Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1903-12-28
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 28 décembre 1903 28 décembre 1903
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Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75756057
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 20/06/2013
CIISTQ CENTIMES le Numéro. - ~:t - -,. -' PARIS 8 DÉPARTEMENTS -' :
Lae Numéro CINQ CENTIMES
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AUX BUREAUX DU JOURNAL
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De 4 à 8 heures du soir et de 10 heures du soir à t heure du matin
Ne 12344. — Lundi 28 Décembre 1903
6 NIVOSE AN 112
ADMINISTRATION : f I, rue du Mail
Adresser lettres et mandats à l' JIll nimstraleur
- NOS LEADERS
ë"JlJ;' .:
L mnvi in
Avez-vous lu avec une attention suf-
fisante le compte rendu des débats
qui viennent d'avoir lieu devant la
cour d'assises de Châteauroux? La
question soulevée est assez grave pour
que ce soit le devoir de tous de s'y
intéresser.
Cette affaire — une très vulgaire af-
faire d'infanticide — a montré une fois
de plus de combien peu de garanties
sst entourée la liberté individuelle en
France.
On répète en souriant ce mot vieux
de plus d'un siècle : « Si on m'accusait
d'avoir dérobé les Tours de Notre-
Dame, je commencerais par fuir. »
Etes-vous sûrs que ce mot ne corres-
ponde pas encore à la réalité des cho-
ses? Etes-vous sûrs que, depuis le
jour où a été mise en circulation cette
boutade historique, l'idée de justice ait
fait de bien réels et de bien considé-
rables progrès ?
Sans doute, il y a, maintenant, les
« bons juges »; et le nombre s'en ac-
croît rapidement, rien n'étant conta-
gieux comme le bon exemple ; et aux
noms, justement populaires, de M.
Magnaud et de M. Seré de Rivières,
viennent s'ajouter déjà les noms de M.
Devillebichot, de M. Lagrésille ; ceux-
là, ces juges-là, comprennent qu'il
faut mettre de l'humanité dans la jus-
tice ; leur conscience se trouble et
frissonne à l'idée d'une erreur possi-
ble ; ils songent à la part de responsa-
bilité qui incombe à la.société mal
faite; et, comme le vieux juré de
Résurrection, symboliquement sourd,
ils disent, émus profondément au spec-
tacle des détresses humaines, qu' « il
vaut mieux pardonner ». Ceux-là sont
l'honneur de la magistrature; ils mon-
trent ce que sera la justice de demain,
pitoyable aux faibles, secourable, toutp
imprégnée du sentiment de cette so-
lidarité qui unit étroitement tous les
hommes et fait que la société tout
entière souffre de la faute d'un seul.
- Mais il y a aussi les mauvais juges ;
ou bien ceux qui, impassibles gardiens
des traditions,s'imaginent stupidement
qu'ils sont là, sur leurs sièges, pour
condamner toujours, et qu'ils s'acquit-
tent vraiment de leurs devoirs en con-
damnant toujours, inexorablement; ou
bien les « arri vis tes », sceptiques égoïs-
tes qui ne songent qu'à s'assurer un
avancement rapide en obtenant le plus
possible de condamnations à effet.
Dans une comédie d'Edmond About,
il y a un procureur de- province qui
s'écrie : — Le plus beau jour de ma
vie sera celui où le jury m'accordera,
sans preuves matérielles, la tête d'un
accusé défendu par deux gloires du
barreau de Paris ! » Puissiez-vous,
c'est le bonheur que je vous souhaite,
ne jamais tomber entre les griffes d'un
de ces malfaiteurs-là qui, embusqués
derrière le Code, guettent les proies
qui passent.
Ne croyez pas que votre innocence
puisse, le cas échéant, vous -sauver.
Pour les juges de cette espèce, tout le
monde est présumé coupable.
Comme cet antiquaire* de Labiche
qui disait, en reniflant : « Ça sent le
romain, ici », ils disent, quœrens
quem devorct et retroussant les babi-
nes : — Ça sent le coupable !. — par-
tout où ils sont. Mais eux, ils ne sont
pas seulement grotesques, ils sont ter-
ribles aussi.
Prenez garde ! votre réputation, vo-
tre honneur, votre liberté, votre vie
sont entre leurs mains, à la merci de
leur caprice.
L'affaire Loizement, toute récente, a
montré le mal que peuvent faire ces
monomanes de la culpabilité, aussi
dangereux, certes, pour les honnêtes
gens que les escarpes qui rôdent, su-
rin au poing, le long des rues noires.
Et l'affaire dont vient d'avoir à s'occu-
per la cour d'assises de l'Indre — je
me trompe : dont elle a refusé de s'oc-
cuper, n'est pas moins scandaleuse.
Je rappelle brièvement les faits :
a ***
A Châteauroux, en mai dernier, on
arrête une jeune bonne coupable d'in-
fanticide. Elle avoue le crime, dé-
clare n'avoir pas eu de complice, re-
fuse de dire quel peut être le père de
l'enfant. Le sait-elle, d'abord, elle-
même ? Il semble bien que ce soit une
rouleuse, créature peu digne d'inté-
rêt ; il n'importe.
Le juge chargé d'instruire l'affaire
s'est mis dans la tête que le père pour-
rait bien être M. Grizolles, chez qui
la malheureuse était en service. De là
il accuser M. Grizolles de complicité
dans l'infanticide, il n'y a qu'un pas ,
vite franchi ; le cerveau de ces magis-
trats en quête d'affaires à effet va ra-
pidement en besogne.
M. Grizolles, commissaire-priseur,
màrié, est honorablement connu dans
la ville; tout devrait empêcher que les
soupçons se portassent sur lui; mais-
la domestique, après s'être longtemps
renfermé dans le mutisme, finit —
peut-être suggestionnée par le juge;
quel « peut-être » ! — par accuser
M. Grizolles. Et aussitôt, tressaillant
de joie, le juge fait arrêter M. Gri-
zolles.
Oui, cet honorable citoyen, sur la
foi d'une fille qui a peut-être vu là
un moyen d'essayer de se tirer d'af-
faire, a été arrêté, incarcéré.
En vérité, ni vous ni moi, monsieur,
ne sommes assurés de coucher dans
notre lit ce soir. Qui sait si, .au mo-
ment où nous sommes là bien tran-
quilles, la conscience nette, un gredin
quelconque n'est pas, dans le cabinet
d'un magistrat également quelconque,
en train de vous accuser de n'importe
quel crime? Quoi? n'a-t-on pas frappé
à votre porte? Tremblez! c'est Deut-
être les gendarmes. Vous vous indi-
gnez, vous vous révoltez : — Je n'ai
rien fait! Je suis innocent! — En pri-I
son, d'abord! en prison, tout de suite,
on s'expliquera plus tard. Nous en
sommes là, plus de cent ans après
l'abolition des lettres de cachet.
On s'est expliqué plus tard avec M.
Grizolles. Une expertise chimique, à
propos de certaines taches sur lesquel-
les l'accusation avait échafaudé on ne
sait quel absurde roman, tourna en
faveur de l'accusé. La domestique,
sollicitée d'indiquer un détail particu-
lier qui pût prouver l'intimité de ses
relations avec son ancien maître, avait
raconté la première histoire venue;
l'examen médical auquel M. Grizolles
fut obligé de se soumettre prouva que
la fille avait menti. Enfin, confron-
tée avec lui, elle avoua la fausseté
des accusations qu'elle avait portées.
M. Grizolles avait été incarcéré le 11
juin; le 6 juillet, on le remit en li-
berté.
***
Que vous semble de cette anecdote?
Attendez; nous ne sommes pas au bout.
La domestique comparaissant devant
le jury, M. Grizolles a voulu se porter
partie civile, établir péremptoirement
son innocence. Il était représenté par
M° Henri Coulon. Et qui, mieux que
l'éminent président de la Ligue pour
la défense de la liberté individuelle,
eût été qualifié pour porter la parole
au nom de cet innocent victime d'un
monstrueux abus du pouvoir?
Mais cette parole lui a été refusée. Le
.président de la cour d'assises, digne
émule de ce Delegorgue de sinistre
mémoire, n'a pas voulu que la ques-
tion fut posée. L'admirable avocat a
lutté avec tout son talent, avec tout
son esprit, avec toute son éloquence
faite de passion sincère et ardente pour
les justes causes, contre cette volonté
d'opposer un flagrant déni de justice
aux légitimes revendications de cet
accuse qui, fort de son innocence, ré-
clamait le droit d'accuser à son tour.
Il n'a pu empêcher que l'arrêt de la
cour interdit à M. Grizolles de se porter
partie civile.
Vous le voyez : le scandale est com-
plet. Silence aux innocents!
Voilà un homme à qui l'atteinte la
plus grave a été portée dans ses inté-
rêts, dans son honneur, et à qui tout
moyen est refusé de prouver qu'il a
été victime d'une épouvantable erreur
— nous disons : erreur, pour être poli.
Au moins, que l'enseignement que
comportent de pareils faits ne soit
point perdu. Il faut que des aventu-
res de ce genre nous rapprochent de
la réforme tant attsndue de la magis-
trature et du code d'instruction crimi-
nelle. -
Quoi ! nulle compensation! nulle ré-
paration pour ce malheureux si indi-
gnement traité ! Quoi ! nul châtiment
pour le magistrat qui s'est fait le com-
plice de la menteuse! Quoi ! ce ma-
gistrat va continuer de faire son mé-
tier, de tenir entre ses mains la ré pu- ;
tation et la liberté de ceux qu'on ap-
pelle « les justiciables»! Est-ce que
cela est tolérable? N'y a-t-il pas là,
j'y insiste, une menace suspendue sur
toutes les têtes?
Croyez-le : tant que les juges d'ins-
truction jouiront du pouvoir discré-
tionnaire, absolu, dont ils abusent, il
n'y aura pas de sécurité en France
pour les honnêtes gens.
Lucien Victor-Meunier
1 UNE IDÉE EN MARCHE
Après le traité d'arbitrage
franco-anglais, voici le traité
d'arbitrage franco-italien; d'au-
tres suivront, n'en doutez pas ;
les peuples sont de plus en plus
disposés à se grouper selon les
lois des affinités naturelles, et cela nous
mènera, plus ou moins lentement, mais
sûrement, à une fédération générale des
:nations de notre continent. Les Anglais,
peu enclins à s'emballer sur les questions
qui ont un côté sentimental, ne se sont pas
trompés pourtant sur le sens clés accords
récemment signés : « L'Angleterre, la
France et l'Italie, dit le Daily (j'raphic, ont
donne au monde un excellent exemple que
les nations qui se respectent pourront diffi-
cilement ne pas suivre. ))
Et quant aux fruits même immédiats de
tels accords, qui pourrait les nier ? Ce qui
se passe actuellement entre Japonais et
Russes se serait certainement, il y a vingt
ans, terminé par une guerre. Mais il y a
aujourd'hui cette circonstance que deux
des puissances signataires des récents ac-
cords arbitraux sont en mesure, le cas
échéant, d'offrir leurs bons offices, l'une,
-l'Angleterre, parce qu'elle est l'alliée du
Japon, l'autre, la France, parce qu'elle est
l'alliée de la Russie ; il s'ensuit que ledébat,
fût-il arrivé à l'état le plus aigu, a encore
bien des chances d'aboutir à un règlement
amiable, c'est pourquoi nous serions assez
surpris pour notre part, si la querelle tour-
nait au conflit sanglant.
Ainsi, de jour en jour, on s'habitue à
considérer la guerre comme l'extrémité la
plus fâcheuse à laquelle on se puisse ré-
soudre; on prend 1 habitude d'une procé-
dure dilatoire qui permet à toutes les expli-
cations de se présenter, à toutes les com-
binaisons de se laisser étudier. En atten-
dant, on vit en paix.
Et quand la paix aura duré .encore un
certain nombre d'années, il apparaîtra
clairement à tous que ce serait un crime
de la rompre. — Ch. B.
- « ■ ■ "■■■ .■!—m.i ————i—
L'OFFICIER DANS LA NATION
Tel est le titre, absolument justifié, d'une
très intéressante brochure (1) que l'on vient
de me communiquer et qui contient une con-
férence faite par le commandant E. Coste aux
officiers de la garnison de Bayonne.
Tout de suite, sans ambages ni réticences,
je m'empresse de dire que je voudrais voir
cette brochure entre les mains de tous les of-
ficiers français, et je suis sûr que vous allez
être dé mon avis après avoir parcouru les trop
courts extraits que je vais détacher de cette
conférence.
Tout d'abord, la commandant Coste prouve
qu'il n'y a pas antinomie entre la démocratie
et l'armée.
On a voulu démontrer, dit-il, qu'il y a opposi-
tion irréductible, antinomie fatale entra la démo-
cratie et l'armée.
-1 Nous sommes d'un avis tout différent, et nous
l'expliquerons mieux plus loin. Mais, si rien n'est
plus faux, suivant nous, que d'opposer l'esprit mi-
litaire à l'esprit démocratique il no serait pas
vrai non plus de prétendre que l'armée soit im-
muable, qu'elle ne soit pas soumise, elle aussi,
aux lois de l'évolution et qu'une démocratie n'ait
pas, comme une monarchie, le droit et la devoir
de se constituer un appareil militaire en rapport
et en harmonie avec ses principes, ses besoins et
ses mæurs.
C'est sobre, mais complet.
Enfin, aujourd'hui que l'armée est la nation
même.
Il n'y a plus d'honneur militaire ; il n'y a
plus que l'honneur du pays; * partant plus de
guerres de conquêtes ou da dynastie.
Et la France peut enfin marcher dans la voie du
progrès, sans risquer d'accrocher, de déchirer sa
robe aux pointes de ses éperons, de glisser, do
trébucher dans le sang do campagnes nouvelles !
'Et l'armée, loin d'être une cause do guerre, est
devenue une véritable garantie de paix, et comme
le foyer où viennent se retremper les qualités vi-
riles de la race.
On ne saurait dire mieux des choses plus
justes. Mais, dans cette transformation, quel
doit être le rôle des officiers ?
Serviteurs de la loi, nous n'avons plus, comme
nos ainés, le privilège de défendre seuls le pays;
mais nous gardons l'honneur de rester à la tête do
ses enfants, pour diriger leurs bras au jour du
danger. Et, ce jour-là, nous ne serons pas suivis
par quelques mercenaires, chair à canon payée
,d'avance et ne valant pas plus que son prix : c'est
la France entière que nous aurons, groupée der-
rière nous, pour fa défense de ses intérêts, da ses
droits, de sa liberté!
L'armée, aujourd'hui, est simplement .la na-
tion appelée pour un certain temps à apprendre
le métier militaire. Elle ne peut avoir d'autre es-
prit que le peuple, puisqu'elle est le peuple lui-
même.
C'est assez dire que les officiers, les chefs de
cette armée doivent être, avant tous autres, pé-
nétrés d'un esprit sincèrement, loyalement démo-
cratique.
Le commandant Coste examine ensuite « l'es-
prit militaire et l'esprit démocratique ». Sa
pensée est résumée dans les lignes suivantes :
Une armée est d'autant plus solide, physique
mimtet moralement, d'autant plus capable d'ef-
forts et de sacrifices, qu'elle est plus nationale.
L'exemple du Bas-Empire est là pour le prou-
ver. L'Empire romain tomba, non pas parce quo
son armée fut faible, mais parce qu'elle formait
un corps à part dans la nation dont elle avait la
garde.
Le peuple a besoin d'un idéal.
Il no s'agit plus et, en tout cas, il ne nous ap-
partiendrait pas, à nous officiers, de restaurer
l'idéal religieux. Créons l'idéal patriotique.
Le paragraphe ayant trait au « soldat mo-
derne » serait à citer en entier. Le comman-
dant Coste réprouve la défiance contra ceux
qu'on a appelés « les intellectuels » et il mon-
tre avec éloquence que l'esprit militaire peut
I.rès bien s'allier à la conception moderne du
devoir humain. -
Puis, il passe en revue, c'est le cas de le
dire, les trois mots: liberté, égalité, fraternité,
« inscrits à la porte d'entrée des casernes et
qui sont comme les trois couleurs de notre
patrimoine national ».
Pour les officiers, pour les soldats, la liberté
s'appelle initiative. L'esprit critique « qu'on
ne peut plus chasser de l'âme moderne et n'est
pas forcément ennemi de toute discipline, sera
le stimulant de nos méthodes, do nos énergies
intellectuelles ». Seuls « les principes essen-
tiels sur lesquels repose la discipline restent
plus que jamais hors de toute discussion ».
Quelle qu'elle soit, la loi doit rester la loi pour
tous, pour les soldats avant tous autres et pour
nous, chefs de ces soldats, avant ces soldats en-
core.
Toute doctrine contraire ne saurait être tolérée.
L'armée est et doit rester une grande école
d'égalité, car « pour commander à d'autres
hommes, il faut se montrer, d'abord, capable
de les aimer, être, par conséquent, pénétré de
l'esprit d'égalité, d'où dérive celui do frater-
nité ».
On ne doit admettre aujourd'hui, dans l'armée,
d'autre supériorité que celle de l'intelligence, du
travail, des services rendus.
Je m'en voudrais de ne pas citer encore ces
déclarations : a, -
L'épaulette de laine ne doit pasli 3er moins
que l'épaulette d'or dans la balance f la justice
militaire.
Dans une armée démocratique, la discipline est,
par principe, égale pour tous. L'égalité des droits
entraîne celle des devoirs. Or, qui dit devoir dit
discipline.
La partie la plus importante, et je n'hésite
pas à écrire la plus émouvante, est celle qui
concerne la fraternité. Après l'avoir lue, on
ne peut s'empêcher de s'écrier : « Quel brave
homme, ce commandant 1 Si tous les offi-
ciers lui ressemblaient. ». Que dites-vous,
par exemple, de ces passages :
N^us ne saurions trop nous mêler à nos
hommes, nous montrer pour eux des camarades,
presque des amis, quand nous n'avons pas besoin
d'être leurs chef&.
Puisque la bonté reste le principal moyen de
commandement, la camaraderie n'en est-elle pas
la forme naturelle ?
Les liens de sympathie, de confiance, qui doi-
vent unir, en campagne, les hommes soumis aux
mêmes fatigues, exposés aux mêmes dangers, ri-
vés au même grand devoir, il importe d'autant
plus de les nouer, dès le temps de paix, que la
(1) L'Officier dans la nation, par Em. Coste,
chef de bataillon breveté d'état-major au 49e d'in-
fanterie, édité par Charles-Lavauzelle, éditeur mi-
litaire, 118 boulevard Saint-Germain, Paris,
Nuree du service militaire devient forcément plut
courte.
Le soldat français est un instrument merveil-
leux de souplesse, de résistance et d'entrain, a
"condition de se l'attacher. Et il s'attache sans ré-
serve, d'esprit et de cœur, au chef qui sait le com-
prendre, le traiter avec bonté, avec justice sur-
tout, qui, en un mot, sait l'aimer.
Rappelons-nous cette parole de Desaix qui
résume toute la psychologie militaire : « Je bat-
trai l'ennemi tant que je serai aimé de mes sol-
dats. »
C'est dans leurs qualités de cœur, dans l'affec-
Jtion profonde que les généraux de la première
République inspirèrent à leur troupe, plus encore
que dans leur valeur intellectuelle et leur capacité
tactique, qu'il faut en effet chercher le seerex de
leurs victoires.
Que de difficultés seraient aplanies, d'amer-
tumes évitées, d'angoisses épargnées, si les
commandants Coste étaient légion dans l'ar-
mée !
C'est, dans tous les c.*>s, en cette fin d'année,
un souhait que l'on peut formuler avec l'ar-
.dent désir de le voir bientôt se réaliser.
Quelles étronnes pour l'armée — pour nos
fils — si tous les officiers étaient subitement
métamorphosés en commandants Coste !
G. DE VORNEY.
—————————— -
CES MESSIEURS
Tandis que mêlés dans la foule qui va eha-
que soir écouter le Retour de Jérusalem au
Gymnase, quelques cléricaux retonr do Rome,
et quelques nationalistes retour de Saint Sé-
bastien, font le bruyant étalage de leurs hai-
nes stupides etsa donnent eux-mêmes en spec-
tacle au public qu'ils fatiguent ; le peuple
,bruxellois applaudit la jolie pièce de Georges
Ancey : Ces Messieurs.
C'est du Nord aujourd'hui que nous vient la
lumière, c'est dans une monarchie voisine
que la République françaisa doit chercher
l'exemple de la tolérance et de h liberté d'é-
crire. L'impitoyable censure a interdit la re-
présentation à Paris de Ces Messieurs parce
que cette comédie, suivant de trop près la
réalité, étalait les vices et dévoilait les agisse-
ments louches do certains prêtres.
Et ce que la République française ne toléra
point, la monarchie belge l'autorisa. La pièce
de M. Georges Ancey, formellement repoussée
de la scène parisienne par Anastasie impitoya-
blement jésuite, trouva un accueil hospitalier
au théâtre Molière de Bruxelles.
Tartufes d'hier, Tartufes d'aujourd'hui, Tar-
tufes de toujours, assez puissants, malgré votre
apparente faiblesse, pour persécuter encore,
un siècle après la grande Révolution, ceux qui
ont le courago de penser juste et d'écrire vrai.
vous avez une fois de plus triomphé et imposé
votre volonté aux pouvoirs publics!
Il reste aux républicains socialistes militants
qui ne peuvent aller applaudir au théâtre la
magistrale satire des vices de la soutane, le
devoir de la lire et de la faire connaître au-
tour d'eux. Que dans les Universités populai-
res, dans les cercles d'études sociales où le
peuple est chez lui, on en fasse des lectures,
on la commente et au besoin on la joue. Les
ciseaux de dame Censure auront ainsi coupé
dans le vide une fois déplus, et la belle œuvre
de Georges Ancey ne demeurera pas inconnue
de par la volonté des prêtres. - Charles
Darcy.
■
ENCORE UN CITOYEN CORBILLARD"
DANS LA PRESSE ALLEMANDE
Plusieurs journaux allemands cherchent de
nouveau à s'égayer sur la fameuse « ignoranee
française ». L'occasion leur est fournie par une
dépêche du Rappel qui annonçait que les au-
torités militaires allemandes avaient l'inten-
tion do nommer soldats do deuxième classe
ceux des députés socialistes du Reichstag qui
occupent un grade dans l'armée. Seulement,
nos confrères omniscients d'Outre - Rhin
jouent de malheur. Nous désignions, entre
autres, M. Gradnauer comme adjudant de la
territoriale. Voilà qu'ils traduisent : adjutant,
etse demandent ce que cela peut être.
Ils ignorent donc que notre adjudant est ce
qu'on appelle en Allemagne un Fcldwebel, tan-
dis que l'Adjutant dans l'armée allemande est
un aide de camp, ni plus, ni moins.
Ils ne se rendent pas compte non plus de ce
qu'est un « soldat de deuxième classe n. En AI-
lemagne, c'est le Gerneiner, ce qui veut dire :
.manant ou vilain. Comme, dans l'armée fran-
.çaise, il n'est pas admis d'employer officielle-
ment à l'égard de qui que ce soit un terme de
.mépris, on a adopté l'euphémisme de « soldat
de deuxième classe».
Avant d'essayer de lourdes plaisanteries sur
la « prétendue fgnorance française » nos ai-.
mables confrères devraient prendre la précau-
tion de ne pas augmenter le nombre des « ci-
toyens Corbillard » qui, l'air grave, marchent
à la tête d'un cortège funéraire.
:' ———————————— ————————————
UNE POÉSIE DE JULES LEMAITRE
La Revue Idéaliste, pour fêter ses noces
d'argent, a fait paraître un numéro spécial
auquel ont collaboré plus de soixante écri-
vains.
Dans ce nombre, il convient de noter sept
cardinaux et dix membres de l'Institut. Les
sept princes de l'Eglise ont pris la peine de
formuler chacun une interprétation de la pre-
mière encyclique de Pie X. Nous ferons grâce
à nos lecteurs de cette éminente littérature. De
la prose et des vers sous la signature de René
Bazin, Théodore Botrel, Jules Claretie, Jacques
.Normand, François Coppée, Paul Gaulot, Ju-
les Lemaitre, etc., etc.; il y en a pour tous les
goûts, et, comme on glapit sur les boulevards
présentement : dans tous les genres et tous les
modèles.
Jules Lemaître a consacré un poème en vers
monosyllabiques, .4 sa Chatte ;
Ma
Chatte,
Ta
Patte 1
Moi
T'aime,
Bois
Crême
Ou
Mange
Mou,
Ange!
On peut penser ce qu'on voudra de cette lit-
térature; au moins quand l'honorable acadé-
micien taquine la muse, il ne songe pas à
prêcher la guerre sainte du Nord contre le
Midi ; de la Neustrie contre l'Aquitaine,.
Et je ne trouve pas cela si ridicule.
LA POLITIQUE ECONOMIQUE ANGLAISE
Londres, 26 décembre.
Le Daily Mail avait institué au mois de sep-
tembre dernier une sorte de referendum parmi
ses lecteurs sur la question fiscale.
11 donne aujourd'hui les résultats que
voici :
Pour les représailles (politique de M. Bal-
four), 238,000 voix; pour les tarifs préféren-
tiels (politique de M. Chamberlain), 141,000
voix ; pQiiï te li4(içbaDge, 166,000 voix.
L'ÉCOLE BRAILLE
CHEZ LES AVEUGLES DE ST-MANDÊ
Une institution méconnue. — L'œuvre
de Louis Braille. — L'Institut dé-
partemental des aveugles.—Une
œuvre républicaine. — Salles
d'études et ateliers.—Les
métiers des aveugles.
Au moment où l'on vient de laïciser les
Quinze-Vingts,ii est intéressant de parler d'une
certains oeuvrè, éminemment républicaine
puisque ce sont les plus grands champions de
la République qui ont aidé à son éclosion et
qui l'ont ensuite patronnée.
Les Parisiens qui, l'été, en quête de grand
air et de verdure, vont faire un repas cham-
pêtre sur les pelouses hospitalières du bois de
Vincennes ou qui l'hiver, bravant la bise, dé-
crivent de gracieuses arabesques sur le lac
Daumesnil, ne se doutent pas que ce faisant
ils passent, indillérsnts peut-être, devant un
de nos établissements hospitaliers les plus in-
téressants, l'école Braille. 11 est vrai que n'en -
tre pas qui veut dans cette école modèle, pro-
fessionnelle par excellence; aussi pour la vi-
siter faut-il se munir d'une autorisation spé-
ciale délivrée par la direction des affaires dé-
partementales. Ayant facilement obtenu cette
autorisation, j'ai pu, la semaine dernière, vi-
vre quelques heures au milieu des emmurés,
de ces infortunés atteints de la plus terrible
infirmité, qui de naissance, qui accidentelle-
ment, par la faute d'une mère toujours prête
à écouter les conseils de commères et hésitant
souvent à conduire l'enfant dont les paupières
rougissent et les petits yeux pleurent à
l'homme de l'art qui seul peut arrêter l'enva-
hissement de l'éternelle nuit. Insouciance
souvent, cupidité parfois, les deux fautes réu-
nies quelquefois.
La train qui part de la Bastill9 vous amène
rapidement à Saint Mandé. Située à l'entrée du
bois de Vincennes, l'école réunit toutes les
conditions que les fondateurs ont pu désirer
pour la réalisation de cette grande œuvre hu-
manitaire.
La Maison des Aveugles
Cette école, que l'on peut appeler « la Mai-
son des Aveugles », a été fondée par la Société
d'assistance aux Aveugles. Deux hommes de
cœur donnèrent tout leur temps et consacrè-
rent toute leur intelligence aux emmurés : ce
furent HaÜy, dont on vient, un peu tard, il est
vrai, d'honorer la mémoire en lui élevant un
monument à Saint Justin Chaussée, et Louis
Braille. L'école fut donc placée sous l'égide de
Braille, cela pour rendre hommage à celui qui
fut aux aveugles ce que fut l'abbé de l'Epée
aux sourds-muets ; et l'on peut affirmer que la
mémoire de l'un et de l'autre n'est pas entou-
rée de moins de vénération par les infirmes
qu'ils ont secourus. Braille était originaire
d'un petit village de Seine et Marne, Coup-
vray, où un monument lui a été érigé par les
aveugles reconnaissants. Son père était bour-
relier 4 à l'âge de trois ans, jouant dans l'ate-
lier paternel, il se creva un œil avec un tran-
chct. L'inflammation gagna l'œil sain. et à
cinq ans Braille était aveugle. Il entra à l'In-
stitut, où il se voua à l'instruction des pen-
sionnaires et au soulagement de ses frères en
infortune. Ce fut lui qui les dota du fameux
alphabet adopté dans tout l'univers.
L'Ecole Braille fut créée pour faire de l'aveu-
gle indigent, valide, un être utile à la société,
ne devant sa subsistance qu'à lui-même ; elle
a été un des rameaux de la grande œuvre d'as-
sistance par le travail qui relève l'homme à
ses propres yeux : elle fut créée pour instruire
l'aveugle, l'armer pour la lutte do la vie, en
lui donnant selon ses aptitudes un métier ma-
nuel qui lui permette de s'affranchir et d'être
vraiment libre, qui lui permette d'éviter les
exploiteurs pour qui toute infirmité, toute tare
individuelle, est une source de bénéfices. Cette
institution vint combler une lacune dans les
rouages de la machine sociale en offrant à
l'aveugle le moyen d'assurer son existence
sans recourir à la mendicité. -
Les diverses étapes de l'école
L'école Braille fut ouverte en 1883. à Mai-
sons-Alfort, par M. Péphau, qui avait su inté-
resser à sa cause l'opinion publique pour cette
œuvre d'assistance scolaire. Deux élèves seu-
lement fréquentaient l'école à cette époque. M.
Péphau fut encouragé dans son entreprise par
les républicains de l'heure ; Gambetta, Lepère,
Victor Hugo, lui adressèrent des paroles d'en-
couragement et des félicitations. Notre grand
poète national lui adressait en 1884 ces quel-
ques mots, qui exprimaient tout son enthou-
siasme pour une œuvre d'un but aussi élevé :
« Vous avez fondé une institution pour les
aveugles. Je ne puis vous dire à quel point
m'émeut la réalisation de cette pensée. Je
vous envoie ce que j'ai de meilleur dans le
cœur. »
Cette école fut bientôt transportée à Paris,
152, rue de Bagnolet, afin d'y abriter les pupil-
les que lui confiaient la Ville de Paris et le
département de la Seine. L'établissement do
la rue de Bagnolet fut bientôt reconnu insuffi-
sant et un fait se produisit alors pour le plus
grand profit de l'œuvre qui toujours crois-
sante fut installée à Saint-Mandé où le Con-
seil général de la Seine, comprenant l'utilité
d'une pareille institution, prit entièrement à sa
charge les frais d'entretien et d'éducation des
pupilles aveugles et fonda une véritable école
professionnelle où l'aveugle fut armé pour la
lutte en trouvant les moyens de gagner sa vie
tout comme les clairvoyants. Nous avions été
précédés dans cette entreprise par les congré-
ganistes qui dès 1831 avaient fondé à Paris une
maison des sœurs aveugles destinée à recueil-
lir les infirmes. Mais, si en regard de ces œu-
vres, nous plaçons celles dues à l'initiative des
laïques, nous voyons immédiatement la sapé-
riorité de ces dernières. Or, l'école Braille est
une œuvre laïque.
L'institut départemental des aveugles
- Fondée en 1883, cette école remporta succès
sur succès, les locaux devenus insuffisants
furent agrandis, les parcelles de terrain s'ajou-
tèrent au noyau et les constructions couvrirent
rapidement une surface de 10,000 mètres carrés.
Située rue Mongenot, à Saint-Mandé. dans
les anciens locaux de l'institut Ancelin, l'insti-
tut départemental occupe un vaste quadrila-
tère. Une large grille donne accès dans la cour
d'honneur où, immédiatement sur le bâtiment
de façade, se détache un superbe bas-relief de
Daniel Dupuis symbolisant la Société d'assis-
tance aux aveugles repoussant la mendicité et
protégeant le travail.
Dans ces bâtiments sont installés les classes
d'étude et les appartements du personnel ; les
bâtiments d'aile comprennent les apparte-
ments de la direction, la catese et le contrôle.
Une vaste ceur sépare les classes d'études des
ateliers ; c'est dans cette cour que filles et gar-
çons prennent leurs récréations, si utiles à
l'aveugle qui est d'un naturel mélancolique ;
c'est à l'ombre des grands arbres qu'ils font
les exercices de gymnastique qui déveleppënt
si heureusement les muscles des grands et sur-
tout des petits, lesquels arrivent à l'Institut
dans un état de grande débilité. Chez l'aveu-
gle le muscle n'existe pas. S'il est issu d'une
famille pauvre, on a peut-être utilisé sa cécité
pour exciter la sompassion des passants;
c'est un ctre qui, môme adolescent, a les
mombros grêles d'un enfant ; s'il provient
d'un milieu aisé, ie polit infirme a été dorloté,
choyé, s'est anémié et n'a v6cu que grâce aux
soins constants dont il a éié culouré. Il im-
porte donc do.r:uditw à cet état do débilité
en lui faisant fairo des exercices d'fissouplis-
sement, de canne, de boxe qui redressent lo
corps et façonnent les muscles.
L'école possède des dortoirs spéciaux et bien
aérés, une cuisine et un réfectoire à rendre ja-
loux les Invalides et une superbe saile de spec-
tacle où fréquemment se donnent des concerta
et où ont lieu les distributions des prix. Cetta
salle a. été décoréo gracieusement par un ar-
tiste de talent, M. Le Camus.
Les salles d'études
Guidé par lo directeur de l'école, je pénètra
d'abord dans les salles d'études. « Bon jour,
mes enfants. » - (( Bonjour, Monsieur le Di-
recteur » répondent en choeur, garçons et fil-
lettes. «Qu'est-ce qui sait bien sa géographie ?»
et tous de tourner vers nous leurs grands yeux
blancs, sans vie, et de suivre tous nos mouve-
ments malgré l'éternelle nuit qui les environne.
Un jeune élève désigné par le Directeur quitte
sa place et vient se ranger le iong du mur oa,
sont fixées des cartes en relief de France et
d'Europe: cartes des canaux, des chemins da-
fer, des départements, carte hydrographique,
etc. Le système de ces cartes est des plus ingé-
nieux. Elles sont faites de morceaux de lino-
leum découpés et collés sur une planche. Des
bandes étroites de cuir forment les limites des
provinces, d'autres plus minces celles des dé-
partements, et l'aveugle, qui a un toucher
merveilleux; reconnaît exactement le contour
de tous les départements. Sur la carte hydro-!
graphique, les fleuves sont indiqués par un
gros fil de laiton, les rivières par un autre plus
fin et les canaux par un filigrane.
Le point de départ pour un voyage à effec-
tuer sur la carte, est toujours Paris représenta
par une grosse boule de cuivre, les préfectu-
res le sont par un clou de tapissier et les sous-
préfectures par un clou de petite dimension.
Une ficelle partant de Paris et munie de nœuds
de distance en distance leur permet d'appré-
cier l'éloignemcnt des différentes villes a l'.é -
chelle indiquée. La lecture du globe terrestrs,
leur est tout aussi facile, ils se guident de lit
même façon en lisant sur le plan de Paris
dont la confection est due à une maîtresse de
l'Institut. Sur ce plan les limites d'arrondisse-
ment indiquées parune bande de cuir',lcs égli-
ses, les mairies, les hospices sont représentés
par des clous spéciaux, les jardins et squares
par un morceau de drap et les cimetières par
un morceau de velours, les fortifications por-
tent le détail des bastions, des courtines et des
portes qui donnent accès en banlieue.
L'étude de l'arithmétique est facilitée égale-
ment pa: un appareil très ingénieux consis-
tant en une grille munie de cavités destinées à
recevoir des cubes de plomb portant sur leurs
6 faces soit des chiffres, soit des signes. L'élève
a à sa disposition plusieurs séries de ces cu-
bes et fait facilement tous les exercices d'arith-
métique, depuis l'addition jusqu'à la racina
carrée. Chaque classe possède un piano qui
vient compléter les études et tient lieu de dis-
traction. Il est à noter que l'aveugle a une
grande disposition pour la musique et que jus-
qu'à présent, on s'était attaché à lui donnée
uniquement ce métier comme gagne-pain. La
fondation de M. Péphau, en créant d'autres
professions, a été une véritable révolution qui
a permis de sortir l'aveugle de l'état d'abandon
et d'isolement où il était laissé, et de montrer
une sollicitude toute particulière à ces enfants
qui y ont d'autant plus droit qu'ils sont at-
teints par une infortune imméritée.
Les périodes d'éducation : les 3 cycles
d'instruction
L'instruction des aveugles (le l'Ecole Brailla
peut se diviser on 3 cycles : dans le 1er, de 3 à
13 ans, uniquement destiné aux classes aveo
quelques heures d'apprentissage, l'on. com-
mence à voir les aptitudes du futur ouvrier;
dans le 2e cycle, de 13 à 21 ans, ils sont ap-
prentis et ont 1 heure d'étude tous les jours;
enfin dans le 3" cycle sont tous les majeurs,
ils sont promus ouvriers et alors ne couchent
plus en dortoirs. Un immeuble est annexé à
l'établissement où les majeurs possèdent una
chambre. Ils peuvent sa marier et dans ce cas
sont libres de prendre leurs repas au dehors.
Il est inutile d'ajouter que les mariages entra
aveugles sont peu fréquents, les personnes en-
tourant ces infirmes leur faisant comprendra
combien il serait fâcheux qu'ils donnent nais-
sance à des enfants atteints de leur mal et la
plupart se rangeant à cet avis donné tout pater-
nellement.
L'aveugle a plusieurs métiers à sa disposi-
tion; il peut être vannier, brossier, il peut
confectionner des paillassons, faire des balais,
canner ou rempailler des chaises ; la femme
exerce les mêmes métiers que l'homme et en
plus, confectionne des couronnes. Chaque ate-
lier est dirigé par un chef d'atelier, un clai r-
voyant qui règle et distribue l'ouvrage ; l'a-
veugle tient lui-même sa comptabilité sur une
fiche spéciale, car il est très confiant mais
aussi très méfiant et il importe de ne .iamais
le tromper.
Des outils spéciaux ont été conîeetionnés
pour les brossiers afin d'éviter qu'ils se cou-
pent les doigts en ébarbant les brossas. Soit à
faire du canage, de la brosserie ou de la spar-
terie, l'aveugle gagne en moyenne 2 fr. 50 par
jour dont une parte revient à l'administration
pour la pension de retraite et ie reste à lui-
même afin qu'il se constitue un pécule.
L'aveugle, entré à 3 ans à l'école Braille,
peut y rester jusqu'à sa dernière heure, s'il lo
désire. Actuellement, l'école n'ayant que Li
ans d'existence n'a qu'un personnel relative-
ment jeune; le plus ancien ouvrier a 31 ans
et est employé à la vannerie, mais les jeunes
enfants entrés maintenant pourront, devenus
majeurs, rester à l'établissement jusqu'à ca
que leurs membres fatigués refusent le travail.
A ce moment, les 5 OjO qu'ils auront versés
ajoutés aux 5 0[0 versés par la Ville de Paris
suffiront à leur assurer une pension pour
leurs vieux jours.
LCOUlemant des prJduits
L'institu. départemental est un de ceux qui
produit le plus; il confectionne dans ses di-
vers ateliers pour plus 200,000 fr. de marchan-
dises par an et un des plus grands soucis de
l'administration est l'écoulement des produits,
Les Halles, le Bon Marché, le Louvre et la Sa-
maritaine achètent les balais, les brosses, les
paniers, les couronnes confectionnées à Saint-
Mandé, les grandes administrations publi-
ques, la Ville de Paris, fournissent le travail à
l'atelier de canage et de rempaillage, mais on
ne saurait trop demander aux industriels et je
ne fais en ceci que d'exprimer le désir du di-
recteur de l'établissement, de bien vouloir à
prix égal donner la préférence à l'Ecole des ;
aveugles.
Nous sommes donc arrivés à réaliser la
vaste projet conçu il y a 15 ans, qui con-
sistait à donner à l'aveugle un métier qui l'af-
franchisse et lui permette d'alléger son sort.
Jusqu'alors on s'était attaché à faire embrasser <
à..l'aveugle une seule carrière, la carrière mu-
sicale que l'on considérait comme sa seule
planche de salut.
L'œuvre de l'école Braille étend donc ses---
bienfaits à tous les déshérités et le conseil gé*
Lae Numéro CINQ CENTIMES
- --- ---._---
ANNONCES
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m chez MM. LAGRANGE, CERF et 0".
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De 4 à 8 heures du soir et de 10 heures du soir à t heure du matin
Ne 12344. — Lundi 28 Décembre 1903
6 NIVOSE AN 112
ADMINISTRATION : f I, rue du Mail
Adresser lettres et mandats à l' JIll nimstraleur
- NOS LEADERS
ë"JlJ;' .:
L mnvi in
Avez-vous lu avec une attention suf-
fisante le compte rendu des débats
qui viennent d'avoir lieu devant la
cour d'assises de Châteauroux? La
question soulevée est assez grave pour
que ce soit le devoir de tous de s'y
intéresser.
Cette affaire — une très vulgaire af-
faire d'infanticide — a montré une fois
de plus de combien peu de garanties
sst entourée la liberté individuelle en
France.
On répète en souriant ce mot vieux
de plus d'un siècle : « Si on m'accusait
d'avoir dérobé les Tours de Notre-
Dame, je commencerais par fuir. »
Etes-vous sûrs que ce mot ne corres-
ponde pas encore à la réalité des cho-
ses? Etes-vous sûrs que, depuis le
jour où a été mise en circulation cette
boutade historique, l'idée de justice ait
fait de bien réels et de bien considé-
rables progrès ?
Sans doute, il y a, maintenant, les
« bons juges »; et le nombre s'en ac-
croît rapidement, rien n'étant conta-
gieux comme le bon exemple ; et aux
noms, justement populaires, de M.
Magnaud et de M. Seré de Rivières,
viennent s'ajouter déjà les noms de M.
Devillebichot, de M. Lagrésille ; ceux-
là, ces juges-là, comprennent qu'il
faut mettre de l'humanité dans la jus-
tice ; leur conscience se trouble et
frissonne à l'idée d'une erreur possi-
ble ; ils songent à la part de responsa-
bilité qui incombe à la.société mal
faite; et, comme le vieux juré de
Résurrection, symboliquement sourd,
ils disent, émus profondément au spec-
tacle des détresses humaines, qu' « il
vaut mieux pardonner ». Ceux-là sont
l'honneur de la magistrature; ils mon-
trent ce que sera la justice de demain,
pitoyable aux faibles, secourable, toutp
imprégnée du sentiment de cette so-
lidarité qui unit étroitement tous les
hommes et fait que la société tout
entière souffre de la faute d'un seul.
- Mais il y a aussi les mauvais juges ;
ou bien ceux qui, impassibles gardiens
des traditions,s'imaginent stupidement
qu'ils sont là, sur leurs sièges, pour
condamner toujours, et qu'ils s'acquit-
tent vraiment de leurs devoirs en con-
damnant toujours, inexorablement; ou
bien les « arri vis tes », sceptiques égoïs-
tes qui ne songent qu'à s'assurer un
avancement rapide en obtenant le plus
possible de condamnations à effet.
Dans une comédie d'Edmond About,
il y a un procureur de- province qui
s'écrie : — Le plus beau jour de ma
vie sera celui où le jury m'accordera,
sans preuves matérielles, la tête d'un
accusé défendu par deux gloires du
barreau de Paris ! » Puissiez-vous,
c'est le bonheur que je vous souhaite,
ne jamais tomber entre les griffes d'un
de ces malfaiteurs-là qui, embusqués
derrière le Code, guettent les proies
qui passent.
Ne croyez pas que votre innocence
puisse, le cas échéant, vous -sauver.
Pour les juges de cette espèce, tout le
monde est présumé coupable.
Comme cet antiquaire* de Labiche
qui disait, en reniflant : « Ça sent le
romain, ici », ils disent, quœrens
quem devorct et retroussant les babi-
nes : — Ça sent le coupable !. — par-
tout où ils sont. Mais eux, ils ne sont
pas seulement grotesques, ils sont ter-
ribles aussi.
Prenez garde ! votre réputation, vo-
tre honneur, votre liberté, votre vie
sont entre leurs mains, à la merci de
leur caprice.
L'affaire Loizement, toute récente, a
montré le mal que peuvent faire ces
monomanes de la culpabilité, aussi
dangereux, certes, pour les honnêtes
gens que les escarpes qui rôdent, su-
rin au poing, le long des rues noires.
Et l'affaire dont vient d'avoir à s'occu-
per la cour d'assises de l'Indre — je
me trompe : dont elle a refusé de s'oc-
cuper, n'est pas moins scandaleuse.
Je rappelle brièvement les faits :
a ***
A Châteauroux, en mai dernier, on
arrête une jeune bonne coupable d'in-
fanticide. Elle avoue le crime, dé-
clare n'avoir pas eu de complice, re-
fuse de dire quel peut être le père de
l'enfant. Le sait-elle, d'abord, elle-
même ? Il semble bien que ce soit une
rouleuse, créature peu digne d'inté-
rêt ; il n'importe.
Le juge chargé d'instruire l'affaire
s'est mis dans la tête que le père pour-
rait bien être M. Grizolles, chez qui
la malheureuse était en service. De là
il accuser M. Grizolles de complicité
dans l'infanticide, il n'y a qu'un pas ,
vite franchi ; le cerveau de ces magis-
trats en quête d'affaires à effet va ra-
pidement en besogne.
M. Grizolles, commissaire-priseur,
màrié, est honorablement connu dans
la ville; tout devrait empêcher que les
soupçons se portassent sur lui; mais-
la domestique, après s'être longtemps
renfermé dans le mutisme, finit —
peut-être suggestionnée par le juge;
quel « peut-être » ! — par accuser
M. Grizolles. Et aussitôt, tressaillant
de joie, le juge fait arrêter M. Gri-
zolles.
Oui, cet honorable citoyen, sur la
foi d'une fille qui a peut-être vu là
un moyen d'essayer de se tirer d'af-
faire, a été arrêté, incarcéré.
En vérité, ni vous ni moi, monsieur,
ne sommes assurés de coucher dans
notre lit ce soir. Qui sait si, .au mo-
ment où nous sommes là bien tran-
quilles, la conscience nette, un gredin
quelconque n'est pas, dans le cabinet
d'un magistrat également quelconque,
en train de vous accuser de n'importe
quel crime? Quoi? n'a-t-on pas frappé
à votre porte? Tremblez! c'est Deut-
être les gendarmes. Vous vous indi-
gnez, vous vous révoltez : — Je n'ai
rien fait! Je suis innocent! — En pri-I
son, d'abord! en prison, tout de suite,
on s'expliquera plus tard. Nous en
sommes là, plus de cent ans après
l'abolition des lettres de cachet.
On s'est expliqué plus tard avec M.
Grizolles. Une expertise chimique, à
propos de certaines taches sur lesquel-
les l'accusation avait échafaudé on ne
sait quel absurde roman, tourna en
faveur de l'accusé. La domestique,
sollicitée d'indiquer un détail particu-
lier qui pût prouver l'intimité de ses
relations avec son ancien maître, avait
raconté la première histoire venue;
l'examen médical auquel M. Grizolles
fut obligé de se soumettre prouva que
la fille avait menti. Enfin, confron-
tée avec lui, elle avoua la fausseté
des accusations qu'elle avait portées.
M. Grizolles avait été incarcéré le 11
juin; le 6 juillet, on le remit en li-
berté.
***
Que vous semble de cette anecdote?
Attendez; nous ne sommes pas au bout.
La domestique comparaissant devant
le jury, M. Grizolles a voulu se porter
partie civile, établir péremptoirement
son innocence. Il était représenté par
M° Henri Coulon. Et qui, mieux que
l'éminent président de la Ligue pour
la défense de la liberté individuelle,
eût été qualifié pour porter la parole
au nom de cet innocent victime d'un
monstrueux abus du pouvoir?
Mais cette parole lui a été refusée. Le
.président de la cour d'assises, digne
émule de ce Delegorgue de sinistre
mémoire, n'a pas voulu que la ques-
tion fut posée. L'admirable avocat a
lutté avec tout son talent, avec tout
son esprit, avec toute son éloquence
faite de passion sincère et ardente pour
les justes causes, contre cette volonté
d'opposer un flagrant déni de justice
aux légitimes revendications de cet
accuse qui, fort de son innocence, ré-
clamait le droit d'accuser à son tour.
Il n'a pu empêcher que l'arrêt de la
cour interdit à M. Grizolles de se porter
partie civile.
Vous le voyez : le scandale est com-
plet. Silence aux innocents!
Voilà un homme à qui l'atteinte la
plus grave a été portée dans ses inté-
rêts, dans son honneur, et à qui tout
moyen est refusé de prouver qu'il a
été victime d'une épouvantable erreur
— nous disons : erreur, pour être poli.
Au moins, que l'enseignement que
comportent de pareils faits ne soit
point perdu. Il faut que des aventu-
res de ce genre nous rapprochent de
la réforme tant attsndue de la magis-
trature et du code d'instruction crimi-
nelle. -
Quoi ! nulle compensation! nulle ré-
paration pour ce malheureux si indi-
gnement traité ! Quoi ! nul châtiment
pour le magistrat qui s'est fait le com-
plice de la menteuse! Quoi ! ce ma-
gistrat va continuer de faire son mé-
tier, de tenir entre ses mains la ré pu- ;
tation et la liberté de ceux qu'on ap-
pelle « les justiciables»! Est-ce que
cela est tolérable? N'y a-t-il pas là,
j'y insiste, une menace suspendue sur
toutes les têtes?
Croyez-le : tant que les juges d'ins-
truction jouiront du pouvoir discré-
tionnaire, absolu, dont ils abusent, il
n'y aura pas de sécurité en France
pour les honnêtes gens.
Lucien Victor-Meunier
1 UNE IDÉE EN MARCHE
Après le traité d'arbitrage
franco-anglais, voici le traité
d'arbitrage franco-italien; d'au-
tres suivront, n'en doutez pas ;
les peuples sont de plus en plus
disposés à se grouper selon les
lois des affinités naturelles, et cela nous
mènera, plus ou moins lentement, mais
sûrement, à une fédération générale des
:nations de notre continent. Les Anglais,
peu enclins à s'emballer sur les questions
qui ont un côté sentimental, ne se sont pas
trompés pourtant sur le sens clés accords
récemment signés : « L'Angleterre, la
France et l'Italie, dit le Daily (j'raphic, ont
donne au monde un excellent exemple que
les nations qui se respectent pourront diffi-
cilement ne pas suivre. ))
Et quant aux fruits même immédiats de
tels accords, qui pourrait les nier ? Ce qui
se passe actuellement entre Japonais et
Russes se serait certainement, il y a vingt
ans, terminé par une guerre. Mais il y a
aujourd'hui cette circonstance que deux
des puissances signataires des récents ac-
cords arbitraux sont en mesure, le cas
échéant, d'offrir leurs bons offices, l'une,
-l'Angleterre, parce qu'elle est l'alliée du
Japon, l'autre, la France, parce qu'elle est
l'alliée de la Russie ; il s'ensuit que ledébat,
fût-il arrivé à l'état le plus aigu, a encore
bien des chances d'aboutir à un règlement
amiable, c'est pourquoi nous serions assez
surpris pour notre part, si la querelle tour-
nait au conflit sanglant.
Ainsi, de jour en jour, on s'habitue à
considérer la guerre comme l'extrémité la
plus fâcheuse à laquelle on se puisse ré-
soudre; on prend 1 habitude d'une procé-
dure dilatoire qui permet à toutes les expli-
cations de se présenter, à toutes les com-
binaisons de se laisser étudier. En atten-
dant, on vit en paix.
Et quand la paix aura duré .encore un
certain nombre d'années, il apparaîtra
clairement à tous que ce serait un crime
de la rompre. — Ch. B.
- « ■ ■ "■■■ .■!—m.i ————i—
L'OFFICIER DANS LA NATION
Tel est le titre, absolument justifié, d'une
très intéressante brochure (1) que l'on vient
de me communiquer et qui contient une con-
férence faite par le commandant E. Coste aux
officiers de la garnison de Bayonne.
Tout de suite, sans ambages ni réticences,
je m'empresse de dire que je voudrais voir
cette brochure entre les mains de tous les of-
ficiers français, et je suis sûr que vous allez
être dé mon avis après avoir parcouru les trop
courts extraits que je vais détacher de cette
conférence.
Tout d'abord, la commandant Coste prouve
qu'il n'y a pas antinomie entre la démocratie
et l'armée.
On a voulu démontrer, dit-il, qu'il y a opposi-
tion irréductible, antinomie fatale entra la démo-
cratie et l'armée.
-1 Nous sommes d'un avis tout différent, et nous
l'expliquerons mieux plus loin. Mais, si rien n'est
plus faux, suivant nous, que d'opposer l'esprit mi-
litaire à l'esprit démocratique il no serait pas
vrai non plus de prétendre que l'armée soit im-
muable, qu'elle ne soit pas soumise, elle aussi,
aux lois de l'évolution et qu'une démocratie n'ait
pas, comme une monarchie, le droit et la devoir
de se constituer un appareil militaire en rapport
et en harmonie avec ses principes, ses besoins et
ses mæurs.
C'est sobre, mais complet.
Enfin, aujourd'hui que l'armée est la nation
même.
Il n'y a plus d'honneur militaire ; il n'y a
plus que l'honneur du pays; * partant plus de
guerres de conquêtes ou da dynastie.
Et la France peut enfin marcher dans la voie du
progrès, sans risquer d'accrocher, de déchirer sa
robe aux pointes de ses éperons, de glisser, do
trébucher dans le sang do campagnes nouvelles !
'Et l'armée, loin d'être une cause do guerre, est
devenue une véritable garantie de paix, et comme
le foyer où viennent se retremper les qualités vi-
riles de la race.
On ne saurait dire mieux des choses plus
justes. Mais, dans cette transformation, quel
doit être le rôle des officiers ?
Serviteurs de la loi, nous n'avons plus, comme
nos ainés, le privilège de défendre seuls le pays;
mais nous gardons l'honneur de rester à la tête do
ses enfants, pour diriger leurs bras au jour du
danger. Et, ce jour-là, nous ne serons pas suivis
par quelques mercenaires, chair à canon payée
,d'avance et ne valant pas plus que son prix : c'est
la France entière que nous aurons, groupée der-
rière nous, pour fa défense de ses intérêts, da ses
droits, de sa liberté!
L'armée, aujourd'hui, est simplement .la na-
tion appelée pour un certain temps à apprendre
le métier militaire. Elle ne peut avoir d'autre es-
prit que le peuple, puisqu'elle est le peuple lui-
même.
C'est assez dire que les officiers, les chefs de
cette armée doivent être, avant tous autres, pé-
nétrés d'un esprit sincèrement, loyalement démo-
cratique.
Le commandant Coste examine ensuite « l'es-
prit militaire et l'esprit démocratique ». Sa
pensée est résumée dans les lignes suivantes :
Une armée est d'autant plus solide, physique
mimtet moralement, d'autant plus capable d'ef-
forts et de sacrifices, qu'elle est plus nationale.
L'exemple du Bas-Empire est là pour le prou-
ver. L'Empire romain tomba, non pas parce quo
son armée fut faible, mais parce qu'elle formait
un corps à part dans la nation dont elle avait la
garde.
Le peuple a besoin d'un idéal.
Il no s'agit plus et, en tout cas, il ne nous ap-
partiendrait pas, à nous officiers, de restaurer
l'idéal religieux. Créons l'idéal patriotique.
Le paragraphe ayant trait au « soldat mo-
derne » serait à citer en entier. Le comman-
dant Coste réprouve la défiance contra ceux
qu'on a appelés « les intellectuels » et il mon-
tre avec éloquence que l'esprit militaire peut
I.rès bien s'allier à la conception moderne du
devoir humain. -
Puis, il passe en revue, c'est le cas de le
dire, les trois mots: liberté, égalité, fraternité,
« inscrits à la porte d'entrée des casernes et
qui sont comme les trois couleurs de notre
patrimoine national ».
Pour les officiers, pour les soldats, la liberté
s'appelle initiative. L'esprit critique « qu'on
ne peut plus chasser de l'âme moderne et n'est
pas forcément ennemi de toute discipline, sera
le stimulant de nos méthodes, do nos énergies
intellectuelles ». Seuls « les principes essen-
tiels sur lesquels repose la discipline restent
plus que jamais hors de toute discussion ».
Quelle qu'elle soit, la loi doit rester la loi pour
tous, pour les soldats avant tous autres et pour
nous, chefs de ces soldats, avant ces soldats en-
core.
Toute doctrine contraire ne saurait être tolérée.
L'armée est et doit rester une grande école
d'égalité, car « pour commander à d'autres
hommes, il faut se montrer, d'abord, capable
de les aimer, être, par conséquent, pénétré de
l'esprit d'égalité, d'où dérive celui do frater-
nité ».
On ne doit admettre aujourd'hui, dans l'armée,
d'autre supériorité que celle de l'intelligence, du
travail, des services rendus.
Je m'en voudrais de ne pas citer encore ces
déclarations : a, -
L'épaulette de laine ne doit pasli 3er moins
que l'épaulette d'or dans la balance f la justice
militaire.
Dans une armée démocratique, la discipline est,
par principe, égale pour tous. L'égalité des droits
entraîne celle des devoirs. Or, qui dit devoir dit
discipline.
La partie la plus importante, et je n'hésite
pas à écrire la plus émouvante, est celle qui
concerne la fraternité. Après l'avoir lue, on
ne peut s'empêcher de s'écrier : « Quel brave
homme, ce commandant 1 Si tous les offi-
ciers lui ressemblaient. ». Que dites-vous,
par exemple, de ces passages :
N^us ne saurions trop nous mêler à nos
hommes, nous montrer pour eux des camarades,
presque des amis, quand nous n'avons pas besoin
d'être leurs chef&.
Puisque la bonté reste le principal moyen de
commandement, la camaraderie n'en est-elle pas
la forme naturelle ?
Les liens de sympathie, de confiance, qui doi-
vent unir, en campagne, les hommes soumis aux
mêmes fatigues, exposés aux mêmes dangers, ri-
vés au même grand devoir, il importe d'autant
plus de les nouer, dès le temps de paix, que la
(1) L'Officier dans la nation, par Em. Coste,
chef de bataillon breveté d'état-major au 49e d'in-
fanterie, édité par Charles-Lavauzelle, éditeur mi-
litaire, 118 boulevard Saint-Germain, Paris,
Nuree du service militaire devient forcément plut
courte.
Le soldat français est un instrument merveil-
leux de souplesse, de résistance et d'entrain, a
"condition de se l'attacher. Et il s'attache sans ré-
serve, d'esprit et de cœur, au chef qui sait le com-
prendre, le traiter avec bonté, avec justice sur-
tout, qui, en un mot, sait l'aimer.
Rappelons-nous cette parole de Desaix qui
résume toute la psychologie militaire : « Je bat-
trai l'ennemi tant que je serai aimé de mes sol-
dats. »
C'est dans leurs qualités de cœur, dans l'affec-
Jtion profonde que les généraux de la première
République inspirèrent à leur troupe, plus encore
que dans leur valeur intellectuelle et leur capacité
tactique, qu'il faut en effet chercher le seerex de
leurs victoires.
Que de difficultés seraient aplanies, d'amer-
tumes évitées, d'angoisses épargnées, si les
commandants Coste étaient légion dans l'ar-
mée !
C'est, dans tous les c.*>s, en cette fin d'année,
un souhait que l'on peut formuler avec l'ar-
.dent désir de le voir bientôt se réaliser.
Quelles étronnes pour l'armée — pour nos
fils — si tous les officiers étaient subitement
métamorphosés en commandants Coste !
G. DE VORNEY.
—————————— -
CES MESSIEURS
Tandis que mêlés dans la foule qui va eha-
que soir écouter le Retour de Jérusalem au
Gymnase, quelques cléricaux retonr do Rome,
et quelques nationalistes retour de Saint Sé-
bastien, font le bruyant étalage de leurs hai-
nes stupides etsa donnent eux-mêmes en spec-
tacle au public qu'ils fatiguent ; le peuple
,bruxellois applaudit la jolie pièce de Georges
Ancey : Ces Messieurs.
C'est du Nord aujourd'hui que nous vient la
lumière, c'est dans une monarchie voisine
que la République françaisa doit chercher
l'exemple de la tolérance et de h liberté d'é-
crire. L'impitoyable censure a interdit la re-
présentation à Paris de Ces Messieurs parce
que cette comédie, suivant de trop près la
réalité, étalait les vices et dévoilait les agisse-
ments louches do certains prêtres.
Et ce que la République française ne toléra
point, la monarchie belge l'autorisa. La pièce
de M. Georges Ancey, formellement repoussée
de la scène parisienne par Anastasie impitoya-
blement jésuite, trouva un accueil hospitalier
au théâtre Molière de Bruxelles.
Tartufes d'hier, Tartufes d'aujourd'hui, Tar-
tufes de toujours, assez puissants, malgré votre
apparente faiblesse, pour persécuter encore,
un siècle après la grande Révolution, ceux qui
ont le courago de penser juste et d'écrire vrai.
vous avez une fois de plus triomphé et imposé
votre volonté aux pouvoirs publics!
Il reste aux républicains socialistes militants
qui ne peuvent aller applaudir au théâtre la
magistrale satire des vices de la soutane, le
devoir de la lire et de la faire connaître au-
tour d'eux. Que dans les Universités populai-
res, dans les cercles d'études sociales où le
peuple est chez lui, on en fasse des lectures,
on la commente et au besoin on la joue. Les
ciseaux de dame Censure auront ainsi coupé
dans le vide une fois déplus, et la belle œuvre
de Georges Ancey ne demeurera pas inconnue
de par la volonté des prêtres. - Charles
Darcy.
■
ENCORE UN CITOYEN CORBILLARD"
DANS LA PRESSE ALLEMANDE
Plusieurs journaux allemands cherchent de
nouveau à s'égayer sur la fameuse « ignoranee
française ». L'occasion leur est fournie par une
dépêche du Rappel qui annonçait que les au-
torités militaires allemandes avaient l'inten-
tion do nommer soldats do deuxième classe
ceux des députés socialistes du Reichstag qui
occupent un grade dans l'armée. Seulement,
nos confrères omniscients d'Outre - Rhin
jouent de malheur. Nous désignions, entre
autres, M. Gradnauer comme adjudant de la
territoriale. Voilà qu'ils traduisent : adjutant,
etse demandent ce que cela peut être.
Ils ignorent donc que notre adjudant est ce
qu'on appelle en Allemagne un Fcldwebel, tan-
dis que l'Adjutant dans l'armée allemande est
un aide de camp, ni plus, ni moins.
Ils ne se rendent pas compte non plus de ce
qu'est un « soldat de deuxième classe n. En AI-
lemagne, c'est le Gerneiner, ce qui veut dire :
.manant ou vilain. Comme, dans l'armée fran-
.çaise, il n'est pas admis d'employer officielle-
ment à l'égard de qui que ce soit un terme de
.mépris, on a adopté l'euphémisme de « soldat
de deuxième classe».
Avant d'essayer de lourdes plaisanteries sur
la « prétendue fgnorance française » nos ai-.
mables confrères devraient prendre la précau-
tion de ne pas augmenter le nombre des « ci-
toyens Corbillard » qui, l'air grave, marchent
à la tête d'un cortège funéraire.
:' ———————————— ————————————
UNE POÉSIE DE JULES LEMAITRE
La Revue Idéaliste, pour fêter ses noces
d'argent, a fait paraître un numéro spécial
auquel ont collaboré plus de soixante écri-
vains.
Dans ce nombre, il convient de noter sept
cardinaux et dix membres de l'Institut. Les
sept princes de l'Eglise ont pris la peine de
formuler chacun une interprétation de la pre-
mière encyclique de Pie X. Nous ferons grâce
à nos lecteurs de cette éminente littérature. De
la prose et des vers sous la signature de René
Bazin, Théodore Botrel, Jules Claretie, Jacques
.Normand, François Coppée, Paul Gaulot, Ju-
les Lemaitre, etc., etc.; il y en a pour tous les
goûts, et, comme on glapit sur les boulevards
présentement : dans tous les genres et tous les
modèles.
Jules Lemaître a consacré un poème en vers
monosyllabiques, .4 sa Chatte ;
Ma
Chatte,
Ta
Patte 1
Moi
T'aime,
Bois
Crême
Ou
Mange
Mou,
Ange!
On peut penser ce qu'on voudra de cette lit-
térature; au moins quand l'honorable acadé-
micien taquine la muse, il ne songe pas à
prêcher la guerre sainte du Nord contre le
Midi ; de la Neustrie contre l'Aquitaine,.
Et je ne trouve pas cela si ridicule.
LA POLITIQUE ECONOMIQUE ANGLAISE
Londres, 26 décembre.
Le Daily Mail avait institué au mois de sep-
tembre dernier une sorte de referendum parmi
ses lecteurs sur la question fiscale.
11 donne aujourd'hui les résultats que
voici :
Pour les représailles (politique de M. Bal-
four), 238,000 voix; pour les tarifs préféren-
tiels (politique de M. Chamberlain), 141,000
voix ; pQiiï te li4(içbaDge, 166,000 voix.
L'ÉCOLE BRAILLE
CHEZ LES AVEUGLES DE ST-MANDÊ
Une institution méconnue. — L'œuvre
de Louis Braille. — L'Institut dé-
partemental des aveugles.—Une
œuvre républicaine. — Salles
d'études et ateliers.—Les
métiers des aveugles.
Au moment où l'on vient de laïciser les
Quinze-Vingts,ii est intéressant de parler d'une
certains oeuvrè, éminemment républicaine
puisque ce sont les plus grands champions de
la République qui ont aidé à son éclosion et
qui l'ont ensuite patronnée.
Les Parisiens qui, l'été, en quête de grand
air et de verdure, vont faire un repas cham-
pêtre sur les pelouses hospitalières du bois de
Vincennes ou qui l'hiver, bravant la bise, dé-
crivent de gracieuses arabesques sur le lac
Daumesnil, ne se doutent pas que ce faisant
ils passent, indillérsnts peut-être, devant un
de nos établissements hospitaliers les plus in-
téressants, l'école Braille. 11 est vrai que n'en -
tre pas qui veut dans cette école modèle, pro-
fessionnelle par excellence; aussi pour la vi-
siter faut-il se munir d'une autorisation spé-
ciale délivrée par la direction des affaires dé-
partementales. Ayant facilement obtenu cette
autorisation, j'ai pu, la semaine dernière, vi-
vre quelques heures au milieu des emmurés,
de ces infortunés atteints de la plus terrible
infirmité, qui de naissance, qui accidentelle-
ment, par la faute d'une mère toujours prête
à écouter les conseils de commères et hésitant
souvent à conduire l'enfant dont les paupières
rougissent et les petits yeux pleurent à
l'homme de l'art qui seul peut arrêter l'enva-
hissement de l'éternelle nuit. Insouciance
souvent, cupidité parfois, les deux fautes réu-
nies quelquefois.
La train qui part de la Bastill9 vous amène
rapidement à Saint Mandé. Située à l'entrée du
bois de Vincennes, l'école réunit toutes les
conditions que les fondateurs ont pu désirer
pour la réalisation de cette grande œuvre hu-
manitaire.
La Maison des Aveugles
Cette école, que l'on peut appeler « la Mai-
son des Aveugles », a été fondée par la Société
d'assistance aux Aveugles. Deux hommes de
cœur donnèrent tout leur temps et consacrè-
rent toute leur intelligence aux emmurés : ce
furent HaÜy, dont on vient, un peu tard, il est
vrai, d'honorer la mémoire en lui élevant un
monument à Saint Justin Chaussée, et Louis
Braille. L'école fut donc placée sous l'égide de
Braille, cela pour rendre hommage à celui qui
fut aux aveugles ce que fut l'abbé de l'Epée
aux sourds-muets ; et l'on peut affirmer que la
mémoire de l'un et de l'autre n'est pas entou-
rée de moins de vénération par les infirmes
qu'ils ont secourus. Braille était originaire
d'un petit village de Seine et Marne, Coup-
vray, où un monument lui a été érigé par les
aveugles reconnaissants. Son père était bour-
relier 4 à l'âge de trois ans, jouant dans l'ate-
lier paternel, il se creva un œil avec un tran-
chct. L'inflammation gagna l'œil sain. et à
cinq ans Braille était aveugle. Il entra à l'In-
stitut, où il se voua à l'instruction des pen-
sionnaires et au soulagement de ses frères en
infortune. Ce fut lui qui les dota du fameux
alphabet adopté dans tout l'univers.
L'Ecole Braille fut créée pour faire de l'aveu-
gle indigent, valide, un être utile à la société,
ne devant sa subsistance qu'à lui-même ; elle
a été un des rameaux de la grande œuvre d'as-
sistance par le travail qui relève l'homme à
ses propres yeux : elle fut créée pour instruire
l'aveugle, l'armer pour la lutte do la vie, en
lui donnant selon ses aptitudes un métier ma-
nuel qui lui permette de s'affranchir et d'être
vraiment libre, qui lui permette d'éviter les
exploiteurs pour qui toute infirmité, toute tare
individuelle, est une source de bénéfices. Cette
institution vint combler une lacune dans les
rouages de la machine sociale en offrant à
l'aveugle le moyen d'assurer son existence
sans recourir à la mendicité. -
Les diverses étapes de l'école
L'école Braille fut ouverte en 1883. à Mai-
sons-Alfort, par M. Péphau, qui avait su inté-
resser à sa cause l'opinion publique pour cette
œuvre d'assistance scolaire. Deux élèves seu-
lement fréquentaient l'école à cette époque. M.
Péphau fut encouragé dans son entreprise par
les républicains de l'heure ; Gambetta, Lepère,
Victor Hugo, lui adressèrent des paroles d'en-
couragement et des félicitations. Notre grand
poète national lui adressait en 1884 ces quel-
ques mots, qui exprimaient tout son enthou-
siasme pour une œuvre d'un but aussi élevé :
« Vous avez fondé une institution pour les
aveugles. Je ne puis vous dire à quel point
m'émeut la réalisation de cette pensée. Je
vous envoie ce que j'ai de meilleur dans le
cœur. »
Cette école fut bientôt transportée à Paris,
152, rue de Bagnolet, afin d'y abriter les pupil-
les que lui confiaient la Ville de Paris et le
département de la Seine. L'établissement do
la rue de Bagnolet fut bientôt reconnu insuffi-
sant et un fait se produisit alors pour le plus
grand profit de l'œuvre qui toujours crois-
sante fut installée à Saint-Mandé où le Con-
seil général de la Seine, comprenant l'utilité
d'une pareille institution, prit entièrement à sa
charge les frais d'entretien et d'éducation des
pupilles aveugles et fonda une véritable école
professionnelle où l'aveugle fut armé pour la
lutte en trouvant les moyens de gagner sa vie
tout comme les clairvoyants. Nous avions été
précédés dans cette entreprise par les congré-
ganistes qui dès 1831 avaient fondé à Paris une
maison des sœurs aveugles destinée à recueil-
lir les infirmes. Mais, si en regard de ces œu-
vres, nous plaçons celles dues à l'initiative des
laïques, nous voyons immédiatement la sapé-
riorité de ces dernières. Or, l'école Braille est
une œuvre laïque.
L'institut départemental des aveugles
- Fondée en 1883, cette école remporta succès
sur succès, les locaux devenus insuffisants
furent agrandis, les parcelles de terrain s'ajou-
tèrent au noyau et les constructions couvrirent
rapidement une surface de 10,000 mètres carrés.
Située rue Mongenot, à Saint-Mandé. dans
les anciens locaux de l'institut Ancelin, l'insti-
tut départemental occupe un vaste quadrila-
tère. Une large grille donne accès dans la cour
d'honneur où, immédiatement sur le bâtiment
de façade, se détache un superbe bas-relief de
Daniel Dupuis symbolisant la Société d'assis-
tance aux aveugles repoussant la mendicité et
protégeant le travail.
Dans ces bâtiments sont installés les classes
d'étude et les appartements du personnel ; les
bâtiments d'aile comprennent les apparte-
ments de la direction, la catese et le contrôle.
Une vaste ceur sépare les classes d'études des
ateliers ; c'est dans cette cour que filles et gar-
çons prennent leurs récréations, si utiles à
l'aveugle qui est d'un naturel mélancolique ;
c'est à l'ombre des grands arbres qu'ils font
les exercices de gymnastique qui déveleppënt
si heureusement les muscles des grands et sur-
tout des petits, lesquels arrivent à l'Institut
dans un état de grande débilité. Chez l'aveu-
gle le muscle n'existe pas. S'il est issu d'une
famille pauvre, on a peut-être utilisé sa cécité
pour exciter la sompassion des passants;
c'est un ctre qui, môme adolescent, a les
mombros grêles d'un enfant ; s'il provient
d'un milieu aisé, ie polit infirme a été dorloté,
choyé, s'est anémié et n'a v6cu que grâce aux
soins constants dont il a éié culouré. Il im-
porte donc do.r:uditw à cet état do débilité
en lui faisant fairo des exercices d'fissouplis-
sement, de canne, de boxe qui redressent lo
corps et façonnent les muscles.
L'école possède des dortoirs spéciaux et bien
aérés, une cuisine et un réfectoire à rendre ja-
loux les Invalides et une superbe saile de spec-
tacle où fréquemment se donnent des concerta
et où ont lieu les distributions des prix. Cetta
salle a. été décoréo gracieusement par un ar-
tiste de talent, M. Le Camus.
Les salles d'études
Guidé par lo directeur de l'école, je pénètra
d'abord dans les salles d'études. « Bon jour,
mes enfants. » - (( Bonjour, Monsieur le Di-
recteur » répondent en choeur, garçons et fil-
lettes. «Qu'est-ce qui sait bien sa géographie ?»
et tous de tourner vers nous leurs grands yeux
blancs, sans vie, et de suivre tous nos mouve-
ments malgré l'éternelle nuit qui les environne.
Un jeune élève désigné par le Directeur quitte
sa place et vient se ranger le iong du mur oa,
sont fixées des cartes en relief de France et
d'Europe: cartes des canaux, des chemins da-
fer, des départements, carte hydrographique,
etc. Le système de ces cartes est des plus ingé-
nieux. Elles sont faites de morceaux de lino-
leum découpés et collés sur une planche. Des
bandes étroites de cuir forment les limites des
provinces, d'autres plus minces celles des dé-
partements, et l'aveugle, qui a un toucher
merveilleux; reconnaît exactement le contour
de tous les départements. Sur la carte hydro-!
graphique, les fleuves sont indiqués par un
gros fil de laiton, les rivières par un autre plus
fin et les canaux par un filigrane.
Le point de départ pour un voyage à effec-
tuer sur la carte, est toujours Paris représenta
par une grosse boule de cuivre, les préfectu-
res le sont par un clou de tapissier et les sous-
préfectures par un clou de petite dimension.
Une ficelle partant de Paris et munie de nœuds
de distance en distance leur permet d'appré-
cier l'éloignemcnt des différentes villes a l'.é -
chelle indiquée. La lecture du globe terrestrs,
leur est tout aussi facile, ils se guident de lit
même façon en lisant sur le plan de Paris
dont la confection est due à une maîtresse de
l'Institut. Sur ce plan les limites d'arrondisse-
ment indiquées parune bande de cuir',lcs égli-
ses, les mairies, les hospices sont représentés
par des clous spéciaux, les jardins et squares
par un morceau de drap et les cimetières par
un morceau de velours, les fortifications por-
tent le détail des bastions, des courtines et des
portes qui donnent accès en banlieue.
L'étude de l'arithmétique est facilitée égale-
ment pa: un appareil très ingénieux consis-
tant en une grille munie de cavités destinées à
recevoir des cubes de plomb portant sur leurs
6 faces soit des chiffres, soit des signes. L'élève
a à sa disposition plusieurs séries de ces cu-
bes et fait facilement tous les exercices d'arith-
métique, depuis l'addition jusqu'à la racina
carrée. Chaque classe possède un piano qui
vient compléter les études et tient lieu de dis-
traction. Il est à noter que l'aveugle a une
grande disposition pour la musique et que jus-
qu'à présent, on s'était attaché à lui donnée
uniquement ce métier comme gagne-pain. La
fondation de M. Péphau, en créant d'autres
professions, a été une véritable révolution qui
a permis de sortir l'aveugle de l'état d'abandon
et d'isolement où il était laissé, et de montrer
une sollicitude toute particulière à ces enfants
qui y ont d'autant plus droit qu'ils sont at-
teints par une infortune imméritée.
Les périodes d'éducation : les 3 cycles
d'instruction
L'instruction des aveugles (le l'Ecole Brailla
peut se diviser on 3 cycles : dans le 1er, de 3 à
13 ans, uniquement destiné aux classes aveo
quelques heures d'apprentissage, l'on. com-
mence à voir les aptitudes du futur ouvrier;
dans le 2e cycle, de 13 à 21 ans, ils sont ap-
prentis et ont 1 heure d'étude tous les jours;
enfin dans le 3" cycle sont tous les majeurs,
ils sont promus ouvriers et alors ne couchent
plus en dortoirs. Un immeuble est annexé à
l'établissement où les majeurs possèdent una
chambre. Ils peuvent sa marier et dans ce cas
sont libres de prendre leurs repas au dehors.
Il est inutile d'ajouter que les mariages entra
aveugles sont peu fréquents, les personnes en-
tourant ces infirmes leur faisant comprendra
combien il serait fâcheux qu'ils donnent nais-
sance à des enfants atteints de leur mal et la
plupart se rangeant à cet avis donné tout pater-
nellement.
L'aveugle a plusieurs métiers à sa disposi-
tion; il peut être vannier, brossier, il peut
confectionner des paillassons, faire des balais,
canner ou rempailler des chaises ; la femme
exerce les mêmes métiers que l'homme et en
plus, confectionne des couronnes. Chaque ate-
lier est dirigé par un chef d'atelier, un clai r-
voyant qui règle et distribue l'ouvrage ; l'a-
veugle tient lui-même sa comptabilité sur une
fiche spéciale, car il est très confiant mais
aussi très méfiant et il importe de ne .iamais
le tromper.
Des outils spéciaux ont été conîeetionnés
pour les brossiers afin d'éviter qu'ils se cou-
pent les doigts en ébarbant les brossas. Soit à
faire du canage, de la brosserie ou de la spar-
terie, l'aveugle gagne en moyenne 2 fr. 50 par
jour dont une parte revient à l'administration
pour la pension de retraite et ie reste à lui-
même afin qu'il se constitue un pécule.
L'aveugle, entré à 3 ans à l'école Braille,
peut y rester jusqu'à sa dernière heure, s'il lo
désire. Actuellement, l'école n'ayant que Li
ans d'existence n'a qu'un personnel relative-
ment jeune; le plus ancien ouvrier a 31 ans
et est employé à la vannerie, mais les jeunes
enfants entrés maintenant pourront, devenus
majeurs, rester à l'établissement jusqu'à ca
que leurs membres fatigués refusent le travail.
A ce moment, les 5 OjO qu'ils auront versés
ajoutés aux 5 0[0 versés par la Ville de Paris
suffiront à leur assurer une pension pour
leurs vieux jours.
LCOUlemant des prJduits
L'institu. départemental est un de ceux qui
produit le plus; il confectionne dans ses di-
vers ateliers pour plus 200,000 fr. de marchan-
dises par an et un des plus grands soucis de
l'administration est l'écoulement des produits,
Les Halles, le Bon Marché, le Louvre et la Sa-
maritaine achètent les balais, les brosses, les
paniers, les couronnes confectionnées à Saint-
Mandé, les grandes administrations publi-
ques, la Ville de Paris, fournissent le travail à
l'atelier de canage et de rempaillage, mais on
ne saurait trop demander aux industriels et je
ne fais en ceci que d'exprimer le désir du di-
recteur de l'établissement, de bien vouloir à
prix égal donner la préférence à l'Ecole des ;
aveugles.
Nous sommes donc arrivés à réaliser la
vaste projet conçu il y a 15 ans, qui con-
sistait à donner à l'aveugle un métier qui l'af-
franchisse et lui permette d'alléger son sort.
Jusqu'alors on s'était attaché à faire embrasser <
à..l'aveugle une seule carrière, la carrière mu-
sicale que l'on considérait comme sa seule
planche de salut.
L'œuvre de l'école Braille étend donc ses---
bienfaits à tous les déshérités et le conseil gé*
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