La BnF possède de nombreux périodiques des XIXe et XXe siècles publiés en Algérie coloniale (1830-1962). Reçues par dépôt légal, ces publications diverses se font l’écho de l’actualité et renseignent sur la vie quotidienne et les débats agitant la colonie. Ce second billet est consacré à l'âge d'or de la presse algérienne, des années 1880 à 1914.
Algérie. Constantine et la gorge du Rhummel, 1892 / [photogr.] André Salles
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (amendée par la suite en 1895 et 1935) accroît les possibilités d’expression et d’information. Seule la minorité citoyenne est concernée par cette approche libérale. Des restrictions subsistent pour les sujets algériens et les étrangers. Si la censure a priori disparaît, les propos jugés subversifs sont sévèrement punis. La langue française est quant à elle privilégiée.
Au-delà de ses spécificités, l’Algérie entre, comme la métropole, dans la « civilisation du journal » (Dominique Kalifa). Le nombre de titres coloniaux explose à partir des années 1880.
Fondée en 1885, La Dépêche algérienne, publiée à Alger s’impose en quelques années comme le titre le plus diffusé parmi ceux édités en Algérie et en Tunisie. Républicain modéré progressiste, le titre défend les idées d’ordre et de travail social. Également connue pour son service télégraphique et la rapidité de ses informations, La Dépêche algérienne sera le premier journal algérien à s’abonner aux dépêches de l’agence Havas et bénéficiera d’une agence télégraphique spéciale dans les années 1920.
Les principaux centres urbains disposent peu à peu d’un organe local : Oran (Le Pilori), Constantine (Le Républicain de Constantine, Le Conservateur), de même que les localités de moindre envergure : Bel-Abbès (Le Bel-Abbèsien), Blida (Le Courrier de Blida), Bougie (L’Avenir de Bougie, L’Oued-Sahel), Boufarif (Le Petit Atlas), Guelma (Le Progrès), Jemmapes (L’Écho de Jemmapes), Mascara (Le Réveil de Mascara), Mostaganem (Le Petit Mostaganémois), Philippeville (La Colonie), Sétif (Le Progrès de Sétif, Le Réveil de Sétif), Tébessa (L’Avenir de Tébessa), Tizi-Ouzou (Le Petit Kabyle), Tlemcen (La Tafna).
Dans leurs sous-titres, les publications revendiquent leur caractère républicain et leur indépendance. Nombre d’entre elles se présentent comme un « organe de défense des intérêts » ou « organe des intérêts » de la région desservie dans une perspective qui dépasse parfois les limites de la colonie et embrasse la Tunisie voisine que le Traité du Bardo signé en 1881 a placé sous protectorat. L’ensemble du territoire algérien est désormais couvert mais nombre de ces publications restent des hebdomadaires. Le niveau d’information générale demeure généralement assez faible et s’efface devant la couverture des querelles politiciennes locales et des affaires courantes.
Le mouvement se poursuit dans les années 1890, la couverture géographique de la presse s’élargit avec des titres créés à Djidjelli (L’Impartial), Médéa (Le Petit Médéen), Orléansville (Le Progrès), Tigzirt (Le Réveil de Tigzirt). Au tournant du siècle, de nouveaux quotidiens se créent également comme le républicain La Démocratie algérienne fondé à Bône en 1886 qui reçoit chaque jour les dernières nouvelles de France et les séances parlementaires de la veille, L’Avenir de Tlemcen lancé en 1892 qui de républicain indépendant deviendra dans les années 1930 l’organe des républicains nationaux ou encore le journal républicain du matin L’Écho d’Alger créé en 1912.
L’Impartial tlemcénien pointe la spoliation des populations arabes au prix toutefois d’un antisémitisme affiché.
L’Écho d’Oran s’enrichit également d’un supplément illustré du dimanche en 1898.
Plus à l’Est, à Constantine, La Lega franco italiana indique quant à elle la présence d’Italiens, également implantés dans la Tunisie voisine.
A la suite d’El-Hack, quinze titres sont créés entre 1907 et 1913, qui s’adressent à un public proche des Jeunes-Algériens, mouvement intellectuel et politique minoritaire qui prône l’assimilation des populations et la fin du Code de l’indigénat. Le journal dont l’émir Khaled, petit-fils de l’émir Abd-el-Kader, est une figure marquante plaide en faveur d’une meilleure représentation politique de la population musulmane. Le plus influent de ces titres est sans doute L’Islam fondé à Bône en 1909 par Sadek Denden qui s’entoure d’une rédaction mixte composée de Musulmans et de Français.
Sa rédaction, composée uniquement de lettrés algériens relevant du « clergé musulman » ou des écoles coraniques, est proche de l’administration coloniale. Kaoukeb Ifrikia et L’Islam disparaissent tous deux en 1914.
Par ailleurs, la présence d’une communauté israélite est également visible dans la presse. L’Israélite algérien (Adziri) est un des premiers journaux destinés au lectorat juif. Lancé en 1870, année de promulgation du décret Crémieux conférant aux 35 000 Israélites indigènes d’Algérie la nationalité française, il est rédigé en français et en judéo-arabe (arabe transcrit en caractères hébraïques ou « hébreu arabe ») et affiche en tête de une son triptyque « réforme-émancipation-progrès ». Si le mouvement d’assimilation à la culture française est continu, des publications en judéo-arabe ou bilingue continuent à se créer comme La Lune (El-Qamra) en 1891 ou Le Nouvelliste oranais en 1902.
Pour ce dernier, le choix du bilinguisme s’explique par la volonté d’être lu par tous, y compris par ceux « n’ayant pas eu la bonne fortune de passer par les écoles françaises », de participer à la « diffusion des idées françaises » et de propager « les saines idées de civilisation, de progrès et d’émancipation ». Le programme du second Israélite algérien publié à Oran en 1900 sous la direction du Grand rabbin d’Oran est similaire : « Familiariser les Juifs Algériens avec les idées de civilisation et de progrès ». Il s’agit également de se défendre face aux nombreux détracteurs qui accusent les Juifs de constituer une caste à part enfermée dans son particularisme.
L’Algérie de la fin du XIXe siècle est marquée par un fort mouvement antisémite. Aux traditionnels préjugés d’ordre religieux contre les Juifs, s’ajoutent les difficultés économiques que traverse la colonie (crise du crédit, effondrement du prix du blé, baisse des exportations, mauvaises ventes des vins…) puis l’affaire Dreyfus qui éclate en 1894. Dès 1892, Fernand Grégoire créé une ligue socialiste antijuive à Alger. En 1896, le parti antijuif algérien conquiert la mairie de Constantine, deux ans plus tard, Émile Morinaud, membre de ce parti et rédacteur en chef du Républicain de Constantine, est élu maire.
En 1898, Édouard Drumont, auteur de La France juive, est accueilli à Alger où il se présente avec succès sous l’étiquette de « candidat antijuif » aux élections législatives. Ce sont quatre députés que le parti antijuif porte à la Chambre des députés à Alger, Oran et Constantine. La même année, Max Régis devient maire d’Alger. Les journaux antisémites se multiplient qui reprennent désormais le qualificatif « antijuif » dans leur titre (La Trique antijuive, La Lutte antijuive, Le Réveil antijuif).
En réponse à ce mouvement, Henry Tubiana, qui a été dans les années 1880 directeur de La Gazette de l’Algérie, journal républicain et assimilateur, lance de brèves publications L’Anticlérical juif et Le Paria juif où il critique Drumont et le parti antijuif. Ce dernier n’est lui-même pas exempt de divisions. Ainsi, La Parole française anti-juive et anti-séparatiste partage l’antisémitisme du parti antijuif et souhaite tout comme lui l’abrogation du décret Crémieux mais dénonce les velléités séparatistes de l’« ex-italien Max-Régis Milano » et « Edouardo Drumondo ». Le programme du journal lancé en février 1899 proclame « L’Algérie doit appartenir aux Français, rien qu’aux Français » (…) « Oui mais aux Français de Race ». En 1900, alors que Max Régis est réélu à la mairie d’Alger est lancé La Jeune France antijuive dont l’équipe de rédaction est exclusivement féminine.
Le mouvement politique s’essouffle cependant, aucun candidat antijuif n’est élu aux législatives de 1902 ce qui n’empêchent pas certains titres, à l’existence éphémère, de continuer à se qualifier ainsi : Le Cri algérien, tout à la fois antijuif et anticlérical, Le Petit antijuif algérien, Le Salut public algérien tous trois lancés en 1902, L’Union antijuive fondée l’année suivante.
- Les premiers titres de presse en Algérie : 1830-1880
- - La presse algérienne d'une guerre à l'autre : 1914-1939
- La presse algérienne de la seconde guerre mondiale à l'indépendance : 1939-1962
- La sélection Presse algérienne dans Presse et revues, une sélection des titres de presse sur l'Algérie coloniale numérisés dans Gallica
- Ageron, Charles-Robert, « Regards sur la presse politique musulmane dans l’Algérie « française », Genèse de l'Algérie algérienne. Volume 2., Saint-Denis, Éditions Bouchène, « Histoire du Maghreb », 2005, p. 325-354
- Bellot, Marina, Demougin, Laure, La presse coloniale : à la conquête des « Français d'un autre monde », Retronews, 15/12/2021
- Demougin, Laure, L'empire de la presse : une étude de la presse coloniale française entre 1830 et 1880, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2021
- Guignard, Didier. « Comptes rendus. Arthur Asseraf. Electric News in Colonial Algeria. Oxford, Oxford University Press, 2019, 223 p. », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 75, no. 2, 2020, pp. 352-354.
- Ihaddaden, Zahir, Histoire de la presse indigène en Algérie, des origines jusqu'en 1930, Alger, les Editions Ihaddadene, 2003
- Legg, Charlotte Ann, The new White race: settler colonialism and the press in French Algeria, 1860-1914, Lincoln, University of Nebraska Press, 2021