Supplément à la PATRIE.
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LA VEUVE DU DIABLE
PAR M. S. HENRY BERTHOUD.
PREMIER VOLUME.
I.
Brite Hevebeten. .
Lorsque le steamboat de Hambourg entre dans le portdeHammerfest,
d’ordinaire les voyageurs se pressent sur le pont pour considérer l’as
pect de cette ville bâtie sur un rocher en ruines et au bord de la mer Gla
ciale. Un amas de maisons rouges et grisâtres se montre d’abord à leurs
yeux: ils ne peuvent réprimer un mouvement de surprise , en présence
de ces basses constructions en bois qui ne se composent que d’un rez-
de-chaussée. Ils ne tardent pas néanmoins à distinguer, au milieu d'ha-
bitations qui tiennent un peu de la cabane, une sorte de petit édifice
d’une forme plus étudiée, et auquel un étage qui le surmonte donne une
certaine élégance : c’est le Consulat.
Cette maison fut construite en effet par meinherr Van Geen, consul des
Pays-Bas, négociant hollandais fixé depuis grand nombre d'années en
Norwége , et que le désir d’exploiter les riches mines de cuivre qui se
trouvent «dans les environs de Hammerfest avait déterminé à venir ha-
biter cette ville.
Meinherr Van Geen, que des intérêts commerciaux devaient retenir
pour longtemps encore sur la terre sauvage du West-Fin Mark, s'était fait
» construire la demeure dont on vient de parler, et y avait installé sa fem
me et sa fille Stierna. Mme Van Geen, avec l’obéissance passive qui ca
ractérise les épouses du Nord, s’était résignée, même sans un murmure
intérieur, à la volonté de son mari. Née a Christiania d'une famille nor-
wégienne et habituée aux douceurs d’une existence élégante et conforta
ble, à peine reportait-elle parfois une pensée de regret vers ses habitu
des et ses relations d’un autre temps; encore était-ce pour sa fille, et non
pour elle-même, qu’elle évoquait ces rares souvenirs. Stierna, du reste,
imitait l’abnégation de sa mère. Rarement un soupir, causé par l’ennui,
s’échappait de sa poitrine en songeant aux bals et aux fêtes perdues de
Christiania.
Cependant le genre de vie auquel se trouvaient soumises les deux exi
lées réunissait assurément tout ce qui peut entourer de rigueurs la soli
tude la plus absolue. Pendant l’hiver, une nuit de six mois, sans inter
ruption, sans autre clarté que la lueur funèbre des aurores boréales, les
condamnait a ne point sortir de leur logis, où les retenait, d’ailleurs, plus
impérieusement encore la violence d’un froid presque mortel. Il fallait
donc passer la moitié de l’année dans les appartemens hermétiquement
clos du Consulat, sans ouvrir une fenêtre, sans autre lumière que les
clartés rougeâtres et fatigantes des lampes. Les seuls incidens qui vins-
sent animer le silence et l’isolement de cette famille se résumaient, le ma
tin, dans le départ de Meinherr Van Geen pour les mines de Kaafiord,et le
soir dans son retour au logis. Joignez à ces deux circonstances quotidien-
nés les rares visites du ministre luthérien , et vous connaîtrez tous
les incidens qui, parfois, rompaient la monotonie de cette réclusion. Du
reste, pas un bruit dans la ville morte et presque toujours à demi-ense-
velie sous la neige ! Pas un mouvement intérieur 1 Rien que les plaintes
ou les fureurs des vents; la mer elle-même, enchaînée parles glaces, se
taisait et restait immobile. Toute relation soit avec Hambourg, soit avec
Christiania et même Drontheim, se trouvait interrompue. On ne recevait
ni livres, ni journaux, ni nouvelles; il fallait lire et relire les derniers vo-
lûmes arrives vers la fin de l’automne et rester dans la plus complète
ignorance sur les événemens qui pouvaient survenir au-delà de l’étroite
enceinte d'Hammerfest. Une révolution eût bouleversé l'Europe sans
qu'un des bruits de celte catastrophe fût arrivé jusqu’aux habitans de
la cité perdue dans l'obscurité du pôle.
Deux hivers s’écoulèrent ainsi pour Stierna et pour sa mère. Stierna trou
vait moyen de jeter quelque animation autour d’elle par la gaîté de son
caractère ou plutôt par l’heureux privilège de son insoucieuse et folâtre
jeunesse.
Lorsque meinherr Van Geen rentrait au consulat, fatigué des travaux
et des excursions de la journée, elle accourait au-devant de lui, dans
le vestibule, l’aidait à se débarrasser de son large manteau de fourrures
et parvenait presque toujours à faire naître un sourire sur les lèvres du
négociant tout préoccupe de ses spéculations commerciales. Elle animait
l’entretien par ses saillies et dérogeait souvent, avec une audace pleine
de tendresse, aux lois sévères d’étiquette que les habitudes hollandaises
prescrivent aux enfans, — quel que soit leur âge, — en présence de leur
père. Quant à sa mère, la jeune fille ne la quittait point d’un instant ;
c’est près d’elle qu’elle brodait ou qu’elle faisait de la tapisserie ; près
d’elle encore et sous ses regards qu’elle s’asseyait au piano et qu’elle
chantait les ballades de Schubert ou les partitions apportées de France
et d’Allemagne par les derniers bâtimens à vapeur. Excellentes musi
ciennes, Stierna et Mme Van Geen abrégeaient ainsi bien des heures de
solitude. L’enthousiasme et l’inspiration venaient même parfois animer
cette demeure froide et sombre ; souvent la pendule du salon, en son
nant minuit, surprenait Mme Van Geen et sa fille encore au piano, tan
dis que le négociant dormait d’un profond sommeil, étendu dans un fau-
teuil en face de l’énorme feu de houille qui brûlait en murmurant dan
la cheminée.
Stierna n’avait rien de caché pour sa mère ; elle pensait tout haut
avec elle ; l’âme ne se trouve pas plus étroitement unie au corps que ne
l’étaient entre elles ces deux femmes. Souvent, elles se comprenaient
sans avoir échangé une parole ; elles étaient mutuellement le but cons-
tant de leurs pensées réciproques. Cette vie si triste et si redoutable au
premier aspect était, on le voit, devenue pour Mme Van Geen et sa fille,
sinon heureuse, du moins bien voisine du bonheur.
Deux femmes et un vieux domestique composaient la maison de mein-
her Van Geen. L'une de ces deux femmes était une cuisinière attachée
au service du. négociant depuis le jour de son mariage , c’est-à-dire de
puis vingt ans. L’autre remplissait les fonctions de femme de chambre et
pouvait compter quarante ans : grave, méthodique , compassée , elle ne
disait point une parole au-delà de ce qu’exigeaient strictement ses de
voirs; la silencieuse créature s’identifiait lugubrement audimat duVest-
Fin Mark et à cette maison presque sépulcrale,sans cesse éclairée par des
lampes; d’origine allemande elle se nommait Truchden.La cuisinièreTréa
passait sa vie à déplorer la stérilité du pays qu’elle habitait et à regretter
la Hollande et ses verts jardins regorgeant de légumes. C’était la lamen
tation à côté de la désolation; Jérémie en présence de la femme pétrifiée
de Loth. Si l’on ajoute un pauvre perroquet frissonnant et grelottant sans
•cesse,.un épagneul qui ne s’éloignait jamais de la cheminée, et quelques
plantes d’Europe, souffrantes et malingres, qui s’étiolaient faute d’air et
de lumière , on aura une idée exacte et complète de tous les êtres vi-
vans qui habitaient le Consulat.
Un matin cependant, avant que meinherr Van Geen fût sorti pour se
rendre à ses mines de cuivre, le marteau de la porte, silencieux depuis
plus de trois semaines, s’agita tout-à-coup et produisit un son qui reten
tit dans la maison entière. Le chien tressaillit, souleva la tête, et pro
féra une sorte de grognement sourd ; le perroquet jeta un cri aigu ; ma
dame Van Geen et Stierna se regardèrent avec étonnement, tandis que
Trea formait déjà cent conjectures et qu’une exclamation de surprise s’é
chappait des lèvres raides de Truchden.
Après une discussion entre Truchden et le vieux domestique qui refu
saient également d’aller ouvrir et qui se rejetaient ce soin de l’un à Fau-
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LA VEUVE DU DIABLE
PAR M. S. HENRY BERTHOUD.
PREMIER VOLUME.
I.
Brite Hevebeten. .
Lorsque le steamboat de Hambourg entre dans le portdeHammerfest,
d’ordinaire les voyageurs se pressent sur le pont pour considérer l’as
pect de cette ville bâtie sur un rocher en ruines et au bord de la mer Gla
ciale. Un amas de maisons rouges et grisâtres se montre d’abord à leurs
yeux: ils ne peuvent réprimer un mouvement de surprise , en présence
de ces basses constructions en bois qui ne se composent que d’un rez-
de-chaussée. Ils ne tardent pas néanmoins à distinguer, au milieu d'ha-
bitations qui tiennent un peu de la cabane, une sorte de petit édifice
d’une forme plus étudiée, et auquel un étage qui le surmonte donne une
certaine élégance : c’est le Consulat.
Cette maison fut construite en effet par meinherr Van Geen, consul des
Pays-Bas, négociant hollandais fixé depuis grand nombre d'années en
Norwége , et que le désir d’exploiter les riches mines de cuivre qui se
trouvent «dans les environs de Hammerfest avait déterminé à venir ha-
biter cette ville.
Meinherr Van Geen, que des intérêts commerciaux devaient retenir
pour longtemps encore sur la terre sauvage du West-Fin Mark, s'était fait
» construire la demeure dont on vient de parler, et y avait installé sa fem
me et sa fille Stierna. Mme Van Geen, avec l’obéissance passive qui ca
ractérise les épouses du Nord, s’était résignée, même sans un murmure
intérieur, à la volonté de son mari. Née a Christiania d'une famille nor-
wégienne et habituée aux douceurs d’une existence élégante et conforta
ble, à peine reportait-elle parfois une pensée de regret vers ses habitu
des et ses relations d’un autre temps; encore était-ce pour sa fille, et non
pour elle-même, qu’elle évoquait ces rares souvenirs. Stierna, du reste,
imitait l’abnégation de sa mère. Rarement un soupir, causé par l’ennui,
s’échappait de sa poitrine en songeant aux bals et aux fêtes perdues de
Christiania.
Cependant le genre de vie auquel se trouvaient soumises les deux exi
lées réunissait assurément tout ce qui peut entourer de rigueurs la soli
tude la plus absolue. Pendant l’hiver, une nuit de six mois, sans inter
ruption, sans autre clarté que la lueur funèbre des aurores boréales, les
condamnait a ne point sortir de leur logis, où les retenait, d’ailleurs, plus
impérieusement encore la violence d’un froid presque mortel. Il fallait
donc passer la moitié de l’année dans les appartemens hermétiquement
clos du Consulat, sans ouvrir une fenêtre, sans autre lumière que les
clartés rougeâtres et fatigantes des lampes. Les seuls incidens qui vins-
sent animer le silence et l’isolement de cette famille se résumaient, le ma
tin, dans le départ de Meinherr Van Geen pour les mines de Kaafiord,et le
soir dans son retour au logis. Joignez à ces deux circonstances quotidien-
nés les rares visites du ministre luthérien , et vous connaîtrez tous
les incidens qui, parfois, rompaient la monotonie de cette réclusion. Du
reste, pas un bruit dans la ville morte et presque toujours à demi-ense-
velie sous la neige ! Pas un mouvement intérieur 1 Rien que les plaintes
ou les fureurs des vents; la mer elle-même, enchaînée parles glaces, se
taisait et restait immobile. Toute relation soit avec Hambourg, soit avec
Christiania et même Drontheim, se trouvait interrompue. On ne recevait
ni livres, ni journaux, ni nouvelles; il fallait lire et relire les derniers vo-
lûmes arrives vers la fin de l’automne et rester dans la plus complète
ignorance sur les événemens qui pouvaient survenir au-delà de l’étroite
enceinte d'Hammerfest. Une révolution eût bouleversé l'Europe sans
qu'un des bruits de celte catastrophe fût arrivé jusqu’aux habitans de
la cité perdue dans l'obscurité du pôle.
Deux hivers s’écoulèrent ainsi pour Stierna et pour sa mère. Stierna trou
vait moyen de jeter quelque animation autour d’elle par la gaîté de son
caractère ou plutôt par l’heureux privilège de son insoucieuse et folâtre
jeunesse.
Lorsque meinherr Van Geen rentrait au consulat, fatigué des travaux
et des excursions de la journée, elle accourait au-devant de lui, dans
le vestibule, l’aidait à se débarrasser de son large manteau de fourrures
et parvenait presque toujours à faire naître un sourire sur les lèvres du
négociant tout préoccupe de ses spéculations commerciales. Elle animait
l’entretien par ses saillies et dérogeait souvent, avec une audace pleine
de tendresse, aux lois sévères d’étiquette que les habitudes hollandaises
prescrivent aux enfans, — quel que soit leur âge, — en présence de leur
père. Quant à sa mère, la jeune fille ne la quittait point d’un instant ;
c’est près d’elle qu’elle brodait ou qu’elle faisait de la tapisserie ; près
d’elle encore et sous ses regards qu’elle s’asseyait au piano et qu’elle
chantait les ballades de Schubert ou les partitions apportées de France
et d’Allemagne par les derniers bâtimens à vapeur. Excellentes musi
ciennes, Stierna et Mme Van Geen abrégeaient ainsi bien des heures de
solitude. L’enthousiasme et l’inspiration venaient même parfois animer
cette demeure froide et sombre ; souvent la pendule du salon, en son
nant minuit, surprenait Mme Van Geen et sa fille encore au piano, tan
dis que le négociant dormait d’un profond sommeil, étendu dans un fau-
teuil en face de l’énorme feu de houille qui brûlait en murmurant dan
la cheminée.
Stierna n’avait rien de caché pour sa mère ; elle pensait tout haut
avec elle ; l’âme ne se trouve pas plus étroitement unie au corps que ne
l’étaient entre elles ces deux femmes. Souvent, elles se comprenaient
sans avoir échangé une parole ; elles étaient mutuellement le but cons-
tant de leurs pensées réciproques. Cette vie si triste et si redoutable au
premier aspect était, on le voit, devenue pour Mme Van Geen et sa fille,
sinon heureuse, du moins bien voisine du bonheur.
Deux femmes et un vieux domestique composaient la maison de mein-
her Van Geen. L'une de ces deux femmes était une cuisinière attachée
au service du. négociant depuis le jour de son mariage , c’est-à-dire de
puis vingt ans. L’autre remplissait les fonctions de femme de chambre et
pouvait compter quarante ans : grave, méthodique , compassée , elle ne
disait point une parole au-delà de ce qu’exigeaient strictement ses de
voirs; la silencieuse créature s’identifiait lugubrement audimat duVest-
Fin Mark et à cette maison presque sépulcrale,sans cesse éclairée par des
lampes; d’origine allemande elle se nommait Truchden.La cuisinièreTréa
passait sa vie à déplorer la stérilité du pays qu’elle habitait et à regretter
la Hollande et ses verts jardins regorgeant de légumes. C’était la lamen
tation à côté de la désolation; Jérémie en présence de la femme pétrifiée
de Loth. Si l’on ajoute un pauvre perroquet frissonnant et grelottant sans
•cesse,.un épagneul qui ne s’éloignait jamais de la cheminée, et quelques
plantes d’Europe, souffrantes et malingres, qui s’étiolaient faute d’air et
de lumière , on aura une idée exacte et complète de tous les êtres vi-
vans qui habitaient le Consulat.
Un matin cependant, avant que meinherr Van Geen fût sorti pour se
rendre à ses mines de cuivre, le marteau de la porte, silencieux depuis
plus de trois semaines, s’agita tout-à-coup et produisit un son qui reten
tit dans la maison entière. Le chien tressaillit, souleva la tête, et pro
féra une sorte de grognement sourd ; le perroquet jeta un cri aigu ; ma
dame Van Geen et Stierna se regardèrent avec étonnement, tandis que
Trea formait déjà cent conjectures et qu’une exclamation de surprise s’é
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