Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1881-04-19
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 68249 Nombre total de vues : 68249
Description : 19 avril 1881 19 avril 1881
Description : 1881/04/19 (A11,N3399). 1881/04/19 (A11,N3399).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7563630d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
_u jjflfréme années N.3399 Prix du numéro à Paris : 15 centimes. — 1Jepartement. centimes Mardi 19 Avril 1881
- -
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉPACTION
dresse:r au Secrétaire de la Rédaction
'--' de 2 heures à minuit
ie, rue Cadet, 16
fys Manuscrits non insérésne seront pas rendui
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
Trois mois 16 »»
Six mois. 32 »»
Unan. 82 »»
PARIS
Trois mois. 13 »il
Six mois. 25 »»
Un an. 50 »»
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les abonnemts partent des 1er et 15 de chaque mois
léeisseurs d'annonces : MM. LÀGRANGE, CERF et Ce
6, place de, la Bourse, 6
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrâtes
16, rue Cadet, J.O
Les Lettres non affranchies seront refusé^
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 »»
Six mois 32 »»
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. 13 »f
Six mois 25 »»
Un an. so ai
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les A9Pnnemts partent des 1er et 15 de chaque mois
masseurs d'annonces': MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, Place de la Bourset 6
PARIS, 18 AVRIL 1831 /,
; > :■ * - - i
Nous avons un ultimatum auj ourd'hui.
Il ®e s'agit pas d'un ultimatum adressé
par la France au bey de Tunis ou par le
bey de Tunis à la France. L'affaire est
moins grave, heureusement.Il s'agit d'un
ultimatum adressé au président de la
République par M. Saint-Genest, du
Figaro.
! On' sait ce qui s'est produit dans les
premiers jours qui ont suivi la nouvelle
de l'expédition de Tunisie. Le Français,
le Parisien surtout, est par nature impa-
tient, prompt à fronder. Au bout de qua-
tre jours, on s'est étonné que les opéra-
tions militaires ne fussent pas encore com-
mencées. En sommes-nous donc toujours
aux vieilles routines ? Pourquoi prendre
des bataillons ici et là au lieu de mobili-
ser tout un corps d'armée? Et l'on a ac-
cusé et notre organisation militaire, et
le ministre de la guerre. Plusieurs jour-
naux de toutes opinions se sont faits les
échos de ces plaintes.
Puis, toujours suivant l'habitude fran-
çaise, après s'être impatienté d'abord,
on a réfléchi. On a écouté les explica-
tions. On a compris qu'on ne transpor-
tait pas en quarante-huit heures une
vingtaine de mille hommes de l'autre
côté de la Méditerranée. On a compris
qu'une expédition comme celle-ci récla-
mait moins encore la célérité qu'une
préparation où rien ne serait livré au
hasard. On a. compris qu'il importait
surtout de ne point toucher aux cadres
de notre organisation militaire, qu'il avait
fallu par conséquent, pour former les co -
lônnes de l'armée de Tunisie, prendre non
pas un corps d'armée, mais çà et là des
bataillons, des escadrons, des batteries,
sans rien déranger des services de nos
dix-neuf grands corps d'armée. On a
compris tout cela et dès lors les critiques
le sont tues. On a rendu justice à l'acti-
vité et à la sagesse du ministère de la
guerre , et .les mêmes journaux qui
avaient commencé par s'émouvoir se
sont appliqués à ealmer l'émotion qu'ils
avaient propagée.
Que fait M. Saint-Genest? Au lieu de
Consentir à expliquer ce phénomène par
les raisons si simples qui l'expliquent,
il n'y veut rien voir qu'une « comédie »
qui doit être « dénoncée au puhlic) ! Si
- des journaux qui se sont montrés un
moment inquiets, se déclarent rassurés,
:e n'est pas qu'ils se sentent rassurés en
effet, c'est qu'ils ont reçu le mot d'or-
dre de dire blanc après avoir dit noir et
de proclamer que tout est bien. Et qui
leur a donné ce mot d'ordre? C'est
M. Gambetta.
• Ah! décidément, c'est un maître homme
que -M. Gambetta! Au lieu de faire comme ce
pauvre Napoléon III lors de Reichshoffen, au
lieu de courber le front ainsi qu'un coupable,
il tient tête à l'orage, il nie les faits, il nie
l'évidence même, et avec une autorité souve-
raine il dit à ses journalistes effarés : « Vous
n'avez rien dit, tout cela n'existe pas. »
Et remarquez-le bien, c'est d'autant plus
remarquable que personne ne sait mieux
que lui ce qui se passe.
Tandis que l'empereur, vieux, malade,
écrasé par la fatigue et la douleur, en était
arrivé au point d'ignorer l'état des choses,
je rends cette justice absolue à M. Gambetta
qu'il est bien plus complètement édifié que
vous et moi sur le gâchis aetuel.
h Personne n'est mieux renseigné sur le dé-
sarroi de notre embarquement, sur le mécon-
tentement de notre armée, sur le danger
qu'offre le gouvernement civil en Algérie.
Par-dessus tout, personne ne connaît mieux
l'incapacité de son délégué le ministre de la
guerre et le peu de confiance que ce délégué
inspire à nos régiments.
- Recevant jour par jour les rapports très pré-
cis d'hommes dévoués à sa cause, il n'a au-
cune èspèce d'illusion.
Seulement, avant tout, il ne faut pas com-
promettre les élections. Avant tout, il faut
s occuper du scrutin de liste, et pour le scru-
tin de liste, MM. Farre, Gonstans et Cazot sont
indispensables.
Périsse l'armée, périsse la France ! mais ne
perdops pas une chance pouI;¡arriver au pou-
voir.
On n'accusera pas du moins M. Saint-
Genest de trop ménager ses adversaires
politiques et d'interpréter leurs actes ou
leurs paroles d'après les motifs les-plus
honorables.
Les choses étant ainsi, M. Saint-Ge-
nest prend un grand parti. Il s'adresse
au chef de l'Etat. Si M. Grévy n'inter-
vient pas, s'il ne remplace pas de suite le
général Farre au ministère, s'il n'empê-
che pas M. Gambetta d'achever la ruine
de la patrie, lui, Saint-Genest, il dira tout,
il déchirera les voiles, il découvrira les
hontes de l'heure présente, il étalera le
triste spectacle de la désorganisation de
notre armée. Il veut bien accorder au
président de la République le temps
d'obéir à sa sommation. Que le géné-
ral Chanzy soit appelé au ministère de la
guerre, que le général de Galiffet soit en-
voyé en Afrique, M. Saint-Genest se taira
« car ces choses sont toujours tristes et
l'étranger les entend ». Mais si M. Grévy
s'avise de rester sourd, qu'il le sache
bien, la menace sera exécutée.
Eh bien ! puisqu'il en est ainsi, puisque la
rage de l'intérêt personnel va jusque-là, nous
parlerons, nous qui aurions voulu nous
taire.
D'abord, nous réunirons tous les articles
que l'on sait!, Non seulement les articles
de Paris, mais les articles de province. Nous
en ferons une brochure et nous dirons au
pays : « Voilà ce que les républicains eux-
mêmes ont dit dans un accès de franchise. »
Puis nous joindrons à ces articles tout ce
que nous savons.
Nous raconterons le spectacle sans pareil de
l'embarquement de nos troupes : ces hommes
arrivant de tous les coins do la France pour
former des sortes de « régiments de marche ».
plus pitoyables que ceux de 1870, composés
de soldats qui ne connaissent pas leurs offi-
ciers, .- d'officiers qui ne connaissent pas
leur colonel, — de colonels qui ne connaissent
pas leurs généraux, — de généraux oui ne
connaissent pas leur état-major, — d'état-
major formé de pièces et de morceaux, avec
des intendants sans ambulances, des officiers
d'administration sans hommes, et des officiers
d'artillerie sans matériel.
Tout cela arrivant pêle-même, — les trou-
pes cherchant leurs chefs, — les chefs atten-
dant les ordres, — les ordres paralysés par
des contre-ordres. le gâchis le plus com-
plet, le tohu-bohu le plus complet.
Nous demanderons si le pitoyable état de
nos compagnies ne vient pas de ce qu'on a
renvoyé deux classes au mois de décembre,
et à quelle peifsée a cédé le ministre de la
guerre en prenant sur lui de renvoyer ces
deux classes.
Nous demanderons pourquoi on n'a pas
mobilisé franchement un corps d'armée, —
le 15° par exemple, — au lieu de désorgani-
ser une multitude de régiments, et si ce n'est
pas encore à une pensée politique que le mi-
nistre a obéi, en agissant de la sorte.
Puis, si on persiste à maintenir M. Farre,
nous révélerons ce que nous n'aurions pas
voulu dire; nous révélerons les désordres
qui existent depuis longtemps dans l'inté-
rieur des régiments, la façon scandaleuse
dont les places sont données, les faveurs ac-
cordées aux dénonciateurs, nous dirons com-
ment certains colonels ont été menacés par
leurs subordonnés au moyen de la politique.
Nous connaissons des officiers — dont l'un
est oificier supérieur — qui sont prêts à sa-
crifier, s'il le faut, leur carrière pour dire la
vérité au pays.
Tel est l'ultimatum de M. Saint-Ge-
nest. Ou nous connaissons mal M. Gré-
vy, ou un tel langage a peu de chance
d être accueilli autrement que par la plus
superbe indifférence. M. Saint-Genest
parlera donc, et nous tous nous lui di-
sons : « Parlez, monsieur ! Que la crainte
d'être entendu de l'étranger ne vous
arrête pas. S'il est vrai, comme vous le
dites, que l'armée soit désorganisée,
s'il est vrai que tout marche dans une
débandade pire que celle d'il y a onze
ans, s'il est vrai qu'il y ait au minis-
tère de la guerre d'affreux désordres,
d'odieux scandales, montrez ces désor-
dres, révélez ces scandales. Ne restez
plus dans les généralités vagues : citez
les faits précis, nommez et faites punir
les coupables. Le patriotisme même
vous l'ordonne. Quand on écrit : « L'ar-
» mée est à bout de patience»; quand
on écrit encore : « Ah oui ! ils sont
» heureux, les républicains. Mais vrai-
» ment leur bonheur coûte trop cher à
» la France. Et je ne croyais pas encore
» qu'en si peu d'années ils pouvaient
» faire tomber si bas un si grand pays! »
quand on écrit de telles phrases au mo-
ment où l'épée de la France vient d'être
tirée, on a le droit de les écrire sans
doute, si l'on est en état de les justifier :
mais il faut qu'on les justifie, car elles
sont graves ! »
CHARLES BIGOT
^-
L'Affaire de Tunisie
Les nouvelles les plus contradictoires
nous arrivent de Tunis et d'Algérie. D'u-
ne part, on nous représente les Kroumirs
comme prêts à déposer les armes et à
faire leur soumission, au ministre de lw
guerre tunisien : u
Tunis, 16 avril.
On croit pouvoir affirmer que les Kroumirs
ont écrit hier au bey et déposé les armes. Les
envoyés du bey ont déclaré que les Français
pouvaient entrer chez les Kroumirs, que
ceux-ci n'opposeraient aucune résistance.
D'autre patt , les dépêches suivantes
présentent les faits sous un autre as-
pect :
La Calle, 16 avril, soir.
Le bruit court qu'une longue et orageuse
conférence aurait eu lieu, près de la frontière,
entre les chefs kroumirs et plusieurs chefs des
tribus voisines. Voici ce qu'on raconte à ce su-
jet:
Quelques chefs, réputés parmi les plus iD;
fluents, ont exposé la situation dangereuse ou
ils se trouvent placés, en présence des forces
considérables dirigées contre eux par les
Français; ils ont démontré l'impossibilité
pour les Kroumirs d'opposer à ces forces une
résistance efficace.
En conséquence, ils ont proposé l'envoi
d'une députation chargée d'offrir à la France,
avec leur soumission, toutes les réparations
jugées nécessaires.
Là-dessus s'est engagée une violente discus-
sion pendant laquelle plusieurs chefs ont
donné l'assurance que le bey avec ses trou-
pes et l'armée italienne marcheraient à leur
secours*.
L'avis de ces derniers a triomphé et il. a été
décidé qu'on s'en remettrait au sort des armes.
On pense que de nombreuses défections se
produiront dès que les tribus verront qu'elles
n'ont à compter ni sur le gouvernement tu-
nisien ni sur l'Italie.
Tunis, 16 avril.
Si-Selim, ministre de la guerre, est arrivé
hier de Beja. Il est reparti, ce matin à 6 heu-
res, à destination de Tebourba, où il restera
quelques jours. Il repartira ensuite pour
Beja.
400 hommes, avec six pièces d'artillerie,
sont campés à Manduba. Ils partiront inces-
samment. ,'.
De nouvelles troupes venant de la côte sont
attendues.
Les cafés arabes doivent être formés à 9
heures. Les rassemblements sont interdits.
Toute la police est sur pied. Les Arabes ne
sortent que bien armés. Une certaine anima-
tion régne dans les mosquées.
Alger, i6 avril.
L'agitation signalée depuis quelques jours
dans les tribus tunisiennes avoisinant le Kef
s'est accentuée visiblement; elles paraissent
se préparer à la résistance.
Le mot significatif de guerre sainte aurait
été prononcé.
Toutes les nuits, des signaux par feux sont
échangés entre les tribus de Oued-Chem et
la route de Soukahrras à Tebessâ.
Ce fait a été constaté également près du
pont de la Medjerdah.
L'attitude définitive de ces tribus dépendra
évidemment de celle que prendra le gouver-
nement du bey, lors de l'entrée de nos trou-
pes en Tunisie.
On a pu constater aussi, sur plusieurs
points, que nos tribus sont l'objet d'excita-
tions hostiles; le départ des troupes prises
dans la province d'Oran a été notamment
exploité en ce sens.
Sur ce dernier point, il convient d'ajou-
ter que, d'après des informations très sû-
res, des excitations de ce genre se sont,
en efiet, produites chez les tribus de la
frontière du Maroc, mais qu'elles n'ont
amené aucun résultat et que les troupes
empruntées momentanément à la province
d'Oran ont été remplacées dans leurs gar-
nisons par des régiments venus de France
et — notons ce détail — les effectifs sont
aujourd'hui ce qu'ils étaient avant les évé-
nements sur frontière. -
Nous voila en présence -de deux ver-
sions. Il n'est pas un homme de sens qui
puisse accepter la première et se lais-
ser prendre aux airs de soumission dont
on nous parle. Il ne faudrait pas connaître
à quels hommes on a affaire,- pour croire
que les Kroumirs soient disposés à poser
les armes à première réquisition. C'est de
la comédie pure que cette soumission, si
tant est que la nouvelle elle-même ne
soit pas une plaisanterie.
D'ailleurs, bien d'autres faits viennent
démentir l'assertion contenue dans la dé-
pêche de Tunis.
En voici un caractéristique :
!j!Éône, 17 avril.
On assure que lâitànonnièrèiTyèrce,envoyée
en exploration sur la côte tunisienne, a reçu
hier une quarantaine de coups de fusil du
fortin situé sur l'île de Tabarque. On ignere
encore si ce fortin est occupé par les Krou-
mirs ou par des troupes tunisiennes.
Personne, heureusement, n'a été atteint à
bord de la canonnière.
Peu importe que ce soient des Krou-
mirs, des Tunisiens ou bien les uns et les
autres ; ce qui paraît certain, c'est qu'un
de nos vaisseaux a été accueilli par une
fusillade partie du territoire tunisien.
Et l'on nous parle de soumission !
*
* *
Voici au sujet de l'île de Tabarque, dont
nous parlons plus haut, quelques détails
géographiques.
C'est une ancienne colonie génoise
très florissante, qui a eu jadis 7,000 habi-
tants ; elle est maintenant très peu peu-
plée. Elle pourra redevenir un établisse-
ment maritime important par sa position
sur le littoral du plus beau pays de la Tu-
nisie.
Les grands bâtiments peuvent mouil-
ler pendant l'été sur la petite rade de
Tabarque, par dix à douze mètres fond de
sable de bonne tenue. Ils peuvent mouil-
ler aussi dans la baie de l'est, avec des
vents d'ouest ou de nord-ouest, au sud-
est de la jetée en ruine; mais la tenue du
fond y est moins bonne.
Les petits bâtiments trouvent un bon
abri, même l'hiver, à l'entrée du port,
dont l'intérieur n'est plus accessible qu'à
des bateaux. Un bâtiment qui ne pouvant
atteindre l'île de la Galite voudrait s'y ré-
fugier par un gros temps n'aurait qu'à
courir sur la colonne d'amarrage en pas-
sant à égale distance de l'île et du conti-
nent, à laisser tomber une ancre à 50 mè-
tres de l'extrémité de la jetée, porter une
amarre sur la colonne et une ancre der-
rière dans le sud. La mer est amortie par
le ressac, elle n'arrive plus avec violence
sur ce point. u
La construction d'un bon port d'une
contenance de 16 hectares serait d'une
exécution facile et peu coûteuse. Les sa-
bles qui ont envahi une partie du port
pourraient être extraits sans peine et re-
jetés de l'autre côté de l'isthme.
e
aK ,
On constate tous les jours chez les tri-
bus de la frontière des symptômes qui ne
laissent aucun doute sur leurs intentions
hostiles et qui n'ont pas échappé aux of-
ficiers familiarisés avec les mœurs afri-
caines.
Toutes les nuits des signaux par le feu sont
échangés sur notre frontière.
De Bou-Madjàr à Tebessa," les nouvelles
sont transmises par les indigènes tunisiens,
de tribu en tribu, à l'aide de ce système pri-
mitif.
Depuis trois jours, on a pu s'en aporcevoir
de l'Oued-Ciiam et sur la route de Soukahr-
ras à Tebessa, notamment au piquet n° 90, à
deux kilomètres du pont de la Medjerdah.
On savait déjà qu'en Tunisie un grand mou-
vement s'est produit parmi les cavaliers des
tribus de la plaine, qui vont se joindre aux
Kroumirs pour combattre avec eux contre
nous.
Nous apprenons un autre fait plus signifi-
catif encore et dont nous pouvons affirmer la
certitude On constate, dans le bassin de la
Medjerdah, un grand passage de tribus se
dirigeant vers le sud, avec femmes, enfants,
vieillards et troupeaux. Dans les mœurs des
tribus arabes, nul symptôme de guerre n'est
plus certain. Les tribus font évacuer les non
combattants et les troupeaux, pour que l'en-
nemi ne rencontre sur son passage que des
hommes en armes et n'ayant rien à perdre.
*
* *
Pas plus que la guerre, la marine n'a
échappé au reproche de lenteur dans l'ar-
mement des vaisseaux de guerre destinés
au transport des troupes.
Voici ce que dit à ce propos le Petit
Marseillais, qui est mieux en place que
nous pour savoir la vérité :
Quelques journaux parisiens reprochent à
la marine « d'avoir pris trop de temps pour
lettre en état de prendre la mer les trans-
ports de l'Etat ». Il nous paraît, à nous gens
de mer et à notre correspondâ'nt de Toulon,
que ce reproche n'est nullement fondé et
qu'il témoigne quelque ignorance des choses
dela marine.
En effet, l'ordre d'armer des transports
n'est parvenu au port de Toulon que le di-
manche 3 avril. Dès le lundi 4. on commen-
çait à disposer l'Algésiras , VIntrépide, la
Sartlie, la Corrèze, la Dryade et la Guerrière,
tous navires désarmés, n'ayant à bord, d'a-
près les règlements, qu'un personnel de
quelques hommes seulement; pas de ma-
.tériel d'armement, pas de vivres, pas d'offi-
ciers, pas de maistrance, pas d'équipage et,
bien entendu, pas de charbon !
Or, le 9 au matin, en cinq jours seulement,
ces six navires étaient gréés, pourvus d'états-
majors, d'une maistrance, de vivres, de leur
charbon, et faisaient des essais de leurs ma-
chines ; en cinq jours seulement, ce véritable
tour de force que le dévouement de tout le
personnel, ouvriers et marins de l'arsenal,
avait seul permis de faire, était accompli,
— l'embarquement des munitions de guerre
de l'expédition commençait, et les 12 et 13 les
navires cinglaient vers l'Algérie, emportant
des approvisionnements immenses, plus de
cinq mille hommes, mille chevaux et tout un
matériel encombrant d'artillerie et d'ambu-
lances.
Il faut connaître les choses de la marine,
nous le répétons, pour concevoir l'activité ex-
traordinaire déployée, - au contraire, dans
cette circonstance, et c'est véritablement une
douloureuse injustice que d'élever le moin-
dre reproche contre la nlarine, qui s'est mon-
trée, en cette occasion, aussi dévouée et pa-
triotique qu'elle est accoutumée de le faire.
w
km
L'inquiétude des résidents étrangers à
Tunis va s'aggravant de jour en jour en
présence de l'attitude, peu rassurante
d'ailleurs, du bey de Tunis.
Peut-être y a-t-il quelque exagération
dans les bruits qui circulent, mais on se-
rait effrayé à moins.
Heureusement, la Jeanne d'Arc croise
à bonne portée. En cas d'alerte et si le
bey de Tunis laissait se produire le mou-
vement populaire dont il menace nos na-
tionaux, la Jeanne d'AJ'c pourra lui mon-
trer qu'elle a des canons à son bord.
Louis HENRIQUE.
L'agence Havas nous communique les
dépêches qui suivent ;
Alger, 1-7 avril, 11 h. 40 matin.
On mande de Soukahrras :
Une colonne tunisienne, composée de 600
cavaliers de 600 fantassins et d'un nombre
indéterminé d'irréguliers s'est avancée sur
Souk-el-Arba, station du chemin de fer la plus
voisine de la frontière française. Cette colonne
dispose de trois canons,
La guerre sainte est prêchée sur tous les
marchés de Tunisie.
Tunis, 16 avril.
(Arrivée le 17, à 3 h. du soir.)
Les agents du gouvernement tunisien assu-
rent que les Kroumirs ont fait leur soumis-
sion.
Un marabout de la province de Constantine
a eu une longue conférence avec le bey ; ce
personnage se tiendrait caché chez les Sel-
Agiz-Ben-Atoul ; il voudrait déterminer le bey
à provoquer un soulèvement populaire.
Les agents du premier ministre, Mustapha-
Ben-Ismaïl, ont réquisitionné des chevaux
pour l'armée; 5,000 piastres seraient versées
à compte.
Tunis, 16 avril, midi 45.
(Arrivée le 17 avril, à 11 h. 35 matin.)
Des agents français ont arrêté à la gare
deux individus venant de la Calle, posant le
costume des tirailleurs algériens.
Après un interrogatoire sommaire, les deux
prisonniers ont été remis aux autorités tu-
nisiennes, qui ont déclaré répondre d'eux.
Deux hypothèses sont en présence : ou ces
deux individus sont des déserteurs français
ou ce sont des marabouts venant prêcher la
guerre sainte contre les chrétiens. Cette der-
nière hypothèse est la plus vraisemblable.
Le consul de France a immédiatement té-
légraphié à la Calle pour avoir des renseigne*
ments.
LES BONS PATRIOTES
Après l'effarement des premiers jours,
on avait pu espérer que les patriotes ar-
dents qui sonnent la cloche d'alarme
mettraient une sourdine à leurs attaques
violentes contre le chef de l'armée. Les
plus âpres ont compris qu'ils s'étaient éga-
rés ; mieux renseignés, mieux éclairés
par les dépêches des correspondants qui
suivent la concentration des troupes sur le
terrain même, et dont tout ie monde a pu
lire et commenter les récits, ils ont avoué
loyalement qu'ils s'étaient trompés. Tous
les belligérants de la première heure ont
déposé les armes et cessé une campagne
qui indignait l'armée et qui a désolé les
vrais patriotes.
Tous, sauf deux.
L'un dénonçait au pays le péril national,
avec l'intempérance de langage qui lui est
familière.
L'autre, sentant le terrain lui man-
quer, a fait une diversion fort imprévue ;
il a laissé de côté l'expédition contre les
Kroumirs et s'est donné la triste mission
de démontrer au pays et à l'étranger que
nos frontières étaient ouvertes à tout ve-
nant, par la faute et l'impéritie du mi-
nistre de la guerre.
A ces griefs nouveaux, et qu'on serait
en droit de trouver tardifs et inoppor-
tuns, même s'ils étaient justifiés, nous ne
voulons pas répondre. Nçjcas estimons
qu'une pareille discussion,dans un pareil
moment,est une faute impardonnable, que
rien ne saurait excuser. Nous croyons —
chacun comprend l'amour de la patrie à
sa façon- faire acte de patriotisme en
- refusant d'entrer même dans l'examen des
questions délicates soulevées par un de
nos confrères, encore moins de publier
les documents avec lesquels il serait facile
de le convaincre d'erreur.
A chaque jour son œuvre.
Pour le moment, nous ne voulons que
dire un mot pour rétablir les faits.
Dès 1879, les commandants de corps
d'armée avaient fait part au ministre
de la guerre des critiques que l'étude du
système défensif de. la France en voie
d'achèvement leur avait suggérées. A
cette époque, le ministre, le général Gres-
ley, entreprit une tournée dans l'Est" ac-
compagné des présidents des comités de
fortification et de l'artillerie. C'est à la
suite de cette tournée d'inspection sur la
frontière de l'Est, c'est à ce moment et
non pas à un autre, qu'il fut décidé qu'on
apporterait au plan de défense les mo-
difications reconnues nécessaires.
Encore une observation.
On a été un peu étonné de voir le nom
du général de Rivière mêlé à ces attaques
passionnées, et l'on a pu se demander
pourquoi il les couvrait de son silence
en même temps que de l'autorité de son
nom.
*
Feuilleton du XIXa S/ËCLB
DU 19 avril 1881
CAUSERIE
DRAMATIQUE
ECOND THÉATRE-FRANÇAIS Î Madame de
■Maintenon, drame en quatre actes et un pro-
logue, en vers, de M. F. Coppée. — THÉÂ-
TRE DU GYMNASE : Monte-Carlo., comédie
en trois actes de MM. Belot et Nus.
Les Parisiens ont beaucoup aimé le
drame historique. Le temps n'est pas fort
éloigné où les habitués des petites pla-
ces, dans les théâtres du boulevard, con-
naissaient en quelque façon dans leur
intimité la plupart des personnages de
l'histoire de France, particulièrement
depuis les Valois jusqu'à la Révolution.
Mazarin, Richelieu, le Régent, et, plus
en arrière, Concini, Marie de Médicis,
les mignons, les l'affinés, les mousque-
taires, les « chevaliers », tout ce monde
était devenu personnage de drame et de
comédie. C'est Alexandre Dumas, avec
Henri III et sa cour, qui eut la gloire
d'inaugurer ce cycle nouveau, de nous
délivrer des Grecs et des Romains, et
de donner à l'histoire, mise à la scène,
sinon plus de vérité quant aux faits ra-
contés, du moins une allure moins so-
lennelle, un luxe de détails, une fami-
liarité d'expression qui nous la rendi-
rent plus attrayante et la font plus vivante.
On prétend que ce goût du public
pour les drames historiques est passé
de mode et que le naturalisme, s'infil-
trant peu à peu dans l'esprit de la fou-
le, a réussi à nous faire trouver que tout
ce qui manque de « modernité » manque
en même temps d'intérêt. Je ne veux
pas souscrire à cette opinion. Des cir-
constances particulières ont bien pu
diminuer le nombre des œuvres his-
toriques. Mais, comme il arrive pour
les peuples en progrès, nous ne ces-
serons pas d'être curieux de nos ori-
gines, d'aimer qu'on nous redise notre
histoire. La vérité, d'ailleurs, que l'on
recherche aujourd'hui au théatee, on
peut la trouver dans la mise à la scène
de personnages historiques. Il est plus
facile peut-être de connaître tel caractè-
re en lisant Saint-Simon que de le con-
naître par l'observation àfrecte ; et,
quant à l'intérêt, j'en trouve au moins
autant à pénétrer Y giflé d'un personnage
historique mêlé aux grandes affaires du
pays qu'à suivre par le menu le cas
pathologique d'un alcoolisé. Le pittores-
que de la mise en scène, dont l'école
moderne fait surtout cas, peut être aussi
piquant en nous faisant entrer dans
une Cour d'autrefois qu'en nous forçant
à pénétrer, le nez bouché, dans un as-
sommoir. L'essentiel est que le drame
historique aborde un fait important et
intéressant, et le fasse avec art, déve-
loppant des caractères vrais, ne deman-
dant à la convention théâtrale que ce
qui est indispensable. Bref, pour con-
clure comme M. de La Palice, les
comédies et les drames historiques se-
ront toujours goûtés, à condition d'être
bons.
Le drame que M. F. Coppée vient de
donner à l'Odéon, Madame de Mainte-
non, est-il un bon drame ? Toute la ques-
tion est là. Je crois qu'il faut conclure
par l'affirmative, tout en entourant cet
éloge de restrictions que je veux faire
très frarîches. L'œuvre de M. Coppée a
assez de mérites pour n'avoir pas besoin
de complaisances. Il a entrepris de nous
peindre la cour de France en 168H, au
moment où le roi, vieillissant, se fit er-
mite, c'est-à-dire dévot. C'est l'époque
de son mariage ayee la veuve de Scarron,
deYenu. marquise de Maintenon par les
bontés de Mme deMontespan. C'est aussi
l'époque de la révocation de l'édit de Nan-
tas et de cette farce sinistre qui trans-
forma en théologien, dragonnant les hu-
guenots et persécutant les jansénistes,
ce Louis XIV qui était certainement le
dévot le plus ignorant de son royaume
« Le roi était devenu dévot, et dévot dans
la dernière ignorance», dit Saint-Simon.
M. Coppée a mêlé dans l'action imaginée
par .lui ces deux événements, qui eurent
une corrélation réelle : le mariage du roi et
la révocation de l'édit. Et il a en tiré une
fable qui, sans être de tous points excel-
lente, n'est pas des piteg,
Le prologue nous contre Mme de
Maintenon dans son état de femme
du poète Scarron. JProtestànte convertie
par les bons Soins d'uae esrtaine ma- J
dame de Heumant, Françoise d'Aubigné
épousa le cul-de-jatte, son voisin de la
rue d'Enfer, pour se faire une situation
dans le monde, où, déjà ambitieuse, elle
brûlait d'entrer. M. Coppée a insisté sur
les tristesses d'une telle union. Il nous
a décrit les humiliations de la jeune
femme en présence d'un triomphe bouf-
fon de son mari. Peut-être ne nous
a-t-il pas assez dit que ce mari était fort
honnête homme, et que ce pauvre ma-
lade piein d'esprit, adoré de la haute
société d'alors, sauva, dans un généreux
élan de son cœur, la future reine de
France de la vie des courtisanes, à la-
quelle elle était condamnée et à laquelle
elle s'essaya probablement, en] compa-
gnie de son amie Ninon de Lenclos, qui
lui prêtait « sa chambre jaune ». Dans
le logis mieux hanté de Scarron, Fran-
çoise d'Aubigné revoit un ami d'en-
fance, Antoine de Méran, jeune hugue-
not fanatique, qui l'aime avec la naïveté
de ses vingt ans. Françoise lui promet
de l'épouser quand elle sera veuve, et
Antoine part, cherchant la fortune en
Amérique, non sans emporter en sou-
venir un psautier huguenot, où la date
de l'entrevue des adieux est écrite de
la main de Françoise. Une faute que la
Maintenon n'eût pas commise 1
Vingt-cinq ans plus tard, vingt-cinq
ans après ce prologue qui nous fnontre
Mme de Maintenon telle qu'elle s'est
dépeinte elle-même, pleine de jeunes
espérances et d'honnêtes illusions, —
il faut peut-être rabattre quelque chose
du portrait, — nous retrouvons à la cour
de Versailles l'aventurière ou tout au
moins la déclassée, née dans une prison
d'Etat, d'un père cmi avait épousé la
fille de son geôlier, séduite par lui,
après avoir peut-être tué sa première
femme ; la sœur de ce chenapan, le comte
d'Aubigné, qui préparait la cour à sup-
porter plus tard le frère de la du Barry ;
la maîtresse de Villarceaux ; la veuve de
Scarron; la « servante » de l'hôtel d'AI-
bret; la protégée de la Montespan; la
complice des amours seciètes du roi
Que de chemin fait en ces vingt-cinq
ans ! La marquise est à la veille de se
faire épouser, à cinquante ans, par le
roi plus jeune qu'elle. Elle domine et,
comme dit Saint-Simon, elle est déjà en
plein dans ses « régenteries ».
C'est alors que, comme le spectre du
passé, à Versailles, arrive, non pas
Antoine de Méran, mort; avec ses
espérances, en Amérique, mais le frère
de celui-ci, Samuel. Ce jeune huguenot,
qui, au physique comme au moral, est
le portrait de son aîné, rapporte à la
marquise le psautier où elle a inscrit son
serment d'amour. Il ne manque pas de
lui reprocher, en même temps, les persé-
cutions contre ses anciens coreligionnai-
res, dont on l'accuse d'être l'auteur. Elle
se disculpe, mais sans pouvoir rien faire
accepter à Samuel, qui va quitter la
France pour échapper à l'édit.
Avant de partir, cependant, le jeune
homme voit sa fiancée, Henriette d'Au-
busson, la fille d'un capitaine qui com-
mandait le navire sur lequel il est revenu
d'Amérique. Cette jeune fille est protes-
tante : on l'a confiée à Mme de Mainte-
non, sa parente, qui ne manque pas de
vouloir la convertir. Mais elle a juré à
Samuel de ne pas quitter sa foi protes-
tante et de le rejoindre en exil dès que
son père sera de reto"* H, d'Aubusson
est attendu à Paris. Il doit prendre part,
avec Samuel, à un conciliabule de chefs
protestants.L'assemblée se tient dans les
catacombes. Il paraît qu'en 1685 on ne
les connaissait pas. Mais qu'importe ! La
scène des catacombes a été le clou de la
pièce,comme on dit, eta déterminé le suc-
cès. Elle est fort belle et frappe l'ima-
gination et les yeux, comme une scène
d'opéra - qu'elle rappelle. Les chefs
délibèrent. Les uns veulent subir l'exil
et le martyre. Les autres, à la tête des-
quels est un certain baron de Saint-
Paul, un de ces féodaux huguenots du
Midi dont la fière race a disparu sans
être domptée, veulent la guerre ; mais
pour la faire il faut accepter le secours
de Guillaume d'Orange, dont l'envoyé
est là. C'est alors que Samuel, repous-
sant l'offre de l'étranger, place ce cou.
plet patriotique, cet air de bravoure
qu on applaudit toujours a 1 Udeon et a
la Comédie comme à l'Opéra. L'offre de
Guillaume repoussée, grâce à l'éloquence
de Samuel, le baron de' Saint-Paul reste
seul avec deux ou trois des conjurés les
plus déterminés, et Samuel parmi eux.
Le hardi baron a imaginé un autre
moyen de sauver la cause. 11 enlè-
vera le duc de Bourgogne, l'emportera
dans les Cévennes, et ne le rendra
que contre la restitution de l'édit. Le
plan est agréé. Seul, Samuel refuse de
prendre part à l'exécution du complot,
parce qu'il faut tuer une sentinelle. La
fable, ici, nous demande un trop grand
oubli des caractères du temps. Que Sa-
muel répugne à accepter l'or de Guil-
laume, c'est déjà beaucoup. Le patrio-
tisme, tel que nous l'entendons, était
ignoré de la noblesse nrotestante. Mais
- -
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉPACTION
dresse:r au Secrétaire de la Rédaction
'--' de 2 heures à minuit
ie, rue Cadet, 16
fys Manuscrits non insérésne seront pas rendui
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
Trois mois 16 »»
Six mois. 32 »»
Unan. 82 »»
PARIS
Trois mois. 13 »il
Six mois. 25 »»
Un an. 50 »»
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les abonnemts partent des 1er et 15 de chaque mois
léeisseurs d'annonces : MM. LÀGRANGE, CERF et Ce
6, place de, la Bourse, 6
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrâtes
16, rue Cadet, J.O
Les Lettres non affranchies seront refusé^
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 »»
Six mois 32 »»
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. 13 »f
Six mois 25 »»
Un an. so ai
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les A9Pnnemts partent des 1er et 15 de chaque mois
masseurs d'annonces': MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, Place de la Bourset 6
PARIS, 18 AVRIL 1831 /,
; > :■ * - - i
Nous avons un ultimatum auj ourd'hui.
Il ®e s'agit pas d'un ultimatum adressé
par la France au bey de Tunis ou par le
bey de Tunis à la France. L'affaire est
moins grave, heureusement.Il s'agit d'un
ultimatum adressé au président de la
République par M. Saint-Genest, du
Figaro.
! On' sait ce qui s'est produit dans les
premiers jours qui ont suivi la nouvelle
de l'expédition de Tunisie. Le Français,
le Parisien surtout, est par nature impa-
tient, prompt à fronder. Au bout de qua-
tre jours, on s'est étonné que les opéra-
tions militaires ne fussent pas encore com-
mencées. En sommes-nous donc toujours
aux vieilles routines ? Pourquoi prendre
des bataillons ici et là au lieu de mobili-
ser tout un corps d'armée? Et l'on a ac-
cusé et notre organisation militaire, et
le ministre de la guerre. Plusieurs jour-
naux de toutes opinions se sont faits les
échos de ces plaintes.
Puis, toujours suivant l'habitude fran-
çaise, après s'être impatienté d'abord,
on a réfléchi. On a écouté les explica-
tions. On a compris qu'on ne transpor-
tait pas en quarante-huit heures une
vingtaine de mille hommes de l'autre
côté de la Méditerranée. On a compris
qu'une expédition comme celle-ci récla-
mait moins encore la célérité qu'une
préparation où rien ne serait livré au
hasard. On a. compris qu'il importait
surtout de ne point toucher aux cadres
de notre organisation militaire, qu'il avait
fallu par conséquent, pour former les co -
lônnes de l'armée de Tunisie, prendre non
pas un corps d'armée, mais çà et là des
bataillons, des escadrons, des batteries,
sans rien déranger des services de nos
dix-neuf grands corps d'armée. On a
compris tout cela et dès lors les critiques
le sont tues. On a rendu justice à l'acti-
vité et à la sagesse du ministère de la
guerre , et .les mêmes journaux qui
avaient commencé par s'émouvoir se
sont appliqués à ealmer l'émotion qu'ils
avaient propagée.
Que fait M. Saint-Genest? Au lieu de
Consentir à expliquer ce phénomène par
les raisons si simples qui l'expliquent,
il n'y veut rien voir qu'une « comédie »
qui doit être « dénoncée au puhlic) ! Si
- des journaux qui se sont montrés un
moment inquiets, se déclarent rassurés,
:e n'est pas qu'ils se sentent rassurés en
effet, c'est qu'ils ont reçu le mot d'or-
dre de dire blanc après avoir dit noir et
de proclamer que tout est bien. Et qui
leur a donné ce mot d'ordre? C'est
M. Gambetta.
• Ah! décidément, c'est un maître homme
que -M. Gambetta! Au lieu de faire comme ce
pauvre Napoléon III lors de Reichshoffen, au
lieu de courber le front ainsi qu'un coupable,
il tient tête à l'orage, il nie les faits, il nie
l'évidence même, et avec une autorité souve-
raine il dit à ses journalistes effarés : « Vous
n'avez rien dit, tout cela n'existe pas. »
Et remarquez-le bien, c'est d'autant plus
remarquable que personne ne sait mieux
que lui ce qui se passe.
Tandis que l'empereur, vieux, malade,
écrasé par la fatigue et la douleur, en était
arrivé au point d'ignorer l'état des choses,
je rends cette justice absolue à M. Gambetta
qu'il est bien plus complètement édifié que
vous et moi sur le gâchis aetuel.
h Personne n'est mieux renseigné sur le dé-
sarroi de notre embarquement, sur le mécon-
tentement de notre armée, sur le danger
qu'offre le gouvernement civil en Algérie.
Par-dessus tout, personne ne connaît mieux
l'incapacité de son délégué le ministre de la
guerre et le peu de confiance que ce délégué
inspire à nos régiments.
- Recevant jour par jour les rapports très pré-
cis d'hommes dévoués à sa cause, il n'a au-
cune èspèce d'illusion.
Seulement, avant tout, il ne faut pas com-
promettre les élections. Avant tout, il faut
s occuper du scrutin de liste, et pour le scru-
tin de liste, MM. Farre, Gonstans et Cazot sont
indispensables.
Périsse l'armée, périsse la France ! mais ne
perdops pas une chance pouI;¡arriver au pou-
voir.
On n'accusera pas du moins M. Saint-
Genest de trop ménager ses adversaires
politiques et d'interpréter leurs actes ou
leurs paroles d'après les motifs les-plus
honorables.
Les choses étant ainsi, M. Saint-Ge-
nest prend un grand parti. Il s'adresse
au chef de l'Etat. Si M. Grévy n'inter-
vient pas, s'il ne remplace pas de suite le
général Farre au ministère, s'il n'empê-
che pas M. Gambetta d'achever la ruine
de la patrie, lui, Saint-Genest, il dira tout,
il déchirera les voiles, il découvrira les
hontes de l'heure présente, il étalera le
triste spectacle de la désorganisation de
notre armée. Il veut bien accorder au
président de la République le temps
d'obéir à sa sommation. Que le géné-
ral Chanzy soit appelé au ministère de la
guerre, que le général de Galiffet soit en-
voyé en Afrique, M. Saint-Genest se taira
« car ces choses sont toujours tristes et
l'étranger les entend ». Mais si M. Grévy
s'avise de rester sourd, qu'il le sache
bien, la menace sera exécutée.
Eh bien ! puisqu'il en est ainsi, puisque la
rage de l'intérêt personnel va jusque-là, nous
parlerons, nous qui aurions voulu nous
taire.
D'abord, nous réunirons tous les articles
que l'on sait!, Non seulement les articles
de Paris, mais les articles de province. Nous
en ferons une brochure et nous dirons au
pays : « Voilà ce que les républicains eux-
mêmes ont dit dans un accès de franchise. »
Puis nous joindrons à ces articles tout ce
que nous savons.
Nous raconterons le spectacle sans pareil de
l'embarquement de nos troupes : ces hommes
arrivant de tous les coins do la France pour
former des sortes de « régiments de marche ».
plus pitoyables que ceux de 1870, composés
de soldats qui ne connaissent pas leurs offi-
ciers, .- d'officiers qui ne connaissent pas
leur colonel, — de colonels qui ne connaissent
pas leurs généraux, — de généraux oui ne
connaissent pas leur état-major, — d'état-
major formé de pièces et de morceaux, avec
des intendants sans ambulances, des officiers
d'administration sans hommes, et des officiers
d'artillerie sans matériel.
Tout cela arrivant pêle-même, — les trou-
pes cherchant leurs chefs, — les chefs atten-
dant les ordres, — les ordres paralysés par
des contre-ordres. le gâchis le plus com-
plet, le tohu-bohu le plus complet.
Nous demanderons si le pitoyable état de
nos compagnies ne vient pas de ce qu'on a
renvoyé deux classes au mois de décembre,
et à quelle peifsée a cédé le ministre de la
guerre en prenant sur lui de renvoyer ces
deux classes.
Nous demanderons pourquoi on n'a pas
mobilisé franchement un corps d'armée, —
le 15° par exemple, — au lieu de désorgani-
ser une multitude de régiments, et si ce n'est
pas encore à une pensée politique que le mi-
nistre a obéi, en agissant de la sorte.
Puis, si on persiste à maintenir M. Farre,
nous révélerons ce que nous n'aurions pas
voulu dire; nous révélerons les désordres
qui existent depuis longtemps dans l'inté-
rieur des régiments, la façon scandaleuse
dont les places sont données, les faveurs ac-
cordées aux dénonciateurs, nous dirons com-
ment certains colonels ont été menacés par
leurs subordonnés au moyen de la politique.
Nous connaissons des officiers — dont l'un
est oificier supérieur — qui sont prêts à sa-
crifier, s'il le faut, leur carrière pour dire la
vérité au pays.
Tel est l'ultimatum de M. Saint-Ge-
nest. Ou nous connaissons mal M. Gré-
vy, ou un tel langage a peu de chance
d être accueilli autrement que par la plus
superbe indifférence. M. Saint-Genest
parlera donc, et nous tous nous lui di-
sons : « Parlez, monsieur ! Que la crainte
d'être entendu de l'étranger ne vous
arrête pas. S'il est vrai, comme vous le
dites, que l'armée soit désorganisée,
s'il est vrai que tout marche dans une
débandade pire que celle d'il y a onze
ans, s'il est vrai qu'il y ait au minis-
tère de la guerre d'affreux désordres,
d'odieux scandales, montrez ces désor-
dres, révélez ces scandales. Ne restez
plus dans les généralités vagues : citez
les faits précis, nommez et faites punir
les coupables. Le patriotisme même
vous l'ordonne. Quand on écrit : « L'ar-
» mée est à bout de patience»; quand
on écrit encore : « Ah oui ! ils sont
» heureux, les républicains. Mais vrai-
» ment leur bonheur coûte trop cher à
» la France. Et je ne croyais pas encore
» qu'en si peu d'années ils pouvaient
» faire tomber si bas un si grand pays! »
quand on écrit de telles phrases au mo-
ment où l'épée de la France vient d'être
tirée, on a le droit de les écrire sans
doute, si l'on est en état de les justifier :
mais il faut qu'on les justifie, car elles
sont graves ! »
CHARLES BIGOT
^-
L'Affaire de Tunisie
Les nouvelles les plus contradictoires
nous arrivent de Tunis et d'Algérie. D'u-
ne part, on nous représente les Kroumirs
comme prêts à déposer les armes et à
faire leur soumission, au ministre de lw
guerre tunisien : u
Tunis, 16 avril.
On croit pouvoir affirmer que les Kroumirs
ont écrit hier au bey et déposé les armes. Les
envoyés du bey ont déclaré que les Français
pouvaient entrer chez les Kroumirs, que
ceux-ci n'opposeraient aucune résistance.
D'autre patt , les dépêches suivantes
présentent les faits sous un autre as-
pect :
La Calle, 16 avril, soir.
Le bruit court qu'une longue et orageuse
conférence aurait eu lieu, près de la frontière,
entre les chefs kroumirs et plusieurs chefs des
tribus voisines. Voici ce qu'on raconte à ce su-
jet:
Quelques chefs, réputés parmi les plus iD;
fluents, ont exposé la situation dangereuse ou
ils se trouvent placés, en présence des forces
considérables dirigées contre eux par les
Français; ils ont démontré l'impossibilité
pour les Kroumirs d'opposer à ces forces une
résistance efficace.
En conséquence, ils ont proposé l'envoi
d'une députation chargée d'offrir à la France,
avec leur soumission, toutes les réparations
jugées nécessaires.
Là-dessus s'est engagée une violente discus-
sion pendant laquelle plusieurs chefs ont
donné l'assurance que le bey avec ses trou-
pes et l'armée italienne marcheraient à leur
secours*.
L'avis de ces derniers a triomphé et il. a été
décidé qu'on s'en remettrait au sort des armes.
On pense que de nombreuses défections se
produiront dès que les tribus verront qu'elles
n'ont à compter ni sur le gouvernement tu-
nisien ni sur l'Italie.
Tunis, 16 avril.
Si-Selim, ministre de la guerre, est arrivé
hier de Beja. Il est reparti, ce matin à 6 heu-
res, à destination de Tebourba, où il restera
quelques jours. Il repartira ensuite pour
Beja.
400 hommes, avec six pièces d'artillerie,
sont campés à Manduba. Ils partiront inces-
samment. ,'.
De nouvelles troupes venant de la côte sont
attendues.
Les cafés arabes doivent être formés à 9
heures. Les rassemblements sont interdits.
Toute la police est sur pied. Les Arabes ne
sortent que bien armés. Une certaine anima-
tion régne dans les mosquées.
Alger, i6 avril.
L'agitation signalée depuis quelques jours
dans les tribus tunisiennes avoisinant le Kef
s'est accentuée visiblement; elles paraissent
se préparer à la résistance.
Le mot significatif de guerre sainte aurait
été prononcé.
Toutes les nuits, des signaux par feux sont
échangés entre les tribus de Oued-Chem et
la route de Soukahrras à Tebessâ.
Ce fait a été constaté également près du
pont de la Medjerdah.
L'attitude définitive de ces tribus dépendra
évidemment de celle que prendra le gouver-
nement du bey, lors de l'entrée de nos trou-
pes en Tunisie.
On a pu constater aussi, sur plusieurs
points, que nos tribus sont l'objet d'excita-
tions hostiles; le départ des troupes prises
dans la province d'Oran a été notamment
exploité en ce sens.
Sur ce dernier point, il convient d'ajou-
ter que, d'après des informations très sû-
res, des excitations de ce genre se sont,
en efiet, produites chez les tribus de la
frontière du Maroc, mais qu'elles n'ont
amené aucun résultat et que les troupes
empruntées momentanément à la province
d'Oran ont été remplacées dans leurs gar-
nisons par des régiments venus de France
et — notons ce détail — les effectifs sont
aujourd'hui ce qu'ils étaient avant les évé-
nements sur frontière. -
Nous voila en présence -de deux ver-
sions. Il n'est pas un homme de sens qui
puisse accepter la première et se lais-
ser prendre aux airs de soumission dont
on nous parle. Il ne faudrait pas connaître
à quels hommes on a affaire,- pour croire
que les Kroumirs soient disposés à poser
les armes à première réquisition. C'est de
la comédie pure que cette soumission, si
tant est que la nouvelle elle-même ne
soit pas une plaisanterie.
D'ailleurs, bien d'autres faits viennent
démentir l'assertion contenue dans la dé-
pêche de Tunis.
En voici un caractéristique :
!j!Éône, 17 avril.
On assure que lâitànonnièrèiTyèrce,envoyée
en exploration sur la côte tunisienne, a reçu
hier une quarantaine de coups de fusil du
fortin situé sur l'île de Tabarque. On ignere
encore si ce fortin est occupé par les Krou-
mirs ou par des troupes tunisiennes.
Personne, heureusement, n'a été atteint à
bord de la canonnière.
Peu importe que ce soient des Krou-
mirs, des Tunisiens ou bien les uns et les
autres ; ce qui paraît certain, c'est qu'un
de nos vaisseaux a été accueilli par une
fusillade partie du territoire tunisien.
Et l'on nous parle de soumission !
*
* *
Voici au sujet de l'île de Tabarque, dont
nous parlons plus haut, quelques détails
géographiques.
C'est une ancienne colonie génoise
très florissante, qui a eu jadis 7,000 habi-
tants ; elle est maintenant très peu peu-
plée. Elle pourra redevenir un établisse-
ment maritime important par sa position
sur le littoral du plus beau pays de la Tu-
nisie.
Les grands bâtiments peuvent mouil-
ler pendant l'été sur la petite rade de
Tabarque, par dix à douze mètres fond de
sable de bonne tenue. Ils peuvent mouil-
ler aussi dans la baie de l'est, avec des
vents d'ouest ou de nord-ouest, au sud-
est de la jetée en ruine; mais la tenue du
fond y est moins bonne.
Les petits bâtiments trouvent un bon
abri, même l'hiver, à l'entrée du port,
dont l'intérieur n'est plus accessible qu'à
des bateaux. Un bâtiment qui ne pouvant
atteindre l'île de la Galite voudrait s'y ré-
fugier par un gros temps n'aurait qu'à
courir sur la colonne d'amarrage en pas-
sant à égale distance de l'île et du conti-
nent, à laisser tomber une ancre à 50 mè-
tres de l'extrémité de la jetée, porter une
amarre sur la colonne et une ancre der-
rière dans le sud. La mer est amortie par
le ressac, elle n'arrive plus avec violence
sur ce point. u
La construction d'un bon port d'une
contenance de 16 hectares serait d'une
exécution facile et peu coûteuse. Les sa-
bles qui ont envahi une partie du port
pourraient être extraits sans peine et re-
jetés de l'autre côté de l'isthme.
e
aK ,
On constate tous les jours chez les tri-
bus de la frontière des symptômes qui ne
laissent aucun doute sur leurs intentions
hostiles et qui n'ont pas échappé aux of-
ficiers familiarisés avec les mœurs afri-
caines.
Toutes les nuits des signaux par le feu sont
échangés sur notre frontière.
De Bou-Madjàr à Tebessa," les nouvelles
sont transmises par les indigènes tunisiens,
de tribu en tribu, à l'aide de ce système pri-
mitif.
Depuis trois jours, on a pu s'en aporcevoir
de l'Oued-Ciiam et sur la route de Soukahr-
ras à Tebessa, notamment au piquet n° 90, à
deux kilomètres du pont de la Medjerdah.
On savait déjà qu'en Tunisie un grand mou-
vement s'est produit parmi les cavaliers des
tribus de la plaine, qui vont se joindre aux
Kroumirs pour combattre avec eux contre
nous.
Nous apprenons un autre fait plus signifi-
catif encore et dont nous pouvons affirmer la
certitude On constate, dans le bassin de la
Medjerdah, un grand passage de tribus se
dirigeant vers le sud, avec femmes, enfants,
vieillards et troupeaux. Dans les mœurs des
tribus arabes, nul symptôme de guerre n'est
plus certain. Les tribus font évacuer les non
combattants et les troupeaux, pour que l'en-
nemi ne rencontre sur son passage que des
hommes en armes et n'ayant rien à perdre.
*
* *
Pas plus que la guerre, la marine n'a
échappé au reproche de lenteur dans l'ar-
mement des vaisseaux de guerre destinés
au transport des troupes.
Voici ce que dit à ce propos le Petit
Marseillais, qui est mieux en place que
nous pour savoir la vérité :
Quelques journaux parisiens reprochent à
la marine « d'avoir pris trop de temps pour
lettre en état de prendre la mer les trans-
ports de l'Etat ». Il nous paraît, à nous gens
de mer et à notre correspondâ'nt de Toulon,
que ce reproche n'est nullement fondé et
qu'il témoigne quelque ignorance des choses
dela marine.
En effet, l'ordre d'armer des transports
n'est parvenu au port de Toulon que le di-
manche 3 avril. Dès le lundi 4. on commen-
çait à disposer l'Algésiras , VIntrépide, la
Sartlie, la Corrèze, la Dryade et la Guerrière,
tous navires désarmés, n'ayant à bord, d'a-
près les règlements, qu'un personnel de
quelques hommes seulement; pas de ma-
.tériel d'armement, pas de vivres, pas d'offi-
ciers, pas de maistrance, pas d'équipage et,
bien entendu, pas de charbon !
Or, le 9 au matin, en cinq jours seulement,
ces six navires étaient gréés, pourvus d'états-
majors, d'une maistrance, de vivres, de leur
charbon, et faisaient des essais de leurs ma-
chines ; en cinq jours seulement, ce véritable
tour de force que le dévouement de tout le
personnel, ouvriers et marins de l'arsenal,
avait seul permis de faire, était accompli,
— l'embarquement des munitions de guerre
de l'expédition commençait, et les 12 et 13 les
navires cinglaient vers l'Algérie, emportant
des approvisionnements immenses, plus de
cinq mille hommes, mille chevaux et tout un
matériel encombrant d'artillerie et d'ambu-
lances.
Il faut connaître les choses de la marine,
nous le répétons, pour concevoir l'activité ex-
traordinaire déployée, - au contraire, dans
cette circonstance, et c'est véritablement une
douloureuse injustice que d'élever le moin-
dre reproche contre la nlarine, qui s'est mon-
trée, en cette occasion, aussi dévouée et pa-
triotique qu'elle est accoutumée de le faire.
w
km
L'inquiétude des résidents étrangers à
Tunis va s'aggravant de jour en jour en
présence de l'attitude, peu rassurante
d'ailleurs, du bey de Tunis.
Peut-être y a-t-il quelque exagération
dans les bruits qui circulent, mais on se-
rait effrayé à moins.
Heureusement, la Jeanne d'Arc croise
à bonne portée. En cas d'alerte et si le
bey de Tunis laissait se produire le mou-
vement populaire dont il menace nos na-
tionaux, la Jeanne d'AJ'c pourra lui mon-
trer qu'elle a des canons à son bord.
Louis HENRIQUE.
L'agence Havas nous communique les
dépêches qui suivent ;
Alger, 1-7 avril, 11 h. 40 matin.
On mande de Soukahrras :
Une colonne tunisienne, composée de 600
cavaliers de 600 fantassins et d'un nombre
indéterminé d'irréguliers s'est avancée sur
Souk-el-Arba, station du chemin de fer la plus
voisine de la frontière française. Cette colonne
dispose de trois canons,
La guerre sainte est prêchée sur tous les
marchés de Tunisie.
Tunis, 16 avril.
(Arrivée le 17, à 3 h. du soir.)
Les agents du gouvernement tunisien assu-
rent que les Kroumirs ont fait leur soumis-
sion.
Un marabout de la province de Constantine
a eu une longue conférence avec le bey ; ce
personnage se tiendrait caché chez les Sel-
Agiz-Ben-Atoul ; il voudrait déterminer le bey
à provoquer un soulèvement populaire.
Les agents du premier ministre, Mustapha-
Ben-Ismaïl, ont réquisitionné des chevaux
pour l'armée; 5,000 piastres seraient versées
à compte.
Tunis, 16 avril, midi 45.
(Arrivée le 17 avril, à 11 h. 35 matin.)
Des agents français ont arrêté à la gare
deux individus venant de la Calle, posant le
costume des tirailleurs algériens.
Après un interrogatoire sommaire, les deux
prisonniers ont été remis aux autorités tu-
nisiennes, qui ont déclaré répondre d'eux.
Deux hypothèses sont en présence : ou ces
deux individus sont des déserteurs français
ou ce sont des marabouts venant prêcher la
guerre sainte contre les chrétiens. Cette der-
nière hypothèse est la plus vraisemblable.
Le consul de France a immédiatement té-
légraphié à la Calle pour avoir des renseigne*
ments.
LES BONS PATRIOTES
Après l'effarement des premiers jours,
on avait pu espérer que les patriotes ar-
dents qui sonnent la cloche d'alarme
mettraient une sourdine à leurs attaques
violentes contre le chef de l'armée. Les
plus âpres ont compris qu'ils s'étaient éga-
rés ; mieux renseignés, mieux éclairés
par les dépêches des correspondants qui
suivent la concentration des troupes sur le
terrain même, et dont tout ie monde a pu
lire et commenter les récits, ils ont avoué
loyalement qu'ils s'étaient trompés. Tous
les belligérants de la première heure ont
déposé les armes et cessé une campagne
qui indignait l'armée et qui a désolé les
vrais patriotes.
Tous, sauf deux.
L'un dénonçait au pays le péril national,
avec l'intempérance de langage qui lui est
familière.
L'autre, sentant le terrain lui man-
quer, a fait une diversion fort imprévue ;
il a laissé de côté l'expédition contre les
Kroumirs et s'est donné la triste mission
de démontrer au pays et à l'étranger que
nos frontières étaient ouvertes à tout ve-
nant, par la faute et l'impéritie du mi-
nistre de la guerre.
A ces griefs nouveaux, et qu'on serait
en droit de trouver tardifs et inoppor-
tuns, même s'ils étaient justifiés, nous ne
voulons pas répondre. Nçjcas estimons
qu'une pareille discussion,dans un pareil
moment,est une faute impardonnable, que
rien ne saurait excuser. Nous croyons —
chacun comprend l'amour de la patrie à
sa façon- faire acte de patriotisme en
- refusant d'entrer même dans l'examen des
questions délicates soulevées par un de
nos confrères, encore moins de publier
les documents avec lesquels il serait facile
de le convaincre d'erreur.
A chaque jour son œuvre.
Pour le moment, nous ne voulons que
dire un mot pour rétablir les faits.
Dès 1879, les commandants de corps
d'armée avaient fait part au ministre
de la guerre des critiques que l'étude du
système défensif de. la France en voie
d'achèvement leur avait suggérées. A
cette époque, le ministre, le général Gres-
ley, entreprit une tournée dans l'Est" ac-
compagné des présidents des comités de
fortification et de l'artillerie. C'est à la
suite de cette tournée d'inspection sur la
frontière de l'Est, c'est à ce moment et
non pas à un autre, qu'il fut décidé qu'on
apporterait au plan de défense les mo-
difications reconnues nécessaires.
Encore une observation.
On a été un peu étonné de voir le nom
du général de Rivière mêlé à ces attaques
passionnées, et l'on a pu se demander
pourquoi il les couvrait de son silence
en même temps que de l'autorité de son
nom.
*
Feuilleton du XIXa S/ËCLB
DU 19 avril 1881
CAUSERIE
DRAMATIQUE
ECOND THÉATRE-FRANÇAIS Î Madame de
■Maintenon, drame en quatre actes et un pro-
logue, en vers, de M. F. Coppée. — THÉÂ-
TRE DU GYMNASE : Monte-Carlo., comédie
en trois actes de MM. Belot et Nus.
Les Parisiens ont beaucoup aimé le
drame historique. Le temps n'est pas fort
éloigné où les habitués des petites pla-
ces, dans les théâtres du boulevard, con-
naissaient en quelque façon dans leur
intimité la plupart des personnages de
l'histoire de France, particulièrement
depuis les Valois jusqu'à la Révolution.
Mazarin, Richelieu, le Régent, et, plus
en arrière, Concini, Marie de Médicis,
les mignons, les l'affinés, les mousque-
taires, les « chevaliers », tout ce monde
était devenu personnage de drame et de
comédie. C'est Alexandre Dumas, avec
Henri III et sa cour, qui eut la gloire
d'inaugurer ce cycle nouveau, de nous
délivrer des Grecs et des Romains, et
de donner à l'histoire, mise à la scène,
sinon plus de vérité quant aux faits ra-
contés, du moins une allure moins so-
lennelle, un luxe de détails, une fami-
liarité d'expression qui nous la rendi-
rent plus attrayante et la font plus vivante.
On prétend que ce goût du public
pour les drames historiques est passé
de mode et que le naturalisme, s'infil-
trant peu à peu dans l'esprit de la fou-
le, a réussi à nous faire trouver que tout
ce qui manque de « modernité » manque
en même temps d'intérêt. Je ne veux
pas souscrire à cette opinion. Des cir-
constances particulières ont bien pu
diminuer le nombre des œuvres his-
toriques. Mais, comme il arrive pour
les peuples en progrès, nous ne ces-
serons pas d'être curieux de nos ori-
gines, d'aimer qu'on nous redise notre
histoire. La vérité, d'ailleurs, que l'on
recherche aujourd'hui au théatee, on
peut la trouver dans la mise à la scène
de personnages historiques. Il est plus
facile peut-être de connaître tel caractè-
re en lisant Saint-Simon que de le con-
naître par l'observation àfrecte ; et,
quant à l'intérêt, j'en trouve au moins
autant à pénétrer Y giflé d'un personnage
historique mêlé aux grandes affaires du
pays qu'à suivre par le menu le cas
pathologique d'un alcoolisé. Le pittores-
que de la mise en scène, dont l'école
moderne fait surtout cas, peut être aussi
piquant en nous faisant entrer dans
une Cour d'autrefois qu'en nous forçant
à pénétrer, le nez bouché, dans un as-
sommoir. L'essentiel est que le drame
historique aborde un fait important et
intéressant, et le fasse avec art, déve-
loppant des caractères vrais, ne deman-
dant à la convention théâtrale que ce
qui est indispensable. Bref, pour con-
clure comme M. de La Palice, les
comédies et les drames historiques se-
ront toujours goûtés, à condition d'être
bons.
Le drame que M. F. Coppée vient de
donner à l'Odéon, Madame de Mainte-
non, est-il un bon drame ? Toute la ques-
tion est là. Je crois qu'il faut conclure
par l'affirmative, tout en entourant cet
éloge de restrictions que je veux faire
très frarîches. L'œuvre de M. Coppée a
assez de mérites pour n'avoir pas besoin
de complaisances. Il a entrepris de nous
peindre la cour de France en 168H, au
moment où le roi, vieillissant, se fit er-
mite, c'est-à-dire dévot. C'est l'époque
de son mariage ayee la veuve de Scarron,
deYenu. marquise de Maintenon par les
bontés de Mme deMontespan. C'est aussi
l'époque de la révocation de l'édit de Nan-
tas et de cette farce sinistre qui trans-
forma en théologien, dragonnant les hu-
guenots et persécutant les jansénistes,
ce Louis XIV qui était certainement le
dévot le plus ignorant de son royaume
« Le roi était devenu dévot, et dévot dans
la dernière ignorance», dit Saint-Simon.
M. Coppée a mêlé dans l'action imaginée
par .lui ces deux événements, qui eurent
une corrélation réelle : le mariage du roi et
la révocation de l'édit. Et il a en tiré une
fable qui, sans être de tous points excel-
lente, n'est pas des piteg,
Le prologue nous contre Mme de
Maintenon dans son état de femme
du poète Scarron. JProtestànte convertie
par les bons Soins d'uae esrtaine ma- J
dame de Heumant, Françoise d'Aubigné
épousa le cul-de-jatte, son voisin de la
rue d'Enfer, pour se faire une situation
dans le monde, où, déjà ambitieuse, elle
brûlait d'entrer. M. Coppée a insisté sur
les tristesses d'une telle union. Il nous
a décrit les humiliations de la jeune
femme en présence d'un triomphe bouf-
fon de son mari. Peut-être ne nous
a-t-il pas assez dit que ce mari était fort
honnête homme, et que ce pauvre ma-
lade piein d'esprit, adoré de la haute
société d'alors, sauva, dans un généreux
élan de son cœur, la future reine de
France de la vie des courtisanes, à la-
quelle elle était condamnée et à laquelle
elle s'essaya probablement, en] compa-
gnie de son amie Ninon de Lenclos, qui
lui prêtait « sa chambre jaune ». Dans
le logis mieux hanté de Scarron, Fran-
çoise d'Aubigné revoit un ami d'en-
fance, Antoine de Méran, jeune hugue-
not fanatique, qui l'aime avec la naïveté
de ses vingt ans. Françoise lui promet
de l'épouser quand elle sera veuve, et
Antoine part, cherchant la fortune en
Amérique, non sans emporter en sou-
venir un psautier huguenot, où la date
de l'entrevue des adieux est écrite de
la main de Françoise. Une faute que la
Maintenon n'eût pas commise 1
Vingt-cinq ans plus tard, vingt-cinq
ans après ce prologue qui nous fnontre
Mme de Maintenon telle qu'elle s'est
dépeinte elle-même, pleine de jeunes
espérances et d'honnêtes illusions, —
il faut peut-être rabattre quelque chose
du portrait, — nous retrouvons à la cour
de Versailles l'aventurière ou tout au
moins la déclassée, née dans une prison
d'Etat, d'un père cmi avait épousé la
fille de son geôlier, séduite par lui,
après avoir peut-être tué sa première
femme ; la sœur de ce chenapan, le comte
d'Aubigné, qui préparait la cour à sup-
porter plus tard le frère de la du Barry ;
la maîtresse de Villarceaux ; la veuve de
Scarron; la « servante » de l'hôtel d'AI-
bret; la protégée de la Montespan; la
complice des amours seciètes du roi
Que de chemin fait en ces vingt-cinq
ans ! La marquise est à la veille de se
faire épouser, à cinquante ans, par le
roi plus jeune qu'elle. Elle domine et,
comme dit Saint-Simon, elle est déjà en
plein dans ses « régenteries ».
C'est alors que, comme le spectre du
passé, à Versailles, arrive, non pas
Antoine de Méran, mort; avec ses
espérances, en Amérique, mais le frère
de celui-ci, Samuel. Ce jeune huguenot,
qui, au physique comme au moral, est
le portrait de son aîné, rapporte à la
marquise le psautier où elle a inscrit son
serment d'amour. Il ne manque pas de
lui reprocher, en même temps, les persé-
cutions contre ses anciens coreligionnai-
res, dont on l'accuse d'être l'auteur. Elle
se disculpe, mais sans pouvoir rien faire
accepter à Samuel, qui va quitter la
France pour échapper à l'édit.
Avant de partir, cependant, le jeune
homme voit sa fiancée, Henriette d'Au-
busson, la fille d'un capitaine qui com-
mandait le navire sur lequel il est revenu
d'Amérique. Cette jeune fille est protes-
tante : on l'a confiée à Mme de Mainte-
non, sa parente, qui ne manque pas de
vouloir la convertir. Mais elle a juré à
Samuel de ne pas quitter sa foi protes-
tante et de le rejoindre en exil dès que
son père sera de reto"* H, d'Aubusson
est attendu à Paris. Il doit prendre part,
avec Samuel, à un conciliabule de chefs
protestants.L'assemblée se tient dans les
catacombes. Il paraît qu'en 1685 on ne
les connaissait pas. Mais qu'importe ! La
scène des catacombes a été le clou de la
pièce,comme on dit, eta déterminé le suc-
cès. Elle est fort belle et frappe l'ima-
gination et les yeux, comme une scène
d'opéra - qu'elle rappelle. Les chefs
délibèrent. Les uns veulent subir l'exil
et le martyre. Les autres, à la tête des-
quels est un certain baron de Saint-
Paul, un de ces féodaux huguenots du
Midi dont la fière race a disparu sans
être domptée, veulent la guerre ; mais
pour la faire il faut accepter le secours
de Guillaume d'Orange, dont l'envoyé
est là. C'est alors que Samuel, repous-
sant l'offre de l'étranger, place ce cou.
plet patriotique, cet air de bravoure
qu on applaudit toujours a 1 Udeon et a
la Comédie comme à l'Opéra. L'offre de
Guillaume repoussée, grâce à l'éloquence
de Samuel, le baron de' Saint-Paul reste
seul avec deux ou trois des conjurés les
plus déterminés, et Samuel parmi eux.
Le hardi baron a imaginé un autre
moyen de sauver la cause. 11 enlè-
vera le duc de Bourgogne, l'emportera
dans les Cévennes, et ne le rendra
que contre la restitution de l'édit. Le
plan est agréé. Seul, Samuel refuse de
prendre part à l'exécution du complot,
parce qu'il faut tuer une sentinelle. La
fable, ici, nous demande un trop grand
oubli des caractères du temps. Que Sa-
muel répugne à accepter l'or de Guil-
laume, c'est déjà beaucoup. Le patrio-
tisme, tel que nous l'entendons, était
ignoré de la noblesse nrotestante. Mais
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
- Auteurs similaires Chadeuil Gustave Chadeuil Gustave /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Chadeuil Gustave" or dc.contributor adj "Chadeuil Gustave")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7563630d/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7563630d/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7563630d/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7563630d/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7563630d
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7563630d
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7563630d/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest