Titre : Le Figaro illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-01-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32775193m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 janvier 1894 01 janvier 1894
Description : 1894/01/01 (A12,N46)-1894/12/01 (A12,N57). 1894/01/01 (A12,N46)-1894/12/01 (A12,N57).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t5144717d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, FOL-LC13-9 (TER)
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2022
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LE PORTRAIT
PAR GEORGES OHNET
E n passant dans la rue, devant la vitrine d’un encadreur, ses
regards avaient été invinciblement attirés par une photo
graphie de jeune femme, les yeux rêveurs, la bouche sou
riante, les cheveux ramenés sur le front en boucles légères.
Il s’était arrêté, admirant cette charmante figure mélancolique, et
se demandant où il avait bien pu rencontrer l’original du portrait.
Car il connaissait ce visage, il avait déjà vu ces lèvres fines, ces
paupières bordées de longs cils recourbés, et cette chevelure
soyeuse d’un ton d’or bruni. Il lui semblait entendre causer l'in
connue, avec une voix tour à tour tendre et ironique. Il avait
dans l’oreille le son de scs paroles, mais leur sens lui échappait.
Qui était-elle, où s’était-il trouvé en sa présence ? Elle était
adorable. Et debout devant la glace du magasin, il restait à
chercher dans sa mémoire un indice, une trace, mais vainement,
et l’image délicieuse se gravait en lui, avec un ineffaçable relief.
Ce n’était point pourtant un personnage doté d’une imagina
tion romanesque et d’un cœur inflammable que Olivier de Fré-
neuse. Il était arrivé à trente ans sans avoir fait de folies, gouver
nant sa vie avec méthode, et quoi qu’il fût oisif, n’ayant jamais
une minute inoccupée. Il allait à son Cercle avec la régularité
d’un chef de bureau. A quatre heures il faisait son entrée dans le
grand salon, causait avec ses amis, pendant une demi-heure,
devant la vaste cheminée, racontait ce qu’il avait appris, appre
nait ce qu’il ne savait pas. Puis il passait dans la pièce voisine et
s’asseyait à la table d’écarté. Lorsque six heures sonnaient, il
montait à la salle d'armes, tirait violemment avec deux ou trois
adversaires, se faisait doucher, endossait un habit noir et s’en
allait dîner. Il passait sa soirée au théâtre ou dans le monde, ren
trait chez lui sagement, et quoique garçon menait la vie la plus
tranquille, la plus réglée qui se pût voir. Les fantaisies de cœur
ne l’avaient jamais entraîné très loin. Il se défiait des liaisons
compromettantes. Les femmes mariées, qui égaient l’attente du
divorce avec des complices variés, lui inspiraient une salutaire
horreur. Il s’écartait avec prudence des jeunes filles pour lesquelles
le flirt est l’amorce du mariage. Il appréciait sa liberté, n’étant
pas en humeur d’y renoncer, et trompait sa solitude avec deux ou
trois petites amies qui venaient volontiers lui demander à dé
jeuner, étant sûres, vers midi, de trouver un menu soigné et le
reste à l’avenant. Elles se rencontraient quelquefois deux ensem
ble, mais comme elles se connaissaient généralement, il n’y avait
pas à craindre de scènes violentes. Elles étaient pleines d’indul
gence pour leurs tromperies réciproques. Ce jour-là, au lieu de
badiner, on faisait un bésigue. Quand elles se trouvaient trois,
c’était l’occasion d’un poker. Lui, qu’il s’agît de manger, de
jouer, de sacrifier à la bagatelle, il se montrait souriant, empressé,
généreux et disposé à approuver toutes les fantaisies. Mais il ne
fallait pas que la fête se prolongeât plus tard que trois heures. Il
ne dérangeait les occupations de personne, mais il n’aurait pas
souffert que l’on entreprît sur ses habitudes. Cet homme si
savamment réglé semblait avoir résolu le problème de l’existence
sans ennui. Il prenait tout l’agrément que la société était suscep
tible de lui fournir ; il ne forçait jamais la dose, ce qui lui évitait
de se blaser sur ses plaisirs. Ce qui lui paraissait importun, désa
gréable ou fastidieux, il s’en écartait avec une extrême adresse.
Ses amis le considéraient comme un modèle de la science du bien
vivre. 11 est certain que depuis qu’il avait l'âge de raison, il
n’avait subi que les désagréments auxquels il lui avait été impos
sible de se dérober. Peut-être, en y regardant de près, aurait-on
pu se demander si ce gentil garçon n’était point le type du parfait
égoïste. Cependant il possédait une qualité qui le défendait contre
la férocité naturelle à l’homme qui prétend subordonner tout à
son agrément : il était bon. L’idée de faire de la peine le troublait
profondément. C’était là son point faible. Un peu moins tendre,
il eût été invulnérable.
Tel était ce promeneur brusquement saisi au passage par le
charme d’un portrait de femme entouré d'une jolie bordure
Louis XVI en bois doré. Si quelqu’un lui eût dit qu’en passant
devant un étalage il éprouverait une émotion pareille, il aurait
cru qu’il s’agirait de quelque toile de maître, d’un Corot brumeux
et doré à la fois, d’un Daubigny aux verdures sombres, d’un
Rousseau aux grands bois roux encadrant une mare où se reflète
le ciel, ou de quelque épreuve rare des œuvres de Barye. Mais
une photographie de femme, et non point d’une femme célèbre,
actrice ou courtisane, grande dame ou riche bourgeoise, com-
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E n passant dans la rue, devant la vitrine d’un encadreur, ses
regards avaient été invinciblement attirés par une photo
graphie de jeune femme, les yeux rêveurs, la bouche sou
riante, les cheveux ramenés sur le front en boucles légères.
Il s’était arrêté, admirant cette charmante figure mélancolique, et
se demandant où il avait bien pu rencontrer l’original du portrait.
Car il connaissait ce visage, il avait déjà vu ces lèvres fines, ces
paupières bordées de longs cils recourbés, et cette chevelure
soyeuse d’un ton d’or bruni. Il lui semblait entendre causer l'in
connue, avec une voix tour à tour tendre et ironique. Il avait
dans l’oreille le son de scs paroles, mais leur sens lui échappait.
Qui était-elle, où s’était-il trouvé en sa présence ? Elle était
adorable. Et debout devant la glace du magasin, il restait à
chercher dans sa mémoire un indice, une trace, mais vainement,
et l’image délicieuse se gravait en lui, avec un ineffaçable relief.
Ce n’était point pourtant un personnage doté d’une imagina
tion romanesque et d’un cœur inflammable que Olivier de Fré-
neuse. Il était arrivé à trente ans sans avoir fait de folies, gouver
nant sa vie avec méthode, et quoi qu’il fût oisif, n’ayant jamais
une minute inoccupée. Il allait à son Cercle avec la régularité
d’un chef de bureau. A quatre heures il faisait son entrée dans le
grand salon, causait avec ses amis, pendant une demi-heure,
devant la vaste cheminée, racontait ce qu’il avait appris, appre
nait ce qu’il ne savait pas. Puis il passait dans la pièce voisine et
s’asseyait à la table d’écarté. Lorsque six heures sonnaient, il
montait à la salle d'armes, tirait violemment avec deux ou trois
adversaires, se faisait doucher, endossait un habit noir et s’en
allait dîner. Il passait sa soirée au théâtre ou dans le monde, ren
trait chez lui sagement, et quoique garçon menait la vie la plus
tranquille, la plus réglée qui se pût voir. Les fantaisies de cœur
ne l’avaient jamais entraîné très loin. Il se défiait des liaisons
compromettantes. Les femmes mariées, qui égaient l’attente du
divorce avec des complices variés, lui inspiraient une salutaire
horreur. Il s’écartait avec prudence des jeunes filles pour lesquelles
le flirt est l’amorce du mariage. Il appréciait sa liberté, n’étant
pas en humeur d’y renoncer, et trompait sa solitude avec deux ou
trois petites amies qui venaient volontiers lui demander à dé
jeuner, étant sûres, vers midi, de trouver un menu soigné et le
reste à l’avenant. Elles se rencontraient quelquefois deux ensem
ble, mais comme elles se connaissaient généralement, il n’y avait
pas à craindre de scènes violentes. Elles étaient pleines d’indul
gence pour leurs tromperies réciproques. Ce jour-là, au lieu de
badiner, on faisait un bésigue. Quand elles se trouvaient trois,
c’était l’occasion d’un poker. Lui, qu’il s’agît de manger, de
jouer, de sacrifier à la bagatelle, il se montrait souriant, empressé,
généreux et disposé à approuver toutes les fantaisies. Mais il ne
fallait pas que la fête se prolongeât plus tard que trois heures. Il
ne dérangeait les occupations de personne, mais il n’aurait pas
souffert que l’on entreprît sur ses habitudes. Cet homme si
savamment réglé semblait avoir résolu le problème de l’existence
sans ennui. Il prenait tout l’agrément que la société était suscep
tible de lui fournir ; il ne forçait jamais la dose, ce qui lui évitait
de se blaser sur ses plaisirs. Ce qui lui paraissait importun, désa
gréable ou fastidieux, il s’en écartait avec une extrême adresse.
Ses amis le considéraient comme un modèle de la science du bien
vivre. 11 est certain que depuis qu’il avait l'âge de raison, il
n’avait subi que les désagréments auxquels il lui avait été impos
sible de se dérober. Peut-être, en y regardant de près, aurait-on
pu se demander si ce gentil garçon n’était point le type du parfait
égoïste. Cependant il possédait une qualité qui le défendait contre
la férocité naturelle à l’homme qui prétend subordonner tout à
son agrément : il était bon. L’idée de faire de la peine le troublait
profondément. C’était là son point faible. Un peu moins tendre,
il eût été invulnérable.
Tel était ce promeneur brusquement saisi au passage par le
charme d’un portrait de femme entouré d'une jolie bordure
Louis XVI en bois doré. Si quelqu’un lui eût dit qu’en passant
devant un étalage il éprouverait une émotion pareille, il aurait
cru qu’il s’agirait de quelque toile de maître, d’un Corot brumeux
et doré à la fois, d’un Daubigny aux verdures sombres, d’un
Rousseau aux grands bois roux encadrant une mare où se reflète
le ciel, ou de quelque épreuve rare des œuvres de Barye. Mais
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