elle était
faite d’une identité de vues, de goûts, de
rythmes. Les hommes s’entendaient, les na
tions se comprenaient et se complétaient ;
nous parlions tous le même langage éco
nomique et social ; nous tendions au même
régime politique ; et nous avions, enfin, la
même notion du bien et du mal. Or, juste
ment le régime autoritaire né de la gue. e
de 19^4 tend à isoler la communauté qu’il
dirige : il est à base de destruction et de
contradiction.
Pierre DOMINIQUE.
(1) par Jean Lescure, Domat-Montchrestien,
éditeur.
INFORMATIONS
— Créé pour récompenser alternativement,
pendant un cycle de quatre années un roman
cier, un poète, un historien, un philosophe, es
sayiste ou critique, qu’il s’agisse d’un débutant
ou d’un écrivain pour l’ensemble de son œuvre,
le Grand, Prix Littéraire de la Ville de Paris
sera attribué dans le courant de mars, à un
historien. Rappelons qu’en 1937, le Grand Prix
Littéraire de la Ville de Paris a été attribué à
un romancier : M. Roger Martin du Gard, et,
en 1938, à un poète : M. André Dumas.
— C’est grâce à M. Jean de Beaumont, dé
puté de Cochinchine, que le Grand Prix de
l’Empire qui sera attribué le 14 mars, a pu
être porté de 5.000 à 10.000 francs.
Chronique privée
par
JACQUES CHARDONNE
Voici un livre admirable. Je le déclare, tout bien pesé, parce que
M. Jacques Chardonne est un écrivain admirable, parce qu’il nous offre
le magistral exemple d’une pensée indépendante et que sa marque propre
est un art infini de la nuance dans tous les ordres.
FRANÇOIS PORCHÉ (L’Rpoqoe)
Aussi pittoresque qu’une autobiographie, aussi animée qu’un journal
intime, cette Chronique d’un artiste, d’un citoyen, d'un sage, nous transporte
à Bordeaux, à Limoges, à Barbezieux, à Paris, en 1900, en 1940. Elle est
de ce style cristallin qui fait de Jacques Chardonne le plus pur écrivain
français.
ANDRÉ THERIVE
(Le Temps)
L’intraduisible mot anglais survey rend assez bien T attitude que
M- Jacques Chardonne observe en présence de la vie. La vie ! Personne
de notre temps, personne jamais peut-être ne se sera penché avec une
attention plus sérieuse sur l’insaisissable réalité que d ésigne ce mot.
GABRIEL MARCEL
Jour)
Il y a chez Jacques Chardonne un miracle de style qui dérobe presque
les choses à force de limpidité.
ANDRÉ ROUSSEAUX
(Le Figaro)
STOCK
L’ES R RI T = D ESül LIVRE
NS le portrait que j’ai essayé de faire,
y a une semaine, de J.-H. Rosny aîné,
j’ai laissé bien des points de côté. Un
portrait, s’il doit montrer un dessin
général, est fatalement condamnée à un
aspect linéaire. Ou il est nécessaire
de lui consacrer pages^ sur pages,
ou on laisse trop de choses de côté. Voici quel
ques-unes de celles que j’ai dû abandonner précé
demment. Elles se présenteront sans ordre et
presque sans suite. Les réintégrer à un ensem
ble équivaudrait à nouvelles coupures. ^ Mieux
vaut laisser ces notes comme elles sont, à l’état
de marginulia.
Je le revois, de taille moyenne, bâti en force,
un peu voûté. Dans la figure mate, aux grands
traits, brillaient des yeux extraordinaires, noirs,
d’un éclat minéral, sous des sourcils hirsutes et
farouches. Le nez avait un puissant dessin aqui-
lin ; le front, une rondeur de coupole. Longtemps,
il garda noirs ses cheveux un peu longs, sa
barbe souple, effilée. Il ne décida de blanchir que
très tard. L’âge ne voila, ne ternit jamais le feu,
la violence de son regard. A ses débuts, Jules Le
maître le comparait à un « Mahdi jeune ». Sa
physionomie était étrange. Il avait je ne sais
quoi d’illuminé, l’air d’un sorcier de village, d’un
pasteur ayant renoncé au culte, d’un philosophe
de génie. Belge, il montrait dans tout son être
une forte hérédité espagnole, avec la carrure
flamande.
Je n’ai pas été son ami. En a-t-il eu ? Je veux
dire de ceux qui entrent vraiment dans notre in
timité. Il semblait immensément solitaire, malgré
son culte des sentiments familiaux ,qu’il a tou
jours exprimés avec une si jolie chaleur, de Marc
Fane à Un Banquier. Je ne peux me le représen
ter que rôdeur infatigable, explorateur des rues
et des forêts, pareil au Bilatéral, à Vamireh, à
cet énigmatique personnage chez lequel se réfu
gie à la fin du livre Marthe Baraquin.
Je le revois encore à l’enterrement de Paul
Adam. Quand il se leva pour prononcer son dis
cours, solide, un peu lourd, si pâle entre ses mè
ches noires, avec quelque chose de prophétique et
de velu, il faisait penser à un homme préhistori
que ; il sortait vraiment des temps qu’il a évo
qués si magistralement.
Sa diction était particulière aussi ; détachée,
scandée, découpant les mots, semblait-il, avec une
ioie féroce. Il se plaisait à discourir ; à la fin des
banquets, il aimait à prendre la parole, qu’il y
fût ou non engagé. Il avait toujours quelque chose
à dire, mai® il ne craignait pas de déplaire et les
« gaffes » ne le gênaient pas.
Sa surdité l’isolait depuis bien longtemps.
Comme il avait la parole facile et abondante, il
devait souffrir moins qu’un autre, mais il y avait
perdu ce goût de la contradiction, dont Edmond
de Goncourt disait que cela le prenait « comme
une maladie ». Sans doute, cette surdité a-t-elle
contribué à augmenter cette impression de soli
tude dont je parle.
Gomme il ne mesurait plus le degré de force
de sa voix et que celle-ci était creuse et sonore,
il nous faisait souvent des confidences pénibles,
car il croyait murmurer et tout le monde l’enten
dait. A une réunion, où se trouvait une ving
taine de gens de lettres, il me prit à part pour
me montrer Marcel Boulenger et il me chuchota
à tue-tête :
— Comme Marcel Boulenger est fin et racé !
La jolie tête, et qui a l'air dessinée par un ar
tiste ! Mais comme tous les autres, à côté, sont
laids ou vulgaires !
Ce sont de ces propos qu’il est difficile d’ap
prouver publiquement, même quand ils sont jus
tes.
On aimait, on estimait J.-H. Rosny aîné dans le
monde des lettres. Personne ne parut l’avoir en
tendu.
Il montrait à tous une grande bienveillance,
une mansuétude de patriarche, et aux femmes
une galanterie très seigneuriale. Il a aidé beau
coup de jeunes écrivains. Mais je ne crois pas
qu’il ait beaucoup aimé ses confrères. Il a laissé
sur ses sentiments intimes un témoignage assez
impitoyable : Torches et Lumignons. S’il y dit
quelque bien de ses maîtres, il exécute presque
tous ses contemporains avec un extrême mépris.
De bons romanciers, ses camarades, des gens
de talent, à succès, ou d’autres qui n’ont pas
réussi, sont vidés en quelques lignes, avec une
insensibilité d’insecte. Ce livre m’a fait long
temps de la peine ; je le trouvais indigne d’un
homme qui avait une grande intelligence et le
cœur haut ; on y sentait traîner de vagues sou
venirs de rivalités littéraires. Je préférais l’atti
tude de Bourges, si indulgent à tous, si prompt
à trouver des dons charmants à des nouveaux
venus, et qui louait avant tout l’effort, l’amour
des lettres, le sens de la poésie. Et puisqu’on
n’était ni Eschyle, ni Euripide, ni Dante, ni
Shakespeare, ni Michel-Ange, ni le père Hugo,
n’est-ce pas ? tout le monde se valait ; à cette
différence près, toutefois, que Dumas père et
"Notes sur J.-H. ROSNY aîné
Paul Féval étaient plus amusants à lire que
Zola. Quand Bourges avait à se plaindre de quel
qu’un, il se taisait. Il y a des pages de Torches
et Lumignons dont on aurait aimé qu’elles ne
fussent jamais écrites.
%%
La situation de J.-H. Rosny, dans l’opinion,
aurait été supérieure à ce qu’elle est sans les mo
difications subies par le monde littéraire, du fait
des déplacements de force et de stratégies nou
velles, couronnées par la mode. On ne sait rien
de l’avenir d’un auteur tant que ses successeurs
ne sont pas nés. Gentil-Bernard et Parny nous
paraîtraient des poètes de classe supérieure si
Lamartine n’avait pas écrit les Méditations ;
Jean-Baptiste Rousseau, sans Hugo, brillerait
tout autrement. J.-H. Rosny, en 1892-1898, était
le grand romancier que les nouveaux venus imi
taient, aimé des jeunes, ayant une revue (la se
conde Revue Indépendante) % pour l’encenser. Il
avait ses disciples : François de Nion, Georges
Bonnamour, Adrien Remacle, Alfred Valette,
combien d’autres ! De nouveaux groupes se sont
formés ; de nouvelles revues ont régi l’opinion ;
de nouveaux grands hommes ont été découverts.
Que pensera de J.-H. Rosny et de ceux qui lui au
ront succédé la jeunesse de 1945, de 1950 ? Elle
les repoussera sans doute ensemble dans le même
oubli provisoire, ayant à son tour ses mythes,
ses demi-dieux à créer et à défendre.
A un jeune écrivain qui venait demander à
Rosny, au sujet du prix Goncourt, s’il avait lu
son premier, son unique roman, l’auteur de
NeU Hom répondit :
— Et vous, avez-vous lu les miens ?
De certaines fonctions, à un certain moment de
la vie, demandent de la grandeur d’âme.
Son type de composition ne ressemblait guère
à celui de notre roman classique. Il avait subi
avant tout l’influence des Goncourt, exagérant en
core leur manière, cette façon de distribuer la
vie en tableaux, en coupes de cellules. Encore
Charles Demailly ou Madame Gervaisais sont-ils
déterminés par le caractère de Charles Demailly
ou de Madame Gervaisais. ^ Dans l’œuvre de
J.-H. Rosny aîné, le hasard règne, et un certain
optimisme à l’égard des décrets du Fatum. Les
crises psychologiques, chez Paul Bourget, comme
l’action chez Balzac, ont pour cause les « carac
tères » ; chez J.-H. Rosny, ces crises naissent
des circonstances, et non de ces circonstances
particulières, dues à la fatalité, mais d’incidents
minuscules. Cela donne, a-t-on dit, une impres
sion de vie très vive et très intense. Oui et non.
Aux observateurs, l’existence offre une série de
perspectives où le hasard joue un rôle minime.
J.-H. Rosny passe d’un romanesque Souvent con
ventionnel à l’absence complète d’épisodes drama
tiques. H y aurait lieu d’étudier les rapports de
ses romans avec s,a philosophie du « pluralisme ».
Sans doute, a-t-il été trop philosophe ; il n’est
pas assailli par les événements comme l’ont été
un Barbey d’Aurevilly, un Mirbeau, un Chtché-
drine ; il est plutôt de la race des Meredith, des
Henry James, des Proust. Il médite sur la vie
tout en la vivant. Grande race de conteurs aussi,
nullement inférieure à l’autre, même si on pré
fère celle-ci.
Ce grand auteur, un des honneurs de la France
contemporaine, a toujours vécu dans la gêne. Ce
n’est pas un secret que la création du Prix Flau
bert avait pour but de faire donner une somme
considérable à l’auteur des Purs et les Impurs ;
une somme qui pût lui enlever^ pour de longs
jours ses soucis cuisants. Le mécène qui l’offrait
ne demandait qu’un peu de notoriété éphémère
contre cet engagement. Le zèle de quelques per
sonnes, toujours prêtes à crier au scandale, fit
échouer ce projet. Et J.-H. Rosny se remit à son
dur labeur. Car notre société philanthropique
qui fait, dit-elle, tout pour tous, n’a jamais pensé
à subvenir aux besoins de ses grands écrivains
et de ses grands artistes, quand la vieillesse ou
les circonstances les frappent ; et ce ne sont pas
les dernières interpellations de quelques députés,
au Parlement, la semaine dernière — interpella
tions dont il faudra se souvenir quand le temps
en sera venu — qui révèlent une meilleure dis
position de l’esprit public.
**
J’ai lu cette semaine un des derniers romans
de J.-H. Rosny aîné : Un Banquier. Il a paru en
1937. L’auteur avait donc quatre-vingts ans quand
il l’écrivit. Il vaut ses livres de la soixante, de la
quarantième année ; ni fatigue, ni redites ; le
moule habituel de ses livres ; mais chaque auteur
a le sien. C’est une étude du monde des affaires,
extraordinaire de pénétration et d’intelligence.
Evidemment l’aventure spéculative est sommaire.
Un tel sujet prêtait à une ampleur balzacienne,
à cette prolifération de détails pratiques, minu
tieusement choisis, d’apparence exacte, qui carac
térise La Comédie Humaine. J.-H. Rosny se rat
trape par la finesse d’observation avec laquelle il
étudie le financier, son génie spécial, les ressorts
de son action, les rapports des banquiers entre
eux. Ici encore, le « caractère » manque : Guil
laume de Vermaignes-Méreuise ne rappelle, mê
me de loin, ni Nucingen, ni Saccard, ni le baron
Saffre. La concentration dramatique du récit de
meure indécise ou factice. On dirait que le sens
du temps et de l’espace a été trop vif chez J.-H.
Rosny pour lui permettre de créer ces paroxys
mes de luttes, explosant à une heure fatale, si
nécessaires au roman, et particulièrement au ro
man français. Gomme d’habitude, les personnages
sont presque invisibles : quand on nous dit que le
marquis de Nadaylles « montrait des yeux de
gerfaut, un teint résineux et une magnifique
chevelure aussi fine que le pelage du renard
polaire », écartelés par trois images aussi dispa
rates et aussi saugrenues (comment se représen
ter, en moins d’unie seconde, le regard particulier
de tel rapace, une secrétion végétale — et la
quelle ? toutes les résines n’ont pas la même cou
leur — et la fourrure de l’isatis ?) nous pas
sons, sans garder aucune idée de l’homme ren
contré.
Intéressant, vivant, riche en idées, en observa
tions, en pathétique, en vues cavalières, Un Ban
quier n’est cependant que le schéma d’un roman
sur la vie des affaires, qui aurait dû être admi
rable. Mais on y trouve de beaux morceaux, de
puissantes confrontations d’intérêt et un type
très bien décrit de financier en dehors de la vie,
sans passion, sans attaches, et clairvoyant com
me un devin. Il s’appelle Horus ; il a beaucoup
plus de relief que Guillaume de Vermaignes-
Méreuse. Un autre de ses banquiers est très re
connaissable ; il a déjà servi de modèle à M. Jean
Giraudoux.
Il est à souhaiter que l’on établisse au plus tôt
une bibliographie complète de cette œuvre, trop
dispersée, à peu près introuvable dans son en
semble. Sans doute écrira-t-on de nombreuses
thèses sur elle. Elle a ce qu'il faut pour cela,
n’ayant aucun caractère linéaire ou unilatéral.
Seul, un vaste travail, bien établi, pourra faire
entrevoir l’importance de cette création répandue
sur près de cinquante-six ans.
Edmond JALOUX,
4 » l’Académie Française.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 89.02%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 89.02%.
- Auteurs similaires Guenne Jacques Guenne Jacques /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Guenne Jacques" or dc.contributor adj "Guenne Jacques")Martin Du Gard Maurice Martin Du Gard Maurice /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Martin Du Gard Maurice" or dc.contributor adj "Martin Du Gard Maurice") Charles Gilbert Charles Gilbert /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Charles Gilbert" or dc.contributor adj "Charles Gilbert") Lefèvre Frédéric Lefèvre Frédéric /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Lefèvre Frédéric" or dc.contributor adj "Lefèvre Frédéric")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 3/6
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bd6t5952237/f3.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bd6t5952237/f3.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bd6t5952237/f3.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bd6t5952237/f3.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bd6t5952237
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bd6t5952237
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bd6t5952237/f3.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest