Titre : Le Nain jaune : journal politique, littéraire et financier...
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1877-05-27
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328218435
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 27 mai 1877 27 mai 1877
Description : 1877/05/27 (A11,N44). 1877/05/27 (A11,N44).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t5102149t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, FOL-LC13-74
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 14/11/2021
LE NAIN JAUNE
3
Quelquefois il a du talent. Mais qu’il en ait beaucoup ou
qu’il en ait peu, il est rare qu’il reste longtemps dans le
même endroit. Il est si systématiquement agressif qu’il finit
par en être fatigant. Quand ils ont tant de cruauté, les débi-
neurs^ littéraires ou non, durent peu. De là la nécessité ab
solue dans laquelle ils sont de changer souvent de milieu.
S’ils demeuraient trop de temps chez les mêmes gens, ils
deviendraient de fatigants désagréables et de désagréables
insupportables. Le débiteur est un juif errant qui a pour
plus de cinq sous de fiel dans chacune de ses poches.
Le débineur est un grand orgueilleux qui est constamment
obligé de rentrer son orgueil. Au bout d’un certain temps,
il faut que ça sorte. Et ça sort, sûri. C’était du vent, cela
est devenu parole. Au fond, la transformation est plus
apparente que réelle.
Le débineur appartient à cet ordre d’animaux qui ont
des incisives longues et fortes. C’est un rongeur. Il ronge la
réputation des gens. Il est rare qu’il produise des dégâts
sérieux. Il n’a au monde qu’une préoccupation : aiguiser
ses dents. Cela fait que sa mâchoire est toujours en mou
vement. Avec une mâchoire, Samson tua trois cents philis
tins; le débineur est moins fort que Samson, à ce qu’il pa
raît, car il n’a encore tué personne.
Giboyer.
•
CONFIDENCES D’UN JOURNALISTE (
( Suite. )
VI
Tous les temps de décadence où la galanterie tourne au
libertinage tapageur, où le vice et la débauche insouciante
couchent dans le lit de la société régnante, tous les temps
de prostituées qui rivalisent avec de prétendues grandes
dames, et de grandes dames qui jalousent le luxe des pros
tituées sont pleins de curiosités malsaines.
Aussi le reporter que, la première, je crois, la Liberté
avait essayé d’introduire dans nos mœurs comme une co
pie américaine, exerça-t-il bientôt sa plume à d’autres
sujets que ceux des crimes et faits divers épouvantables,
dont il se nourrit aujourd’hui.
D’abord à cette époque, — vers 1865, — on n’aimait
pas à entendre parler d’assassinats, de suicides, même de
morts subites. On préférait qu’un indiscret regardât par
une fente de porte de cabinet particulier, ou par une serrure
de chambre à coucher. On lui permettait dans ses jours les
plussérieux de violer le domicile des hommes de lettres et des
journalistes les plus connus, et eût-il employé le rossignol
que les badauds se seraient écriés avec enthousiasme :
— Voilà un gaillard aussi habile qu’amusant!
Villemessant, qui n’était pas encore disposé à émarger
au ministère, et qui avait le flair des choses auxquelles
s’épanouissaient les narines d’un certain public, voulut que
sa feuille fût en réalité la vraie patrie et la mère nourrice
de cet être nouveau. Il dit :
— Qu’Adrien Marx soit!
Et Adrien Marx, surnommé par Veuillot « Passe-Par
tout », a dès lors été.
Adrien avait le petit œil noir fureteur, le nez fouilleur,
la bouche bavarde ; de plus, il était de taille à se glisser
sans être aperçu et,malgrél‘épaisseurde sa chevelure crépue,
à se cacher dans un gros œuf de Pâques sans l'entr'ouvrir.
Le jeune Marx était écrasé de ses succès.
Comme rien ne se répand plus vite que le mauvais exem
ple, le reportage fit tache d’huile. Il ne s’agit plus d’avoir
dans le journalisme de la littérature et du talent. Non,
plus de talent, plus de littérature surtout ! Le seul mérite
était d’être bien renseigné, et la politique elle-même n’avait
pas la première place dans les renseignements.
J’avais besoin de jeter un coup d’œil sur ce passé du
reportage, avant d’arriver à Gaston Vassy qui ne l’a
pas inventé, mais certainement perfectionné en son genre
et à son profit, et qui signait encore « Pérodeaud ».
Pérodeaud était à ses débuts dans les trois dernières an
nées de l’empire. De la Liberté, où il fit une première sta
tion, le bouillant Gaston passa au journal d’Ulbach : la
Cloche, lequel troublait peut-être le plus l’empire, parce
qu’il était lu par des bourgeois, les derniers élèves du doc
teur Véron ensevelis jusque-là dans le calme et la régula
rité de leurs faux cols à hauteur de bout de nez.
Gaston Pérodeaud était le Quasimodo droit, maigre,
mais grimaçant, de la cloche des faits divers. Il la chevau
chait comme, plus tard, la monture avec laquelle on le
voyait trotter sur le boulevard, ainsi qu’un inspecteur de
police.
N’est-ce pas lui qui a sonné, dans la Cloche, les funé
railles de Victor Noir ?
Un mot, un geste, et à propos de n’importe quoi, il était
prêt à flétrir le tyran.
(1) Voir les Nain Jaune du 25 mars et des 1 er . 8, 15 et 22 avril
du 6 13 et 21 mai.
Puis, la guerre vint ; après la guerre, la Commune. Le
reporter Pérodeaud m’échappe pendant ce temps-là.
J’aiditque jel’avais vu,en plein étéde 1871, à la Liberté,
qui l’avait recueilli, et où il était aplati sous la bedaine au
toritaire de Jules de Précy.
L’intelligence particulière dont il était doué ne pouvait
avoir là tout son essor. Il avait, comme le petit Marx, l’œil
fureteur et le nez fouilleur ; mais c’était une anguille plus
effilée, plus souple, plus entreprenante en certaines choses;
il devait, tout d'abord, faire la joie et l’admiration de Vil
lemessant.
C’est à son passage au Figaro que Gaston Pérodeaud
signa définitivement Gaston Vassy.
C’était plus net; je ne le lui reproche pas. Les noms courts
sont du reste, aujourd’hui, les auxiliaires du succès.
Alphonse Karr disait jadis, au temps où il avait de l’esprit
et à propos d’un procès fait à Roger de Beauvoir :
— En somme, veut-on qu’on l’appelle « Psitt ? »
Je ne suis pas sûr qu’à cette heure le journaliste « Psitt »
ne courrait pas le plus vite à la célébrité.
L’euphonisme seul a-t-il décidé Pérodeaud à se nommer
Vassy chez Villemessant? Je ne tiens pas à le savoir.
Mais je me suis parfois demandé pourquoi Vassy ne ra
tait guère l’occasion d’imprimer sur M. Thiers une mau
vaise plaisanterie, comme mot de la fin de ses faits di
vers.
Est-ce que M. Thiers méritait cette sévérité qui eût été
grotesque si elle n’avait été révoltante de la part de ce cou
pable étourdi?
Avec Gaston Vassy les faits divers prirent un caractère
particulier et une allure singulière. Comme on ne pouvait
reprocher à madame Thiers que de surveiller sa cuisine les
jours de grand dîner et d’emporter ses casseroles quand
elle retournait place Saint-Georges, comme le patron Vil
lemessant ne pouvait tolérer des histoires amusantes aux
dépens des gens qui lui savaient gré d’avoir pleuré dans le
gilet de « son Roy », Vassy inventa le crime, le crime par
tout, le crime toujours.
Peut-être le crime existait-il quelquefois ; mais la façon
dont il pullule depuis quelques années dans les journaux
comme le Figaro m’a souvent fait rêver.
Il y avait aussi des criminels autrefois ; mais je doute
que le préfet de police eût si aisément révélé, sous un ré
gime appelé « régime d’ordre et de prospérité », les fantai
sies de messieurs les assassins et les empoisonneurs.
Quelle sympathie pour le docteur de La Pommeraye,
même à Fontainebleau, où M Lachaud faisait fondre en
larmes l’impératrice Eugénie!
Mais, dernièrement encore, si Vassy fût resté au Fi-
garo,A eût dû garder un silence de tanche sur les passions
élyséennes du noble comte de Germiny.
Quand le crime chômait, Gaston ajoutait une autre bran-
■ che à celle des faits divers : la branche de l'industrie pari
sienne. Il était, du reste, capable de faire une réclame sur
une tête de guillotiné.
Il se vantait, un jour, à ce qu’on m’a conté, d’avoir
gagné, par an, les appointements d’un ministre.
C’est peut-être exagéré; mais Villemessant, dont les ren
tes dépassent pourtant celles du président de la République,
trouva que c’était encore trop.
Je demande pardon au lecteur d’insister sur la personna
lité de Gaston Vassy ; mais enfin, il faut parler des hanne
tons du journalisme, puisqu’ils sont triomphants aux yeux
des imbéciles et des naïfs.
Voilà pourquoi nous rejoindrons Vassy à Y Evénement.
(A suivre.)
Maxime Rude.
L’AUTEUR DE LA NOTE
Nous recevons la lettre suivante, que nous nous empres
sons d’insérer :
« Monsieur le Directeur du Nain Jaune,
» Le lendemain de la chute du ministère, on a fait cir
culer à Versailles une petite note de Y Agence Havas, au
sujet des menées ultramontaines, dont il a été impossible
jusqu’ici de découvrir l’auteur.
» M. Massicault affirme qu’elle émanait de l’Élysée.
» Les journaux officieux jurent, au contraire, qu’elle a
été communiquée par des amis de M. Jules Simon.
» Je suis persuadé, monsieur le Directeur, qu’on ne par
viendra jamais à s’entendre et que cette pauvre note me
nace fort de rester anonyme.
» Quoique je n’aie aucun droit à en revendiquer la pa
ternité, je vous serai fort obligé de faire savoir que c’est
moi qui l’ai portée en cachette à T Agence Havas. Cela
me fera une petite réclame dont je serai fort aise de pro
fiter.
» Agréez, etc.,
» THÉODORE MOULENGRAIN,
« Ancien officier mexicain, faisant actuellement com
merce d’épices, rue de la Lamproie, 75, auteur d’une
petite brochure sur les Droits de la guerre. »
Pour copie conforme :
Zed.
HUIT JOURNÉES AU SALON
ni
LES PEINTRES D’HISTOIRE.
Si, pour qu’un peuple soit heureux, il est absolument né
cessaire qu’il n’ait pas d’histoire, le peuple français, de tous
les peuples, est le plus malheureux.
Nous avons « tellement » une histoire, que les peintres
étrangers, craignant que nos nationaux ne puissent suffire
à la besogne, se mettent de la partie et nous arrivent
d’outre-mer ou d’outre-monts chacun avec une anecdote en
poche. Il est indispensable d’ajouter que nous n’avons ja
mais été en reste et que nous avons piétiné dans leurs gloi
res ou leurs hontes avec une désinvolture toute gauloise.
Avez-vous vu les Tambours de la République, de
M. Jimenez ? Non. Hâtez-vous alors de les gratifier d’un
coup d’œil, ils en valent la peine. M. Jimenez est accouru
tout exprès de Séville pour les peindre ; et il faut de l’hé
roïsme pour fuir Séville à l’aurore du printemps. Rien ne
vaut le printemps de la campagne sévillane. La ville a
fermé ses maisons pour émigrer dans une immense plaine
où, pendant trois jours, elle mène la vie nomade des âges
primitifs. La tente a remplacé la maison blanche et le frais
« palio ». Ah, les jolies tentes! elles semblent pousser de
l’herbe comme d’énormes fleurs. Voici le berger, le garde
brevis qui paît ses troupeaux, le marchand de taureaux
monté sur son andalou, la pique à la main et surveillant
de l’œil ses farouches pensionnaires. De tous côtés la vie
tourbillonne dans des rayonnements magiques. Cavaliers
et amazones galopent dans la plaine pailletée des plus
pittoresques costumes. Le long des allées formées par les
rangées d’arbres les adorables filles de Séville, enveloppées
dans leurs soyeuses mantilles blanches, jasent délicieuse
ment. Elles vont, languissantes, courbant à peine le gazon
sous leur pied mutin. Plus loin, ce sont les tentes des
« gitanas bunueloras. » Les bunuelos sont des gâteaux
soufflés composés de farine et de sucre,et ceux là seuls qui
en ont goûté savent le provocant arôme qui s’en dégage,
lorsqu’on les jette dans l’huile bouillante qui fume au grand
soleil. Si vous entrez dans une de ces tentes, vous n’en sor
tirez pas avant une bonne heure. Pendant que vous croque
rez les bunuelos, les gitanas chanteront, danseront à ravir
vos oreilles et vos yeux.
Peu à peu, l’ardente chaleur se calme, le crépuscule
s’abat su bit et sourd...
Pendant ce temps-là, M. Jimenez pensait aux héroïques
tapins de 93. Que le soleil lui pardonne !
Mais je m’aperçois que si je m’amuse ainsi aux hasards
de la route, huit journées ne me suffiront pas pour montrer
le salon à mes lecteurs.
Puisque nous sommes en pleine république restons-y;
elle nous offre, d’ailleurs, une riche moisson.
J’ai déjà dit quel succès avait obtenu dès le premier
jour le Maiceau de M. Laurens. Ce succès n’a fait que
s’accentuer, il grandira encore, n’en parlons plus. Nous
avons encore à nous occuper de M. Lucien Mélingue, qui
a représenté une scène analogue : le matin du 10 ther
midor. Robespierre, affreusement blessé à la mâchoire, est
étendu sur une tableau milieu d’une foule depatrioles dont les
attitudes ne trahissent qu’une douleur modérée. Le tableau est
bien composé, dessiné avec une grande autorité. Il aurait
même dû user de cette autorité pour imposer silence à cette
couleur criarde où les bleus, les rouges et les jaunes s’in
terpellent furieusement. De l’autre côté du panneau,
M. Gaston Mélingue montre un Dîner chez Molière à
Auteuil : mêmes qualités et mêmes défauts à peu près sem
blables, moins accentués cependant.
M. Maignac a signé une excellente toile : T Attentat
d'Anagni. — Que vous dirai-je de nos excursions dans
les terres voisines? — Il faut vous rappeler, pour bien
comprendre le tableau en question, que le pape Boni-
face VIII, moins heureux que le roi d’Yvetot, eut à étouffer
plusieurs séditions. Savoir étouffer proprement une sédition
est aussi nécessaire à un souverain que savoir diriger le
char de l’Etat, surtout quand il navigue sur un volcan.
Cependant Boniface VIII faillit un beau jour être victime
d’un instant d’inattention. Heureusement pour le pontife,
les conjurés s’arrêtèrent hésitants devant le vieux pape
resté seul : Sciarra Colonna le somma d’abdiquer et de se
rendre à discrétion.
A ces miettes historiques, précieusement recueillies par
quelques-uns de nos peintres, je préfère les rudes souvenirs,
de M. Roll. Au lieu de s’inspirer dans les livres, le jeune
artiste regarde autour de lui et trouve dans la nature des
drames plus terribles encore. Ici les éléments se sont « con-
jurés » pour mettre à male mort les riverains de la Garonne.
Le fleuve a monté, monté, gagné les fenêtres, empli les
chambres de ses eaux limoneuses; à chaque seconde il
s’élève de quelques lignes, et lentement, implacable, il étend
sur la campagne son niveau de mort, arrachant les murs
du sol, déracinant les arbres, sapant les maisons qui plon
gent dans l’eau avec un bruit sourd. Sur le toit d’une
pauvre masure une famille s’est réfugiée. L’artiste la
représente au moment où une barque arrive en opérer le
sauvetage. M. Roll a sérieusement exprimé cette scène de
désolation, et les grandes proportions qu’il a données à ses
figures ajoutent au caractère imposant de cette œuvre puis
sante, selon moi la plus remarquable du Salon.
J’aurais voulu parler encore de la Mort de Diogène, de
M. Poilpot; des Horreurs du Pillage, de M. Lesrel; de
La provocation,èe M. Rosen;desDanaïdes,deM. Leroux;
des décorations de MM. Erhmann, Magaud et Machard.
Je les réserve pour mon prochain article.
Au moment où je prends ces notes, tranquillement assis
sur les banquettes de velours fané qu’une administration
aussi pauvreque bienveillante a placées au milieu des salles.
3
Quelquefois il a du talent. Mais qu’il en ait beaucoup ou
qu’il en ait peu, il est rare qu’il reste longtemps dans le
même endroit. Il est si systématiquement agressif qu’il finit
par en être fatigant. Quand ils ont tant de cruauté, les débi-
neurs^ littéraires ou non, durent peu. De là la nécessité ab
solue dans laquelle ils sont de changer souvent de milieu.
S’ils demeuraient trop de temps chez les mêmes gens, ils
deviendraient de fatigants désagréables et de désagréables
insupportables. Le débiteur est un juif errant qui a pour
plus de cinq sous de fiel dans chacune de ses poches.
Le débineur est un grand orgueilleux qui est constamment
obligé de rentrer son orgueil. Au bout d’un certain temps,
il faut que ça sorte. Et ça sort, sûri. C’était du vent, cela
est devenu parole. Au fond, la transformation est plus
apparente que réelle.
Le débineur appartient à cet ordre d’animaux qui ont
des incisives longues et fortes. C’est un rongeur. Il ronge la
réputation des gens. Il est rare qu’il produise des dégâts
sérieux. Il n’a au monde qu’une préoccupation : aiguiser
ses dents. Cela fait que sa mâchoire est toujours en mou
vement. Avec une mâchoire, Samson tua trois cents philis
tins; le débineur est moins fort que Samson, à ce qu’il pa
raît, car il n’a encore tué personne.
Giboyer.
•
CONFIDENCES D’UN JOURNALISTE (
( Suite. )
VI
Tous les temps de décadence où la galanterie tourne au
libertinage tapageur, où le vice et la débauche insouciante
couchent dans le lit de la société régnante, tous les temps
de prostituées qui rivalisent avec de prétendues grandes
dames, et de grandes dames qui jalousent le luxe des pros
tituées sont pleins de curiosités malsaines.
Aussi le reporter que, la première, je crois, la Liberté
avait essayé d’introduire dans nos mœurs comme une co
pie américaine, exerça-t-il bientôt sa plume à d’autres
sujets que ceux des crimes et faits divers épouvantables,
dont il se nourrit aujourd’hui.
D’abord à cette époque, — vers 1865, — on n’aimait
pas à entendre parler d’assassinats, de suicides, même de
morts subites. On préférait qu’un indiscret regardât par
une fente de porte de cabinet particulier, ou par une serrure
de chambre à coucher. On lui permettait dans ses jours les
plussérieux de violer le domicile des hommes de lettres et des
journalistes les plus connus, et eût-il employé le rossignol
que les badauds se seraient écriés avec enthousiasme :
— Voilà un gaillard aussi habile qu’amusant!
Villemessant, qui n’était pas encore disposé à émarger
au ministère, et qui avait le flair des choses auxquelles
s’épanouissaient les narines d’un certain public, voulut que
sa feuille fût en réalité la vraie patrie et la mère nourrice
de cet être nouveau. Il dit :
— Qu’Adrien Marx soit!
Et Adrien Marx, surnommé par Veuillot « Passe-Par
tout », a dès lors été.
Adrien avait le petit œil noir fureteur, le nez fouilleur,
la bouche bavarde ; de plus, il était de taille à se glisser
sans être aperçu et,malgrél‘épaisseurde sa chevelure crépue,
à se cacher dans un gros œuf de Pâques sans l'entr'ouvrir.
Le jeune Marx était écrasé de ses succès.
Comme rien ne se répand plus vite que le mauvais exem
ple, le reportage fit tache d’huile. Il ne s’agit plus d’avoir
dans le journalisme de la littérature et du talent. Non,
plus de talent, plus de littérature surtout ! Le seul mérite
était d’être bien renseigné, et la politique elle-même n’avait
pas la première place dans les renseignements.
J’avais besoin de jeter un coup d’œil sur ce passé du
reportage, avant d’arriver à Gaston Vassy qui ne l’a
pas inventé, mais certainement perfectionné en son genre
et à son profit, et qui signait encore « Pérodeaud ».
Pérodeaud était à ses débuts dans les trois dernières an
nées de l’empire. De la Liberté, où il fit une première sta
tion, le bouillant Gaston passa au journal d’Ulbach : la
Cloche, lequel troublait peut-être le plus l’empire, parce
qu’il était lu par des bourgeois, les derniers élèves du doc
teur Véron ensevelis jusque-là dans le calme et la régula
rité de leurs faux cols à hauteur de bout de nez.
Gaston Pérodeaud était le Quasimodo droit, maigre,
mais grimaçant, de la cloche des faits divers. Il la chevau
chait comme, plus tard, la monture avec laquelle on le
voyait trotter sur le boulevard, ainsi qu’un inspecteur de
police.
N’est-ce pas lui qui a sonné, dans la Cloche, les funé
railles de Victor Noir ?
Un mot, un geste, et à propos de n’importe quoi, il était
prêt à flétrir le tyran.
(1) Voir les Nain Jaune du 25 mars et des 1 er . 8, 15 et 22 avril
du 6 13 et 21 mai.
Puis, la guerre vint ; après la guerre, la Commune. Le
reporter Pérodeaud m’échappe pendant ce temps-là.
J’aiditque jel’avais vu,en plein étéde 1871, à la Liberté,
qui l’avait recueilli, et où il était aplati sous la bedaine au
toritaire de Jules de Précy.
L’intelligence particulière dont il était doué ne pouvait
avoir là tout son essor. Il avait, comme le petit Marx, l’œil
fureteur et le nez fouilleur ; mais c’était une anguille plus
effilée, plus souple, plus entreprenante en certaines choses;
il devait, tout d'abord, faire la joie et l’admiration de Vil
lemessant.
C’est à son passage au Figaro que Gaston Pérodeaud
signa définitivement Gaston Vassy.
C’était plus net; je ne le lui reproche pas. Les noms courts
sont du reste, aujourd’hui, les auxiliaires du succès.
Alphonse Karr disait jadis, au temps où il avait de l’esprit
et à propos d’un procès fait à Roger de Beauvoir :
— En somme, veut-on qu’on l’appelle « Psitt ? »
Je ne suis pas sûr qu’à cette heure le journaliste « Psitt »
ne courrait pas le plus vite à la célébrité.
L’euphonisme seul a-t-il décidé Pérodeaud à se nommer
Vassy chez Villemessant? Je ne tiens pas à le savoir.
Mais je me suis parfois demandé pourquoi Vassy ne ra
tait guère l’occasion d’imprimer sur M. Thiers une mau
vaise plaisanterie, comme mot de la fin de ses faits di
vers.
Est-ce que M. Thiers méritait cette sévérité qui eût été
grotesque si elle n’avait été révoltante de la part de ce cou
pable étourdi?
Avec Gaston Vassy les faits divers prirent un caractère
particulier et une allure singulière. Comme on ne pouvait
reprocher à madame Thiers que de surveiller sa cuisine les
jours de grand dîner et d’emporter ses casseroles quand
elle retournait place Saint-Georges, comme le patron Vil
lemessant ne pouvait tolérer des histoires amusantes aux
dépens des gens qui lui savaient gré d’avoir pleuré dans le
gilet de « son Roy », Vassy inventa le crime, le crime par
tout, le crime toujours.
Peut-être le crime existait-il quelquefois ; mais la façon
dont il pullule depuis quelques années dans les journaux
comme le Figaro m’a souvent fait rêver.
Il y avait aussi des criminels autrefois ; mais je doute
que le préfet de police eût si aisément révélé, sous un ré
gime appelé « régime d’ordre et de prospérité », les fantai
sies de messieurs les assassins et les empoisonneurs.
Quelle sympathie pour le docteur de La Pommeraye,
même à Fontainebleau, où M Lachaud faisait fondre en
larmes l’impératrice Eugénie!
Mais, dernièrement encore, si Vassy fût resté au Fi-
garo,A eût dû garder un silence de tanche sur les passions
élyséennes du noble comte de Germiny.
Quand le crime chômait, Gaston ajoutait une autre bran-
■ che à celle des faits divers : la branche de l'industrie pari
sienne. Il était, du reste, capable de faire une réclame sur
une tête de guillotiné.
Il se vantait, un jour, à ce qu’on m’a conté, d’avoir
gagné, par an, les appointements d’un ministre.
C’est peut-être exagéré; mais Villemessant, dont les ren
tes dépassent pourtant celles du président de la République,
trouva que c’était encore trop.
Je demande pardon au lecteur d’insister sur la personna
lité de Gaston Vassy ; mais enfin, il faut parler des hanne
tons du journalisme, puisqu’ils sont triomphants aux yeux
des imbéciles et des naïfs.
Voilà pourquoi nous rejoindrons Vassy à Y Evénement.
(A suivre.)
Maxime Rude.
L’AUTEUR DE LA NOTE
Nous recevons la lettre suivante, que nous nous empres
sons d’insérer :
« Monsieur le Directeur du Nain Jaune,
» Le lendemain de la chute du ministère, on a fait cir
culer à Versailles une petite note de Y Agence Havas, au
sujet des menées ultramontaines, dont il a été impossible
jusqu’ici de découvrir l’auteur.
» M. Massicault affirme qu’elle émanait de l’Élysée.
» Les journaux officieux jurent, au contraire, qu’elle a
été communiquée par des amis de M. Jules Simon.
» Je suis persuadé, monsieur le Directeur, qu’on ne par
viendra jamais à s’entendre et que cette pauvre note me
nace fort de rester anonyme.
» Quoique je n’aie aucun droit à en revendiquer la pa
ternité, je vous serai fort obligé de faire savoir que c’est
moi qui l’ai portée en cachette à T Agence Havas. Cela
me fera une petite réclame dont je serai fort aise de pro
fiter.
» Agréez, etc.,
» THÉODORE MOULENGRAIN,
« Ancien officier mexicain, faisant actuellement com
merce d’épices, rue de la Lamproie, 75, auteur d’une
petite brochure sur les Droits de la guerre. »
Pour copie conforme :
Zed.
HUIT JOURNÉES AU SALON
ni
LES PEINTRES D’HISTOIRE.
Si, pour qu’un peuple soit heureux, il est absolument né
cessaire qu’il n’ait pas d’histoire, le peuple français, de tous
les peuples, est le plus malheureux.
Nous avons « tellement » une histoire, que les peintres
étrangers, craignant que nos nationaux ne puissent suffire
à la besogne, se mettent de la partie et nous arrivent
d’outre-mer ou d’outre-monts chacun avec une anecdote en
poche. Il est indispensable d’ajouter que nous n’avons ja
mais été en reste et que nous avons piétiné dans leurs gloi
res ou leurs hontes avec une désinvolture toute gauloise.
Avez-vous vu les Tambours de la République, de
M. Jimenez ? Non. Hâtez-vous alors de les gratifier d’un
coup d’œil, ils en valent la peine. M. Jimenez est accouru
tout exprès de Séville pour les peindre ; et il faut de l’hé
roïsme pour fuir Séville à l’aurore du printemps. Rien ne
vaut le printemps de la campagne sévillane. La ville a
fermé ses maisons pour émigrer dans une immense plaine
où, pendant trois jours, elle mène la vie nomade des âges
primitifs. La tente a remplacé la maison blanche et le frais
« palio ». Ah, les jolies tentes! elles semblent pousser de
l’herbe comme d’énormes fleurs. Voici le berger, le garde
brevis qui paît ses troupeaux, le marchand de taureaux
monté sur son andalou, la pique à la main et surveillant
de l’œil ses farouches pensionnaires. De tous côtés la vie
tourbillonne dans des rayonnements magiques. Cavaliers
et amazones galopent dans la plaine pailletée des plus
pittoresques costumes. Le long des allées formées par les
rangées d’arbres les adorables filles de Séville, enveloppées
dans leurs soyeuses mantilles blanches, jasent délicieuse
ment. Elles vont, languissantes, courbant à peine le gazon
sous leur pied mutin. Plus loin, ce sont les tentes des
« gitanas bunueloras. » Les bunuelos sont des gâteaux
soufflés composés de farine et de sucre,et ceux là seuls qui
en ont goûté savent le provocant arôme qui s’en dégage,
lorsqu’on les jette dans l’huile bouillante qui fume au grand
soleil. Si vous entrez dans une de ces tentes, vous n’en sor
tirez pas avant une bonne heure. Pendant que vous croque
rez les bunuelos, les gitanas chanteront, danseront à ravir
vos oreilles et vos yeux.
Peu à peu, l’ardente chaleur se calme, le crépuscule
s’abat su bit et sourd...
Pendant ce temps-là, M. Jimenez pensait aux héroïques
tapins de 93. Que le soleil lui pardonne !
Mais je m’aperçois que si je m’amuse ainsi aux hasards
de la route, huit journées ne me suffiront pas pour montrer
le salon à mes lecteurs.
Puisque nous sommes en pleine république restons-y;
elle nous offre, d’ailleurs, une riche moisson.
J’ai déjà dit quel succès avait obtenu dès le premier
jour le Maiceau de M. Laurens. Ce succès n’a fait que
s’accentuer, il grandira encore, n’en parlons plus. Nous
avons encore à nous occuper de M. Lucien Mélingue, qui
a représenté une scène analogue : le matin du 10 ther
midor. Robespierre, affreusement blessé à la mâchoire, est
étendu sur une tableau milieu d’une foule depatrioles dont les
attitudes ne trahissent qu’une douleur modérée. Le tableau est
bien composé, dessiné avec une grande autorité. Il aurait
même dû user de cette autorité pour imposer silence à cette
couleur criarde où les bleus, les rouges et les jaunes s’in
terpellent furieusement. De l’autre côté du panneau,
M. Gaston Mélingue montre un Dîner chez Molière à
Auteuil : mêmes qualités et mêmes défauts à peu près sem
blables, moins accentués cependant.
M. Maignac a signé une excellente toile : T Attentat
d'Anagni. — Que vous dirai-je de nos excursions dans
les terres voisines? — Il faut vous rappeler, pour bien
comprendre le tableau en question, que le pape Boni-
face VIII, moins heureux que le roi d’Yvetot, eut à étouffer
plusieurs séditions. Savoir étouffer proprement une sédition
est aussi nécessaire à un souverain que savoir diriger le
char de l’Etat, surtout quand il navigue sur un volcan.
Cependant Boniface VIII faillit un beau jour être victime
d’un instant d’inattention. Heureusement pour le pontife,
les conjurés s’arrêtèrent hésitants devant le vieux pape
resté seul : Sciarra Colonna le somma d’abdiquer et de se
rendre à discrétion.
A ces miettes historiques, précieusement recueillies par
quelques-uns de nos peintres, je préfère les rudes souvenirs,
de M. Roll. Au lieu de s’inspirer dans les livres, le jeune
artiste regarde autour de lui et trouve dans la nature des
drames plus terribles encore. Ici les éléments se sont « con-
jurés » pour mettre à male mort les riverains de la Garonne.
Le fleuve a monté, monté, gagné les fenêtres, empli les
chambres de ses eaux limoneuses; à chaque seconde il
s’élève de quelques lignes, et lentement, implacable, il étend
sur la campagne son niveau de mort, arrachant les murs
du sol, déracinant les arbres, sapant les maisons qui plon
gent dans l’eau avec un bruit sourd. Sur le toit d’une
pauvre masure une famille s’est réfugiée. L’artiste la
représente au moment où une barque arrive en opérer le
sauvetage. M. Roll a sérieusement exprimé cette scène de
désolation, et les grandes proportions qu’il a données à ses
figures ajoutent au caractère imposant de cette œuvre puis
sante, selon moi la plus remarquable du Salon.
J’aurais voulu parler encore de la Mort de Diogène, de
M. Poilpot; des Horreurs du Pillage, de M. Lesrel; de
La provocation,èe M. Rosen;desDanaïdes,deM. Leroux;
des décorations de MM. Erhmann, Magaud et Machard.
Je les réserve pour mon prochain article.
Au moment où je prends ces notes, tranquillement assis
sur les banquettes de velours fané qu’une administration
aussi pauvreque bienveillante a placées au milieu des salles.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 88.83%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 88.83%.
-
-
Page
chiffre de pagination vue 3/8
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bd6t5102149t/f3.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bd6t5102149t/f3.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bd6t5102149t/f3.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bd6t5102149t/f3.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bd6t5102149t
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bd6t5102149t
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bd6t5102149t/f3.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest