Titre : La Presse
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1945-11-13
Contributeur : Girardin, Émile de (1806-1881). Directeur de publication
Contributeur : Laguerre, Georges (1858-1912). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34448033b
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 novembre 1945 13 novembre 1945
Description : 1945/11/13 (A109,N5). 1945/11/13 (A109,N5).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t5117543d
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/11/2021
Tous les mardis
La Presse
Fondateur : Emile de Girardin -1836
8 francs
Nouvelle série No 5. ülililllllllllMliül!IIIIOI»llllllli IIIMIIIIIIIIIIIMIIDIIIDIII Administration-Rédaction : 142, rue Montmartre, Paris (2*) ■UUMlliiiuiiiüllillillMlllMMlIlIllllll^^ MARDI 13 NOVEMBRE 1945
SOUVERAINSSANS ROYAUME
Grandeur et décadence
de LÉOPOLD III
L f ancien roi des Belges,
adulé hier par tout
son peuple, partage
aujourd'hui, sur les
bords du Léman, le
vie des exilés. ,
1 . L y avait une fois un roi qui s’appelait Léopold et son
père qui s’appelait Albert, surnommé le Roi Chevalier.
Une des figures les plus nobles des temps modernes.
Vénéré dans le monde entier. Un nom synonyme de droi
ture et de loyauté. Un homme simple et bon. Il suffisait
que son visage parût sur les écrans pour provoquer les
applaudissements. Tous ceux qui ont des souvenirs de la
guerre de 14 se rappellent ces photos et ces dessins de
l’« Illustration » montrant le roi-soldat dans les tranchées
d’Ypres et de l’Yser. Albert, c’est la Belgique, grandie par
cette figure inséparable de cette autre : le cardinal Mercier.
Et quand, quelques années plus tard, Foch mourra, quel
Français ne sera pas touché par le geste d’Albert venant
de Bruxelles s’incîiner sur la dépouille du généralissime ?
La paix revenue, il semblait qu’Albert eût bien mérité
de vieillir dans le respect et l’affection de son peuple. Mais
(un destin mauvais en décida autrement. Et ce fut la pre
mière manifestation du malheur qui, depuis lors, poursuit
la dynastie.
Un jour on apprend avec stupeur qu’Albert s’est tué
accidentellement dans les Ardennes.
La Belgique pleure ; le monde entier s’afflige ; le glas
sonne à Sainte-Gudule.
Puis l’on tourne la page : Léopold succède à son père
Après ce deuil, quelques années de répit pour la Bel
gique. Aux scènes inoubliables des funérailles d’Albert
s’oppose dans une allégresse unanime, dont les écrans de
tous les pays donnent l’image, le mariage de Léopold et
d’Astrid.
Avec le couple royal, on ouvre un beau roman d’amour
dans la pure tradition des légendes dorées-où la jolie prin
cesse venue des pays nordiques, ainsi qu’il est dit dans les
contes, est belle comme le jour.
De beaux enfants assurent la succession dynastique ;
le jeune souverain paraît intelligent ; la popularité du père
rejaillit sur le fils ; il n’a qu’à marcher dans la voie qui
COMMENT
LA GUARDIA
A PERDU
LA MAIRIE
DE NEW-YORK
La Vérité
lui a été tracée pour s’assurer
un règne heureux.
Il règne sur un pays socia
liste et frondeur où les têtes
sont chaudes mais les cœurs
aimants. Le Belge est volon
tiers d’opinion avancée. Mais
le Roi est le Roi. Le pays tient
à sa dynastie. On est socialiste
et monarchiste. Conjonction
qui paraîtrait difficilement
concevable en France et qui
apparente la petite Belgique
au vénérable Empire Britan
nique où la monarchie, cette
chère vieille chose, demeure
incontestable et incontestée.
Et c’est ce sentiment qui pa-
laissait indéracinable ।
nous sommes peut-être
train de voir mourir.
que
en
La reine morte
Satan guette sa proie ;
il
s’embusque au détour d’une
route et fait un geste. Une
auto roulant à vive allure
s’écrase contre un arbre. Les
paysans accourus aperçoivent
une morte et sur son cadavre
un homme éploré.
Le roi vient de tuer la reine.
Après l’accident de monta
gne, l’accident d’auto : c’est le
deuxième fait-divers tragique
dans l’histoire de la famille
royale.
A l’entrée des métros, on
s’arrache les dernières édi
tions.
Et quelques jours plus tard,
dans ce même décor bruxel
lois, dans cette même basilique
qui a vu les funérailles d’Al-
bert et les fastes du mariage
royal, un spectacle navrant se
déroule : la Belgique en lar
mes conduit la reine au tom
beau.
DISPARU
( ROS émoi au Palais-
" Bourbon, vers la fin de
la journée de jeudi
dernier.
Un journaliste entre en
coup de vent dans la salle
des Pas-Perdus :
— Il a disparu! crie-t-il.
Tout le monde comprend.
« IL », c’est LUI : Charles
le Grand. On sait que, tout
l’après-midi, plusieurs dé
légués des Trois Grands ont
couru à sa recherche.
Ils ne l’ont pas trouvé.
L’aurait-on kidnappé ?
Coups de téléphone : de
temps à autre, une piste :
il a passé par ici... il repas
sera par là...
Mais IL demeure insaisis
sable.
Tout simplement, il s’est
mis au repos, sans doute
dans une villa préparée en
grand mystère, en .atten
dant que s’engage le grand
jeu.
Pour lequel il est paré,
assurent ses fidèles.
Car il en a encore. Et
beaucoup !
Léopold III, en 1939,
au temps de sa splendeur
IORELLO LA GUARDIA
quitte la mairie de New-York.
Il y était entré en 1933. New-
York était alors administrée par un
maire démocrate, tout à la dévo
tion de la fameuse officine électo
rale de Tammany-Hall, le plus
beau repaire de gangsters des U.SA.
Fiorello La nardia fit campa
gne pour la pi é, l’indépendance
des pouvoirs p s et la fin des
« racketts » qui régnaient alors en
maîtres à New-York. Mais ce beau
programme n’aurait pas seul assuré
son élection...
Les démocrates étaient jusqu’a
lors élus à la mairie de New-York
par la conjonction des électeurs de
leur parti et des membres de
l’ « American Labour Party », sorte
de parti travailliste à tendance so
ciale avancée qui pouvait se situer
à gauche des démocrates.
Mais ce parti travailliste arrivait
en troisième position et ne consti
tuait qu’un parti d’appoint en
assurant l’élection du démocrate.
Le républicain La Guardia eut
l’idée politique originale de sollici
ter les voix du parti travailliste en
tenant le raisonnement suivant :
« Assurez mon élection. Vous au
rez ainsi écarté le concurrent le
plus dangereux c’est-à-dire le démo
crate. Vous serez à mes côtés
dans l'administration de la ville.
Votre parti pourra grandir. Il ne
sera plus en tutelle. Et vous pour
rez un jour courir votre chance ».
La combinaison réussit. La Guar
dia fut élu. Son sens de la bonne
administration et aussi sa simplicité
lui assurèrent une popularité qui en
fait aujourd'hui, dans le monde,
une grande vedette politique.
On a supplié La Guardia de po
ser encore sa candidature, mais c’est
un fin politique. Il sentait que le
terrain se dérobait sous ses pas.
Il déteste les échecs.
O’Dwyr est élu mai e de New-
York comme champion des démo
crates, avec l’appui du Labour Par
ty et de la C.G.T. de New-York.
Juste retour des choses I
I L y a une heure de panier
à salade depuis le paysage
1900 de Fresnes, ses pavil
lons d’un joli rose vif tout vi
trages et baies, ses arbres, ses
pelouses, jusqu’au mur de dix
mètres de haut, gris, abrupt,
ceinturant les bâtiments aveu
gles de Poissy. Soixante minu
tes qui représentent un siècle
parcouru à rebours : c’est en
1819 que le dépôt de mendicité
de Poissy est devenu « Maison
de Force et de Correction ».
Depuis, hormis l’installation
de l’éclairage électrique, rien
n’y a changé. Pas même le rè
glement, qui date du décret du
10 juin 1810 par lequel Napo
léon a institué les « Centra
les » et dont les éditions suc
cessives n’ont, en fait, jamais
adouci que les archaïsmes de
style.
Bien ratissée, plantée de til
leuls et fleurie de dahlias, la
cour d’entrée offrirait le char
me innocent et tranquille d’un
jardin de couvent si, comme
dit Victor Hugo, cité par Hen
ri Béraud — lequel fit, après
l’autre guerre, un reportage
fameux sur les principales pri
sons de France... sauf Poissy
— « tout, en prison, même les
jardins, n’entraînait une dimi
nution de respiration et de
clarté ».
Le panier à salade ne s’y ar
rête pas. Il gagne directement
le quartier spécial des arri
vants pour stopper à l’entrée
d’un étroit réduit à ciel ouvert,
une espèce de cheminée de
pierre.
Les condamnés descendent et
s’alignent au garde-à-vous.
Alors, un surveillant gradé fait
un speech, merveille de conci
sion et de clarté. Les surveil
lants sont ici pour surveiller.
Les détenus pour obéir. On
peut compter sur les surveil
lants pour surveiller. Il est
tout simple aux détenus d’o
béir s’ils ne perdent jamais de
vue les deux grands principes
régissant la maison : silence
de jour et de nuit et obéissance
absolue au règlement. Là-des
sus, chacun passe dans une cel
lule spéciale absolument nue
où, solitaire et au régime du
demi jeûne, il a 96 heures pour
bien s’assimiler le discours.
5′7 D0160%
mMinbmi si “ ® 4 e y
ASoeibriT
En carmagnole, le crâne tondu, chaussés de
sabots, toutes catégories mêlées, 1.200
condamnés politiques observent une règle
de
fer qui
date de Napoléon
L’entrée de la Maison Centrale de Poissy
Le panier à salade avait dé
versé, en vrac, un échantillon
nage complet des différentes
catégories de condamnés : for
çats, réclusionnaires, « petites
peines », militaires de tous gra
des, fonctionnaires, profiteurs
richissimes, petites gens,
voyous, traîtres authentiques,
dénonciateurs, égarés de bon
ne foi, délinquants d’opinion.
On les distinguait du premier
coup d’œil, malgré l’uniforme:
carmagnole de droguet revê
tue au départ de Fresnes. Au
sortir de la retraite, c’est fini.
veil surprend l’homme tout
habillé à cause de l’état des
draps, restés inchangés depuis
le mois d’avril. Il répond à
l’appel et fait son
y a
Derrière le char funèbre, un
homme seul — le roi.
Un homme qui porte nue
devant son peuple sa douleur.
Il s’avance et fait le silence
sur son passage.
Il est aimé, il est grand.
Son destin, ce jour-là, at
teint son sommet.
Mais, dès lors, il semble
qu’une bonne fée soit morte
avec la reine. La courbe royale
va rédescendre.
Seul dans son palais
Dans son palais que va faire
cet homme veuf ? Va-t-il se
remarier ? Et avec qui ? Il est
vrai qu’un roi a la consola
tion de pouvoir gouverner. H
gouverne. Le pays est en proie
à la fièvre. Flamands contre
Wallons. L’astre de Degrelle
monte à l’horizon.
Rex
vaincra ! — On peut se de
mander si la Belgique ne va
pas devenir rexiste, comme
l’Allemagne est devenue hitlé
rienne. On murmure que le
roi n’est pas des plus franco
philes, qu’il nourrit des sym
pathies pour les régimes tota
litaires. Enre la France et la
Belgique, il ne semble plus y
avoir — du moins en appa
rence — cette union étroite de
14. Un lien s’est, sinon brisé,
du moins relâché.
La descente
Et, cependant, 14 recom
mence, avec une ampleur ac
crue.
On observe Léopold et l’on
pense à Albert.
L’a r m é e belge, comme
vingt-cinq ans plus tôt, tente
de barrer la route. Le fameux
canal Albert qui devait,
comme les inondations hol
landaises, ' arrêter net l’assail
lant n’est qu’un ruisseau. Et
soudain, coup de tonnerre :
l’armée belge capitule. Le roi
a donné l’ordre à ses troupes
de mettre bas les armes, de
se ranger le long des routes et
de laisser passer les Alle
mands.
Léopold, chez nous, est cou
vert d’opprobre. Toute la
presse hurle contre le roi fé
lon, on l’écrase sous l’exemple
de son père. Pourtant, avec le
recul du temps, il semble que
l’on ait été injuste à son
égard : le souverain n’a vou
lu, après tout, qu’empêcher
son pays d’être broyé. Du
reste, de nombreux Belges ne
pensent pas comme nous ; le
prestige de Léopold a peut-
être subi un choc, mais il n’est
pas profondément touché. H
n’a pas quitté le territoire ; il
s’est enfermé dans son palais
— sans suite et sans escorte.
Le château de Laeken devient
une prison et le silence se fait
sur ses hôtes.
Mais l’homme de la rue pas
sant sous les fenêtres royales
peut se dire : le roi est avec
nous. Grâce à lui, la Belgique
demeure une et indivisible.
Cependant, de loin en loin,
quelques informations filtrent.
Le roi captif vient de se re
marier. Non pas avec une
princesse.
(Lire la suite page 3.)
1 milliard 200 millions
de trafic sur les Rentes
L A presse quotidienne a fait grand bruit autour du « scan
dale des rentes », on a parlé d’escroquerie, de trafics illi
cites, de pertes énormes pour l’État.
La vérité est à la fois plus simple et plus complexe. Les titres
de rente 3 % ont servi aux possesseurs de billets clandestins là
franchir le cap du 4 juin 1945, c’est-à-dire à l’échange des billets
de banque.
Nous expliquons le mécanisme de cette opération en trois
époques. Ainsi, l’homme le moins averti des problèmes financiers
et des « petites combines » qui fleurissent autour de la Bourse,
comprendra que M. Lepercq, ancien ministre des Finances, et
M. Pleven, son successeur, se sont fournis à eux-mêmes des verges
pour se faire fouetter.
L’affaire suit son cours... comme on dit au Palais. Un certain
nombre de trafiquants et d’intermédiaires sont sous les verrous.
Mais l’on peut se demander quelle sera, en définitive, l’inculpa
tion qui pèsera sur ces prévenus.
Sans doute ont-ils illicitement échangé des billets contre des
titres et des titres contre des billets. Ils ont ainsi exercé la profes
sion de banquier pour laquelle ils ne paient pas patente... mais
juridiquement cela ne peut pas aller bien loin.
Le juge d’instruction chargé de l’affaire inculpera-t-il ces tra
fiquants d’atteinte au crédit de l’Etat ? Alors, c’est la grosse
affaire, le procès retentissant et des peines sévères pour les pré
venus. Mais les prévenus répondront que le dernier chaînon de
cette opération scandaleuse a pignon sur rue. C’est un agent de
change qui a régulièrement vendu à la Bourse des titres de rente.
Sa responsabilité peut être engagée. Peut-être même celle de
l’auguste et solennelle « Compagnie des Agents de Change »...
Voyez où nous allons 1
L’ex-magistrat, jadis fameux
pour porter beau l’hermine,
présente la tête même de Jean
Hiroux.
Henri Béraud
et Stéphane Lauzanne
« travailleurs d’élite »
En avant pour le quartier
de détention. Ce qui frappe le
plus dès l’entrée, c’est l’odeur.
L’antique bâtisse n’a pas le
tout-à-l’égout. Dans les dor
toirs, les ateliers, les réfectoi
res, des baquets en tiennent
lieu, posés au centre du local.
(Le règlement précise qu’un dé
tenu ne doit jamais être per
du de vue). Alors, c’est peu
de dire que Pair sent mauvais.
Toutes les choses sentent mau
vais et sentent la même... cho
se, aggravée d’un relent
de fauve depuis qu’on ne dis
tribue plus qu’une chemise et
un mouchoir par homme tou
tes les six semaines.
La règle de détention en
commun ne reçoit d’exception
qu’au dortoir, où chaque déte
nu passe la nuit dans un box
grillagé. Actuellement, le ré-
de l’eau — la disette en est si
grande en été que les robinets
fonctionnent seulement deux
fois par semaine — il choisit
entre les toilettes de ses mains,
de son visage et de ses dents;
deux de ces opérations, le
temps manquant pour les trois.
Ensuite, réfectoire, distribu
tion du pain, lampée d’une tas
se de viandox et entrée à l’a
telier.
On fabrique un peu de tout
à Poissy. On travaille le fer, le
bois, le crin, le chiendent. Des
instructions d’en haut recom
mandent d’utiliser les compé
tences. En vertu de quoi les
détenus qui noircissent habi
tuellement du papier dans le ci
vil sont de préférence affectés
aux ateliers numéros 13 et 14,
à la « Papeterie ». Là, dans
de grandes salles au plafond
bas, endeuillées de coaltar jus
qu’à mi-hauteur, cent-vingt
hommes travaillent en silence,
debout, sous la direction de
l’ex-rédacteur en chef littérai
re d’un journal parisien. Les
vieux — au delà de soixante
ans — les malades et les infir
mes bénéficient depuis quel
que temps d’une table spéciale
et de tabourets. C’est devant
cette table que Henri Béraud
s’est assis dix heures par jour
durant six mois. Il encollait des
carrés de carton pour le comp
te d’une entreprise du boule
vard de la Villette. En face de
lui Stéphane Lauzanne fabri
quait à la grosse ces boîtes de
papier brun dans lesquelles on
vend le sucre en morceaux.
L’un comme l’autre portent
maintenant sur le haut de la
manche, le galon rouge signa
lant les détenus de bonne con
duite et les travailleurs d’élite.
La prochaine promotion com
prendra sans doute les noms
d’Albertini, de l’ex-président
Achats anonymes
6 novembre 1944. M. Lepercq est mi
nistre des Finances.
Homme énergique, il entend résorber la
masse énorme de capitaux improductifs
accumulés en billets dans les coffres-forts, voire
dans les lessiveuses.
Son successeur emploiera la manière forte :
1 échangé des billets. Mais en novembre 1944,
M. Lepercq cherche moins à contraindre qu'à con
vaincre les capitaux et les capitalistes.
Il lance l'Emprunt de la Libération. Il en es
père plusieurs centaines de milliards.
M. Lepercq se tue dans un stupide accident
d'automobile. L'emprunt est lancé. Il faut faire
sortir les billets et les bons de leurs cachettes et
transformer cette masse flottante en une dette à
long terme.
On souscrit, on souscrit beaucoup. Mais les sous
criptions restent au-dessous des prévisions. Alors,
pour décider les souscripteurs, on autorise les sous
criptions anonymes. Les titres de l'Emprunt de Li
bération s'échangent dans les banques et les cais
ses publiques contre des billets, sans qu'il soit né
cessaire d'indiquer ni son nom, ni son adresse.
Voici donc constituée, « par la volonté meme de
M. Pleven », successeur de M. Lepercq au minis
tère des Finances, une masse de 25 à 30 milliards,
de titres de rente absolument anonymes.
Quels sont les possesseurs de ces valeurs ano
nymes ? Des particuliers, des sociétés, des inter
médiaires. En général, des personnes physiques
ou morales qui possédaient des billets de banque
et ne désiraient pas en faire l'affichage.
Négociations clandestines
Mai 1945. M. Pleven a adopté la ma
nière forte.
Il n'ira pas jusqu'à l'expérience belge ;
il ne frappera pas toutes les fortunes d'un
prélèvement de 60 0/0. Mais l'on considère comme
certain l'échange des billets, des bons du Trésor
et même des bons de la Libération qui viennent
d'être lancés quelques mois auparavant.
Pour les propriétaires de billets de banque « qui
n'osent pas dire leur nom » et qui sont nés des
profits illicites, il faut trouver un havre de grâce.
Les montants créditeurs des comptes en ban
que seront déclarés à l'Administration des Finan
ces. Les chèques et les mandats tirés antérieure
ment à la date d'échange des billets et encaissés
postérieurement à celle-ci, seront signalés au fisc.
M. Pleven resserre ses filets. Les échappatoires sont
rares et difficiles.
Il existe un refuge : l'or. Mais le trafic en est
surveillé. L'or, d'autre part, est pesant et encom
brant.
Enfin, les livres et les dollars papier risquent
de provenir de faux monnayeurs.
C’est alors que germe dans l'imagination féconde
des courtiers marrons qui rôdent autour de la
Bourse, l'idée de l'utilisation des titres de rente
anonymes pour le passage du cap de l'échange des
billets.
Clandestinement, sous le manteau, dans de pe
tits cafés anodins, on négocie des titres de rente
parfaitement authentiques contre des billets.
Mais le vendeur de rentes sait que les billets
de banque de l'acheteur sont des billets « noirs' »,
il exige une prime. Le 3 0/0 perpétuel cote 100 fr.
à la Bourse ; on le vend 110 ou 115 francs « de la
main à la main ».
Liquidation officielle
Août, septembre, octobre 1945.
Le cap est franchi. Les acheteurs de
rente ne tiennent pas à conserver indéfi
niment cette créance sur l'Etat. Ils ne veu
lent pas détacher les coupons dont l'encaissement
révélerait au fisc le montant du capital anonyme
qu'ils détiennent dans leurs coffres-forts. Ils sou
haitent retrouver des billets de banque qu'ils pour
ront aisément réinvestir dans leur trafic.
Comment liquider des rentes ? En s'adressant à
un agent de change qui détient de par la loi le
monopole du négoce des titres.
Mais si la souscription est anonyme, la liquida
tion ne saurait l être. L'agent de change auquel
on confiera les titres de rente les vendra à la
Bourse, débitera le compte de son client qui pourra
retirer des billets en signant un chèque.
Le possesseur de titres de rente ne l'entend pas
ainsi. Il ne veut pas révéler son identité au mo
ment de la liquidation. Il va- faire appel à ces
memes courtiers marrons qui lui ont vendu clan
destinement les titres de rente. Le 3 0/0 cote tou
jours 100 francs. Mais, cette fois, c'est au-dessous
du pair que l'on reprend le papier, les titres de
100 francs de rente s'échangent couramment entre
83 et 87 francs.
Le courtier marron connaît les milieux de ban
que et de bourse. Il achètera la complicité d'un
commis d agent de change, îl prendra quelques
pauvres femmes qui accepteront de vendre î00 mil
lions de titres par mois sous leur nom, moyennant
une honnête rétribution de 50.000 francs et, par
ces moyens obliques, il encaissera 100 francs d'un
titre de rente qu'il a d'abord vendu • 15 francs,
puis racheté à 87 francs.
SEPT mois
ou
QUATRE Ans?
ï T N bruit rase les murs
— du Palais - Bourbon.
L’Assemblée consti
tuante, élue pour sept mois,
se prépare à siéger quatre
ans. Voici le scénario ima
giné par les intéressés : si
les élections devaient avoir
lieu en juin prochain, les
élus auraient le seul souci
de songer à leur réélection
et les propositions les plus
démagogiques surgiraient à
tout instant. Pour les assa
gir et pour les faire travail
ler utilement, un seul
moyen : accepter la ral
longe du mandat: Au lieu
de voter en juin 1946 —
époque à laquelle les tra
vaux des champs sont pré
occupants, surtout dans les
campagnes — le scrutin se
rait renvoyé au mois d’avril
1949.
Mais le pays n’acceptera
pas cette escroquerie ! af
firment les docteurs Tant
pis:
— Le pays, expliquent les
docteurs Tant mieux, le
pays doit, par referendum,
se prononcer sur la future
Constitution. Il suffira
d’introduire, dans les tex
tes à lui soumettre, un ar
ticle reconduisant l’As
semblée constituante, qui
deviendrait ainsi Assemblée
législative. Et le pays ré-
pondra oui si nous savons
y faire. Les docteurs Tant
mieux, en clignant un œil
et le sourire aux lèvres,
ajoutent :
— D’ailleurs, le général
est d’accord.
Voire ! voire ! comme di
sait l’autre.
Une fraction de la porte d’en
trée de Poissy qui ne s’ouvre
que sur les visiteurs qui ont
montré patte blanche ; à gau
che le « marteau », au milieu
un avis annonçant que « seu
les personnes munies d’un per
mis de parloir sont admises à
pénétrer dans la prison, lequel
permis doit être présenté au
portier », et, à droite, le
« judas ».
Benon, de l’ex-substitut Guyen-
not, passés maîtres dans l’art
d’introduire délicatement un fil
d’archal dans le trou des éti
quettes à bagages de la S. N.
C. F., puis de les ficeler par
paquets de mille bien cadrés.
Le dimanche
dix minutes pour s’évader
A midi, au commandement et
en rangs, départ pour le réfec
toire. Soupe et « pitance » dé
gustées sur des tables aussi
étroites que des planchettes
de prie-Dieu, sans vis-à-vis. Le
menu est plus consistant qu’à
Fresnes. Il peut être amélioré
par la réception hebdomadaire
d’un paquet de 4 kilos. Sous
peine de cachot, interdiction
de partager avec les camara
des. Chacun transporte partout
ses vivres avec soi: les anciens
dans une musette en tissu de
forçat rayé rouge et blanc, les
nouveaùx dans un sac en pa
pier.
La digestion se fait à la pro
menade : trente minutes de
marche en file indienne, les
mains derrière le dos, au pas,
à la cadence marquée par un
prévôt placé au milieu du cer
cle : « Gauche ! Droite ! ».
C’est exactement le tableau fa
meux de Van Gogh, mais cen
tuplé en personnages. Le ton
nerre des deux mille sabots de
bois s’entend de l’extérieur. Un
supplice au début, les sabots.
(Lire la suite page 3.)
CROYEZ-VOUS
à la TÉLÉPATHIE
LISEZ L'ENQUETE DE
G.-A. MASSON. PAGE 6
La Presse
Fondateur : Emile de Girardin -1836
8 francs
Nouvelle série No 5. ülililllllllllMliül!IIIIOI»llllllli IIIMIIIIIIIIIIIMIIDIIIDIII Administration-Rédaction : 142, rue Montmartre, Paris (2*) ■UUMlliiiuiiiüllillillMlllMMlIlIllllll^^ MARDI 13 NOVEMBRE 1945
SOUVERAINSSANS ROYAUME
Grandeur et décadence
de LÉOPOLD III
L f ancien roi des Belges,
adulé hier par tout
son peuple, partage
aujourd'hui, sur les
bords du Léman, le
vie des exilés. ,
1 . L y avait une fois un roi qui s’appelait Léopold et son
père qui s’appelait Albert, surnommé le Roi Chevalier.
Une des figures les plus nobles des temps modernes.
Vénéré dans le monde entier. Un nom synonyme de droi
ture et de loyauté. Un homme simple et bon. Il suffisait
que son visage parût sur les écrans pour provoquer les
applaudissements. Tous ceux qui ont des souvenirs de la
guerre de 14 se rappellent ces photos et ces dessins de
l’« Illustration » montrant le roi-soldat dans les tranchées
d’Ypres et de l’Yser. Albert, c’est la Belgique, grandie par
cette figure inséparable de cette autre : le cardinal Mercier.
Et quand, quelques années plus tard, Foch mourra, quel
Français ne sera pas touché par le geste d’Albert venant
de Bruxelles s’incîiner sur la dépouille du généralissime ?
La paix revenue, il semblait qu’Albert eût bien mérité
de vieillir dans le respect et l’affection de son peuple. Mais
(un destin mauvais en décida autrement. Et ce fut la pre
mière manifestation du malheur qui, depuis lors, poursuit
la dynastie.
Un jour on apprend avec stupeur qu’Albert s’est tué
accidentellement dans les Ardennes.
La Belgique pleure ; le monde entier s’afflige ; le glas
sonne à Sainte-Gudule.
Puis l’on tourne la page : Léopold succède à son père
Après ce deuil, quelques années de répit pour la Bel
gique. Aux scènes inoubliables des funérailles d’Albert
s’oppose dans une allégresse unanime, dont les écrans de
tous les pays donnent l’image, le mariage de Léopold et
d’Astrid.
Avec le couple royal, on ouvre un beau roman d’amour
dans la pure tradition des légendes dorées-où la jolie prin
cesse venue des pays nordiques, ainsi qu’il est dit dans les
contes, est belle comme le jour.
De beaux enfants assurent la succession dynastique ;
le jeune souverain paraît intelligent ; la popularité du père
rejaillit sur le fils ; il n’a qu’à marcher dans la voie qui
COMMENT
LA GUARDIA
A PERDU
LA MAIRIE
DE NEW-YORK
La Vérité
lui a été tracée pour s’assurer
un règne heureux.
Il règne sur un pays socia
liste et frondeur où les têtes
sont chaudes mais les cœurs
aimants. Le Belge est volon
tiers d’opinion avancée. Mais
le Roi est le Roi. Le pays tient
à sa dynastie. On est socialiste
et monarchiste. Conjonction
qui paraîtrait difficilement
concevable en France et qui
apparente la petite Belgique
au vénérable Empire Britan
nique où la monarchie, cette
chère vieille chose, demeure
incontestable et incontestée.
Et c’est ce sentiment qui pa-
laissait indéracinable ।
nous sommes peut-être
train de voir mourir.
que
en
La reine morte
Satan guette sa proie ;
il
s’embusque au détour d’une
route et fait un geste. Une
auto roulant à vive allure
s’écrase contre un arbre. Les
paysans accourus aperçoivent
une morte et sur son cadavre
un homme éploré.
Le roi vient de tuer la reine.
Après l’accident de monta
gne, l’accident d’auto : c’est le
deuxième fait-divers tragique
dans l’histoire de la famille
royale.
A l’entrée des métros, on
s’arrache les dernières édi
tions.
Et quelques jours plus tard,
dans ce même décor bruxel
lois, dans cette même basilique
qui a vu les funérailles d’Al-
bert et les fastes du mariage
royal, un spectacle navrant se
déroule : la Belgique en lar
mes conduit la reine au tom
beau.
DISPARU
( ROS émoi au Palais-
" Bourbon, vers la fin de
la journée de jeudi
dernier.
Un journaliste entre en
coup de vent dans la salle
des Pas-Perdus :
— Il a disparu! crie-t-il.
Tout le monde comprend.
« IL », c’est LUI : Charles
le Grand. On sait que, tout
l’après-midi, plusieurs dé
légués des Trois Grands ont
couru à sa recherche.
Ils ne l’ont pas trouvé.
L’aurait-on kidnappé ?
Coups de téléphone : de
temps à autre, une piste :
il a passé par ici... il repas
sera par là...
Mais IL demeure insaisis
sable.
Tout simplement, il s’est
mis au repos, sans doute
dans une villa préparée en
grand mystère, en .atten
dant que s’engage le grand
jeu.
Pour lequel il est paré,
assurent ses fidèles.
Car il en a encore. Et
beaucoup !
Léopold III, en 1939,
au temps de sa splendeur
IORELLO LA GUARDIA
quitte la mairie de New-York.
Il y était entré en 1933. New-
York était alors administrée par un
maire démocrate, tout à la dévo
tion de la fameuse officine électo
rale de Tammany-Hall, le plus
beau repaire de gangsters des U.SA.
Fiorello La nardia fit campa
gne pour la pi é, l’indépendance
des pouvoirs p s et la fin des
« racketts » qui régnaient alors en
maîtres à New-York. Mais ce beau
programme n’aurait pas seul assuré
son élection...
Les démocrates étaient jusqu’a
lors élus à la mairie de New-York
par la conjonction des électeurs de
leur parti et des membres de
l’ « American Labour Party », sorte
de parti travailliste à tendance so
ciale avancée qui pouvait se situer
à gauche des démocrates.
Mais ce parti travailliste arrivait
en troisième position et ne consti
tuait qu’un parti d’appoint en
assurant l’élection du démocrate.
Le républicain La Guardia eut
l’idée politique originale de sollici
ter les voix du parti travailliste en
tenant le raisonnement suivant :
« Assurez mon élection. Vous au
rez ainsi écarté le concurrent le
plus dangereux c’est-à-dire le démo
crate. Vous serez à mes côtés
dans l'administration de la ville.
Votre parti pourra grandir. Il ne
sera plus en tutelle. Et vous pour
rez un jour courir votre chance ».
La combinaison réussit. La Guar
dia fut élu. Son sens de la bonne
administration et aussi sa simplicité
lui assurèrent une popularité qui en
fait aujourd'hui, dans le monde,
une grande vedette politique.
On a supplié La Guardia de po
ser encore sa candidature, mais c’est
un fin politique. Il sentait que le
terrain se dérobait sous ses pas.
Il déteste les échecs.
O’Dwyr est élu mai e de New-
York comme champion des démo
crates, avec l’appui du Labour Par
ty et de la C.G.T. de New-York.
Juste retour des choses I
I L y a une heure de panier
à salade depuis le paysage
1900 de Fresnes, ses pavil
lons d’un joli rose vif tout vi
trages et baies, ses arbres, ses
pelouses, jusqu’au mur de dix
mètres de haut, gris, abrupt,
ceinturant les bâtiments aveu
gles de Poissy. Soixante minu
tes qui représentent un siècle
parcouru à rebours : c’est en
1819 que le dépôt de mendicité
de Poissy est devenu « Maison
de Force et de Correction ».
Depuis, hormis l’installation
de l’éclairage électrique, rien
n’y a changé. Pas même le rè
glement, qui date du décret du
10 juin 1810 par lequel Napo
léon a institué les « Centra
les » et dont les éditions suc
cessives n’ont, en fait, jamais
adouci que les archaïsmes de
style.
Bien ratissée, plantée de til
leuls et fleurie de dahlias, la
cour d’entrée offrirait le char
me innocent et tranquille d’un
jardin de couvent si, comme
dit Victor Hugo, cité par Hen
ri Béraud — lequel fit, après
l’autre guerre, un reportage
fameux sur les principales pri
sons de France... sauf Poissy
— « tout, en prison, même les
jardins, n’entraînait une dimi
nution de respiration et de
clarté ».
Le panier à salade ne s’y ar
rête pas. Il gagne directement
le quartier spécial des arri
vants pour stopper à l’entrée
d’un étroit réduit à ciel ouvert,
une espèce de cheminée de
pierre.
Les condamnés descendent et
s’alignent au garde-à-vous.
Alors, un surveillant gradé fait
un speech, merveille de conci
sion et de clarté. Les surveil
lants sont ici pour surveiller.
Les détenus pour obéir. On
peut compter sur les surveil
lants pour surveiller. Il est
tout simple aux détenus d’o
béir s’ils ne perdent jamais de
vue les deux grands principes
régissant la maison : silence
de jour et de nuit et obéissance
absolue au règlement. Là-des
sus, chacun passe dans une cel
lule spéciale absolument nue
où, solitaire et au régime du
demi jeûne, il a 96 heures pour
bien s’assimiler le discours.
5′7 D0160%
mMinbmi si “ ® 4 e y
ASoeibriT
En carmagnole, le crâne tondu, chaussés de
sabots, toutes catégories mêlées, 1.200
condamnés politiques observent une règle
de
fer qui
date de Napoléon
L’entrée de la Maison Centrale de Poissy
Le panier à salade avait dé
versé, en vrac, un échantillon
nage complet des différentes
catégories de condamnés : for
çats, réclusionnaires, « petites
peines », militaires de tous gra
des, fonctionnaires, profiteurs
richissimes, petites gens,
voyous, traîtres authentiques,
dénonciateurs, égarés de bon
ne foi, délinquants d’opinion.
On les distinguait du premier
coup d’œil, malgré l’uniforme:
carmagnole de droguet revê
tue au départ de Fresnes. Au
sortir de la retraite, c’est fini.
veil surprend l’homme tout
habillé à cause de l’état des
draps, restés inchangés depuis
le mois d’avril. Il répond à
l’appel et fait son
y a
Derrière le char funèbre, un
homme seul — le roi.
Un homme qui porte nue
devant son peuple sa douleur.
Il s’avance et fait le silence
sur son passage.
Il est aimé, il est grand.
Son destin, ce jour-là, at
teint son sommet.
Mais, dès lors, il semble
qu’une bonne fée soit morte
avec la reine. La courbe royale
va rédescendre.
Seul dans son palais
Dans son palais que va faire
cet homme veuf ? Va-t-il se
remarier ? Et avec qui ? Il est
vrai qu’un roi a la consola
tion de pouvoir gouverner. H
gouverne. Le pays est en proie
à la fièvre. Flamands contre
Wallons. L’astre de Degrelle
monte à l’horizon.
Rex
vaincra ! — On peut se de
mander si la Belgique ne va
pas devenir rexiste, comme
l’Allemagne est devenue hitlé
rienne. On murmure que le
roi n’est pas des plus franco
philes, qu’il nourrit des sym
pathies pour les régimes tota
litaires. Enre la France et la
Belgique, il ne semble plus y
avoir — du moins en appa
rence — cette union étroite de
14. Un lien s’est, sinon brisé,
du moins relâché.
La descente
Et, cependant, 14 recom
mence, avec une ampleur ac
crue.
On observe Léopold et l’on
pense à Albert.
L’a r m é e belge, comme
vingt-cinq ans plus tôt, tente
de barrer la route. Le fameux
canal Albert qui devait,
comme les inondations hol
landaises, ' arrêter net l’assail
lant n’est qu’un ruisseau. Et
soudain, coup de tonnerre :
l’armée belge capitule. Le roi
a donné l’ordre à ses troupes
de mettre bas les armes, de
se ranger le long des routes et
de laisser passer les Alle
mands.
Léopold, chez nous, est cou
vert d’opprobre. Toute la
presse hurle contre le roi fé
lon, on l’écrase sous l’exemple
de son père. Pourtant, avec le
recul du temps, il semble que
l’on ait été injuste à son
égard : le souverain n’a vou
lu, après tout, qu’empêcher
son pays d’être broyé. Du
reste, de nombreux Belges ne
pensent pas comme nous ; le
prestige de Léopold a peut-
être subi un choc, mais il n’est
pas profondément touché. H
n’a pas quitté le territoire ; il
s’est enfermé dans son palais
— sans suite et sans escorte.
Le château de Laeken devient
une prison et le silence se fait
sur ses hôtes.
Mais l’homme de la rue pas
sant sous les fenêtres royales
peut se dire : le roi est avec
nous. Grâce à lui, la Belgique
demeure une et indivisible.
Cependant, de loin en loin,
quelques informations filtrent.
Le roi captif vient de se re
marier. Non pas avec une
princesse.
(Lire la suite page 3.)
1 milliard 200 millions
de trafic sur les Rentes
L A presse quotidienne a fait grand bruit autour du « scan
dale des rentes », on a parlé d’escroquerie, de trafics illi
cites, de pertes énormes pour l’État.
La vérité est à la fois plus simple et plus complexe. Les titres
de rente 3 % ont servi aux possesseurs de billets clandestins là
franchir le cap du 4 juin 1945, c’est-à-dire à l’échange des billets
de banque.
Nous expliquons le mécanisme de cette opération en trois
époques. Ainsi, l’homme le moins averti des problèmes financiers
et des « petites combines » qui fleurissent autour de la Bourse,
comprendra que M. Lepercq, ancien ministre des Finances, et
M. Pleven, son successeur, se sont fournis à eux-mêmes des verges
pour se faire fouetter.
L’affaire suit son cours... comme on dit au Palais. Un certain
nombre de trafiquants et d’intermédiaires sont sous les verrous.
Mais l’on peut se demander quelle sera, en définitive, l’inculpa
tion qui pèsera sur ces prévenus.
Sans doute ont-ils illicitement échangé des billets contre des
titres et des titres contre des billets. Ils ont ainsi exercé la profes
sion de banquier pour laquelle ils ne paient pas patente... mais
juridiquement cela ne peut pas aller bien loin.
Le juge d’instruction chargé de l’affaire inculpera-t-il ces tra
fiquants d’atteinte au crédit de l’Etat ? Alors, c’est la grosse
affaire, le procès retentissant et des peines sévères pour les pré
venus. Mais les prévenus répondront que le dernier chaînon de
cette opération scandaleuse a pignon sur rue. C’est un agent de
change qui a régulièrement vendu à la Bourse des titres de rente.
Sa responsabilité peut être engagée. Peut-être même celle de
l’auguste et solennelle « Compagnie des Agents de Change »...
Voyez où nous allons 1
L’ex-magistrat, jadis fameux
pour porter beau l’hermine,
présente la tête même de Jean
Hiroux.
Henri Béraud
et Stéphane Lauzanne
« travailleurs d’élite »
En avant pour le quartier
de détention. Ce qui frappe le
plus dès l’entrée, c’est l’odeur.
L’antique bâtisse n’a pas le
tout-à-l’égout. Dans les dor
toirs, les ateliers, les réfectoi
res, des baquets en tiennent
lieu, posés au centre du local.
(Le règlement précise qu’un dé
tenu ne doit jamais être per
du de vue). Alors, c’est peu
de dire que Pair sent mauvais.
Toutes les choses sentent mau
vais et sentent la même... cho
se, aggravée d’un relent
de fauve depuis qu’on ne dis
tribue plus qu’une chemise et
un mouchoir par homme tou
tes les six semaines.
La règle de détention en
commun ne reçoit d’exception
qu’au dortoir, où chaque déte
nu passe la nuit dans un box
grillagé. Actuellement, le ré-
de l’eau — la disette en est si
grande en été que les robinets
fonctionnent seulement deux
fois par semaine — il choisit
entre les toilettes de ses mains,
de son visage et de ses dents;
deux de ces opérations, le
temps manquant pour les trois.
Ensuite, réfectoire, distribu
tion du pain, lampée d’une tas
se de viandox et entrée à l’a
telier.
On fabrique un peu de tout
à Poissy. On travaille le fer, le
bois, le crin, le chiendent. Des
instructions d’en haut recom
mandent d’utiliser les compé
tences. En vertu de quoi les
détenus qui noircissent habi
tuellement du papier dans le ci
vil sont de préférence affectés
aux ateliers numéros 13 et 14,
à la « Papeterie ». Là, dans
de grandes salles au plafond
bas, endeuillées de coaltar jus
qu’à mi-hauteur, cent-vingt
hommes travaillent en silence,
debout, sous la direction de
l’ex-rédacteur en chef littérai
re d’un journal parisien. Les
vieux — au delà de soixante
ans — les malades et les infir
mes bénéficient depuis quel
que temps d’une table spéciale
et de tabourets. C’est devant
cette table que Henri Béraud
s’est assis dix heures par jour
durant six mois. Il encollait des
carrés de carton pour le comp
te d’une entreprise du boule
vard de la Villette. En face de
lui Stéphane Lauzanne fabri
quait à la grosse ces boîtes de
papier brun dans lesquelles on
vend le sucre en morceaux.
L’un comme l’autre portent
maintenant sur le haut de la
manche, le galon rouge signa
lant les détenus de bonne con
duite et les travailleurs d’élite.
La prochaine promotion com
prendra sans doute les noms
d’Albertini, de l’ex-président
Achats anonymes
6 novembre 1944. M. Lepercq est mi
nistre des Finances.
Homme énergique, il entend résorber la
masse énorme de capitaux improductifs
accumulés en billets dans les coffres-forts, voire
dans les lessiveuses.
Son successeur emploiera la manière forte :
1 échangé des billets. Mais en novembre 1944,
M. Lepercq cherche moins à contraindre qu'à con
vaincre les capitaux et les capitalistes.
Il lance l'Emprunt de la Libération. Il en es
père plusieurs centaines de milliards.
M. Lepercq se tue dans un stupide accident
d'automobile. L'emprunt est lancé. Il faut faire
sortir les billets et les bons de leurs cachettes et
transformer cette masse flottante en une dette à
long terme.
On souscrit, on souscrit beaucoup. Mais les sous
criptions restent au-dessous des prévisions. Alors,
pour décider les souscripteurs, on autorise les sous
criptions anonymes. Les titres de l'Emprunt de Li
bération s'échangent dans les banques et les cais
ses publiques contre des billets, sans qu'il soit né
cessaire d'indiquer ni son nom, ni son adresse.
Voici donc constituée, « par la volonté meme de
M. Pleven », successeur de M. Lepercq au minis
tère des Finances, une masse de 25 à 30 milliards,
de titres de rente absolument anonymes.
Quels sont les possesseurs de ces valeurs ano
nymes ? Des particuliers, des sociétés, des inter
médiaires. En général, des personnes physiques
ou morales qui possédaient des billets de banque
et ne désiraient pas en faire l'affichage.
Négociations clandestines
Mai 1945. M. Pleven a adopté la ma
nière forte.
Il n'ira pas jusqu'à l'expérience belge ;
il ne frappera pas toutes les fortunes d'un
prélèvement de 60 0/0. Mais l'on considère comme
certain l'échange des billets, des bons du Trésor
et même des bons de la Libération qui viennent
d'être lancés quelques mois auparavant.
Pour les propriétaires de billets de banque « qui
n'osent pas dire leur nom » et qui sont nés des
profits illicites, il faut trouver un havre de grâce.
Les montants créditeurs des comptes en ban
que seront déclarés à l'Administration des Finan
ces. Les chèques et les mandats tirés antérieure
ment à la date d'échange des billets et encaissés
postérieurement à celle-ci, seront signalés au fisc.
M. Pleven resserre ses filets. Les échappatoires sont
rares et difficiles.
Il existe un refuge : l'or. Mais le trafic en est
surveillé. L'or, d'autre part, est pesant et encom
brant.
Enfin, les livres et les dollars papier risquent
de provenir de faux monnayeurs.
C’est alors que germe dans l'imagination féconde
des courtiers marrons qui rôdent autour de la
Bourse, l'idée de l'utilisation des titres de rente
anonymes pour le passage du cap de l'échange des
billets.
Clandestinement, sous le manteau, dans de pe
tits cafés anodins, on négocie des titres de rente
parfaitement authentiques contre des billets.
Mais le vendeur de rentes sait que les billets
de banque de l'acheteur sont des billets « noirs' »,
il exige une prime. Le 3 0/0 perpétuel cote 100 fr.
à la Bourse ; on le vend 110 ou 115 francs « de la
main à la main ».
Liquidation officielle
Août, septembre, octobre 1945.
Le cap est franchi. Les acheteurs de
rente ne tiennent pas à conserver indéfi
niment cette créance sur l'Etat. Ils ne veu
lent pas détacher les coupons dont l'encaissement
révélerait au fisc le montant du capital anonyme
qu'ils détiennent dans leurs coffres-forts. Ils sou
haitent retrouver des billets de banque qu'ils pour
ront aisément réinvestir dans leur trafic.
Comment liquider des rentes ? En s'adressant à
un agent de change qui détient de par la loi le
monopole du négoce des titres.
Mais si la souscription est anonyme, la liquida
tion ne saurait l être. L'agent de change auquel
on confiera les titres de rente les vendra à la
Bourse, débitera le compte de son client qui pourra
retirer des billets en signant un chèque.
Le possesseur de titres de rente ne l'entend pas
ainsi. Il ne veut pas révéler son identité au mo
ment de la liquidation. Il va- faire appel à ces
memes courtiers marrons qui lui ont vendu clan
destinement les titres de rente. Le 3 0/0 cote tou
jours 100 francs. Mais, cette fois, c'est au-dessous
du pair que l'on reprend le papier, les titres de
100 francs de rente s'échangent couramment entre
83 et 87 francs.
Le courtier marron connaît les milieux de ban
que et de bourse. Il achètera la complicité d'un
commis d agent de change, îl prendra quelques
pauvres femmes qui accepteront de vendre î00 mil
lions de titres par mois sous leur nom, moyennant
une honnête rétribution de 50.000 francs et, par
ces moyens obliques, il encaissera 100 francs d'un
titre de rente qu'il a d'abord vendu • 15 francs,
puis racheté à 87 francs.
SEPT mois
ou
QUATRE Ans?
ï T N bruit rase les murs
— du Palais - Bourbon.
L’Assemblée consti
tuante, élue pour sept mois,
se prépare à siéger quatre
ans. Voici le scénario ima
giné par les intéressés : si
les élections devaient avoir
lieu en juin prochain, les
élus auraient le seul souci
de songer à leur réélection
et les propositions les plus
démagogiques surgiraient à
tout instant. Pour les assa
gir et pour les faire travail
ler utilement, un seul
moyen : accepter la ral
longe du mandat: Au lieu
de voter en juin 1946 —
époque à laquelle les tra
vaux des champs sont pré
occupants, surtout dans les
campagnes — le scrutin se
rait renvoyé au mois d’avril
1949.
Mais le pays n’acceptera
pas cette escroquerie ! af
firment les docteurs Tant
pis:
— Le pays, expliquent les
docteurs Tant mieux, le
pays doit, par referendum,
se prononcer sur la future
Constitution. Il suffira
d’introduire, dans les tex
tes à lui soumettre, un ar
ticle reconduisant l’As
semblée constituante, qui
deviendrait ainsi Assemblée
législative. Et le pays ré-
pondra oui si nous savons
y faire. Les docteurs Tant
mieux, en clignant un œil
et le sourire aux lèvres,
ajoutent :
— D’ailleurs, le général
est d’accord.
Voire ! voire ! comme di
sait l’autre.
Une fraction de la porte d’en
trée de Poissy qui ne s’ouvre
que sur les visiteurs qui ont
montré patte blanche ; à gau
che le « marteau », au milieu
un avis annonçant que « seu
les personnes munies d’un per
mis de parloir sont admises à
pénétrer dans la prison, lequel
permis doit être présenté au
portier », et, à droite, le
« judas ».
Benon, de l’ex-substitut Guyen-
not, passés maîtres dans l’art
d’introduire délicatement un fil
d’archal dans le trou des éti
quettes à bagages de la S. N.
C. F., puis de les ficeler par
paquets de mille bien cadrés.
Le dimanche
dix minutes pour s’évader
A midi, au commandement et
en rangs, départ pour le réfec
toire. Soupe et « pitance » dé
gustées sur des tables aussi
étroites que des planchettes
de prie-Dieu, sans vis-à-vis. Le
menu est plus consistant qu’à
Fresnes. Il peut être amélioré
par la réception hebdomadaire
d’un paquet de 4 kilos. Sous
peine de cachot, interdiction
de partager avec les camara
des. Chacun transporte partout
ses vivres avec soi: les anciens
dans une musette en tissu de
forçat rayé rouge et blanc, les
nouveaùx dans un sac en pa
pier.
La digestion se fait à la pro
menade : trente minutes de
marche en file indienne, les
mains derrière le dos, au pas,
à la cadence marquée par un
prévôt placé au milieu du cer
cle : « Gauche ! Droite ! ».
C’est exactement le tableau fa
meux de Van Gogh, mais cen
tuplé en personnages. Le ton
nerre des deux mille sabots de
bois s’entend de l’extérieur. Un
supplice au début, les sabots.
(Lire la suite page 3.)
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