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On se mit à table, le repas fut gai. Au dessert,
Bellina but au triomphe de Marina, qui devait
jouer le surlendemain dans la Semù^amide.
Marina lui fit raison : « Je bois, dit-elle, au
triomphe de Bellina. Demain elle jouera pour la
première fois II Barbiere. Après avoir mêlé nos
applaudissements à ceux du public, je promets
de jeter à Rosine une couronne qui ne se fanera
pas comme toutes celles que nous prodigue l’ad
miration des Vénitiens. »
La physionomie de Marina avait une étrange
expression, lorsqu’elle prononça ces paroles.
Bellina, tout émue, l’embrassa en pleurant de
joie.
— Ce sera, dit le duc un beau jour pour Ve
nise !
Rullemann hocha la tête.
V.
Le lendemain la salle de la Fenice était remplie
jusqu’aux combles. La nouvelle de la réconcilia
tion des deux cantatrices rivales avait déjà par
couru toute la ville. Les partisans de Marina et
de Bellina s’étaient tous donné rendez-vous au
théâtre, non plus séparés comme au temps de la
lutte, mais réunis dans une commune admiration.
Des bravos frénétiques retentissaient dans la
salle toutes les fois qu’on voyait Marina, placée
dans une loge des secondes qui dominait la rampe,
consacrer par ses applaudissements le succès de
Bellina. Parmi tant de visages épanouis, le visage
de Rullemann conservait seul une expression
d’inquiétude.
A la chute du rideau, on redemanda Bellina.
Quand Bellina parut, une pluie de couronnes
couvrit le parquet. Marina jeta la sienne au mi
lieu des bravos.
Tout-à-coup un cri perçant retentit. Bellina
était étendue morte près de la rampe 1 La cou
ronne de Marina l’avait frappée au front.
Cette couronne était de bronze massif.
VI.
« Quel beau jour pour Venise I dit M. Rulle
mann au duc attéré ; si vous m’aviez cru.... »
Tandis que l’abbé Farnelti improvisait tout
haut, dans le couloir, une épitaphe en vers pour
la défunte, Marina, qui venait d’être arrêtée,
passa devant eux et leur dit : « Ne lui avais-je
pas promis une couronne qui ne se fanerait ja
mais ? »
ALTAROCHE.
LAURETTE.
J’allais à Maintenon, la semaine passée, avec
trois artistes de mes amis. Vers huit heures du
soir, la diligence de Chartres, où nous étions,
s’arrêta devant une auberge à Rambouillet. Des
moissonneurs, réunis au fond d’une cour, écou
taient un beau récit du garde-champêtre avec
tant de sérieux et d’attention, que notre curio
sité en fut excitée. Le narrateur parlait lente
ment, à cause de s pipe, en corne de cerf, pour
laquelle il avait des égards et qu’il ne voulait
pas laisser éteindre, ce qui l’obligeait à placer
au milieu de ses phrases des césures fort pitto
resques. La rudesse naïve de son langage serait
inimitable. Je raconterai donc comme je pour
rai l’histoire intéressante de la belle Laurette.
Parmi les soldats de la vieille garde à qui Na
poléon fit ses adieux dans le château de Fontai
nebleau, était un grenadier nommé Jean-Pierre,
dit Bravard, et qui pleurait en perdant son em
pereur. Jean-Pierre était natif de Rambouillet.
Il reparut dans cette ville après huit ans de cam
pagnes, et devint l’admiration des voyageurs et
des habitants, par ses discours merveilleux.
Comme il était encore vert et robuste, il plut à
une jeune fille du pays, qui cachait dans son al
côve une mauvaise image de l’exilé. Le jour qu’il
se fit poudrer et qu’il mit la culotte blanche pour
se marier, bien des fillettes, charmées par sa
bonne mine et sa croix d’honneur, jurèrent de
n’épouser que des militaires. Maître Bravard
était un homme ponctuel ; en trois ans il devint
père de trois enfants, et comme il avait épousé
une femme sans dot, il chercha de l’emploi pour
soutenir cette lourde charge. Un député libéral
lui fit obtenir une place de garde-forestier, dans
le domaine d’un prince qui ne partageait pas l’a-
On se mit à table, le repas fut gai. Au dessert,
Bellina but au triomphe de Marina, qui devait
jouer le surlendemain dans la Semù^amide.
Marina lui fit raison : « Je bois, dit-elle, au
triomphe de Bellina. Demain elle jouera pour la
première fois II Barbiere. Après avoir mêlé nos
applaudissements à ceux du public, je promets
de jeter à Rosine une couronne qui ne se fanera
pas comme toutes celles que nous prodigue l’ad
miration des Vénitiens. »
La physionomie de Marina avait une étrange
expression, lorsqu’elle prononça ces paroles.
Bellina, tout émue, l’embrassa en pleurant de
joie.
— Ce sera, dit le duc un beau jour pour Ve
nise !
Rullemann hocha la tête.
V.
Le lendemain la salle de la Fenice était remplie
jusqu’aux combles. La nouvelle de la réconcilia
tion des deux cantatrices rivales avait déjà par
couru toute la ville. Les partisans de Marina et
de Bellina s’étaient tous donné rendez-vous au
théâtre, non plus séparés comme au temps de la
lutte, mais réunis dans une commune admiration.
Des bravos frénétiques retentissaient dans la
salle toutes les fois qu’on voyait Marina, placée
dans une loge des secondes qui dominait la rampe,
consacrer par ses applaudissements le succès de
Bellina. Parmi tant de visages épanouis, le visage
de Rullemann conservait seul une expression
d’inquiétude.
A la chute du rideau, on redemanda Bellina.
Quand Bellina parut, une pluie de couronnes
couvrit le parquet. Marina jeta la sienne au mi
lieu des bravos.
Tout-à-coup un cri perçant retentit. Bellina
était étendue morte près de la rampe 1 La cou
ronne de Marina l’avait frappée au front.
Cette couronne était de bronze massif.
VI.
« Quel beau jour pour Venise I dit M. Rulle
mann au duc attéré ; si vous m’aviez cru.... »
Tandis que l’abbé Farnelti improvisait tout
haut, dans le couloir, une épitaphe en vers pour
la défunte, Marina, qui venait d’être arrêtée,
passa devant eux et leur dit : « Ne lui avais-je
pas promis une couronne qui ne se fanerait ja
mais ? »
ALTAROCHE.
LAURETTE.
J’allais à Maintenon, la semaine passée, avec
trois artistes de mes amis. Vers huit heures du
soir, la diligence de Chartres, où nous étions,
s’arrêta devant une auberge à Rambouillet. Des
moissonneurs, réunis au fond d’une cour, écou
taient un beau récit du garde-champêtre avec
tant de sérieux et d’attention, que notre curio
sité en fut excitée. Le narrateur parlait lente
ment, à cause de s pipe, en corne de cerf, pour
laquelle il avait des égards et qu’il ne voulait
pas laisser éteindre, ce qui l’obligeait à placer
au milieu de ses phrases des césures fort pitto
resques. La rudesse naïve de son langage serait
inimitable. Je raconterai donc comme je pour
rai l’histoire intéressante de la belle Laurette.
Parmi les soldats de la vieille garde à qui Na
poléon fit ses adieux dans le château de Fontai
nebleau, était un grenadier nommé Jean-Pierre,
dit Bravard, et qui pleurait en perdant son em
pereur. Jean-Pierre était natif de Rambouillet.
Il reparut dans cette ville après huit ans de cam
pagnes, et devint l’admiration des voyageurs et
des habitants, par ses discours merveilleux.
Comme il était encore vert et robuste, il plut à
une jeune fille du pays, qui cachait dans son al
côve une mauvaise image de l’exilé. Le jour qu’il
se fit poudrer et qu’il mit la culotte blanche pour
se marier, bien des fillettes, charmées par sa
bonne mine et sa croix d’honneur, jurèrent de
n’épouser que des militaires. Maître Bravard
était un homme ponctuel ; en trois ans il devint
père de trois enfants, et comme il avait épousé
une femme sans dot, il chercha de l’emploi pour
soutenir cette lourde charge. Un député libéral
lui fit obtenir une place de garde-forestier, dans
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