Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-01-30
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 30 janvier 1873 30 janvier 1873
Description : 1873/01/30 (A3,N441). 1873/01/30 (A3,N441).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7556703h
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
3* Année. — N. 441.
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES •. PARTEMENTS 20 CENTIMES.
Jeudi 30 Janvier 1873.
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
S* rue Drouot. 2
la manuscrits non insérésseroral rendus
ABONNEMENTS
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Drouot..
les lettres non affranchies seront refusées
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JOURNAL RÉPUBLICA S CONSERVATEUR
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Trois mois 13 fr.
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Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
0, place de la Bourse, 0
MM. les Souscripteurs des dé-
partements dont l'&bouüemeot ex-
pire le 31 janvier sont instamment
priés de le renouveler dans le plus
bref délai, s ils ne veulent éprouver
aucune interruption daus la ré.
ception du journal.
JOURNÉE POLITIQUE
Pans, le 29 janvier 1873.
On va passer aux actes, car avant peu
de temps, sans doute, la commission des
trente aura déposé son rapport. Nous ne
savons peut-être pas très-bien encore ce
- qu'elle a voté dans la séance de lundi, à
cause de la confusion assez naturelle des
comptes-rendus. Mais enfin nous voyons
la question des interpellations à peu près
réglée, et dans le sens le plus défavorable
à M. Thiers.
On a pris en considération i auieuuo-
ment Duchâtel, qui, à la vérité, permet
d'entendre M. Thiers a dans les questions
se rattachant aux relations avec les puis-
sances étrangères. » Mais on a pris aussi
en considération ou adopté (personne ne le
peut dire au juste), la proposition de M. de
Broët, où il est dit que, dans les inter-
pellations, le président de la République
peut demander à être entendu par l'As-
semblée, el qui en décide. » La proposition
-1porte en outre que « la délibération aura
toujours lieu hors de la présence du pré-
sident de la République. » Cet amende-
ment Broët est ce qu'on pouvait imaginer
de pis, soit au point de vue des principes
généraux, soit au point de vue de la poli-
tique actuelle, puisqu'il paraît impossible
que. M. Thiers puisse consentir à l'accep
ter. L'institution d'une seconde Chambre a
été décidée aussi par la commission, mais
pour le temps où l'Assemblée élue en 1871
aura disparu. j
Ainsi s'achève le pénime travail ae cette
commission fameuse. Il reste à savoir ce
que l'Assemblée nationale en conservera,
car le président de la République sera du
moins admis à la discussion de ce nou-
veau statut, et nous avons toujours la con-
fiance qu'il rangera la majorité de son
côté. La tâche sera rude sans doute ; mais
M. Thiers a réussi jusqu'à présent, à tra-
vers bien des crises, à faire dominer la
-voix du patriotisme et de la raison. Quels
que soient les efforts des anciens partis
coalisés, la majorité saura reculer cette fois
encore devant les conséquences de la folie
où on veut l'entraîner.
M. Clément Duvernois a publié hier
dans l'Ordre un grand manifeste daté de
Londres. Nous ne parlerions pas de ce do-
cument s'il ne se distinguait, par la mo-
dération, la modestie même du style, des
déclamations furibondes que le commun du
parti publie d'ordinaire. Quelle est « la si-
tuation créée à l'impérialisme par la mort
de Napoléon III ? » C'est ce que M. Duver
nois veut examiner.
Nous passons les éloges qu'il fait du dé-
funt empereur. Sur le prince impérial il
s'exprime ensuite en ces termes : Il Ce se-
rait une puérilité de soutenir qu'un jeune
prince de dix-huit ans offrirait par lui-mê-
me les mêmes garanties que l'empereur. »
Cet exorde intéresse, il plaît, il est habile.
Mais nous tombons après cela dans les
lieux-communs et les redites. Le ton reste
insinuant et doux ; on n'y peut plus re-
marquer autre chose.
Il est toujours facile, lorsqu'on sonde
l'avenir de la France, d'établir par des rai-
sons très-doctes l'impossibilité du retour
de la monarchie traditionnelle ou de la mo-
narchie de juillet, et de faire - toucher du
doigt la chimère de la fusion. Ces chances
étant éliminées, il ne reste plus en pré-
sence, selon M. Clément Duvernois, que
la République et l'empire, les deux seuls
régimes dont se puisse accommoder la démo-
cratie, etc., etc. Et toute la question se ré-
sume en ceci : la République durera-t-elle?
Si M. Thiers peut constituer un gouverne
ment définitif, l'impérialisme se résignera
(c'est toujours M. Duvernois qui parle);
sinon, si M. Thiers Il laisse la France dans
le chaos, » l'impérialisme aura son tour.
Le jeune prince sera l'homme de la France;
on peut le comparer « à un livre où il
n'y a rien d'écrit, mais dont le titre seul
assure le succès. » Mais sa restauration
n'aura lieu « ni par un complot, ni par
une émeute, ni par une intrigue. » Le
parti bonapartiste veut défendre « par tous
les moyens légaux l'héritage de celui qu'il
a servi, sans créer d'embarras au gouver-
nement transitoire, à la seule condition qu'il
ne préjuge pas la décision du pays et
qu'ensuite il l'interroge loyalement. »
Il y a donc une condition ? et si le gou-
vernement de la République, « préjugeant
la décision du pays, » refusait de revenir
au plébiscite, on se croirait autorisé à sor-
tir des moyens légaux ? C'est la menace
qui ressort de la conclusion de M. Duver-
nois ; elle nuit singulièrement à toutes ses
protestations de sagesse et de respect de la
loi. L'appel au peuple ou la révolte ! voilà
où il aboutit dans un temps donné. Si
nous ne condamnions pas absolument et
en principe le jeu fatal des plébiscites, il
nous plairait assez que l'on offrît cette sa-
tisfaction à l'impérialisme, qui aurait des
raisons de le redouter plus que nous. Com-
bien de voix recueillerait en France un ado-
lescent. dont le plus grand titre est de n'a -
voir rien fait, de ressembler à f e
blanche, et qui n'a pour lui que son nom,
un nom dont le prestige et la popularité
sont finis
N'oublions pas pourtant que M. Duver-
nois nous annonce les plus terribles maux,
« invasion et démembrement de la France,»
si son jeune client ne doit point ramasser
le sceptre tombé à Sedan le jour de la capi-
tulation. Et ces maux, il n'y a, dit-il, que
Napoléon IV qui nous en puisse préserver.
Cela paraît bien absolu. Serions-nous donc
condamnés sans remède si Napoléon III
n'avait pas laissé d'héritier ? Ce que nous
ferions en un pareil cas, nous le pouvons
faire toujours, que M. Duvernois le croie
bien, et nous saurons vivre sans recourir à
la protection du jeune écolier de Woolwich.
Ni lui ni les siens ne seront tenus pour
indispensables par les trente-six millions
de Français qui, depuis deux ans, ont
réussi sans eux, tant bien que mal, et
plutôt bien que mal, à relever l'holineur et
les affaires.
Quant aux prédictions, ce sont de pures
fantaisies; nous n'avons point à nous y
arrêter. Les gens qui se tirent à eux-
mêmes la bonne aventure ne manquent
point de trouver les cartes favorables à
leurs desseins, et chaque prétendant pour-
rait reprendre à son prQfit, avec autant de
vraisemblance, les horoscopes de M. Du-
vernois. Nostradamus revînt-il au monde
en personne, il ne serait maître de rien
changer aux secrets enchaînements de
l'histoire et de la politique.
BU&. LIÉBBRV.
————————— « —————————
CULTIVONS NOTRE JARDIN!
Quand le plus sage des Français, Vol-
taire, écrivit ces trois mots à la fin d'un
petit chef-d'œuvre, il donnait un conseil
que l'Europe a mis à profit. Nos voi-
sins d'Italie, que j'ai quittés avant-hier
avec infiniment de regret et d'amitié, sont
tous élèves de Candide, quoique pour la
plupart ils n'aient lu ni le dernier ni
mArne le premier mot de Candide.
Sur cette terre classique du far niente,
ce que j'ai vu d'abord au sortir du tun-
nel de Bardonnèche, c'est un honnête
Piémontais, qui, penché sur la terre,
abattait du menu bois à grands coups de
cognée. Un enfant de dix ans, son fils
sans doute, ramassait lestement les
branches dans la neige et les liait en pe-
tits fagots. Ni l'un ni l'autre ne leva la
tête pour regarder passer le train express,
et du plus loin que je les aperçus en
poursuivant ma route, ils me parurent
uniquement absorbés par le travail.
Ce spectacle de bon augure m'a pour-
suivi partout : sur les bords de l'Adria-
tique comme sur le versant de la Médi-
terranée, au Nord et au Midi, dans la
montagne et dans la plaine, je n'ai vu
que des hommes activement occupés
de leur pain. Les habitants des pays fer-
tiles taillaient leurs mûriers, labouraient
ou piochaient la terre au pied des vi-
gnes et des oliviers ; les montagnards de
l'Apennin combattaient pied à pied l'é-
croulement sans fin de cette montagne
argileuse qui fond dans l'eau de pluie et
s'écoule en torrents vaseux vers les deux
mers. Les uns déblayaient les cailloux
amoncelés sur la terre végétale, les au-
tres bâtissaient de petits murs pour sou- J
tenir leurs petits champs ; d'autres, plus
étonnants encore, remontaient à force de
bras l'humus qui tend toujours à descen-
dre. C'est au prix d'efforts surhumains
que l'Italie est devenue et restée le jar-
din de l'Europe. -
Dans les villes, petites ou grandes,
j'ai vu partout des hommes qui culti-
vaient le commerce, l'industrie, les
sciences et les lettres avec le même
acharnement que les ruraux mettaient à
cultiver leur jardin. Tous ces gens-là
font ce qu'ils font et se préoccupent
assez peu de tout le reste. La politique,
par exemple , est le cadet de leurs
soucis ; ils n'ont pas l'air de dire : je
cultiverai mon jardin l'année prochaine,
si le gouvernement, l'opposition et le
hasard combinés mènent à bien les af-
faires publiques. Chacun taille ou lie son
fagot, chacun pousse la bêche ou abat
vigoureusement la pioche sans lever les
yeux sur le train qui apporte les nou-
velles du Parlement.
Les électeurs eux-mêmes, tout privilé-
giés qu'ils sont, font assez bon marché de
leur droit souverain. Dans les derniers
jours de décembre, il y avait sept dé-
putés à élire dans divers colléges : les
électeurs coururent aux urnes dans la
proportion d'un sur dix, les neuf autres
restèrent à cultiver leur jardin. Au pa-
lais de Monte-Citorio, j'ai eu le plaisir
d'assister à une séance de la Chambre;
sur 510 députés, j'en comptai 80, y
compris un ministre : je m'informe des
autres, on me dit qu'ils sont tous à cul-
tiver leur jardin.
Ceux qui placent la politique au-dessus
de tout pourront dire que ces mœurs
laissent à désirer; mais un économiste
ou simplement un homme de bon
SSns répondra que le chômage des poli-
ticiens n'a jamais mis un peuple sur la
paille, tandis que la suspension du tra-
vail ordinaire, naïf, obscur, ruinerait en
six mois le pays le plus fortuné.
Lorsque j'eus repassé le tunnel et re-
vu ma chère patrie, je rencontrai près de
Modane un brave Savoisien qui faisait
des fagots, lui aussi, avec l'aide de sa
femme. Ils travaillaient en conscience,
mais ce n'était pas sans lever la tête de
temps à autre et sans consulter l'horizon,
comme s'ils avaient craint d'y voir ap-
paraître un point noir.
Ce mouvement est familier à tous les
paysans français, et si vous observez
avec un peu d'attention, vous constate-
rez que leur regard inquiet se dirige
invariablement vers Paris ou Versailles.
Il semble que tout soit toujours en
question et que nul ne soit sûr de récol-
ter ce qu'il sème sans quelque tolérance
d'en haut. Les commerçants et les in-
dustriels travaillent parce qu'il le faut
bien, mais d'un médiocre appétit, parce
qu'ils n'ont jamais entière confiance.
Ils disent unanimement que les affai-
res iraient bien s'il n'y avait quelles
aÏÏaîretf, mais ils ont toujours peur que
ces messieurs ne mettent la France à
l'envers. Quels messieurs ? Je ne sais,
et j'arrive de trop loin pour porter un
jugement téméraire; mais il me semble,
à vue de pays, que la France est placée
dans de plus mauvaises conditions que
les Etats voisins, parce que le présent,
dont tout le monde s'accommode, est
mis en question chaque jour par une mi-
norité remuante ; parce qu'un petit nom-
bre de politiciens médiocres et ambitieux
s'obstinent à préparer un lendemain
gros de tempêtes, et parce que la cultu-
re acharnée des intrigues monarchiques
inquiète des millions de bonnes gens qui
cultivent leur jardin.
ABOUT.
——————— » ———————
ÏOURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 28 janvier 4875.
Toujours calme plat ; pis encore, la dis-
ussiou à Versailles semble prise dans les
laces. La débâcle est annoncée pour jeudi.
Au début de la séance, le dépôt d'une
roposition de loi effectué par M. Tirard et
lusieurs de ses collègues; l'urgence en
st votée à une immense majorité. Si
ous signalons cette proposition, c'est
u'elle indique un certain retour sur le
vote des matières premieres ; i exception,
dans le cas actuel, vise principalement la
tabletterie, les vernis et en général ce qu'on
appelle l'article Paris. MM. Tirard, Tur-
quet et Warnier, signataires de la pro-
position, sont trois membres de la gau-
che ayant toujours soutenu le gouverne-
ment; M. Leurent, le quatrième signataire,
est un grand industriel qui appartient au
centre droit, mais ne peut être considéré
comme hostile à M. Thiers. Nous avons
fait attention au vote ; il était considérable
en faveur de l'idée libre-échangiste. M. le
président de la République fera bien d'y
prêter attention : là est la pierre qui peut
le faire trébucher ; lorsque viendra la dis-
cussion des traités de commerce, les con-
victions industrielles feront beau jeu aux
rancunes politiques. Mais ne voyons pas
plus loin que le bout de notre séance !
Il s'agit de savoir si dorénavant un jour
de la semaine sera exclusivement consacré
au travail des commissions et rayé du
nombre des séances publiques. Cette pro-
position, déjà vieille, — mais toujours
jeune et aimable à nos yeux, — est de M.
Flottard.
M. Paris (du Pas-de-Calais) occupe la
tribune; on fait tellement de bruit dans
la saiie que nous n'eluenaons que ces
mots ; « Députés qui habitent Versail-
les et députés qui habitent Paris. Députés
jeunes, valides et députés invalides. » Il
paraît que M. Paris établit des catégories
de députés.
Eh bien ! nous aussi, nous allons établir
des catégories! car les opinions sont bien
faites d'avance. Il y a : le député bûcheur,
et, en opposition, le député que son inex-
périence écarte de toute commission ; le
député qui craint la dissolution et croit
qu'une absence régulière d'un jour le per-
drait dans l'esprit de ses mandants; le dé-
puté qui, manquant irrégulièrement à telle
ou telle séance, ne tient pas à avoir l'air de
ne point siéger quand il peut ne pas siéger
sans en avoir l'air. Il y a tous ces députés-
là contre nous ; nous sommes perdu, nous
le sentons !
Car nous sommes fort partisan du pro-
jet. Non, ne riez pas ! Ce n'est point seu-
lement une question personnelle ; le bien
général nous semble en cause. Les commis-
sions n'ont pas le temps matériel de tra-
vailler, nous l'avons dit et redit cent fois ;
elles apportent à la discussion des projets
qu'on leur renvoie ; de là une perte de
temps considérable. Ne vaudrait-il pas
mieux bien étudier d'avance ce que l'on va
discuter ?
M. Flottard défend son projet. Mais,
alors, M. Paris l'attaquait donc ?.. M. Pa-
ris, que nous appelions dernièrement Pa-
ris-Becoîton, devient aujourd'hui le Paris
du foyer.
M. de Ventavon à présent ! et avec un
dossier complet, pour une pareille ques-
tion ! Les murmures se changent en cris.
M. de Ventavon parle néanmoins et com-
bat le projet. LesLorgerilset les Dahirels de
la droite approuvent.
M. Flottard riposte. Cela menace de
devenir interminable. M. de Tillancourt
apparaît. Cette fois la salle s'insurge.
Il y a un amendement au projet : M.
Fie ttard indiquait le mercredi pour n'avoir
pas séance publique; M. de la Sicotière
demande le samedi. M. de la Sicotière est
un malin. Songez donc : le samedi, joint
au dimanche, cela fait deux jours, pendant
lesquels on peut aller à la chasse, pendant
lesquels. Un jour, ce n'est rien; deux
jours, c'est énorme! -Etle travail des com-
missions? Ah! oui, le travail des commis-
sions. Eh bien! on le remet au samedi
suivant.
Adieu, beaux rêves : 339 voix contre 273
repoussent le projet. Et encore nous l'a-
vons échappé belle. Si M. le président ne
s'était pas aperçu à temps du traître li-
bellé de la proposition, nous n'avions pas
le jour de congé, mais - nous avions une
heure en plus de séance tous les jours!
Cet acte Spartiate, une fois accompli
bien officiellement aux yeux du pays, la
salle s'est vidée en un clin-d'œil. M. Mar-
cel Barthe traitait les associations syndi-
cales agricoles.
C'était d'un gai!.. Et, cependant, si
l'oreille percevait mal les sons, l'œil per-
mettait quelques récréations. Il se pas-
sait d'intéressantes choses au coin de
droite.
Ce coin est le duché de M. de Laroche-
foucauld-Bisaccia. Et il y avait vraiment
grande réception à la petite cour de M. le
►énawr les légitimistes abondaient, anxieux,
parlant à voix basse ; même des députés
qui, d'habitude, ne fréquentent guère ce
coin, flânaient par là, comme par hasard, et,
se trouvant nez à uez avec M. de Laroche-
foucauld-Bisaccia, lui donnaient de chau-
des poignées de main. M. de Soubeyran
était un de ceux-là.
M. de Soubeyran passe pour avoir un
pied dans quatre camps - — situation
bien difficile pour un bipède! — mais,
pour que M. de Soubeyran mette ses
deux mains à la fois dans celles de M.
de Larochefoucauld-Bisaccia, il faut qu'il
y ait quelque chose de grave, car, chez cet
homme politique, la main droite ignore
volontiers ce que fait la main gauche.
Il y a quelque chose, c'est sûr; ce quel-
que chose n'est peut-être pas certain, ab-
solu, mais tout au moins il flotte dans
l'air. Et dans le creux de l'oreille,
on nous conte une petite histoire. La voici.
Prenez-la pour ce qu'elle vaut, c'est-à-dire
pour une forme vague, destinée peut-être
demain à prendre de la consistance et à
accuser ses contours, peut-être aussi née
tout simplement des bruits de fusion qui
voletaient ces jours derniers.
On dit qu'une missive a été envoyée par
M. le duc de Larochefoucaud-Bisaccia à
M. le comte de Chambord, et que cette
missive est relative à la fusion. On dit qu'il
s'agit d'une combinaison de couleurs qui
sauvegarderait les amours-propres de toutes
les branches. On dit que M. de Loroche-
foucauld-Bisaccia attend une réponse par té-
légraphe. On dit enfin que sila réponse est
telle que la souhaite M. le duc, M. le comte
de Paris partira immédiatement pour
Froshdorf.
Et M. de Larochefoucauld-Bisaccia at-
tend. M. Depeyre, le président légitimiste
de la droite, va, vient comme une âme
en peine :
— Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?
— Je ne vois, semble répondre M le
duc, que Marcel Barthe qui verdoie à tra-
vers les campagnes, en quête de ses asso-
ciations agricoles.
Et M. Chaurand, le baron du pape, s'ar-
rête aussi an dushé du coin :
— Sœur Anne, ma sœur Anne, ne vois-
tu rien venir?
— Hélas ! je ne vois que Barthe qui pou-
droie et s'évanouit en poussière, car son
projet vient d'être repoussé.
Et l'aiguille s'allonge sur le cadran, et
le temps s'avance, et les tribunes se vi-
dent. Pas de dépêche ! toujours pas de
dépêche !
M. le duc a pris le train ae cinq neu-
res; la dépêche était peut-être à Paris.
Nous le répétons : ceci n'est qu'une lé-
gende, mais une légende qui avait quelque
crédit dans la droite. Et l'on se demande
si la légende ne pourrait pas devenir bien-
tôt de l'histoire lorsqu'on songe à la va-
riété politique que publiait hier le Journal
de Paris, organe de l'orléanisme, agitant
simultanément le drapeau blanc et le dra-
peau tricolore, les mariant, les entremê-
lant, et nous éblouissant à force de nous
faire voir. des couleurs.
PAUL LAFARGUB.
- ————————
DEVINE SI TU PEU !
Sûrement Boileau lisait dans l'avenir
et prévoyait la commission des trente
quand il a dit :
Ce qui se comprend bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Messieurs les commissaires ont si grand
peur de s'entendre avec le gouvernement
qu'ils ne s'entendent pas entre eux; de
cette langue française dont la clarté
est proverbiale, ils font un galimatias
impénétrable; par eux les mots sont
mis à la torture ; on veut leur faire
avouer des choses qu'ils n'ont jamais
dites; et, pour suivre les travaux de la
commission, il faudrait un lexique spécial.
Je parierais volontiers que pas un de
nos lecteurs n'a eu l'héroïsme de dé-
chiffrer jusqu'au bout l'indéchiffrable
grimoire publié par la presse sous le
titre de : « Compte-rendu de la séance
de la commission des trente du 27 jan-
vier. » Nous qui ne reculons devant au-
cun péril, nous avons trois fois sur le
métier remis l'ouvrage de ces messieurs,
et nous n'étions guère plus avancé la
troisième fois que la première.
Nous voulons, néanmoins, essayer de
recueillir nos esprits et de traduire en
langue vulgaire les élucubrations si sa-
vamment compliquées des trente doc-
teurs ès-modus vivendi qui donnent leurs
consultations à Versailles.
On sait déjà que la grosse affaire,
dans la dernière seance, était de décider
si le président de la République serait
admis, et dans quelles conditions, à in-
tervenir dans les débats parlementaires
motivés par des interpellations.
La sous-commission n'y avait pas été
par quatre chemins. Considérant que,
lorsqu'il s'agit de tuer un ennemi, le
mieux est de le viser en pleine poitrine,
elle avait carrément proposé de voter
un article ainsi conçil ;
« Les interpellations ne peuvent être
adressées qu'aux ministrÓ., et non au
président de la République. »
C'était simple, c'était net. Du coup, le
président de la République était déca-
pité ; il passait à l'état du fameux inva-
lide à la tête de bois , il régnait to ci-
jours, mais ne gouvernait plus ; la
France était sauvée !
Il ne faut pus perdre de vue, en effet,
que la majorité clérico-ducale poursuit
toujours son même but, qui est d'établir
contre la France un gouvernement de
combat. Pour y arriver, elle sait fort bien
qu'il faudrait attaquer de front la place
foi te, c'est-à-dire, le pouvoir exécutif;
mais ses tentatives à ciel ouvert ont
été si malheureuses jusqu'à ce jour
qu'elle a pris la résolution de cheminer
à l'aide de chemins couverts, qui lui
permissent de pousser tout doucement,
sans coup férir, jusqu'au cœur de la
citadelle, après avoir pris un à un tous
les postes avancés, nous voulons dire
tous les ministères.
Le moyen consistait à interpeller les
ministres les uns après les autres, sans
permettre au président de la République
d'intervenir dans la discussion et de
transformer en question de gouverne-
ment une question ministérielle.
Mais, voilà le diable ! l'article de la
sous-commission, dont nous venons de
donner le texte, a fait tomber une
grêle d'amendements. Celui-ci demande
qu'une exception soit introduite dans la
loi pour permettre au président de la
République de se fairo entendre toutes
les fois que les interpellations seront re-
latives aux affaires étrangères ou qu'elles
se @ rapprocheront de la politique géné-
rale' du gouvernement.
La commission refuse.
Celui-là demande la même chose, à
cela près que dans les questions de po-
litique intérieure le président ne sera
admis à prendre la parole que si les
actes faisant l'objet de l'interpellation ont
été délibérés en conseil.
La commission refuse.
Un troisième spécifie que, pour ce qui
concerne la politique extérieure seule-
ment, le président pourra intervenir dans
la discussion.
Cet amendement est pris en considé-
ration. Notez bien que nous ne disons
pas voté, car si vous ne saisissiez pas bien
la nuance, il vous serait impossible d'al-
ler plus avant dans le labyrinthe où je
me vois obligé de vous entraîner.
Nous voici arrivés à un amendement
capital. Il est de M. Broët, et conçu en
ces termes :
« Néanmoins, si le ministre interpellé
pense que, vu la nature et la gravité du
débat, il est opportun que le président
de la République soit entendu, il peut
en faire la proposition à l'Assemblée, qui
en décide, mais il n'est rien changé aux
dispositions du paragraphe 2 de l'ar-
ticle 1er, et la délibération a lieu hors la
présence du président de la République. »
Cet amendement est pris en considé-
ration.
Et maintenant, récapitulons :
1° On ne pourra interpeller que les
ministres.
2° Il serait bien possible qu'on pût
aussi interpeller le président.
30 Il se pourrait faire que, dans un
cas déterminé, et avec le consentement
de l'Assemblée, le président fût mis en
cause dans une interpellation et autorisé
à venir se défendre en personne.
Je ne crois pas qu'il soit possible d'en-
tasser autant d'idées incohérentes et
de les discuter sérieusement, sans un évi-
dent parti pris d'embrouiller la ques-
tion la plus simple qui fût jamais au
monde.
Veut-on, oui ou non, que le président
de la République ait le droit de se faire
entendre de l'Assemblée ?
Si ouij nous avons déjà prouvé, et le
1 1 1. - ,! 1
Don sens le prouve sans réplique, qUIl
est impossible de créer des catégories
d'interpellations, les unes permettant,
les autres interdisant au chef du pouvoir
exécutif de prendre part aux débats
qu'elles soulèvent.
Sinon, pourquoi ne pas s'en tenir à
l'article 3 tel qu'il est sorti des mains de
la sous-commission? Au moins tout le
monde comprendrait; tout le monde ver-
rait clair dans les intentions de la ligue
monarchique. On se dirait : ils veulent
se débarrasser du président, mais ils
ne le peuvent ni ne l'osent ; ils se con-
tentent de le réduire à l'état d'accessoire.
Au lieu de cela, on a l'air de lui faire
une concession, de lui conserver un
rôle, quand, en réalité, on fait de lui un
figurant de dernier ordre. De même
que la commission a fait semblant, dans
l'article 2, d'accorder une apparence de
veto au président, de même, dans l'arti-
cle 3, elle se prépare à feindre de lui
donner la parole dans certains cas excep-
tionnels. Mais, qu'il s'agisse de la pro-
mulgation d'une loi ou d'une interpella-
tion sur la politique, l'Assemblée prétend
demeurer maîtresse d'accorder ou de re-
fuser à M. Thiers les prétendues préroga-
tives que la commission des trente parle
de lui accorder.
Tout cela, heuriusement, est encore
plus puéril que perfide. Les trente s'a-
musent ; leurs amis leur avaient deman-
dé une forteresse pour y loger leurs
espérances monarchiques à l'abri des
messages présidentiels ; ils n'ont su que
construire un château de cartes; quand
le bon sens public aura soufflé dessus,
il n'en restera plus trace.
E. SCHNBRII.
————————————— +» -—————————————
LES GOGOS
Le hasard fait qu'en venant aujour-
d'hui faire une visite au bureau de rédac-
tion, j'ai rencontré le vieux concierge
d'une maison que j'avais habitée. Ce
brave m'a conservé son estime et m'ho-
nore de quelque amitié. Je vis sur son
visage, jadis étoffé, plein et riant, comme
une ombre de tristesse qui l'obscurcis-
sait. Il me souhaita le bonjour d'un air
si navré que je lui demandai s'il avait
éprouvé quelque grand chagrin.
Du chagrin ? je crois bien qu'il en
avait, le malheureux !
— Ah ! monsieur, me dit-il, nettoyé !
je suis nettoyé ! mes pauvres économies!
il faut même que je vous consulte, vous
qui êtes dans les journaux.
Le pauvre diable avait eu l'imprudence
de mettre tout ce qu'il possédait dans
une de ces mille affaires véreuses qui
fourmillent sur le pavé de la Bourse ; le
banquier était en fuite à Bruxelles, les
scellés sur la maison ; on avait trouvé
quatre francs et douze sous dans la caisse.
— Tout est perdu, monsieur, répétait-
il, tout est perdu.
— Mais pourquoi, diantre, n'achetiez-
vous pas tout bonnement de la rente
française ? ,
Et au lieu de répondre a cette ques-
tion si simple, cet excellent concierge,
s'animant à mesure qu'il parlait de son
désastre, ne cessait de me dire que tout
ça, c'était la faute du gouvernement,
qu'il devrait empêcher les gens de Bourse
de tromper le pauvre monde et de le
dépouiller.
Et moi, je revenais obstinément à ma
première demande :
— Mais pourquoi, diantre ! n'acheliez-
vous pas de la rente ?
Je ne pus naturellement lui donner
d'autre conseil que de prendre son parti
de cette déconvenue, et de se remettre
au travail sur nouveaux frais ; et il me
quitta, en accablant les gredins qui l'a-
vaient volé des plus énergiques malédic-
tions.
— Et, au fait, me disais-je, en des-
cendant la rue des Martyrs, pourquoi cet
imbécile n'a-t-il pas pris de la rente
française? De quoi se plaint-il? Il n'a
que ce qu'il mérite. C'était si facile pour-
tant de prendre la rente française !
Oui, sans doute, mais la rente fran-
çaise ne donne que cinq et demi, six au
plus ; un joli revenu cependant ! tandis
que le Mississipi — je dis le Mississipi
comme j'en nommerais un autre, ne
connaissant pas grand cnose a tous les
Afghanistan s de la Bourse — tandis que
le Mississipi promet quatorze.
Quatorze ! voilà qui est tentant.
Notre homme ne réfléchit point qu'un
Etat ou un simple particulier qui en est
réduit à emprunter à quatorze doit être
terriblement près de ses pièces ; que pro-
mettre et tenir sont deux; qu'il emportera
l'argent des souscripteurs alléchés par
l'appât des dividéndes, et qu'au moment
de les payer, il se dérobera vraisembla-
blement par une faillite.
Il se laisse prendre, à 'moins qu'au
lieu d'être une dupe, il ne soit lui-même
un fripon, et qu'il n'ait fait ce raisonne-
ment fallacieux : La valeur que j'achète
ne vaut pas grand chose, je le sais bien ;
mais je ne serai pas assez bête pour la
garder ; aussitôt qu'elle montera, je m'en
déchargerai sur le dos d'un autre, qui
boira le bouillon.
C'est ainsi que raisonnent, à ce qu'il
paraît, nombre de cuisinières, de por-
tières et autres vieilles joueuses de pro-
fession, que ce journal nous représentait
hier se repassant, aux alentours de la
Bourse, des actions qu'elles savaient sans
valeur, et faisant sur ces papiers des
hausses ou des baisses factices, dont
elles tâchaient de profiter.
Je ne sais pas dans laquelle de ces
deux catégories il faut ranger mon con-
cierge. Peut-être est-il un naïf, ou,
comme on disait jadis, un gogo; peut-être
est-il un malin qui n'a pas eu de chance,
un voleur qui a été volé.
Je ne m'en soucie guère après tout :
qu'il soit l'un ou l'autre, il n'est pas fort
digne de pitié, et il s'est lui-même attiré
le malheur dont il geint.
Vous rentrez chez vous à une heure
du matin; vous tombez sur un voleur
qui vous force à donner votre argent
et votre montre. C'est un accident cruel
dont il faut vous plaindre; car vous n'y
êtes pour rien, et ce n'est pas votre
faute.
Mais à qui vous en prendre qu'à vous-
même quand vous écoutez les promesses
d'un charlatan qui vous promet qua-
torze pour cent, quand l'intérêt ordinaire
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES •. PARTEMENTS 20 CENTIMES.
Jeudi 30 Janvier 1873.
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
S* rue Drouot. 2
la manuscrits non insérésseroral rendus
ABONNEMENTS
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Drouot..
les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
JOURNAL RÉPUBLICA S CONSERVATEUR
PARIS
Trois mois 13 fr.
Six mois. 25
Un aa ». 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an. 62
Anioaeea, chez MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 0
PARIS
Trois mois 13 fr.
Six mois. 25
Un an .,. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un an. 62 1
-
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
0, place de la Bourse, 0
MM. les Souscripteurs des dé-
partements dont l'&bouüemeot ex-
pire le 31 janvier sont instamment
priés de le renouveler dans le plus
bref délai, s ils ne veulent éprouver
aucune interruption daus la ré.
ception du journal.
JOURNÉE POLITIQUE
Pans, le 29 janvier 1873.
On va passer aux actes, car avant peu
de temps, sans doute, la commission des
trente aura déposé son rapport. Nous ne
savons peut-être pas très-bien encore ce
- qu'elle a voté dans la séance de lundi, à
cause de la confusion assez naturelle des
comptes-rendus. Mais enfin nous voyons
la question des interpellations à peu près
réglée, et dans le sens le plus défavorable
à M. Thiers.
On a pris en considération i auieuuo-
ment Duchâtel, qui, à la vérité, permet
d'entendre M. Thiers a dans les questions
se rattachant aux relations avec les puis-
sances étrangères. » Mais on a pris aussi
en considération ou adopté (personne ne le
peut dire au juste), la proposition de M. de
Broët, où il est dit que, dans les inter-
pellations, le président de la République
peut demander à être entendu par l'As-
semblée, el qui en décide. » La proposition
-1porte en outre que « la délibération aura
toujours lieu hors de la présence du pré-
sident de la République. » Cet amende-
ment Broët est ce qu'on pouvait imaginer
de pis, soit au point de vue des principes
généraux, soit au point de vue de la poli-
tique actuelle, puisqu'il paraît impossible
que. M. Thiers puisse consentir à l'accep
ter. L'institution d'une seconde Chambre a
été décidée aussi par la commission, mais
pour le temps où l'Assemblée élue en 1871
aura disparu. j
Ainsi s'achève le pénime travail ae cette
commission fameuse. Il reste à savoir ce
que l'Assemblée nationale en conservera,
car le président de la République sera du
moins admis à la discussion de ce nou-
veau statut, et nous avons toujours la con-
fiance qu'il rangera la majorité de son
côté. La tâche sera rude sans doute ; mais
M. Thiers a réussi jusqu'à présent, à tra-
vers bien des crises, à faire dominer la
-voix du patriotisme et de la raison. Quels
que soient les efforts des anciens partis
coalisés, la majorité saura reculer cette fois
encore devant les conséquences de la folie
où on veut l'entraîner.
M. Clément Duvernois a publié hier
dans l'Ordre un grand manifeste daté de
Londres. Nous ne parlerions pas de ce do-
cument s'il ne se distinguait, par la mo-
dération, la modestie même du style, des
déclamations furibondes que le commun du
parti publie d'ordinaire. Quelle est « la si-
tuation créée à l'impérialisme par la mort
de Napoléon III ? » C'est ce que M. Duver
nois veut examiner.
Nous passons les éloges qu'il fait du dé-
funt empereur. Sur le prince impérial il
s'exprime ensuite en ces termes : Il Ce se-
rait une puérilité de soutenir qu'un jeune
prince de dix-huit ans offrirait par lui-mê-
me les mêmes garanties que l'empereur. »
Cet exorde intéresse, il plaît, il est habile.
Mais nous tombons après cela dans les
lieux-communs et les redites. Le ton reste
insinuant et doux ; on n'y peut plus re-
marquer autre chose.
Il est toujours facile, lorsqu'on sonde
l'avenir de la France, d'établir par des rai-
sons très-doctes l'impossibilité du retour
de la monarchie traditionnelle ou de la mo-
narchie de juillet, et de faire - toucher du
doigt la chimère de la fusion. Ces chances
étant éliminées, il ne reste plus en pré-
sence, selon M. Clément Duvernois, que
la République et l'empire, les deux seuls
régimes dont se puisse accommoder la démo-
cratie, etc., etc. Et toute la question se ré-
sume en ceci : la République durera-t-elle?
Si M. Thiers peut constituer un gouverne
ment définitif, l'impérialisme se résignera
(c'est toujours M. Duvernois qui parle);
sinon, si M. Thiers Il laisse la France dans
le chaos, » l'impérialisme aura son tour.
Le jeune prince sera l'homme de la France;
on peut le comparer « à un livre où il
n'y a rien d'écrit, mais dont le titre seul
assure le succès. » Mais sa restauration
n'aura lieu « ni par un complot, ni par
une émeute, ni par une intrigue. » Le
parti bonapartiste veut défendre « par tous
les moyens légaux l'héritage de celui qu'il
a servi, sans créer d'embarras au gouver-
nement transitoire, à la seule condition qu'il
ne préjuge pas la décision du pays et
qu'ensuite il l'interroge loyalement. »
Il y a donc une condition ? et si le gou-
vernement de la République, « préjugeant
la décision du pays, » refusait de revenir
au plébiscite, on se croirait autorisé à sor-
tir des moyens légaux ? C'est la menace
qui ressort de la conclusion de M. Duver-
nois ; elle nuit singulièrement à toutes ses
protestations de sagesse et de respect de la
loi. L'appel au peuple ou la révolte ! voilà
où il aboutit dans un temps donné. Si
nous ne condamnions pas absolument et
en principe le jeu fatal des plébiscites, il
nous plairait assez que l'on offrît cette sa-
tisfaction à l'impérialisme, qui aurait des
raisons de le redouter plus que nous. Com-
bien de voix recueillerait en France un ado-
lescent. dont le plus grand titre est de n'a -
voir rien fait, de ressembler à f e
blanche, et qui n'a pour lui que son nom,
un nom dont le prestige et la popularité
sont finis
N'oublions pas pourtant que M. Duver-
nois nous annonce les plus terribles maux,
« invasion et démembrement de la France,»
si son jeune client ne doit point ramasser
le sceptre tombé à Sedan le jour de la capi-
tulation. Et ces maux, il n'y a, dit-il, que
Napoléon IV qui nous en puisse préserver.
Cela paraît bien absolu. Serions-nous donc
condamnés sans remède si Napoléon III
n'avait pas laissé d'héritier ? Ce que nous
ferions en un pareil cas, nous le pouvons
faire toujours, que M. Duvernois le croie
bien, et nous saurons vivre sans recourir à
la protection du jeune écolier de Woolwich.
Ni lui ni les siens ne seront tenus pour
indispensables par les trente-six millions
de Français qui, depuis deux ans, ont
réussi sans eux, tant bien que mal, et
plutôt bien que mal, à relever l'holineur et
les affaires.
Quant aux prédictions, ce sont de pures
fantaisies; nous n'avons point à nous y
arrêter. Les gens qui se tirent à eux-
mêmes la bonne aventure ne manquent
point de trouver les cartes favorables à
leurs desseins, et chaque prétendant pour-
rait reprendre à son prQfit, avec autant de
vraisemblance, les horoscopes de M. Du-
vernois. Nostradamus revînt-il au monde
en personne, il ne serait maître de rien
changer aux secrets enchaînements de
l'histoire et de la politique.
BU&. LIÉBBRV.
————————— « —————————
CULTIVONS NOTRE JARDIN!
Quand le plus sage des Français, Vol-
taire, écrivit ces trois mots à la fin d'un
petit chef-d'œuvre, il donnait un conseil
que l'Europe a mis à profit. Nos voi-
sins d'Italie, que j'ai quittés avant-hier
avec infiniment de regret et d'amitié, sont
tous élèves de Candide, quoique pour la
plupart ils n'aient lu ni le dernier ni
mArne le premier mot de Candide.
Sur cette terre classique du far niente,
ce que j'ai vu d'abord au sortir du tun-
nel de Bardonnèche, c'est un honnête
Piémontais, qui, penché sur la terre,
abattait du menu bois à grands coups de
cognée. Un enfant de dix ans, son fils
sans doute, ramassait lestement les
branches dans la neige et les liait en pe-
tits fagots. Ni l'un ni l'autre ne leva la
tête pour regarder passer le train express,
et du plus loin que je les aperçus en
poursuivant ma route, ils me parurent
uniquement absorbés par le travail.
Ce spectacle de bon augure m'a pour-
suivi partout : sur les bords de l'Adria-
tique comme sur le versant de la Médi-
terranée, au Nord et au Midi, dans la
montagne et dans la plaine, je n'ai vu
que des hommes activement occupés
de leur pain. Les habitants des pays fer-
tiles taillaient leurs mûriers, labouraient
ou piochaient la terre au pied des vi-
gnes et des oliviers ; les montagnards de
l'Apennin combattaient pied à pied l'é-
croulement sans fin de cette montagne
argileuse qui fond dans l'eau de pluie et
s'écoule en torrents vaseux vers les deux
mers. Les uns déblayaient les cailloux
amoncelés sur la terre végétale, les au-
tres bâtissaient de petits murs pour sou- J
tenir leurs petits champs ; d'autres, plus
étonnants encore, remontaient à force de
bras l'humus qui tend toujours à descen-
dre. C'est au prix d'efforts surhumains
que l'Italie est devenue et restée le jar-
din de l'Europe. -
Dans les villes, petites ou grandes,
j'ai vu partout des hommes qui culti-
vaient le commerce, l'industrie, les
sciences et les lettres avec le même
acharnement que les ruraux mettaient à
cultiver leur jardin. Tous ces gens-là
font ce qu'ils font et se préoccupent
assez peu de tout le reste. La politique,
par exemple , est le cadet de leurs
soucis ; ils n'ont pas l'air de dire : je
cultiverai mon jardin l'année prochaine,
si le gouvernement, l'opposition et le
hasard combinés mènent à bien les af-
faires publiques. Chacun taille ou lie son
fagot, chacun pousse la bêche ou abat
vigoureusement la pioche sans lever les
yeux sur le train qui apporte les nou-
velles du Parlement.
Les électeurs eux-mêmes, tout privilé-
giés qu'ils sont, font assez bon marché de
leur droit souverain. Dans les derniers
jours de décembre, il y avait sept dé-
putés à élire dans divers colléges : les
électeurs coururent aux urnes dans la
proportion d'un sur dix, les neuf autres
restèrent à cultiver leur jardin. Au pa-
lais de Monte-Citorio, j'ai eu le plaisir
d'assister à une séance de la Chambre;
sur 510 députés, j'en comptai 80, y
compris un ministre : je m'informe des
autres, on me dit qu'ils sont tous à cul-
tiver leur jardin.
Ceux qui placent la politique au-dessus
de tout pourront dire que ces mœurs
laissent à désirer; mais un économiste
ou simplement un homme de bon
SSns répondra que le chômage des poli-
ticiens n'a jamais mis un peuple sur la
paille, tandis que la suspension du tra-
vail ordinaire, naïf, obscur, ruinerait en
six mois le pays le plus fortuné.
Lorsque j'eus repassé le tunnel et re-
vu ma chère patrie, je rencontrai près de
Modane un brave Savoisien qui faisait
des fagots, lui aussi, avec l'aide de sa
femme. Ils travaillaient en conscience,
mais ce n'était pas sans lever la tête de
temps à autre et sans consulter l'horizon,
comme s'ils avaient craint d'y voir ap-
paraître un point noir.
Ce mouvement est familier à tous les
paysans français, et si vous observez
avec un peu d'attention, vous constate-
rez que leur regard inquiet se dirige
invariablement vers Paris ou Versailles.
Il semble que tout soit toujours en
question et que nul ne soit sûr de récol-
ter ce qu'il sème sans quelque tolérance
d'en haut. Les commerçants et les in-
dustriels travaillent parce qu'il le faut
bien, mais d'un médiocre appétit, parce
qu'ils n'ont jamais entière confiance.
Ils disent unanimement que les affai-
res iraient bien s'il n'y avait quelles
aÏÏaîretf, mais ils ont toujours peur que
ces messieurs ne mettent la France à
l'envers. Quels messieurs ? Je ne sais,
et j'arrive de trop loin pour porter un
jugement téméraire; mais il me semble,
à vue de pays, que la France est placée
dans de plus mauvaises conditions que
les Etats voisins, parce que le présent,
dont tout le monde s'accommode, est
mis en question chaque jour par une mi-
norité remuante ; parce qu'un petit nom-
bre de politiciens médiocres et ambitieux
s'obstinent à préparer un lendemain
gros de tempêtes, et parce que la cultu-
re acharnée des intrigues monarchiques
inquiète des millions de bonnes gens qui
cultivent leur jardin.
ABOUT.
——————— » ———————
ÏOURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 28 janvier 4875.
Toujours calme plat ; pis encore, la dis-
ussiou à Versailles semble prise dans les
laces. La débâcle est annoncée pour jeudi.
Au début de la séance, le dépôt d'une
roposition de loi effectué par M. Tirard et
lusieurs de ses collègues; l'urgence en
st votée à une immense majorité. Si
ous signalons cette proposition, c'est
u'elle indique un certain retour sur le
vote des matières premieres ; i exception,
dans le cas actuel, vise principalement la
tabletterie, les vernis et en général ce qu'on
appelle l'article Paris. MM. Tirard, Tur-
quet et Warnier, signataires de la pro-
position, sont trois membres de la gau-
che ayant toujours soutenu le gouverne-
ment; M. Leurent, le quatrième signataire,
est un grand industriel qui appartient au
centre droit, mais ne peut être considéré
comme hostile à M. Thiers. Nous avons
fait attention au vote ; il était considérable
en faveur de l'idée libre-échangiste. M. le
président de la République fera bien d'y
prêter attention : là est la pierre qui peut
le faire trébucher ; lorsque viendra la dis-
cussion des traités de commerce, les con-
victions industrielles feront beau jeu aux
rancunes politiques. Mais ne voyons pas
plus loin que le bout de notre séance !
Il s'agit de savoir si dorénavant un jour
de la semaine sera exclusivement consacré
au travail des commissions et rayé du
nombre des séances publiques. Cette pro-
position, déjà vieille, — mais toujours
jeune et aimable à nos yeux, — est de M.
Flottard.
M. Paris (du Pas-de-Calais) occupe la
tribune; on fait tellement de bruit dans
la saiie que nous n'eluenaons que ces
mots ; « Députés qui habitent Versail-
les et députés qui habitent Paris. Députés
jeunes, valides et députés invalides. » Il
paraît que M. Paris établit des catégories
de députés.
Eh bien ! nous aussi, nous allons établir
des catégories! car les opinions sont bien
faites d'avance. Il y a : le député bûcheur,
et, en opposition, le député que son inex-
périence écarte de toute commission ; le
député qui craint la dissolution et croit
qu'une absence régulière d'un jour le per-
drait dans l'esprit de ses mandants; le dé-
puté qui, manquant irrégulièrement à telle
ou telle séance, ne tient pas à avoir l'air de
ne point siéger quand il peut ne pas siéger
sans en avoir l'air. Il y a tous ces députés-
là contre nous ; nous sommes perdu, nous
le sentons !
Car nous sommes fort partisan du pro-
jet. Non, ne riez pas ! Ce n'est point seu-
lement une question personnelle ; le bien
général nous semble en cause. Les commis-
sions n'ont pas le temps matériel de tra-
vailler, nous l'avons dit et redit cent fois ;
elles apportent à la discussion des projets
qu'on leur renvoie ; de là une perte de
temps considérable. Ne vaudrait-il pas
mieux bien étudier d'avance ce que l'on va
discuter ?
M. Flottard défend son projet. Mais,
alors, M. Paris l'attaquait donc ?.. M. Pa-
ris, que nous appelions dernièrement Pa-
ris-Becoîton, devient aujourd'hui le Paris
du foyer.
M. de Ventavon à présent ! et avec un
dossier complet, pour une pareille ques-
tion ! Les murmures se changent en cris.
M. de Ventavon parle néanmoins et com-
bat le projet. LesLorgerilset les Dahirels de
la droite approuvent.
M. Flottard riposte. Cela menace de
devenir interminable. M. de Tillancourt
apparaît. Cette fois la salle s'insurge.
Il y a un amendement au projet : M.
Fie ttard indiquait le mercredi pour n'avoir
pas séance publique; M. de la Sicotière
demande le samedi. M. de la Sicotière est
un malin. Songez donc : le samedi, joint
au dimanche, cela fait deux jours, pendant
lesquels on peut aller à la chasse, pendant
lesquels. Un jour, ce n'est rien; deux
jours, c'est énorme! -Etle travail des com-
missions? Ah! oui, le travail des commis-
sions. Eh bien! on le remet au samedi
suivant.
Adieu, beaux rêves : 339 voix contre 273
repoussent le projet. Et encore nous l'a-
vons échappé belle. Si M. le président ne
s'était pas aperçu à temps du traître li-
bellé de la proposition, nous n'avions pas
le jour de congé, mais - nous avions une
heure en plus de séance tous les jours!
Cet acte Spartiate, une fois accompli
bien officiellement aux yeux du pays, la
salle s'est vidée en un clin-d'œil. M. Mar-
cel Barthe traitait les associations syndi-
cales agricoles.
C'était d'un gai!.. Et, cependant, si
l'oreille percevait mal les sons, l'œil per-
mettait quelques récréations. Il se pas-
sait d'intéressantes choses au coin de
droite.
Ce coin est le duché de M. de Laroche-
foucauld-Bisaccia. Et il y avait vraiment
grande réception à la petite cour de M. le
►énawr les légitimistes abondaient, anxieux,
parlant à voix basse ; même des députés
qui, d'habitude, ne fréquentent guère ce
coin, flânaient par là, comme par hasard, et,
se trouvant nez à uez avec M. de Laroche-
foucauld-Bisaccia, lui donnaient de chau-
des poignées de main. M. de Soubeyran
était un de ceux-là.
M. de Soubeyran passe pour avoir un
pied dans quatre camps - — situation
bien difficile pour un bipède! — mais,
pour que M. de Soubeyran mette ses
deux mains à la fois dans celles de M.
de Larochefoucauld-Bisaccia, il faut qu'il
y ait quelque chose de grave, car, chez cet
homme politique, la main droite ignore
volontiers ce que fait la main gauche.
Il y a quelque chose, c'est sûr; ce quel-
que chose n'est peut-être pas certain, ab-
solu, mais tout au moins il flotte dans
l'air. Et dans le creux de l'oreille,
on nous conte une petite histoire. La voici.
Prenez-la pour ce qu'elle vaut, c'est-à-dire
pour une forme vague, destinée peut-être
demain à prendre de la consistance et à
accuser ses contours, peut-être aussi née
tout simplement des bruits de fusion qui
voletaient ces jours derniers.
On dit qu'une missive a été envoyée par
M. le duc de Larochefoucaud-Bisaccia à
M. le comte de Chambord, et que cette
missive est relative à la fusion. On dit qu'il
s'agit d'une combinaison de couleurs qui
sauvegarderait les amours-propres de toutes
les branches. On dit que M. de Loroche-
foucauld-Bisaccia attend une réponse par té-
légraphe. On dit enfin que sila réponse est
telle que la souhaite M. le duc, M. le comte
de Paris partira immédiatement pour
Froshdorf.
Et M. de Larochefoucauld-Bisaccia at-
tend. M. Depeyre, le président légitimiste
de la droite, va, vient comme une âme
en peine :
— Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?
— Je ne vois, semble répondre M le
duc, que Marcel Barthe qui verdoie à tra-
vers les campagnes, en quête de ses asso-
ciations agricoles.
Et M. Chaurand, le baron du pape, s'ar-
rête aussi an dushé du coin :
— Sœur Anne, ma sœur Anne, ne vois-
tu rien venir?
— Hélas ! je ne vois que Barthe qui pou-
droie et s'évanouit en poussière, car son
projet vient d'être repoussé.
Et l'aiguille s'allonge sur le cadran, et
le temps s'avance, et les tribunes se vi-
dent. Pas de dépêche ! toujours pas de
dépêche !
M. le duc a pris le train ae cinq neu-
res; la dépêche était peut-être à Paris.
Nous le répétons : ceci n'est qu'une lé-
gende, mais une légende qui avait quelque
crédit dans la droite. Et l'on se demande
si la légende ne pourrait pas devenir bien-
tôt de l'histoire lorsqu'on songe à la va-
riété politique que publiait hier le Journal
de Paris, organe de l'orléanisme, agitant
simultanément le drapeau blanc et le dra-
peau tricolore, les mariant, les entremê-
lant, et nous éblouissant à force de nous
faire voir. des couleurs.
PAUL LAFARGUB.
- ————————
DEVINE SI TU PEU !
Sûrement Boileau lisait dans l'avenir
et prévoyait la commission des trente
quand il a dit :
Ce qui se comprend bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Messieurs les commissaires ont si grand
peur de s'entendre avec le gouvernement
qu'ils ne s'entendent pas entre eux; de
cette langue française dont la clarté
est proverbiale, ils font un galimatias
impénétrable; par eux les mots sont
mis à la torture ; on veut leur faire
avouer des choses qu'ils n'ont jamais
dites; et, pour suivre les travaux de la
commission, il faudrait un lexique spécial.
Je parierais volontiers que pas un de
nos lecteurs n'a eu l'héroïsme de dé-
chiffrer jusqu'au bout l'indéchiffrable
grimoire publié par la presse sous le
titre de : « Compte-rendu de la séance
de la commission des trente du 27 jan-
vier. » Nous qui ne reculons devant au-
cun péril, nous avons trois fois sur le
métier remis l'ouvrage de ces messieurs,
et nous n'étions guère plus avancé la
troisième fois que la première.
Nous voulons, néanmoins, essayer de
recueillir nos esprits et de traduire en
langue vulgaire les élucubrations si sa-
vamment compliquées des trente doc-
teurs ès-modus vivendi qui donnent leurs
consultations à Versailles.
On sait déjà que la grosse affaire,
dans la dernière seance, était de décider
si le président de la République serait
admis, et dans quelles conditions, à in-
tervenir dans les débats parlementaires
motivés par des interpellations.
La sous-commission n'y avait pas été
par quatre chemins. Considérant que,
lorsqu'il s'agit de tuer un ennemi, le
mieux est de le viser en pleine poitrine,
elle avait carrément proposé de voter
un article ainsi conçil ;
« Les interpellations ne peuvent être
adressées qu'aux ministrÓ., et non au
président de la République. »
C'était simple, c'était net. Du coup, le
président de la République était déca-
pité ; il passait à l'état du fameux inva-
lide à la tête de bois , il régnait to ci-
jours, mais ne gouvernait plus ; la
France était sauvée !
Il ne faut pus perdre de vue, en effet,
que la majorité clérico-ducale poursuit
toujours son même but, qui est d'établir
contre la France un gouvernement de
combat. Pour y arriver, elle sait fort bien
qu'il faudrait attaquer de front la place
foi te, c'est-à-dire, le pouvoir exécutif;
mais ses tentatives à ciel ouvert ont
été si malheureuses jusqu'à ce jour
qu'elle a pris la résolution de cheminer
à l'aide de chemins couverts, qui lui
permissent de pousser tout doucement,
sans coup férir, jusqu'au cœur de la
citadelle, après avoir pris un à un tous
les postes avancés, nous voulons dire
tous les ministères.
Le moyen consistait à interpeller les
ministres les uns après les autres, sans
permettre au président de la République
d'intervenir dans la discussion et de
transformer en question de gouverne-
ment une question ministérielle.
Mais, voilà le diable ! l'article de la
sous-commission, dont nous venons de
donner le texte, a fait tomber une
grêle d'amendements. Celui-ci demande
qu'une exception soit introduite dans la
loi pour permettre au président de la
République de se fairo entendre toutes
les fois que les interpellations seront re-
latives aux affaires étrangères ou qu'elles
se @ rapprocheront de la politique géné-
rale' du gouvernement.
La commission refuse.
Celui-là demande la même chose, à
cela près que dans les questions de po-
litique intérieure le président ne sera
admis à prendre la parole que si les
actes faisant l'objet de l'interpellation ont
été délibérés en conseil.
La commission refuse.
Un troisième spécifie que, pour ce qui
concerne la politique extérieure seule-
ment, le président pourra intervenir dans
la discussion.
Cet amendement est pris en considé-
ration. Notez bien que nous ne disons
pas voté, car si vous ne saisissiez pas bien
la nuance, il vous serait impossible d'al-
ler plus avant dans le labyrinthe où je
me vois obligé de vous entraîner.
Nous voici arrivés à un amendement
capital. Il est de M. Broët, et conçu en
ces termes :
« Néanmoins, si le ministre interpellé
pense que, vu la nature et la gravité du
débat, il est opportun que le président
de la République soit entendu, il peut
en faire la proposition à l'Assemblée, qui
en décide, mais il n'est rien changé aux
dispositions du paragraphe 2 de l'ar-
ticle 1er, et la délibération a lieu hors la
présence du président de la République. »
Cet amendement est pris en considé-
ration.
Et maintenant, récapitulons :
1° On ne pourra interpeller que les
ministres.
2° Il serait bien possible qu'on pût
aussi interpeller le président.
30 Il se pourrait faire que, dans un
cas déterminé, et avec le consentement
de l'Assemblée, le président fût mis en
cause dans une interpellation et autorisé
à venir se défendre en personne.
Je ne crois pas qu'il soit possible d'en-
tasser autant d'idées incohérentes et
de les discuter sérieusement, sans un évi-
dent parti pris d'embrouiller la ques-
tion la plus simple qui fût jamais au
monde.
Veut-on, oui ou non, que le président
de la République ait le droit de se faire
entendre de l'Assemblée ?
Si ouij nous avons déjà prouvé, et le
1 1 1. - ,! 1
Don sens le prouve sans réplique, qUIl
est impossible de créer des catégories
d'interpellations, les unes permettant,
les autres interdisant au chef du pouvoir
exécutif de prendre part aux débats
qu'elles soulèvent.
Sinon, pourquoi ne pas s'en tenir à
l'article 3 tel qu'il est sorti des mains de
la sous-commission? Au moins tout le
monde comprendrait; tout le monde ver-
rait clair dans les intentions de la ligue
monarchique. On se dirait : ils veulent
se débarrasser du président, mais ils
ne le peuvent ni ne l'osent ; ils se con-
tentent de le réduire à l'état d'accessoire.
Au lieu de cela, on a l'air de lui faire
une concession, de lui conserver un
rôle, quand, en réalité, on fait de lui un
figurant de dernier ordre. De même
que la commission a fait semblant, dans
l'article 2, d'accorder une apparence de
veto au président, de même, dans l'arti-
cle 3, elle se prépare à feindre de lui
donner la parole dans certains cas excep-
tionnels. Mais, qu'il s'agisse de la pro-
mulgation d'une loi ou d'une interpella-
tion sur la politique, l'Assemblée prétend
demeurer maîtresse d'accorder ou de re-
fuser à M. Thiers les prétendues préroga-
tives que la commission des trente parle
de lui accorder.
Tout cela, heuriusement, est encore
plus puéril que perfide. Les trente s'a-
musent ; leurs amis leur avaient deman-
dé une forteresse pour y loger leurs
espérances monarchiques à l'abri des
messages présidentiels ; ils n'ont su que
construire un château de cartes; quand
le bon sens public aura soufflé dessus,
il n'en restera plus trace.
E. SCHNBRII.
————————————— +» -—————————————
LES GOGOS
Le hasard fait qu'en venant aujour-
d'hui faire une visite au bureau de rédac-
tion, j'ai rencontré le vieux concierge
d'une maison que j'avais habitée. Ce
brave m'a conservé son estime et m'ho-
nore de quelque amitié. Je vis sur son
visage, jadis étoffé, plein et riant, comme
une ombre de tristesse qui l'obscurcis-
sait. Il me souhaita le bonjour d'un air
si navré que je lui demandai s'il avait
éprouvé quelque grand chagrin.
Du chagrin ? je crois bien qu'il en
avait, le malheureux !
— Ah ! monsieur, me dit-il, nettoyé !
je suis nettoyé ! mes pauvres économies!
il faut même que je vous consulte, vous
qui êtes dans les journaux.
Le pauvre diable avait eu l'imprudence
de mettre tout ce qu'il possédait dans
une de ces mille affaires véreuses qui
fourmillent sur le pavé de la Bourse ; le
banquier était en fuite à Bruxelles, les
scellés sur la maison ; on avait trouvé
quatre francs et douze sous dans la caisse.
— Tout est perdu, monsieur, répétait-
il, tout est perdu.
— Mais pourquoi, diantre, n'achetiez-
vous pas tout bonnement de la rente
française ? ,
Et au lieu de répondre a cette ques-
tion si simple, cet excellent concierge,
s'animant à mesure qu'il parlait de son
désastre, ne cessait de me dire que tout
ça, c'était la faute du gouvernement,
qu'il devrait empêcher les gens de Bourse
de tromper le pauvre monde et de le
dépouiller.
Et moi, je revenais obstinément à ma
première demande :
— Mais pourquoi, diantre ! n'acheliez-
vous pas de la rente ?
Je ne pus naturellement lui donner
d'autre conseil que de prendre son parti
de cette déconvenue, et de se remettre
au travail sur nouveaux frais ; et il me
quitta, en accablant les gredins qui l'a-
vaient volé des plus énergiques malédic-
tions.
— Et, au fait, me disais-je, en des-
cendant la rue des Martyrs, pourquoi cet
imbécile n'a-t-il pas pris de la rente
française? De quoi se plaint-il? Il n'a
que ce qu'il mérite. C'était si facile pour-
tant de prendre la rente française !
Oui, sans doute, mais la rente fran-
çaise ne donne que cinq et demi, six au
plus ; un joli revenu cependant ! tandis
que le Mississipi — je dis le Mississipi
comme j'en nommerais un autre, ne
connaissant pas grand cnose a tous les
Afghanistan s de la Bourse — tandis que
le Mississipi promet quatorze.
Quatorze ! voilà qui est tentant.
Notre homme ne réfléchit point qu'un
Etat ou un simple particulier qui en est
réduit à emprunter à quatorze doit être
terriblement près de ses pièces ; que pro-
mettre et tenir sont deux; qu'il emportera
l'argent des souscripteurs alléchés par
l'appât des dividéndes, et qu'au moment
de les payer, il se dérobera vraisembla-
blement par une faillite.
Il se laisse prendre, à 'moins qu'au
lieu d'être une dupe, il ne soit lui-même
un fripon, et qu'il n'ait fait ce raisonne-
ment fallacieux : La valeur que j'achète
ne vaut pas grand chose, je le sais bien ;
mais je ne serai pas assez bête pour la
garder ; aussitôt qu'elle montera, je m'en
déchargerai sur le dos d'un autre, qui
boira le bouillon.
C'est ainsi que raisonnent, à ce qu'il
paraît, nombre de cuisinières, de por-
tières et autres vieilles joueuses de pro-
fession, que ce journal nous représentait
hier se repassant, aux alentours de la
Bourse, des actions qu'elles savaient sans
valeur, et faisant sur ces papiers des
hausses ou des baisses factices, dont
elles tâchaient de profiter.
Je ne sais pas dans laquelle de ces
deux catégories il faut ranger mon con-
cierge. Peut-être est-il un naïf, ou,
comme on disait jadis, un gogo; peut-être
est-il un malin qui n'a pas eu de chance,
un voleur qui a été volé.
Je ne m'en soucie guère après tout :
qu'il soit l'un ou l'autre, il n'est pas fort
digne de pitié, et il s'est lui-même attiré
le malheur dont il geint.
Vous rentrez chez vous à une heure
du matin; vous tombez sur un voleur
qui vous force à donner votre argent
et votre montre. C'est un accident cruel
dont il faut vous plaindre; car vous n'y
êtes pour rien, et ce n'est pas votre
faute.
Mais à qui vous en prendre qu'à vous-
même quand vous écoutez les promesses
d'un charlatan qui vous promet qua-
torze pour cent, quand l'intérêt ordinaire
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