Titre : Le Figaro illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1895-01-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32775193m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 janvier 1895 01 janvier 1895
Description : 1895/01/01 (A13,N57)-1895/12/01 (A13,N69). 1895/01/01 (A13,N57)-1895/12/01 (A13,N69).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t5144693b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, FOL-LC13-9 (TER)
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2022
DOCL E1 ICR
PAR RENÉ DE PON-JESm
C ’était un superbe trois-mâts que YArc-en-Ciel. Construit
sur le modèle des grands clippers américains, fin de
l’avant, bien assis sur l’eau, la mâture légère et solide
ment tenue, commande par un des meilleurs marins de
Nantes, le capitaine Yves Lamenek, et monté par vingt solides
matelots bretons, le coquet bâtiment semblait un gigantesque
albatros, caressant les flots de ses ailes de neige, lorsque, toutes
voiles dehors, il filait grand largue, avec une vitesse de dix milles
à l’heure.
Son chargement fait et ses passagers embarqués, parmi
lesquels un révérend père mariste, qui venait de passer cinq ans
en Océanie, YArc-en-Ciel avait quitté Valparaiso au commence
ment de novembre, c’est-à-dire au milieu de la belle saison sur
les côtes du Pacifique, avait doublé le cap Horn et remontait
au nord pour gagner Buenos-Ayres, son escale accoutumée. Le
capitaine Lamenek espérait que son voyage se poursuivrait aussi
heureusement jusqu'en France, quand, par le travers des îles
Falkland, à la hauteur du détroit de Magellan, se produisit à
bord un événement qui cause toujours aux marins la plus pro
fonde émotion lorsqu’il arrive en pleine mer : un décès.
Au nombre des passagers de seconde, pris à Valparaiso, se
trouvaient une jeune femme et son enfant, de dix à douze mois.
Sur le livre d’embarquement ils étaient ainsi désignés : veuve
Marie Nollet et son fils Henri. La mère avait vingt-cinq ans à
peine ; elle était blonde, de physionomie agréable, douce, mais
un peu sauvage. Bien que ses compagnons de voyage et les ma
telots fussent remplis de prévenances pour elle ; bien que le
commandant de YArc-en-Ciel ne manquât jamais, lorsqu’il
venait faire un tour à l’avant, de lui dire un mot aimable et de
s’informer du bébé, malgré tout cela, elle se livrait peu et répon
dait avec réserve à toutes les questions, peut-être par timidité,
peut-être parce qu’elle n’avait que de tristes choses à raconter.
On savait seulement qu’elle était Normande et que son mari, em
ployé dans une grande exploitation de mines d’argent des Cordil-
Hères, était mort six mois après la naissance de son fils, malheur
qui avait décidé sa veuve à retourner en France, dans sa famille.
Quant au petit Henri, c’était un poupon frais et rose, avec les
grands yeux bleus de sa mère, et souriant déjà aux hommes de
l’équipage, qui le caressaient.
Or, un soir, la pauvre femme, qui était bien un peu pâle,
mais dont la santé cependant paraissait bonne, fut prise de suffo
cations et mourut brusquement, enlevée par une angine de
poitrine ou par la rupture d’un anévrisme. Le commandant
Lamenek dressa, selon les formes usitées à bord, l’acte de
décès de sa malheureuse passagère et mit les scellés sur sa
malle, où il n’avait rien découvert de nature à le renseigner à
l’égard de l’état-civil de la défunte. Il y avait cherché vainement
son acte de mariage, un passeport, un document quelconque; il
n’y avait trouvé que l’extrait de baptême de l’enfant, dans la cha
pelle du couvent des jésuites de Valparaiso ; mais cette pièce ne
mentionnait pas même le nom de famille de la mère ; puis
quelques lettres insignifiantes, adressées de France à M. Nollet
et ne renfermant aucun détail de nature à aider à la recherche
des parents paternels ou maternels de l’orphelin.
Cela constaté et n’ayant plus qu’un seul espoir, c’est que
Marie Nollet avait annoncé son retour en France et que, proba
blement, il arriverait à son adresse quelque lettre à Saint-Na
zaire, le capitaine dut tout disposer pour ses obsèques. Elles ne
pouvaient être que ce que sont les funérailles à bord, aussi bien
pour les grands que pour les humbles, lorsque la terre est
loin. Le charpentier bâtit en hâte un cercueil grossier; une
excellente femme, passagère de l’avant, y coucha sa compagne
de route, et le soir, quand la nuit fut venue, le capitaine
donna l’ordre à deux hommes de présenter à l’un des sabords le
coffre auquel on avait solidement amarré, pour qu’il ne surna
geât pas, un pesant boulet.
Le père mariste récita à haute voix les prières des trépassés ;
puis « A la mer! » commanda Yves Lamenek.
Le missionnaire dit une dernière prière et aussitôt, poussé
dehors, le coffre ouvrit les flots avec un bruit sourd. Les
témoins de cette scène n’étouffèrent pas un cri d’épouvante
et, du panneau de l'avant, un vagissement leur répondit. L’or
phelin s’était réveillé et ses petites lèvres avides appelaient ins
tinctivement le sein de la disparue pour toujours.
Le lendemain, les choses reprirent à bord leur cours ordi
naire; le temps devint meilleur et YArc-en-Ciel put faire bonne
route vers Buenos-Ayres. Quant à l’enfant de Marie Nollet, il
avait été confié aux soins de la brave femme qui s’en était
spontanément chargée. Il ne devait manquer de rien; la chèvre
qui vivait avec deux moutons sous le gaillard d’avant avait les
PAR RENÉ DE PON-JESm
C ’était un superbe trois-mâts que YArc-en-Ciel. Construit
sur le modèle des grands clippers américains, fin de
l’avant, bien assis sur l’eau, la mâture légère et solide
ment tenue, commande par un des meilleurs marins de
Nantes, le capitaine Yves Lamenek, et monté par vingt solides
matelots bretons, le coquet bâtiment semblait un gigantesque
albatros, caressant les flots de ses ailes de neige, lorsque, toutes
voiles dehors, il filait grand largue, avec une vitesse de dix milles
à l’heure.
Son chargement fait et ses passagers embarqués, parmi
lesquels un révérend père mariste, qui venait de passer cinq ans
en Océanie, YArc-en-Ciel avait quitté Valparaiso au commence
ment de novembre, c’est-à-dire au milieu de la belle saison sur
les côtes du Pacifique, avait doublé le cap Horn et remontait
au nord pour gagner Buenos-Ayres, son escale accoutumée. Le
capitaine Lamenek espérait que son voyage se poursuivrait aussi
heureusement jusqu'en France, quand, par le travers des îles
Falkland, à la hauteur du détroit de Magellan, se produisit à
bord un événement qui cause toujours aux marins la plus pro
fonde émotion lorsqu’il arrive en pleine mer : un décès.
Au nombre des passagers de seconde, pris à Valparaiso, se
trouvaient une jeune femme et son enfant, de dix à douze mois.
Sur le livre d’embarquement ils étaient ainsi désignés : veuve
Marie Nollet et son fils Henri. La mère avait vingt-cinq ans à
peine ; elle était blonde, de physionomie agréable, douce, mais
un peu sauvage. Bien que ses compagnons de voyage et les ma
telots fussent remplis de prévenances pour elle ; bien que le
commandant de YArc-en-Ciel ne manquât jamais, lorsqu’il
venait faire un tour à l’avant, de lui dire un mot aimable et de
s’informer du bébé, malgré tout cela, elle se livrait peu et répon
dait avec réserve à toutes les questions, peut-être par timidité,
peut-être parce qu’elle n’avait que de tristes choses à raconter.
On savait seulement qu’elle était Normande et que son mari, em
ployé dans une grande exploitation de mines d’argent des Cordil-
Hères, était mort six mois après la naissance de son fils, malheur
qui avait décidé sa veuve à retourner en France, dans sa famille.
Quant au petit Henri, c’était un poupon frais et rose, avec les
grands yeux bleus de sa mère, et souriant déjà aux hommes de
l’équipage, qui le caressaient.
Or, un soir, la pauvre femme, qui était bien un peu pâle,
mais dont la santé cependant paraissait bonne, fut prise de suffo
cations et mourut brusquement, enlevée par une angine de
poitrine ou par la rupture d’un anévrisme. Le commandant
Lamenek dressa, selon les formes usitées à bord, l’acte de
décès de sa malheureuse passagère et mit les scellés sur sa
malle, où il n’avait rien découvert de nature à le renseigner à
l’égard de l’état-civil de la défunte. Il y avait cherché vainement
son acte de mariage, un passeport, un document quelconque; il
n’y avait trouvé que l’extrait de baptême de l’enfant, dans la cha
pelle du couvent des jésuites de Valparaiso ; mais cette pièce ne
mentionnait pas même le nom de famille de la mère ; puis
quelques lettres insignifiantes, adressées de France à M. Nollet
et ne renfermant aucun détail de nature à aider à la recherche
des parents paternels ou maternels de l’orphelin.
Cela constaté et n’ayant plus qu’un seul espoir, c’est que
Marie Nollet avait annoncé son retour en France et que, proba
blement, il arriverait à son adresse quelque lettre à Saint-Na
zaire, le capitaine dut tout disposer pour ses obsèques. Elles ne
pouvaient être que ce que sont les funérailles à bord, aussi bien
pour les grands que pour les humbles, lorsque la terre est
loin. Le charpentier bâtit en hâte un cercueil grossier; une
excellente femme, passagère de l’avant, y coucha sa compagne
de route, et le soir, quand la nuit fut venue, le capitaine
donna l’ordre à deux hommes de présenter à l’un des sabords le
coffre auquel on avait solidement amarré, pour qu’il ne surna
geât pas, un pesant boulet.
Le père mariste récita à haute voix les prières des trépassés ;
puis « A la mer! » commanda Yves Lamenek.
Le missionnaire dit une dernière prière et aussitôt, poussé
dehors, le coffre ouvrit les flots avec un bruit sourd. Les
témoins de cette scène n’étouffèrent pas un cri d’épouvante
et, du panneau de l'avant, un vagissement leur répondit. L’or
phelin s’était réveillé et ses petites lèvres avides appelaient ins
tinctivement le sein de la disparue pour toujours.
Le lendemain, les choses reprirent à bord leur cours ordi
naire; le temps devint meilleur et YArc-en-Ciel put faire bonne
route vers Buenos-Ayres. Quant à l’enfant de Marie Nollet, il
avait été confié aux soins de la brave femme qui s’en était
spontanément chargée. Il ne devait manquer de rien; la chèvre
qui vivait avec deux moutons sous le gaillard d’avant avait les
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