Perrault du côté des ModernesGhislaine Chagrot

 

Tombé en disgrâce, Charles Perrault se consacre aux lettres. En 1687, il écrit un poème qu’il fait lire à l’Académie française : « Le siècle de Louis le Grand » où il  affirme que les auteurs contemporains sont supérieurs à ceux de l’Antiquité gréco-latine.
« La belle antiquité fut toujours vénérable ;
Mais je ne crus jamais qu’elle fut adorable,
Je vois les Anciens plier les genoux,
Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ;
Et l’on peut comparer sans crainte d’être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste »


C’est le point de départ d’une querelle entre les « Anciens », dont Boileau est le porte-parole, et les « Modernes », dont Perrault devient le chef de file. La supériorité du catholicisme sur le paganisme est une des convictions profondes de Perrault.

En  1649, il  écrivait, en collaboration avec deux de ses frères, un poème qui parodiait l’épopée antique : « Les murs de Troie ou l'origine du burlesque ». Le vocabulaire scatologique, les proverbes, les comptines, les expressions typiquement populaires y foisonnent. Perrault est un grand théoricien de l’écriture burlesque qu’il considère comme une invention « moderne » : elle sert son combat.
 
Il continue à essayer de faire triompher ses idées, il mène sa réflexion sur la prééminence de son époque sur l’Antiquité : de 1688 à 1700, il écrit et publie les quatre volumes du Parallèle des Anciens et des Modernes qui sont pleines d’idées neuves. Il plaide pour la supériorité de la création artistique, du seul fait même de sa nouveauté.
 

 
Parallèle des Anciens et des Modernes, tome 2
Parallèle des Anciens et des Modernes, tome 3
Portrait de Nicolas Boileau
 

Dans le tome IV du Parallèle, l’auteur compare Anciens et Modernes dans le secteur des sciences : il distingue l’astronomie de l’astrologie, s’appuie sur l’exemple de la géographie, mais aussi de la physique, de la philosophie, de la musique. Pour lui, les Modernes représentent le progrès : il suffit de comparer les sciences d’autrefois et celles d’aujourd’hui. Même progrès dans la pédagogie. Une éducation éclairée par le catholicisme est évidemment meilleure qu’une éducation païenne. C’est dans cette perspective pédagogique et moralisante que doit s’interpréter le projet de Perrault, lorsqu’il écrit ses contes tirés du répertoire populaire oral. C’est pourquoi il va  insister sur la valeur morale de ces contes modernes à l’intention de l’enfance dans la préface.Ce livre serait une arme nouvelle dans la querelle et un développement de l’offensive moderne dans le secteur de la pédagogie où son ennemi, ce vieux garçon de Boileau ne risque pas de le suivre. Il veut prouver que ces contes, issus des campagnes et profondément chrétiens sont meilleurs que les contes païens des Anciens. Par ailleurs, par cette entreprise, il veut montrer qu’on peut faire de la littérature précieuse à partir d’une matière jusqu’ici réputée vulgaire (au sens étymologique du mot, c’est-à-dire venant du peuple) à condition de la travailler stylistiquement. Cela revient à proposer une inversion radicale de la hiérarchie des genres et des valeurs esthétiques.