Y a-t-il eu un An Mil aux bords du Léman ?
L’exemple de deux plaids
et de leurs participants
La fameuse « révolution de l’An Mil », ou « mutation de l’An Mil », a
été mise en avant par de nombreux historiens, surtout français C) mais
aussi étrangers (2) . Sur un plan plus régional, elle a été admise avec
nuances pour l’ancien royaume de Provence, Savoie et Provence
notamment C), et pour la Bourgogne des deux rives de la Saône.
L'an mille est ainsi devenu célèbre dans l'historiographie comme le
moment où, sur les ruines de l’empire carolingien puis des principau
tés, émerge un monde nouveau sur fond de millénarisme. L’éclatement
du cadre politique et institutionnel aboutit à un éparpillement du
pouvoir public confisqué par une multitude de laïcs. Désormais, les
seigneurs, entourés de chevaliers, se livrent aux guerres privées
et à l’oppression paysanne depuis leurs châteaux familiaux. C’est
l’anarchie féodale, reprise à travers la notion de féodalisme () ou
corrigée en ordre seigneurial (5) .
Poser la question de l’adaptation du schéma de l’an mille peut
paraître superflu pour la Transjurane. Cette région, située entre le Jura
et les Alpes, est formée des diocèses de Genève, Lausanne et Sion, soit
tous les pays riverains du Léman ©. Elle est alors le cœur du royaume
(1) Après M. BLOCH, La société féodale, Paris, 1939, ce thème a souvent été abordé. On ne peut que
citer G. DUBY, La société aux XL et XIL siècles dans la région mâconnaise, Paris 1953, L’économie
rurale et la vie dans les campagnes dans l'Occident médiéval, Paris 1962..., dont les conclusions ont été
reprises et amplifiées par de nombreux historiens jusqu’à J.P. POLY et E. BOURNAZEL, La mutation
féodale (X-XIL siècles), Paris, 1980 et G. BOIS, La mutation de l’an mille. Lournand, village maçonnais
de l’antiquité au féodalisme, Paris, 1989.
(2) C’est par exemple l’objet d’un colloque international, avec notamment de nombreux spécialistes
italiens : Structures féodales et féodalisme dans l’Occident méditerranéen (X-XIIL siècles). Bilan et
perspectives de recherches (colloque de Rome, 1978), École Française de Rome, 1980.
(3) J.P. POLY, La Provence et la société féodale (879-1166). Contribution à l'étude des structures
dites féodales dans le midi, Paris, 1976 ; L. RIPART, Le comté de Savoie. Genèse d'une principauté
dynastique, thèse, Nice, 1999.
(4) R. FOSSIER, La terre et les hommes en Picardie jusqu’au début du XIIL siècle, Paris, 1968, et
L'enfance de l’Europe. Aspects économiques et sociaux (X-XIL siècles), Paris, 1982.
(5) D. BARTHELEMY, L’ordre seigneurial (X'-XIL siècle), Paris, 1990.
(6) La Transjurane est composée des diocèses de Genève, de Lausanne et de Sion. Elle s’étend donc
à peu près de Soleure (et même par moment de Bâle) au nord, aux sommets du Jura à l’ouest, à l’Aar à
l'est, et à Aix-les-Bains et au Grand-Saint-Bernard (le Mont-Joux) au sud. Elle correspond exactement à la
description médiévale : les territoires entre le Jura et les Alpes.
