Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-05-23
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 23 mai 1890 23 mai 1890
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Dix-neuvième année. N" (\,'iÜ3 Centimes paria et Départements — CINQ Centimes VE.N'DREDiaa MAI 1899
LE Xir SIÈCLE
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M.Daelafosse répond, dans le Matin,
aux-commentaires qu'avait provoqués
son dernier article élogieux pour M.
QonStnns. Il explique que M. Constans
méritait l'approbation de la Droite et
que, « lorsqu'un ministre de la Répu-
blique agit et parle comme l'eût fait un
ministre de l'empire, comme les droi-
tiers parleraient et agiraient eux-mê-
ines &'ils étaient au pouvoir, l'opposi-
tion conservatrice a le devoir de le lui
dire publiquement. » Parler et agir
ci comme un ministre de l'empire», c'est,
dans la pensée de M. Delafosse, un
des plus grands compliments que l'on
puisse adresser à un ministre. Il se
trouve des républicains qui ne parta-
gent pas cette opinion ; ce n'est pas
pour conserver les lois et l'organisa-
tion de la monarchie et pour repren-
dre, par surcroît, les procédés de l'em-
pire, que nous avons fait en ce siècle
eile demi-douzaine de révolutions et
proclamé la République.
Mais ce n'est là que le moitfdre inté-
rêt des explications dé M. Delafosse.
Le point saillant, c'est l'affirmation
nouvelle et plus précise des senti-
ments qui animent une partie de la
Droite. Tandis que certains droitiers
poursuivent contre la République une
lutte acharnée, déclarant bien haut
qu'ils ne se tiendront pour satisfaits
que le jour où ils auront « étranglé la
gueuses, où ils lui auront « tordu son
vilain cou » ou « planté une fourche
de fer dans le ventre Y-P, d'autres pour-
suivent avec plus de persévérance
qu'on n'aurait pu le croire, une cam-
pagne fort différente. Ils s'aperçoi-
vent que « la République est un mot
vide de sens, puisqu'il n'implique au-
cune politique déterminée" et que, en
réalité, la forme républicaine du gou-
vernement peut s'accommoder avec
les politiques les plus réactionnaires
comme les plus radicales. Ce ne de-
vrait pas être une découverte pour les
droitiers. Tous les républicains l'ont
dit; ils ont tous fait valoir que l'une
des supériorités de la République sur
les autres régimes consistait précisé-
ment dans cette flexibilité qui laissait
la nation maîtresse d'elle-même, sans
qu'elle eût à compter avec les volontés
personnelles ou les intérêts dynasti-
ques d'un souverain. Raoul Duval s'en
était bien aperçu aussi lorsqu'il ten-
tait, aux grands ricanements des réac-
tionnaires, de créer la Droite consti-
tutionnelle. Il y avait, on doit le re-
connaître, entre lui et les « indépen-
dants » actuel, une différence nota-
ble. Il voulait adhérer franchement et
sans restriction à la République. Les
autres se contentent de dire que la
question de forme du gouvernement
a reste en dehors et au-dessus de la
lutte présente Yi,, ce qui n'interdit ni
n'exclut les espérances ou les illusions
ultérieures. Ce n'est donc pas le
parti tory qu'il s'agit de créer dans
la République, mais bien simple-
ment un armistice de durée indéter-
minée qu'on se propose de consentir.
Provisoirement, M. Delafosse et ses
amis acceptent de ne pas combattre
la République; mais, à leurs yeux, « le
gouvernement de la République a été
jusqu'ici une plaie, sa politique un
crime et son œuvre une dévastation.
Il n'y a, pour les conservateurs, au-
cune solidarité possible, pas plus dans
l'avenir que dans le passé, avec un
pareil régime. » Ceci est suffisamment
clair. Si ce n'est plus momentanément
contre la forme républicaine qu'on
lutte, c'est contre toute l'œuvre de la
République que l'on veut poursuivre la
campagne ; c'est contre le parti républi-
cain dans toutes ses fractions, puis-
que toutes, de la plus modérée à la
plus radicale, ont, bien que dans des
mesures différentes, contribué à l'œu-
vre commune, que l'on veut engager
le combat.
Il ne faut pas se dissimuler que
cette tactique serait à la fois plus per-
fide et plus dangèreuse que celle des
intransigeants de droite. Quelque
£ oin qu'ils prennent, aux élections,
de mettre leur drapeau dans leur po-
che, il en sort toujours un petit bout;
on trouve toujours le moyen de les
embarrasser et de faire un peu de lu-
mière, en leur rappelant qu'ils ont
pratiqué la politique du boucan, qu'ils
ont fait une opposition systématique.
Une attitude plus calme, quelques vo-
tes de confiance décernés à propos à
des ministres, changeraient notable-
ment les choses, et il pourrait se faire
que les efforts de l'Union libérale
joints à ceux de la Droite réussissent,
comme cela s'est déjà produit dans
quelques circonscriptions aux élections
générales et aux élections municipa-
les de Paris, à déposséder les républi-
cains d'un certain uombre de sièges et
à faire entrer dans la Chambre des
hommes qui, sans, soulever la ques-
tion de forme de gouvernement chas-
seraient le parti républicain de la Ré-
publique et établiraient, sous l'éti-
quette républicaine, un gouvernement
de réaction.
- Le danger n'est pas seulement de
les voir anéantir en quelques semai-
nes ou en quelques mois l'œuvre que
le parti républicain a mis plus de dix
ans à accomplir, de les voir suppri-
mer les lois libérales et les trop rares
réformes démocratiques qui ont été
réalisées, telles que les lois scolaires
ou cette loi sur la presse qu'ils défen-
dent aujourd'hui avec tant de zèle, et
qu'ils s'empresseraient de détruire s'ils
étaient au pouvoir, pour nous rame-
ner à un régime qui leur paraissait à
peine rigoureux lorsqu'ils étaient au
pouvoir. L'inconvénient ne serait pas
seulement de voir tout détruire et
d'avoir tout à recommencer. Mais
lorsque la République aurait ainsi
endossé la responsabilité de toutes ces
destructions et de cette réaction sans
frein, les voies seraient prêtes pour la
monarchie. On trouverait alors que le
moment serait venu de laisser « le
pays trancher lui-même, dans sa cons-
cience et sa libertés, la question de
forme du gouvernement, et l'on slgr-
rangerait de façon à lui indiquer dans
quel sens elle doit être « tranchée ».
Ces conséquences, qui n'ont rien de
chimérique , de la tactique recom-
mandée par les « indépendants » sont
dignes d'attention. C'est aux ministres
de la République à ne pas mériter la
confiance de la Droite « en parlant et
en agissant comme les ministres de
l'empire », et c'est au parti républi-
cain à ne pas se diviser, pour ne pas
permettre à ces ci républicains ralliés »
d'exercer une influence quelconque sur
les destinées de la République.
LE COMITÉ BOULANGISTE ST DISSOUS
Une note. — Souvenir au président
exilé.
[Les journaux boulangistes publient la note
suivante :]
Le comité républicain national, dans sa
séance du lmai 1890, a prononcé sa disso-
lution.
Fidèles à la cause de la République na-
tionale pour laquelle ils n'ont cessé-de com-
battre, ses membres persistent à voir dans
la revision de la Constitution la meilleure
et la seule garantie de l'affermissement
d'une République ouverte aux bons ci-
toyens, capable d'accomplir les réformes
sociales et digne enfin d'un pays tel que la
France. Ils n'abandonnent pas plus leurs
espérances que ne le font les vaillants élee-
teurs républicains dont le patriotisme s'est
encore affirmé avec tant d'énergie aux der-
nières élections municipales.
Tous conserveront un reconnaissant sou-
venir au président du comité républicain
national, à l'ancien ministre de la guerre,
l'exil les
qui paie de la proscription et de guerre,
services rendus au pays.
[C'est la première note du comité boulan-
giste dans laquelle le nom du général Bou-
langer ne soit pas prononcé. L'oubli irait-il
jusque-là 11
UNE FUSILLADE D'OUVRIERS
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 21 mai.
A Concelices, dans la Romagne, la troupe a
tiré sur des ouvriers qui réclamaient du tra-
vail; il y a eu trois morts et de nombreux bles-
sés.
UN CYCLONE A VERSAILLES
Grands dégâts dans le parc. — De
l'allée de l'Orangerie au bassin
de Neptume.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Versailles, 21 mai.
Un orage épouvantable éclatait avant-
hier sur Versailles. Le lendemain, on ap-
prit avec stupeur qu'une partie du parc
avait été mutilée par un cyclone qui avait
passé avec une rapidité effrayante.
Il fut facile de se rendre compte du che-
min suivi par l'ouragan.
De l'allée de l'Orangerie au bassin de
Neptune, en suivant l'allée des Trois-Fon-
taines, les arbres étaient gravement en-
dommagés.
En plus d'un endroit, d'énormes bran-
ches jonchaient le sol.
Un grand tilleul, situé près du bassin
de Neptune, n'avait plus une seule bran-
che.
Mais c'est surtout sur la terrasse au bout
de l'allée de l'Orangerie,que l'on put juger
de la violence du cyclone.
Trois arbres énormes avaient été arrachés
de terre et gisaient sur le sol. Deux étaient
tombés dans le bassin du Combat des ani-
maux, un groupe en bronzé d'un poids et
d'un volume considérables avait été projeté
jusque sur le bord du bassin. Heureuse-
ment, aucun objet d'art n'a été endommagé.
Cette partie de la terrasse est absolument
dévastée.
UN CARDINAL SUISSE
M. Mermillod
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTIOULIBa)
Berne, 31 mai.
Le Conseil fédéral vient d'être prévenu
par M. Mermillod, évêque de Lausanne et
Fribourg, que le pape lui a anno ncé son
élévation au cardinalat,et lui a fait remettre
le billet pontifical qui le constate officielle-
ment.
Il est entendu que le nouveau cardinal
résignera son évêché dans quelques mois,
pour se fixer à Rome.
GRÈVE SANGLANTE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER.)
Vienne, 21 mai.
Aux mines de Murschau, près Pilsen, une
grave collision a éclaté entre les grévistes et
la troupe, Il v a eu douze tués et seot bleés,
L'HISTOIRE
ET LA LÉGENDE
LE ROLE DE BISMARCK PENDANT
LA GUERRE
L'Alsace et la Lorraine. — Le prince
de Bismarck en 1870 et en 1890.
Dans un récent entretien; le prince de
Bismarck tend à rejeter sur la prolonga-
tion de notre résistance en 1870 et sur les
exigences du parti militaire allemand l'an-
nexion de l'Alsace et de la Lorraine à l'em-
pire germanique, reconstitué sous l'hégé-
monie du roi de Prusse.
Quelques adversaires de la République
ont relevé ces assertions pour en conclure
qu'elie est seule responsable de la perte de
ces deux provinces.
Il importe de ne pas laisser s'accréditer
cette légende.
Le prince de Bismarck, maintenant qu'il
vit dans l'opulente résidence dont notre
rançon l'a enrichi, peut oublier ce qu'il a
dit naguère et s'attribuer une attitude paci-
fique.
Mais notre devoir est de lui rappeler que
c'est lui, lui surtout, qui a été le prin-
cipal instigateur de la spoliation dont
nous avons été victimes et dont les consé-
quences se font, se feront sentir longtemps
encore.
C'est ce souvenir que nous allons évo-
quer.
Il a paru en 1879, avec l'autorisation du
chancelier, un livre intitulé : le Comte de
Bismarck et sa suite pendant la guerre de
France.
Or, voici ce que l'on peut lire, à la date
du 28 août 1870, dans ce recueil de notes
au jour le jour, tenu par son confident
d'alors, son secrétaire intime, Maurice
Busch :
« J'apprends, et j'ai fait part aux autres
que l'on est fermement résolu à demander
à la France l'annexion de territoires, et
que la paix ne se fera qu'à eette condition.
Un article, approuvé par le chef, établit ce
renseignement de la façon suivante."
Le chef, c'est le chancelier.
Quant à l'article qu'il inspira et approu-
va, il était destiné aux journaux allemands
et fut publié alors tel que nous le reprodui-
sons ci-dessous :
Un article du 28 août 1870
« Les armées allemandes, y est-il dit, de-
puis les victoires de Mars-la-Tour et de
Gravelotte, avancent irrésistiblement. Le
temps est venu de se demander à quelles
conditions l'Allemagne pourra faire la paix
àvec la France. Vidée de gloire et de con-
quête ne doit pas nous guider en cette cir-
constance, encore moins la générosité,
comme le voudrait la presse étrangère ;
mais uniquement le désir de protéger l'Al-
lemagne du Sud contre l'avidité française,
contre des attaques qui se sont produites
une douzaine de fois depuis Louis XIV et
qui se répéteront aussi souvent que la
France se croira assez forte pour les entre-
prendre. Les sacrifices immenses d'argent
et de sang qu'a faits le peuple allemand,
de même que toutes nos victoires, devien-
draient complètement inutiles si l'on ne
diminuait pas les forces offensives de la
France et si l'on n'augmentait pas les for-
ces défensives de l'Allemagne. C'est ce que
le peuple allemand a le droit d'exiger. Si
l'on se contentait d'un changement de dy-
nastie et d'une indemnité quelconque, rien
ne serait changé en réalité, et on n'empê-
cherait point cette dernière guerre de de-
venir le prélude d'une série d'autres guer-
res.
Viennent ensuite quelques considérations
sur notre esprit particulier, sur notre ca-
ractère vindicatif, sur notre amour-propre
excessif et sur les conséquences qui en ré-
sulteraient au point de vue de nos rela-
tions ultérieures avec l'Allemagne, au cas
où celle-ci ne nous éloignerait pas des ri-
ves du Rhin.
Une preuve irréfutable
L'article se termine ainsi qu'il suit :
« Nous ne pouvons recueillir les fruits de
notre victoire qu'en améliorant les forces
défensives de notre frontière. Celui qui, en
Europe, désire une paix permettant de di-
minuer le budget de la guerre doit souhai-
ter qu'une barrière solide soit opposée aux
désirs de conquête des Français. En d'au-
tres termes, il faut à l'avenir rendre impos-
sible aux Français l'envahissement de l'Al-
lemagne du Sud avec une armée relative-
ment petite, et empêcher que, même en
temps de paix, les Allemands du Sud ne
soient forcés d'observer la France.
» Donner à l'Allemagne du Sud une fron-
tière solide doit être notre but, notre tâ-
che ; accomplir cette tâche, c'est délivrer
complètement l'Allemagne et compléter la
guerre de libération de 1813 et 181A. Le
moins que nous devions exiger pour que
l'Allemagne entière, pour que tous les peu-
ples au-dessous du Mein qui sont de notre
race et ont combattu avec nous puissent se
déclarer satisfaits, est donc qu'on nous li-
vre les portes d'ou la France peut faire ir-
ruption sur l'Allemagne, c'est-à-dire Stras-
bourg et Metz. Vouloir attendre une paix
durable de l'anéantissement de ces forte-
resses serait une illusion de myope; ce se-
rait s'imaginer.qu'il est possible de gagner
les Français par la clémence; ce serait aussi
oublier que nous demandons l'acquisition
de territoires qui ont été allemands et qui,
peut-être avec le temps, rapprendront à se
sentir allemands. Les changements de dy-
nastie nous sont indifférents.
» Une indemnité de guerre ne constitue
qu'un affaiblissement passager de la France.
Ce qu'il nous faut, c'est une plus grande
sûreté des frontières allemandes, et nous
ne l'atteindrons qu'en transformant les for-
teresses qui nous menacent en ouvrages de
défense. Strasbourg et Metz, de forteresses
agressives françaises, doivent devenir for-
teresses défensives allemandes. Celui qui
veut sincèrement la paix, qui veut que la
charrue prime le sabre, doit souhaiter
d'abord que les voisins de la France soient
en état d'y consentir, car seule la France
trouble la paix, et elle le fera tant qu'elle
en %ura la force. »
C'est le ^8 août 1870 que le chancelier
s'exprimait ainsi.
A cette date, nous n'avions pourtant pas
encore subi la catastrophe de Sedan.
Les adversaires -le la République sont
donc aussi malvenus {:, lui imputer la res-
ponsabilité de la perte dé l'Alsace et de la
Lorraine, que le prince de Bismarck quand
il rejette .sûr d'autres cette annC."(ion, car
c'est lui surtout qui l'a souhaitée, conseil-
lée et imposée.
Voilà ce que l'histoire répond aux récits
fantaisistes de celui qui fut notre plus
implacable ennemi.
L'AMIRAL DUPERRE
La bataille de Sedan. — Dévouement à
l'impérairice. — Quels sont les états
de service?
Un journal essaie de prendre la défense
de M. l'amiral Duperré. Naturellement, c'est
le Temps :
Cette note (la note de l'Agence Havas que
nous avons publiée hier) n'aurait pas besoin
de commentaires, dit le Temps; il en ressort
très clairement que l'amiral Duperré a été fait
prisonnier par l'autorité belge et n'a été auto-
risé à rentrer en France qu'après la signature
des préliminaires de paix.
Que le Temps nous explique donc com-
ment et pourquoi M. l'amiral Duperré,
appelé à l'armée de Metz, franchit la fron-
tière de Belgique lors de la bataille de
Sedan?
Car l'amiral Duperré n'assista pas à la
bataille de Sedan, pas plus qu'il n'a assisté
à d'autres batailles, bien qu'il ait été nommé
contre-amiral à quarante-six ans.
Lorsque Bergasse du Petit-Thouars tom-
bait blessé sous les murs de Strasbourg,
lorsque l'amiral Pothuau se battait, — avec
quel courage ! — sous les murs de Paris ;
lorsque Jauréguiberry était le « digne et hé-
roïque lieutenant de l'illustre Chanzy", l'a-
miral Duperré, qui va remplacer du Petit-
Thoùars dans le commandement de l'esca-
dre de la-Méditerranée, était à Paris; il ve-
nait d'être promu capitaine de vaisseau ; il
était aide de camp du prince impérial. La
révolution du h Septembre survient; l'ami-
ral Duperré, toujours à Paris et non à Se-
dan, sollicite et obtient l'autorisation de
passer pour quarante-huit heures en Angle-
terre.
terre. Discours à l'impératrice
Il est reçu par l'impératrice, et voici le
discours qu'il lui adresse :
« Madame, je n'ai point voulu que l'on
pût dire que, dans le malheur, j'avais aban-
donné et oublié Votre Majesté, et j'ai tenu
à venir déposer à vos pieds l'hommage de
mon respect et de mon dévouement. »
Le moment était bien choisi. C'était sur-
tout la France qui était « dans le malheur »
à ce moment, jetée dans une guerre à la-
quelle l'impératrice avait contribué plus
que personne.
Puis l'amiral ajoute, se rappelant son
devoir :
« Mais je suis soldat avant tout et vous
comprendrez que le devoir m'appelle en
France, alors qu'on se bat et que le pays
est envahi. Vous m'excuserez donc, ma-
dame, de rejoindre mon poste sans retard,
pour voler, dans la mesure de mes forces,
au secours de la patrie menacée. »
Et il « vole». dans un port, et bientôt on
lui octroie un nouveau congé de plusieurs
semaines.
Puis c'est la Belgique, et enfin le retour
auprès de l'impératrice, en Angleterre, où
il reste jusqu'à la paix.
Voilà la vérité et le Temps ne pourra pas
faire que cela ne soit la vérité. Aussi bien,
il n'y a pas un officier de marine qui ne
connaisse ces choses attristantes et qui ne
soit découragé en voyant en quelles mains
est tombé le commandement de l'escadre de
la Méditerranée, — notre seule escadre —
en quelles mains est le sort de notre marine
devenue le fief de cet incroyable dictateur.
CHRONIQUE
Vous savez que M. Bérenger vient de
déposer sur le bureau du Sénat un rap-
port sur une loi qui permettrait au juge
d'accorder « un sursis à l'exécution de la
peine », quand c'est pour la première fois
que le condamné passe devant les tribu-
naux.
Ce sursis serait de cinq ans. Au bout de
ce temps, si le condamné ne s'était rendu
coupable d'aucune récidive, sa peine se-
rait prescrite et il n'en resterait plus
trace, même dans son casier judiciaire.
Si un autre méfait le ramenait devant les
jurés, il serait traité en récidiviste, et à la
nouvelle peine qu'il pourrait encourir se
joindrait l'ancienne qu'il n'aurait pas
purgée.
Telle est l'économie de ce projet de loi,
au moins en ses grandes lignes, car il
comporte beaucoup de détails où je ne
crois pas utile d'entrer.
Ce qui étonnera bien des gens, c'est que
ce projet n'ait pas été déjà présenté et
voté depuis longtemps.
Il semble que notre code ait eu sans
cesse à cœur de prendre des précautions
contre l'excès d'indulgence qu'il suppo-
sait, j'imagine, au cœur des juges cor-
rectionnels, il semble qu'il ait voulu les
mettre en garde contre leur faiblesse et
les obliger à condamner quand même.
Ce soin n'était pourtant pas bien né-
cessaire.
Il n'y a rien de plus racorni et de plus
dur que le cœur d'un vieux juge. Ce
n'est pas pour dire du mal des magis-
trats. On compte parmi eux beaucoup
de braves gens, qui, dans l'intimité, ou
même dans les relations ordinaires de
la vie, sont pleins de bonne grâce et d'a-
mabilité. Une fois sur le siège, c'est une
autre affaire.
Mon Dieu! ce n'est pas leur faute. Tout
le monde sait l'influence terrible du mé-
tier sur l'homme qui l'exerce. Un menui-
sier, à force de pousser le rabot, a des
calus aux doigts ; un magistrat, à force
de voir et de condamner des fripouilles,se
fait des calus au cœur. Songez donc à ce
que c'est que d'écouter tous les jours,du-
rant trois ou quatre heures d'horloge,un
tas d'horreurs qu'ont commises des gre-
dins à faces patibulaires. Tous se disent
innocents, tous ont des avocats qui s'ef-
forcent de les excurser. Il peut se faire
que la première année un juge prête l'o-
reille à la défense, se sente éinu de pitié
pour un pauvre diable quelquefois plus
malheureux que coupable., qu'il penche
vers un adoucissement de peine. Mais
l'accoutumance linit par l'cndurcir.U ex-
pédie sommairement cette besogne,d'au-
tant plus fastidieuse qu'elle revient tous
les jours ; il écoute à peine les explica-
tions qu'il a entendues cent fois et qu'il
tient par avance pour les plus fausses du
monde i un mois de ;prison! deux mois
de prison! trois mois de prison! Ces mots
tombent indifféremment de ses lèvres,
sans qu'il y attache un sens fort précis.
Il ne se dit pas qu'un mois de prison,
c'est trente jours pour une créature hu-
maine à être privée de sa liberté, et que
chacun de ces jours se compose de vingt-
quatre heures. Non, ces mots : trois mois
de prison forment pour lui une phrase
abstraite qu'il laisse couler de sa bouche,
comme un dévot ses orémus.
Sa sensibilité s'est absolument émous-
sée. Je parle en général, bien entendu ; et
il peut se faire qu'il y ait des juges qui,
réagissant contre les influences du métier,
se soient gardé un cœur tendre sous larobe.
Je n'en ai pas connu ; mais ce n'est pas
une raison pour qu'il n'y en ait point. Il
doit y en avoir.
Ce sont de rares et belles exceptions.
Aussi ne puis-je assez m'étonner que
notre code pénal ait marqué cette mé-
fiance, et qu'à chaque ligne il montre un
désir évident d'enfermer le juge dans la
nécessité de condamner, lui fixant un
minimum au delà duquel il ne saurait
descendre.
Ah bien! ce n'était pas la peine d'avoir
cette crainte! Le juge, qui chez noùs
peut osciller entre un minimum et un
maximum, a une tendance invincible à
se rapprocher du dernier. Quand même
le code ne lui interdirait pas formelle-
ment le pardon, il n'y songerait guère.
Ça changerait trop ses habitudes.
Il faut qu'il y songe pourtant. M. Béren-
ger demande que, dans certains cas, très
définis, le juge soit forcé, en prononçant
la condamnation, d'accorder un sursis de
cinq années. M. Bérenger aurait pu de-
mander davantage : qu'il fût loisible au
juge de pardonner purement et simple-
ment.
Oh ! nous ne le savons que trop : le juge
n'abuserait point de cette permission. Il est
probable même qu'il n'en userait jamais.
Mais ce serait déjà quelque chose qu'elle
figurât dans la loi, qu'elle fournît de
temps à autre une arme au journalisme
contre la dureté de cœur des magistrats.
La presse tout entière a conté, il y a
deux ou trois mois, une histoire na-
vrante. Un pauvre diable trouve une
bourse bien garnie, ou un portefeuille
bourré de billets de banque, je ne sais
plus au juste. Il aurait pu se l'appro-
prier ; il le rapporte fidèlement au pro-
priétaire qui l'avait perdu et qui le re-
mercie d'une excellente poignée de
main. A quelques jours de là, poussé par
une affreuse misère, voyant sa femme et
ses enfants crever la faim, il perd la tête,
sort, et dérobe je ne sais quelle victuaille
à un étalage. Il était maladroit au vol, il
est pris et traîné en police correction-
nelle. il est clair qu'il eût fallu acquitter
ce malheureux, faire pour lui une col-
lecte et le renvoyer à sa famille, qu'il
soutenait de son travail. Rien de plus in-
sensé que de jeter en prison cet honnête
homme, qui en sortira perverti peut-être,
aigri à coup sûr. Il avait cédé à une mi-
nute d'égarement; qui dit qu'il ne re-
commencera pas de bon cœur?
Les juges n'avaient pas, à ce qu'il pa-
rait, le droit de pardonner.
Ils ne l'avaient pas !. ils ne l'avaient
pas!. Si pourtant le ministère public
eût abandonné la plainte; si, au lieu de
requérir contre l'accusé, il s'était tourné
vers son avocat et lui avait dit : Tendez
donc la main ! voilà mes cent sous ! faites
le tour de la salle, et remettez à ce mal-
heureux le produit de cette collecte, est-
ce que le tribunal aurait pu condamner?
Ça n'aurait pas été dans les formes, je
sais bien. Mais si l'accusé n'avait pas été
déféré aux juges, il n'eût pas été con-
damné, et quel besoin y avait-il de don-
ner suite au procès-verbal ?
Enfin, dans ces cas-là, et ils ne doivent
pas être si rares qu'on l'imagine, le juge
pourra, sinon pardonner, puisque la loi
Bérenger ne lui en donne pas le droit, au
moins prononcer le sursis d'exécution et
le laisser suspendu comme un avertisse-
ment et une menace sur la tête du con-
damné. Il est à présumer qu'un homme
aui n'est pas foncièrement vicieux, s'il
échappe ainsi à la condamnation pro-
noncée contre lui, sera forcé de rentrer en
lui-même et s'observera davantage. On
dit parfois qu'un homme averti en vaut
deux; cela ne veut Pas dire grand'chose,
à prendre le sens exact du terme. Mais le
peuple entend par là qu'un homme qui
a reçu un de ces avertissements se tient
doublement sur ses gardes.
La loi est donc bonne, et il faut espérer
qu'elle sera votée, en attendant que l'on
refonde entièrement notre code pénal,
qui n'est plus en harmonie avec les
mœurs de notre temps.
Francisque Srcey.
Le XIXe SIECLE publiera demain la
» Vie de Paris » par Henry Fouquier.
M. SAINT-SAENS A L'OPÉRA
L'auteur d* « Ascanio »
M. Saint-Saëns assistait hier soir, pour
la première fois, à la représentation d'As-
canio.
Les artistes ont rivalisé de zèle et de ta-
lent pour interpréter dignement l'œuyre
du maître, qui a témoigné chaudement sa
vive satifaction à tous, artistes du chant,
de l'orchestre, des chœurs et de la danse.
— Pas un théâtre au monde, disait-il, ne
pourrait monter un ouvrage aussi magni-
fiquement.
Il a, en termes émus, manifesté sa joie à
M. Gailhard et l'a chaleureusement remer-
cié de son dévouement et du goût artisti-
que dont il a fait preuve uie fois de plus
dans Ascanio.
LA QUESTION DE L'OPERA
LES CANDIDATS A LA DIRECTIOI
MM. Ritt et Gailhard devant la oom.
mission supérieure des théâtres. —
Ouvrages nouveaux, représen-
tations à prix réduits et ma-
tériel. — Vote favorable
de la commission.
Le privilège de la direction actuelle d6
l'Opéra, concédé pour sept ans, expire le
31 décembre 1891, c'est-à-dire dans dix-
huit mois.
Les candidats à la succession de MM. Ritt
et Gailhard surgissent déjà de tous côtés,
et on n'en compte pas moins de seize jus-
qu'à présent. Ce nombre grossira encore,
sans aucun doute; mais il décroîtra, eu
revanche, avec la même rapidité, quand le
moment viendra de justifier de l'apport
d'un cautionnement de 800,000 francs.
En attendant, tous ces candidats se démè-
nent pour empêcher le renouvellement du
privilége aux directeurs actuels; on a soi-
gneusement relevé de prétendues infrac-
tions au cahier des charges, et la commis*
sion supérieure des théâtres a été appelée
à émettre son avis à ce sujet.
La commission des théâtres
Cette commission est composée de vingt-
deux membres, dont les noms suivent :
MM. le ministre des beaux-arts; le direc-
teur des beaux-arts ; le directeur des bâti-
ments civils ; Calmon, Denormandie, Adrien
Hébrard, sénateurs; Emmanuel Arène,
Henry Maret, Antonin Proust, Gustave Ri-
vet, députés ; Paul Dislère, Paul Dupré,
conseillers d'Etat; le préfet de la Seine et le
préfet de police ; Ambroise Thomas, direc-
teur du Conservatoire ; Alexandre Dumas.
Charles Garnier, Charles Gounod, Ernest
Legouvé, membres de l'Institut; Camille
Doucet, Colmet-d'Aage, Halanzier, Armand
Gouzien, inspecteur des beaux-arts ; des
Chapelles, chef du bureau des théâtres ;
Henry Régnier, sous-chef du bureau des
théâtres.
Trois questions avaient été soumises à la
commission, qui, après avoir entendu dans
deux séances précédentes M. le directeur
des beaux-arts, puis M. Gailhard, a émis,
dans sa séance d'avant-hier, les avis sui-
vants :
Première question. — Nombre insuffi-
sant d'ouvrages nouveaux représentés, l'ad-
ministration actuelle des beaux-arts ne
comptant comme tels ni Sigurd ni Roméo ;
La commission, à l'unanimité moins deux
voix, a admis que Sigurd devait être con-
sidéré comme un ouvrage nouveau. Pour
Roméo et Juliette, la question a été réser-
vée, le ministre des beaux-arts devant con-
sulter son prédécesseur, M. Lockroy, qui
avait donné verbalement l'autorisation né-
cessaire.
D'ailleurs, même sans compter Roméo, la
direction aura, dans quinze jours, avec
Zaïre et le Rêve, dépassé le nombre d'ou-
vrages nouveaux fixé par le cahier des
charges.
Voilà le premier point établi en faveur
de MM. Ritt et Gailhard.
Deuxième question. — Nombre insuffi-
sant de représentations à prix réduits :
Après avoir pris connaissance des docu-
ments apportés par M. Gailhard, documents
établissant que la direction devait être dis-
pensée d'une partie de ces représentations,
la commission a émis l'avis que M. le mi-
nistre devait s'entendre à l'amiable à ce
sujet avec les directeurs, pour qu'un cer-
tain nombre de ces représentations fussent
données.
Troisième question. — Etat des décors :
Sur ce point, la direction de l'Opéra ne
pouvait être mise en cause, ayant, à son
entrée en possession, fait ses réserves sur
les décorations laissées en mauvais état par
les directions précédentes ; elle a simple-
ment prouvé qu'elle avait entretenu ces dé-
corations avec tout le soin désirable. D'a-
près le cahier des charges, la réfection de
ces décors incombe à l'Etat seul.
La commission s'est donc bornée à nom-
mer une sous-commission, composée de
MM. Ch. Garnier, Proust et Durier, chargée
d'examiner le matériel et de rechercher
quel sera le mode le meilleur pour que
l'Etat procède aux réfections jugées indis.
pensables.
En résumé, la commission supérieure
des théâtres a, sur tous les points, donné
raison à MM. Ritt et Gailhard.
Ces questions seront probablement sou-
mises aussi à' la commission du budget.
LE COMSEIL MUNICIPAL
Deux réunions de conseillers munici-
paux. — Anciens et nouveaux. — Au-
tonomistes et anti autonomistes
Plusieurs conseillers municipaux n'ont
pas voulu attendre que la date de l'ou-
verture de la prochaine session du conseil
fût fixée, pour se concerter entre eux et
échanger leurs idées avec leurs nouveaux
collègues.
Comme à la Chambre après les élections,
la première question qui se posait, c'était
de savoir si l'on reconstituerait ou non les
anciens groupes.
MM. Deschamps, Lopin, Navarre et Rous-
selie avaient convoqué, à cet effet, les an-
ciens membres du groupe de l'autonomie
communale, ceux du groupe autonomiste
socialiste et tous les conseillers nouveaux
élus sur le programme radical socialiste, à
une réunion qui s'est tenue hier à trois
heures à l'Hôtel de Ville.
Trente et quelques membres avaient ré-
pondu à cet appel.
Les droits de Paris et la nouvelle
autonomie.
Il n'a point été question, sinon de façon
incidentelle, de là formation du prochain
bureau. Cette question est réservée à une
prochaine séance. Tout le débat a porté sur
le point de savoir s'il y avait lieu de recons.
tituer l'ancien groupe de l'autonomie com..
munale. MM. Deschamps, Ch. Longuet,
Lyon-Alemand, Patenne, Navarre, Sauton,
Alphonse Humbert, Baudin, etc., ont suc-
cessivement pris la parole. Quelques-uns
ont élevé d'assez vives critiques sur la ma-
nière dont avait fonctionné l'ancien groupe
pendant les trois ans qui viennent de s'é-
cour.
Finalement, l'assemblée a adopté à 1unam
nimité un ordre du jour portant qu'il y a
lieu de constituer un groupe ayant pour
but « la revendication des droits de Pa-
ris ».
De l'ensemble de la discussion il se dé-
gage que la nouvelle autonomie oommu-
nale entend s'attacher moins que car 4
LE Xir SIÈCLE
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M.Daelafosse répond, dans le Matin,
aux-commentaires qu'avait provoqués
son dernier article élogieux pour M.
QonStnns. Il explique que M. Constans
méritait l'approbation de la Droite et
que, « lorsqu'un ministre de la Répu-
blique agit et parle comme l'eût fait un
ministre de l'empire, comme les droi-
tiers parleraient et agiraient eux-mê-
ines &'ils étaient au pouvoir, l'opposi-
tion conservatrice a le devoir de le lui
dire publiquement. » Parler et agir
ci comme un ministre de l'empire», c'est,
dans la pensée de M. Delafosse, un
des plus grands compliments que l'on
puisse adresser à un ministre. Il se
trouve des républicains qui ne parta-
gent pas cette opinion ; ce n'est pas
pour conserver les lois et l'organisa-
tion de la monarchie et pour repren-
dre, par surcroît, les procédés de l'em-
pire, que nous avons fait en ce siècle
eile demi-douzaine de révolutions et
proclamé la République.
Mais ce n'est là que le moitfdre inté-
rêt des explications dé M. Delafosse.
Le point saillant, c'est l'affirmation
nouvelle et plus précise des senti-
ments qui animent une partie de la
Droite. Tandis que certains droitiers
poursuivent contre la République une
lutte acharnée, déclarant bien haut
qu'ils ne se tiendront pour satisfaits
que le jour où ils auront « étranglé la
gueuses, où ils lui auront « tordu son
vilain cou » ou « planté une fourche
de fer dans le ventre Y-P, d'autres pour-
suivent avec plus de persévérance
qu'on n'aurait pu le croire, une cam-
pagne fort différente. Ils s'aperçoi-
vent que « la République est un mot
vide de sens, puisqu'il n'implique au-
cune politique déterminée" et que, en
réalité, la forme républicaine du gou-
vernement peut s'accommoder avec
les politiques les plus réactionnaires
comme les plus radicales. Ce ne de-
vrait pas être une découverte pour les
droitiers. Tous les républicains l'ont
dit; ils ont tous fait valoir que l'une
des supériorités de la République sur
les autres régimes consistait précisé-
ment dans cette flexibilité qui laissait
la nation maîtresse d'elle-même, sans
qu'elle eût à compter avec les volontés
personnelles ou les intérêts dynasti-
ques d'un souverain. Raoul Duval s'en
était bien aperçu aussi lorsqu'il ten-
tait, aux grands ricanements des réac-
tionnaires, de créer la Droite consti-
tutionnelle. Il y avait, on doit le re-
connaître, entre lui et les « indépen-
dants » actuel, une différence nota-
ble. Il voulait adhérer franchement et
sans restriction à la République. Les
autres se contentent de dire que la
question de forme du gouvernement
a reste en dehors et au-dessus de la
lutte présente Yi,, ce qui n'interdit ni
n'exclut les espérances ou les illusions
ultérieures. Ce n'est donc pas le
parti tory qu'il s'agit de créer dans
la République, mais bien simple-
ment un armistice de durée indéter-
minée qu'on se propose de consentir.
Provisoirement, M. Delafosse et ses
amis acceptent de ne pas combattre
la République; mais, à leurs yeux, « le
gouvernement de la République a été
jusqu'ici une plaie, sa politique un
crime et son œuvre une dévastation.
Il n'y a, pour les conservateurs, au-
cune solidarité possible, pas plus dans
l'avenir que dans le passé, avec un
pareil régime. » Ceci est suffisamment
clair. Si ce n'est plus momentanément
contre la forme républicaine qu'on
lutte, c'est contre toute l'œuvre de la
République que l'on veut poursuivre la
campagne ; c'est contre le parti républi-
cain dans toutes ses fractions, puis-
que toutes, de la plus modérée à la
plus radicale, ont, bien que dans des
mesures différentes, contribué à l'œu-
vre commune, que l'on veut engager
le combat.
Il ne faut pas se dissimuler que
cette tactique serait à la fois plus per-
fide et plus dangèreuse que celle des
intransigeants de droite. Quelque
£ oin qu'ils prennent, aux élections,
de mettre leur drapeau dans leur po-
che, il en sort toujours un petit bout;
on trouve toujours le moyen de les
embarrasser et de faire un peu de lu-
mière, en leur rappelant qu'ils ont
pratiqué la politique du boucan, qu'ils
ont fait une opposition systématique.
Une attitude plus calme, quelques vo-
tes de confiance décernés à propos à
des ministres, changeraient notable-
ment les choses, et il pourrait se faire
que les efforts de l'Union libérale
joints à ceux de la Droite réussissent,
comme cela s'est déjà produit dans
quelques circonscriptions aux élections
générales et aux élections municipa-
les de Paris, à déposséder les républi-
cains d'un certain uombre de sièges et
à faire entrer dans la Chambre des
hommes qui, sans, soulever la ques-
tion de forme de gouvernement chas-
seraient le parti républicain de la Ré-
publique et établiraient, sous l'éti-
quette républicaine, un gouvernement
de réaction.
- Le danger n'est pas seulement de
les voir anéantir en quelques semai-
nes ou en quelques mois l'œuvre que
le parti républicain a mis plus de dix
ans à accomplir, de les voir suppri-
mer les lois libérales et les trop rares
réformes démocratiques qui ont été
réalisées, telles que les lois scolaires
ou cette loi sur la presse qu'ils défen-
dent aujourd'hui avec tant de zèle, et
qu'ils s'empresseraient de détruire s'ils
étaient au pouvoir, pour nous rame-
ner à un régime qui leur paraissait à
peine rigoureux lorsqu'ils étaient au
pouvoir. L'inconvénient ne serait pas
seulement de voir tout détruire et
d'avoir tout à recommencer. Mais
lorsque la République aurait ainsi
endossé la responsabilité de toutes ces
destructions et de cette réaction sans
frein, les voies seraient prêtes pour la
monarchie. On trouverait alors que le
moment serait venu de laisser « le
pays trancher lui-même, dans sa cons-
cience et sa libertés, la question de
forme du gouvernement, et l'on slgr-
rangerait de façon à lui indiquer dans
quel sens elle doit être « tranchée ».
Ces conséquences, qui n'ont rien de
chimérique , de la tactique recom-
mandée par les « indépendants » sont
dignes d'attention. C'est aux ministres
de la République à ne pas mériter la
confiance de la Droite « en parlant et
en agissant comme les ministres de
l'empire », et c'est au parti républi-
cain à ne pas se diviser, pour ne pas
permettre à ces ci républicains ralliés »
d'exercer une influence quelconque sur
les destinées de la République.
LE COMITÉ BOULANGISTE ST DISSOUS
Une note. — Souvenir au président
exilé.
[Les journaux boulangistes publient la note
suivante :]
Le comité républicain national, dans sa
séance du lmai 1890, a prononcé sa disso-
lution.
Fidèles à la cause de la République na-
tionale pour laquelle ils n'ont cessé-de com-
battre, ses membres persistent à voir dans
la revision de la Constitution la meilleure
et la seule garantie de l'affermissement
d'une République ouverte aux bons ci-
toyens, capable d'accomplir les réformes
sociales et digne enfin d'un pays tel que la
France. Ils n'abandonnent pas plus leurs
espérances que ne le font les vaillants élee-
teurs républicains dont le patriotisme s'est
encore affirmé avec tant d'énergie aux der-
nières élections municipales.
Tous conserveront un reconnaissant sou-
venir au président du comité républicain
national, à l'ancien ministre de la guerre,
l'exil les
qui paie de la proscription et de guerre,
services rendus au pays.
[C'est la première note du comité boulan-
giste dans laquelle le nom du général Bou-
langer ne soit pas prononcé. L'oubli irait-il
jusque-là 11
UNE FUSILLADE D'OUVRIERS
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 21 mai.
A Concelices, dans la Romagne, la troupe a
tiré sur des ouvriers qui réclamaient du tra-
vail; il y a eu trois morts et de nombreux bles-
sés.
UN CYCLONE A VERSAILLES
Grands dégâts dans le parc. — De
l'allée de l'Orangerie au bassin
de Neptume.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Versailles, 21 mai.
Un orage épouvantable éclatait avant-
hier sur Versailles. Le lendemain, on ap-
prit avec stupeur qu'une partie du parc
avait été mutilée par un cyclone qui avait
passé avec une rapidité effrayante.
Il fut facile de se rendre compte du che-
min suivi par l'ouragan.
De l'allée de l'Orangerie au bassin de
Neptune, en suivant l'allée des Trois-Fon-
taines, les arbres étaient gravement en-
dommagés.
En plus d'un endroit, d'énormes bran-
ches jonchaient le sol.
Un grand tilleul, situé près du bassin
de Neptune, n'avait plus une seule bran-
che.
Mais c'est surtout sur la terrasse au bout
de l'allée de l'Orangerie,que l'on put juger
de la violence du cyclone.
Trois arbres énormes avaient été arrachés
de terre et gisaient sur le sol. Deux étaient
tombés dans le bassin du Combat des ani-
maux, un groupe en bronzé d'un poids et
d'un volume considérables avait été projeté
jusque sur le bord du bassin. Heureuse-
ment, aucun objet d'art n'a été endommagé.
Cette partie de la terrasse est absolument
dévastée.
UN CARDINAL SUISSE
M. Mermillod
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTIOULIBa)
Berne, 31 mai.
Le Conseil fédéral vient d'être prévenu
par M. Mermillod, évêque de Lausanne et
Fribourg, que le pape lui a anno ncé son
élévation au cardinalat,et lui a fait remettre
le billet pontifical qui le constate officielle-
ment.
Il est entendu que le nouveau cardinal
résignera son évêché dans quelques mois,
pour se fixer à Rome.
GRÈVE SANGLANTE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER.)
Vienne, 21 mai.
Aux mines de Murschau, près Pilsen, une
grave collision a éclaté entre les grévistes et
la troupe, Il v a eu douze tués et seot bleés,
L'HISTOIRE
ET LA LÉGENDE
LE ROLE DE BISMARCK PENDANT
LA GUERRE
L'Alsace et la Lorraine. — Le prince
de Bismarck en 1870 et en 1890.
Dans un récent entretien; le prince de
Bismarck tend à rejeter sur la prolonga-
tion de notre résistance en 1870 et sur les
exigences du parti militaire allemand l'an-
nexion de l'Alsace et de la Lorraine à l'em-
pire germanique, reconstitué sous l'hégé-
monie du roi de Prusse.
Quelques adversaires de la République
ont relevé ces assertions pour en conclure
qu'elie est seule responsable de la perte de
ces deux provinces.
Il importe de ne pas laisser s'accréditer
cette légende.
Le prince de Bismarck, maintenant qu'il
vit dans l'opulente résidence dont notre
rançon l'a enrichi, peut oublier ce qu'il a
dit naguère et s'attribuer une attitude paci-
fique.
Mais notre devoir est de lui rappeler que
c'est lui, lui surtout, qui a été le prin-
cipal instigateur de la spoliation dont
nous avons été victimes et dont les consé-
quences se font, se feront sentir longtemps
encore.
C'est ce souvenir que nous allons évo-
quer.
Il a paru en 1879, avec l'autorisation du
chancelier, un livre intitulé : le Comte de
Bismarck et sa suite pendant la guerre de
France.
Or, voici ce que l'on peut lire, à la date
du 28 août 1870, dans ce recueil de notes
au jour le jour, tenu par son confident
d'alors, son secrétaire intime, Maurice
Busch :
« J'apprends, et j'ai fait part aux autres
que l'on est fermement résolu à demander
à la France l'annexion de territoires, et
que la paix ne se fera qu'à eette condition.
Un article, approuvé par le chef, établit ce
renseignement de la façon suivante."
Le chef, c'est le chancelier.
Quant à l'article qu'il inspira et approu-
va, il était destiné aux journaux allemands
et fut publié alors tel que nous le reprodui-
sons ci-dessous :
Un article du 28 août 1870
« Les armées allemandes, y est-il dit, de-
puis les victoires de Mars-la-Tour et de
Gravelotte, avancent irrésistiblement. Le
temps est venu de se demander à quelles
conditions l'Allemagne pourra faire la paix
àvec la France. Vidée de gloire et de con-
quête ne doit pas nous guider en cette cir-
constance, encore moins la générosité,
comme le voudrait la presse étrangère ;
mais uniquement le désir de protéger l'Al-
lemagne du Sud contre l'avidité française,
contre des attaques qui se sont produites
une douzaine de fois depuis Louis XIV et
qui se répéteront aussi souvent que la
France se croira assez forte pour les entre-
prendre. Les sacrifices immenses d'argent
et de sang qu'a faits le peuple allemand,
de même que toutes nos victoires, devien-
draient complètement inutiles si l'on ne
diminuait pas les forces offensives de la
France et si l'on n'augmentait pas les for-
ces défensives de l'Allemagne. C'est ce que
le peuple allemand a le droit d'exiger. Si
l'on se contentait d'un changement de dy-
nastie et d'une indemnité quelconque, rien
ne serait changé en réalité, et on n'empê-
cherait point cette dernière guerre de de-
venir le prélude d'une série d'autres guer-
res.
Viennent ensuite quelques considérations
sur notre esprit particulier, sur notre ca-
ractère vindicatif, sur notre amour-propre
excessif et sur les conséquences qui en ré-
sulteraient au point de vue de nos rela-
tions ultérieures avec l'Allemagne, au cas
où celle-ci ne nous éloignerait pas des ri-
ves du Rhin.
Une preuve irréfutable
L'article se termine ainsi qu'il suit :
« Nous ne pouvons recueillir les fruits de
notre victoire qu'en améliorant les forces
défensives de notre frontière. Celui qui, en
Europe, désire une paix permettant de di-
minuer le budget de la guerre doit souhai-
ter qu'une barrière solide soit opposée aux
désirs de conquête des Français. En d'au-
tres termes, il faut à l'avenir rendre impos-
sible aux Français l'envahissement de l'Al-
lemagne du Sud avec une armée relative-
ment petite, et empêcher que, même en
temps de paix, les Allemands du Sud ne
soient forcés d'observer la France.
» Donner à l'Allemagne du Sud une fron-
tière solide doit être notre but, notre tâ-
che ; accomplir cette tâche, c'est délivrer
complètement l'Allemagne et compléter la
guerre de libération de 1813 et 181A. Le
moins que nous devions exiger pour que
l'Allemagne entière, pour que tous les peu-
ples au-dessous du Mein qui sont de notre
race et ont combattu avec nous puissent se
déclarer satisfaits, est donc qu'on nous li-
vre les portes d'ou la France peut faire ir-
ruption sur l'Allemagne, c'est-à-dire Stras-
bourg et Metz. Vouloir attendre une paix
durable de l'anéantissement de ces forte-
resses serait une illusion de myope; ce se-
rait s'imaginer.qu'il est possible de gagner
les Français par la clémence; ce serait aussi
oublier que nous demandons l'acquisition
de territoires qui ont été allemands et qui,
peut-être avec le temps, rapprendront à se
sentir allemands. Les changements de dy-
nastie nous sont indifférents.
» Une indemnité de guerre ne constitue
qu'un affaiblissement passager de la France.
Ce qu'il nous faut, c'est une plus grande
sûreté des frontières allemandes, et nous
ne l'atteindrons qu'en transformant les for-
teresses qui nous menacent en ouvrages de
défense. Strasbourg et Metz, de forteresses
agressives françaises, doivent devenir for-
teresses défensives allemandes. Celui qui
veut sincèrement la paix, qui veut que la
charrue prime le sabre, doit souhaiter
d'abord que les voisins de la France soient
en état d'y consentir, car seule la France
trouble la paix, et elle le fera tant qu'elle
en %ura la force. »
C'est le ^8 août 1870 que le chancelier
s'exprimait ainsi.
A cette date, nous n'avions pourtant pas
encore subi la catastrophe de Sedan.
Les adversaires -le la République sont
donc aussi malvenus {:, lui imputer la res-
ponsabilité de la perte dé l'Alsace et de la
Lorraine, que le prince de Bismarck quand
il rejette .sûr d'autres cette annC."(ion, car
c'est lui surtout qui l'a souhaitée, conseil-
lée et imposée.
Voilà ce que l'histoire répond aux récits
fantaisistes de celui qui fut notre plus
implacable ennemi.
L'AMIRAL DUPERRE
La bataille de Sedan. — Dévouement à
l'impérairice. — Quels sont les états
de service?
Un journal essaie de prendre la défense
de M. l'amiral Duperré. Naturellement, c'est
le Temps :
Cette note (la note de l'Agence Havas que
nous avons publiée hier) n'aurait pas besoin
de commentaires, dit le Temps; il en ressort
très clairement que l'amiral Duperré a été fait
prisonnier par l'autorité belge et n'a été auto-
risé à rentrer en France qu'après la signature
des préliminaires de paix.
Que le Temps nous explique donc com-
ment et pourquoi M. l'amiral Duperré,
appelé à l'armée de Metz, franchit la fron-
tière de Belgique lors de la bataille de
Sedan?
Car l'amiral Duperré n'assista pas à la
bataille de Sedan, pas plus qu'il n'a assisté
à d'autres batailles, bien qu'il ait été nommé
contre-amiral à quarante-six ans.
Lorsque Bergasse du Petit-Thouars tom-
bait blessé sous les murs de Strasbourg,
lorsque l'amiral Pothuau se battait, — avec
quel courage ! — sous les murs de Paris ;
lorsque Jauréguiberry était le « digne et hé-
roïque lieutenant de l'illustre Chanzy", l'a-
miral Duperré, qui va remplacer du Petit-
Thoùars dans le commandement de l'esca-
dre de la-Méditerranée, était à Paris; il ve-
nait d'être promu capitaine de vaisseau ; il
était aide de camp du prince impérial. La
révolution du h Septembre survient; l'ami-
ral Duperré, toujours à Paris et non à Se-
dan, sollicite et obtient l'autorisation de
passer pour quarante-huit heures en Angle-
terre.
terre. Discours à l'impératrice
Il est reçu par l'impératrice, et voici le
discours qu'il lui adresse :
« Madame, je n'ai point voulu que l'on
pût dire que, dans le malheur, j'avais aban-
donné et oublié Votre Majesté, et j'ai tenu
à venir déposer à vos pieds l'hommage de
mon respect et de mon dévouement. »
Le moment était bien choisi. C'était sur-
tout la France qui était « dans le malheur »
à ce moment, jetée dans une guerre à la-
quelle l'impératrice avait contribué plus
que personne.
Puis l'amiral ajoute, se rappelant son
devoir :
« Mais je suis soldat avant tout et vous
comprendrez que le devoir m'appelle en
France, alors qu'on se bat et que le pays
est envahi. Vous m'excuserez donc, ma-
dame, de rejoindre mon poste sans retard,
pour voler, dans la mesure de mes forces,
au secours de la patrie menacée. »
Et il « vole». dans un port, et bientôt on
lui octroie un nouveau congé de plusieurs
semaines.
Puis c'est la Belgique, et enfin le retour
auprès de l'impératrice, en Angleterre, où
il reste jusqu'à la paix.
Voilà la vérité et le Temps ne pourra pas
faire que cela ne soit la vérité. Aussi bien,
il n'y a pas un officier de marine qui ne
connaisse ces choses attristantes et qui ne
soit découragé en voyant en quelles mains
est tombé le commandement de l'escadre de
la Méditerranée, — notre seule escadre —
en quelles mains est le sort de notre marine
devenue le fief de cet incroyable dictateur.
CHRONIQUE
Vous savez que M. Bérenger vient de
déposer sur le bureau du Sénat un rap-
port sur une loi qui permettrait au juge
d'accorder « un sursis à l'exécution de la
peine », quand c'est pour la première fois
que le condamné passe devant les tribu-
naux.
Ce sursis serait de cinq ans. Au bout de
ce temps, si le condamné ne s'était rendu
coupable d'aucune récidive, sa peine se-
rait prescrite et il n'en resterait plus
trace, même dans son casier judiciaire.
Si un autre méfait le ramenait devant les
jurés, il serait traité en récidiviste, et à la
nouvelle peine qu'il pourrait encourir se
joindrait l'ancienne qu'il n'aurait pas
purgée.
Telle est l'économie de ce projet de loi,
au moins en ses grandes lignes, car il
comporte beaucoup de détails où je ne
crois pas utile d'entrer.
Ce qui étonnera bien des gens, c'est que
ce projet n'ait pas été déjà présenté et
voté depuis longtemps.
Il semble que notre code ait eu sans
cesse à cœur de prendre des précautions
contre l'excès d'indulgence qu'il suppo-
sait, j'imagine, au cœur des juges cor-
rectionnels, il semble qu'il ait voulu les
mettre en garde contre leur faiblesse et
les obliger à condamner quand même.
Ce soin n'était pourtant pas bien né-
cessaire.
Il n'y a rien de plus racorni et de plus
dur que le cœur d'un vieux juge. Ce
n'est pas pour dire du mal des magis-
trats. On compte parmi eux beaucoup
de braves gens, qui, dans l'intimité, ou
même dans les relations ordinaires de
la vie, sont pleins de bonne grâce et d'a-
mabilité. Une fois sur le siège, c'est une
autre affaire.
Mon Dieu! ce n'est pas leur faute. Tout
le monde sait l'influence terrible du mé-
tier sur l'homme qui l'exerce. Un menui-
sier, à force de pousser le rabot, a des
calus aux doigts ; un magistrat, à force
de voir et de condamner des fripouilles,se
fait des calus au cœur. Songez donc à ce
que c'est que d'écouter tous les jours,du-
rant trois ou quatre heures d'horloge,un
tas d'horreurs qu'ont commises des gre-
dins à faces patibulaires. Tous se disent
innocents, tous ont des avocats qui s'ef-
forcent de les excurser. Il peut se faire
que la première année un juge prête l'o-
reille à la défense, se sente éinu de pitié
pour un pauvre diable quelquefois plus
malheureux que coupable., qu'il penche
vers un adoucissement de peine. Mais
l'accoutumance linit par l'cndurcir.U ex-
pédie sommairement cette besogne,d'au-
tant plus fastidieuse qu'elle revient tous
les jours ; il écoute à peine les explica-
tions qu'il a entendues cent fois et qu'il
tient par avance pour les plus fausses du
monde i un mois de ;prison! deux mois
de prison! trois mois de prison! Ces mots
tombent indifféremment de ses lèvres,
sans qu'il y attache un sens fort précis.
Il ne se dit pas qu'un mois de prison,
c'est trente jours pour une créature hu-
maine à être privée de sa liberté, et que
chacun de ces jours se compose de vingt-
quatre heures. Non, ces mots : trois mois
de prison forment pour lui une phrase
abstraite qu'il laisse couler de sa bouche,
comme un dévot ses orémus.
Sa sensibilité s'est absolument émous-
sée. Je parle en général, bien entendu ; et
il peut se faire qu'il y ait des juges qui,
réagissant contre les influences du métier,
se soient gardé un cœur tendre sous larobe.
Je n'en ai pas connu ; mais ce n'est pas
une raison pour qu'il n'y en ait point. Il
doit y en avoir.
Ce sont de rares et belles exceptions.
Aussi ne puis-je assez m'étonner que
notre code pénal ait marqué cette mé-
fiance, et qu'à chaque ligne il montre un
désir évident d'enfermer le juge dans la
nécessité de condamner, lui fixant un
minimum au delà duquel il ne saurait
descendre.
Ah bien! ce n'était pas la peine d'avoir
cette crainte! Le juge, qui chez noùs
peut osciller entre un minimum et un
maximum, a une tendance invincible à
se rapprocher du dernier. Quand même
le code ne lui interdirait pas formelle-
ment le pardon, il n'y songerait guère.
Ça changerait trop ses habitudes.
Il faut qu'il y songe pourtant. M. Béren-
ger demande que, dans certains cas, très
définis, le juge soit forcé, en prononçant
la condamnation, d'accorder un sursis de
cinq années. M. Bérenger aurait pu de-
mander davantage : qu'il fût loisible au
juge de pardonner purement et simple-
ment.
Oh ! nous ne le savons que trop : le juge
n'abuserait point de cette permission. Il est
probable même qu'il n'en userait jamais.
Mais ce serait déjà quelque chose qu'elle
figurât dans la loi, qu'elle fournît de
temps à autre une arme au journalisme
contre la dureté de cœur des magistrats.
La presse tout entière a conté, il y a
deux ou trois mois, une histoire na-
vrante. Un pauvre diable trouve une
bourse bien garnie, ou un portefeuille
bourré de billets de banque, je ne sais
plus au juste. Il aurait pu se l'appro-
prier ; il le rapporte fidèlement au pro-
priétaire qui l'avait perdu et qui le re-
mercie d'une excellente poignée de
main. A quelques jours de là, poussé par
une affreuse misère, voyant sa femme et
ses enfants crever la faim, il perd la tête,
sort, et dérobe je ne sais quelle victuaille
à un étalage. Il était maladroit au vol, il
est pris et traîné en police correction-
nelle. il est clair qu'il eût fallu acquitter
ce malheureux, faire pour lui une col-
lecte et le renvoyer à sa famille, qu'il
soutenait de son travail. Rien de plus in-
sensé que de jeter en prison cet honnête
homme, qui en sortira perverti peut-être,
aigri à coup sûr. Il avait cédé à une mi-
nute d'égarement; qui dit qu'il ne re-
commencera pas de bon cœur?
Les juges n'avaient pas, à ce qu'il pa-
rait, le droit de pardonner.
Ils ne l'avaient pas !. ils ne l'avaient
pas!. Si pourtant le ministère public
eût abandonné la plainte; si, au lieu de
requérir contre l'accusé, il s'était tourné
vers son avocat et lui avait dit : Tendez
donc la main ! voilà mes cent sous ! faites
le tour de la salle, et remettez à ce mal-
heureux le produit de cette collecte, est-
ce que le tribunal aurait pu condamner?
Ça n'aurait pas été dans les formes, je
sais bien. Mais si l'accusé n'avait pas été
déféré aux juges, il n'eût pas été con-
damné, et quel besoin y avait-il de don-
ner suite au procès-verbal ?
Enfin, dans ces cas-là, et ils ne doivent
pas être si rares qu'on l'imagine, le juge
pourra, sinon pardonner, puisque la loi
Bérenger ne lui en donne pas le droit, au
moins prononcer le sursis d'exécution et
le laisser suspendu comme un avertisse-
ment et une menace sur la tête du con-
damné. Il est à présumer qu'un homme
aui n'est pas foncièrement vicieux, s'il
échappe ainsi à la condamnation pro-
noncée contre lui, sera forcé de rentrer en
lui-même et s'observera davantage. On
dit parfois qu'un homme averti en vaut
deux; cela ne veut Pas dire grand'chose,
à prendre le sens exact du terme. Mais le
peuple entend par là qu'un homme qui
a reçu un de ces avertissements se tient
doublement sur ses gardes.
La loi est donc bonne, et il faut espérer
qu'elle sera votée, en attendant que l'on
refonde entièrement notre code pénal,
qui n'est plus en harmonie avec les
mœurs de notre temps.
Francisque Srcey.
Le XIXe SIECLE publiera demain la
» Vie de Paris » par Henry Fouquier.
M. SAINT-SAENS A L'OPÉRA
L'auteur d* « Ascanio »
M. Saint-Saëns assistait hier soir, pour
la première fois, à la représentation d'As-
canio.
Les artistes ont rivalisé de zèle et de ta-
lent pour interpréter dignement l'œuyre
du maître, qui a témoigné chaudement sa
vive satifaction à tous, artistes du chant,
de l'orchestre, des chœurs et de la danse.
— Pas un théâtre au monde, disait-il, ne
pourrait monter un ouvrage aussi magni-
fiquement.
Il a, en termes émus, manifesté sa joie à
M. Gailhard et l'a chaleureusement remer-
cié de son dévouement et du goût artisti-
que dont il a fait preuve uie fois de plus
dans Ascanio.
LA QUESTION DE L'OPERA
LES CANDIDATS A LA DIRECTIOI
MM. Ritt et Gailhard devant la oom.
mission supérieure des théâtres. —
Ouvrages nouveaux, représen-
tations à prix réduits et ma-
tériel. — Vote favorable
de la commission.
Le privilège de la direction actuelle d6
l'Opéra, concédé pour sept ans, expire le
31 décembre 1891, c'est-à-dire dans dix-
huit mois.
Les candidats à la succession de MM. Ritt
et Gailhard surgissent déjà de tous côtés,
et on n'en compte pas moins de seize jus-
qu'à présent. Ce nombre grossira encore,
sans aucun doute; mais il décroîtra, eu
revanche, avec la même rapidité, quand le
moment viendra de justifier de l'apport
d'un cautionnement de 800,000 francs.
En attendant, tous ces candidats se démè-
nent pour empêcher le renouvellement du
privilége aux directeurs actuels; on a soi-
gneusement relevé de prétendues infrac-
tions au cahier des charges, et la commis*
sion supérieure des théâtres a été appelée
à émettre son avis à ce sujet.
La commission des théâtres
Cette commission est composée de vingt-
deux membres, dont les noms suivent :
MM. le ministre des beaux-arts; le direc-
teur des beaux-arts ; le directeur des bâti-
ments civils ; Calmon, Denormandie, Adrien
Hébrard, sénateurs; Emmanuel Arène,
Henry Maret, Antonin Proust, Gustave Ri-
vet, députés ; Paul Dislère, Paul Dupré,
conseillers d'Etat; le préfet de la Seine et le
préfet de police ; Ambroise Thomas, direc-
teur du Conservatoire ; Alexandre Dumas.
Charles Garnier, Charles Gounod, Ernest
Legouvé, membres de l'Institut; Camille
Doucet, Colmet-d'Aage, Halanzier, Armand
Gouzien, inspecteur des beaux-arts ; des
Chapelles, chef du bureau des théâtres ;
Henry Régnier, sous-chef du bureau des
théâtres.
Trois questions avaient été soumises à la
commission, qui, après avoir entendu dans
deux séances précédentes M. le directeur
des beaux-arts, puis M. Gailhard, a émis,
dans sa séance d'avant-hier, les avis sui-
vants :
Première question. — Nombre insuffi-
sant d'ouvrages nouveaux représentés, l'ad-
ministration actuelle des beaux-arts ne
comptant comme tels ni Sigurd ni Roméo ;
La commission, à l'unanimité moins deux
voix, a admis que Sigurd devait être con-
sidéré comme un ouvrage nouveau. Pour
Roméo et Juliette, la question a été réser-
vée, le ministre des beaux-arts devant con-
sulter son prédécesseur, M. Lockroy, qui
avait donné verbalement l'autorisation né-
cessaire.
D'ailleurs, même sans compter Roméo, la
direction aura, dans quinze jours, avec
Zaïre et le Rêve, dépassé le nombre d'ou-
vrages nouveaux fixé par le cahier des
charges.
Voilà le premier point établi en faveur
de MM. Ritt et Gailhard.
Deuxième question. — Nombre insuffi-
sant de représentations à prix réduits :
Après avoir pris connaissance des docu-
ments apportés par M. Gailhard, documents
établissant que la direction devait être dis-
pensée d'une partie de ces représentations,
la commission a émis l'avis que M. le mi-
nistre devait s'entendre à l'amiable à ce
sujet avec les directeurs, pour qu'un cer-
tain nombre de ces représentations fussent
données.
Troisième question. — Etat des décors :
Sur ce point, la direction de l'Opéra ne
pouvait être mise en cause, ayant, à son
entrée en possession, fait ses réserves sur
les décorations laissées en mauvais état par
les directions précédentes ; elle a simple-
ment prouvé qu'elle avait entretenu ces dé-
corations avec tout le soin désirable. D'a-
près le cahier des charges, la réfection de
ces décors incombe à l'Etat seul.
La commission s'est donc bornée à nom-
mer une sous-commission, composée de
MM. Ch. Garnier, Proust et Durier, chargée
d'examiner le matériel et de rechercher
quel sera le mode le meilleur pour que
l'Etat procède aux réfections jugées indis.
pensables.
En résumé, la commission supérieure
des théâtres a, sur tous les points, donné
raison à MM. Ritt et Gailhard.
Ces questions seront probablement sou-
mises aussi à' la commission du budget.
LE COMSEIL MUNICIPAL
Deux réunions de conseillers munici-
paux. — Anciens et nouveaux. — Au-
tonomistes et anti autonomistes
Plusieurs conseillers municipaux n'ont
pas voulu attendre que la date de l'ou-
verture de la prochaine session du conseil
fût fixée, pour se concerter entre eux et
échanger leurs idées avec leurs nouveaux
collègues.
Comme à la Chambre après les élections,
la première question qui se posait, c'était
de savoir si l'on reconstituerait ou non les
anciens groupes.
MM. Deschamps, Lopin, Navarre et Rous-
selie avaient convoqué, à cet effet, les an-
ciens membres du groupe de l'autonomie
communale, ceux du groupe autonomiste
socialiste et tous les conseillers nouveaux
élus sur le programme radical socialiste, à
une réunion qui s'est tenue hier à trois
heures à l'Hôtel de Ville.
Trente et quelques membres avaient ré-
pondu à cet appel.
Les droits de Paris et la nouvelle
autonomie.
Il n'a point été question, sinon de façon
incidentelle, de là formation du prochain
bureau. Cette question est réservée à une
prochaine séance. Tout le débat a porté sur
le point de savoir s'il y avait lieu de recons.
tituer l'ancien groupe de l'autonomie com..
munale. MM. Deschamps, Ch. Longuet,
Lyon-Alemand, Patenne, Navarre, Sauton,
Alphonse Humbert, Baudin, etc., ont suc-
cessivement pris la parole. Quelques-uns
ont élevé d'assez vives critiques sur la ma-
nière dont avait fonctionné l'ancien groupe
pendant les trois ans qui viennent de s'é-
cour.
Finalement, l'assemblée a adopté à 1unam
nimité un ordre du jour portant qu'il y a
lieu de constituer un groupe ayant pour
but « la revendication des droits de Pa-
ris ».
De l'ensemble de la discussion il se dé-
gage que la nouvelle autonomie oommu-
nale entend s'attacher moins que car 4
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