Danton le demi-Hercule
L'activité de l'imagination me porte à me représenter les personnes dans le costume et l'action qui me paraissent convenir à leur caractère. Je n'ai pas vu deux ou trois fois une figure un peu signifiante que je ne l'habille dramatiquement. Cela se fait de soi-même pour ainsi dire, sans projet de ma part ; c'est le sentiment de la chose principale qui appelle naturellement les accessoires. Aussi le monde est-il pour moi une étrange mascarade, j'y remarque souvent une double scène ou des personnages à plusieurs rôles et je fais des tableaux tous les jours.
Voyez-vous ce demi-Hercule dont les formes grossières sont plus rudes que prononcées : son amplitude annonce sa voracité ; l'audace sur le front, le rire de la débauche sur les lèvres, il adoucit vainement son œil hardi cavé sous des sourcils mobiles. La férocité de son visage dénonce celle de son cœur ; il emprunte inutilement de Bacchus une apparente bonhomie et la jovialité des festins ; l'emportement de ses discours, la violence de ses gestes, la brutalité de ses jurements le trahissent.
Donnez-lui un poignard ; qu'il marche à la tête d'une horde d'assassins moins cruels que lui, auxquels il désigne ses victimes et dont il encourage les forfaits ; ou bien, gorgé d'or et de vin, laissez-lui faire le geste de Sardanapale : voilà Danton. Je défie l'artiste exercé qui voudrait peindre un homme dans ces deux situations de trouver un meilleur modèle.
Quant à Fabre d'Églantine, vêtu en tartufe, le stylet à la main, calomniant d'un côté, dérobant de l'autre, intriguant toujours, qu'il joue Basile si vous voulez, il ne sera jamais lui-même qu'en ne cessant pas de mentir.
Manon Roland, Mémoires, 1793.
> Texte intégral : Paris, Baudoin fils, 1820