Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1876-08-22
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 22 août 1876 22 août 1876
Description : 1876/08/22 (A6,N1716). 1876/08/22 (A6,N1716).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
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RÉDACTION
aradresser au Secrétaire de la Rédaefe?®
de 2 heures à minuit
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frais de poste, calculés à raison de
4 centimes par jour, soit 1 fr. 20 par
mois.
ÉLECTION SÉNATORIALE
DE LA MAYENNE
20 Août 1876
Electeurs inscrits : 338. - Vêtants : 324.
BERNARD-DUTREIL fils.. 189 (Élu)
GOYET-DUBIGNON 139
BULLETIN
Paris, le 21 août 1876.
Hier a eu lieu l'élection d'un sénateur
dans le département de la Mayenne. M. Ber-
nard-Datreil a été élu.
Nous recevons de Nancy une triste nou-
velle. M. Claude, député de Meurthe-et-
Moselle, a été frappéipar la foudre pendant
un orage, sa mort a été instantanée.
M. ChristophleetM. de Marcère, qui ont
accepté l'invitation que leur avait adres-
sée la municipalité de Domfront, sont ar-
rivés dans cette ville. Ils ont été reçus à
la gare par le préfet de l'Orne et le maire
de Domfront. Nous reproduisons plus loin
les discours qui ont été prononcés à l'occa-
sion de cette visite.
Nouveau revirement à Belgrade, si tant
est qu'on y ait jamais changé d'avis. Le
cabinet Ristich serait plus solide que ja-
mais et le prince Milan se serait ouverte-
ment prononcé pour la continuation de la
guerre. D'après les renseignements de la
post de Berlin, la commission de la Skoup-
chtina s'est prononcée contre la paix. Les
membres conservateurs eux-mêmes dési-
rent que la solution ait lieu sur les champs
de bataille. Le prince s'est soumis à cette
décision, en se réservant de profiter plus
tard de la médiation des puissances. Le
prince Milan a dit dans la séance de la com-
mission que le czar avait recommandé per-
sonnellement la cessation de la guerre. La
commission a fait remarquer que la Porte
demandait la soumission de la Serbie et a
déclaré que cette soumission était impossi-
ble, que la nation ne reculerait devant au-
cun sacrifice et voulait continuer la guerre.
Les nouvelles du théâtre de la guerre
sont presque nulles. Les troupes turques
restent dans les mêmes positions. Le man-
que de moyens de transports et la mauvaise
organisation de leur intendance les empê-
chent, dit-on, de se porter en avant.
Le prince Nikita a décidément quitté
l'Herzégovine. Il se dispose à rentrer dans
le Montenegro pour défendre la frontière
sud de la principauté, que menacent des
forces imposantes réunies par la Porte
dans les environs d'Antivari. Il aurait en
outre l'intention d'envahir l'Albanie et de
soulever cette province contre la Turquie.
D'après une dépêche de l'agence Maclean,
la Crète se serait de nouveau soulevée
contre la Porte. Il est indispensable d'at-
tendre la confirmation de cette nouvelle
avant de discuter quelle influence ce sou-
lèvement pourrait avoir sur la situation
actuelle.
PETITE BOURSE DU DIMANCHE 1
Boulevard des Italiens,
Trois heures.
5 0/0, 106 fr. 60.
-
Nous le craignions : le parti républi-
cain a été battu, dimanche, dans la
Mayenne ; M. Bernard Dutreil fils hé-
rite du siège sénatorial de son père.
Ce nous est un grant regret, non pas
tant au point de vue de l'échec que
peut paraître subir l'idée républicaine
dans la Mayenne, qu'au point de vue
du dénombrement général des forces au
Sénat. En ce qui concerne l'idée répu-
blicaine, l'échec est plus apparent que
réel, pour ceux qui connaissent le dé-
partement ; mais une voix de plus je-
tée à gauche ou à droite au Sénat est,
en ce moment, d'une importance capi-
tale pour la France entière. Les élec-
teurs sénatoriaux de la Mayenne ne
l'ont pas compris.
A vrai dire, nous croyons que quan-
tité d'influences impalpables se sont
glissées entre eux et la lumière pour
arriver à tamiser la réalité, en la relé-
guant dans une discrète pénombre.
- Aux élections de 1876, la Mayenne
balayait tous les anciens députés mo-
narchistes et les remplaçait par des re-
présentants républicains, sauf un, M.
Ancel, qui se déclarait toutefois « déci-
dé à respecter et à essayer loyalement
la constitution, devenue la loi actuelle
du pays. » Voilà pourquoi nous laisse-
rons, avec une parfaite sérénité d'es-
prit, la réaction se targuer, si la douce
fantaisie lui en prend, de l'échec de
l'idée républicaine dans la Mayenne.
Le royalisme sentait si bien lui-même
qu'il avait complétement perdu pied
dans ce département que, pour enlever
une voix à la République, le légitimiste
M. Le Lasseux en était réduit à céder
le pas à M. Ancel, qui consentait à se
masquer en constitutionnel. C'est ce qui
s'est reproduit dans l'élection sénato-
riale d'hier : M. Bouiller de Branche, ex-
député royaliste, s'était désisté en fa-
veur de M. Bernard Dutreil, et la plus
grande frayeur de celui-ci était que ses
partisans n'allassent se vanter auprès
des électeurs sénatoriaux de cette
bonne fortune. Les faveurs des légiti-
mistes sont comme celles des vieilles
douairières, elles compromettent les
jeunes constitutionnels aux yeux du
public.
En effet, tandis que M. le ministre
des travaux publics disait à Dom-
front : « Nous maintiendrons haut et
ferme le drapeau de la République, »
M. Bernard Datreil, fils, sans souffler
mot de la République, se présentait
néanmoins, vertueux constitutionnel,
sous les auspices de M. le ministre des
affaires étrangères, dont il était chef
de cabinet, et faisait de son mieux pour
équivoquer sur sa situation < d'homme
du gouvernement. » D'autre part, M.
Caillaux, un ancien ministre, qui a été
parfois républicain, à ses moments
perdus, — ce qui veut dire : dans les
circonstances critiques, — se multipliait
en faveur de ce candidat « entre chien
et loup. >
Ajoutez à cela que M. Bernard Du-
treil, héritier d'une vieille et grande si-
tuation locale, grouillant dans la vie
active, devait, par ce fait même, avoir un
avantage considérable sur M. Goyet-Dubi-
gnon, ancien magistrat, qui, retiré de-
puis vingt-cinq ans de la vie publique,
n'y rentrait que par dévouement à la
cause libérale.
Et il faut que cette situation locale,
enduite du vernis officiel, ait exercé
une bien grande influence sur l'esprit
des électeurs sénatoriaux pour qu'ils
soient retombés, après avoir pu en cons-
tater le grave inconvénient, dans l'il-
logisme qu'ils ont commis en février
1876.
La Mayenne n'a que deux sénateurs
à élire. Elle avait élu deux de ses an-
ciens représentants à l'Assemblée na-
tionale,M. Bernard-Dutreil, de la droite,
et M. le général Dubois-Fresnay, de la
gauche. Rien que ce vote prouve à
quel point les situations locales ont
dominé dans l'élection. Mais qu'est-il
arrivé? C'est que pendant cinq mois,
sur toutes les questions capitales, quand
l'un des deux sénateurs allongeait un
bulletin blanc, l'autre en allongeait un
bleu, de telle sorte que la Mayen-
ne, dans chaque discussion, impor-
tante, n'a jamais eu la moindre influen-
ce sur le vote, elle s'était rayée elle-
même du scrutin; elle s'était faite zéro
dans la politique de la France quand
elle pouvait compter double. Le vote
par circonscription peut amener de ces
étrangetés dans un département. Mais
qu'un même corps électoral donne un
résultat aussi négatif, voilà qui est ex-
traordinaire. Ce qui l'est bien plus en-
core, c'est que l'essai fait, les incon-
vénients du système reconnu, un dé-
partement républicain — et celui-là a
prouvé qu'il l'est ! — persiste à s'anni-
hiler et à mettre les préférences locales
au-dessus de l'intérêt général.
Cette persistance dans l'illogisme
nous paraît tellement anormale que
nous sommes portés vers une autre hy-
pothèse, beaucoup plus humaine : les
électeurs sénatoriaux de la Mayenne,
séduits par les apparences, ont cru, en
nommant sénateur le bras droit d'un
membre du cabinet actuel, élire un
homme dévoué au gouvernement exis-
tant. Il est de ces équivoques, poussant
dru comme chiendent dans la haute ad-
ministration, qu'il faudrait cependant
finir par déraciner ! LAFARGUE.
PAUL LAPARGUE.
_— ————————
Voici le texte de l'allocution prononcée
samedi à Domfront par M. Christophle, mi-
nistre des travaux publics :
Monsieur le maire, mes chers amis,
C'est avec une émotion profonde, et que les
paroles seraient impuissantes à exprimer,
que je vous remercie de l'accueil si cordial
que vous nous faites en ce moment. Je vous
en remercie au nom de mon ami, M. le mi-
nistre da l'intérieur, et au mien. Nés tous les
deux dans cette vieille et chère cité dom-
fromaise, élevés l'un près de l'autre dans une
communauté de vuei-J, d'idées et de sentiments,
presque dans la même famille, nous avons
traversé, indissolublement unis par une
amitié qui n'a jamais subi d'éolipe, les rudes
labeurs de la vie qui nous ont faits ce que
nous sommes : nous traverserons ensemble,
plus intimement unis encore, animés des
mômes pensées, dévoués au môme degré, à
la même cause, les labeurs plus pénibles et
plus difficiles de la vie politique.
Vous saluez en nous, monsieur le maire, des
amis et des camarades ; vous saluez aussi les
membres du gouvernement que vous aimez
et que vous servez. Comme vos amis et vos
camarades, nous serrons avec effusion les
mains loyales qui se pressent au devant de
nos mains. Comme membres du gouverne-
ment, nous vous disons : Vous pouvez tenir
peur csrtaia que tant que nous resterons au
poste de confiance où nous sommes placés,
nous maintiendrons haut et ferme le drapeau
de la République.
LA FISCALITÉ
Je causais l'autre jour avec un archi-
tecte, qui est expert en propriétés ; et
comme en ce moment je suis assailli et
de renseignements et de récriminations
sur cette question des querelles faites
par l'enregistrement aux contribuables,
pour insuffisance de déclaration de
prix, je lui demandai ce qu'il en pen-
sait, lui, qui par métier devait connaî-
tre tous les détours de cette adminis-
tration.
Vous avez, me répondit-il, sans vous
en douter, dit le vrai mot de la situa-
tion : Je n'en sais rien, mais j'en
suis sûr. Il n'y a pas un employé de
l'enregistrement qui, lorsqu'on lui ap-
porte un acte de vente d'immeubles, ae
commence par se défier du prix porté
par l'acquéreur. Sa première idée est
qu'on le trompe, et qu'il y a fraude. Il
n'en sait rien, mais il en est sûr.
— Mais, objectai-je, il n'a peut-être
pas toujours tort.
- --.:-surément. Car en France, mal-
heureusement, les personnes même les
plus honnêtes ne croient pas manquer
à la probité ni à l'honneur que de com-
mettre ces sortes de fraudes. On fait
une fausseldéclaration aussi aisément
qu'une femme passe à l'octroi un lapin
ou un poulet, sans acquitter les droits,
si elle peut éviter l'œil des agents. C'est
une espèce de principe, admis par tout
le monde, que voler l'Etat n'est pas un
crime ; à peine une peccadille.
Mais encore doit-on bien admettre
qu'il y a beaucoup de déclarations
vraies. Outre que l'on s'expose à des
amendes en cachant la vérité, il faut
pour commettre cette fraude compter
sur la complicité bienveillante des no-
taires, qui, je vous assure, y regardent
de très-près.
Eh bien ! quand un homme est en rè-
gle avec sa conscience et avec la loi, il
n'est pas toujours, pour cela, à l'abri
des revendications de l'enregistrement.
L'administration commence par en-
caisser les droits qu'on lui offre. Vous
vous croyez libre? point du tout; un
beau matin, et c'est quelquefois deux
ans après.
— Deux ans ! m'écriai-je.
Oui, la loi accorde cette latitude aux
réclamations de l'Etat. Deux ans après,
quand vous vous y attendez le moins,
vous recevez un avis de passer au
bureau de l'enregistrement, et d'y
payer un supplément de droit pour dé-
claration insuffisante. Vous vous ré-
voltez, naturellement ; vous réclamez ;
il faut s'exécuter. L'administration a
fait son enquête.
Il y aurait bien à dire souvent à ces
enquêtes. Tenez ! moi, j'ai tenu dans
mes mains le rapport d'un de ces
agents que l'administration charge d'es-
timer la valeur de l'immeuble en jeu.
La pièce m'a semblé curieuse, et j'en
ai gardé copie. On y lisait en propres
termes :
« Je me suis présenté tel jour à. je
n'ai pu entrer dans la propriété pour la
visiter, personne ne s'y trouvant en ce
moment.
» J'estime le revenu à la somme
de. >
", Et c'est sur ce beau document que
l'administration entre en campagne con-
tre le propriétaire de l'immeuble.
Voilà un agent qui avoue n'avoir
rien vu, ne savoir rien que par oui-
dire; il n'en précise pas moins le revenu
de la propriété qu'il ne connaît pas, et
sur sa parole, le receveur de l'enregis-
trement mande le contribuable et lui
impose un surcroît d'impôt, sans parler
de l'amende.
Voulez-vous quelque chose de plus
fort encore, s'il est possible? Je pour-
rais vous citer les noms des intéressés,
et la situation de l'immeuble qui fait
l'objet des revendications du fisc. Mais
l'affaire est pendante.
Un de mes amis (je répondrais de sa
parfaite probité et de son scrupule ri-
goureux à observer la loi) a acheté par
devant notaire, en adjudication publi-
que, au plus offrant et dernier enché-
risseur, une propriété, et il a payé les
droits d'après le prix établi au grand
jour.
Vous croiriez, n'est-ce pas ? comme
cette personne l'a cru, qu'il ne pouvait
y avoir lieu, dans une affaire si claire,
à revendication d'aucune sorte. Vous
n'y êtes pas. L'administration a trouvé
moyen de chercher querelle à l'acqué-
reur. Le prix payé par lui est inférieur
à - l'estimation - - faite par - ses - agents.
C'est en vain que vous opposez le
fait de l'adjudication publique, qui sert
généralement de base aux évaluations ;
l'enregistrement n'entend pas de cette
oreille. Il ne considère comme publiques
et valables que les ventes faites par li-
citation devant les tribunaux. Les au-
tres peuvent être entachées de fraude
ou tout au moins d'erreur.
Et voyez l'admirable logique de ces
messieurs !
Ces ventes par licitation, ventes for-
cées, ventes réalisées sur une seule
enchère bien souvent, n'atteignent
jamais qu'à des prix très-inférieurs à
ceux où montent les ventes faites libre-
ment devant la chambre ou dans les
études de notaire.
Et pourtant ils les tiennent pour
bonnes, quoique le rendement à l'Etat
soit moindre, et ils poursuivent les au-
tres !
C'est une drôle de machine, allez !
que notre administration!
FRANCISQUE SARCEY.
---- -♦
LETTRES DE SERBIE
Notre collaborateur, M. Liébert, nous
envoie les deux lettres suivantes :
Ivanitza, 10 août au matin.
Grâce à mille retards, je n'ai pu partir
de Katchak hier matin qu'à 9 heures ; je
suis arrivé ici à minuit. Mail, avant d'en-
trer dans le détail de mon voyage, je dois,
en deux mots, vous mettre au courant de
la situation du colonel Tcholakantisch.
Elle n'est pas aussi bonne que le souhai-
teraient les amis de la Serbie. Assailli à
Yavor par des forces supérieures, le colo-
nel a dû transporter son quartier-général
à Franitza. Les Turcs ont passé la fron-
tière serbe. Vous n'avez qu'à jeter les yeux
sur la carte pour voir qu'ils ne pourront
guère aller plus loin de ce côté, et que,
dans les montagnes, une poignée d'hom-
mes suffirait à les arrêter. Or, Tcholakan-
tisch dispose de 15 à 20,000 hommes. Mais,
provisoirement, à mon appréciation du
moins, il devra s'en tenir à la défensive,
et les projets sur Sienitza semblent ajour-
nés. C'est tout ce que je puis vous dire.
J'en suis resté, dans mes notes de voyage,
à mon départ de Krulhewatz. Si vous le
permettez, je vais les reprendre aujour-
d'hui, faute de mieux.
1 Il vous est facile de suivre sur la carte
le singulier chemin que j'ai été obligé de
faire posr aller de Paratchin à Ivanitza.
De Paratchin à Krushewatz, en remon-
tant vers le sud, une première étaps, tout
le long de la Morava. Je vous en ai parlé.
Da Krulhewatz, mon compagnon et moi
nous fûmes coucher à Tristnick, en sui-
vant la route qui va vers l'ouest et longe
la Morava serbe; car vous n'oubliez pu
qu'il y a deux Moravas, la serbe et la bul-
gare, dont la réunion forme une troisième
Morava, celle qui traverse la Serbie du sud
au nord pour se jeter dans la Danube.
Le trajet de Krushewatz à Tristnick n'a
offert rien de particulier. Nous l'avons fait,
comme toujours, dans un chariot du pays.
Au lieu de pistolets, notre voiturier s'était
armé d'un long fusil à pierre. A la sortie
de Krushewatz, nous croisons un long
convoi de munitions qui se dirige vers De-
ligrad : c'est à peu près le seul incident de
la route, sauf la rencontre d'un pope qui
querelle violemment deux paysans. J'i-
gnore le sujet de sa colère. A propos des
popes, je dois vous dire que plus je vait,
plus je suis étonné de leur nombre. Pen-
dant toute la durée de ce voyage, il n'y a
point de cabaret où je n'en ai rencontré
un ou deux, et quelquefois plus. Mais nous
voici arrivés à Tristnick, sans trop de fa-
tigue, car le chemin est assez bon. C'est.,
une petite ville agréable, bâtie au pied de
quatre ou cinq mamelons couverts de bois
et de verdure. Au loin, vers le sud et
l'ouest, on aperçoit des montagnes bleuir
tres : c'est la double chaîne des monts Ze.
litza, que nous devons franchir plus tard.
A Tristnick, les maisons n'ont, pour la
plupart, qu'un rez-de-chaussée, avec une
large verandah sur la façade. Autour des
poteaux qui soutiennent la toiture, des
volubilis et des aristoloches sont enroulés.
Les rues sont plantées d'acacias. L'église
est petite ; l'école est grande : c'est déci-
dément une coutume générale en Serbie de
bâtir de petites églises et de grandes éco-
les. L'auberge est relativement propre ; le
souper qu'on vous y sert, pas trop mau-
vais. Enfin, — ô délices! — nous trou-
vons des lits dont les draps ne paraissent
pas avoir servi à plus de quinze ou vingt
voyageurs. On va donc pouvoir se désha-
biller ! C'est une jouissance dont nous
avions été privés depuis notre arrivée à Pa-
ratchin.
A cinq heures du matin, nous partons
pour Karanovatz, notre troisième étape.
Nous y arrivons à midi. De Tristnick à Ka-
ranovatz, 'on suit toujours, en se dirigeant
vers l'ouest-nord-ouest, la vallée de la Mo-
rava serbe. On a la montagne à sa gauche,
la rivière à sa droite ; mais le spectacle est
monotone et assez peu intéressant. Laroute
serait bonne si elle n'était traversée de
tant de petits cours d'eau où sont jetés des
ponts dont les planches se soulèvent, sous
les pas des chevaux, comme les touches
d'un accordéon. Tout le long du chemin,
nous retrouvons des cochons, en grand
nombre, errant à l'aventure, comme des
flâneurs sur le boulevard. Evidemment, cet
cocons-là n'ont point d'affaires ; ils se pro-
mènent joyeusement sans se presser.
Karanovatz est encore une ville gaie,
bâtie dans le genre de Tristnick, mais sur
une hauteur. Au pied de la ville, coule
l'Ibar) que je vois pour la première fois, et
qui va se jeter dans la Morava serbe à
quatre ou cinq kilomètres plus loin. Nous
traversons l'Ibar sur un pont de bateaux,
construit depuis la guerre pour le passage
des convois de munitions; du moins on me
l'a dit. Et nous voici dans Karanovatz. Ce
qui me gâte un peu les rues, égayées par
des catalpas et des acacias plantés en bor-
dure, c'est qu'on y trouve trop de mar.
chands de moutons r ôtis. De vingt en vingt
pas, il vous monte au nez une forte odeur
de chandelle. Je ne sais pas non plus pour-
quoi l'on habille ici les petits enfants de
vêtements couleur de citrouille. Quant au
costume des femmes, il n'a rien de plailant
elles sacrifient trop aux indiennes im-
primées que leur envoie la perfide Angle-
terre. Pour la tète, elles s'affublent d'un
Feuilleton du XIX* SIÈCLE du 22 Août 1876.
Causerie Dramatique
L'Académie nationale de musique re-
prenait le Prophète, mercredi dernier.
La chaleur était accablante. Les hom-
mes, armés d'une main de leur mou-
choir pour essuyer leurs visages ruis-
selants, manœuvraient de l'autre l'é-
ventail, sans honte de se livrer à un
exercice réservé particulièrement au
sexe faible. Comme malaise physique,
la soirée no laissait rien à désirer.
Les gens du monde sont venus tard
et sont partis de bonne heure : nous
autres, nous sommes venus de bonne
heure et nous sommes partis tard. A
minuit, le spectacle finissait : au dehors,
pas un souffle de vent, pas la moindre
sensation de fraîcheur dans cette tran-
sition de la salle à l'air extérieur.
Les conditions accessoires, comme
on le voit, étaient déplorables, et l'exé-
cution fut certainement une des plus
défectueuses qu'il m'ait été donné d'en-
tendre, et pourtant jamais l'œuvre de
Meyerbeer ne m'a semblé plus puis-
sante et plus magistrale. J'ai pris phi-
losophiquement mon parti de mes pe-
tites souffrances et je les ai presque
constamment oubliées, tout entier aux
jouissances que me procurait l'audition
de ce chef-d'œuvre qui s'appelle le
Prophète.
Je viens de lire l'article consacré à
cet opéra dans le Dictionnaire lyrique
de mon érudit et savant confrère M.
Félix Clément, ouvrage précieux pour
tous ceux qui s'occupent des choses de
la musique; l'auteur y reproduit une
appréciation de Fétis sur les trois gran-
des œuvres de Meyerbeer, Robert-le-
Diable, les Huguenots, le Prophète.
Quelle que que soit l'autorité du criti-
que dont M. Félix Clément cite l'opi-
nion, à laquelle d'ailleurs il se rallie,
comme cette opinion repose sur un pur
raisonnement d'esthétique dramatique,
j'avoue qu'il m'est impossible de l'ac-
cepter, et que, contrairement à leur
double verdict, je ne saurais me déci-
der à donner le pas à Robert-le-Dia-
ble et aux Huguenots sur le Prophète,
qui ne viendrait qu'en troisième ligne.
Cet ordre adopté comme mesure du mé-
rite de ces trois grandes œuvres me
semble tout à fait arbitraire.
D'abord je repousse en principe ce
genre de comparaison, soit qu'il s'a-
gisse d'opposer des auteurs différents
les uns aux autres, soit qu'il s'agisse
d'opposer le même auteur à lui-même.
« Il est remarquable, dit Fétis, que
Robert, les Huguenots et le Prophète
ont pour principe des idées mystiques. »
Que Robert ait pour principe une
idée mystique, je n'y contredis point ;
car le drame repose en effet tout entier
sur la lutte des deux principes abstraits
du bien et du mal, envisagés au point de
vue religieux. Les passions humaines
mises en jeu pour amener les péripé-
ties dramatiques ne sont que des
moyens de manifestation et, si je puis
m'exprimer ainsi, les véhicules réels
de l'idée ; mais dans les Huguenots,
c'est absolument le contraire. Le drame
est purement humain et n'a rien de
plus mystique que les Chroniques de
Charles IX. de Mérimée, d'où il sort.
Le seul personnage animé du sentiment
purement religieux, c'est Marcel ; mais
Marcel appartient à la partie épisodi-
que do la composition et relève du mi-
lieu social et de l'époque historique où se
passe l'action. Saint-Bris est un politi-
que, Nevers un chevaleresque, Raoul
et Valentine deux amoureux qu'une
violente passion entraîne et domine.
Dans la conversion de Valentine et dans
son exaltation de la dernière heure, la
ferveur religieuse n'est pour rien : il
n'y a là qu'uu effort d'amour et rien de
plus.
Loin d'être mystique et religieux, le
drame des Huguenots est entièrement
passionnel et profane, et l'élément reli-
gieux, qui n'y paraît que par son côté
fanatique et violent, y est purement
épisodique. Ici, de cause, c'est à son
tour à devenir moyen, et il n'est pas
autre chose.
Le Prophète, qui n'a absolument au-
cun lien dramatique ou musical avec
Robert -le- Diable appartient, comme
point de départ, à l'ordre des idées
mystiques, puisqu'il a pour origine l'il-
luminisme de Jean de Leyde et qu'il
prend un développement spécial dans
cet acte sublime et grandiose de la
cathédrale ; mais ici le principe est di-
rectement matérialisé, prend un carac-
tère défini et tout individuel, et passe
rapidement du domaine de l'idée à celui
des faits, au lieu de rester, comme pour
Robert. le-Diable dans les régions
vagues de la légende et de conserver
son caractère abstrait.
Tout cela, ce sont des rapproche-
ments faits après coup, des coïnci-
dences arrangées arbitrairement en
système et dont l'autsur ne s'est jamais
douté.
Pour moi donc, nulle corrélation en-
tre les conceptions de ces trois opéras.
Ils eont tellement différents dans leurs
manifestations matérielles que le com-
positeur n'a pas eu à se préoccuper de
ces prétendus liens de parenté qui n'exis-
tent que dans l'imagination des critiques
trop enclins à dogmatiser dans l'art.
Cette prétention d'enrégimenter les
idées et de les classer par analogie
mènerait fort loin et égarerait à coup
sûr : on y dépenserait beaucoup de sa-
gacité et d'ingéniosité et ce serait en
pure perte. L'art n'y gagnerait pas une
feuille de laurier.
Aux trois ouvrages de Meyerbeer on
en pourrait ajouter bien d'autres. J'en
nommerais dix au hasard : la Juive,
opéra mystique ! Hamlet, opéra mys-
tique! la Favorite, opéra mystique!
Faust, opéra mystique! Et l'Enfant
prodigue, et le Juif-Errant, et Jeanne
Darc ! et tant d'autres.
Je n'éprouve, je le déclare, aucun be-
soin de numéroter les chefs-d'œuvre, et
s'il me fallait choisir, pour le premier
rang, entre les Huguenots et le Pro-
phète, mon embarras serait extrême.
Quant à Robert, bien que je sois loin
d'en faire aussi bon marché que quel-
ques personnes de ma connaissance, je
dois convenir qu'il est pour moi très-
inférieur aux deux autres ouvrages.
Et pourtant, avec un premier, un
troisième et un cinquième acte comme
ceux que nous montre la partition de
Robert-le-Diable, l'ouvrage peut encore
défier bien des comparaisons.
Je sais que ce pauvre opéra nous
semble émaillé aujourd'hui d'une col-
lection de formules singulièrement dé-
modées et que la grandeur et la popu-
larité de son succès ont contribué à bla-
ser terriblement nos oreilles sur un
certain nombre de morceaux et de
phrases que nous sommes arrivés à
goûter de moins en moins ; mais je de-
meure surpris que les nouveaux venus
dans la musique ne soient pas plus
frappés de la rare valeur du dialogue
musical de Robert et de ses merveil-
leux récitatifs.
Il ne faut pas oublier que Robert le
Diable fut représenté pour la première
fois en 1831, c'est-à-dire il y a qua-
rante-cinq ans, et que ce qui paraît or-
dinaire aujourd'hui était alors nouveau.
C'est la première fois que l'orchestre a
pris dans un opéra les fonctions aux-
quelles l'a élevé Meyerbeer ; car si l'on
y regarde avec attention, on s'aperçoit
que ce caractère de Bertram, si plein de
saveur et de relief, doit son accent si
fermement accusé, sa couleur, son
éclat, sa vigueur, sa signification, moins
au chant qu'à l'accord. Il y a eu là une
révélation ; les procédés théoriquement
n'étaient pas inconnus et résidaient
dans la science ; mais l'application, la
dramatisation pour mieux dire, n'en
avait pas été faite.
Mais ce n'est pas de Robert qu'il s'a-
git, c'est du Prophète.
Le Prophète est certainement le plus
dru et le plus homogène des opéras de
Meyerbeer. Du commencement à la fin,
les idées s'enchaînent, et pas un clair
ne se trahit dans la trame.
Ah ! que l'on dise, comme le remar-
que Fétis, que Meyerbeer était loin de
trouver là l'intérêt et les éléments dra-
matiques qui abondent dans ses deux au-
tres opéras, à la bonne heure ! Oui, les
difficultés étaient grandes et il fallait la
science profonde, la grande intelligence
scénique, le sens dramatique puissant,
le génie enfin du maître, pour triom
pher, comme il l'a fait, des difficultés
de cet âpre sujet, odieux et répulsif à
tous les points de vue.
Jean de Leyde, malgré les circons-
tances atténuantes amoncelées autour
de lui, n'est pas intéressant ; Oberthal,
ce grand seigneur, ravisseur de jeunes
filles, est odieux; les trois anabaptistes
sont sinistres ; la foule qui les suit est
bestiale et féroce ; les bourgeois de
Munster sont lâches ; Bertha renie son
amant, que le désespoir seul de sa perte
a jeté dans ses excès ; reste Fidès, avec
ses grandeurs et ses vertus de mère.
C'est le seul être auquel la sympathie
puisse se prendre.
Mais il y avait Meyerbeer, et c'est ici
que l'on peut dire : Lui seul, et c'est as-
sez! Des mains de cet homme, que la
France peut revendiquer, à bon droit,
comme sien, qu'elle a fait et qui n'a
vécu que pour elle, de ses puissantes
mains est sorti un chef-d'œuvre qui lui
appartient tout entier. Jamais création
n'a été plus éclatante et plus ab-
solue.
Une chose assez curieuse et je dirai
contradictoire, c'est que le génie de
Meyerbeer, si profondément dramati-
que, tragique même, d'une ampleur et
d'une élévation qui le conduisaient au
grandiose, ce génie est spirituel. Ce
musicien qui a écrit le trio du cinquiè-
me acte de Robert, le duo du quatrième
acte des Huguenots et la conjuration
catholique, généralement appelée la
Bénédiction des Poignards; qui a écrit
cet immense morceau de la cathédrale
au quatrième acte du Prophète, ce
même homme écrit aussi toutes les
phrases spirituelles du premier acte
de Robert, le duo bouffe du troisième
acte, une vraie comédie musicale, le
récitatif de Fidès jabotant avec sa
belle-fille, après le premier chœur du
Prophète ! Que sais-je ? Tout ce qui doit
Mardi S2 t*U tir,
E
RÉDACTION
aradresser au Secrétaire de la Rédaefe?®
de 2 heures à minuit
8, rue de L2U:Ii\7ettp 8Sî3
Mss lettres non affranchies j&ïwH Ço.,
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FARÏS
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Six mois..,.,,.-, 32
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JOURNAL BÉNJBHGAM CONSERVATEUR
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SUHmG!I!MCJ, elles MM. LAGRANG:, CER)','C..
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âanooeM, chez MM. LAGRANGE, CERF et IM
e, ylset ûm a tBtiiii] ®
Toute demande de changement d'a-
dresse doit être accompagnée de l'une
des dernières bandes imprimées, et de
50 centimes pour frais de nouvelles
bandes.
Toute demande de changement d'a-
dresse de Paris pour les départements
doit être accompagnée, en outre des
60 centimes ci-dessus, du montant des
frais de poste, calculés à raison de
4 centimes par jour, soit 1 fr. 20 par
mois.
ÉLECTION SÉNATORIALE
DE LA MAYENNE
20 Août 1876
Electeurs inscrits : 338. - Vêtants : 324.
BERNARD-DUTREIL fils.. 189 (Élu)
GOYET-DUBIGNON 139
BULLETIN
Paris, le 21 août 1876.
Hier a eu lieu l'élection d'un sénateur
dans le département de la Mayenne. M. Ber-
nard-Datreil a été élu.
Nous recevons de Nancy une triste nou-
velle. M. Claude, député de Meurthe-et-
Moselle, a été frappéipar la foudre pendant
un orage, sa mort a été instantanée.
M. ChristophleetM. de Marcère, qui ont
accepté l'invitation que leur avait adres-
sée la municipalité de Domfront, sont ar-
rivés dans cette ville. Ils ont été reçus à
la gare par le préfet de l'Orne et le maire
de Domfront. Nous reproduisons plus loin
les discours qui ont été prononcés à l'occa-
sion de cette visite.
Nouveau revirement à Belgrade, si tant
est qu'on y ait jamais changé d'avis. Le
cabinet Ristich serait plus solide que ja-
mais et le prince Milan se serait ouverte-
ment prononcé pour la continuation de la
guerre. D'après les renseignements de la
post de Berlin, la commission de la Skoup-
chtina s'est prononcée contre la paix. Les
membres conservateurs eux-mêmes dési-
rent que la solution ait lieu sur les champs
de bataille. Le prince s'est soumis à cette
décision, en se réservant de profiter plus
tard de la médiation des puissances. Le
prince Milan a dit dans la séance de la com-
mission que le czar avait recommandé per-
sonnellement la cessation de la guerre. La
commission a fait remarquer que la Porte
demandait la soumission de la Serbie et a
déclaré que cette soumission était impossi-
ble, que la nation ne reculerait devant au-
cun sacrifice et voulait continuer la guerre.
Les nouvelles du théâtre de la guerre
sont presque nulles. Les troupes turques
restent dans les mêmes positions. Le man-
que de moyens de transports et la mauvaise
organisation de leur intendance les empê-
chent, dit-on, de se porter en avant.
Le prince Nikita a décidément quitté
l'Herzégovine. Il se dispose à rentrer dans
le Montenegro pour défendre la frontière
sud de la principauté, que menacent des
forces imposantes réunies par la Porte
dans les environs d'Antivari. Il aurait en
outre l'intention d'envahir l'Albanie et de
soulever cette province contre la Turquie.
D'après une dépêche de l'agence Maclean,
la Crète se serait de nouveau soulevée
contre la Porte. Il est indispensable d'at-
tendre la confirmation de cette nouvelle
avant de discuter quelle influence ce sou-
lèvement pourrait avoir sur la situation
actuelle.
PETITE BOURSE DU DIMANCHE 1
Boulevard des Italiens,
Trois heures.
5 0/0, 106 fr. 60.
-
Nous le craignions : le parti républi-
cain a été battu, dimanche, dans la
Mayenne ; M. Bernard Dutreil fils hé-
rite du siège sénatorial de son père.
Ce nous est un grant regret, non pas
tant au point de vue de l'échec que
peut paraître subir l'idée républicaine
dans la Mayenne, qu'au point de vue
du dénombrement général des forces au
Sénat. En ce qui concerne l'idée répu-
blicaine, l'échec est plus apparent que
réel, pour ceux qui connaissent le dé-
partement ; mais une voix de plus je-
tée à gauche ou à droite au Sénat est,
en ce moment, d'une importance capi-
tale pour la France entière. Les élec-
teurs sénatoriaux de la Mayenne ne
l'ont pas compris.
A vrai dire, nous croyons que quan-
tité d'influences impalpables se sont
glissées entre eux et la lumière pour
arriver à tamiser la réalité, en la relé-
guant dans une discrète pénombre.
- Aux élections de 1876, la Mayenne
balayait tous les anciens députés mo-
narchistes et les remplaçait par des re-
présentants républicains, sauf un, M.
Ancel, qui se déclarait toutefois « déci-
dé à respecter et à essayer loyalement
la constitution, devenue la loi actuelle
du pays. » Voilà pourquoi nous laisse-
rons, avec une parfaite sérénité d'es-
prit, la réaction se targuer, si la douce
fantaisie lui en prend, de l'échec de
l'idée républicaine dans la Mayenne.
Le royalisme sentait si bien lui-même
qu'il avait complétement perdu pied
dans ce département que, pour enlever
une voix à la République, le légitimiste
M. Le Lasseux en était réduit à céder
le pas à M. Ancel, qui consentait à se
masquer en constitutionnel. C'est ce qui
s'est reproduit dans l'élection sénato-
riale d'hier : M. Bouiller de Branche, ex-
député royaliste, s'était désisté en fa-
veur de M. Bernard Dutreil, et la plus
grande frayeur de celui-ci était que ses
partisans n'allassent se vanter auprès
des électeurs sénatoriaux de cette
bonne fortune. Les faveurs des légiti-
mistes sont comme celles des vieilles
douairières, elles compromettent les
jeunes constitutionnels aux yeux du
public.
En effet, tandis que M. le ministre
des travaux publics disait à Dom-
front : « Nous maintiendrons haut et
ferme le drapeau de la République, »
M. Bernard Datreil, fils, sans souffler
mot de la République, se présentait
néanmoins, vertueux constitutionnel,
sous les auspices de M. le ministre des
affaires étrangères, dont il était chef
de cabinet, et faisait de son mieux pour
équivoquer sur sa situation < d'homme
du gouvernement. » D'autre part, M.
Caillaux, un ancien ministre, qui a été
parfois républicain, à ses moments
perdus, — ce qui veut dire : dans les
circonstances critiques, — se multipliait
en faveur de ce candidat « entre chien
et loup. >
Ajoutez à cela que M. Bernard Du-
treil, héritier d'une vieille et grande si-
tuation locale, grouillant dans la vie
active, devait, par ce fait même, avoir un
avantage considérable sur M. Goyet-Dubi-
gnon, ancien magistrat, qui, retiré de-
puis vingt-cinq ans de la vie publique,
n'y rentrait que par dévouement à la
cause libérale.
Et il faut que cette situation locale,
enduite du vernis officiel, ait exercé
une bien grande influence sur l'esprit
des électeurs sénatoriaux pour qu'ils
soient retombés, après avoir pu en cons-
tater le grave inconvénient, dans l'il-
logisme qu'ils ont commis en février
1876.
La Mayenne n'a que deux sénateurs
à élire. Elle avait élu deux de ses an-
ciens représentants à l'Assemblée na-
tionale,M. Bernard-Dutreil, de la droite,
et M. le général Dubois-Fresnay, de la
gauche. Rien que ce vote prouve à
quel point les situations locales ont
dominé dans l'élection. Mais qu'est-il
arrivé? C'est que pendant cinq mois,
sur toutes les questions capitales, quand
l'un des deux sénateurs allongeait un
bulletin blanc, l'autre en allongeait un
bleu, de telle sorte que la Mayen-
ne, dans chaque discussion, impor-
tante, n'a jamais eu la moindre influen-
ce sur le vote, elle s'était rayée elle-
même du scrutin; elle s'était faite zéro
dans la politique de la France quand
elle pouvait compter double. Le vote
par circonscription peut amener de ces
étrangetés dans un département. Mais
qu'un même corps électoral donne un
résultat aussi négatif, voilà qui est ex-
traordinaire. Ce qui l'est bien plus en-
core, c'est que l'essai fait, les incon-
vénients du système reconnu, un dé-
partement républicain — et celui-là a
prouvé qu'il l'est ! — persiste à s'anni-
hiler et à mettre les préférences locales
au-dessus de l'intérêt général.
Cette persistance dans l'illogisme
nous paraît tellement anormale que
nous sommes portés vers une autre hy-
pothèse, beaucoup plus humaine : les
électeurs sénatoriaux de la Mayenne,
séduits par les apparences, ont cru, en
nommant sénateur le bras droit d'un
membre du cabinet actuel, élire un
homme dévoué au gouvernement exis-
tant. Il est de ces équivoques, poussant
dru comme chiendent dans la haute ad-
ministration, qu'il faudrait cependant
finir par déraciner ! LAFARGUE.
PAUL LAPARGUE.
_— ————————
Voici le texte de l'allocution prononcée
samedi à Domfront par M. Christophle, mi-
nistre des travaux publics :
Monsieur le maire, mes chers amis,
C'est avec une émotion profonde, et que les
paroles seraient impuissantes à exprimer,
que je vous remercie de l'accueil si cordial
que vous nous faites en ce moment. Je vous
en remercie au nom de mon ami, M. le mi-
nistre da l'intérieur, et au mien. Nés tous les
deux dans cette vieille et chère cité dom-
fromaise, élevés l'un près de l'autre dans une
communauté de vuei-J, d'idées et de sentiments,
presque dans la même famille, nous avons
traversé, indissolublement unis par une
amitié qui n'a jamais subi d'éolipe, les rudes
labeurs de la vie qui nous ont faits ce que
nous sommes : nous traverserons ensemble,
plus intimement unis encore, animés des
mômes pensées, dévoués au môme degré, à
la même cause, les labeurs plus pénibles et
plus difficiles de la vie politique.
Vous saluez en nous, monsieur le maire, des
amis et des camarades ; vous saluez aussi les
membres du gouvernement que vous aimez
et que vous servez. Comme vos amis et vos
camarades, nous serrons avec effusion les
mains loyales qui se pressent au devant de
nos mains. Comme membres du gouverne-
ment, nous vous disons : Vous pouvez tenir
peur csrtaia que tant que nous resterons au
poste de confiance où nous sommes placés,
nous maintiendrons haut et ferme le drapeau
de la République.
LA FISCALITÉ
Je causais l'autre jour avec un archi-
tecte, qui est expert en propriétés ; et
comme en ce moment je suis assailli et
de renseignements et de récriminations
sur cette question des querelles faites
par l'enregistrement aux contribuables,
pour insuffisance de déclaration de
prix, je lui demandai ce qu'il en pen-
sait, lui, qui par métier devait connaî-
tre tous les détours de cette adminis-
tration.
Vous avez, me répondit-il, sans vous
en douter, dit le vrai mot de la situa-
tion : Je n'en sais rien, mais j'en
suis sûr. Il n'y a pas un employé de
l'enregistrement qui, lorsqu'on lui ap-
porte un acte de vente d'immeubles, ae
commence par se défier du prix porté
par l'acquéreur. Sa première idée est
qu'on le trompe, et qu'il y a fraude. Il
n'en sait rien, mais il en est sûr.
— Mais, objectai-je, il n'a peut-être
pas toujours tort.
- --.:-surément. Car en France, mal-
heureusement, les personnes même les
plus honnêtes ne croient pas manquer
à la probité ni à l'honneur que de com-
mettre ces sortes de fraudes. On fait
une fausseldéclaration aussi aisément
qu'une femme passe à l'octroi un lapin
ou un poulet, sans acquitter les droits,
si elle peut éviter l'œil des agents. C'est
une espèce de principe, admis par tout
le monde, que voler l'Etat n'est pas un
crime ; à peine une peccadille.
Mais encore doit-on bien admettre
qu'il y a beaucoup de déclarations
vraies. Outre que l'on s'expose à des
amendes en cachant la vérité, il faut
pour commettre cette fraude compter
sur la complicité bienveillante des no-
taires, qui, je vous assure, y regardent
de très-près.
Eh bien ! quand un homme est en rè-
gle avec sa conscience et avec la loi, il
n'est pas toujours, pour cela, à l'abri
des revendications de l'enregistrement.
L'administration commence par en-
caisser les droits qu'on lui offre. Vous
vous croyez libre? point du tout; un
beau matin, et c'est quelquefois deux
ans après.
— Deux ans ! m'écriai-je.
Oui, la loi accorde cette latitude aux
réclamations de l'Etat. Deux ans après,
quand vous vous y attendez le moins,
vous recevez un avis de passer au
bureau de l'enregistrement, et d'y
payer un supplément de droit pour dé-
claration insuffisante. Vous vous ré-
voltez, naturellement ; vous réclamez ;
il faut s'exécuter. L'administration a
fait son enquête.
Il y aurait bien à dire souvent à ces
enquêtes. Tenez ! moi, j'ai tenu dans
mes mains le rapport d'un de ces
agents que l'administration charge d'es-
timer la valeur de l'immeuble en jeu.
La pièce m'a semblé curieuse, et j'en
ai gardé copie. On y lisait en propres
termes :
« Je me suis présenté tel jour à. je
n'ai pu entrer dans la propriété pour la
visiter, personne ne s'y trouvant en ce
moment.
» J'estime le revenu à la somme
de. >
", Et c'est sur ce beau document que
l'administration entre en campagne con-
tre le propriétaire de l'immeuble.
Voilà un agent qui avoue n'avoir
rien vu, ne savoir rien que par oui-
dire; il n'en précise pas moins le revenu
de la propriété qu'il ne connaît pas, et
sur sa parole, le receveur de l'enregis-
trement mande le contribuable et lui
impose un surcroît d'impôt, sans parler
de l'amende.
Voulez-vous quelque chose de plus
fort encore, s'il est possible? Je pour-
rais vous citer les noms des intéressés,
et la situation de l'immeuble qui fait
l'objet des revendications du fisc. Mais
l'affaire est pendante.
Un de mes amis (je répondrais de sa
parfaite probité et de son scrupule ri-
goureux à observer la loi) a acheté par
devant notaire, en adjudication publi-
que, au plus offrant et dernier enché-
risseur, une propriété, et il a payé les
droits d'après le prix établi au grand
jour.
Vous croiriez, n'est-ce pas ? comme
cette personne l'a cru, qu'il ne pouvait
y avoir lieu, dans une affaire si claire,
à revendication d'aucune sorte. Vous
n'y êtes pas. L'administration a trouvé
moyen de chercher querelle à l'acqué-
reur. Le prix payé par lui est inférieur
à - l'estimation - - faite par - ses - agents.
C'est en vain que vous opposez le
fait de l'adjudication publique, qui sert
généralement de base aux évaluations ;
l'enregistrement n'entend pas de cette
oreille. Il ne considère comme publiques
et valables que les ventes faites par li-
citation devant les tribunaux. Les au-
tres peuvent être entachées de fraude
ou tout au moins d'erreur.
Et voyez l'admirable logique de ces
messieurs !
Ces ventes par licitation, ventes for-
cées, ventes réalisées sur une seule
enchère bien souvent, n'atteignent
jamais qu'à des prix très-inférieurs à
ceux où montent les ventes faites libre-
ment devant la chambre ou dans les
études de notaire.
Et pourtant ils les tiennent pour
bonnes, quoique le rendement à l'Etat
soit moindre, et ils poursuivent les au-
tres !
C'est une drôle de machine, allez !
que notre administration!
FRANCISQUE SARCEY.
---- -♦
LETTRES DE SERBIE
Notre collaborateur, M. Liébert, nous
envoie les deux lettres suivantes :
Ivanitza, 10 août au matin.
Grâce à mille retards, je n'ai pu partir
de Katchak hier matin qu'à 9 heures ; je
suis arrivé ici à minuit. Mail, avant d'en-
trer dans le détail de mon voyage, je dois,
en deux mots, vous mettre au courant de
la situation du colonel Tcholakantisch.
Elle n'est pas aussi bonne que le souhai-
teraient les amis de la Serbie. Assailli à
Yavor par des forces supérieures, le colo-
nel a dû transporter son quartier-général
à Franitza. Les Turcs ont passé la fron-
tière serbe. Vous n'avez qu'à jeter les yeux
sur la carte pour voir qu'ils ne pourront
guère aller plus loin de ce côté, et que,
dans les montagnes, une poignée d'hom-
mes suffirait à les arrêter. Or, Tcholakan-
tisch dispose de 15 à 20,000 hommes. Mais,
provisoirement, à mon appréciation du
moins, il devra s'en tenir à la défensive,
et les projets sur Sienitza semblent ajour-
nés. C'est tout ce que je puis vous dire.
J'en suis resté, dans mes notes de voyage,
à mon départ de Krulhewatz. Si vous le
permettez, je vais les reprendre aujour-
d'hui, faute de mieux.
1 Il vous est facile de suivre sur la carte
le singulier chemin que j'ai été obligé de
faire posr aller de Paratchin à Ivanitza.
De Paratchin à Krushewatz, en remon-
tant vers le sud, une première étaps, tout
le long de la Morava. Je vous en ai parlé.
Da Krulhewatz, mon compagnon et moi
nous fûmes coucher à Tristnick, en sui-
vant la route qui va vers l'ouest et longe
la Morava serbe; car vous n'oubliez pu
qu'il y a deux Moravas, la serbe et la bul-
gare, dont la réunion forme une troisième
Morava, celle qui traverse la Serbie du sud
au nord pour se jeter dans la Danube.
Le trajet de Krushewatz à Tristnick n'a
offert rien de particulier. Nous l'avons fait,
comme toujours, dans un chariot du pays.
Au lieu de pistolets, notre voiturier s'était
armé d'un long fusil à pierre. A la sortie
de Krushewatz, nous croisons un long
convoi de munitions qui se dirige vers De-
ligrad : c'est à peu près le seul incident de
la route, sauf la rencontre d'un pope qui
querelle violemment deux paysans. J'i-
gnore le sujet de sa colère. A propos des
popes, je dois vous dire que plus je vait,
plus je suis étonné de leur nombre. Pen-
dant toute la durée de ce voyage, il n'y a
point de cabaret où je n'en ai rencontré
un ou deux, et quelquefois plus. Mais nous
voici arrivés à Tristnick, sans trop de fa-
tigue, car le chemin est assez bon. C'est.,
une petite ville agréable, bâtie au pied de
quatre ou cinq mamelons couverts de bois
et de verdure. Au loin, vers le sud et
l'ouest, on aperçoit des montagnes bleuir
tres : c'est la double chaîne des monts Ze.
litza, que nous devons franchir plus tard.
A Tristnick, les maisons n'ont, pour la
plupart, qu'un rez-de-chaussée, avec une
large verandah sur la façade. Autour des
poteaux qui soutiennent la toiture, des
volubilis et des aristoloches sont enroulés.
Les rues sont plantées d'acacias. L'église
est petite ; l'école est grande : c'est déci-
dément une coutume générale en Serbie de
bâtir de petites églises et de grandes éco-
les. L'auberge est relativement propre ; le
souper qu'on vous y sert, pas trop mau-
vais. Enfin, — ô délices! — nous trou-
vons des lits dont les draps ne paraissent
pas avoir servi à plus de quinze ou vingt
voyageurs. On va donc pouvoir se désha-
biller ! C'est une jouissance dont nous
avions été privés depuis notre arrivée à Pa-
ratchin.
A cinq heures du matin, nous partons
pour Karanovatz, notre troisième étape.
Nous y arrivons à midi. De Tristnick à Ka-
ranovatz, 'on suit toujours, en se dirigeant
vers l'ouest-nord-ouest, la vallée de la Mo-
rava serbe. On a la montagne à sa gauche,
la rivière à sa droite ; mais le spectacle est
monotone et assez peu intéressant. Laroute
serait bonne si elle n'était traversée de
tant de petits cours d'eau où sont jetés des
ponts dont les planches se soulèvent, sous
les pas des chevaux, comme les touches
d'un accordéon. Tout le long du chemin,
nous retrouvons des cochons, en grand
nombre, errant à l'aventure, comme des
flâneurs sur le boulevard. Evidemment, cet
cocons-là n'ont point d'affaires ; ils se pro-
mènent joyeusement sans se presser.
Karanovatz est encore une ville gaie,
bâtie dans le genre de Tristnick, mais sur
une hauteur. Au pied de la ville, coule
l'Ibar) que je vois pour la première fois, et
qui va se jeter dans la Morava serbe à
quatre ou cinq kilomètres plus loin. Nous
traversons l'Ibar sur un pont de bateaux,
construit depuis la guerre pour le passage
des convois de munitions; du moins on me
l'a dit. Et nous voici dans Karanovatz. Ce
qui me gâte un peu les rues, égayées par
des catalpas et des acacias plantés en bor-
dure, c'est qu'on y trouve trop de mar.
chands de moutons r ôtis. De vingt en vingt
pas, il vous monte au nez une forte odeur
de chandelle. Je ne sais pas non plus pour-
quoi l'on habille ici les petits enfants de
vêtements couleur de citrouille. Quant au
costume des femmes, il n'a rien de plailant
elles sacrifient trop aux indiennes im-
primées que leur envoie la perfide Angle-
terre. Pour la tète, elles s'affublent d'un
Feuilleton du XIX* SIÈCLE du 22 Août 1876.
Causerie Dramatique
L'Académie nationale de musique re-
prenait le Prophète, mercredi dernier.
La chaleur était accablante. Les hom-
mes, armés d'une main de leur mou-
choir pour essuyer leurs visages ruis-
selants, manœuvraient de l'autre l'é-
ventail, sans honte de se livrer à un
exercice réservé particulièrement au
sexe faible. Comme malaise physique,
la soirée no laissait rien à désirer.
Les gens du monde sont venus tard
et sont partis de bonne heure : nous
autres, nous sommes venus de bonne
heure et nous sommes partis tard. A
minuit, le spectacle finissait : au dehors,
pas un souffle de vent, pas la moindre
sensation de fraîcheur dans cette tran-
sition de la salle à l'air extérieur.
Les conditions accessoires, comme
on le voit, étaient déplorables, et l'exé-
cution fut certainement une des plus
défectueuses qu'il m'ait été donné d'en-
tendre, et pourtant jamais l'œuvre de
Meyerbeer ne m'a semblé plus puis-
sante et plus magistrale. J'ai pris phi-
losophiquement mon parti de mes pe-
tites souffrances et je les ai presque
constamment oubliées, tout entier aux
jouissances que me procurait l'audition
de ce chef-d'œuvre qui s'appelle le
Prophète.
Je viens de lire l'article consacré à
cet opéra dans le Dictionnaire lyrique
de mon érudit et savant confrère M.
Félix Clément, ouvrage précieux pour
tous ceux qui s'occupent des choses de
la musique; l'auteur y reproduit une
appréciation de Fétis sur les trois gran-
des œuvres de Meyerbeer, Robert-le-
Diable, les Huguenots, le Prophète.
Quelle que que soit l'autorité du criti-
que dont M. Félix Clément cite l'opi-
nion, à laquelle d'ailleurs il se rallie,
comme cette opinion repose sur un pur
raisonnement d'esthétique dramatique,
j'avoue qu'il m'est impossible de l'ac-
cepter, et que, contrairement à leur
double verdict, je ne saurais me déci-
der à donner le pas à Robert-le-Dia-
ble et aux Huguenots sur le Prophète,
qui ne viendrait qu'en troisième ligne.
Cet ordre adopté comme mesure du mé-
rite de ces trois grandes œuvres me
semble tout à fait arbitraire.
D'abord je repousse en principe ce
genre de comparaison, soit qu'il s'a-
gisse d'opposer des auteurs différents
les uns aux autres, soit qu'il s'agisse
d'opposer le même auteur à lui-même.
« Il est remarquable, dit Fétis, que
Robert, les Huguenots et le Prophète
ont pour principe des idées mystiques. »
Que Robert ait pour principe une
idée mystique, je n'y contredis point ;
car le drame repose en effet tout entier
sur la lutte des deux principes abstraits
du bien et du mal, envisagés au point de
vue religieux. Les passions humaines
mises en jeu pour amener les péripé-
ties dramatiques ne sont que des
moyens de manifestation et, si je puis
m'exprimer ainsi, les véhicules réels
de l'idée ; mais dans les Huguenots,
c'est absolument le contraire. Le drame
est purement humain et n'a rien de
plus mystique que les Chroniques de
Charles IX. de Mérimée, d'où il sort.
Le seul personnage animé du sentiment
purement religieux, c'est Marcel ; mais
Marcel appartient à la partie épisodi-
que do la composition et relève du mi-
lieu social et de l'époque historique où se
passe l'action. Saint-Bris est un politi-
que, Nevers un chevaleresque, Raoul
et Valentine deux amoureux qu'une
violente passion entraîne et domine.
Dans la conversion de Valentine et dans
son exaltation de la dernière heure, la
ferveur religieuse n'est pour rien : il
n'y a là qu'uu effort d'amour et rien de
plus.
Loin d'être mystique et religieux, le
drame des Huguenots est entièrement
passionnel et profane, et l'élément reli-
gieux, qui n'y paraît que par son côté
fanatique et violent, y est purement
épisodique. Ici, de cause, c'est à son
tour à devenir moyen, et il n'est pas
autre chose.
Le Prophète, qui n'a absolument au-
cun lien dramatique ou musical avec
Robert -le- Diable appartient, comme
point de départ, à l'ordre des idées
mystiques, puisqu'il a pour origine l'il-
luminisme de Jean de Leyde et qu'il
prend un développement spécial dans
cet acte sublime et grandiose de la
cathédrale ; mais ici le principe est di-
rectement matérialisé, prend un carac-
tère défini et tout individuel, et passe
rapidement du domaine de l'idée à celui
des faits, au lieu de rester, comme pour
Robert. le-Diable dans les régions
vagues de la légende et de conserver
son caractère abstrait.
Tout cela, ce sont des rapproche-
ments faits après coup, des coïnci-
dences arrangées arbitrairement en
système et dont l'autsur ne s'est jamais
douté.
Pour moi donc, nulle corrélation en-
tre les conceptions de ces trois opéras.
Ils eont tellement différents dans leurs
manifestations matérielles que le com-
positeur n'a pas eu à se préoccuper de
ces prétendus liens de parenté qui n'exis-
tent que dans l'imagination des critiques
trop enclins à dogmatiser dans l'art.
Cette prétention d'enrégimenter les
idées et de les classer par analogie
mènerait fort loin et égarerait à coup
sûr : on y dépenserait beaucoup de sa-
gacité et d'ingéniosité et ce serait en
pure perte. L'art n'y gagnerait pas une
feuille de laurier.
Aux trois ouvrages de Meyerbeer on
en pourrait ajouter bien d'autres. J'en
nommerais dix au hasard : la Juive,
opéra mystique ! Hamlet, opéra mys-
tique! la Favorite, opéra mystique!
Faust, opéra mystique! Et l'Enfant
prodigue, et le Juif-Errant, et Jeanne
Darc ! et tant d'autres.
Je n'éprouve, je le déclare, aucun be-
soin de numéroter les chefs-d'œuvre, et
s'il me fallait choisir, pour le premier
rang, entre les Huguenots et le Pro-
phète, mon embarras serait extrême.
Quant à Robert, bien que je sois loin
d'en faire aussi bon marché que quel-
ques personnes de ma connaissance, je
dois convenir qu'il est pour moi très-
inférieur aux deux autres ouvrages.
Et pourtant, avec un premier, un
troisième et un cinquième acte comme
ceux que nous montre la partition de
Robert-le-Diable, l'ouvrage peut encore
défier bien des comparaisons.
Je sais que ce pauvre opéra nous
semble émaillé aujourd'hui d'une col-
lection de formules singulièrement dé-
modées et que la grandeur et la popu-
larité de son succès ont contribué à bla-
ser terriblement nos oreilles sur un
certain nombre de morceaux et de
phrases que nous sommes arrivés à
goûter de moins en moins ; mais je de-
meure surpris que les nouveaux venus
dans la musique ne soient pas plus
frappés de la rare valeur du dialogue
musical de Robert et de ses merveil-
leux récitatifs.
Il ne faut pas oublier que Robert le
Diable fut représenté pour la première
fois en 1831, c'est-à-dire il y a qua-
rante-cinq ans, et que ce qui paraît or-
dinaire aujourd'hui était alors nouveau.
C'est la première fois que l'orchestre a
pris dans un opéra les fonctions aux-
quelles l'a élevé Meyerbeer ; car si l'on
y regarde avec attention, on s'aperçoit
que ce caractère de Bertram, si plein de
saveur et de relief, doit son accent si
fermement accusé, sa couleur, son
éclat, sa vigueur, sa signification, moins
au chant qu'à l'accord. Il y a eu là une
révélation ; les procédés théoriquement
n'étaient pas inconnus et résidaient
dans la science ; mais l'application, la
dramatisation pour mieux dire, n'en
avait pas été faite.
Mais ce n'est pas de Robert qu'il s'a-
git, c'est du Prophète.
Le Prophète est certainement le plus
dru et le plus homogène des opéras de
Meyerbeer. Du commencement à la fin,
les idées s'enchaînent, et pas un clair
ne se trahit dans la trame.
Ah ! que l'on dise, comme le remar-
que Fétis, que Meyerbeer était loin de
trouver là l'intérêt et les éléments dra-
matiques qui abondent dans ses deux au-
tres opéras, à la bonne heure ! Oui, les
difficultés étaient grandes et il fallait la
science profonde, la grande intelligence
scénique, le sens dramatique puissant,
le génie enfin du maître, pour triom
pher, comme il l'a fait, des difficultés
de cet âpre sujet, odieux et répulsif à
tous les points de vue.
Jean de Leyde, malgré les circons-
tances atténuantes amoncelées autour
de lui, n'est pas intéressant ; Oberthal,
ce grand seigneur, ravisseur de jeunes
filles, est odieux; les trois anabaptistes
sont sinistres ; la foule qui les suit est
bestiale et féroce ; les bourgeois de
Munster sont lâches ; Bertha renie son
amant, que le désespoir seul de sa perte
a jeté dans ses excès ; reste Fidès, avec
ses grandeurs et ses vertus de mère.
C'est le seul être auquel la sympathie
puisse se prendre.
Mais il y avait Meyerbeer, et c'est ici
que l'on peut dire : Lui seul, et c'est as-
sez! Des mains de cet homme, que la
France peut revendiquer, à bon droit,
comme sien, qu'elle a fait et qui n'a
vécu que pour elle, de ses puissantes
mains est sorti un chef-d'œuvre qui lui
appartient tout entier. Jamais création
n'a été plus éclatante et plus ab-
solue.
Une chose assez curieuse et je dirai
contradictoire, c'est que le génie de
Meyerbeer, si profondément dramati-
que, tragique même, d'une ampleur et
d'une élévation qui le conduisaient au
grandiose, ce génie est spirituel. Ce
musicien qui a écrit le trio du cinquiè-
me acte de Robert, le duo du quatrième
acte des Huguenots et la conjuration
catholique, généralement appelée la
Bénédiction des Poignards; qui a écrit
cet immense morceau de la cathédrale
au quatrième acte du Prophète, ce
même homme écrit aussi toutes les
phrases spirituelles du premier acte
de Robert, le duo bouffe du troisième
acte, une vraie comédie musicale, le
récitatif de Fidès jabotant avec sa
belle-fille, après le premier chœur du
Prophète ! Que sais-je ? Tout ce qui doit
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