Le rire du Turc

Tome II

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On donnait la tragédie d'Iphigénie. La statue de Diane était au milieu du théâtre. À la fin d'un acte, Iphigénie entrait suivie de toutes ses princesses, qui passant devant la statue firent toutes une profonde inclination de tête à la déesse. Le moucheur de chandelles, bon chrétien hollandais, sort et fait à la statue la même révérence. Le parterre et les loges éclatent de rire, et moi aussi mais non pas à en mourir. En devoir d'expliquer la chose au turc, le rire lui prit d'une telle force qu'on a dû le porter à son auberge, au Prince d'Orange. N'en rire point du tout aurait indiqué bêtise, j'en conviens, mais il fallait avoir un esprit turc pour en rire à ce point-là. Ce fut cependant un grand philosophe grec qui mourut de rire voyant une vieille femme édentée manger des figues. Ceux qui rient beaucoup sont plus heureux que ceux qui rient peu, car la gaîté épanche la rate et fait faire du bon sang.

 

Casanova, Histoire de ma vie, 1825.
> Texte intégral : Paris, Garnier frères, 1880