Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-08-06
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 06 août 1891 06 août 1891
Description : 1891/08/06 (N7818). 1891/08/06 (N7818).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine commune
Description : Collection numérique : La Commune de Paris Collection numérique : La Commune de Paris
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7544390d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
l\fl) 7818 — Jeudi 6 Août 1891
19 Thermidor an 99 — W 7818
CINQ centimes le numéro
RÉDACTION
131, RUE MONTMARTRE, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA REDACTION
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir h minuit
jjûo MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SERONT PAS RENDUS
ADMINISTRATION
131, RUJE KOMARTBE, 131
Adresser lettres et mandate
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANI
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et O
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
US HOIIJ 2 FR.
TROIS MOIS. 5 —
SIX MOIS 9 FB.
UN AN 18-
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQOERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS 2 FB.
TROIS 11018. 6 -
SIX MOIS. 11 PL
UN AN. 20-
Les bureaux du RAPPEL (rédac-
tion et administration), sont trans-
férés 131, rue Montmartre.
Le RAPPEL est entièrement im-
primé en caractères neufs.
CHOIX D'ALLIANCES
Mon opinion sur la visite de notre
escadre du Nord à l'Angleterre avait
déjà contre elle M. de Kérohant : elle a
encore M. Edouard Hervé.
Outre les raisons qui m'ont été oppo-
sées précédemment, le rédacteur en
chef du Soleil a celle-ci : que notre
visite à Portsmouth peut empêcher
l'Angleterre de quadrupler la triple
alliance et peut, au contraire, faire
d'elle notre alliée.
Empêcher l'Angleterre de quadru-
pler la triple alliance? Mais elle l'a qua-
druplée, dites-vous. C'est fait. C'est
même à peu près avoué.
— Non, répond M. Edouard Hvé.
« L'Angleterre n'a pas pris d'enga-
gements irrévocables. Elle n'en a
pris qu'avec l'Italie, et elle s'en déga-
gerait le jour où elle serait rassurée
sur sa situation en Egypte. » Que la
France lui fasse cadeau de l'Egypte, et,
au lieu de se mettre avec la triple
alliance contre nous, elle se mettra avec
nous contre la triple alliance.
Vous hésitez à y croire ? Mon émi-
nent confrère a deux arguments.
Le premier, c'est que l'empereur
d'Allemagne n'a réussi qu'à moitié à
Londres. — « Le public s'est montré
poli, mais froid. Le cabinet Salisbury,
malgré ses sympathies peu dissi-
mulées pour l'Allemagne, a compris
cette indication et en a tenu compte. »
Ah! oui, il en a joliment tenu
compte! C'est pour faire droit à la
« froide politesse » du public anglais
envers l'empereur d'Allemagne que
lord Salisbury a prononcé au banquet
du lord-maire la phrase qui fait de
l'Angleterre l'aide du tourmenteur de
l'Alsace et de la Lorraine :
— « Nos alliés sont ceux qui dési-
rent le maintien de la situation terri-
toriale actuelle »?
M. Edouard Hervé sent lui-même
l'impossibilité de conclure de cette
phrase que lord Salisbury ne demande
pas mieux que de faire de l'Angleterre
l'alliée de la France. Mais — c'est son
second argument -les élections par-
tielles, depuis quelque temps, annon-
cent un retour de l'Angleterre vers M.
Gladstone. Et le jour où M. Gladstone
remplacerait lord Salisbury, quelle
Angleterre nous aurions ! « Le change-
ment de personne faciliterait un chan-
gement de politique. » L'Angleterre
deviendrait subitement la tendre amie
de la France et de la Russie. Et
quelle « triple alliance », celle de la
Russie, de l'Angleterre et de la France!
L'autre en mourrait.
Le directeur du Soleil ne se dissimule
pas les difficultés qu'il y aurait à faire
de l'Angleterre la tendre amie de la
Russie. Mais nos diplomates sont si
habiles. Ils ont fait leurs preuves.
A la même page où le rédacteur en
chef du Soleil recommande si chaleu-
reusement l'alliance de la Russie, de
l'Angleterre et de la France, un rédac-
teur du Soleil en recommande une toute
contraire.
— « Un fait reste désormais indis-
cutable, écrit ce rédacteur. La France,
isolée depuis vingt ans, tenue depuis
vingt ans en quarantaine par tous les
grands Etats d'Europe, peut aujour-
d'hui compter sur l'appui du grand
empire russe. La Russie, isolée depuis
quatorze ans par la coalition de l'Eu-
rope centrale, compte aujourd'hui une
solide alliée, la France. Et, comme tout
sourit aux puissants et aux forts, cer-
tains signes précurseurs font-prévoir,
dans un prochain avenir, 4'accession
à la ligue franco-russe de la Suède, du
Danemarck, dela Grèce et des Etats-
Unis d'Amérique, ces vieux rivaux de
l'Angleterre, ces vieux amis de la
France. Ceux qui nous font l'honneur
de nous lire savent que, dans ce jour-
nal, nous n'avons jamais eu d'autre
but que celui-là. »
Alliance avec l'Angleterre à la pre-
mière colonne, alliance avec les enne-
mis de l'Angleterre à la quatrième, ça
ne fait pas un seul but, ça fait deux
buts. Ce qui semble ressortir de là,
c'est que la France, si longtemps iso-
lée, a maintenant l'embarras du choix.
Différence de 1891 avec 1870 et de
la République avec l'empire.
AUGUSTE VACQUERIE.
L'ARMÉE ET LA MARINE AU PARLEMENT
L'élection du général Japy comme
sénateur de Belfort, qui a eu lieu di-
manche dernier, ramène au Luxem-
bourg un représentant de l'élément mi-
litaire qui, après avoir été nombreux
dans la haute assemblée, a fini par être
réduit à des proportions très restreintes
par l'effet combiné du changement de
législation et des renouvellements suc-
cessifs.
On sait, en effet, que tandis que l'accès
de la Chambre a été constamment inter-
dit aux militaires en activité de service,
celui du Sénat leur à été ouvert jusqu'en
1884. Ce n'est qu'en décembre 1884,
qu'une loi a assimilé presque complète-
ment le Sénat à la Chambre pour les
règles d'incompatibilité. Depuis sept
ans les militaires et marins en activité
de service ne peuvent plus faire partie
du Parlement; il n'y a d'exception que
pour les officiers placés dans le cadre de
réserve et pour ceux qui, maiiitenus à
l'activité comme ayant commandé en
chef devant l'ennemi, ont cessé d'être
pourvus de commandement.
Toutefois, la loi de 1884 donne l'accès
du Sénat aux maréchaux et aux amiraux,
tandis que la loi du 30 novembre 1875
leur interdit l'entrée à la Chambre. C'est
la seule différence de régime qu'il y ait,
à ce point de vue, entre les deux Cham-
bres.
Actuellement, il n'y a plus au Sénat
qu'un maréchal, six généraux, trois co-
lonels et un capitaine.
Le maréchal est le maréchal Canrobert.
Les généraux sont les généraux d'An-
digné, Billot, Brémond d'Ars, Deffis,
Espivent de la Villeboisnet et Grévy.
Tous sont au cadre de réserve, sauf le
général Billot qui, étant en activité au mo-
ment du vote de la loi de 1884 et n'étant
pas soumis au renouvellement triennal,
puisqu'il est inamovible, a pu conserver
des fonctions actives, la loi n'ayant pas
d'effect rétroactif.
Les colonels sont MM. de Chadois,
Meinadier et Tézenas et le capitaine M.
Margaine, tous en retraite.
Le Sénat compte en outre dans ses
rangs trois vice-amiraux : MM. Halna
du Fretay, Peyron et Véron.
La Chambre renferme trois généraux :
MM. de Frescheville, Lacretelle et Tri-
coche, et deux amiraux, MM. Dompierre
d'Hornoy et Vallon.
Par contre, elle possède dix-huit an-
ciens officiers de grades au-dessous de
celui de général : ce sont MM. d'Aren-
berg, de Choiseul, Déroulède, d'Elva,
Le Hérissé, de la Ferronnays, Laisant,
de Lanjuinais, de Maillé, Maujan, de
Montalembert, de Montfort, de Mun, de
Plazanet, de Ponlevoy, Reille et Royer
pour l'armée de terre, et MM. de Dou-
ville-Maillefeu, Farcy et Le Myre de
Vilers pour la marine.
L'EXPÉDITION AU GROENLAND
Le mois dernier, une expédition est
partie de New-York. Elle compte seize
personnes en tout, dont une femme. Elle
a cet objectif: la découverte, la conquête
du pôle Nord.
Une originalité, une nouveauté de cette
expédition, c'est que, délaissant la voie
de mer que barre cette infranchissable
banquise contre laquelle tous les efforts
se sont jusqu'à présent brisés, elle a ré-
solu d'essayer de la voie de terre. A
Uperniavik, sans doute, elle quittera son
navire, et, au moyen de traîneaux attelés
de chiens esquimaux, elle se dirigera, à
travers le Groenland, vers le nord. L'idée
est hardie, bien faite pour séduire des
esprits aventureux.
Eu effet, les côtes orientales, occiden-
tales et méridionales du Groenland sont,
tant bien que mal connues, mais jusqu'à
quelle latitude cette terre sauvage et dé-
solée s'étend-elle vers le nord, voilà ce
qu'on ignore. Celui qui s'est avancé le
plus en suivant la côte du Groenland,
Lockwood, de l'expédition Greely, n'a pu
dire si la terre finissait là ; son récit
donne plutôt à croire qu'au contraire elle
s'étend loin encore. Jusqu'où ? Pourquoi
pas jusqu'au pôle ? Si on allait voir!. Et
ceux qu'ont mordus au cœur cette noble,
cette sainte curiosité, ce désir, ce besoin
de savoir qui seuls peuvent élever
l'homme au-dessus de l'humanité même,
ceux-là sont partis.
Reviendront-ils? Ils tentent la plus pé-
rilleuse des entreprises. Beaucoup, déjà,
beaucoup d'hommes au cœur vaillant,
au corps robuste, se sont élancés, pleins
d'ardeur,vers l'inaccessible but, vers cette
citadelle aux infranchissables remparts
de glace où se cache le secret du pôle.
Beaucoup sont restés là-bas endormis
du dernier sommeil, sous la neige; et
celui dont je viens d'écrire le nom, l'hé-
roïque Lockwood a payé de sa vie l'im-
mortelle gloire d'avoir, sur la route de
l'inconnu, dépassé de quelques centaines
de mètres son illustre prédécesseur
Marckham, de l'expédition Nares. Le
souvenir de tant de souffrances, de tant
de deuils, de tant de catastrophes, serait
bien fait pour glacer d'effroi à jamais nos
cœurs timides, et il est beau, oui, il est
beau — et, homme, j'en éprouve une
fierté — qu'il se trouve encore aujour-
d'hui, après ces désastres répétés, des
hommes pour regarder en face l'effrayant
problème et, sachant qu'ils ont peu, bien
peu de chances de revenir, ayant fait le
sacrifice de leur vie, pour * dire : Al-
lons-y!
Parmi eux est une femme. Son mari
est le commandant de l'expédition. Elle
n'a pas voulu le quitter. Elle n'a pas
voulu rester à la maison tandis qu'il irait
affronter les effrayants dangers du
voyage. Sans doute, on .a essayé de la
dissuader de ce projet; on lui a parlé des
épreuves sans nombre qui l'attendaient,
la faim, la soif, la fatigue écrasante, le
scorbut, qui ronge peu à peu l'individu
et fait de la sombre mort une libératrice.
Rien n'a pu ébranler sa résolution.
« J'irai avec mon mari », a-t-elle répété.
Qui ne saluerait, religieusement ému,
cette femme? Et l'on se rappelle Mme
Baker qui refusa, elle aussi, de laisser
s'éloigner sans elle son mari au milieu
de l'Afrique, qui l'accompagna partout,
qui l'aida à triompher des obstacles
qu'accumulaient sur son chemin le mau-
vais vouloir de la nature et la perfidie
des hommes, et qui eut cette suprême
récompense de découvrir avec lui le lac
Albert, la seconde source du Nil. Sir
Samuel White Baker a pieusement re-
mercié, dans le récit de son voyage, sa
compagne dévouée « qui ne m'avait ja-
mais quitté, et dont le courage avait fait
ma force, tellement qu'après Dieu c'était
à elle surtout que je devais le succès de
mon entreprise. » Puisse semblable des-
tinée être réservée à la femme du com-
mandant de l'expédition du Groenland!
Il y a des moments où de l'homme le
plus fort le cœur frissonne et faiblit, des
moments où dans les âmes les' mieux
trempées se glisse le doute ; — le sou-
rire d'une femme peut alors rendre
l'espérance et la foi. Combien eussent
succombé, se fussent, à bout de force,
croyaient-ils, étendus, renonçant à la
lutte, dans les fossés du chemin, si, à la
minute où tout croulait autour d'eux, la
main d'une femme ne s'était posée sur
leur épaule, si le regard de la chère
créature ne les avait rappelés au cou-
rage, au devoir.Si l'expédition du Groen-
land triomphe, là où tant d'autres, avant
elle, ont échoué, si nous les voyons re-
venir, ces héroïques découvreurs, pâles,
amaigris, sans doute, se traînant à
peine, mais ayant sur leurs faces ra-
vagées et dans leurs yeux creux l'or-
gueil de la victoire, qui sait s'ils ne l'au-
ront pas dû, ce succès qui les fera en-
vier de tous les hommes, à la présence
au milieu d'eux, d'une femme ? Je leur
crie : Bon courage ! L'hiver prochain,
quand nous nous enfermerons au coin
du feu, frileusement, portes bien closes,
les pieds dans des pantoufles et que de-
hors soufflera l'âpre bise, nous pense-
rons à eux, n'est-ce pas? à ces voya-
geurs et à cette voyageuse, perdus dans
l'immense nuit polaire, en proie au froid
terrible qui gèle le sang dans les veines,
nous songerons, recueillis, à tous ces
braves partis pour la conquête de cet
idéal, dont, l'autre jour, en Sorbonne, le
ministre de l'instruction publique a si
éloquemment parlé.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
L'ESCADRE FRANÇAISE A CRONSTADT
Nous recevons la dépêche suivante :
Saint-Pétersbourg, 4 août.
Il est difficile de donner une idée de la
fête qui vient d'avoir lieu à Péterhof. Les
trains, les bateaux amenant la foule étaient
pris d'assaut. Imaginez-vous le bois de Bou-
logne, ses lacs, ses avenues, constellées de
diamants, de rubis et de saphirs et vous
aurez à peine une physionomie de la fête. Il
y avait là des milliers de lampions de toutes
les couleurs. Sur le canal qui conduit à la
mer, deux écussons magnifiques aux armes
impériales réflétaient leurs feux sur les
eaux. Partout des chœurs et des orchestres.
A onze heures et demie, après le déjeuner
offert par la famille impériale, on a beau-
coup remarqué l'empressement qu'a mis le
jeune roi de Serbie à présenter ses compli-
ments à l'amiral Gervais.
En revenant de Péterhof, la foule a fait
une ovation à deux matelots du Requin, qui
avaient échangé leurs uniformes avec ceux
de deux marins russes. Un autre incident
curieux s'est produit. Une voiture, dont le
cheval s'était emballé, a versé ses voya-
geurs sur la route. Ceux-ci se sont relevés,
quelque peu contusionnés, en criant : « Vive
la France ! »
Pendant toute la soirée, un nombre consi-
dérable d'embarcations ont entouré les na-
vires français, en rade de Cronstadt. Les
Russes venaient faire leurs adieux à nos
marins. Des hurrahs incessants se sont fait
entendre.
L'escadre est partie à quatre heures pour
Bjerkoë (Sund). Ce soir, à huit heures, l'a-
miral Gervais et les officiers qui l'accompa-
gnent partent pour Moscou, où le maire de
cette ville, M. Alexief, veut se charger seul
des frais de la réception.
On écrit de Saint-Pétersbourg à la Cor-
respondance politique de Vienne:
Jusqu'à présent, l'entente franco-russe
n'était que latente et avait pour but de sau-
vegarder les intérêts communs. Cette en-
tente était menacée d'être minée, par des in-
trigues habilements menées, dans sa base
principale : la confiance réciproque.
Il était donc indispensable d'affermir cette
confiance, qui était ébranlée dans certains
cercles des deux pays. Des deux côtés on
ressentait la nécessité de se donner des
garanties palpables de solidarité. Ce but est
à présent indubitablement atteint par la
visite de l'escadre. Toute autre explication
des incidents de Cronstadt et de Petersbourg
seraient erronée. ».
Le correspondant du Times à Saint-
Pétersbourg télégraphie :
On considère Ici que les paroles pronon-
cées par l'amiral Gervais dans son entrevue
avec le rédacteur du Novoié Vrémia indi-
quent suffisamment l'existence d'une en-
tente franco-russe. L'amiral aurait dit que
les marques de faveur qu'il a reçues de la
famille impériale et les paroles prononcées
par le czar en quittant le Marengo étaient
pour lui des preuves concluantes que les
relations entre la France et la Russie, telles
qu'elles sont établies en ce moment, assu-
rent leur entente en cas de nécessité. -
Le correspondant du Times fait remar-
quer que la visite de l'amiral Gervais au
monastère Alexandre Newski, est un
honneur que l'on accorde rarement aux
étrangers, surtout lorsqu'ils sont héré-
tiques.
M. AUGUSTE VITU
Les nouvelles que nous recevons de
l'état de santé de M. Auguste Vitu sont
de plus en plus alarmantes.
Les médecins déclaraient hier soir que
le malade ne passerait pas la nuit. Sui-
vant leur expression, il était, depuis trois
heures de l'après-midi, entré dans la
crise finale ».
Nous ne pouvons plus formuler d'es-
poir de guérison, mais nous adres-
sons l'expression de toutes nos sympa-
thies à la famille de l'éminent critique.
VIVE LA MOUSTACHE!
Un groupe de garçons restaurateurs et
limonadiers m'écrit pour se plaindre de
M. Marguery, président de la chambre
syndicale patronale.
M. Marguery est l'un de ceux qui ont
le plus approuvé la campagne menée par
les garçons de café pour arriver à l'au-
torisation du port de la moustache, et
c'est lui qui, à présent, se montre le plus
récalcitrant pour accorder à son person-
nel cette autorisation.
Ces plaintes sont fondées; j'étais à la
Bourse du travail le jour où M. Mar-
guery s'est déclaré partisan du port de la
moustache et a donné comme seul motif
du retard qu'il apportait à l'introduction
de cette réforme dans son établissement
la réserve qui lui était imposée pendant
la durée de l'enquête faite à ce sujet par
la chambre syndicale dont il est le pré-
sident.
— Cette enquête finie, je reprendrai
ma liberté d'action, a-t-il ajouté.
Eh bien, mais il y a beau jour qu'elle
est terminée l'enquête, et la liberté que
M. Marguery a eu tout le temps de re-
prendre ne l'a pas beaucoup fait agir.
Son attitude peut paraître bien bizarre
aux intéressés à qui il a fait entrevoir uB
avenir plein de promesses.
Et s'ils se fâchent aujourd'hui, ils me
semblent qu'ils ont rudement raison.
HENRI DREYFUS.
LE TONKIN i
Les nouvelles du Tonkin apportées paï
le dernier courrier sont loin d'être satis-
faisantes. La piraterie a fait des progrès
énormes; nos nationaux ne sont plus en
sûreté, même dans les grandes villes. A
ce point de vue, la lecture des journaux
locaux est des plus instructives. On y
voit que les administrations civiles, ma-
ritimes et militaires ne peuvent s'enten-
dre; on y lit des récits d'expédition qui
n'ont pas réussi.
Il y a un peu plus d'un mois, il s'est
passé au Tonkin un fait d'une gravité
exceptionnelle sur lequel nous devons
appeler, d'une façon toute spéciale, l'at-
tention du gouvernement. Et d'abord,
pourquoi l'a-t-il caché au public? Certai-
nement, il a dû en être avisé par le télé-
graphe. A-t-il pris des mesures pour qu'il
ne se renouvelle pas?
Voici, en quelques mots, ce à quoi nous
faisons allusion. Des pirates hardis et
très nombreux avaient fait de l'île des
Deux-Sougs leur quartier général. De là,
ils se répandaient dans le cœur du pays
qu'ils désolaient par leurs assassinats et
leurs déprédations. On résolut de les cer-
ner et le commandant de la colonne expé-
ditionnaire, forte de 1,500 hommes de
toutes armes, fut confiée au brave colo-
nel Dominé. Personne ne doutait du suc-
cès, à cause même de la valeur du chef
chargé de diriger cette grosse opération.
Et de fait, le colonel Dominé avait
combiné son affaire de telle façon qu'il
devait atteindre son but. Mais, voilà.
Les troupes des douanes coloniales et
l'aviso la Vipère ne sont pas arrivés
à temps. Pourquoi? L'expédition a
échoué totalement et le colonel Do-
miné qui n'a pu empêcher les pirates
de s'enfuir par le passage dont la dé-
fense incombait à la Vipère, a dû reve-
nir à Haïphong. Quant aux pirates, ils
sont de nouveau installés dans l'île des
Deux-Sougs.
Assurément, ce n'est pas la faute du
colonel Dominé ; lui, il a fait son devoir.
C'est celle du gouvernement général, qui.
malgré les pouvoirs étendus dont il jouis-
sait bien avant la nomination de M. de
Lanessan, car l'affaire est antérieure à
l'arrivée de ce dernier dans là colonie,
n'a pas su contraindre les autorités mari-
times à lui obéir.
Voilà la situation. Au point de vue de
la force du gouvernement général, elle
n'a pas changé ; au point de vue politi-
que, elle est telle que la dépeignait M.
Bidault, successeur intérimaire de M.
Piquet, lorsqu'il écrivait dans un rapport
autour duquel on a fait un silence reli-
gieux, des phrases à peu près comme
celles-ci :
« La piraterie augmente; pour vous
donner une idée exacte de son audace, je
vous dirai que tout récemment, à cinq
ou six cents mètres des quais de Haï-
phong où se trouvaient à ce moment tous
les Européens, une jonque, montée par
des pirates, a donné la chasse à un canot
du gouvernement. Si nous n'avions eu
dans le port une canonnière qui a pu
partir sur-le-champ, le canot était coulé
et son petit équipage massacré. »
Au point de vue financier, la situation
est encore pire. Le dernier budget s'est
soldé par un déficit de 12 millions de
francs, et toujours, dans ce même rap-
port, M. Bidault disait :
« Nous en sommes réduits à redouter
qu'en fermant les caisses du Trésor,
comme d'habitude, à dix heures du ma-
tin, nous ne puissions les rouvrir à deux
heures de l'après-midi. Nous n'avons plus
de fonds. »
Feuilleton du RAPPEL
DU 6 AOUT
39
LE
MOULIN AUX conDEAUX
PREMIÈRE PARTIE
LA BRUTE
XXXIV
Les deux complices
- Suite -
- - Ton, ton, ton!. ne nous emballons
pas, mon petit père, riposta Rivalon. Ne
nous emballons pas!. Les quelques
mots que vous venez de dire ont achevé
d1 éclairer ma lanterne. Je la connais dans
les coins, vous savez. Vous voulez de-
mander l'interdiction du comte après
avoir obtenu son internement. On choi-
sira alors, n'est-ce pas? un conseil de fa-
mille parmi vos parents, des créatures à
vos ordres, que vous manipulerez comme
de la glaise et qui, c'est aisé à prévoir,
vous nommeront, vous, tuteur. Avec ce
titre, vous pourrez réclamer l'annulation
de tous les actes antérieurs signés par
Séverin de Lansac et le tour sera joué.
Le naïf Antoine Rivalon et sa gentille
nièce seront collés sous bande !. Le
Reproduction interdite.
Vo*r le Rappel du 29 juin au 5 août.
comte enfermé dans un pensionnat de
Trocadas, ses millions tomberont en
votre pouvoir, alors nibe de braise pour
nous!. On se fouillerai Voyons, c'est-
y ça, ai-je vu clair dans votre jeu?
— Je t'écoute, que t'as vu clair! appuya
Rosa-Bébé.
Césarine et Dorneuil se regardaient,
atterrés; leur plan, celui qu'ils ne s'étaient
même pas avoué l'un à l'autre, qu'ils
avaient secrètement arrêté dans leur
pensée, Rivalon le devinait du coup et le
dévoilait brutalement.
Cette fois, ce n'est plus lui qui était
dans leurs mains; c'était eux qu'il venait
de faire tomber dans les siennes.
Après un instant de silence, Dorneuil
demanda :
- Qu'est-ce que vous gagnerez en re-
fusant d'entrer dans notre combinaison.
- Tout, dit Rivalon.
- Tout 1
— Mais, oui, monsieur. Que le comte
meure libre et ma nièce, s'il n'y a pas de
testament, hérite de- la moitié de la for-
tune de son père; je suis son tuteur et je
gère sa fortune.
— Nous la gérons ! appuya triompha-
lement Rosa.
— Et si la gosse mourait après, reprit
Rivalon, je deviendrais, ne vous en dé-
plaise, son héritier légitime.
Césarine de Lansac réfléchissait.
Elle eut tout à coup une idée.
- Oui, tout cela est bon, fit-elle. mais
vous oubliez quelque chose.
— Quoi donc, s'il voysQlaU
— Le comte est jeune, il peut se marier
et avoir d'autres enfants. Les droits de
Blanche se réduiraient alors et devien-
draient même contestables.
— On pourrait, insinua Rosa, ne pas
laisser au comte le temps de se marier.
— Vous dites?. s'écria Dorneuil, en
fixant des yeux interrogateurs sur Rosa
qui baissait légèrement la tête, craignant
d'être allée trop loin.
A son tour, Rivalon la cogna du
coude.
La drôlesse balbutia quelques mots
inintelligibles.
Elle se disait :
- J'ai fait un impairî
Dorneuil reprit, en s'adressant cette
fois au frère de Denise :
— A mon tour, il me semble, j'ai com-
pris votre pensée. -
— Ah bah ! fit le gredin en regardant
audacieusement, effrontément Maxime,
qui poursuivit :
- — Hier, vous avez menacé le comte; à
cette- heure, vous méditez un crime.
- Eh bien! et vous, s'écria Rivalon,
qu'est-ce que vous méditez donc? Un in-
ternement, une mort lente. dans un ca-
banon de fous. Une agonie terrible!.
— Je puis mettre mon beau-frère en
garde contre vos projets, dit Mme de
Lansac.
— Et moi, je le mettrai en garde con-
tre les vôtres, repartit l'amant de Rosa.
Ce serait peut-être un moyen d'obtenir
ses bonnes grâces 1 Allons-y! cassons du
sucre. A qui le cassera le mieuxl",
— Vous êtes un impudent et un mi-
sérable! murmura Dorneuil, d'ailleurs
sans grande conviction.
XXXV
Les points sur les 1
Le couple de la rue Vicq-d'Azir éclata
de rire.
— Un misérable! répliqua Rivalon,
mais regardez-vous donc dans une glace,
monsieur Maxime Dorneuil, et vous
verrez comme dans ce cas vous nous
ressemblez. Tenez, mettons les points
sur les I. Ne cherchons ni l'un ni l'autre
à nous monter le Job. Voici la chose en
deux mots : Vous nous tenez et nous
vous tenons; vous avez besoin de nous
et nous avons besoin de vous! —En
somme, tous les quatre, nous guignons
une galette formidable. Au lieu de mar-
cher les uns à hue, les autres à dia, vou-
lez-vous que nous tirions ensemble du
même côté?
Dorneuil et Mme de Lansac n'avaient
qu'à obéir.
Ils ne tardèrent pas à le comprendre,
et bientôt, décidés à marcher avec l'oncle
de Blanche, ils interrogèrent Rivalon et
sa maîtresse sur leurs intentions.
— Vos projets? dit Dorneuil.
— Parlez franchement, fit Césarine.
Rivalon fit signe à ses nouveaux com-
plices de se rapprocher et d'une voix
très basse, il dit :
— Un instant. Nous avons mis tout à
t'heure les pQints sur les I, mettons insin-
nant les 1 sous les points. Au moment du
partage de la succession du comte, re-
connaîtrez-vous valable à mon profit,
une reconnaissance de cinquante mille
francs qu'il a souscrite à ma sœur?
— Cette reconnaissance est indiscu-
table, répondit Mme de Lansac. Nous ne
la discuterons pas.
— Vous êtes prête à la signer?
— Je suis prête.
— Bon. Maintenant, le comte mort,
quelle récompense donnerez-vous à celui
qui vous en aura délivré ?
Césarine et Dorneuil eurent tous deux
un frisson.
- Un assassinat?. fit Césarine d'une
voix étranglée.
— Oh ! laissons ces mots-là tranquilles,
répliqua Antoine. Il n'y a que les hon-
nêtes gens qui peuvent les employer !.
Je continue : — Le comte n'a évidem-
ment pas encore fait de testament en fa-
veur de sa fille. Blanche n'aura donc que
sa part légale de l'héritage de M. de Lan-
sac. Cette part, êtes-vous disposés à ne
pas me la chicaner ?
— C'est entendu.
— Vous êtes encore prête à signer ça ?
- Oui.
— J'ai besoin d'un billet de mille pour
attendre les événements. Voulez-vous
vous fendre en ma faveur de cette
somme?
— Je vous la promets, dit Dorneuil.
— Parfait. Revenons à la grosse ques-
tion. A la récompense que méritera celui
aui doit agir pour notre compte. Gon-
sentez-vous à signer dix billets de chacun
dix mille francs au nom de notre aide,
Auguste Ribert?
— Cent mille francs ! exclama Césarine
de Lansac.
— Quel est cet homme? demanda tout
de suite Dorneuil.
— Mon complice. Un copain dont je
réponds. L'exécuteur des hautes œuvres
qui fera passer le comte, en un tour de
main, de cette vie dans l'autre.
— Il demande cent mille francs!
- C'est à prendre ou à laisser.
- Ne pouvez-vous pas vous-même lui
faire ces billets?
— Non! On vous passe la main. Allez-
y de votre signature. elle est solvable.
- Mais, observa Césarine, hésitante,
nous pouvons être compromis avec ce
Ribert; nous pouvons être dénoncés, ju-
gés et condamnés.
— Puisque je vous dis que je réponds
de lui. Je n'ai pas plus que vous envie
d'être compromis, moi, et j'ai confiance
absolument.
-. - - - -
— Mais, fit Dorneuil, il faudrait en-
core savoir de quelle exécution vous
voulez parler?
— Ribert va vous expliquer lui-même
son truc; il ne peut manquer, soyez-en
sûrs, d'être ingénieux.
— Où est cet homme?
— Dans votre antichambre.
— Ici ! fit Césarine, ne pouvant dissi.
muler un mouvement d'effroi.
JULES DORNAY.
(A suivre.)
19 Thermidor an 99 — W 7818
CINQ centimes le numéro
RÉDACTION
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S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA REDACTION
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir h minuit
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PARIS
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TROIS MOIS. 5 —
SIX MOIS 9 FB.
UN AN 18-
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQOERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS 2 FB.
TROIS 11018. 6 -
SIX MOIS. 11 PL
UN AN. 20-
Les bureaux du RAPPEL (rédac-
tion et administration), sont trans-
férés 131, rue Montmartre.
Le RAPPEL est entièrement im-
primé en caractères neufs.
CHOIX D'ALLIANCES
Mon opinion sur la visite de notre
escadre du Nord à l'Angleterre avait
déjà contre elle M. de Kérohant : elle a
encore M. Edouard Hervé.
Outre les raisons qui m'ont été oppo-
sées précédemment, le rédacteur en
chef du Soleil a celle-ci : que notre
visite à Portsmouth peut empêcher
l'Angleterre de quadrupler la triple
alliance et peut, au contraire, faire
d'elle notre alliée.
Empêcher l'Angleterre de quadru-
pler la triple alliance? Mais elle l'a qua-
druplée, dites-vous. C'est fait. C'est
même à peu près avoué.
— Non, répond M. Edouard Hvé.
« L'Angleterre n'a pas pris d'enga-
gements irrévocables. Elle n'en a
pris qu'avec l'Italie, et elle s'en déga-
gerait le jour où elle serait rassurée
sur sa situation en Egypte. » Que la
France lui fasse cadeau de l'Egypte, et,
au lieu de se mettre avec la triple
alliance contre nous, elle se mettra avec
nous contre la triple alliance.
Vous hésitez à y croire ? Mon émi-
nent confrère a deux arguments.
Le premier, c'est que l'empereur
d'Allemagne n'a réussi qu'à moitié à
Londres. — « Le public s'est montré
poli, mais froid. Le cabinet Salisbury,
malgré ses sympathies peu dissi-
mulées pour l'Allemagne, a compris
cette indication et en a tenu compte. »
Ah! oui, il en a joliment tenu
compte! C'est pour faire droit à la
« froide politesse » du public anglais
envers l'empereur d'Allemagne que
lord Salisbury a prononcé au banquet
du lord-maire la phrase qui fait de
l'Angleterre l'aide du tourmenteur de
l'Alsace et de la Lorraine :
— « Nos alliés sont ceux qui dési-
rent le maintien de la situation terri-
toriale actuelle »?
M. Edouard Hervé sent lui-même
l'impossibilité de conclure de cette
phrase que lord Salisbury ne demande
pas mieux que de faire de l'Angleterre
l'alliée de la France. Mais — c'est son
second argument -les élections par-
tielles, depuis quelque temps, annon-
cent un retour de l'Angleterre vers M.
Gladstone. Et le jour où M. Gladstone
remplacerait lord Salisbury, quelle
Angleterre nous aurions ! « Le change-
ment de personne faciliterait un chan-
gement de politique. » L'Angleterre
deviendrait subitement la tendre amie
de la France et de la Russie. Et
quelle « triple alliance », celle de la
Russie, de l'Angleterre et de la France!
L'autre en mourrait.
Le directeur du Soleil ne se dissimule
pas les difficultés qu'il y aurait à faire
de l'Angleterre la tendre amie de la
Russie. Mais nos diplomates sont si
habiles. Ils ont fait leurs preuves.
A la même page où le rédacteur en
chef du Soleil recommande si chaleu-
reusement l'alliance de la Russie, de
l'Angleterre et de la France, un rédac-
teur du Soleil en recommande une toute
contraire.
— « Un fait reste désormais indis-
cutable, écrit ce rédacteur. La France,
isolée depuis vingt ans, tenue depuis
vingt ans en quarantaine par tous les
grands Etats d'Europe, peut aujour-
d'hui compter sur l'appui du grand
empire russe. La Russie, isolée depuis
quatorze ans par la coalition de l'Eu-
rope centrale, compte aujourd'hui une
solide alliée, la France. Et, comme tout
sourit aux puissants et aux forts, cer-
tains signes précurseurs font-prévoir,
dans un prochain avenir, 4'accession
à la ligue franco-russe de la Suède, du
Danemarck, dela Grèce et des Etats-
Unis d'Amérique, ces vieux rivaux de
l'Angleterre, ces vieux amis de la
France. Ceux qui nous font l'honneur
de nous lire savent que, dans ce jour-
nal, nous n'avons jamais eu d'autre
but que celui-là. »
Alliance avec l'Angleterre à la pre-
mière colonne, alliance avec les enne-
mis de l'Angleterre à la quatrième, ça
ne fait pas un seul but, ça fait deux
buts. Ce qui semble ressortir de là,
c'est que la France, si longtemps iso-
lée, a maintenant l'embarras du choix.
Différence de 1891 avec 1870 et de
la République avec l'empire.
AUGUSTE VACQUERIE.
L'ARMÉE ET LA MARINE AU PARLEMENT
L'élection du général Japy comme
sénateur de Belfort, qui a eu lieu di-
manche dernier, ramène au Luxem-
bourg un représentant de l'élément mi-
litaire qui, après avoir été nombreux
dans la haute assemblée, a fini par être
réduit à des proportions très restreintes
par l'effet combiné du changement de
législation et des renouvellements suc-
cessifs.
On sait, en effet, que tandis que l'accès
de la Chambre a été constamment inter-
dit aux militaires en activité de service,
celui du Sénat leur à été ouvert jusqu'en
1884. Ce n'est qu'en décembre 1884,
qu'une loi a assimilé presque complète-
ment le Sénat à la Chambre pour les
règles d'incompatibilité. Depuis sept
ans les militaires et marins en activité
de service ne peuvent plus faire partie
du Parlement; il n'y a d'exception que
pour les officiers placés dans le cadre de
réserve et pour ceux qui, maiiitenus à
l'activité comme ayant commandé en
chef devant l'ennemi, ont cessé d'être
pourvus de commandement.
Toutefois, la loi de 1884 donne l'accès
du Sénat aux maréchaux et aux amiraux,
tandis que la loi du 30 novembre 1875
leur interdit l'entrée à la Chambre. C'est
la seule différence de régime qu'il y ait,
à ce point de vue, entre les deux Cham-
bres.
Actuellement, il n'y a plus au Sénat
qu'un maréchal, six généraux, trois co-
lonels et un capitaine.
Le maréchal est le maréchal Canrobert.
Les généraux sont les généraux d'An-
digné, Billot, Brémond d'Ars, Deffis,
Espivent de la Villeboisnet et Grévy.
Tous sont au cadre de réserve, sauf le
général Billot qui, étant en activité au mo-
ment du vote de la loi de 1884 et n'étant
pas soumis au renouvellement triennal,
puisqu'il est inamovible, a pu conserver
des fonctions actives, la loi n'ayant pas
d'effect rétroactif.
Les colonels sont MM. de Chadois,
Meinadier et Tézenas et le capitaine M.
Margaine, tous en retraite.
Le Sénat compte en outre dans ses
rangs trois vice-amiraux : MM. Halna
du Fretay, Peyron et Véron.
La Chambre renferme trois généraux :
MM. de Frescheville, Lacretelle et Tri-
coche, et deux amiraux, MM. Dompierre
d'Hornoy et Vallon.
Par contre, elle possède dix-huit an-
ciens officiers de grades au-dessous de
celui de général : ce sont MM. d'Aren-
berg, de Choiseul, Déroulède, d'Elva,
Le Hérissé, de la Ferronnays, Laisant,
de Lanjuinais, de Maillé, Maujan, de
Montalembert, de Montfort, de Mun, de
Plazanet, de Ponlevoy, Reille et Royer
pour l'armée de terre, et MM. de Dou-
ville-Maillefeu, Farcy et Le Myre de
Vilers pour la marine.
L'EXPÉDITION AU GROENLAND
Le mois dernier, une expédition est
partie de New-York. Elle compte seize
personnes en tout, dont une femme. Elle
a cet objectif: la découverte, la conquête
du pôle Nord.
Une originalité, une nouveauté de cette
expédition, c'est que, délaissant la voie
de mer que barre cette infranchissable
banquise contre laquelle tous les efforts
se sont jusqu'à présent brisés, elle a ré-
solu d'essayer de la voie de terre. A
Uperniavik, sans doute, elle quittera son
navire, et, au moyen de traîneaux attelés
de chiens esquimaux, elle se dirigera, à
travers le Groenland, vers le nord. L'idée
est hardie, bien faite pour séduire des
esprits aventureux.
Eu effet, les côtes orientales, occiden-
tales et méridionales du Groenland sont,
tant bien que mal connues, mais jusqu'à
quelle latitude cette terre sauvage et dé-
solée s'étend-elle vers le nord, voilà ce
qu'on ignore. Celui qui s'est avancé le
plus en suivant la côte du Groenland,
Lockwood, de l'expédition Greely, n'a pu
dire si la terre finissait là ; son récit
donne plutôt à croire qu'au contraire elle
s'étend loin encore. Jusqu'où ? Pourquoi
pas jusqu'au pôle ? Si on allait voir!. Et
ceux qu'ont mordus au cœur cette noble,
cette sainte curiosité, ce désir, ce besoin
de savoir qui seuls peuvent élever
l'homme au-dessus de l'humanité même,
ceux-là sont partis.
Reviendront-ils? Ils tentent la plus pé-
rilleuse des entreprises. Beaucoup, déjà,
beaucoup d'hommes au cœur vaillant,
au corps robuste, se sont élancés, pleins
d'ardeur,vers l'inaccessible but, vers cette
citadelle aux infranchissables remparts
de glace où se cache le secret du pôle.
Beaucoup sont restés là-bas endormis
du dernier sommeil, sous la neige; et
celui dont je viens d'écrire le nom, l'hé-
roïque Lockwood a payé de sa vie l'im-
mortelle gloire d'avoir, sur la route de
l'inconnu, dépassé de quelques centaines
de mètres son illustre prédécesseur
Marckham, de l'expédition Nares. Le
souvenir de tant de souffrances, de tant
de deuils, de tant de catastrophes, serait
bien fait pour glacer d'effroi à jamais nos
cœurs timides, et il est beau, oui, il est
beau — et, homme, j'en éprouve une
fierté — qu'il se trouve encore aujour-
d'hui, après ces désastres répétés, des
hommes pour regarder en face l'effrayant
problème et, sachant qu'ils ont peu, bien
peu de chances de revenir, ayant fait le
sacrifice de leur vie, pour * dire : Al-
lons-y!
Parmi eux est une femme. Son mari
est le commandant de l'expédition. Elle
n'a pas voulu le quitter. Elle n'a pas
voulu rester à la maison tandis qu'il irait
affronter les effrayants dangers du
voyage. Sans doute, on .a essayé de la
dissuader de ce projet; on lui a parlé des
épreuves sans nombre qui l'attendaient,
la faim, la soif, la fatigue écrasante, le
scorbut, qui ronge peu à peu l'individu
et fait de la sombre mort une libératrice.
Rien n'a pu ébranler sa résolution.
« J'irai avec mon mari », a-t-elle répété.
Qui ne saluerait, religieusement ému,
cette femme? Et l'on se rappelle Mme
Baker qui refusa, elle aussi, de laisser
s'éloigner sans elle son mari au milieu
de l'Afrique, qui l'accompagna partout,
qui l'aida à triompher des obstacles
qu'accumulaient sur son chemin le mau-
vais vouloir de la nature et la perfidie
des hommes, et qui eut cette suprême
récompense de découvrir avec lui le lac
Albert, la seconde source du Nil. Sir
Samuel White Baker a pieusement re-
mercié, dans le récit de son voyage, sa
compagne dévouée « qui ne m'avait ja-
mais quitté, et dont le courage avait fait
ma force, tellement qu'après Dieu c'était
à elle surtout que je devais le succès de
mon entreprise. » Puisse semblable des-
tinée être réservée à la femme du com-
mandant de l'expédition du Groenland!
Il y a des moments où de l'homme le
plus fort le cœur frissonne et faiblit, des
moments où dans les âmes les' mieux
trempées se glisse le doute ; — le sou-
rire d'une femme peut alors rendre
l'espérance et la foi. Combien eussent
succombé, se fussent, à bout de force,
croyaient-ils, étendus, renonçant à la
lutte, dans les fossés du chemin, si, à la
minute où tout croulait autour d'eux, la
main d'une femme ne s'était posée sur
leur épaule, si le regard de la chère
créature ne les avait rappelés au cou-
rage, au devoir.Si l'expédition du Groen-
land triomphe, là où tant d'autres, avant
elle, ont échoué, si nous les voyons re-
venir, ces héroïques découvreurs, pâles,
amaigris, sans doute, se traînant à
peine, mais ayant sur leurs faces ra-
vagées et dans leurs yeux creux l'or-
gueil de la victoire, qui sait s'ils ne l'au-
ront pas dû, ce succès qui les fera en-
vier de tous les hommes, à la présence
au milieu d'eux, d'une femme ? Je leur
crie : Bon courage ! L'hiver prochain,
quand nous nous enfermerons au coin
du feu, frileusement, portes bien closes,
les pieds dans des pantoufles et que de-
hors soufflera l'âpre bise, nous pense-
rons à eux, n'est-ce pas? à ces voya-
geurs et à cette voyageuse, perdus dans
l'immense nuit polaire, en proie au froid
terrible qui gèle le sang dans les veines,
nous songerons, recueillis, à tous ces
braves partis pour la conquête de cet
idéal, dont, l'autre jour, en Sorbonne, le
ministre de l'instruction publique a si
éloquemment parlé.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
L'ESCADRE FRANÇAISE A CRONSTADT
Nous recevons la dépêche suivante :
Saint-Pétersbourg, 4 août.
Il est difficile de donner une idée de la
fête qui vient d'avoir lieu à Péterhof. Les
trains, les bateaux amenant la foule étaient
pris d'assaut. Imaginez-vous le bois de Bou-
logne, ses lacs, ses avenues, constellées de
diamants, de rubis et de saphirs et vous
aurez à peine une physionomie de la fête. Il
y avait là des milliers de lampions de toutes
les couleurs. Sur le canal qui conduit à la
mer, deux écussons magnifiques aux armes
impériales réflétaient leurs feux sur les
eaux. Partout des chœurs et des orchestres.
A onze heures et demie, après le déjeuner
offert par la famille impériale, on a beau-
coup remarqué l'empressement qu'a mis le
jeune roi de Serbie à présenter ses compli-
ments à l'amiral Gervais.
En revenant de Péterhof, la foule a fait
une ovation à deux matelots du Requin, qui
avaient échangé leurs uniformes avec ceux
de deux marins russes. Un autre incident
curieux s'est produit. Une voiture, dont le
cheval s'était emballé, a versé ses voya-
geurs sur la route. Ceux-ci se sont relevés,
quelque peu contusionnés, en criant : « Vive
la France ! »
Pendant toute la soirée, un nombre consi-
dérable d'embarcations ont entouré les na-
vires français, en rade de Cronstadt. Les
Russes venaient faire leurs adieux à nos
marins. Des hurrahs incessants se sont fait
entendre.
L'escadre est partie à quatre heures pour
Bjerkoë (Sund). Ce soir, à huit heures, l'a-
miral Gervais et les officiers qui l'accompa-
gnent partent pour Moscou, où le maire de
cette ville, M. Alexief, veut se charger seul
des frais de la réception.
On écrit de Saint-Pétersbourg à la Cor-
respondance politique de Vienne:
Jusqu'à présent, l'entente franco-russe
n'était que latente et avait pour but de sau-
vegarder les intérêts communs. Cette en-
tente était menacée d'être minée, par des in-
trigues habilements menées, dans sa base
principale : la confiance réciproque.
Il était donc indispensable d'affermir cette
confiance, qui était ébranlée dans certains
cercles des deux pays. Des deux côtés on
ressentait la nécessité de se donner des
garanties palpables de solidarité. Ce but est
à présent indubitablement atteint par la
visite de l'escadre. Toute autre explication
des incidents de Cronstadt et de Petersbourg
seraient erronée. ».
Le correspondant du Times à Saint-
Pétersbourg télégraphie :
On considère Ici que les paroles pronon-
cées par l'amiral Gervais dans son entrevue
avec le rédacteur du Novoié Vrémia indi-
quent suffisamment l'existence d'une en-
tente franco-russe. L'amiral aurait dit que
les marques de faveur qu'il a reçues de la
famille impériale et les paroles prononcées
par le czar en quittant le Marengo étaient
pour lui des preuves concluantes que les
relations entre la France et la Russie, telles
qu'elles sont établies en ce moment, assu-
rent leur entente en cas de nécessité. -
Le correspondant du Times fait remar-
quer que la visite de l'amiral Gervais au
monastère Alexandre Newski, est un
honneur que l'on accorde rarement aux
étrangers, surtout lorsqu'ils sont héré-
tiques.
M. AUGUSTE VITU
Les nouvelles que nous recevons de
l'état de santé de M. Auguste Vitu sont
de plus en plus alarmantes.
Les médecins déclaraient hier soir que
le malade ne passerait pas la nuit. Sui-
vant leur expression, il était, depuis trois
heures de l'après-midi, entré dans la
crise finale ».
Nous ne pouvons plus formuler d'es-
poir de guérison, mais nous adres-
sons l'expression de toutes nos sympa-
thies à la famille de l'éminent critique.
VIVE LA MOUSTACHE!
Un groupe de garçons restaurateurs et
limonadiers m'écrit pour se plaindre de
M. Marguery, président de la chambre
syndicale patronale.
M. Marguery est l'un de ceux qui ont
le plus approuvé la campagne menée par
les garçons de café pour arriver à l'au-
torisation du port de la moustache, et
c'est lui qui, à présent, se montre le plus
récalcitrant pour accorder à son person-
nel cette autorisation.
Ces plaintes sont fondées; j'étais à la
Bourse du travail le jour où M. Mar-
guery s'est déclaré partisan du port de la
moustache et a donné comme seul motif
du retard qu'il apportait à l'introduction
de cette réforme dans son établissement
la réserve qui lui était imposée pendant
la durée de l'enquête faite à ce sujet par
la chambre syndicale dont il est le pré-
sident.
— Cette enquête finie, je reprendrai
ma liberté d'action, a-t-il ajouté.
Eh bien, mais il y a beau jour qu'elle
est terminée l'enquête, et la liberté que
M. Marguery a eu tout le temps de re-
prendre ne l'a pas beaucoup fait agir.
Son attitude peut paraître bien bizarre
aux intéressés à qui il a fait entrevoir uB
avenir plein de promesses.
Et s'ils se fâchent aujourd'hui, ils me
semblent qu'ils ont rudement raison.
HENRI DREYFUS.
LE TONKIN i
Les nouvelles du Tonkin apportées paï
le dernier courrier sont loin d'être satis-
faisantes. La piraterie a fait des progrès
énormes; nos nationaux ne sont plus en
sûreté, même dans les grandes villes. A
ce point de vue, la lecture des journaux
locaux est des plus instructives. On y
voit que les administrations civiles, ma-
ritimes et militaires ne peuvent s'enten-
dre; on y lit des récits d'expédition qui
n'ont pas réussi.
Il y a un peu plus d'un mois, il s'est
passé au Tonkin un fait d'une gravité
exceptionnelle sur lequel nous devons
appeler, d'une façon toute spéciale, l'at-
tention du gouvernement. Et d'abord,
pourquoi l'a-t-il caché au public? Certai-
nement, il a dû en être avisé par le télé-
graphe. A-t-il pris des mesures pour qu'il
ne se renouvelle pas?
Voici, en quelques mots, ce à quoi nous
faisons allusion. Des pirates hardis et
très nombreux avaient fait de l'île des
Deux-Sougs leur quartier général. De là,
ils se répandaient dans le cœur du pays
qu'ils désolaient par leurs assassinats et
leurs déprédations. On résolut de les cer-
ner et le commandant de la colonne expé-
ditionnaire, forte de 1,500 hommes de
toutes armes, fut confiée au brave colo-
nel Dominé. Personne ne doutait du suc-
cès, à cause même de la valeur du chef
chargé de diriger cette grosse opération.
Et de fait, le colonel Dominé avait
combiné son affaire de telle façon qu'il
devait atteindre son but. Mais, voilà.
Les troupes des douanes coloniales et
l'aviso la Vipère ne sont pas arrivés
à temps. Pourquoi? L'expédition a
échoué totalement et le colonel Do-
miné qui n'a pu empêcher les pirates
de s'enfuir par le passage dont la dé-
fense incombait à la Vipère, a dû reve-
nir à Haïphong. Quant aux pirates, ils
sont de nouveau installés dans l'île des
Deux-Sougs.
Assurément, ce n'est pas la faute du
colonel Dominé ; lui, il a fait son devoir.
C'est celle du gouvernement général, qui.
malgré les pouvoirs étendus dont il jouis-
sait bien avant la nomination de M. de
Lanessan, car l'affaire est antérieure à
l'arrivée de ce dernier dans là colonie,
n'a pas su contraindre les autorités mari-
times à lui obéir.
Voilà la situation. Au point de vue de
la force du gouvernement général, elle
n'a pas changé ; au point de vue politi-
que, elle est telle que la dépeignait M.
Bidault, successeur intérimaire de M.
Piquet, lorsqu'il écrivait dans un rapport
autour duquel on a fait un silence reli-
gieux, des phrases à peu près comme
celles-ci :
« La piraterie augmente; pour vous
donner une idée exacte de son audace, je
vous dirai que tout récemment, à cinq
ou six cents mètres des quais de Haï-
phong où se trouvaient à ce moment tous
les Européens, une jonque, montée par
des pirates, a donné la chasse à un canot
du gouvernement. Si nous n'avions eu
dans le port une canonnière qui a pu
partir sur-le-champ, le canot était coulé
et son petit équipage massacré. »
Au point de vue financier, la situation
est encore pire. Le dernier budget s'est
soldé par un déficit de 12 millions de
francs, et toujours, dans ce même rap-
port, M. Bidault disait :
« Nous en sommes réduits à redouter
qu'en fermant les caisses du Trésor,
comme d'habitude, à dix heures du ma-
tin, nous ne puissions les rouvrir à deux
heures de l'après-midi. Nous n'avons plus
de fonds. »
Feuilleton du RAPPEL
DU 6 AOUT
39
LE
MOULIN AUX conDEAUX
PREMIÈRE PARTIE
LA BRUTE
XXXIV
Les deux complices
- Suite -
- - Ton, ton, ton!. ne nous emballons
pas, mon petit père, riposta Rivalon. Ne
nous emballons pas!. Les quelques
mots que vous venez de dire ont achevé
d1 éclairer ma lanterne. Je la connais dans
les coins, vous savez. Vous voulez de-
mander l'interdiction du comte après
avoir obtenu son internement. On choi-
sira alors, n'est-ce pas? un conseil de fa-
mille parmi vos parents, des créatures à
vos ordres, que vous manipulerez comme
de la glaise et qui, c'est aisé à prévoir,
vous nommeront, vous, tuteur. Avec ce
titre, vous pourrez réclamer l'annulation
de tous les actes antérieurs signés par
Séverin de Lansac et le tour sera joué.
Le naïf Antoine Rivalon et sa gentille
nièce seront collés sous bande !. Le
Reproduction interdite.
Vo*r le Rappel du 29 juin au 5 août.
comte enfermé dans un pensionnat de
Trocadas, ses millions tomberont en
votre pouvoir, alors nibe de braise pour
nous!. On se fouillerai Voyons, c'est-
y ça, ai-je vu clair dans votre jeu?
— Je t'écoute, que t'as vu clair! appuya
Rosa-Bébé.
Césarine et Dorneuil se regardaient,
atterrés; leur plan, celui qu'ils ne s'étaient
même pas avoué l'un à l'autre, qu'ils
avaient secrètement arrêté dans leur
pensée, Rivalon le devinait du coup et le
dévoilait brutalement.
Cette fois, ce n'est plus lui qui était
dans leurs mains; c'était eux qu'il venait
de faire tomber dans les siennes.
Après un instant de silence, Dorneuil
demanda :
- Qu'est-ce que vous gagnerez en re-
fusant d'entrer dans notre combinaison.
- Tout, dit Rivalon.
- Tout 1
— Mais, oui, monsieur. Que le comte
meure libre et ma nièce, s'il n'y a pas de
testament, hérite de- la moitié de la for-
tune de son père; je suis son tuteur et je
gère sa fortune.
— Nous la gérons ! appuya triompha-
lement Rosa.
— Et si la gosse mourait après, reprit
Rivalon, je deviendrais, ne vous en dé-
plaise, son héritier légitime.
Césarine de Lansac réfléchissait.
Elle eut tout à coup une idée.
- Oui, tout cela est bon, fit-elle. mais
vous oubliez quelque chose.
— Quoi donc, s'il voysQlaU
— Le comte est jeune, il peut se marier
et avoir d'autres enfants. Les droits de
Blanche se réduiraient alors et devien-
draient même contestables.
— On pourrait, insinua Rosa, ne pas
laisser au comte le temps de se marier.
— Vous dites?. s'écria Dorneuil, en
fixant des yeux interrogateurs sur Rosa
qui baissait légèrement la tête, craignant
d'être allée trop loin.
A son tour, Rivalon la cogna du
coude.
La drôlesse balbutia quelques mots
inintelligibles.
Elle se disait :
- J'ai fait un impairî
Dorneuil reprit, en s'adressant cette
fois au frère de Denise :
— A mon tour, il me semble, j'ai com-
pris votre pensée. -
— Ah bah ! fit le gredin en regardant
audacieusement, effrontément Maxime,
qui poursuivit :
- — Hier, vous avez menacé le comte; à
cette- heure, vous méditez un crime.
- Eh bien! et vous, s'écria Rivalon,
qu'est-ce que vous méditez donc? Un in-
ternement, une mort lente. dans un ca-
banon de fous. Une agonie terrible!.
— Je puis mettre mon beau-frère en
garde contre vos projets, dit Mme de
Lansac.
— Et moi, je le mettrai en garde con-
tre les vôtres, repartit l'amant de Rosa.
Ce serait peut-être un moyen d'obtenir
ses bonnes grâces 1 Allons-y! cassons du
sucre. A qui le cassera le mieuxl",
— Vous êtes un impudent et un mi-
sérable! murmura Dorneuil, d'ailleurs
sans grande conviction.
XXXV
Les points sur les 1
Le couple de la rue Vicq-d'Azir éclata
de rire.
— Un misérable! répliqua Rivalon,
mais regardez-vous donc dans une glace,
monsieur Maxime Dorneuil, et vous
verrez comme dans ce cas vous nous
ressemblez. Tenez, mettons les points
sur les I. Ne cherchons ni l'un ni l'autre
à nous monter le Job. Voici la chose en
deux mots : Vous nous tenez et nous
vous tenons; vous avez besoin de nous
et nous avons besoin de vous! —En
somme, tous les quatre, nous guignons
une galette formidable. Au lieu de mar-
cher les uns à hue, les autres à dia, vou-
lez-vous que nous tirions ensemble du
même côté?
Dorneuil et Mme de Lansac n'avaient
qu'à obéir.
Ils ne tardèrent pas à le comprendre,
et bientôt, décidés à marcher avec l'oncle
de Blanche, ils interrogèrent Rivalon et
sa maîtresse sur leurs intentions.
— Vos projets? dit Dorneuil.
— Parlez franchement, fit Césarine.
Rivalon fit signe à ses nouveaux com-
plices de se rapprocher et d'une voix
très basse, il dit :
— Un instant. Nous avons mis tout à
t'heure les pQints sur les I, mettons insin-
nant les 1 sous les points. Au moment du
partage de la succession du comte, re-
connaîtrez-vous valable à mon profit,
une reconnaissance de cinquante mille
francs qu'il a souscrite à ma sœur?
— Cette reconnaissance est indiscu-
table, répondit Mme de Lansac. Nous ne
la discuterons pas.
— Vous êtes prête à la signer?
— Je suis prête.
— Bon. Maintenant, le comte mort,
quelle récompense donnerez-vous à celui
qui vous en aura délivré ?
Césarine et Dorneuil eurent tous deux
un frisson.
- Un assassinat?. fit Césarine d'une
voix étranglée.
— Oh ! laissons ces mots-là tranquilles,
répliqua Antoine. Il n'y a que les hon-
nêtes gens qui peuvent les employer !.
Je continue : — Le comte n'a évidem-
ment pas encore fait de testament en fa-
veur de sa fille. Blanche n'aura donc que
sa part légale de l'héritage de M. de Lan-
sac. Cette part, êtes-vous disposés à ne
pas me la chicaner ?
— C'est entendu.
— Vous êtes encore prête à signer ça ?
- Oui.
— J'ai besoin d'un billet de mille pour
attendre les événements. Voulez-vous
vous fendre en ma faveur de cette
somme?
— Je vous la promets, dit Dorneuil.
— Parfait. Revenons à la grosse ques-
tion. A la récompense que méritera celui
aui doit agir pour notre compte. Gon-
sentez-vous à signer dix billets de chacun
dix mille francs au nom de notre aide,
Auguste Ribert?
— Cent mille francs ! exclama Césarine
de Lansac.
— Quel est cet homme? demanda tout
de suite Dorneuil.
— Mon complice. Un copain dont je
réponds. L'exécuteur des hautes œuvres
qui fera passer le comte, en un tour de
main, de cette vie dans l'autre.
— Il demande cent mille francs!
- C'est à prendre ou à laisser.
- Ne pouvez-vous pas vous-même lui
faire ces billets?
— Non! On vous passe la main. Allez-
y de votre signature. elle est solvable.
- Mais, observa Césarine, hésitante,
nous pouvons être compromis avec ce
Ribert; nous pouvons être dénoncés, ju-
gés et condamnés.
— Puisque je vous dis que je réponds
de lui. Je n'ai pas plus que vous envie
d'être compromis, moi, et j'ai confiance
absolument.
-. - - - -
— Mais, fit Dorneuil, il faudrait en-
core savoir de quelle exécution vous
voulez parler?
— Ribert va vous expliquer lui-même
son truc; il ne peut manquer, soyez-en
sûrs, d'être ingénieux.
— Où est cet homme?
— Dans votre antichambre.
— Ici ! fit Césarine, ne pouvant dissi.
muler un mouvement d'effroi.
JULES DORNAY.
(A suivre.)
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