À propos de l’auteurMathilde Labbé
Né le 9 avril 1821 à Paris, la même année que Gustave Flaubert (1821-1880), Charles Baudelaire grandit auprès d’une mère très jeune et d’un père vieillissant, qui s’éteint alors que le jeune garçon n’est âgé que de six ans. De ce père disparu, le jeune Baudelaire garde la passion des images – François Baudelaire était peintre – et l’idée d’une puissance tutélaire qui deviendra « intercesseur » entre lui et Dieu, au même titre que pourront l’être la servante qui l’entoure durant ses jeunes années et, plus tard, la figure d’Edgar Allan Poe (1809-1849), dont il traduit les nouvelles.
« Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage »
Après quelque temps passé seul avec sa mère, le jeune garçon doit s’accommoder du nouveau mariage de cette dernière avec le commandant Aupick et suivre le couple à Lyon, avant leur retour à Paris. Charles Baudelaire étudie alors au Lycée Louis-le-Grand, avant de commencer des études de droit, dont la vie au Quartier latin a rapidement raison. Juste avant sa majorité, il est envoyé aux Indes (1841-1842) par ses parents qui souhaitent le distraire de la vie de bohême. Malgré sa réticence première, qui le fait débarquer sur l’île Bourbon pour attendre un navire en direction de Paris, Baudelaire retire de ce voyage des images et des impressions exotiques qui prennent dans son œuvre une place importante, que ce soit sous la forme du souvenir ou de la rêverie.
À son retour à Paris, le poète se lie avec l’actrice Jeanne Duval (v. 1820-1862), avec qui il entretient une passion orageuse durant plus de quinze ans. Il vit alors en dandy, grâce à l’héritage de son père, dont il dispose depuis sa majorité. Sa famille s’inquiète de ce train de vie et lui impose une tutelle en la personne de Narcisse Ancelle (1801-1888). Cette décision le révolte et le contraint également à vivre de sa plume, ce qu’il tente de réaliser en devenant journaliste et critique d’art.
Du journalisme aux Fleurs du Mal
Baudelaire écrit d’abord pour un journal satirique intitulé Le Corsaire Satan et collabore à L’Artiste, à L’Esprit public, au Messager de l’Assemblée, à L’Illustration, à la Revue de Paris et au Salut public. À la fois critique littéraire et critique d’art, il publie en 1845 un premier Salon, rapidement suivi d’autres écrits sur l’art (Salon de 1846, L’Exposition universelle de 1855, Le Musée classique du bazar Bonne-nouvelle dans Le Corsaire Satan en 1846, Salon de 1859). C’est dans ce cadre qu’il élabore la notion de modernité en art (Salon de 1846) et cherche quel peintre est à même, parmi ses contemporains, de représenter au plus juste la vie moderne. À la même époque, il publie (1847) dans Le Bulletin de la Société des gens de lettres, La Fanfarlo, nouvelle dans laquelle on peut le reconnaître sous les traits du jeune Samuel Cramer, tandis que la maîtresse du personnage doit probablement beaucoup à Jeanne Duval. 1848 constitue pour le poète un moment d’exaltation révolutionnaire de courte durée : le coup d’État de 1851 le laisse à jamais « dépolitiqué ».
Alors que Baudelaire prépare le recueil qui doit devenir son grand œuvre, en publiant parfois des poèmes dans L’Artiste, Le Messager de l’Assemblée ou La Revue des Deux Mondes, il fait également paraître en 1851 un traité sur les effets du vin et du haschich, un recueil d’articles (L’Art romantique, 1852) et des traductions d’Edgar Allan Poe (Révélation magnétique, 1848 ; Histoires extraordinaires, 1856).
Le manuscrit des Fleurs du Mal est confié en 1857 à l’éditeur Auguste Poulet-Malassis (1825-1878), avec lequel Baudelaire est lié depuis 1849. Le recueil est mis en vente le 25 juin et fait rapidement l’objet d’une campagne particulièrement violente dans Le Figaro : les détracteurs du poète visent et parviennent à attirer l’attention de la Sûreté publique, qui saisit le Parquet. Baudelaire et ses éditeurs sont condamnés pour outrage à la morale publique.
La recherche d’une esthétique de la modernité
Dans les années qui suivent le procès, Baudelaire écrit de nouveaux poèmes, qui seront ajoutés à l’édition des Fleurs du Mal de 1861, mais aussi des proses poétiques qu’il souhaite publier sous le titre Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris. Il y réaffirme son désir d’une modernité esthétique, qu’il ne recherche pas seulement dans la poésie mais aussi dans la musique et dans la peinture. Il dit ainsi son intérêt pour les pastels d’Eugène Boudin (1824-1898) et les eaux-fortes de Charles Meryon (1821-1868) dans le Salon de 1859, exprime son admiration pour Tannhaüser de Richard Wagner (1813-1883), qui fait scandale à Paris (« Richard Wagner et Tannhäuser à Paris », 1861) et fait de Constantin Guys (1802-1892) Le Peintre de la vie moderne (1863).
L’année 1861 voit la publication des Paradis artificiels, traité sur l’effet des drogues qui prend en fait la forme d’une apologie de l’artifice contre la nature, tout en explorant la puissance de l’imagination. Reprenant la Confession d’un mangeur d’Opium anglais publiée en 1821 et traduite en 1856, Baudelaire poursuit la réflexion engagée dans Du vin et du Haschisch (1851). La même année, le poète se porte candidat à l’élection à l’Académie française mais retire finalement sa demande.
Malade et pauvre, Baudelaire quitte Paris en 1864 pour la Belgique, projetant d’y donner une série de conférences et d’y négocier la vente de ses œuvres. Il poursuit en même temps plusieurs projets à la fois autobiographiques et pamphlétaires : dès la fin des années 1850, il avait annoncé à Poulet-Malassis un ouvrage intitulé Mon cœur mis à nu, mais aussi un recueil de pensées, Fusées ; son séjour en Belgique lui inspire des pages terribles qu’il souhaite publier sous le titre Amœnitas Belgicae et Pauvre Belgique ! (projet de 1864). Ces ouvrages, dont on n’a aujourd’hui que les ébauches, restent longtemps ignorés et partiellement inconnus du public. Il publie en même temps dans des revues françaises certains de ses poèmes en prose (Les Yeux des pauvres, Les Projets, en 1864, par exemple).
Atteint de syphilis depuis la fin de son adolescence, Baudelaire se voit décliner d’année en année et subit régulièrement des crises. En mars 1866, il reçoit un choc plus violent que les autres et perd connaissance alors qu’il visite l’église Saint-Loup de Namur. Rentré à Paris, il s’installe à la clinique du docteur Duval. Il y passe la dernière année de sa vie, aphasique et hémiplégique, entouré de sa mère et de ses amis, et s’éteint le 31 août 1867. La première édition de ses œuvres complètes, qui réunit entre autres une troisième édition des Fleurs du Mal, les poèmes du Spleen de Paris et les Curiosités esthétiques, paraît en sept tomes (1868-1869) chez l’éditeur Michel Lévy.