Le Petit Chaperon rouge
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu'on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on l'appelait le petit chaperon rouge.
Un jour sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit :
- Va voir comment se porte ta mère-grand, car on m'a dit qu'elle était malade, porte-lui une galette et ce petit pot de beurre.
Le petit chaperon rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger, mais il n'osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu'il est dangereux de s'arrêter à écouter un loup, lui dit :
- Je vais voir ma mère-grand, et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie.
- Demeure-t-elle bien loin ?, lui dit le loup.
- Oh ! oui, dit le petit chaperon rouge, c'est par delà le moulin que vous voyez tout là-bas, là-bas, à la première maison du village.
- Eh bien !, dit le loup, je veux y aller voir aussi ; je m'y en vais par ce chemin-ci, et toi par ce chemin-là, et nous verrons qui plus tôt y sera.
[…]
Le petit chaperon rouge tira la chevillette, et la porte s'ouvrit. Le loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture :
- Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi.
Le petit chaperon rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit :
- Ma mère-grand que vous avez de grands bras !
- C'est pour mieux t'embrasser ma fille.
- Ma mère-grand que vous avez de grandes jambes !
- C'est pour mieux courir mon enfant.
- Ma mère-grand que vous avez de grandes oreilles !
- C'est pour mieux écouter mon enfant.
- Ma mère-grand que vous avez de grands yeux !
- C'est pour mieux voir mon enfant.
- Ma mère-grand que vous avez de grandes dents !
- C'est pour te manger.
Et en disant ces mots, le méchant loup se jeta sur le petit chaperon rouge, et la mangea.
Perrault, Contes, 1697
> Texte intégral sur Gallica : Paris, T. Lefèvre , 1884