Titre : Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques : hebdomadaire d'information, de critique et de bibliographie / direction : Jacques Guenne et Maurice Martin du Gard
Éditeur : Larousse (Paris)
Date d'édition : 1939-06-10
Contributeur : Guenne, Jacques (1896-1945). Directeur de publication
Contributeur : Martin Du Gard, Maurice (1896-1970). Directeur de publication
Contributeur : Gillon, André (1880-1969). Directeur de publication
Contributeur : Charles, Gilbert (18..-19.. ; poète). Directeur de publication
Contributeur : Lefèvre, Frédéric (1889-1949). Directeur de publication
Contributeur : Charensol, Georges (1899-1995). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328268096
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 6724 Nombre total de vues : 6724
Description : 10 juin 1939 10 juin 1939
Description : 1939/06/10 (N869). 1939/06/10 (N869).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t5951845
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GR FOL-Z-133
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 02/05/2021
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du Peuule Ail
Dans les heures troubles, intermédiai
res entre la paix et la guerre, que nous
vivons en ce moment, une série d’ob
servateurs se sont efforcés de tracer, à
l’usage du grand public français, un por
trait psychologique de l’Allemagne
d’aujourd’hui. De là des livres comme
celui de M. Betz (1) ou de M. Gar
reau (2) qui se donnent pour tâche de
nous peindre dans ses traits généraux,
comme dans ses variétés locales, ce peu
ple allemand qui reste au fond si mal
connu de nous. Ces derniers temps enfin
le beau livre de l’ancien président du
Sénat de Dantzig, M. Rausehning (3) est
venu renouveler ou compléter nos vues
sur le national-socialisme en montrant
que l’hitlérisme est au fond non pas
tant un fanatisme idéologique qu’une
révolution issue du nihilisme. Je vou
drais, en m’inspirant de ces divers ou
vrages, essayer de définir ce mouve
ment et de dire ce que nous pouvons
attendre ou craindre de lui.
Chacun sait comment l’armée alle
mande, moins de vingt ans après son
écrasante défaite et son anéantissement
presque total, s’est trouvée, pendant les
trois premières années du règne hitlé
rien, intégralement reconstituée telle
qu’elle était avant le désastre de 1918.
Et, à partir de ce moment, c’est une
suite rapide de victoires obtenues coup
sur coup sans batailles, par l’étalage de
sa force et la simple menace de guerre :
la conquête de l’Autriche, la dissolution
de la Tchéco-Slovaquie par l’incorpora
tion des Sudètes allemands, puis l’an
nexion de la Bohême, de la Moravie, de
la Slovaquie, enfin la rentrée dans le
Reich du territoire de Memel. Et, ma
nifestement, Hitler n’a pas l’intention
d’en rester là. Par la constitution de
l’axe Berlin-Rome, puis du triangle Ber-
Îin-Rome-Tokio, Hitler est en passe de
prétendre à l’hégémonie mondiale : il
peut, à son choix, continuer sa route
vers le sud-est par l’Ukraine jusqu’à la
mer Noire, ou s’assurer les richesses en
blé et pétrole de la Roumanie, ou pe
ser sur la Pologne et les petites puis
sances baltiques, ou tenter de mettre la
main sur la Suisse et la Hollande, ou
enfin assurer à l’Italie la prééminence
en Méditerranée. Les possibilités les
plus étendues lui sont ouvertes dans
toutes les directions : partout les voisins
sentent la menace qui pèse sur eux.
La notion même de la paix et de la
guerre s’est trouvée peu à peu modi
fiée par cette extraordinaire réussite.
Normalement, c’est le pouvoir civil
qui indique au commandement mili
taire les buts de politique extérieure
qu’il faut atteindre, et les généraux dé
cident des moyens techniques qui per
mettront d’atteindre ces buts. Or, le
gouvernement national-socialiste a peu
à peu perdu de vue la notion du risque
que comportait, pour l’existence même
de la nation, la politique où il s’enga
geait : il a peu à peu amené le com
mandement militaire à prendre pour
but de ses opérations tactiques la mo
bilisation totale et permanente de la
nation entière et de tous ses moyens de
production. La notion de la « guerre
totale » et de la « mobilisation totale »
est née chez le civil et non chez le mi
litaire. Elle n’appartient pas en propre
à Ludendorf. Ce qu’il y a de nouveau
dans cette conception, c’est la destruc-
par Henri
LICHTENBERGER
tion de l’idée qu’à côté de l’organisa
tion de la guerre il existe une organi
sation de la paix qui a elle aussi ses
lois propres. Dans la conception natio-
nale-socialiste, les exigences de la
guerre doivent dominer aussi cette pé
riode intermédiaire entre deux guerres
qu’on appelait jadis la « paix ». Il n’y
a pas de domaine autonome pour une
vie indépendante spirituelle, ou morale,
ou artistique, ou économique, ou reli
gieuse. L’idée de « mobilisation to
tale » signifie que l’existence nationale
entière doit être subordonnée à la loi
universelle de la préparation à la
guerre qui est la condition normale de
l’existence humaine. La vie entière de
l’homme n’est que guerre ou prépara
tion à la guerre.
L’officier, dans ces conditions, tend
de plus en plus à prendre tous les ris
ques, à mépriser soit les capacités de
l’adversaire, soit les résistances que sus
cite à l’intérieur la tyrannie qu’il exer
ce. La transformation de la Reichswehr
en une armée populaire nationale-so-
cialiste aboutit à la naissance d’une
Wehrmacht qui aura jeté par-dessus
bord toutes les traditions et valeurs mo
rales pour devenir l’instrument volon
taire d’une révolution mondiale. A la
place de l’ancien soldat chrétien et mo
narchiste qui combattait pour son Dieu
et son Roi (type : les maréchaux von
Hindenburg ou von Mackensen), à la
place du militaire professionnel qui
s’absorbe strictement dans la tâche quo
tidienne et se confine exclusivement
dans la sphère militaire, s’épanouit le
type du lansquenet ou du condottiere,
la foule des jeunes officiers fanatiques,
révolutionnaires, imbus des doctrines
de violence, émancipés de toutes les
normes des < civils », plein:; de mépris
pour les préjugés nobiliaires, monarchi
ques ou religieux, d’ailleurs bons sol
dats et animés d’une sorte d’héroïsme
technique. Mais, au total, opportunistes,
détachés de toute croyance, parfaits
nihilistes, improvisateurs et « hasar-
deurs ».
Et dans une fin de chapitre sensa
tionnelle, M. Rausehning nous laisse
entrevoir le dénouement redoutable que
prophétisent les représentants extrê
mes du national-socialisme : guerres
militaires tournant en discordes civiles,
luttes désespérées entre les grandes
unités ethniques, bouleversements por
tant « le cachet d’une migration de
peuples barbares », actions révolution
naires ou guerrières entraînant la des
truction des normes de vie et des cul
tures, des sociétés et des nations. La
première guerre mondiale n’aurait été
que « le prélude à l’ère de violence »
mais « les formes nouvelles veulent
être réalisées dans le sang ». L’Allema
gne et l’Europe tomberaient dans un
chaos sanglant de guerres et de révo
lutions auprès duquel les troubles de
Chine ou d’Espagne n’auront été que
d’innocents jeux d’enfants (1).
M. Rausehning lui-même ne partage
pas ces vues d’avenir eschatologiques.
Il a quitté Hitler parce qu’il est persua
dé que les partis-pris extrêmes adoptés
par le Führer conduisent à la ruine de
l’Allemagne, et qu’il est persuadé qu’il
ne peut plus faire machine arrière ni re
venir à une politique de modération et
de paix. L’ex-président du Sénat de
Dantzig veut cependant espérer que,
à un moment donné, l’Armée pourrait
reprendre le pouvoir qu’elle a jusqu’à
présent concédé à Hitler. Il estime que,
dans le fond, l’Armée reste peut-être
malgré tout, chrétienne et monarchi
que. C’était la solution qui avait été en
visagée à l’origine, lorsque fut conclue
l’alliance entre les conservateurs de
droite et le national-socialisme. Hitler
s’était engagé à la réaliser dès que les
circonstances le permettraient. Il n’a
pas tenu cet engagement, et songe au
jourd’hui moins que jamais à le tenir.
De son côté, l’armée, qu’on a longtemps
regardée comme « la dictature à l’inté
rieur de la dictature », a toujours reculé
devant les responsabilités à prendre. M.
Rausehning croit toutefois discerner au
jourd’hui des signes montrant que bien
des personnalités s’effraient de la terri
ble montée du nihilisme parmi les diri
geants du parti et espèrent encore une
régénération future de l’armée.
Cette manière de voir se rencontre en
somme avec certains courants de l’opi
nion française qui doute, au fond, de
la durée et de la stabilité du régime
hitlérien. Les partisans de cette « lé
gende », s’ils reconnaissent qu’il y a dans
le national-socialisme un élément révo
lutionnaire par lequel il donne satisfac
tion aux aspirations des masses et s’ap
parente au communisme ou au socialis
me, prétendent qu’il y a aussi en lui
une certaine tendance à la conservation
sociale qui le rapproche des anciens con
servateurs ou des nationaux-allemands.
LA SUITF A LA HUITIÈME PAGE
Pluie
de cira rendes
Mercredi dernier, au cours d’un déjeu
ner brillant où figuraient côte à côte une
importante représentation politique : MM.
Edouard Herriot, Léon Eérard, Anatole de
Monzie et Charles Pomaret — et une non
moins importante représentation littéraire —
Ce tableau de Velasquez, un des chefs-d’œuvre du Musée du Prado, est actuellement exposé à
Genève. On trouvera à la sixième page un article de notre envoyée spéciale Germaine Beau-
mont, ainsi que des articles de MM. Georges Poupet et Georges Cattaui sur ia Suisse
M. Maurice Guierre est venu recevoir les féli
citations du jury de la Renaissance. A ses côtés,
on reconnaît M. Léon Bérard
MM. Léon-Paul Fargue, Pierre Mac Orlan,
Paul Fort, Jean Vignaud, François Porché,
etc..., le Prix de la Renaissance a été décerné
à M. Maurice Guierre, par 10 voix contre 5
à M. Jean-Paul Sartre, 2 à Mme Marie-
Thérèse Bodart, et 1 à M. Marius Richard.
Ce résultat, obtenu après une grande heure
de discussions passionnées, ne fut pas sans
surprendre, puisque M. Guierre ne figurait
pas dans le lot des candidats retenus en
dernier ressort. Il faut croire que ses par
tisans ont voulu lui garder jusqu’au bout le
bénéfice du silence. Il faut croire surtout
que l’apre talent et la vision implacable des
choses qui se révèlent dans « La nausée »
et dans « Le mur », ont définitivement ef
frayé les membres d’un jury qu’on a connu
moins timoré, par exemple, il y a deux ans,
quand il couronnait un beau roman de M.
Jean Cassou.
M. Maurice Guierre, qui a cinquante et
un ans, est un officier de carrière qui a
servi tour à tour dans la marine et dans
l’aviation. Son œuvre, depuis la guerre, est
consacrée à la peinture de ces milieux qu’il
connaît si bien pour y vivre. « L’angoisse
des veilles sous-marines », « Réalités et nos
talgies marines », « Andromède », roman
d’un sous-marin, avaient précédé le livre
que laure aujourd’hui le Prix de la Renais
sance, « Seul maître à bord », roman d’un
commandant de navire et de ses responsa
bilités.
La veille, l’Académie Mallarmé avait
décerné son prix annuel de poésie, lequel,
porté de 5.000 à 9.000 francs par la géné
rosité de Mme Francis Vielé-Griffin, la
veuve du grand poëte symboliste, a dû être
scindé en trois parts pour satisfaire à toutes
les tendances d’un jury ardent et divisé.
M. Henry Hertz, au nom des aînés, et pour
l’ensemble de leur œuvre, M. Jean Follain
et M. André Bellivier pour les jeunes, l’un
novateur, l’autre classique, se sont donc par
tagé la timbale.
La journée cJe M. Charles Maurras com
mence paradoxalement lorsque s’achève la
journée de M. Tout-le-Monde. Du moment
où il arrive à L’Action française jusqu’à celui
auquel, le journal étant tiré, il quitte l’im
primerie pour regagner son domicile — il esl
alors entre 6 heures et 10 heures du matin —
il n’a pas un instant de répit. Car non seule
ment il écrit son article quotidien et relit tout
le journal depuis la première ligne jusqu’aux
petites annonces comprises, mais encore il voit
défiler devant lui cent visiteurs, il fait compa
raître les chefs des différents services de sa
maison, travaille à un livre en cours, rédige
sa correspondance — qui est toujours manus
crite — et, après avoir étudié la situation avec
son comité, prend ses décisions.
Lorsqu’il évoque son enfance provençale, il
dit de sa voix de sourd, étouffée mais vi
brante :
— Ceci remonte à l’âge où je ne connaissais
en somme que le jour.
Oui, comme nous, peur connaître Maurras,
il faut l’avoir vu aller et venir, travailler et
rêver toute une nuit durant. Et il faut T avoir
vu avec les yeux de ceux qui l’assistent et qui
l’aiment, se répétant tout bas le début de Qua
tre nuits de Provence :
La journée va finir sans flammes, j’ai prié
qu’on n’allumât point. Que le soir monte avec
ses fumées incertaines : le détail, l’accident,
l’inutile P seront nopés. il me restera l’essen
tiel. Ai-je rien demandé d’autre à la vie ?
Je voudrais évoquer ces heures passées, que
j’ose dire royales, pour les lecteurs des Nou
velles Littéraires et, par là, leur montrer ce que
Maurras représentait pour nous qui vécûmes
auprès de lui. Avant tout, je voudrais dire
dans quel décor se déroulaient nos journées
La journée finissait, journée, de labeur poui
tous et chacun de nous quittait son travail
d’ouvrier ou d’étudiant pour se rendre à la
permanence. Les groupes se formaient et ce
pendant que peu à peu le jour se laissait vain
cre par la nuit, les amis se retrouvaient, les
conversations se nouaient.
Soudain, dans toute la maison, sans que le
ton des voix eût changé, on devinait la pré-
sence de Maurras. Il était descendu de son
taxi, les bras encombrés de livres et de jour
naux. Il avait traversé le grand hall, disant
bonjour à tous de sa voix étouffée. Son claii
visage, ses yeux plein d’amitié et d’ardeur
voilà ce que chacun regardait. Sans hâte, il
passait à l’étage de la Ligue, gagnait son bu
reau et, en une seconde, toute la Maison sa
vait qu’il était là. Jusqu’à l’heure de son dî
ner — je veux dire 8, 9 ou 10 heures — il
allait recevoir des visites. Et pour ceux d'en
tre nous qui lui parleraient, ces entretiens de
meureraient des heures inoubliables.
Parce qu’il est sourd, il fallait apporter sa
chaise tout contre la sienne et s’asseoir à son
bureau, juste à côté de lui, il fallait lui parlei
visage contre visage. Maurras écoutait les
yeux fermés. Il avait une étrange expression
confiante, paisible et aussi volontaire, assurée
Son grand désir de comprendre accentuait sa
gravité attentive. Et sa certitude d’être corn
pris, qui se confondait avec son sentimeni
d être aimé, le marquait du signe de la séré
nité inaliénable. Lorsqu’il ouvrait les yeux
pour répondre, on le sentait à la fois proche
et lointain.
— Oui, disait-il sourdement, il semble que
Vous apez raison sur ce point. Mais vous vous
trompez.
Et c’était une vive discussion où la politi
que se mêlait à toutes sortes de considérations
poétiques. Les citations grecques, latines, jail
lissaient et soudain venaient Racine, et puis
Chénier et Mistral et Dante qui tous aidaient
de 1 eur éloquence la voix brûlante et brûlée
de la Raison. Les lumières de la pièce n’é-
U.Académie a reçu jeudi,
sous la Coupole, M. Charles
Maurras. On trouvera à la
S® page un compte rendu de
cette cérémonie à l’occasion
de laquelle nous sommes heu=
reux de publier ces souvenirs
de M. Guillain de Benouville,
qui fut un des fidèles collabo
rateurs du nouvel Immortel.
taient pas encore allumées. Dans l’ombre
j’écoutais, mais ma mémoire me chantait le
prologue de Quatre Nuits, qui situe cet hom
me, montre la façon qu’il a de choisir et la
raison qui le guide : « Il me restera l’essen
tiel. Ai-je rien demandé d’autre à la vie ? »
Dans le couloir, les bruits de pas ne ces
saient jamais. On était entouré de cent pré
sences actives. Soudain, la voix nasale et ai
guë de Léon Daudet dominait le brouhaha que
Maurras ne percevait pas.
— Papa disait... s’exclamait la voix per
çante... Les propos se perdaient dans le loin
tain, Maurras continuait à prouver et à dé
montrer.
Et quelle tâche était pour lui la tâche de
chaque jour ! Sitôt les visites terminées, le*
instructions données à chacun et à la rédac
tion — il était alors, je l’ai déjà dit, 8, 9 ou
10 heures, il prenait congé de son secrétaire
qu’il laissait surchargé de travaux, de coupu
res, de notes illissibles à faire recopier, d’ins
tructions diverses. Ce collaborateur intime de
meurait à sa table à la fois écrasé par tant
d’ouvrage et dévoré de la honte que lui don
naient les grands coups de crayon dont Maur
ras tapisse les papiers qu’il a fallu tant bien
que mal recopier et qu’on a, sans le vouloir,
remplis d’erreurs. Car, pour tout dire, Maur
ras dessine sa pensée plutôt qu’il ne la t-ans-
crit. Il est même, à proprement parler, illisi
ble. Or, il est convaincu, lui, d’avoir la meil
leure écriture du monde ! Voici le drame quo
tidien, non seulement pour le secrétaire mais
encore pour tous, car au secours du pauvre
homme chaque soir tout le monde accourt.
Depuis trente ans que VAction Française
existe, depuis trente ans que Maurras dirige le
journal et le mouvement royaliste, plusieurs
tentatives de meurtre ont contraint ses amis à
organiser autour de lui une garde vigilante.
Du moment où il sort de l’Action Française
jusqu’à celui où il regagne son domicile après
avoir passé la nuit à l’imprimerie, il est à la
fois surveillé et protégé.
LA SUITE A LA DEUXIÈME PAGE
L’année
racinienne
est
commencée
par
Jean-Jacques BROUSSON
Les fêtes en l’honneur de Racine commen
cent à se dérouler aussi éclatantes que nous
l’avions souhaité. Après la reprise d’Athalie
à la Comédie-Française et en attendant Les
Plaideurs au Palais de Justice et le pèlerinage
à Port-Royal, voici qu’un autre des souhaits
formulés par nos lecteurs au cours de notre
enquête Racinienne va être réalisé : le mer
credi 20 juin, à 11 heures, sous les auspices de
la Société des Gens de Lettres et de l’Associa
tion de la Critique Littéraire, une messe sera
célébrée par M. l’abbé Englebert à l’église
Saint-Etienne du Mont où reposent les restes
du poëte. On y entendra les Cantiques Spiri
tuels de Racine, et une allocution sera pro
noncée par M. le Chanoine Calvet, doyen de
la Faculté des Lettres de l’Institut Catholique.
O O O
Par un pan de sa soutane épileptique, j’at
trape ce feu-follet d’abbé Orner Englebert.
Le neveu du goguenard abbé Pecquet est
Wallon. U.n de ses grands-oncles s’est battu
pour l’aigle à Waterloo. L’abbé jouit en
France d’un canonicat littéraire honorifique.
C’est l’aumônier de nos grands écrivains, en
mal de messes. Lons du jubilé Boileau, l’abbé
officia, à Saint-Germain-des-Prés, pour le lé
gislateur du Parnasse.
« Nicoilas-la-Perruque » avait été inhumé
dans la Sainte-Chapelle, à la place du fameux
Lutrin.
Les morts, les pauvres morts ont de grandes
Idouleurs.
On ne les laisse pas dormir en repos leur
suprême sommeil. On les tracasse, dans
l’éternité. Voyez Boileau... voyez Racine!...
A l’abbé Orner Englebert, qui diit la
messe pour Boileau, à Sa,int-Ge.Tmain-des-
Prés, j’ai posé la question :
— Qu’attendez-vous, saint homme, pour
inaugurer, à l’église où reposent ses cendres,
les fêtes jubilaires de Racine? Si vous avez
jugé équitable d’implorer la divine miséri
corde pour le repos de l’âme du satirique
dont la oomplexion physique était modérée,
— il 3’’ a l’anecdote du dindon picoreur —
à plus forte raison devez-vous vous inquié
ter du sort outre : tbmbe du poëte tragique
qui a peint le mieux les orages du cœur
féminin. S’il nous fait encore partager ses
angoisses charnelles, c’est qu’il les a éprou
vées jusqu’à l’ivresse du péché.
— Vous avez raison, Brousson! A boule-
vue sur l’éternité, le tendre Racine doit être
en Purgatoire. Eh oui ! il faut dire messe
pour le sortir de là! Ce sera pour l'anni
versaire funèbre.
— Mais cet anniversaire tombait ie
31 avril...
— Pourquoi ne m’avoir pas alerté plus
tôt? Après tout, l’essentielç’est que la
messe soit dite. De ce pas. nnL vais trouver
'le curé de Sai nt - Et ienne - duUvib n t !
Et d’aller en droiture alerter Thérive qui,
lui, téléphone la messe pour Racine à Jean
Viunaud.
Enfin, on se met d’aecord sur ce point :
l’année jubilaire racinienne ne peut pas se
nasser d’une cérémonie funèbre, à Saint-
Etienne-du-Mont, où est la sépulture du
poëte. Il faut convier l'Académie Française
et celle des Inscriptions et Belles-Lettres,
car Racine cumulait. Devrait-on pas réser
ver un p r ie-Di.eu cramoisi à M. Jean Zay ?
Eh ! le Grand Maître de l’Université a mis
la clef dans la chatière, rue de Grenelle, et
s’en est allé en Amérique se faire coiffer du
bonnet doctoral à quatre cornes, honoris
causa.
On se rabattra -sur un chef de cabinet. Ce
sont quelquefois de bonnes têtes : Benoît
le fut bien de Béraud et Benoit a voté pou-
son ministre à l’Académie. Un subordonné
qui fait Immortel son supérieur, ça, c’est un
miracle. Et ouel temps fut ramais plus fer-
t-i’e en miracles ? Le miracle, c’est de faire
aller à la messe tant de gens de lettres ou
d’autres, qui n’y pensaient suère !
A la sacristie de Saint-Ftienne-du-Mont,
on s’efforce de réaliser au plus juste la céré
monie.
— Pourquoi la messe ne serait-elle pas
présidée_par un prélat immortel : le cardi
nal Baudrillart ou Mgr Grente ?
— Oui, maîa les conseilleurs ne sont pas
les paveurs ! Qui nayera les trônes ?
— Les trônes de qui ?
— Les trônes de ces prélats dans le
Saint-Etienne-du-Mont
Samedi 10 Juin 1939
r fr. 25
N° 869
LES NOUVELLES LITTERAIRES
REDACTION, PUBLICITE ? 5
146, RIME MONTMARTRE (T)
TéL fitatrat tt-ll et »ti B. C. Setn» Sts-481 B
ARTISTIQUES ET SCIENTIFIQUES
administration et vente.
LAROUSSE - PARIS
«3 è 21.. fi U E MONTPARNASSE (VI*)
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»SYCHO LO G IIE
du Peuule Ail
Dans les heures troubles, intermédiai
res entre la paix et la guerre, que nous
vivons en ce moment, une série d’ob
servateurs se sont efforcés de tracer, à
l’usage du grand public français, un por
trait psychologique de l’Allemagne
d’aujourd’hui. De là des livres comme
celui de M. Betz (1) ou de M. Gar
reau (2) qui se donnent pour tâche de
nous peindre dans ses traits généraux,
comme dans ses variétés locales, ce peu
ple allemand qui reste au fond si mal
connu de nous. Ces derniers temps enfin
le beau livre de l’ancien président du
Sénat de Dantzig, M. Rausehning (3) est
venu renouveler ou compléter nos vues
sur le national-socialisme en montrant
que l’hitlérisme est au fond non pas
tant un fanatisme idéologique qu’une
révolution issue du nihilisme. Je vou
drais, en m’inspirant de ces divers ou
vrages, essayer de définir ce mouve
ment et de dire ce que nous pouvons
attendre ou craindre de lui.
Chacun sait comment l’armée alle
mande, moins de vingt ans après son
écrasante défaite et son anéantissement
presque total, s’est trouvée, pendant les
trois premières années du règne hitlé
rien, intégralement reconstituée telle
qu’elle était avant le désastre de 1918.
Et, à partir de ce moment, c’est une
suite rapide de victoires obtenues coup
sur coup sans batailles, par l’étalage de
sa force et la simple menace de guerre :
la conquête de l’Autriche, la dissolution
de la Tchéco-Slovaquie par l’incorpora
tion des Sudètes allemands, puis l’an
nexion de la Bohême, de la Moravie, de
la Slovaquie, enfin la rentrée dans le
Reich du territoire de Memel. Et, ma
nifestement, Hitler n’a pas l’intention
d’en rester là. Par la constitution de
l’axe Berlin-Rome, puis du triangle Ber-
Îin-Rome-Tokio, Hitler est en passe de
prétendre à l’hégémonie mondiale : il
peut, à son choix, continuer sa route
vers le sud-est par l’Ukraine jusqu’à la
mer Noire, ou s’assurer les richesses en
blé et pétrole de la Roumanie, ou pe
ser sur la Pologne et les petites puis
sances baltiques, ou tenter de mettre la
main sur la Suisse et la Hollande, ou
enfin assurer à l’Italie la prééminence
en Méditerranée. Les possibilités les
plus étendues lui sont ouvertes dans
toutes les directions : partout les voisins
sentent la menace qui pèse sur eux.
La notion même de la paix et de la
guerre s’est trouvée peu à peu modi
fiée par cette extraordinaire réussite.
Normalement, c’est le pouvoir civil
qui indique au commandement mili
taire les buts de politique extérieure
qu’il faut atteindre, et les généraux dé
cident des moyens techniques qui per
mettront d’atteindre ces buts. Or, le
gouvernement national-socialiste a peu
à peu perdu de vue la notion du risque
que comportait, pour l’existence même
de la nation, la politique où il s’enga
geait : il a peu à peu amené le com
mandement militaire à prendre pour
but de ses opérations tactiques la mo
bilisation totale et permanente de la
nation entière et de tous ses moyens de
production. La notion de la « guerre
totale » et de la « mobilisation totale »
est née chez le civil et non chez le mi
litaire. Elle n’appartient pas en propre
à Ludendorf. Ce qu’il y a de nouveau
dans cette conception, c’est la destruc-
par Henri
LICHTENBERGER
tion de l’idée qu’à côté de l’organisa
tion de la guerre il existe une organi
sation de la paix qui a elle aussi ses
lois propres. Dans la conception natio-
nale-socialiste, les exigences de la
guerre doivent dominer aussi cette pé
riode intermédiaire entre deux guerres
qu’on appelait jadis la « paix ». Il n’y
a pas de domaine autonome pour une
vie indépendante spirituelle, ou morale,
ou artistique, ou économique, ou reli
gieuse. L’idée de « mobilisation to
tale » signifie que l’existence nationale
entière doit être subordonnée à la loi
universelle de la préparation à la
guerre qui est la condition normale de
l’existence humaine. La vie entière de
l’homme n’est que guerre ou prépara
tion à la guerre.
L’officier, dans ces conditions, tend
de plus en plus à prendre tous les ris
ques, à mépriser soit les capacités de
l’adversaire, soit les résistances que sus
cite à l’intérieur la tyrannie qu’il exer
ce. La transformation de la Reichswehr
en une armée populaire nationale-so-
cialiste aboutit à la naissance d’une
Wehrmacht qui aura jeté par-dessus
bord toutes les traditions et valeurs mo
rales pour devenir l’instrument volon
taire d’une révolution mondiale. A la
place de l’ancien soldat chrétien et mo
narchiste qui combattait pour son Dieu
et son Roi (type : les maréchaux von
Hindenburg ou von Mackensen), à la
place du militaire professionnel qui
s’absorbe strictement dans la tâche quo
tidienne et se confine exclusivement
dans la sphère militaire, s’épanouit le
type du lansquenet ou du condottiere,
la foule des jeunes officiers fanatiques,
révolutionnaires, imbus des doctrines
de violence, émancipés de toutes les
normes des < civils », plein:; de mépris
pour les préjugés nobiliaires, monarchi
ques ou religieux, d’ailleurs bons sol
dats et animés d’une sorte d’héroïsme
technique. Mais, au total, opportunistes,
détachés de toute croyance, parfaits
nihilistes, improvisateurs et « hasar-
deurs ».
Et dans une fin de chapitre sensa
tionnelle, M. Rausehning nous laisse
entrevoir le dénouement redoutable que
prophétisent les représentants extrê
mes du national-socialisme : guerres
militaires tournant en discordes civiles,
luttes désespérées entre les grandes
unités ethniques, bouleversements por
tant « le cachet d’une migration de
peuples barbares », actions révolution
naires ou guerrières entraînant la des
truction des normes de vie et des cul
tures, des sociétés et des nations. La
première guerre mondiale n’aurait été
que « le prélude à l’ère de violence »
mais « les formes nouvelles veulent
être réalisées dans le sang ». L’Allema
gne et l’Europe tomberaient dans un
chaos sanglant de guerres et de révo
lutions auprès duquel les troubles de
Chine ou d’Espagne n’auront été que
d’innocents jeux d’enfants (1).
M. Rausehning lui-même ne partage
pas ces vues d’avenir eschatologiques.
Il a quitté Hitler parce qu’il est persua
dé que les partis-pris extrêmes adoptés
par le Führer conduisent à la ruine de
l’Allemagne, et qu’il est persuadé qu’il
ne peut plus faire machine arrière ni re
venir à une politique de modération et
de paix. L’ex-président du Sénat de
Dantzig veut cependant espérer que,
à un moment donné, l’Armée pourrait
reprendre le pouvoir qu’elle a jusqu’à
présent concédé à Hitler. Il estime que,
dans le fond, l’Armée reste peut-être
malgré tout, chrétienne et monarchi
que. C’était la solution qui avait été en
visagée à l’origine, lorsque fut conclue
l’alliance entre les conservateurs de
droite et le national-socialisme. Hitler
s’était engagé à la réaliser dès que les
circonstances le permettraient. Il n’a
pas tenu cet engagement, et songe au
jourd’hui moins que jamais à le tenir.
De son côté, l’armée, qu’on a longtemps
regardée comme « la dictature à l’inté
rieur de la dictature », a toujours reculé
devant les responsabilités à prendre. M.
Rausehning croit toutefois discerner au
jourd’hui des signes montrant que bien
des personnalités s’effraient de la terri
ble montée du nihilisme parmi les diri
geants du parti et espèrent encore une
régénération future de l’armée.
Cette manière de voir se rencontre en
somme avec certains courants de l’opi
nion française qui doute, au fond, de
la durée et de la stabilité du régime
hitlérien. Les partisans de cette « lé
gende », s’ils reconnaissent qu’il y a dans
le national-socialisme un élément révo
lutionnaire par lequel il donne satisfac
tion aux aspirations des masses et s’ap
parente au communisme ou au socialis
me, prétendent qu’il y a aussi en lui
une certaine tendance à la conservation
sociale qui le rapproche des anciens con
servateurs ou des nationaux-allemands.
LA SUITF A LA HUITIÈME PAGE
Pluie
de cira rendes
Mercredi dernier, au cours d’un déjeu
ner brillant où figuraient côte à côte une
importante représentation politique : MM.
Edouard Herriot, Léon Eérard, Anatole de
Monzie et Charles Pomaret — et une non
moins importante représentation littéraire —
Ce tableau de Velasquez, un des chefs-d’œuvre du Musée du Prado, est actuellement exposé à
Genève. On trouvera à la sixième page un article de notre envoyée spéciale Germaine Beau-
mont, ainsi que des articles de MM. Georges Poupet et Georges Cattaui sur ia Suisse
M. Maurice Guierre est venu recevoir les féli
citations du jury de la Renaissance. A ses côtés,
on reconnaît M. Léon Bérard
MM. Léon-Paul Fargue, Pierre Mac Orlan,
Paul Fort, Jean Vignaud, François Porché,
etc..., le Prix de la Renaissance a été décerné
à M. Maurice Guierre, par 10 voix contre 5
à M. Jean-Paul Sartre, 2 à Mme Marie-
Thérèse Bodart, et 1 à M. Marius Richard.
Ce résultat, obtenu après une grande heure
de discussions passionnées, ne fut pas sans
surprendre, puisque M. Guierre ne figurait
pas dans le lot des candidats retenus en
dernier ressort. Il faut croire que ses par
tisans ont voulu lui garder jusqu’au bout le
bénéfice du silence. Il faut croire surtout
que l’apre talent et la vision implacable des
choses qui se révèlent dans « La nausée »
et dans « Le mur », ont définitivement ef
frayé les membres d’un jury qu’on a connu
moins timoré, par exemple, il y a deux ans,
quand il couronnait un beau roman de M.
Jean Cassou.
M. Maurice Guierre, qui a cinquante et
un ans, est un officier de carrière qui a
servi tour à tour dans la marine et dans
l’aviation. Son œuvre, depuis la guerre, est
consacrée à la peinture de ces milieux qu’il
connaît si bien pour y vivre. « L’angoisse
des veilles sous-marines », « Réalités et nos
talgies marines », « Andromède », roman
d’un sous-marin, avaient précédé le livre
que laure aujourd’hui le Prix de la Renais
sance, « Seul maître à bord », roman d’un
commandant de navire et de ses responsa
bilités.
La veille, l’Académie Mallarmé avait
décerné son prix annuel de poésie, lequel,
porté de 5.000 à 9.000 francs par la géné
rosité de Mme Francis Vielé-Griffin, la
veuve du grand poëte symboliste, a dû être
scindé en trois parts pour satisfaire à toutes
les tendances d’un jury ardent et divisé.
M. Henry Hertz, au nom des aînés, et pour
l’ensemble de leur œuvre, M. Jean Follain
et M. André Bellivier pour les jeunes, l’un
novateur, l’autre classique, se sont donc par
tagé la timbale.
La journée cJe M. Charles Maurras com
mence paradoxalement lorsque s’achève la
journée de M. Tout-le-Monde. Du moment
où il arrive à L’Action française jusqu’à celui
auquel, le journal étant tiré, il quitte l’im
primerie pour regagner son domicile — il esl
alors entre 6 heures et 10 heures du matin —
il n’a pas un instant de répit. Car non seule
ment il écrit son article quotidien et relit tout
le journal depuis la première ligne jusqu’aux
petites annonces comprises, mais encore il voit
défiler devant lui cent visiteurs, il fait compa
raître les chefs des différents services de sa
maison, travaille à un livre en cours, rédige
sa correspondance — qui est toujours manus
crite — et, après avoir étudié la situation avec
son comité, prend ses décisions.
Lorsqu’il évoque son enfance provençale, il
dit de sa voix de sourd, étouffée mais vi
brante :
— Ceci remonte à l’âge où je ne connaissais
en somme que le jour.
Oui, comme nous, peur connaître Maurras,
il faut l’avoir vu aller et venir, travailler et
rêver toute une nuit durant. Et il faut T avoir
vu avec les yeux de ceux qui l’assistent et qui
l’aiment, se répétant tout bas le début de Qua
tre nuits de Provence :
La journée va finir sans flammes, j’ai prié
qu’on n’allumât point. Que le soir monte avec
ses fumées incertaines : le détail, l’accident,
l’inutile P seront nopés. il me restera l’essen
tiel. Ai-je rien demandé d’autre à la vie ?
Je voudrais évoquer ces heures passées, que
j’ose dire royales, pour les lecteurs des Nou
velles Littéraires et, par là, leur montrer ce que
Maurras représentait pour nous qui vécûmes
auprès de lui. Avant tout, je voudrais dire
dans quel décor se déroulaient nos journées
La journée finissait, journée, de labeur poui
tous et chacun de nous quittait son travail
d’ouvrier ou d’étudiant pour se rendre à la
permanence. Les groupes se formaient et ce
pendant que peu à peu le jour se laissait vain
cre par la nuit, les amis se retrouvaient, les
conversations se nouaient.
Soudain, dans toute la maison, sans que le
ton des voix eût changé, on devinait la pré-
sence de Maurras. Il était descendu de son
taxi, les bras encombrés de livres et de jour
naux. Il avait traversé le grand hall, disant
bonjour à tous de sa voix étouffée. Son claii
visage, ses yeux plein d’amitié et d’ardeur
voilà ce que chacun regardait. Sans hâte, il
passait à l’étage de la Ligue, gagnait son bu
reau et, en une seconde, toute la Maison sa
vait qu’il était là. Jusqu’à l’heure de son dî
ner — je veux dire 8, 9 ou 10 heures — il
allait recevoir des visites. Et pour ceux d'en
tre nous qui lui parleraient, ces entretiens de
meureraient des heures inoubliables.
Parce qu’il est sourd, il fallait apporter sa
chaise tout contre la sienne et s’asseoir à son
bureau, juste à côté de lui, il fallait lui parlei
visage contre visage. Maurras écoutait les
yeux fermés. Il avait une étrange expression
confiante, paisible et aussi volontaire, assurée
Son grand désir de comprendre accentuait sa
gravité attentive. Et sa certitude d’être corn
pris, qui se confondait avec son sentimeni
d être aimé, le marquait du signe de la séré
nité inaliénable. Lorsqu’il ouvrait les yeux
pour répondre, on le sentait à la fois proche
et lointain.
— Oui, disait-il sourdement, il semble que
Vous apez raison sur ce point. Mais vous vous
trompez.
Et c’était une vive discussion où la politi
que se mêlait à toutes sortes de considérations
poétiques. Les citations grecques, latines, jail
lissaient et soudain venaient Racine, et puis
Chénier et Mistral et Dante qui tous aidaient
de 1 eur éloquence la voix brûlante et brûlée
de la Raison. Les lumières de la pièce n’é-
U.Académie a reçu jeudi,
sous la Coupole, M. Charles
Maurras. On trouvera à la
S® page un compte rendu de
cette cérémonie à l’occasion
de laquelle nous sommes heu=
reux de publier ces souvenirs
de M. Guillain de Benouville,
qui fut un des fidèles collabo
rateurs du nouvel Immortel.
taient pas encore allumées. Dans l’ombre
j’écoutais, mais ma mémoire me chantait le
prologue de Quatre Nuits, qui situe cet hom
me, montre la façon qu’il a de choisir et la
raison qui le guide : « Il me restera l’essen
tiel. Ai-je rien demandé d’autre à la vie ? »
Dans le couloir, les bruits de pas ne ces
saient jamais. On était entouré de cent pré
sences actives. Soudain, la voix nasale et ai
guë de Léon Daudet dominait le brouhaha que
Maurras ne percevait pas.
— Papa disait... s’exclamait la voix per
çante... Les propos se perdaient dans le loin
tain, Maurras continuait à prouver et à dé
montrer.
Et quelle tâche était pour lui la tâche de
chaque jour ! Sitôt les visites terminées, le*
instructions données à chacun et à la rédac
tion — il était alors, je l’ai déjà dit, 8, 9 ou
10 heures, il prenait congé de son secrétaire
qu’il laissait surchargé de travaux, de coupu
res, de notes illissibles à faire recopier, d’ins
tructions diverses. Ce collaborateur intime de
meurait à sa table à la fois écrasé par tant
d’ouvrage et dévoré de la honte que lui don
naient les grands coups de crayon dont Maur
ras tapisse les papiers qu’il a fallu tant bien
que mal recopier et qu’on a, sans le vouloir,
remplis d’erreurs. Car, pour tout dire, Maur
ras dessine sa pensée plutôt qu’il ne la t-ans-
crit. Il est même, à proprement parler, illisi
ble. Or, il est convaincu, lui, d’avoir la meil
leure écriture du monde ! Voici le drame quo
tidien, non seulement pour le secrétaire mais
encore pour tous, car au secours du pauvre
homme chaque soir tout le monde accourt.
Depuis trente ans que VAction Française
existe, depuis trente ans que Maurras dirige le
journal et le mouvement royaliste, plusieurs
tentatives de meurtre ont contraint ses amis à
organiser autour de lui une garde vigilante.
Du moment où il sort de l’Action Française
jusqu’à celui où il regagne son domicile après
avoir passé la nuit à l’imprimerie, il est à la
fois surveillé et protégé.
LA SUITE A LA DEUXIÈME PAGE
L’année
racinienne
est
commencée
par
Jean-Jacques BROUSSON
Les fêtes en l’honneur de Racine commen
cent à se dérouler aussi éclatantes que nous
l’avions souhaité. Après la reprise d’Athalie
à la Comédie-Française et en attendant Les
Plaideurs au Palais de Justice et le pèlerinage
à Port-Royal, voici qu’un autre des souhaits
formulés par nos lecteurs au cours de notre
enquête Racinienne va être réalisé : le mer
credi 20 juin, à 11 heures, sous les auspices de
la Société des Gens de Lettres et de l’Associa
tion de la Critique Littéraire, une messe sera
célébrée par M. l’abbé Englebert à l’église
Saint-Etienne du Mont où reposent les restes
du poëte. On y entendra les Cantiques Spiri
tuels de Racine, et une allocution sera pro
noncée par M. le Chanoine Calvet, doyen de
la Faculté des Lettres de l’Institut Catholique.
O O O
Par un pan de sa soutane épileptique, j’at
trape ce feu-follet d’abbé Orner Englebert.
Le neveu du goguenard abbé Pecquet est
Wallon. U.n de ses grands-oncles s’est battu
pour l’aigle à Waterloo. L’abbé jouit en
France d’un canonicat littéraire honorifique.
C’est l’aumônier de nos grands écrivains, en
mal de messes. Lons du jubilé Boileau, l’abbé
officia, à Saint-Germain-des-Prés, pour le lé
gislateur du Parnasse.
« Nicoilas-la-Perruque » avait été inhumé
dans la Sainte-Chapelle, à la place du fameux
Lutrin.
Les morts, les pauvres morts ont de grandes
Idouleurs.
On ne les laisse pas dormir en repos leur
suprême sommeil. On les tracasse, dans
l’éternité. Voyez Boileau... voyez Racine!...
A l’abbé Orner Englebert, qui diit la
messe pour Boileau, à Sa,int-Ge.Tmain-des-
Prés, j’ai posé la question :
— Qu’attendez-vous, saint homme, pour
inaugurer, à l’église où reposent ses cendres,
les fêtes jubilaires de Racine? Si vous avez
jugé équitable d’implorer la divine miséri
corde pour le repos de l’âme du satirique
dont la oomplexion physique était modérée,
— il 3’’ a l’anecdote du dindon picoreur —
à plus forte raison devez-vous vous inquié
ter du sort outre : tbmbe du poëte tragique
qui a peint le mieux les orages du cœur
féminin. S’il nous fait encore partager ses
angoisses charnelles, c’est qu’il les a éprou
vées jusqu’à l’ivresse du péché.
— Vous avez raison, Brousson! A boule-
vue sur l’éternité, le tendre Racine doit être
en Purgatoire. Eh oui ! il faut dire messe
pour le sortir de là! Ce sera pour l'anni
versaire funèbre.
— Mais cet anniversaire tombait ie
31 avril...
— Pourquoi ne m’avoir pas alerté plus
tôt? Après tout, l’essentielç’est que la
messe soit dite. De ce pas. nnL vais trouver
'le curé de Sai nt - Et ienne - duUvib n t !
Et d’aller en droiture alerter Thérive qui,
lui, téléphone la messe pour Racine à Jean
Viunaud.
Enfin, on se met d’aecord sur ce point :
l’année jubilaire racinienne ne peut pas se
nasser d’une cérémonie funèbre, à Saint-
Etienne-du-Mont, où est la sépulture du
poëte. Il faut convier l'Académie Française
et celle des Inscriptions et Belles-Lettres,
car Racine cumulait. Devrait-on pas réser
ver un p r ie-Di.eu cramoisi à M. Jean Zay ?
Eh ! le Grand Maître de l’Université a mis
la clef dans la chatière, rue de Grenelle, et
s’en est allé en Amérique se faire coiffer du
bonnet doctoral à quatre cornes, honoris
causa.
On se rabattra -sur un chef de cabinet. Ce
sont quelquefois de bonnes têtes : Benoît
le fut bien de Béraud et Benoit a voté pou-
son ministre à l’Académie. Un subordonné
qui fait Immortel son supérieur, ça, c’est un
miracle. Et ouel temps fut ramais plus fer-
t-i’e en miracles ? Le miracle, c’est de faire
aller à la messe tant de gens de lettres ou
d’autres, qui n’y pensaient suère !
A la sacristie de Saint-Ftienne-du-Mont,
on s’efforce de réaliser au plus juste la céré
monie.
— Pourquoi la messe ne serait-elle pas
présidée_par un prélat immortel : le cardi
nal Baudrillart ou Mgr Grente ?
— Oui, maîa les conseilleurs ne sont pas
les paveurs ! Qui nayera les trônes ?
— Les trônes de qui ?
— Les trônes de ces prélats dans le
Saint-Etienne-du-Mont
Samedi 10 Juin 1939
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N° 869
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