La volupté d'être distraitGiraudoux raconte La Fontaine
« Il est impossible de raconter cette vie autrement que comme une épopée de la simplicité et de la distraction ».
Au cours d'une série de cinq conférences qu'il donne à l'Université des Annales en 1936, Jean Giraudoux propose de la vie de La Fontaine une lecture originale.
« L'existence de La Fontaine, seule entre toutes, est une merveilleuse et complète absence de conflit, et le problème qui se pose à son propos est seulement celui de savoir comment il a pu en éliminer tout problème. » La réponse à cette question, l'écrivain va la développer en cinq chapitres : La Fontaine a su résister aux tentations de la vie bourgeoise, des femmes, du monde, de la littérature et « du scepticisme et de la religion ».
C'est un homme libre qui a peut-être failli mais n'est jamais tombé dans les pièges successifs tendus à sa simplicité, menaçant l'accomplissement de son destin d'écrivain. Personnage extatique, il a su résister parce qu'il est exempt des a réflexes habituels » de l'amour-propre, de l'orgueil, de l'ambition ou de l'intérêt. Sa distraction, dit Giraudoux, est « une volupté physique [...] une espèce d'aise dont La Fontaine a besoin comme d'une drogue [...] une espèce d'extase laïque avec tous les caractères de l'extase : le bien-être, la tiédeur, l'oubli des maux, et une insensibilité complète à la présence d'amis ou d'importuns a. En libertin, il succombe aux amours légères et médiocres, mais découvre le langage de l'amour en côtoyant dans le monde des femmes jeunes, belles, gaies, intelligentes, et... inaccessibles, auxquelles il rend hommage en les idéalisant.
« Il a échappé à la médiocrité bourgeoise par la distraction, à l'immoralité et à une carrière licencieuse par un grand respect du sommeil, des femmes et une invincible envie de dormir ; il a échappé à l'emprise de la Cour et de l'esprit de Cour par l'inconscience ».