Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-09-19
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 19 septembre 1873 19 septembre 1873
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Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75580311
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/03/2013
g. Année. — N°673. PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES - DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES. - -- Vendredi 19 Septembre 4873.
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Un an .hlhé"6&. 61 te
"1
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
1
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On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURICE général
ad vertising, agent, 13, Tavistockrow, Covent Garden.
- I
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et O't
1 6, place de la Bosrse, a 1
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAUBIOE généril
advertising. agent, 13, Tavistockrow, Covent Gardon.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 18 septembre 1875
Un congrès général du vieux-catholi-
cisme s'est tenu à Constance ces deux der-
niers jours. Les Allemands y dominaient,
et l'on peut les considérer comme les
véritables organisateurs de la réunion;
l'Allemagne a été, d'ailleurs, le berceau
du vieux-catholicisme : mais on y remar-
quait aussi la présence d'une délégation
des vieux-catholiques suisses, réunis en
congrès à Olten, il y a quinze jours ;
enfin, plusieurs Français, parmi lesquels
le P. Hyacinthe, l'abbé Michaud et l'ho-'
norable M. de Pressensé, député à l'As-
semblée nationale, pasteur protestant et
l'un des chefs de notre protestantisme
libéral. De Constance même, M. de Pres-
sensé vient d'envoyer au Journal des Dé-
bats des lettres qui sont assurément inté-
ressantes et remarquables, mais un peu
trop enthousiastes, où il rend compte
de la première séance du congrès,
ouvert sous la présidence de M. de
Schulte. « Je n'ai pas à revenir, dit-il,
sur les origines du vieux-catholicisme.
On peut le résumer d'un mot : à son point
de départ, il a été une protestation savante
et chrétienne contre la proclamation du
dogme de l'infaillibilité. Il se personni-
fiait dans l'illustre Dœllinger, le pre-
mier des théologiens catholiques de notre
époque. Aujourd'hui, le, mouvement est
descendu des hauteurs de la science ; il
s'est emparé d'une portion considérable de
la société laïque, spécialement dans la
haute bourgeoisie; il tend même, sur quel-
ques points, à devenir populaire. On nous
annonçait hier soir, dans la séance d'ou-
verture, qu'il comptait en Allemagne seu-
lement 50,000 adhérents; déjà la Suisse
s'ébranle. Il n'est donc pas permis de le
traiter avec ce sourire de pitié qu'éveille
si'facilement en France dans tous les
camps l'idée d'une opposition à la papauté
au sein du catholicisme. »
En effet, nous voyons ailleurs, d après
l'exposé même de M. de Schulte, le princi-
pal apôtre ou, pour mieux dire, le très-
habile organisateur du nouveau culte en
Allemagne, que le vieux-catholicisme
compte en Prusse 22 églises ; l'Université
catholique de Bonn lui appartient «presque
tout entière. En tout, ces églises comptent
9,200 adhérents. La Bavière a 33 égli-
&et, qui donnent 17,000 adhérents; le
trand-duché de Baden en possède 27, qui
donnent 11,000 adhérents. Le reste de
l'Allemagne contient encore 1 millier de
vieux-catholiques. Tout compté, on arrive
an nombre de 50,000, sans parler de la
Suisse. Ces chiffres sont également re-
produits dans les lettres de M. de Pres-
sensé. « Il faut qu'on sache, a'écrie en-
core notre honorable concitoyen, que le
vieux-catholicisme, hors de France, est
devenu une puissance et qu'il grandit tfcus
les jours. » Soit; maia il nous paraît qu'on
fera bien d'attendre la fia pour croire à la
vitalité de ce christianismè régénéré. De
religieuxi te mouvement est dSvenu sou-
dain politique; et les vieux-catholiques né
%ont |>Uis guère én Allemagne qu'un ins-
trument, inconscient peut-être, aux mains
de M. de Bismarck. Toujours est-il que la
seconde journée du congrès s'est terminée
par un scandale, après lequel les vieux-
catholiques, venus da Suisse, de France
et d'Allemagne, ont quitté Constance, agi-
tés de sentiments divers. Le doctéurVœfk,
dTAugsbourg, député au Reichstag, à in-
terrompu une discussion purement reli-
gienwpour iaHcer "à't' Franceet srox
Français les apostrophes les plus haineu-
ses et les plus sanglantes injures. M. de
Çmsensê, le P. Hyacinthe, l'abbé Mi-
haud sont sortis de la salle en protes-
tant, et cependant le président du congrès,
M. de Schulte, en digne agent de M. de
Bismarck, a pris parti pour son compa-
triote Vœlk. C'est ce même von Schulte que
M. de Pressensé, dans une admiration un
peu candide, avait qualifié d'esprit net et lu-
cide, qui a le don de l'autorité, etc. Mais
que va dire, après l'affront subi, l'honorable
correspondant du Journal des Débats? Nous
l'attendons demaiu à sa dernière lettre.
Pour en revenir aux destins du vieux-
catholicisme, ils ne nous paraissent ni si
brillants ni surtout si dignes de sympa-
thie. Ea Allemagne, il ne s'agit plus du
mouvement spontané de quelques âme3
honnêtes et ferventes ou mêmes savan-
tes, mais bien d'une nouvelle religion
d'Etat dont M. de Bismarck compte se
servir contre l'ultramontanisme d'a-
bord, et, au besoin, contre nous Fran-
çais, en même temps qu'il fortifiera ainsi
l'unité allemande. Amener tous les catho-
liques romains d'Allemagne au vieux-ca-
tholicisme, qui n'est qu'une façon de pro-
testantisme plus raffiné, ce serait un bien
grand but, et, à ne voir que nos intérêts
politiques, nous ne devrions pas souhaiter
que M. de Bismarck l'atteignît. Peu nous
importe que le vieux catholicisme , au
point de vue de la philosophie et de
la morale universelle, soit ou non pré-
férable au catholicisme romain. Avons-
nous charge d'âmes, d'âmes prussiennes
snrtout ? L'entreprise, beaucoup plus poli-
tique que religieuse, de MM. de Bismark
et de Schulte', n'est point de celles dont la
France peut avoir à cœur le succès. L'ul-
tramontanisme, jusqu ici, a créé des obsta-
cles à la tranquillité de fAllemagueet,
dans une certaine mesure, à son unifica-
tion ; il nous est donc plus avantageux
que les Allemands aient toujours l'ultra-
montanisme surle raitmême
jine mesure excellents,iflîe celle qui
consisterait, si nous pouvions, à leur
envoyer tout ou partie des jésuites que
nous avons chez nous. Pour la Suisse,
elle a commencé aussi une expérience
dont nous n'avons pas les mêmes rai-
sons de nous défier; nous y assistons
en spectateurs, et nous en suivrons les
progrès d'un œil curieux, mais indiffé
rents, convaincus qu'il ne reste point de
place, en ce temps-ci, sur l'échelle des re-
ligions, entre le catholicisme romain et
les diverses Eglises du protestantisme.
C'est du protestantisme que font nos mo-
dernes réformateurs et qu'ils décorent d'un
nom nouveau. Quant à la France enfin,
le vieux-catholicisme y paraît avoir moins
de chances de succès qu'en aucun lieu du
monde, d'abord pajce que nos lois ne sont
pas assez libérales pour permettre la propa-
gande, et en second lieu parce que la
majorité des Français est trop sceptique
po^r ne pas demeurer dans le giron com-
mode du catholicisme romain, religion de
Rabelais, de Montaigne, de Voltaire et de
plusieurs autres.
EUG. LIEBÉftT.
-
Voici en quels termes le Journal officiel an-
nonce l'évacuation complète de notre territoire :
Conflans et Jarny, dernières localités
occupées, ont été évacuées ce matin à sept
heures. A neuf heures, les troupes alle-
mandes ont franchi la frontière. Le terri-
toire est entièrement libéré.
— ♦
Donner et retenir
Vous souvient-il de ce qu'on nous ré-
pondait, il y a dix-huit mois, quand déjà
nous réclamions la dissolution ou tout
au moins le renouvellément partiel de
l'Assemblée? Nous ne parlons pas des
injures dont on couvrait, dès cette épo-
que, les clairvoyants qui voulaient éviter
au pays les tiraillements et les incerti-
tudes où il se débat aujourd'hui;' nous
voulons rappeler seulement à l'aide de
quels arguments on combattait alors les
propositions des républicains. « Y son-
gez-vous! nous disait-on; l'Assemblée
elue le 8 février a reçu en effet pour
mission de traiter avec les Allemands;
mais elle doit demeurer à son poste pour
veiller à l'exécution scrupuleuse des
clauses du traité ; et, voulût-elle se sous-
traire à ce devoir, elle n'en aurait point
le droit, car les Allemands ne manque-
raient pas de dire que rien ne leur ga-
rantit de la part d'une autre Assemblée
là ratification des engagements pris par
clle de Bordeaux. »
Nous ne discutons pas, - nous l'a-
vons fait en temps opportun, — cette
étrange théorie qui constituait une véri-
table injure à la France; mais il nous
semble utile de la rappeler à ceux qui,
dans un intérêt aujourd'hui bien connu,
l'opposaient naguere aux partisans de
la dissolution. Les Prussiens sont hors
de France, nous ne devons plus rien à
l'Allemagne, tous nos engagements ont
été exécutés ; et cependant, on veut nous
persuader encore que l'Assemblée n'a
point fini sa tâche, et Dieu sait les ar-
guments qu'on fait valoir pour démon-
trer la nécessité de lui conserver son
mandat pendant quelques années en-
core !
Hier M. John Lemoinne, esprit délié
s'il en fut, on ne le sait que trop, ne"
â^sst ll pas avls^'d# poser en principe,
comme chose désormais indiscutable et
adoptée par tout le monde, que l'Assem-
blée, en rèprebant ses séances, abordera
directement la question de gouverne-
ment; et que, si elle ne peut arriver à un
résultat définitif, elle procédera à un nou-
vel ajournement f
Que l'Assemblée, dès son retour, dis-
cute la question de gouvernement, rien
de mieux, puisqu'elle s'est attribué ir-
révocablement le droit de constituer ;
mais dire que si elle ne réussit pas à
constituer au gré de ses désirs, elle an-
nulera le coup et recommencera une
nouvelle partie, sans plus de cérémonie,
voilà qui passe les bornes de la politique
la plus fantaisiste, nous dirions volon-
tiers de la probité la plus élémentaire.
Depuis le 5 août dernier: tous les mo-
narchistes, les bonapartistes exceptés,
proclament la nécessité de sortir du pro-
visoire. En cela du moins ils sont d'ac-
cord avec les républicains, nous voulons
dire avec le pays; aussi ne nous sommes-
nous pas fait prier, on rendra cette jus-
tice au parti républicain, pour suivre nos
adversaires sur ce terrain. Et pourtant
personne n'ignorait les raisons qui en-
flammaient subitement les monarchistes
d'un si beau zèle. L'abdication du comte
de Paris aux mains du comte de Cham-
bord semblait avoir tout à coup simplifié
le difficile problème du rétablissement
de Ja royauté, et si l'Assemblée natio-
nale eût été réunie à cette époque, nul
doute qu'il se fût trouvé dans la majorité
plus d'un Belcastel ou d'un Franclieu
pour escalader la tribune en chantant
victoire, et proposer hic et nunc de rap-
peler Henri V.
Les amours des royalistes de droite et
de gauche ont duré, comme dit la chan-
son, toute une semaine, et c'était à qui
plaindrait le plus haut ce pauvre pays de
France d'avoir attendu si longtemps une
solution qu'on promettait enfin de lui
fournir, toute affaire cessante, dès le
retour de l'Assemblée. Et nous, les ré-
publicains, nous nous contentions de
donner acte de leur déclaration aux mo-
narchistes. Puisque vous vous croyez en
droit, leur disions-nous, d'imposer au
pays un régime qu'il déteste, tentez donc
l'aventure ; ce nombre que vous mépri-
sez tant, si vous l'avez dans l'Assemblée,
usez-en; d'ailleurs vous avez la force, et
il n'est rien de tel pour prouver le
droit.
Mais voilà qu'au bout de la première
semaine, les royalistes s'aperçoivent qu'ils
ont mangé leur pain blanc le premier.
Il n'y a qu'une voix parmi eux pour de-
mander le rétablissement d'un régime
où les ambitions n'aient point à compter
avec ce manant de suffrage universel;
mais quelle cacophonie, grand Dieu 1
quand il s'agit de s'entendre sur les
clauses du contrat ! On négocie, on dis-
eute, on intrigue, on séduit l'un, on perd
l'autre, et finalement on est obligé de
s'avouer qu'il ne suffit - pas toujours, au
jeu dela fusion, comme à l'écarté, d'avoir
le roi dans la main pour gagner ; il faut
qu'il soit accompagné d'autres atouts, et
ces atouts là manquent encore aux fu-
sionnistes. On les cherche, on espère les
trouver ; mais on veut tout prévoir, et se
garder à carreau pour n'être point capot,
Quoi qu'il arrive.
Telle est l'explication de M. John Le-
moinne : « Si l'Assemblée ne peut arri-
ver à un résultat définitif, elle procéde-
ra à un nouvel ajournement. » En véri-
té, ce serait trop commode. Comment!
M. John Lemoinne admettrait-il que
l'Assemblée essayât de réunir une ma-
jorité en faveur de la restauration, et
qu'en cas d'insuccès elle en fût quitte
pour recommencer dans six mois, dans
un an, dans deux ans? Mais alors le
pouvoir constituant que s'est octroyé
l'Assemblée ressemblerait aux cinq sols
du Juif-Errant qui renaissaient dans sa
poche à mesure qu'il les dépensait ; ce
serait un pouvoir inusable, et cela ne
s'est encore jamais vu. Au vrai, le jour
où l'Assemblée nationale sera assez mal
inspirée pour poser la question du réta-
blissement de la monarchie, cette ques-
tion impliquera tout naturellement celle
du maintien ou du renversement de
la République. Point ne serait be-
soin pour cela de spécifier que les
votants auraient à choisir entre ceci
et cela; la chose va de soi. La Répu-
blique existe ; elle est l'état légal du
pays, et l'on propose de remplacer la
République par la monarchie. Il est bien
clair que ceux qui voteront « non » vote-
ront pour le maintien de la République, et
non-seulement pour son maintien, mais
pour sa consolidation définitive. Qu'on
y prenne garde, en effet ! Dire que le
rejet de la monarchie n'impliquerait pas
la transformation immédiate du provi-
soire républicain en définitif, c'est une
impertinence en même temps qu'une
iniquité. La République, c'est le pays ;
mais en admettant" même qu'elle no soit
que le régime préféré d'un parti, serait-
ce un motif pour le faire servir aux ex-
périences des autres partis ? En outre,
comme nous venons de le dire, tout
vote contient à la fois une affirmation et
une négation. Une majorité monarchiste
contiendrait évidemment une négation de
la République ; par quel phénomène une
majorité républicaine ne contiendrait-
elle pas une négation de la monarchie?
Donner et retenir ne vaut ; c'est un
axiôme de droit. Ou l'Assemblée natio-
nale n'usera pas du pouvoir constituant,
et dans ce cas, elle pourra, ne consul-
tant que ses intérêts, procéder à un
nouvel ajournement des solutions ; ou
elle en usera en abordant directement,
comme le dit M. John Lemoinne, la
question de gouvernement ; et dès lors,
quoi qu'il arrive, son droit sera épuisé.
E. SCHNKRB.
--- ♦—i
Nous publions plus loin une correspondance
adressée au Journal de Genève qui rend compte
de la réception par M. Thiers à Oachy de ladé-
putation de la Haute-Savoie.
Voici, d'après le Temps, les diverses allocu-
tions qui ont été prononcées par MM. Folliet et
Taberlet, députés à l'Assemblée national et la
réponse de M. Thiers..
M. Folliet s'est exprimé en ces termes :
« Nous avons l'honneur, monsieur, de
vous présenter la députation de nos com-
patriotes de la Haute-Savoie, qui ont voulu
venir saluer l'ancien président de la Répu-
blique et le libérateur de la patrie. Ils vous
remercient profondément de leur avoir per-
mis de rendre leurs hommages au plus
grand citoyen de notre pays. Nos conci-
toyens, monsieur Thiers, connaissent et ap-
précient les immenses services que vous avez
rendus au pays et à la République. Ils savent
que dans lutte que nous allons soutenir
contre de folles entreprises, vous serez à
notre tête, et ils ont confiance dans l'effi-
cacité de vos efforts en faveir du salut du
pays et de l'avenir de la République. »
M. Taberlet, a ajouté : « La France
n'oubliera jamais, monsieur, qu'en descen-
dant du pouvoir, VOllQ avez teau haut et
ferme le drapeau de la République, et que,
malgré les odieuses calomnies dont on vous
a abreuva, vous restez le seul espoir de ce
malheureux pays que la raison, autant que
la nécessité, ont irrévocablement rendu
républicain. »
Les applaudissement et les cris: « Vive
Thiers ! vive Ja République ! » avaient
plus d.'une fois interrompu ces deux cour-
tes allocutions, et le retentissement, qui
se prolongeait dans les e caliers et dans le
vestibule du rez-de-chaussée, en durait en-
core quand M. Thiers a pris la parole :
« Messieurs, a-t-il dit, je suis profondé-
ment touché de la démarche que vos com-
patriotes font auprès de moi. Je les re-
mercie bien sincèrement des sentiments
que vous m'exprimez en leur nom. C'est
pour un homme politique une satisfaction
qui lui fait oublier bien des amertumes.
» Ma tâche a été difficile. Il a fallu d'a-
bord travailler à la reconstitution du pays,
reconstitution qui était d'ailleurs presque
achevée quand j'ai quitté la pouvoir. En
outre, il a fallu obtenir la délivrance du
territoire. Vous attribuez cette délivrance
à mes efforts : je vous en remercie ; je
crois, en effet, qu'il y a eu quelque mérite
à accomplir cette partie de la tâehe, quoi
qu'on en dise. »
A ces derniers mots, qui soulèvent d'é-
normes applaudissements, un paysan pro-
fondément ému et qui a des larmes dans
la voix : « Allez ! monsieur, s'écrie-t il en
s'avançant, nous vous aimons tous bien l »
- J'aurais peine à vous traduire la profon-
de impression qu'ont produite ces simples
paroles.
M. Thiers a repris :
« Vous me parlez de notre tâche et de
notre cause commune. Laissez-moi vous le
dire : L'avenir de notre pays ne m'inspire
pas autant d'inquiétude que vous parais-
sez le croire. Mais cet avenir appartient au
calme et à la modération. Pour moi, je
reste fidèle à mon message, qui avait pour
but l'organisation régulière de la Répu-
blique. »
Et comme les acclamat'ons et les braves
redoublaient :
c Je vous prie, messieurs, de ne pas
oublier que nous sommes en pays étranger,
bien qu'ami, et qu'il faut conserver à votre
manifestation tout le calme possible. Oui,
messieuis, je reste fidèle à ce message,
profondément réfléchi et qui représentait
es opinions du gouvsrnement tout entier.
Nous le soutiendrons tous, à la rentrée,
avec la persévérance d'une forte conviction.
A mon avis, ce n'est que dans la réalisa-
tion des idées qu'il contenait que la France
peut trouver un avenir à la fois paisible
et fécond. »
Ensuite le défilé a commencé ; il a duré
plus d'une demi-heure.
+ ;
Il est clair aujourd'hui que la Eeule
conduite honorable et digne pour ua
homme politique qui tombe devant une
opposition parlementaire, est la répudia
tion dts idées pour lesquelles il vient de
succomber. Cette logique fantaisiste res-
sort du moins de la manière de procéder
des organes monarchistes viz-à-vis de l'an-
pien président de la République.
M. Thiers, tombant au 24 mai, après six
mois de luttes, pour avoir voulu organiser
la République, n'avait qu'une façon dé-
cente de se relever: passer au camp mo-
narchiste. Il ne l'a pas fait; aussi son
impudeur a-t-elle été dévoilée et stigma-
tisée par nos Catons politiques.
Quand, laissant le cabinet du 24 mai se
débrouiller dans son ordre moral, et dési-
reux sans doute d'éviter des frottements
peut-être plus pénibles pour les autres
que pour lui-même, il ne paraissait
pas à la Chambre, c'était pour mieux diri-
ger, de son antre du boulevard Malesher-
bes, la conspiration révolutionnaire..
Lorsque, la session terminée, il s'arrê-
tait à Belfort, c'était pour s'attirer une
ovation savamment combinée. Quand il
refusait d'aller à Nancy, où le réclamaient
des amis, c'était pour esquiver prudem-
ment une ovation compromettante. -
S'il voyageait en France, c'était pour
surexciter les révolutionnaires en eioi cice ;
s'il voyageait à l'étranger, c'était pour
soulever plus aisément les révolutionnai
l'es retirés des autres. S'il se taisait, c'é-
tait calcul ; s'il parlait, c'était tactique.
Nous avons vu le moment où certains,
avec un sérieux bouffon à force de
naïveté, allaient réclamer le droit de
lui tracer un itinéraire : « Voyage de
plaisir,sans communiquer avec personne. »
Ces monarchistes qui ont fait tant et tant
de gorges-chaudes sutr s Je peut bour-
geois » n'admettaient pas que , pendant
quelques mois, le petit bourgeois pût vive
bourgeoisement.
- - Ces réflexions déjà vieilles ne vont pas
maaquer d'avoir un regain d'actualité
grâce à la scène qui s'est passée à Ouchy-
Lausanne et que nous rapportons plus haut.
- Il se taisait. Le ptrlide! —Il a parié.
Le misérable 1 - Dtjà le Français, plus
avancé que ses confrères de l'ordre moral
dans les bonnes grâces officielles, a reçu de
Suisse une relation d'un obligeant corres-
pondant; elle représente les Français qui
ont été, en pays étranger, faire une respec-
tueuse démarche vis-à vis de M. Thiers
comme étant « tous complètement ivres. »
Il faudrait pourtant s'entendre! Si M.
Thiers n'a pour tous partisans que quel-
ques ivrogne s, il @ n'est pas à craindre pour
les défenseurs de l'ordre moral,dont on nous
fait un imposant dénombrement ; si les
idées qu'il représente ne répondent pas à
un besoin du py, il n'est ps à redouter
pour l'établissement de n'importe quelle
monarchie, même la plus impopulaire de
toutes. Dans les deux cas, ces attaques
sont tout au moins futiles.
A vrai dire même, sauf le sentiment de
répulsion qu'elles inspirent, elles sont
plaisantes. Quand on reconnaît aux uns
le droit d'aimer la monarchie pure, aux
autres le droit de préférer la monarchie
constitutionnelle, aux troisiè nés le droit
d'exalter le césarisme, il est étrange de ne
pas reconnaître à une quatrième catégorie
le droit de trouver à sa convenau. e la forme
républicaine. Quand on trouve bon que
ceux-ci garient fidélité à une tradition,
ceux là à un souvenir et celJxà encore à
un intérêt, il est plaisant d'interdire à
d'autres d'avoir de la reconnaissance pour
un homm9, et pour un homme dont ses
adversaires présents ont hautement reconnu
jadis les services., Quand on a une opi-
nion, quand on en a même plusieurs, il
est tout à fait risible d'interdire aux au-
tres d'en avoir une, sous peine d'être des
ivrognes ou des repris de justice.
Petite guerre que tout cela, où l'on tâche
de faire balle de tout plomb. C'est que
l'on sent que. l'heure approche où toutes
ces vaines colères vont être obligées de se
dégonfler comme des outres vides devant
le choc de la réalité.
« Pour moi, je reste fidèle à mon mes
sage, qui avait pour but l'organisation ré
gulière de la République. Oui, messieurs,
je reste fidèle à ce message, profondément
réfléchi et qui représentait les opinions du
gouvernement tout entier. Nous le sou-
tiendrons tous, à la rentrée, avec la per-
sévérance - d'une - forte - conviction. »
C'est dans ces paroles de M. Thiers
qu'est la réelle importance de la manifes
tation de Lausanne. Pour notre part, nous
étions convaincus que M. Thiers, qui jus-
qu'ici s'était tenu à l'écart avec autant de
soin qu'on en mettait à le pousser en
scène, se montrerait le jour où il s'agirait
de ne pas laisser protester sa signature aux
yeux de la France. Au 13 novembre, le
message fut accueilli avec enthousiasme
dans le pays, et malgré les efforts de la
propagande royaliste, nous ne croyons pas
que les idées de la nation aient changé; la
violence du dénigrement n'a fait qu'aug-
menter la force des convictions.
Les monarchistes, de leur côté, ont fait
preuve de non moins de persévérance dans
leurs idées. Il est urgent que la question
se vide à la rentrée pour que la persévé-
rance des uns ou des autres ne devienne
point, aux yeux du pays, de l'entêtement.
PAUL LAFARGUE.
* ——————.—
On lit dans l'Union :
S. A. R. le duc d'Alencon a été reçu
dernière-ment à Frohsdorff par M. le comte
de Chambord.
L'entrevue du jeune prince avec le chef
de sa maison a été des plus cordiales, et
les souvenirs laissés par sav visité sont un
gage nouveau des espérances que l'événe-
ment du 5 août a données à tous les défen-
seurs de la monarchie française.
On lit dans l'Assemblée nationale :
On a répandu, hier, à la Bourse, le bruit
de l'abdication de M. le comte de Cham-
bord en f Iveur de M. le comte de Paris.
Encore une nouvelle absolument fausse.
Le chef de la maison de Bourbon a écrit :
« Je n'abdiquerai jamais. »
LE JUGE D'INSTRUCTION
Il n'est guère d'homme, ayant passé
par l'école de droit, qui n'ait gardé le
souvenir du professeur Bugnet, celui que
l'on appelait familièrement le père Bu-
gnet, et qui s'était rendu célèbre autant
par l'humour de son esprit que par sa
science profonde.
IL y a une question que le père Bu-
gnet, aux examens de fin d'année, se
plaisait à adresser aux étudiants novi-
ces :
- Monsieur, lui demandait-il, quel
est l'homme en France dont le pouvoir
est le plus absolu?
Le jeune homme naturellement de-
meurait bouche béante, ou bien, s'il disait
quelque chose, c'était d'une voix timide
et hésitante : l'empereur. ou le roi.
Non, monsieur, repartait le père Bu-
gnet, triomphant, c'est le j d'instruc-
tion, car il peut, de sa seWe autorité,
lancer un mandat d'amener contre vous,
il peut vous obliger à vous rendre im-
médiatement dans son cabinet et vous
interroger à sa fantaisie ; il peut vous
garder, autant qu'il lui plaît, en prison
préventive; il peut.
Et le père Bagnet se plaisait à énu-
mérer les pouvoirs que la loi attribue au
juge d'instruction, et à en faire ressortir
malicieusement l'énormité exorbitante.
Cetj& vieille légende m'est revenue ces
jours-ci en mémoire, comme je lisais le
récit d'un procès qui vient de se dénouer
devant le tribunal de Brest.
C'était il y a trois ou quatre mois :
une jeune fille de dix-huit ans fut ac-
cusée d'escroquerie et condamnée, mal-
gré ses protestations d'innocence à qua-
tre mois de prison. C'était une pauvre et
humble Bretonne, fort ignorante des lois.
Elle ne savait pas que son droit était
d'en appeler du jugement, en sorte
qu'elle fut le lendemain même se cons-
tituer prisonnièie.
A peine était-elle enfermée depuis
quelques jours qu'une autre jeune fille
se déclara coupable de l'escroquerie qui
l'avait amenée en prison. Le parquet
s'émut, il se livra à une nouvelle en-
quête, il fit, par provision, sortir cette
malheureuse enfant de la maison où
elle expiait une faute qu'elle n'avait
point commise.
On était encore heureusement dans
les délais d'appel : le procureur de la
République à Brest s'adressa à la cour
d'appel pour obtenir que le jugement
fût réformé.
Ce fut le conseiller Allain que l'on
chargea du rapport de l'affaire. L'hono-
rable magistrat le commença en expri-
mant ses regrets d'une erreur, qui, dit-il,
devait être imputée en grande partie aux
dépositions erronées de plusieurs té-
moins, et un peu aussi à l'instruction, qui
avait laissé de côté des éléments utiles à la
découverte de la véri té.
Je n'ai pas besoin d'ajouter que le ju-
gementfuten effet réformé. Mais ne trou-
vez-vous pas bien significative la phrase
par laquelle la cour a cru pouvoir appré-
cier la facon dont l'instruction avait été
dirigée en cette affaire? Elle est bien
vague, il est vrai; car elle ne spécifie
point ces éléments utiles à la découverte
de la vérité qui ont été négligés par le
juge d'instruction, car elle ne nous ap-
prend point d'où vient cette négligence,
r s'il faut l'attribuer à la légèreté de ca*
ractère, ou à l'esprit de prévention, ou à
toute autre cause.On serait curieux de pé-
nétrer les mystères qui se dissimulent
derrière un reproche conçu en termes si
généraux. Mais on comprend la discré-
tion d'un magistrat forcé d'insinuer un
blâme contre un de ses collègues.
Il n'en est pas moins vrai qu'en cette
affaire le juge d'instruction n'a pas fait
tout ce qu'il pouvait pour découvrir la
vérité, qui était favorable à l'accusée;
que peut-être même il s'est dérobé à lui-
même de parti pris et qu'il a - caché aux
autres les raisons qui militaient en faveur
de son innocence.
Ce fait n'est pas isolé. On peut le
rapprocher de celui qui fit tant de bruit
sous l'empire : une pauvre femme,
pressée, persécutée, torturée par le juge
d'instruction, avait fini par se reconnaî-
tre coupable d'un parricide qu'elle n'a-
vait pas commis, et avait été condamnée
sur sa confession. Plus tard, bien plus
tard, on avait retrouvé l'auteur du meur-
tre, et la malheureuse avait conté les
supplices qui lui avaient été infligés par
un juge sans entrailles pour lui arracher
un aveu.
Je ne crois pas assurément que les
choses se passent souvent de la sorte.
Mais peut-être ces excès de zèle chez les
juges d'instruction sont-ils moins rares
que l'on ne pense ; il faut des circons-
tances bien particulières et bien rares
pour qu'ils soient tirés de l'ombre du
greffe et qu'ils arrivent jusqu'à nos
oreilles. Nons pouvons supposer que
s'il éclate au grand jour deux ou trois
faits de cette nature, c'est qu'il y en a
beaucoup d'autres tout pareils qui ne
percent point à la lumière.
De semblables révélations seraientbien
faites, si elles étaient nombreuses, pour
ébranler dans tous les esprits la con-
fiance que les hommes investis de ces
fonctions redoutables devraient toujours
inspirer. Plus un magistrat est puis-
sant, plus il faut que l'on ait foi dans
son impartialité, son bon sens et son
équité.
Parmi les juges d'instruction, on en
trouverait au moins quelques-uns qui,
nommés jeunes à ce poste important,
ont l'ardeur de leur âge, mais qui en
ont aussi les emportements regrettables.
Ils ont leur position à faire, et il n'y a
rien d'étonnant à ce qu'ils soient pos*
sédés de la rage d'arriver vite. Ils
aiment la justice, cela va de soi;
mais ils l'aiment avec rage; ils sont
sujets à l'aveuglement ; on dit mêmè
que parfois, n'ayant point derrière eux,
pour s'imposer à l'estime du monde une
longue suite de travaux, certains d'entre.
eux affectent une morgue hautaine, et
ne se fient pas assez à la politesse et à
la bonté pour commander le respect.
Il semble qu'il vaudrait mieux ne re«
mettre ce pouvoir qu'aux mains d'hom-
mes déjà mûrs, qui auraient acquis une
grande expérience du cœur humain,
chez qui l'âge aurait amorti les ferveurs
de zèle si naturelles aux débutants, et
dont la position serait assez faite pour
qu'il n'eussent plus à espérer de l'avenir
un grand avancement.
Je ne veux pas dire qu'on n'aurait plus
que des sages dans la magistrature de-
bout ; il se rencontre partout des esprits
faciles à la prévention, des caractères
aigres, des tempéraments violents, et il
y a des défauts de nature que l'âge ne
corrige guère.
Au moins n'aurait-on plus à compter
avec cette fièvre d'avancement qui dévore
nos jeunes magistrats. C'est elle qui les
pousse à voir partout des coupables, à ne
plus lâcher une piste, fût-elle reconnue
fausse, quand une fois ils se sont lancés
dessus ; à triompher d'un arrêt qui leur
donne gain de cause, alors même qu'il
blesse la justice ; à se prévaloir enfin,
pour arriver plus haut, des condamna-
tions obtenues par eux, et à mettre ainsi
tout en œuvre, fas et nefas, pour les ob-
tenir.
FRANCISQUE S AH CET.
♦ 1
LES PROCHAINES ÉLECTIONS
On nous écrit de Clermont-Ferrand :
Nous sommes organisés pour la lutte
électorale. M. Girot-Pouzol n'a pas jusqu'à
présent de concurrent sérieux. Sa candida-
ture est appuyée par 25 conseillers géné-
raux du département, ce qui rend la lutte
bien difficile contre lui.
Le gouvernement a offert la candidature
à M. Martha-Becker, président du con-
seil général, qui l'a refusée. On s'est alors
adressé à M. Mège, qui a refusé égale-
ment.
Restait M. Burin-Desroziers, ancien dé-
puté au Corps législatif, qui était le seul
homme capable de soutenir la lutte. Mais
M. Burin-Desroziers est sous le coup de
l'annulation de son élection comme con-
seiller général. Le conseil a ordonné une
enquête. Ea présence de cette situation, le
parti bonapartiste a pensé qu'il serait pru-
dent de ne présenter personne.
Le succès de M. Girot-Pouzol est donc
certain. On annonce un manifeste des dé-
putés républicains du département expli-
quant nettement la signification de l'élec-
tion qui va avoir lieu.
Les renseignements que nous recevons
de la Loire ne sont pas moins bons.
M. Bertholon, que le parti républicain
présentait d'abord, décline toute candida-
ture. Trois hommes importants du dépar-
tement.sont proposés, ce sont : MM. Ver-
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
39 ne Drouot. *
La manuscrits non insérés ne seront pas rendus.
ABONNEMENTS
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Un an 1 50
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Un an.62
ADMINISTRATION
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r 1» rue Drouot, 9
la lettres non affranchies seront refusém
ABONNEMIITS
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Un an 50
DÉPARTEMJBn»
Trois mois.16 fr.
Six mois 82
Un an .hlhé"6&. 61 te
"1
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
1
-- -
AnnoBcM, chez MM. LAGRANGE, CERF et O.
8, place de la Bonree, 0
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURICE général
ad vertising, agent, 13, Tavistockrow, Covent Garden.
- I
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et O't
1 6, place de la Bosrse, a 1
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAUBIOE généril
advertising. agent, 13, Tavistockrow, Covent Gardon.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 18 septembre 1875
Un congrès général du vieux-catholi-
cisme s'est tenu à Constance ces deux der-
niers jours. Les Allemands y dominaient,
et l'on peut les considérer comme les
véritables organisateurs de la réunion;
l'Allemagne a été, d'ailleurs, le berceau
du vieux-catholicisme : mais on y remar-
quait aussi la présence d'une délégation
des vieux-catholiques suisses, réunis en
congrès à Olten, il y a quinze jours ;
enfin, plusieurs Français, parmi lesquels
le P. Hyacinthe, l'abbé Michaud et l'ho-'
norable M. de Pressensé, député à l'As-
semblée nationale, pasteur protestant et
l'un des chefs de notre protestantisme
libéral. De Constance même, M. de Pres-
sensé vient d'envoyer au Journal des Dé-
bats des lettres qui sont assurément inté-
ressantes et remarquables, mais un peu
trop enthousiastes, où il rend compte
de la première séance du congrès,
ouvert sous la présidence de M. de
Schulte. « Je n'ai pas à revenir, dit-il,
sur les origines du vieux-catholicisme.
On peut le résumer d'un mot : à son point
de départ, il a été une protestation savante
et chrétienne contre la proclamation du
dogme de l'infaillibilité. Il se personni-
fiait dans l'illustre Dœllinger, le pre-
mier des théologiens catholiques de notre
époque. Aujourd'hui, le, mouvement est
descendu des hauteurs de la science ; il
s'est emparé d'une portion considérable de
la société laïque, spécialement dans la
haute bourgeoisie; il tend même, sur quel-
ques points, à devenir populaire. On nous
annonçait hier soir, dans la séance d'ou-
verture, qu'il comptait en Allemagne seu-
lement 50,000 adhérents; déjà la Suisse
s'ébranle. Il n'est donc pas permis de le
traiter avec ce sourire de pitié qu'éveille
si'facilement en France dans tous les
camps l'idée d'une opposition à la papauté
au sein du catholicisme. »
En effet, nous voyons ailleurs, d après
l'exposé même de M. de Schulte, le princi-
pal apôtre ou, pour mieux dire, le très-
habile organisateur du nouveau culte en
Allemagne, que le vieux-catholicisme
compte en Prusse 22 églises ; l'Université
catholique de Bonn lui appartient «presque
tout entière. En tout, ces églises comptent
9,200 adhérents. La Bavière a 33 égli-
&et, qui donnent 17,000 adhérents; le
trand-duché de Baden en possède 27, qui
donnent 11,000 adhérents. Le reste de
l'Allemagne contient encore 1 millier de
vieux-catholiques. Tout compté, on arrive
an nombre de 50,000, sans parler de la
Suisse. Ces chiffres sont également re-
produits dans les lettres de M. de Pres-
sensé. « Il faut qu'on sache, a'écrie en-
core notre honorable concitoyen, que le
vieux-catholicisme, hors de France, est
devenu une puissance et qu'il grandit tfcus
les jours. » Soit; maia il nous paraît qu'on
fera bien d'attendre la fia pour croire à la
vitalité de ce christianismè régénéré. De
religieuxi te mouvement est dSvenu sou-
dain politique; et les vieux-catholiques né
%ont |>Uis guère én Allemagne qu'un ins-
trument, inconscient peut-être, aux mains
de M. de Bismarck. Toujours est-il que la
seconde journée du congrès s'est terminée
par un scandale, après lequel les vieux-
catholiques, venus da Suisse, de France
et d'Allemagne, ont quitté Constance, agi-
tés de sentiments divers. Le doctéurVœfk,
dTAugsbourg, député au Reichstag, à in-
terrompu une discussion purement reli-
gienwpour iaHcer "à't' Franceet srox
Français les apostrophes les plus haineu-
ses et les plus sanglantes injures. M. de
Çmsensê, le P. Hyacinthe, l'abbé Mi-
haud sont sortis de la salle en protes-
tant, et cependant le président du congrès,
M. de Schulte, en digne agent de M. de
Bismarck, a pris parti pour son compa-
triote Vœlk. C'est ce même von Schulte que
M. de Pressensé, dans une admiration un
peu candide, avait qualifié d'esprit net et lu-
cide, qui a le don de l'autorité, etc. Mais
que va dire, après l'affront subi, l'honorable
correspondant du Journal des Débats? Nous
l'attendons demaiu à sa dernière lettre.
Pour en revenir aux destins du vieux-
catholicisme, ils ne nous paraissent ni si
brillants ni surtout si dignes de sympa-
thie. Ea Allemagne, il ne s'agit plus du
mouvement spontané de quelques âme3
honnêtes et ferventes ou mêmes savan-
tes, mais bien d'une nouvelle religion
d'Etat dont M. de Bismarck compte se
servir contre l'ultramontanisme d'a-
bord, et, au besoin, contre nous Fran-
çais, en même temps qu'il fortifiera ainsi
l'unité allemande. Amener tous les catho-
liques romains d'Allemagne au vieux-ca-
tholicisme, qui n'est qu'une façon de pro-
testantisme plus raffiné, ce serait un bien
grand but, et, à ne voir que nos intérêts
politiques, nous ne devrions pas souhaiter
que M. de Bismarck l'atteignît. Peu nous
importe que le vieux catholicisme , au
point de vue de la philosophie et de
la morale universelle, soit ou non pré-
férable au catholicisme romain. Avons-
nous charge d'âmes, d'âmes prussiennes
snrtout ? L'entreprise, beaucoup plus poli-
tique que religieuse, de MM. de Bismark
et de Schulte', n'est point de celles dont la
France peut avoir à cœur le succès. L'ul-
tramontanisme, jusqu ici, a créé des obsta-
cles à la tranquillité de fAllemagueet,
dans une certaine mesure, à son unifica-
tion ; il nous est donc plus avantageux
que les Allemands aient toujours l'ultra-
montanisme surle raitmême
jine mesure excellents,iflîe celle qui
consisterait, si nous pouvions, à leur
envoyer tout ou partie des jésuites que
nous avons chez nous. Pour la Suisse,
elle a commencé aussi une expérience
dont nous n'avons pas les mêmes rai-
sons de nous défier; nous y assistons
en spectateurs, et nous en suivrons les
progrès d'un œil curieux, mais indiffé
rents, convaincus qu'il ne reste point de
place, en ce temps-ci, sur l'échelle des re-
ligions, entre le catholicisme romain et
les diverses Eglises du protestantisme.
C'est du protestantisme que font nos mo-
dernes réformateurs et qu'ils décorent d'un
nom nouveau. Quant à la France enfin,
le vieux-catholicisme y paraît avoir moins
de chances de succès qu'en aucun lieu du
monde, d'abord pajce que nos lois ne sont
pas assez libérales pour permettre la propa-
gande, et en second lieu parce que la
majorité des Français est trop sceptique
po^r ne pas demeurer dans le giron com-
mode du catholicisme romain, religion de
Rabelais, de Montaigne, de Voltaire et de
plusieurs autres.
EUG. LIEBÉftT.
-
Voici en quels termes le Journal officiel an-
nonce l'évacuation complète de notre territoire :
Conflans et Jarny, dernières localités
occupées, ont été évacuées ce matin à sept
heures. A neuf heures, les troupes alle-
mandes ont franchi la frontière. Le terri-
toire est entièrement libéré.
— ♦
Donner et retenir
Vous souvient-il de ce qu'on nous ré-
pondait, il y a dix-huit mois, quand déjà
nous réclamions la dissolution ou tout
au moins le renouvellément partiel de
l'Assemblée? Nous ne parlons pas des
injures dont on couvrait, dès cette épo-
que, les clairvoyants qui voulaient éviter
au pays les tiraillements et les incerti-
tudes où il se débat aujourd'hui;' nous
voulons rappeler seulement à l'aide de
quels arguments on combattait alors les
propositions des républicains. « Y son-
gez-vous! nous disait-on; l'Assemblée
elue le 8 février a reçu en effet pour
mission de traiter avec les Allemands;
mais elle doit demeurer à son poste pour
veiller à l'exécution scrupuleuse des
clauses du traité ; et, voulût-elle se sous-
traire à ce devoir, elle n'en aurait point
le droit, car les Allemands ne manque-
raient pas de dire que rien ne leur ga-
rantit de la part d'une autre Assemblée
là ratification des engagements pris par
clle de Bordeaux. »
Nous ne discutons pas, - nous l'a-
vons fait en temps opportun, — cette
étrange théorie qui constituait une véri-
table injure à la France; mais il nous
semble utile de la rappeler à ceux qui,
dans un intérêt aujourd'hui bien connu,
l'opposaient naguere aux partisans de
la dissolution. Les Prussiens sont hors
de France, nous ne devons plus rien à
l'Allemagne, tous nos engagements ont
été exécutés ; et cependant, on veut nous
persuader encore que l'Assemblée n'a
point fini sa tâche, et Dieu sait les ar-
guments qu'on fait valoir pour démon-
trer la nécessité de lui conserver son
mandat pendant quelques années en-
core !
Hier M. John Lemoinne, esprit délié
s'il en fut, on ne le sait que trop, ne"
â^sst ll pas avls^'d# poser en principe,
comme chose désormais indiscutable et
adoptée par tout le monde, que l'Assem-
blée, en rèprebant ses séances, abordera
directement la question de gouverne-
ment; et que, si elle ne peut arriver à un
résultat définitif, elle procédera à un nou-
vel ajournement f
Que l'Assemblée, dès son retour, dis-
cute la question de gouvernement, rien
de mieux, puisqu'elle s'est attribué ir-
révocablement le droit de constituer ;
mais dire que si elle ne réussit pas à
constituer au gré de ses désirs, elle an-
nulera le coup et recommencera une
nouvelle partie, sans plus de cérémonie,
voilà qui passe les bornes de la politique
la plus fantaisiste, nous dirions volon-
tiers de la probité la plus élémentaire.
Depuis le 5 août dernier: tous les mo-
narchistes, les bonapartistes exceptés,
proclament la nécessité de sortir du pro-
visoire. En cela du moins ils sont d'ac-
cord avec les républicains, nous voulons
dire avec le pays; aussi ne nous sommes-
nous pas fait prier, on rendra cette jus-
tice au parti républicain, pour suivre nos
adversaires sur ce terrain. Et pourtant
personne n'ignorait les raisons qui en-
flammaient subitement les monarchistes
d'un si beau zèle. L'abdication du comte
de Paris aux mains du comte de Cham-
bord semblait avoir tout à coup simplifié
le difficile problème du rétablissement
de Ja royauté, et si l'Assemblée natio-
nale eût été réunie à cette époque, nul
doute qu'il se fût trouvé dans la majorité
plus d'un Belcastel ou d'un Franclieu
pour escalader la tribune en chantant
victoire, et proposer hic et nunc de rap-
peler Henri V.
Les amours des royalistes de droite et
de gauche ont duré, comme dit la chan-
son, toute une semaine, et c'était à qui
plaindrait le plus haut ce pauvre pays de
France d'avoir attendu si longtemps une
solution qu'on promettait enfin de lui
fournir, toute affaire cessante, dès le
retour de l'Assemblée. Et nous, les ré-
publicains, nous nous contentions de
donner acte de leur déclaration aux mo-
narchistes. Puisque vous vous croyez en
droit, leur disions-nous, d'imposer au
pays un régime qu'il déteste, tentez donc
l'aventure ; ce nombre que vous mépri-
sez tant, si vous l'avez dans l'Assemblée,
usez-en; d'ailleurs vous avez la force, et
il n'est rien de tel pour prouver le
droit.
Mais voilà qu'au bout de la première
semaine, les royalistes s'aperçoivent qu'ils
ont mangé leur pain blanc le premier.
Il n'y a qu'une voix parmi eux pour de-
mander le rétablissement d'un régime
où les ambitions n'aient point à compter
avec ce manant de suffrage universel;
mais quelle cacophonie, grand Dieu 1
quand il s'agit de s'entendre sur les
clauses du contrat ! On négocie, on dis-
eute, on intrigue, on séduit l'un, on perd
l'autre, et finalement on est obligé de
s'avouer qu'il ne suffit - pas toujours, au
jeu dela fusion, comme à l'écarté, d'avoir
le roi dans la main pour gagner ; il faut
qu'il soit accompagné d'autres atouts, et
ces atouts là manquent encore aux fu-
sionnistes. On les cherche, on espère les
trouver ; mais on veut tout prévoir, et se
garder à carreau pour n'être point capot,
Quoi qu'il arrive.
Telle est l'explication de M. John Le-
moinne : « Si l'Assemblée ne peut arri-
ver à un résultat définitif, elle procéde-
ra à un nouvel ajournement. » En véri-
té, ce serait trop commode. Comment!
M. John Lemoinne admettrait-il que
l'Assemblée essayât de réunir une ma-
jorité en faveur de la restauration, et
qu'en cas d'insuccès elle en fût quitte
pour recommencer dans six mois, dans
un an, dans deux ans? Mais alors le
pouvoir constituant que s'est octroyé
l'Assemblée ressemblerait aux cinq sols
du Juif-Errant qui renaissaient dans sa
poche à mesure qu'il les dépensait ; ce
serait un pouvoir inusable, et cela ne
s'est encore jamais vu. Au vrai, le jour
où l'Assemblée nationale sera assez mal
inspirée pour poser la question du réta-
blissement de la monarchie, cette ques-
tion impliquera tout naturellement celle
du maintien ou du renversement de
la République. Point ne serait be-
soin pour cela de spécifier que les
votants auraient à choisir entre ceci
et cela; la chose va de soi. La Répu-
blique existe ; elle est l'état légal du
pays, et l'on propose de remplacer la
République par la monarchie. Il est bien
clair que ceux qui voteront « non » vote-
ront pour le maintien de la République, et
non-seulement pour son maintien, mais
pour sa consolidation définitive. Qu'on
y prenne garde, en effet ! Dire que le
rejet de la monarchie n'impliquerait pas
la transformation immédiate du provi-
soire républicain en définitif, c'est une
impertinence en même temps qu'une
iniquité. La République, c'est le pays ;
mais en admettant" même qu'elle no soit
que le régime préféré d'un parti, serait-
ce un motif pour le faire servir aux ex-
périences des autres partis ? En outre,
comme nous venons de le dire, tout
vote contient à la fois une affirmation et
une négation. Une majorité monarchiste
contiendrait évidemment une négation de
la République ; par quel phénomène une
majorité républicaine ne contiendrait-
elle pas une négation de la monarchie?
Donner et retenir ne vaut ; c'est un
axiôme de droit. Ou l'Assemblée natio-
nale n'usera pas du pouvoir constituant,
et dans ce cas, elle pourra, ne consul-
tant que ses intérêts, procéder à un
nouvel ajournement des solutions ; ou
elle en usera en abordant directement,
comme le dit M. John Lemoinne, la
question de gouvernement ; et dès lors,
quoi qu'il arrive, son droit sera épuisé.
E. SCHNKRB.
--- ♦—i
Nous publions plus loin une correspondance
adressée au Journal de Genève qui rend compte
de la réception par M. Thiers à Oachy de ladé-
putation de la Haute-Savoie.
Voici, d'après le Temps, les diverses allocu-
tions qui ont été prononcées par MM. Folliet et
Taberlet, députés à l'Assemblée national et la
réponse de M. Thiers..
M. Folliet s'est exprimé en ces termes :
« Nous avons l'honneur, monsieur, de
vous présenter la députation de nos com-
patriotes de la Haute-Savoie, qui ont voulu
venir saluer l'ancien président de la Répu-
blique et le libérateur de la patrie. Ils vous
remercient profondément de leur avoir per-
mis de rendre leurs hommages au plus
grand citoyen de notre pays. Nos conci-
toyens, monsieur Thiers, connaissent et ap-
précient les immenses services que vous avez
rendus au pays et à la République. Ils savent
que dans lutte que nous allons soutenir
contre de folles entreprises, vous serez à
notre tête, et ils ont confiance dans l'effi-
cacité de vos efforts en faveir du salut du
pays et de l'avenir de la République. »
M. Taberlet, a ajouté : « La France
n'oubliera jamais, monsieur, qu'en descen-
dant du pouvoir, VOllQ avez teau haut et
ferme le drapeau de la République, et que,
malgré les odieuses calomnies dont on vous
a abreuva, vous restez le seul espoir de ce
malheureux pays que la raison, autant que
la nécessité, ont irrévocablement rendu
républicain. »
Les applaudissement et les cris: « Vive
Thiers ! vive Ja République ! » avaient
plus d.'une fois interrompu ces deux cour-
tes allocutions, et le retentissement, qui
se prolongeait dans les e caliers et dans le
vestibule du rez-de-chaussée, en durait en-
core quand M. Thiers a pris la parole :
« Messieurs, a-t-il dit, je suis profondé-
ment touché de la démarche que vos com-
patriotes font auprès de moi. Je les re-
mercie bien sincèrement des sentiments
que vous m'exprimez en leur nom. C'est
pour un homme politique une satisfaction
qui lui fait oublier bien des amertumes.
» Ma tâche a été difficile. Il a fallu d'a-
bord travailler à la reconstitution du pays,
reconstitution qui était d'ailleurs presque
achevée quand j'ai quitté la pouvoir. En
outre, il a fallu obtenir la délivrance du
territoire. Vous attribuez cette délivrance
à mes efforts : je vous en remercie ; je
crois, en effet, qu'il y a eu quelque mérite
à accomplir cette partie de la tâehe, quoi
qu'on en dise. »
A ces derniers mots, qui soulèvent d'é-
normes applaudissements, un paysan pro-
fondément ému et qui a des larmes dans
la voix : « Allez ! monsieur, s'écrie-t il en
s'avançant, nous vous aimons tous bien l »
- J'aurais peine à vous traduire la profon-
de impression qu'ont produite ces simples
paroles.
M. Thiers a repris :
« Vous me parlez de notre tâche et de
notre cause commune. Laissez-moi vous le
dire : L'avenir de notre pays ne m'inspire
pas autant d'inquiétude que vous parais-
sez le croire. Mais cet avenir appartient au
calme et à la modération. Pour moi, je
reste fidèle à mon message, qui avait pour
but l'organisation régulière de la Répu-
blique. »
Et comme les acclamat'ons et les braves
redoublaient :
c Je vous prie, messieurs, de ne pas
oublier que nous sommes en pays étranger,
bien qu'ami, et qu'il faut conserver à votre
manifestation tout le calme possible. Oui,
messieuis, je reste fidèle à ce message,
profondément réfléchi et qui représentait
es opinions du gouvsrnement tout entier.
Nous le soutiendrons tous, à la rentrée,
avec la persévérance d'une forte conviction.
A mon avis, ce n'est que dans la réalisa-
tion des idées qu'il contenait que la France
peut trouver un avenir à la fois paisible
et fécond. »
Ensuite le défilé a commencé ; il a duré
plus d'une demi-heure.
+ ;
Il est clair aujourd'hui que la Eeule
conduite honorable et digne pour ua
homme politique qui tombe devant une
opposition parlementaire, est la répudia
tion dts idées pour lesquelles il vient de
succomber. Cette logique fantaisiste res-
sort du moins de la manière de procéder
des organes monarchistes viz-à-vis de l'an-
pien président de la République.
M. Thiers, tombant au 24 mai, après six
mois de luttes, pour avoir voulu organiser
la République, n'avait qu'une façon dé-
cente de se relever: passer au camp mo-
narchiste. Il ne l'a pas fait; aussi son
impudeur a-t-elle été dévoilée et stigma-
tisée par nos Catons politiques.
Quand, laissant le cabinet du 24 mai se
débrouiller dans son ordre moral, et dési-
reux sans doute d'éviter des frottements
peut-être plus pénibles pour les autres
que pour lui-même, il ne paraissait
pas à la Chambre, c'était pour mieux diri-
ger, de son antre du boulevard Malesher-
bes, la conspiration révolutionnaire..
Lorsque, la session terminée, il s'arrê-
tait à Belfort, c'était pour s'attirer une
ovation savamment combinée. Quand il
refusait d'aller à Nancy, où le réclamaient
des amis, c'était pour esquiver prudem-
ment une ovation compromettante. -
S'il voyageait en France, c'était pour
surexciter les révolutionnaires en eioi cice ;
s'il voyageait à l'étranger, c'était pour
soulever plus aisément les révolutionnai
l'es retirés des autres. S'il se taisait, c'é-
tait calcul ; s'il parlait, c'était tactique.
Nous avons vu le moment où certains,
avec un sérieux bouffon à force de
naïveté, allaient réclamer le droit de
lui tracer un itinéraire : « Voyage de
plaisir,sans communiquer avec personne. »
Ces monarchistes qui ont fait tant et tant
de gorges-chaudes sutr s Je peut bour-
geois » n'admettaient pas que , pendant
quelques mois, le petit bourgeois pût vive
bourgeoisement.
- - Ces réflexions déjà vieilles ne vont pas
maaquer d'avoir un regain d'actualité
grâce à la scène qui s'est passée à Ouchy-
Lausanne et que nous rapportons plus haut.
- Il se taisait. Le ptrlide! —Il a parié.
Le misérable 1 - Dtjà le Français, plus
avancé que ses confrères de l'ordre moral
dans les bonnes grâces officielles, a reçu de
Suisse une relation d'un obligeant corres-
pondant; elle représente les Français qui
ont été, en pays étranger, faire une respec-
tueuse démarche vis-à vis de M. Thiers
comme étant « tous complètement ivres. »
Il faudrait pourtant s'entendre! Si M.
Thiers n'a pour tous partisans que quel-
ques ivrogne s, il @ n'est pas à craindre pour
les défenseurs de l'ordre moral,dont on nous
fait un imposant dénombrement ; si les
idées qu'il représente ne répondent pas à
un besoin du py, il n'est ps à redouter
pour l'établissement de n'importe quelle
monarchie, même la plus impopulaire de
toutes. Dans les deux cas, ces attaques
sont tout au moins futiles.
A vrai dire même, sauf le sentiment de
répulsion qu'elles inspirent, elles sont
plaisantes. Quand on reconnaît aux uns
le droit d'aimer la monarchie pure, aux
autres le droit de préférer la monarchie
constitutionnelle, aux troisiè nés le droit
d'exalter le césarisme, il est étrange de ne
pas reconnaître à une quatrième catégorie
le droit de trouver à sa convenau. e la forme
républicaine. Quand on trouve bon que
ceux-ci garient fidélité à une tradition,
ceux là à un souvenir et celJxà encore à
un intérêt, il est plaisant d'interdire à
d'autres d'avoir de la reconnaissance pour
un homm9, et pour un homme dont ses
adversaires présents ont hautement reconnu
jadis les services., Quand on a une opi-
nion, quand on en a même plusieurs, il
est tout à fait risible d'interdire aux au-
tres d'en avoir une, sous peine d'être des
ivrognes ou des repris de justice.
Petite guerre que tout cela, où l'on tâche
de faire balle de tout plomb. C'est que
l'on sent que. l'heure approche où toutes
ces vaines colères vont être obligées de se
dégonfler comme des outres vides devant
le choc de la réalité.
« Pour moi, je reste fidèle à mon mes
sage, qui avait pour but l'organisation ré
gulière de la République. Oui, messieurs,
je reste fidèle à ce message, profondément
réfléchi et qui représentait les opinions du
gouvernement tout entier. Nous le sou-
tiendrons tous, à la rentrée, avec la per-
sévérance - d'une - forte - conviction. »
C'est dans ces paroles de M. Thiers
qu'est la réelle importance de la manifes
tation de Lausanne. Pour notre part, nous
étions convaincus que M. Thiers, qui jus-
qu'ici s'était tenu à l'écart avec autant de
soin qu'on en mettait à le pousser en
scène, se montrerait le jour où il s'agirait
de ne pas laisser protester sa signature aux
yeux de la France. Au 13 novembre, le
message fut accueilli avec enthousiasme
dans le pays, et malgré les efforts de la
propagande royaliste, nous ne croyons pas
que les idées de la nation aient changé; la
violence du dénigrement n'a fait qu'aug-
menter la force des convictions.
Les monarchistes, de leur côté, ont fait
preuve de non moins de persévérance dans
leurs idées. Il est urgent que la question
se vide à la rentrée pour que la persévé-
rance des uns ou des autres ne devienne
point, aux yeux du pays, de l'entêtement.
PAUL LAFARGUE.
* ——————.—
On lit dans l'Union :
S. A. R. le duc d'Alencon a été reçu
dernière-ment à Frohsdorff par M. le comte
de Chambord.
L'entrevue du jeune prince avec le chef
de sa maison a été des plus cordiales, et
les souvenirs laissés par sav visité sont un
gage nouveau des espérances que l'événe-
ment du 5 août a données à tous les défen-
seurs de la monarchie française.
On lit dans l'Assemblée nationale :
On a répandu, hier, à la Bourse, le bruit
de l'abdication de M. le comte de Cham-
bord en f Iveur de M. le comte de Paris.
Encore une nouvelle absolument fausse.
Le chef de la maison de Bourbon a écrit :
« Je n'abdiquerai jamais. »
LE JUGE D'INSTRUCTION
Il n'est guère d'homme, ayant passé
par l'école de droit, qui n'ait gardé le
souvenir du professeur Bugnet, celui que
l'on appelait familièrement le père Bu-
gnet, et qui s'était rendu célèbre autant
par l'humour de son esprit que par sa
science profonde.
IL y a une question que le père Bu-
gnet, aux examens de fin d'année, se
plaisait à adresser aux étudiants novi-
ces :
- Monsieur, lui demandait-il, quel
est l'homme en France dont le pouvoir
est le plus absolu?
Le jeune homme naturellement de-
meurait bouche béante, ou bien, s'il disait
quelque chose, c'était d'une voix timide
et hésitante : l'empereur. ou le roi.
Non, monsieur, repartait le père Bu-
gnet, triomphant, c'est le j d'instruc-
tion, car il peut, de sa seWe autorité,
lancer un mandat d'amener contre vous,
il peut vous obliger à vous rendre im-
médiatement dans son cabinet et vous
interroger à sa fantaisie ; il peut vous
garder, autant qu'il lui plaît, en prison
préventive; il peut.
Et le père Bagnet se plaisait à énu-
mérer les pouvoirs que la loi attribue au
juge d'instruction, et à en faire ressortir
malicieusement l'énormité exorbitante.
Cetj& vieille légende m'est revenue ces
jours-ci en mémoire, comme je lisais le
récit d'un procès qui vient de se dénouer
devant le tribunal de Brest.
C'était il y a trois ou quatre mois :
une jeune fille de dix-huit ans fut ac-
cusée d'escroquerie et condamnée, mal-
gré ses protestations d'innocence à qua-
tre mois de prison. C'était une pauvre et
humble Bretonne, fort ignorante des lois.
Elle ne savait pas que son droit était
d'en appeler du jugement, en sorte
qu'elle fut le lendemain même se cons-
tituer prisonnièie.
A peine était-elle enfermée depuis
quelques jours qu'une autre jeune fille
se déclara coupable de l'escroquerie qui
l'avait amenée en prison. Le parquet
s'émut, il se livra à une nouvelle en-
quête, il fit, par provision, sortir cette
malheureuse enfant de la maison où
elle expiait une faute qu'elle n'avait
point commise.
On était encore heureusement dans
les délais d'appel : le procureur de la
République à Brest s'adressa à la cour
d'appel pour obtenir que le jugement
fût réformé.
Ce fut le conseiller Allain que l'on
chargea du rapport de l'affaire. L'hono-
rable magistrat le commença en expri-
mant ses regrets d'une erreur, qui, dit-il,
devait être imputée en grande partie aux
dépositions erronées de plusieurs té-
moins, et un peu aussi à l'instruction, qui
avait laissé de côté des éléments utiles à la
découverte de la véri té.
Je n'ai pas besoin d'ajouter que le ju-
gementfuten effet réformé. Mais ne trou-
vez-vous pas bien significative la phrase
par laquelle la cour a cru pouvoir appré-
cier la facon dont l'instruction avait été
dirigée en cette affaire? Elle est bien
vague, il est vrai; car elle ne spécifie
point ces éléments utiles à la découverte
de la vérité qui ont été négligés par le
juge d'instruction, car elle ne nous ap-
prend point d'où vient cette négligence,
r s'il faut l'attribuer à la légèreté de ca*
ractère, ou à l'esprit de prévention, ou à
toute autre cause.On serait curieux de pé-
nétrer les mystères qui se dissimulent
derrière un reproche conçu en termes si
généraux. Mais on comprend la discré-
tion d'un magistrat forcé d'insinuer un
blâme contre un de ses collègues.
Il n'en est pas moins vrai qu'en cette
affaire le juge d'instruction n'a pas fait
tout ce qu'il pouvait pour découvrir la
vérité, qui était favorable à l'accusée;
que peut-être même il s'est dérobé à lui-
même de parti pris et qu'il a - caché aux
autres les raisons qui militaient en faveur
de son innocence.
Ce fait n'est pas isolé. On peut le
rapprocher de celui qui fit tant de bruit
sous l'empire : une pauvre femme,
pressée, persécutée, torturée par le juge
d'instruction, avait fini par se reconnaî-
tre coupable d'un parricide qu'elle n'a-
vait pas commis, et avait été condamnée
sur sa confession. Plus tard, bien plus
tard, on avait retrouvé l'auteur du meur-
tre, et la malheureuse avait conté les
supplices qui lui avaient été infligés par
un juge sans entrailles pour lui arracher
un aveu.
Je ne crois pas assurément que les
choses se passent souvent de la sorte.
Mais peut-être ces excès de zèle chez les
juges d'instruction sont-ils moins rares
que l'on ne pense ; il faut des circons-
tances bien particulières et bien rares
pour qu'ils soient tirés de l'ombre du
greffe et qu'ils arrivent jusqu'à nos
oreilles. Nons pouvons supposer que
s'il éclate au grand jour deux ou trois
faits de cette nature, c'est qu'il y en a
beaucoup d'autres tout pareils qui ne
percent point à la lumière.
De semblables révélations seraientbien
faites, si elles étaient nombreuses, pour
ébranler dans tous les esprits la con-
fiance que les hommes investis de ces
fonctions redoutables devraient toujours
inspirer. Plus un magistrat est puis-
sant, plus il faut que l'on ait foi dans
son impartialité, son bon sens et son
équité.
Parmi les juges d'instruction, on en
trouverait au moins quelques-uns qui,
nommés jeunes à ce poste important,
ont l'ardeur de leur âge, mais qui en
ont aussi les emportements regrettables.
Ils ont leur position à faire, et il n'y a
rien d'étonnant à ce qu'ils soient pos*
sédés de la rage d'arriver vite. Ils
aiment la justice, cela va de soi;
mais ils l'aiment avec rage; ils sont
sujets à l'aveuglement ; on dit mêmè
que parfois, n'ayant point derrière eux,
pour s'imposer à l'estime du monde une
longue suite de travaux, certains d'entre.
eux affectent une morgue hautaine, et
ne se fient pas assez à la politesse et à
la bonté pour commander le respect.
Il semble qu'il vaudrait mieux ne re«
mettre ce pouvoir qu'aux mains d'hom-
mes déjà mûrs, qui auraient acquis une
grande expérience du cœur humain,
chez qui l'âge aurait amorti les ferveurs
de zèle si naturelles aux débutants, et
dont la position serait assez faite pour
qu'il n'eussent plus à espérer de l'avenir
un grand avancement.
Je ne veux pas dire qu'on n'aurait plus
que des sages dans la magistrature de-
bout ; il se rencontre partout des esprits
faciles à la prévention, des caractères
aigres, des tempéraments violents, et il
y a des défauts de nature que l'âge ne
corrige guère.
Au moins n'aurait-on plus à compter
avec cette fièvre d'avancement qui dévore
nos jeunes magistrats. C'est elle qui les
pousse à voir partout des coupables, à ne
plus lâcher une piste, fût-elle reconnue
fausse, quand une fois ils se sont lancés
dessus ; à triompher d'un arrêt qui leur
donne gain de cause, alors même qu'il
blesse la justice ; à se prévaloir enfin,
pour arriver plus haut, des condamna-
tions obtenues par eux, et à mettre ainsi
tout en œuvre, fas et nefas, pour les ob-
tenir.
FRANCISQUE S AH CET.
♦ 1
LES PROCHAINES ÉLECTIONS
On nous écrit de Clermont-Ferrand :
Nous sommes organisés pour la lutte
électorale. M. Girot-Pouzol n'a pas jusqu'à
présent de concurrent sérieux. Sa candida-
ture est appuyée par 25 conseillers géné-
raux du département, ce qui rend la lutte
bien difficile contre lui.
Le gouvernement a offert la candidature
à M. Martha-Becker, président du con-
seil général, qui l'a refusée. On s'est alors
adressé à M. Mège, qui a refusé égale-
ment.
Restait M. Burin-Desroziers, ancien dé-
puté au Corps législatif, qui était le seul
homme capable de soutenir la lutte. Mais
M. Burin-Desroziers est sous le coup de
l'annulation de son élection comme con-
seiller général. Le conseil a ordonné une
enquête. Ea présence de cette situation, le
parti bonapartiste a pensé qu'il serait pru-
dent de ne présenter personne.
Le succès de M. Girot-Pouzol est donc
certain. On annonce un manifeste des dé-
putés républicains du département expli-
quant nettement la signification de l'élec-
tion qui va avoir lieu.
Les renseignements que nous recevons
de la Loire ne sont pas moins bons.
M. Bertholon, que le parti républicain
présentait d'abord, décline toute candida-
ture. Trois hommes importants du dépar-
tement.sont proposés, ce sont : MM. Ver-
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