Titre : Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques : hebdomadaire d'information, de critique et de bibliographie / direction : Jacques Guenne et Maurice Martin du Gard
Éditeur : Larousse (Paris)
Date d'édition : 1950-11-09
Contributeur : Guenne, Jacques (1896-1945). Directeur de publication
Contributeur : Martin Du Gard, Maurice (1896-1970). Directeur de publication
Contributeur : Gillon, André (1880-1969). Directeur de publication
Contributeur : Charles, Gilbert (18..-19.. ; poète). Directeur de publication
Contributeur : Lefèvre, Frédéric (1889-1949). Directeur de publication
Contributeur : Charensol, Georges (1899-1995). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 09 novembre 1950 09 novembre 1950
Description : 1950/11/09 (A29,N1210). 1950/11/09 (A29,N1210).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GR FOL-Z-133
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 02/05/2021
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NOUVELLES
LITTERAIRES
Tl O N, PUBLICITÉ:
i C Louvre ra-as
%£ MONTMARTRE (T)
9 B C. Seine 279-768 B
ARTISTIQUES ET SCIENTIFIQUES
Jeudi 9 Novembre 1950 29” année 18 francs
ADMINISTRATION ET VENTE
LAROUSSE - PARIS
Kl° | o | r\ Littré 95 ' 31
N I Z I U 'jç 13 à 21 , RUE DU MONTPARNASSE (VI e )
Brangues, chez Claudel POÈTE
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ORALE
L me fallait confronter ce
poème et ce paysage. Je
devais venir ici, sur la
terrasse de Brangues,
pour attacher mon ex-
voto à ce rosier. J’avais
hâte d’entrer dans ce
château par la porte-
aptès y être entrée si souvent par la
L s onges. Le droit de regard sur la
| Rhône me fut accordé et l’invita-
L re « la procession infinie des peu-
fers l’étoile du soir me fut faite à
Paul Claudel écrivit mon nom en
jn « bienheureux andante » et me
[ ; Brangues : un coin de France, à
Marthe Bibesco, 3 février 1940.
[sans de cela.
j’arrivai à Brangues, ces dix années
par
la Princesse BIBESCO
Un jour de février 1940, à Paris, Claudel
avait tiré ce poème tout bonnement de sa
poche et m’en avait donné lecture. C était au
retour d’un voyage à Genève, entrepris pour
entendre sa Jeanne au bûcher. L’inspiration
lui était venue, me disait-il, de grand matin,
dans sa chambre d’hôtel, à la fenêtre ouverte
sur cette partie du lac où les eaux glauques
du Rhône traversent le gouffre bleu du
Léman. Descendant par la pensée le cours
du fleuve, le poète s’était mis à chanter la
mélodie intarissable et ce Rhône dans le ciel
qui, par la double chaîne des Alpes et du
Jura, le ramenait jusqu’à sa maison :
». «-.«t m |
Le château de Brangues, aquarelle de Gabriel Perrin {Cliché Harlingue.)
lit plus qu’un seul jour, comme
îles font une rose. Le sang sèche
[ipines ; la fleur que je respire sent
joète m’accueillait sur le seuil de
foison, de ce gros château plein
de petits-enfants, où, tout l’été,
llaudel s’assemble et se ressemble,
l’automne, déjà, et les « veil-
r, allumaient dans les prairies humi-
ItNç.'Màs.cle loin et j’arrivais tard ; les
I étaient conclues ; la bande joyeuse
[égaillée; un seul petit-enfant restait,
elle retardataire, François Claudel, de
\grecque et de père français, blond
da fleur de tilleul, beau comme André
m salon orné par de hautes fenêtres,
: des rayons de son magnifique crê
te entre les feux du soleil couchant
lois et de la première flambée dans
pt sa femme à ses côtés et son
les genoux, Paul Claudel se
ivec moi du temps où il m’avait
Peau royal et je lui racontai ce qui
Brangues ! C’est sans doute cette syllabe de
bronze, monnayée trois fois le jour par l’Angle-
lus, à laquelle mon oreille, à travers ce présent
qui est déjà l’avenir, était préparée, pour
qu’après cette longue enquête poursuivie par
toute la terre j’y associe le repos de mes der
nières années.
Sur huit pages d’un banal papier à lettres
d’hôtel, le poète avait tracé au crayon, de
premier jet, sans presque se reprendre —
ne se repentant que très peu — ce poème
lyrique où vivaient ce ciel, ce fleuve, cette
vallée, cette France ! De sa superbe écri
ture, qui frise comme la vague en touchant
le récif, de cette ronde française (la main
de nos vieux cahiers d’écriture, héritée de
Descartes), Claudel avait dessiné pour tou
jours ce paysage. Les huit feuillets étaient à
moi, il m’en avait fait le don magnanime ;
j’allais les lire et les relire.
Mon premier soin fut de les faire relier.
Je courus chez le meilleur relieur de Paris,
Gruel saurait donner protection à ces feuilles
d’un papier périssable ; il assurerait leur sur
vie matérielle ; il les monterait en onglet,
sur papier de Chine ; il leur donnerait une
(1) Jean Olanesco.
larghanila Laski
à Paris
Ç
jéU. N
r mvv \
il
\ ‘il
V
i/
t Dessin de Roger Wild.)
■ eur français connaît la romancière de
les Nouveaux Pauvres, de James ou
^ Gâteau ( 1), mais il ignore peut-être
"orghanita Laski est un des meil-
L;’ Jes littéraires de Grande-Bretagne et
, Claire du feuilleton de i'Observer.
1 de la rive gauche où je la
^ e l e me parle dé la jeune littérature
h •
1 ; chez nous une scission entre la
^ es intellectuels et ce que nous
* jg U j ro ®an populaire. Graham Greene
\ jj a satisfaire les deux groupes, et
ç( IVlSe lui-même son œuvre en enter-
m >°vels (divertissements et romans).
‘ jj ’ jrjr tie, la responsabilité de cette
îri e , a 1° critique, qui s'adresse à
! ;üj ^ esf be(es, néglige délibérément
!« cre u f eUf intéresser la masse des lec-
f 5uj 0u e ,, p ^ us profond encore l'abîme qui
r ç sf [. ^ Ul l'écrivain du public. Ce phé-
! Uo nd en notre temps car, autrefois,
1 GqIs^t Dickens, Thackeray, Mere-
iby,
° nf ^ es tendances qénérales de la
.j'jijs sous toutes ses formes. Pre-
'k|roj J 1 °° n ' P ar exemple : ce conteur
n'é Crif ans ' bibliothécaire au British
; ' < f Ue bes récits sombres, ses
si nt des êtres horribles, tarés ; il
m-,; 5056 sans rémission. Les esthètes
I'^'rke)^ f0US ^ es autres préfèrent une
lSln >isme
Une p ' J !* s [ ne de Kipling, par paren-
,, ) f 0 nrj s fj’nné du Maurier, qui connais-
f c'y*' Vo Y ez ~ vous - aujourd'hui.
j ^ n drillon serait inconcevable :
6 ^°nbeu r' n ^ oit s ’ arr cmger dans un
impossible, et ce parti pria
engendre le pire des snobismes. Sarrte y est
peut-être pour quelque chose, son influence est
grande chez nous. Il suffit de voir les étudiants
d'Oxford t à l'élégance, à la préciosité de jadis
a succédé une négligence voulue dans la tenue
comme dans le langage. La fortune est désor
mais un vice rédhibitoire, la joie de vivre une
difformité honteuse. Quant à la jeunesse des
classes moyennes, elle est tournée vers l'Amé
rique : les westerns triomphent, et tout jeune
paysan rêve de frigidaire. La qualité, en tout,
cède le pas au clinquant qui donne du prestige.
Une chose encore qui étonnera les Français :
la B.B.C. diffuse un « Troisième programme »
uniquement destiné aux esthètes dont je viens
de parler, et jamais un Anglais moyen n'écoute
une de ces émissions volontairement hermé
tiques, destinées aux seuls élus. Or un art véri
table doit être accessible à tous.
— Faut-il en déduire que, dans vos critiques,
vous cherchiez à combler cet abîme entre les
auteurs et les lecteurs ?
-—- Assurément. Un livre peut être bon pour
des raisons diverses et parfois contradictoires.
■— Le public anglais s'intéresse-t-il à la litté
rature française contemporaine ?
— Oui, mais je crains que les livres choisis
par nos éditeurs ne traduisent pas toujours le
vrai esprit de vos lettres contemporaines.
— Avez-vous un nouveau roman en chantier ?
— Après Un petit garçon perdu (1), qui vient
de paraître en français, je termine actuellement
People of our class, où je décris les classes
moyennes dans la banlieue de Londres. J'y ai
longtemps vécu, dans une vieille maison du
XI1F siècle.
—- Une maison hantée ?
Avec le plus grand sérieux, Marghanita
Laski me répond :
— Bien sûr ! le fantôme d’Adrien IV, unique
pape anglais, y vit encore. Un fantôme stupide
d'ailleurs. Nous avions beau l'inviter dans la
pièce où nous nous tenions, il s'arrangeait pour
nous fuir, avec un bruit ridicule. Cette maison
possède un passage secret qui conduisait jadis à
une abbaye proche. D'ailleurs, la maison que
j'habite maintenant à Londres a également un
passage secret. C'est l'ancienne demeure de
Sarah Siddons, que Gainsborough a immorta
lisée dans un portrait célèbre. Au XVUT siècle,
ce quartier était encore hors la ville, et Dick
Turpin s'est servi du passage pour la contre
bande qu'il ramenait de France.
— Et cette maison est hantée, elle aussi ?
Ah. ! non, et c'est tant mieux : le fantôme
de Sarah Siddons eût été trop snob pour nos
goûts.
Marghanita Laski éclate de rire. Je la quitte
avec un peu d'envie au fond du cœur : parler
de fantômes avec cette gravité, n'est-ce pas
reconnaître la toute-puissance de la poésie ?
______ Véra VOLMANE.
(1) Plon,
robe pourprée, du maroquin le plus fin, le
plus rouge, avec une doublure de taffetas
d’un rouge plus clair, à filets d’or. Ce tra
vail d’artiste dura plusieurs mois. La réussite
fut admirable ; je relus le poème mis à l’abri
des injures du temps, du moins je le croyais.
C’est alors qu’en tournant les pages je
m’aperçus d’un détail que je n’avais pas
remarqué dans le feu de la première lec
ture : chaque feuille portait l’en-tête de
1 hôtel des Bergues et le nom de Genève.
C’est cela qui allait amener la catastrophe et
me faire perdre le manuscrit au jour prochain
de la tribulation.
Paris, mai 1940, le mois de la grande
douleur, le mois de Marie. Paul Claudel
était venu me dire adieu ; je devais partir.
Je venais d’apprendre, ce même jour, la mort
de mon neveu, le fils de ma sœur aînée, tué
à 1 ennemi dans la trouée de Sedan. Roumain
né à Paris, il avait opté pour la France, à
vingt ans. Lieutenant d’infanterie dans 1 ar
mée française, Jean (1) était l’unique petit-fils
de mon père.
Par lui s’achevait le cycle d’une famil.le
qui avait choisi la France pour dame maîtresse
et croyait lui devoir le sacrifice du sang. A la
fenêtre ouverte sur Paris, Paul Claudel et
moi regardions en silence la ville menacée.
Au moment des adieux, je lui montrai son
poème, revêtu de sa belle robe rouge, fraîche
comme une rose ; j allais l’emporter. Il
feuilleta le manuscrit, puis s’assit devant ma
table et se mit à l’ouvrage. Il recopiait à
l’encre Un coin de France sur les pages
blanches ajoutées à celles qui portaient l’ori
ginal ; il parachevait le don. J’aurais ainsi
les deux états du paysage de Brangues : le
brouillon tracé dans la brume du matin et la
version glorieuse du soir.
J’emportai là-bas, hors de France, si loin
et pourtant si près, puisque c’était alors mon
pays et ma maison, ce poème qui allait deve
nir, à la suite de circonstances inouïes,
d’abord l’objet d’un vol à main armée, puis
d’une restitution par les armes et, finalement,
l’incantation efficace destinée à rendre la
vallée du Rhône présente, pendant quatre
ans, aux exilés de France que nous étions
devenus tous, ma famille, mes amis et moi-
même.
Le 23 novembre 1940, date à jamais mé
morable dans ma vie — car j’ai rompu alors,
en pleine lucidité, un pacte dont nous fûmes
pendant trop longtemps les victimes volon
taires — la violation de domicile eut lieu.
LA SUITE A LA SIXIEME PAGE
P. de Boisdeffre
lauréat de la Critique
Le feu d’un projecteur fit pâlir les dis
crètes ampoules enjuponnées de cretonne
rustique, un micro dressa sa luisante petite
tête noire comme celle d’un serpent, une
caméra se mit à ronronner doucement et,
sous les poutres vernissées de cette salle
d’auberge très parisienne, à l’enseigne d’Anne
de Beaujeu, Yves Gandon proclama qu’en ce
6 novembre 1950, le prix de la Critique
avait été décerné, au sixième tour, à M.
Pierre de Boisdeffre, pour son ouvrage :
Métamorphose de la littérature, de Barrés à
Malraux...
— ..-Par sept voix contre cinq à M. R.-M.
Albérès, auteur de l’Aventure intellectuelle
du XX ' Siècle.
Aux premiers tours de scrutin, Georges
Poulet, Charles Briand et Roger Stéphane
avaient obtenu des voix.
Témoignant de la lutte qui avait été
chaude, d’innombrables petits bulletins de
vote traînaient sur la nappe, comme autant
de papillons abattus par une tempête, parmi
les cendriers et les verres à moitié vides.
En sa qualité de président du jury, Robert
Kemp expliqua que si le prix de la Critique
était allé, cette année, à un benjamin de la
littérature, c’était en raison des promesses
très brillantes de son ouvragé^.
Les douze jurés, que le combat avait affa
més, se mirent à table cependant qu’on allait
quérir l’heureux lauréat. Il apparut au mo
ment du café. Je m’attendais à le voir en
uniforme, puisqu’il est actuellement soldat
au ministère de l’Air, dans le service du co
lonel Jules Roy. Mais non : il se présenta en
civil, fort à l’aise dans sa jeune renommée
et ses vingt-quatre ans.
C’est à Barrés qu’il doit d’avoir écrit.
— Celui du Culte du moi, précise-t-il,
aussi étonnant que cela puisse paraître au
jourd’hui. La raison en est peut-être celle-ci :
quand j’étais jeune, je ne disposais que de
la bibliothèque de mes grands-parents, qui
s’arrêtait à 1880.
Les projets ne lui manquent pas : d’abord
achever le second volume de Métamorphose,
qui le mènera de Proust à Sartre, en passant
par Aragon, Paulhan, Anouilh et Camus.
— Et puis ?
— Faire un voyage dans le Proche-Orient.
Dès que je serai libéré, j’y partirai. Je ne
vois pas de meilleure façon d’employer les
six mois de vacances que je veux m’accorder
alors.
André Bourin.
(Dessin de Miller et)
EO LARGUIER reçoit les
visiteurs...
Dès ce début, je m’in*
terromps pour une re*
marque, je parle au pré
sent. Ceux que j’aime
vivent toujours ; je les
vois, je les entends et je
les touche, plus îéels
que la réalité. Je ne leur accorde de mourir
qu’avec moi. Je n’emploie pas lo passé quand
je les évoque ; je le considérerais comme un
assassinat et, bien pis, comme une indélica
tesse. Ceci dit, je continue.
Léo Larguier reçoit les visiteurs à son
5 e étage de la rue Saint-Benoît, là où s’arrête
le tapis. Son logis ne possède ni l’électricité ni
le téléphone. Une lampe à pétrole l’éclaire, un
poêle y ronronne. Les livres, anciens et nou
veaux, les estampes, les tableaux, les bois
sculptés, les faïences, les croquetons (c’est un
{Photo Agip.)
Au cours du dernier déjeuner Goncourt
auquel il assista, Léo Larguier était assis
à côté de Colette
mot qu’il affectionne) l’encombrent, et tout ce
que cet amateur, ce fourrageur de boutiques,
de bric-à-brac et de boîtes des quais a guetté,
levé, ramené chez lui. Il y a sur la table des
reliquçs : la pipe de Flaubert, l’encrier de
Balzac, le pot à tabac de Théophile Gautier.
Excusez-moî si ma mémoire embrouille et
trahit ; mais ne doutez pas de l’authenticité
des objets sacrés ; vous encourriez lès foudres
de votre hôte'; et elles sont terribles ; il vaut
mieux ne pas s’exposer imprudemment. Non,
ne l’irritez pas. Un peu d’hypocrisie, de véné
ration, au contraire, vous attirera sa sympathie
et vous jouirez, plaisir d’une qualité rare, pour
peu que vous ayez l’âme fine, de sa bonhomie
grandiose, de sa somptuosité affable ; voilà
vraiment les termes qui conviennent à son ac
cueil. Rien d’étriqué en lui. Haute carrure,
gabarit puissant (hélas ! il a beaucoup maigri
depuis quelques mois), large masque, crinière
grise que l’âge n’a pas clairsemée, voix aux
résonances méridionales que cinquante années
de Paris ont voilées à peine. Assis dans un
fauteuil, vêtu d’une ample robe de chambre,
il trône naturellement au centre de sa demeure
sombre, habitée d’un entassement de dépouilles
et des fruits de ses chasses aux éventaires des
antiquaires, des brocanteurs, des marchands de
Ï0 PAGES
A la cinquième page :
DEUX CONTES DE NOVEMBRE
recueillis par Henri Pourrat
UN POEME DE LEO LARGUIER
A la sixième page :
A la recherche de D. H. LAWRENCE
par Paul Trédant
A la septième page :
UN PAUVRE DE DIEU
récit d'Odette du Puigaudeau
quatre français au thibet
par André Bourin
A la neuvième page :
LES NOUVELLES ARTISTIQUES
Marcel Brion, Fred Bérence
Gisèle d'Assailly, Maximilien Gauthier
A la dixième page :
BERNARD SHAW
par René Lalou
la Foire aux Puces. Un antre en vérité, à l’at
mosphère d’une densité prodigieuse, et dont le
maître a quelque chose, outre son prénom, de
léonin.
Léo Larguier, Languedocien, débarque de ses
Cévennes natales à Paris, au début du siècle.
Il n’en bougera plus, sauf, pendant l’occupa
tion, un séjour à Avignon, ville pontificale. Il
n’existe pas d’émigré mieux fixé, plus indéra
cinable. Et, dans Paris, il élit domicile perpé
tuel sur la rive gauche, au cœur du V e et du
VI e arrondissement. Il ne voyagera que de
l’Institut au Panthéon, en passant par l’atelier
de Delacroix et le Vachette, au temps de Mo
réas. Je l’ai connu jadis rue du Pot-de-Fer, je
crois, et plus tard rue Saint-Benoît, à Saint-
Germain-des-Prés, où il exerce une souverai
neté débonnaire et s’est incrusté au paysage
urbain avec son large chapeau, sa grosse canne,
la majesté quotidienne de ses habitudes. Il ar
rive à Paris, dis-je, et, boulevard Saint-Michel,
magnifiquement semblable à lui-même, il fait
vœu de poésie, et de poésie traditionnelle et
transcendante, insensible à la mode, aux que
relles de la technique, aux facilités tentantes
de l’innovation. Continuateur des romantiques,
puissamment) ancré, irréfutable, possédé d’une
foi que n’entamera jamais nulle hérésie, il
^ ‘vvvuUjisaA- -
Les critiques reçoivent leur lauréat : de gauche à droite, au premier plan
Yves Gandon, Gabriel Brunet, P. de Boisdeffre, Robert Kemp, P. Labracherie
Au second plan : Marcel Thiébaut, Roger Giron, F. de Roux, Fernand Gregh
j par 1
ALEXANDRE ARNOIJX
de VAcadémie Goncourt
poursuit sa voie droitement et construit le mo
nument dont le destin lui a assigné d’être l’ar
chitecte, de la Maison du poète à ses Quatrains
d’automne, un millier environ ; cela fait un
nombre exact, je l’ai oublié, doué d’une vertu
occulte et d’un symbolisme magique. Nous
n’en avons lu encore que quelques-uns, publiés
çà et là, fragments épars. Un trésor au métier
souple, fort et dépouillé, mûri jusqu’à sa per
fection, religieusement décanté, un ensemble
vigoureusement détaché et lié où se traduisent,
avec une gravité familière, les enchantements
d’une sagesse désenchantée.
Léo Larguier, aventure peu commune, a
marché à la rencontre de sa légende ; il y est
entré de plain-pied. Quoiqu’il possède beau
coup plus de légitime orgueil que de vanité
superficielle, il a beaucoup contribué à la créer
et je l’estime vivace ; la mort lui donnera le
dernier poli et le coup de pouce définitif. 11
ne déplaît sans doute pas à ce grand burineur
d’images et de portraits baignés du faste des
temps révolus et des ors éteints de l’histoire
de devenir, lui aussi, un portrait et une image.
On ne peint bien que ceux à qui on ressemble
ou dont la ressemblance vous séduit. Et comme
il a profondément gravé les pessimistes récon
fortants, les caustiques cruellement joviaux, les
solitaires et bourrus de génie, les misanthropes
sentimentaux et amers, nourris d’un inépui
sable fonds de tendresse déçue, les fantômes
d’un renoncement un peu spectaculaire aux
vanités du monde et d’un détachement pas
sionné aux vaines passions ! Ces frères aînés,
il les rejoint chaque jour ; il respire en leur
compagnie. Pour lui, la présence du passé ne
cesse pas ; elle englobe l’actuel et l’efface. Il
s’entretient de plus près avec Hugo, Lamartine,
Chateaubriand, Delacroix, Sézanne, qu’avec
vous et moi, qu’il considère, évidemment, d’un
peu haut, sans se départir de sa noble cour
toisie, comme des zazous. Il aime ce vocable
pittoresquement injurieux et il ne sépare guère
la littérature d’une certaine cérémonie que
notre époque lui refuse volontiers. La plume
d’acier, il la juge d’invention dégradante ; il
préfère la plume d’oie ; ne songeons même
pas à la machine à écrire et au dictaphone,
ces instruments d’énergumènes et de zazous.
Quel repos et quelle consolation que cet
homme qui mange non dans un restaurant
mais chez le traiteur, que la République n’a
pas décoré de la Légion d’honneur mais de la
Médaille, que j’ai vu savourer solennellement
une poire cultivée par un jardinier dont la
race, de père en fils, depuis Louis XIV, soigne
les espaliers d’une famille de robe qui remonte
plus loin que le Roi-Soleil. Il y savourait le
jus des siècles et il professe que, depuis 1900,
il n’y a plus de fruits en France. Le temps ac
quiert, digéré par lui, sa pleine étoffe et on
échappe, par son truchement, à l’étreinte dé
risoire du contemporain, on se rafraîchit d’éter
nité avant de replonger dans le marécage fié
vreux où crèvent les bulles actuelles de l’ins
tant.
Issu de l’arrière-pays nîmois, de la montagna
cévenole, et protestant dans la moelle, il réu
nit en lui des caractères en apparence opposés,
l’austérité laconique et la période ample, la
vertueuse simplicité huguenote et républicaine,
l’antipapisme biblique et le goût de la pompe,
1 onctuosité du prélat, la gastronomie mijotée
et la frugalité de l’ascète debout chaque ma
tin avant l’aube. Il faut pour le comprendre
avoir vécu entre les Arènes et la tour Magne !
Les Parisiens n’entendront jamais complète
ment sa conversation, son humeur amère, son
imprécation contre le siècle, contre le jazz et
le vers libre de Babylone. Moi, je le pénètre,
parce que, enfant, j’ai fréquenté, au lycée de
Nîmes, les descendants des Camisards et des
gens de la Terreur blanche. Je reconnais le
prophète ; je discerne ses exagérations su
blimes, à la façon d’Isaïe, exagérées encore
par le sang méridional, qui les tempère, à la
même occasion, d’une ironie rentrée, indiscer
nable aux habitants du nord de la Loire.
Quand il prononce, au sujet d’un autre poète,
c’est un illettré et un maquereau, je sais que
cela signifie qu’il ne partage pas strictement
ses opinions prosodiques et qu’il lui reproche
un peu son lancement par les salons et sa
clientèle féminine. Quand il me déclare, j’en
terrerai tous les Goncourt et je n’assisterai
qu’aux funérailles de ceux que j’estime, afin
de ne pas me déranger souvent, je devine qu’il
veut se rassurer sur l’échéance de son trépas
et qu’il a eu quelques légères bisbilles avec
l’un de nous au sujet de l’appréciation d’un
vin ou d’un plat, au dernier déjeuner. Je le
saisis au fond, sans me laisser tromper à la
surface. Le langage d’Isaïe.
Il y a quelques semaines pourtant, il m’a
donné de l’inquiétude. Il me montrait son ap
partement où s’entassent les livres, les toiles,
les bois sculptés, les reliques, où les cloisons
n’offrent pas un pouce de place nue : Je bazar
derai tout cela ; j’en ai assez ; je louerai deux
chambres dans le V° ; je les peindrai au ripo-
lin ; et rien sur les murs. Voilà une bien fâ
cheuse idée. Se désavouerait-il, comme, parfois,
les menacés du Destin, qui repoussent eux-
mêmes le soutien de leur propre vie ? Je
tremble. Mais non, j’ai tort. Un bref accès de
mélancolie, une bouffée sombre et fantasque
et que l’on prend pour un désir, et qui n’a pas
de consistance. Une simple boutade. J’ai chas
sé mon souci. En quoi j’ai bien fait. L’avenir
m’approuve. Ont passé deux, trois mois. Léo
Larguier est-il mort ?
UN RECIT DE
HENRI BOSCO
Le
Domaine
silencieux
Notre coUaborateur Henri Bosco nous
dira la semaine prochaine l’importance
particulière qu’il attache au nouveau ro
man qu’il va donner chez Flammarion,
« Un rameau de la nuit », dans l’atmos
phère duquel nous introduit le récit
qu’on va lire.
AITRE SEIGUE me donna
les clefs et, aimablement,
me proposa ses services.
La maison était, croyait-il,
assez bien entretenue. Une
vieille dame de Grangeon,
hameau voisin, venait l’aé
rer une fois par mois :
Mme Millichel. La maison serait prête à me
recevoir le 5 avril, jour que nous fixâmes
d’un commun accord pour mon entrée en pos
session. J’irais par le train jusqu’à Villebois,
où une carriole m’attendrait, celle du jardi
nier, le père Mus, Aurélien Mus.
— ... Dont vous ferez alors la connaissance.
Il en vaut la peine, me dit M e Seigue. Surtout
si, dès l’abord, vous êtes ménager de vos
paroles. C’est la seule façon de le mettre en
confiance...
*
Il fallut au moins huit heures pour attein
dre la gare de Villebois. Nous avions à fran
chir cent kilomètres à peine ; mais ils se
montrèrent si beaux, si bons, que nous ne
pouvions pas aller trop vite. Ce n’étaient que
coteaux chargés de thym, oliveraies, plants
de vignes vivaces, et, pour les contourner avec
patience, nous tracions, en nous inclinant de
leur côté, de longues et lentes ellipses. Elles
nous permettaient de voir bien à notre - aise
l’état des floraisons, surtout celle des aman
diers, qui, après un si dur hiver, se pomme
laient d’une neige odorante. Enfin, après
après avoir laissé derrière nous ces beaux
creux plantés de jardins, touché ces mame
lons, longé ces bois de pins, franchi en gron
dant la rivière aux oseraies pleines d’oiseaux.
cheminé au milieu de9- terres grasses, sifflé
plusieurs fois de plaisir, atteint d’autres col
lines, déposé des colis dans deux ou trois
gares paisibles, nous découvrîmes la station
de Villebois, et je descendis, désolé que fût
achevée cette promenade si familièrement
champêtre. Il était cinq heures de l’après-
midi.
Sur le quai de la gare, on ne voyait per
sonne. Le grelot-signal, près de la pendule,
sonnait toujours. Je fis quelques pas. L’air
sentait légèrement le charbon et le tourteau
frais. Entre deux platanes, on voyait, à sept
ou huit cents mètres, une haute colline rousse,
taillée en falaise. Au sommet, comme une
couronne, des murs et des cyprès aigus ; plus
bas, de vieilles maisons également rousses.
C’était Villebois. Le soleil colorait les pierres,
et l’air immobile baignait dans cette lumière
vivante que reflétaient deux ou trois vitres
d’or. Pas de bruit, sauf le cliquetis paisible
d’une carriole qu’on ne voyait pas encore,
mais qui s’avançait vers la gare, sans se pres
ser. « Ce sera Mus, Aurélien Mus », pensais-je.
La carriole déboucha d’un chemin creux, s’en
tira avec précaution, aperçut la gare, hésita,
puis se décida à tourner sur l’esplanade, pour
venir se ranger devant la porte des bagages.
Un homme descendit de la carriole, ou
plutôt un jeune homme. Large, carré et lent,
il prit terre avec une sorte de prudence, serra
le frein et regarda la gare. Il me vit. Détour
nant les yeux, il se dirigea vers le quai. Il
n’y trouva que mes bagages. Le cheval sem
blait endormi sur sa gourmette. L’homme
revint et me revit. A mon tour, je feignis de
regarder ailleurs, du côté des champs. Alors
il entra dans la gare, et je l’entendis appeler
quelqu’un, probablement un homme d’équipe.
Une femme sortit ; lui, derrière elle. Une
blonde, dans les trente ans, vêtue de rose et
assez avenante. Elle regarda à son tour, et dit
à haute voix :
— Qui veux-tu que ce soit, Gustin ?
Il retourna sur le quai avec elle. Et je les
vis venir qui portaient mes bagages ; elle
tenait une poignée, lui tenait l’autre.
Resté seul, le nommé Gustin poussa un gros
soupir et se décida à me regarder. Je lui
souris. Ce sourire dut l’étonner, mais aussi
lui plaire, car il parla. Il me dit :
— Nous pouvons partir.
D’abord, on traversa une étendue de champs
et de vergers. On longea ensuite un vieux
cimetière où poussaient des pins énormes, et
on prit une route montante, au pas. Gustin
ne disait pas un mot. Moi, je regardais la
campagne. L’essieu grinçait avec persévérance.
Tout en regardant la campagne, je réfléchis
sais. « Ce n’est pas Mus, Aurélien Mus, pen
sais-je. Certes il est muet autant que Mus.
Mais Mus est vieux. Et d’ailleurs, c’est Gus
tin, si j’ai bien entendu... »
Gustin, de son côté, réfléchissait, peut-être,
car il ne semblait pas guider son gros cheval,
qui, les rênes flottantes sur le dos, allait de
NOUVELLES
LITTERAIRES
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9 B C. Seine 279-768 B
ARTISTIQUES ET SCIENTIFIQUES
Jeudi 9 Novembre 1950 29” année 18 francs
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LAROUSSE - PARIS
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N I Z I U 'jç 13 à 21 , RUE DU MONTPARNASSE (VI e )
Brangues, chez Claudel POÈTE
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ORALE
L me fallait confronter ce
poème et ce paysage. Je
devais venir ici, sur la
terrasse de Brangues,
pour attacher mon ex-
voto à ce rosier. J’avais
hâte d’entrer dans ce
château par la porte-
aptès y être entrée si souvent par la
L s onges. Le droit de regard sur la
| Rhône me fut accordé et l’invita-
L re « la procession infinie des peu-
fers l’étoile du soir me fut faite à
Paul Claudel écrivit mon nom en
jn « bienheureux andante » et me
[ ; Brangues : un coin de France, à
Marthe Bibesco, 3 février 1940.
[sans de cela.
j’arrivai à Brangues, ces dix années
par
la Princesse BIBESCO
Un jour de février 1940, à Paris, Claudel
avait tiré ce poème tout bonnement de sa
poche et m’en avait donné lecture. C était au
retour d’un voyage à Genève, entrepris pour
entendre sa Jeanne au bûcher. L’inspiration
lui était venue, me disait-il, de grand matin,
dans sa chambre d’hôtel, à la fenêtre ouverte
sur cette partie du lac où les eaux glauques
du Rhône traversent le gouffre bleu du
Léman. Descendant par la pensée le cours
du fleuve, le poète s’était mis à chanter la
mélodie intarissable et ce Rhône dans le ciel
qui, par la double chaîne des Alpes et du
Jura, le ramenait jusqu’à sa maison :
». «-.«t m |
Le château de Brangues, aquarelle de Gabriel Perrin {Cliché Harlingue.)
lit plus qu’un seul jour, comme
îles font une rose. Le sang sèche
[ipines ; la fleur que je respire sent
joète m’accueillait sur le seuil de
foison, de ce gros château plein
de petits-enfants, où, tout l’été,
llaudel s’assemble et se ressemble,
l’automne, déjà, et les « veil-
r, allumaient dans les prairies humi-
ItNç.'Màs.cle loin et j’arrivais tard ; les
I étaient conclues ; la bande joyeuse
[égaillée; un seul petit-enfant restait,
elle retardataire, François Claudel, de
\grecque et de père français, blond
da fleur de tilleul, beau comme André
m salon orné par de hautes fenêtres,
: des rayons de son magnifique crê
te entre les feux du soleil couchant
lois et de la première flambée dans
pt sa femme à ses côtés et son
les genoux, Paul Claudel se
ivec moi du temps où il m’avait
Peau royal et je lui racontai ce qui
Brangues ! C’est sans doute cette syllabe de
bronze, monnayée trois fois le jour par l’Angle-
lus, à laquelle mon oreille, à travers ce présent
qui est déjà l’avenir, était préparée, pour
qu’après cette longue enquête poursuivie par
toute la terre j’y associe le repos de mes der
nières années.
Sur huit pages d’un banal papier à lettres
d’hôtel, le poète avait tracé au crayon, de
premier jet, sans presque se reprendre —
ne se repentant que très peu — ce poème
lyrique où vivaient ce ciel, ce fleuve, cette
vallée, cette France ! De sa superbe écri
ture, qui frise comme la vague en touchant
le récif, de cette ronde française (la main
de nos vieux cahiers d’écriture, héritée de
Descartes), Claudel avait dessiné pour tou
jours ce paysage. Les huit feuillets étaient à
moi, il m’en avait fait le don magnanime ;
j’allais les lire et les relire.
Mon premier soin fut de les faire relier.
Je courus chez le meilleur relieur de Paris,
Gruel saurait donner protection à ces feuilles
d’un papier périssable ; il assurerait leur sur
vie matérielle ; il les monterait en onglet,
sur papier de Chine ; il leur donnerait une
(1) Jean Olanesco.
larghanila Laski
à Paris
Ç
jéU. N
r mvv \
il
\ ‘il
V
i/
t Dessin de Roger Wild.)
■ eur français connaît la romancière de
les Nouveaux Pauvres, de James ou
^ Gâteau ( 1), mais il ignore peut-être
"orghanita Laski est un des meil-
L;’ Jes littéraires de Grande-Bretagne et
, Claire du feuilleton de i'Observer.
1 de la rive gauche où je la
^ e l e me parle dé la jeune littérature
h •
1 ; chez nous une scission entre la
^ es intellectuels et ce que nous
* jg U j ro ®an populaire. Graham Greene
\ jj a satisfaire les deux groupes, et
ç( IVlSe lui-même son œuvre en enter-
m >°vels (divertissements et romans).
‘ jj ’ jrjr tie, la responsabilité de cette
îri e , a 1° critique, qui s'adresse à
! ;üj ^ esf be(es, néglige délibérément
!« cre u f eUf intéresser la masse des lec-
f 5uj 0u e ,, p ^ us profond encore l'abîme qui
r ç sf [. ^ Ul l'écrivain du public. Ce phé-
! Uo nd en notre temps car, autrefois,
1 GqIs^t Dickens, Thackeray, Mere-
iby,
° nf ^ es tendances qénérales de la
.j'jijs sous toutes ses formes. Pre-
'k|roj J 1 °° n ' P ar exemple : ce conteur
n'é Crif ans ' bibliothécaire au British
; ' < f Ue bes récits sombres, ses
si nt des êtres horribles, tarés ; il
m-,; 5056 sans rémission. Les esthètes
I'^'rke)^ f0US ^ es autres préfèrent une
lSln >isme
Une p ' J !* s [ ne de Kipling, par paren-
,, ) f 0 nrj s fj’nné du Maurier, qui connais-
f c'y*' Vo Y ez ~ vous - aujourd'hui.
j ^ n drillon serait inconcevable :
6 ^°nbeu r' n ^ oit s ’ arr cmger dans un
impossible, et ce parti pria
engendre le pire des snobismes. Sarrte y est
peut-être pour quelque chose, son influence est
grande chez nous. Il suffit de voir les étudiants
d'Oxford t à l'élégance, à la préciosité de jadis
a succédé une négligence voulue dans la tenue
comme dans le langage. La fortune est désor
mais un vice rédhibitoire, la joie de vivre une
difformité honteuse. Quant à la jeunesse des
classes moyennes, elle est tournée vers l'Amé
rique : les westerns triomphent, et tout jeune
paysan rêve de frigidaire. La qualité, en tout,
cède le pas au clinquant qui donne du prestige.
Une chose encore qui étonnera les Français :
la B.B.C. diffuse un « Troisième programme »
uniquement destiné aux esthètes dont je viens
de parler, et jamais un Anglais moyen n'écoute
une de ces émissions volontairement hermé
tiques, destinées aux seuls élus. Or un art véri
table doit être accessible à tous.
— Faut-il en déduire que, dans vos critiques,
vous cherchiez à combler cet abîme entre les
auteurs et les lecteurs ?
-—- Assurément. Un livre peut être bon pour
des raisons diverses et parfois contradictoires.
■— Le public anglais s'intéresse-t-il à la litté
rature française contemporaine ?
— Oui, mais je crains que les livres choisis
par nos éditeurs ne traduisent pas toujours le
vrai esprit de vos lettres contemporaines.
— Avez-vous un nouveau roman en chantier ?
— Après Un petit garçon perdu (1), qui vient
de paraître en français, je termine actuellement
People of our class, où je décris les classes
moyennes dans la banlieue de Londres. J'y ai
longtemps vécu, dans une vieille maison du
XI1F siècle.
—- Une maison hantée ?
Avec le plus grand sérieux, Marghanita
Laski me répond :
— Bien sûr ! le fantôme d’Adrien IV, unique
pape anglais, y vit encore. Un fantôme stupide
d'ailleurs. Nous avions beau l'inviter dans la
pièce où nous nous tenions, il s'arrangeait pour
nous fuir, avec un bruit ridicule. Cette maison
possède un passage secret qui conduisait jadis à
une abbaye proche. D'ailleurs, la maison que
j'habite maintenant à Londres a également un
passage secret. C'est l'ancienne demeure de
Sarah Siddons, que Gainsborough a immorta
lisée dans un portrait célèbre. Au XVUT siècle,
ce quartier était encore hors la ville, et Dick
Turpin s'est servi du passage pour la contre
bande qu'il ramenait de France.
— Et cette maison est hantée, elle aussi ?
Ah. ! non, et c'est tant mieux : le fantôme
de Sarah Siddons eût été trop snob pour nos
goûts.
Marghanita Laski éclate de rire. Je la quitte
avec un peu d'envie au fond du cœur : parler
de fantômes avec cette gravité, n'est-ce pas
reconnaître la toute-puissance de la poésie ?
______ Véra VOLMANE.
(1) Plon,
robe pourprée, du maroquin le plus fin, le
plus rouge, avec une doublure de taffetas
d’un rouge plus clair, à filets d’or. Ce tra
vail d’artiste dura plusieurs mois. La réussite
fut admirable ; je relus le poème mis à l’abri
des injures du temps, du moins je le croyais.
C’est alors qu’en tournant les pages je
m’aperçus d’un détail que je n’avais pas
remarqué dans le feu de la première lec
ture : chaque feuille portait l’en-tête de
1 hôtel des Bergues et le nom de Genève.
C’est cela qui allait amener la catastrophe et
me faire perdre le manuscrit au jour prochain
de la tribulation.
Paris, mai 1940, le mois de la grande
douleur, le mois de Marie. Paul Claudel
était venu me dire adieu ; je devais partir.
Je venais d’apprendre, ce même jour, la mort
de mon neveu, le fils de ma sœur aînée, tué
à 1 ennemi dans la trouée de Sedan. Roumain
né à Paris, il avait opté pour la France, à
vingt ans. Lieutenant d’infanterie dans 1 ar
mée française, Jean (1) était l’unique petit-fils
de mon père.
Par lui s’achevait le cycle d’une famil.le
qui avait choisi la France pour dame maîtresse
et croyait lui devoir le sacrifice du sang. A la
fenêtre ouverte sur Paris, Paul Claudel et
moi regardions en silence la ville menacée.
Au moment des adieux, je lui montrai son
poème, revêtu de sa belle robe rouge, fraîche
comme une rose ; j allais l’emporter. Il
feuilleta le manuscrit, puis s’assit devant ma
table et se mit à l’ouvrage. Il recopiait à
l’encre Un coin de France sur les pages
blanches ajoutées à celles qui portaient l’ori
ginal ; il parachevait le don. J’aurais ainsi
les deux états du paysage de Brangues : le
brouillon tracé dans la brume du matin et la
version glorieuse du soir.
J’emportai là-bas, hors de France, si loin
et pourtant si près, puisque c’était alors mon
pays et ma maison, ce poème qui allait deve
nir, à la suite de circonstances inouïes,
d’abord l’objet d’un vol à main armée, puis
d’une restitution par les armes et, finalement,
l’incantation efficace destinée à rendre la
vallée du Rhône présente, pendant quatre
ans, aux exilés de France que nous étions
devenus tous, ma famille, mes amis et moi-
même.
Le 23 novembre 1940, date à jamais mé
morable dans ma vie — car j’ai rompu alors,
en pleine lucidité, un pacte dont nous fûmes
pendant trop longtemps les victimes volon
taires — la violation de domicile eut lieu.
LA SUITE A LA SIXIEME PAGE
P. de Boisdeffre
lauréat de la Critique
Le feu d’un projecteur fit pâlir les dis
crètes ampoules enjuponnées de cretonne
rustique, un micro dressa sa luisante petite
tête noire comme celle d’un serpent, une
caméra se mit à ronronner doucement et,
sous les poutres vernissées de cette salle
d’auberge très parisienne, à l’enseigne d’Anne
de Beaujeu, Yves Gandon proclama qu’en ce
6 novembre 1950, le prix de la Critique
avait été décerné, au sixième tour, à M.
Pierre de Boisdeffre, pour son ouvrage :
Métamorphose de la littérature, de Barrés à
Malraux...
— ..-Par sept voix contre cinq à M. R.-M.
Albérès, auteur de l’Aventure intellectuelle
du XX ' Siècle.
Aux premiers tours de scrutin, Georges
Poulet, Charles Briand et Roger Stéphane
avaient obtenu des voix.
Témoignant de la lutte qui avait été
chaude, d’innombrables petits bulletins de
vote traînaient sur la nappe, comme autant
de papillons abattus par une tempête, parmi
les cendriers et les verres à moitié vides.
En sa qualité de président du jury, Robert
Kemp expliqua que si le prix de la Critique
était allé, cette année, à un benjamin de la
littérature, c’était en raison des promesses
très brillantes de son ouvragé^.
Les douze jurés, que le combat avait affa
més, se mirent à table cependant qu’on allait
quérir l’heureux lauréat. Il apparut au mo
ment du café. Je m’attendais à le voir en
uniforme, puisqu’il est actuellement soldat
au ministère de l’Air, dans le service du co
lonel Jules Roy. Mais non : il se présenta en
civil, fort à l’aise dans sa jeune renommée
et ses vingt-quatre ans.
C’est à Barrés qu’il doit d’avoir écrit.
— Celui du Culte du moi, précise-t-il,
aussi étonnant que cela puisse paraître au
jourd’hui. La raison en est peut-être celle-ci :
quand j’étais jeune, je ne disposais que de
la bibliothèque de mes grands-parents, qui
s’arrêtait à 1880.
Les projets ne lui manquent pas : d’abord
achever le second volume de Métamorphose,
qui le mènera de Proust à Sartre, en passant
par Aragon, Paulhan, Anouilh et Camus.
— Et puis ?
— Faire un voyage dans le Proche-Orient.
Dès que je serai libéré, j’y partirai. Je ne
vois pas de meilleure façon d’employer les
six mois de vacances que je veux m’accorder
alors.
André Bourin.
(Dessin de Miller et)
EO LARGUIER reçoit les
visiteurs...
Dès ce début, je m’in*
terromps pour une re*
marque, je parle au pré
sent. Ceux que j’aime
vivent toujours ; je les
vois, je les entends et je
les touche, plus îéels
que la réalité. Je ne leur accorde de mourir
qu’avec moi. Je n’emploie pas lo passé quand
je les évoque ; je le considérerais comme un
assassinat et, bien pis, comme une indélica
tesse. Ceci dit, je continue.
Léo Larguier reçoit les visiteurs à son
5 e étage de la rue Saint-Benoît, là où s’arrête
le tapis. Son logis ne possède ni l’électricité ni
le téléphone. Une lampe à pétrole l’éclaire, un
poêle y ronronne. Les livres, anciens et nou
veaux, les estampes, les tableaux, les bois
sculptés, les faïences, les croquetons (c’est un
{Photo Agip.)
Au cours du dernier déjeuner Goncourt
auquel il assista, Léo Larguier était assis
à côté de Colette
mot qu’il affectionne) l’encombrent, et tout ce
que cet amateur, ce fourrageur de boutiques,
de bric-à-brac et de boîtes des quais a guetté,
levé, ramené chez lui. Il y a sur la table des
reliquçs : la pipe de Flaubert, l’encrier de
Balzac, le pot à tabac de Théophile Gautier.
Excusez-moî si ma mémoire embrouille et
trahit ; mais ne doutez pas de l’authenticité
des objets sacrés ; vous encourriez lès foudres
de votre hôte'; et elles sont terribles ; il vaut
mieux ne pas s’exposer imprudemment. Non,
ne l’irritez pas. Un peu d’hypocrisie, de véné
ration, au contraire, vous attirera sa sympathie
et vous jouirez, plaisir d’une qualité rare, pour
peu que vous ayez l’âme fine, de sa bonhomie
grandiose, de sa somptuosité affable ; voilà
vraiment les termes qui conviennent à son ac
cueil. Rien d’étriqué en lui. Haute carrure,
gabarit puissant (hélas ! il a beaucoup maigri
depuis quelques mois), large masque, crinière
grise que l’âge n’a pas clairsemée, voix aux
résonances méridionales que cinquante années
de Paris ont voilées à peine. Assis dans un
fauteuil, vêtu d’une ample robe de chambre,
il trône naturellement au centre de sa demeure
sombre, habitée d’un entassement de dépouilles
et des fruits de ses chasses aux éventaires des
antiquaires, des brocanteurs, des marchands de
Ï0 PAGES
A la cinquième page :
DEUX CONTES DE NOVEMBRE
recueillis par Henri Pourrat
UN POEME DE LEO LARGUIER
A la sixième page :
A la recherche de D. H. LAWRENCE
par Paul Trédant
A la septième page :
UN PAUVRE DE DIEU
récit d'Odette du Puigaudeau
quatre français au thibet
par André Bourin
A la neuvième page :
LES NOUVELLES ARTISTIQUES
Marcel Brion, Fred Bérence
Gisèle d'Assailly, Maximilien Gauthier
A la dixième page :
BERNARD SHAW
par René Lalou
la Foire aux Puces. Un antre en vérité, à l’at
mosphère d’une densité prodigieuse, et dont le
maître a quelque chose, outre son prénom, de
léonin.
Léo Larguier, Languedocien, débarque de ses
Cévennes natales à Paris, au début du siècle.
Il n’en bougera plus, sauf, pendant l’occupa
tion, un séjour à Avignon, ville pontificale. Il
n’existe pas d’émigré mieux fixé, plus indéra
cinable. Et, dans Paris, il élit domicile perpé
tuel sur la rive gauche, au cœur du V e et du
VI e arrondissement. Il ne voyagera que de
l’Institut au Panthéon, en passant par l’atelier
de Delacroix et le Vachette, au temps de Mo
réas. Je l’ai connu jadis rue du Pot-de-Fer, je
crois, et plus tard rue Saint-Benoît, à Saint-
Germain-des-Prés, où il exerce une souverai
neté débonnaire et s’est incrusté au paysage
urbain avec son large chapeau, sa grosse canne,
la majesté quotidienne de ses habitudes. Il ar
rive à Paris, dis-je, et, boulevard Saint-Michel,
magnifiquement semblable à lui-même, il fait
vœu de poésie, et de poésie traditionnelle et
transcendante, insensible à la mode, aux que
relles de la technique, aux facilités tentantes
de l’innovation. Continuateur des romantiques,
puissamment) ancré, irréfutable, possédé d’une
foi que n’entamera jamais nulle hérésie, il
^ ‘vvvuUjisaA- -
Les critiques reçoivent leur lauréat : de gauche à droite, au premier plan
Yves Gandon, Gabriel Brunet, P. de Boisdeffre, Robert Kemp, P. Labracherie
Au second plan : Marcel Thiébaut, Roger Giron, F. de Roux, Fernand Gregh
j par 1
ALEXANDRE ARNOIJX
de VAcadémie Goncourt
poursuit sa voie droitement et construit le mo
nument dont le destin lui a assigné d’être l’ar
chitecte, de la Maison du poète à ses Quatrains
d’automne, un millier environ ; cela fait un
nombre exact, je l’ai oublié, doué d’une vertu
occulte et d’un symbolisme magique. Nous
n’en avons lu encore que quelques-uns, publiés
çà et là, fragments épars. Un trésor au métier
souple, fort et dépouillé, mûri jusqu’à sa per
fection, religieusement décanté, un ensemble
vigoureusement détaché et lié où se traduisent,
avec une gravité familière, les enchantements
d’une sagesse désenchantée.
Léo Larguier, aventure peu commune, a
marché à la rencontre de sa légende ; il y est
entré de plain-pied. Quoiqu’il possède beau
coup plus de légitime orgueil que de vanité
superficielle, il a beaucoup contribué à la créer
et je l’estime vivace ; la mort lui donnera le
dernier poli et le coup de pouce définitif. 11
ne déplaît sans doute pas à ce grand burineur
d’images et de portraits baignés du faste des
temps révolus et des ors éteints de l’histoire
de devenir, lui aussi, un portrait et une image.
On ne peint bien que ceux à qui on ressemble
ou dont la ressemblance vous séduit. Et comme
il a profondément gravé les pessimistes récon
fortants, les caustiques cruellement joviaux, les
solitaires et bourrus de génie, les misanthropes
sentimentaux et amers, nourris d’un inépui
sable fonds de tendresse déçue, les fantômes
d’un renoncement un peu spectaculaire aux
vanités du monde et d’un détachement pas
sionné aux vaines passions ! Ces frères aînés,
il les rejoint chaque jour ; il respire en leur
compagnie. Pour lui, la présence du passé ne
cesse pas ; elle englobe l’actuel et l’efface. Il
s’entretient de plus près avec Hugo, Lamartine,
Chateaubriand, Delacroix, Sézanne, qu’avec
vous et moi, qu’il considère, évidemment, d’un
peu haut, sans se départir de sa noble cour
toisie, comme des zazous. Il aime ce vocable
pittoresquement injurieux et il ne sépare guère
la littérature d’une certaine cérémonie que
notre époque lui refuse volontiers. La plume
d’acier, il la juge d’invention dégradante ; il
préfère la plume d’oie ; ne songeons même
pas à la machine à écrire et au dictaphone,
ces instruments d’énergumènes et de zazous.
Quel repos et quelle consolation que cet
homme qui mange non dans un restaurant
mais chez le traiteur, que la République n’a
pas décoré de la Légion d’honneur mais de la
Médaille, que j’ai vu savourer solennellement
une poire cultivée par un jardinier dont la
race, de père en fils, depuis Louis XIV, soigne
les espaliers d’une famille de robe qui remonte
plus loin que le Roi-Soleil. Il y savourait le
jus des siècles et il professe que, depuis 1900,
il n’y a plus de fruits en France. Le temps ac
quiert, digéré par lui, sa pleine étoffe et on
échappe, par son truchement, à l’étreinte dé
risoire du contemporain, on se rafraîchit d’éter
nité avant de replonger dans le marécage fié
vreux où crèvent les bulles actuelles de l’ins
tant.
Issu de l’arrière-pays nîmois, de la montagna
cévenole, et protestant dans la moelle, il réu
nit en lui des caractères en apparence opposés,
l’austérité laconique et la période ample, la
vertueuse simplicité huguenote et républicaine,
l’antipapisme biblique et le goût de la pompe,
1 onctuosité du prélat, la gastronomie mijotée
et la frugalité de l’ascète debout chaque ma
tin avant l’aube. Il faut pour le comprendre
avoir vécu entre les Arènes et la tour Magne !
Les Parisiens n’entendront jamais complète
ment sa conversation, son humeur amère, son
imprécation contre le siècle, contre le jazz et
le vers libre de Babylone. Moi, je le pénètre,
parce que, enfant, j’ai fréquenté, au lycée de
Nîmes, les descendants des Camisards et des
gens de la Terreur blanche. Je reconnais le
prophète ; je discerne ses exagérations su
blimes, à la façon d’Isaïe, exagérées encore
par le sang méridional, qui les tempère, à la
même occasion, d’une ironie rentrée, indiscer
nable aux habitants du nord de la Loire.
Quand il prononce, au sujet d’un autre poète,
c’est un illettré et un maquereau, je sais que
cela signifie qu’il ne partage pas strictement
ses opinions prosodiques et qu’il lui reproche
un peu son lancement par les salons et sa
clientèle féminine. Quand il me déclare, j’en
terrerai tous les Goncourt et je n’assisterai
qu’aux funérailles de ceux que j’estime, afin
de ne pas me déranger souvent, je devine qu’il
veut se rassurer sur l’échéance de son trépas
et qu’il a eu quelques légères bisbilles avec
l’un de nous au sujet de l’appréciation d’un
vin ou d’un plat, au dernier déjeuner. Je le
saisis au fond, sans me laisser tromper à la
surface. Le langage d’Isaïe.
Il y a quelques semaines pourtant, il m’a
donné de l’inquiétude. Il me montrait son ap
partement où s’entassent les livres, les toiles,
les bois sculptés, les reliques, où les cloisons
n’offrent pas un pouce de place nue : Je bazar
derai tout cela ; j’en ai assez ; je louerai deux
chambres dans le V° ; je les peindrai au ripo-
lin ; et rien sur les murs. Voilà une bien fâ
cheuse idée. Se désavouerait-il, comme, parfois,
les menacés du Destin, qui repoussent eux-
mêmes le soutien de leur propre vie ? Je
tremble. Mais non, j’ai tort. Un bref accès de
mélancolie, une bouffée sombre et fantasque
et que l’on prend pour un désir, et qui n’a pas
de consistance. Une simple boutade. J’ai chas
sé mon souci. En quoi j’ai bien fait. L’avenir
m’approuve. Ont passé deux, trois mois. Léo
Larguier est-il mort ?
UN RECIT DE
HENRI BOSCO
Le
Domaine
silencieux
Notre coUaborateur Henri Bosco nous
dira la semaine prochaine l’importance
particulière qu’il attache au nouveau ro
man qu’il va donner chez Flammarion,
« Un rameau de la nuit », dans l’atmos
phère duquel nous introduit le récit
qu’on va lire.
AITRE SEIGUE me donna
les clefs et, aimablement,
me proposa ses services.
La maison était, croyait-il,
assez bien entretenue. Une
vieille dame de Grangeon,
hameau voisin, venait l’aé
rer une fois par mois :
Mme Millichel. La maison serait prête à me
recevoir le 5 avril, jour que nous fixâmes
d’un commun accord pour mon entrée en pos
session. J’irais par le train jusqu’à Villebois,
où une carriole m’attendrait, celle du jardi
nier, le père Mus, Aurélien Mus.
— ... Dont vous ferez alors la connaissance.
Il en vaut la peine, me dit M e Seigue. Surtout
si, dès l’abord, vous êtes ménager de vos
paroles. C’est la seule façon de le mettre en
confiance...
*
Il fallut au moins huit heures pour attein
dre la gare de Villebois. Nous avions à fran
chir cent kilomètres à peine ; mais ils se
montrèrent si beaux, si bons, que nous ne
pouvions pas aller trop vite. Ce n’étaient que
coteaux chargés de thym, oliveraies, plants
de vignes vivaces, et, pour les contourner avec
patience, nous tracions, en nous inclinant de
leur côté, de longues et lentes ellipses. Elles
nous permettaient de voir bien à notre - aise
l’état des floraisons, surtout celle des aman
diers, qui, après un si dur hiver, se pomme
laient d’une neige odorante. Enfin, après
après avoir laissé derrière nous ces beaux
creux plantés de jardins, touché ces mame
lons, longé ces bois de pins, franchi en gron
dant la rivière aux oseraies pleines d’oiseaux.
cheminé au milieu de9- terres grasses, sifflé
plusieurs fois de plaisir, atteint d’autres col
lines, déposé des colis dans deux ou trois
gares paisibles, nous découvrîmes la station
de Villebois, et je descendis, désolé que fût
achevée cette promenade si familièrement
champêtre. Il était cinq heures de l’après-
midi.
Sur le quai de la gare, on ne voyait per
sonne. Le grelot-signal, près de la pendule,
sonnait toujours. Je fis quelques pas. L’air
sentait légèrement le charbon et le tourteau
frais. Entre deux platanes, on voyait, à sept
ou huit cents mètres, une haute colline rousse,
taillée en falaise. Au sommet, comme une
couronne, des murs et des cyprès aigus ; plus
bas, de vieilles maisons également rousses.
C’était Villebois. Le soleil colorait les pierres,
et l’air immobile baignait dans cette lumière
vivante que reflétaient deux ou trois vitres
d’or. Pas de bruit, sauf le cliquetis paisible
d’une carriole qu’on ne voyait pas encore,
mais qui s’avançait vers la gare, sans se pres
ser. « Ce sera Mus, Aurélien Mus », pensais-je.
La carriole déboucha d’un chemin creux, s’en
tira avec précaution, aperçut la gare, hésita,
puis se décida à tourner sur l’esplanade, pour
venir se ranger devant la porte des bagages.
Un homme descendit de la carriole, ou
plutôt un jeune homme. Large, carré et lent,
il prit terre avec une sorte de prudence, serra
le frein et regarda la gare. Il me vit. Détour
nant les yeux, il se dirigea vers le quai. Il
n’y trouva que mes bagages. Le cheval sem
blait endormi sur sa gourmette. L’homme
revint et me revit. A mon tour, je feignis de
regarder ailleurs, du côté des champs. Alors
il entra dans la gare, et je l’entendis appeler
quelqu’un, probablement un homme d’équipe.
Une femme sortit ; lui, derrière elle. Une
blonde, dans les trente ans, vêtue de rose et
assez avenante. Elle regarda à son tour, et dit
à haute voix :
— Qui veux-tu que ce soit, Gustin ?
Il retourna sur le quai avec elle. Et je les
vis venir qui portaient mes bagages ; elle
tenait une poignée, lui tenait l’autre.
Resté seul, le nommé Gustin poussa un gros
soupir et se décida à me regarder. Je lui
souris. Ce sourire dut l’étonner, mais aussi
lui plaire, car il parla. Il me dit :
— Nous pouvons partir.
D’abord, on traversa une étendue de champs
et de vergers. On longea ensuite un vieux
cimetière où poussaient des pins énormes, et
on prit une route montante, au pas. Gustin
ne disait pas un mot. Moi, je regardais la
campagne. L’essieu grinçait avec persévérance.
Tout en regardant la campagne, je réfléchis
sais. « Ce n’est pas Mus, Aurélien Mus, pen
sais-je. Certes il est muet autant que Mus.
Mais Mus est vieux. Et d’ailleurs, c’est Gus
tin, si j’ai bien entendu... »
Gustin, de son côté, réfléchissait, peut-être,
car il ne semblait pas guider son gros cheval,
qui, les rênes flottantes sur le dos, allait de
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