Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1887-04-24
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 24 avril 1887 24 avril 1887
Description : 1887/04/24 (N6253). 1887/04/24 (N6253).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine commune
Description : Collection numérique : La Commune de Paris Collection numérique : La Commune de Paris
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75399181
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/11/2012
ïf® £ 253 * MlSaèC^' Sï Aftft 1887 |be numêro t lOc. — Départements s ts e. 6 Floréal an 95 — No 6253
ADMINISTRATION
58, lUJE DE VALOIS, la
AS OMEMENTS
Six. ÎIV.US 20 »
D'EFARTETIENTS
Trois mois. 1350
Si:-cillojs 27 JI
Adresser Ici très et mandats
A M. ERNEST LEFÈYRE
JiDIu'LN'ISTIlATECrvGSIUNI a
S'adresser au Secrctairo De {. à 6 "('uns du soir
iS, hue DR VAT.OIS, ;1S
Les mnmir.evi 's non insérés ne» seront pas roulas:
ANNONCES
IDl. Ch. LAGRAINGE, CERP et ce
G. place de la Bourse,G
VACANCES INOPPORTUNES
le ne veux pas apprécier l'incident
âô Pagny. Selon les éclaircissements
qui seront fournis, il peut s'effacer en
lae laissant que le souvenir d'un mau-
vais rêve, ou devenir gros des consé-
quences les plus graves. Attendons
quelques heures encore. Le sang-froid
et la fermeté sont en ce moment, l'un
tomme l'autre, commandés par le pa-
triotisme.
Mais avouez qu'il est dur de penser
que, tandis que le pays tout entier res-
sent une si légitime émotion et tourne
ses regards vers ceux qui le gouver-
nent, les Chambres sont absentes.
On peut aller — je ne dirai pas au
Luxembourg, la chose n'étonnerait
personne — mais au palais Bourbon :
on n'y trouverait pas un seul — mais
pas un seul — membre du Parlement.
La solitude est complète. Les journa-
listes eux-mêmes ont dû renoncer à le
(roubler. Seuls, deux ou trois huis-
siers, assis sur des banquettes, atten-
dent dans l'immobilité que la journée
finisse par s'écouler. A la salle des
conférences, l'ab ence des visiteurs est
telle que pas un journal n'y est dé-
rangé de sa case.
On dirait une nécropole.
En sorte que les inquiétudes patrio-
tiques sont partout, excepté là où il
comble quelles devraient se concen-
trer. Là où le gouvernement devrait
être interrogé, contrôlé, inspiré, dirigé,
il n'y a rien. La vie parlementaire est
suspendue. Les députés se sont trans-
formés, les uns ell conseillers généraux,
les autres en touristes.
Moi qui suis pour la permanence
des assemblées, j'ai toujours trouvé
que l'un des plus grands vices de la
Constitution qui nous régit était de ne
donner au Parlement que cinq mois de
session obligatoire. Si le gouverne-
ment voulait, — si surtout il n'y avait
jj>a& le budget qui n'est jamais prêt à
temps et dont il ne peut pas se passer,
--- il pourrait renvoyer les Chambres
chaque année au mois de juillet, et se
trouver affranchi de toute surveillance
jusqu'au mois de janvier suivant.
Mais, cette fois, ce n'est pas à la
Constitution que je peux m'en prendre.
ea session n'a point duré cinq mois.
Elle n'est ni cloge, ni prorogée. Si les
Chambres sont en vacances, c'est parce
qu'elles l'ont bien voulu.
Le motif qui les a conduites à cette
faute, c'est la session des conseils gé-
néraux. Motif d'ailleurs plus apparent
que réel, car les conseils généraux ne
siègent pas pendant tout le mois qu'el-
les se sont octroyé. La vraie raison,
c'est qu'il paraît doux, quand le prin-
temps arrive, d'aller respirer l'air du
dehors.
Oui, mais il faudrait au moins ne pas
le respirer trop longtemps. Ne sait-on
pas que c'est justement au printemps
que viennent toujours les questions
délicates pour les relations extérieures?
L'incident de Pagny était imprévu,
mais était-il impossible? Bien réglé,
comme j'espère qu'il le sera, à notre
satisfaction et à notre honneur, n'en
peut-il pas survenir un autre? Et le
gouvernement, s'il avait quelque dé-
marche importante à faire, ne trou-
verait-il pas une incontestable force
dans la présence et l'appui des re-
présentants du pays ? Leur ab-
sence , au contraire, n'est-elle pas
pour lui une cause d'incertitude et de
faiblesse? Le pays, lui-même, peut-il
ne pas ressentir quelque trouble à ne
pas voir à leur poste, dans des cir-
constances obscures, ceux à. qui il a
confié la responsabilité de ses affaires?
L'Assemblée nationale, quand elle se
séparait, laissait derrière elle une
commission de permanence qui la re-
présentait, qui pouvait la convoquer et
qui ne laissait rien passer d'important
sans interroger le gouvernement. Puis-
que la Constitution n'a point donné aux
Chambres actuelles le droit devoir une
commission qui siège à leur place,
elles n'ont qu'une chose à faire : c'est
de siéger elles-mêmes.
ERNEST LEFÈVRE.
.—.———.————
L'AFFAIRE SCHNAEBELÉ
Nouveaux renseignements
M. Flourens a fait savoir à M. le pré-
sident du conseil que le chargé d'affaires
d'Allemagne, en l'absence du comte de
Munster, est venu le trouver spontant-ment
hier dans l'après-midi et lui a fait connaître
que le gouvernement allemand n'était pas
encore fixé sur les modalités de l'arresta-
tion de M. Schnaebelé, qu'il se réservait
d'examiner c tte question de concert avec
le go svernement français, mais que l'ar-
restation avait eu lieu en vertu d'un arrêt
de justice.
Hier matin, le garde des sceaux a reçu
le rapport de M. Sadoul, procureur géné-
ral près la cour de Nancy, sur l'incident
de Pagny-sur-Moselle ; il l'a immédiate-
ment communiqué à M. Goblet.
Le président du conseil et le garde des
sceaux ont conféré ensuite avec M. Flou-
rens, ministre des affaires étrangères. Des
rellseignements ont été demandés à notre
ambassadeur à Berlin.
Le conseii des ministres, qui tient ce
matin sa réunion ordinaire du samedi,
examinera la question.
Du rapport du procureur général de
Nancy il résulterait que l'arrestation a eu
lieu réellement sur le territoire français.
Le commissaire français, se rendant au
rendez-vous qui lui était donné par le
commissaire allemand d'Ars-sur-Moselle,
a franchi la frontière de quelques pas.
Sur le territoire allemand, il s'est trouvé
d'abord en présence d'un individu qui,
après avoir feint d'engager la conversa-
tion, s'est jeté sur lui, pendant qu'un
second individu, qui, comme le premier,
sortait des vignes voisines, venait lui
prêter main forte.
M. Schnaebelé qui est très vigoureux,
réussit à se dégager des étreintes de ses
agresseurs et put, faisant quelques pas
en arrière, se rejeter sur le territoire
français. Ses deux agresseurs l'y suivi-
rent. M. Schnaebelé leur montra alors du
doigt la borne-frontière française, pour
leur faire constater qu'il était sur le ter-
ritoire français; mais ce geste n'arrêta
pas les deux Allemands, qui, joignant
leurs efforts, vainquirent la résistance du
.commissaire français et l'entraînèrent sur
le territoire allemand, où il fut garrotté
et emmené de force.
Des témoins ont été entendus par le
procureur général ; les dépositions vont
être envoyées, à l'appui du rapport du
procureur général, au garde des sceaux,
qui en saisira le conseil des ministres.
-
D'après le Courrier de Meurthe-et-Moselle
le procureur de Metz a dirigé son en-
quête de manière à tâcher d'établir que
l'arrestation aurait été opérée sur le terri-
toire allemand.
D'autre part, un homme d'équipe alle-
mand aurait dit :
« On nous a décidés à déclarer que
l'agression et l'arrestation avaient eu lieu
sur le territoire allemand, à six mètres
au moins en arrière de la ligne fron-
tière. »
* -
Nancy, M avril.
Le procureur de Metz s'est transporté à la
frontière, hier jeudi, à quatre heures, pour
procéder à una enquête.
Cinq ouvriers allemands, qui avaient été
apostés exprès, ont déposé que l'agression
avait eu lieu sur le territoire allemand.
Celui qui a ramassé le chapeau de M.
Schnaebelé a déclaré l'avoir ramassé sur le
territoire français.
Ce même individu, qu'un Alsacien-Lorrain
expulsé était allé chercher sur le territoire
allemand, a renouvelé sa déclaration devant
les autorités françaises.
Mais il résulte des vérifications faites sur
le terrain et des dépositions des témoins que
l'agression a eu lieu réellement sur le terri-
toire français.
M. Schnaebelé a été inearcér3 à Metz et mis
au secret.
Dans son interrogatoire, il a protesté
éner^iquement devant le juge d'instruction
contre la violation du territoire et il a affirmé
ignorer le motif de son arrestation.
Pagny-sur-Moselle, 22 avril.
M. Schnaebelé a subi ce soir à six heures
et demie, un deuxième interrogatoire assez
long.
Le parquet de Metz a entendu cette après-
midi dix hommes d'équipe allemands qui tra-
vaillaient sur la lign du chemin de fer, près
de la frontière, à qu lques pas de l'endroit
où a eu lieu l'arrestation.
D'après leur déposition, l'arrestation aurait
été opérée à six mètres du poteau, sur le ter-
ritoire allemand.
Or, à cet endroit, la ligne est en contre-bas
dp cinq mètres et il est absolument impos-
sible de voir ce qui se passe sur la route, qui
passe en contre-haut.
Pagny-sur-Moselle, 22 avril, 3 h. 15, s.
11 est inexact que M. Schnaebelé ait été
transféré hier à Strasbourg, co i me l'an on-
çait un journal de Metz. M. Schnaebelé est
toujours détenn à M<>tz et probablement il y
restera. Il a été interrogé hier soir pendant
une heure par M. Léo ni, juge d'instruction à
Strasbourg, qui dirige l'instruction.
Il est inexact aussi que Mme Schnaebelé
soit allée à Metz, où son mari est toujours
au secret.
i es journaux allemands sont très sobres
de détails sur l'incident, qui continue de
préoccuper viveaient l'opinion publique à
Metz.
-
Berlin, 22 avril.
(Source officieuse allemande.)
L'arrestation de M. Schnaebelé a eu lieu
par ordre du juge d'instruction; elle a été
motivée par des actes de haute trahison com-
mis en Alsace-Lorraine.
Nous n'avons pas besoin de faire remar-
quer qu'un acte de haute trahison contre
t empire d'Allemagne ne peut être com-
mis par un Français qui n'a pas pris de
service auprès du gouvernement alle-
mand; si la loi allemande permet de
semblables poursuites, c'est une loi sin-
gulière. Dans tous les cas elle ne saurait
être appliquée sur le territoire français,
et tout établit que M. Schnaebelé a été
arrêté en France.
Dépêches adressées au Temps :
Pagny-sur-Moselle, 21 avril.
Je viens d'arriver à Pagny. M. Sadoul, pro-
cureur général à Nancy, accompagné d'un de
ses avocats généraux, et M. Gauthereau, com-
mandant la 6' lgiou de gendarmerie, ont
pris le même train pour faire une enquête
sur le guet-apens dont M. Schnaebelé, com-
missaire spécial à Pagny, vient d'être vic-
time.
M. Schnaebelé recevait hier une lettre du
commissaire allemand d'Ars l'invitant à ve-
nir à la frontière pour conférer avec lui sur
le relèvement d'un poteau de la frontière al-
lemande qui avait été renversé par des pas-
sante. M. Schnaebelé, ayant souvent reçu des
invitations semblables, se rendit en toute
confi nce à l'endroit indiqué, situé à une
cinquantaine de mitres d'Arnaville.
Deux hommes en blouse b'anche se jetè.
rent immédiatement sur lui. M. Schnaebelé,
très fort, résista quelques instants. Le com-
missaire de police d'Ars, dissimulé dans les
vignes, donnait des ordres aux deux individ -s
en blouse. Des hommes d'équipe de la station
allemande,attirés parles cris de M.Schnaebelé,
essayèrent d'intervenir; les Prussiens soule-
vèrent leurs blouses et montrèrent leur uni-
forme dn po iciera. On mit les menottes à
M. Schnaebelé pour l'emmener à Metz.
Il a été dirigé, parait-il, sur Leipzig. Sa
femme qui vient de monter dans le même
compartiment que le procureur général, n'a
pas encore reçu de ses nouvelt's.
Je viens de me rendre à l'endroit où a eu
7ieu l'arrestation; des témoins qui travail-
laient dans les vignes sont tous unanimes à
déclarer que M. Schnaebelé a été arrêté sur
territoire français.
Strasbourg, t heure.
La nouvelle de l'arrestation de M. Schnaebelé
a causé dans la ville une vive agitation.
J'ai pu questionner certaines personnes du
monde officiel allemand. Elles ne savent en-
core rien de précis.
Cep enlant elles affirment que le gouverne-
ment allemand aurait en main des indices
que M. Schnaebelé entretenait sur le terri-
toire allemand des relations à ses veux sus-
pectes et était en situation, par son fait ou
par le fait d'agents, de renseigner le gouver-
nement français sur les mesures militaires
qui étaient prises dans les environs de Metz.
C'est alors que la justice allemande aurait
lancé un mandat d'arrêt contre M. Schnaebelé.
Les personnes que j'ai interrogées ne m'ont
renseigné que sur les origines qu'elles don-
nent de l'incident ; elles ne m'ont rien dit
sur la façon dont il s'est produit.
Les journaux de la frontière
Le Courrier de Meurthe-et-Moselle donne
les détails que voici :
Les deux agents qui ont arrêté M. Schnae-
belé seraient de Leipzig et auraient été en-
vovés tout exprès.
De Metz, M. Schnaebelé aurait été expédié
à Leipzig. Les uns disent que M. Schnaebelé
a été arrêté sous l'inculpation d'espionnage ;
d'autres, au contraire prétendent que c'est à
la suite de l'hospitalité qu'il donna à M. An-
toine, la nuit de son expulsion de Metz.
Mme Schnaebelé, que nous avons vue à
Pagny, est sans nouvelles de son mari. Jeudi
mKtin, comme nous arrivions à Pagny, elle
demanda par dépêche à l'autorité allemande
l'autorisation devoir M. Schnaebelé. Lorsque
nous avons quitté Pagny elle n'avait encore
reçu aucune réponse.
Mme Schnaebelé était à Pont-à-Mousson
lors de l'arrestation. Le commissaire d'Ars
présidait à dis lance à l'arrestation pour dési-
gner M. Schnaebelé aux agents. Ce commis-
saire est un nommé Gautsch, un Alsacien
renégat.
Dans notre voyage, nous avons également
acquis la certitude que l'entrée de l'Alsace-
Lorraine était absolument interdite à tout
Français et même à toute Française non
munie d'une autorisation préalable.
Un nommé Thuillier, représentant de com-
merce de la maison de liqueurs Eugène Vin-
cent et Co, aux Brotceaux, à Lyon, a encore
été expulsé jeudi pour n'avoir pas l'autorisa-
tion préalable, malgré ses promesses for-
melles de la demander le jour même à Metz.
Le parquet et la gendarmerie se sont ren-
dus en même temps que nous sur les lieux
pour procéder a une enquête sur les faits
matériels de l'arrestation ; elle a été faite très
secrètement et discrètement par M. Sadoul,
et nous n'en connaissons pas les résultats.
Nous avons vu le poteau ; c'est un poteau
en bois qui se trouve à droite. de la route
lorsqu'on se rend en Lorraine. Les habitants
du pays déclarent qu'à chaque instant il est
renversé, parce qu'il n'est pas suffisamment
assujetti en terre.
En face du poteau allemand se trouve le
poteau français, qui est en fer et scellé
dans une pierre de taille. Jamais il n'est
renversé.
On ne comprend pas pourquoi les Alle-
mands ont déployé dans cette arrestation tant
de r se et de mise en scène, alors que M.
Schnaebelé, sur l'appel de la police allemande,
s'était rendu bien souvent a Novéant, voire à
Metz, où son arrestation aurait été bien sim-
plifiée.
Le Journal de la Meurthe et des Vosges
rapporte ce qui suit :
Un de nos amis, M. L., qui revenait de
Gorze sur un omnibus, s'est croisé avec l'in-
fortuné M. Schnaebelé sur la route de No-
véant, pendant qu'il était mené par ces poli- <
ciers en blouse.
Le désordre d,'s habits de M. So.hnaeV/é, la
poussière qui couvrait le dos de son paletot,
attestaient qu'une lutte violente avait eu lieu
et que M. Schnaebelé avait été roulé par
terre.
En apercevant son ami et le nôtre, M. L.
M. Schnaebelé, dont le visage exprimait la co-
lère la plus violente, s'écria avec douleur et
en levant les mains vers M. L. :
— Oli ! ils m'ont pris l
Les deux sbires en blouse se tournèrent
vers M. L qui n'en croyait pas ses yeux,
et lui intimèrent l'ordre de ne pas s'arrêter.
— Ce n'est pas votre affaire. Passez votre
ch3min, lui dirent-ils de l'air le plus impé-
rieux.
A ce moment, M. Schnaebelé était à deux
cents mètres environ de la frontière.
La presse étrangère
Le limes dit au sujet de l'arrestation
du commissaire français de Pagny-sur-
Moselle :
Il est à désirer que l'explication soit à la
fois prompte et complète. Il est difficile de
se livrer à aucun commentaire. Si les faits
s'étaient passés conformément aux seules
informations qui nous soient parvenues
jusqu'à présent, et il faut noter qu'elles sont
exclusivement de source française, la vio-
lation des règles de la politesse internationale
serait si énorme qu'il ne faudrait rien moins
que la mise en liberté immédiate de M.
Schnaebelé ot le désaveu, par les autorités
allemandes, de l'acte commis par M. Gautsch,
pour éviter de désagréables conséquences
diplomatiques. Nous voulons voir dans l'énor.
mité !I ême du coup de main dont il s'agit un
indice plutôt rassurant, et croire qu'après
enquête on s'apercevra qu'on se trouve en
face d'un simple malentendu facile à répa-
rer tout de suite, à moins qu'il ne tourne
à l'énigme, une de ces énigmes extrême-
ment embarrassantes qui semblent inexpli-
cables tant qu'e les ne sont pas expliquées.
Les journaux autrichiens ne parlent
de l'incident de Pagny que très isolément
et avec réserve. Ils croient qu'il convient
d'attendre les renseignements allemands
sur un incident aussi singulier qu'inat-
tendu.
Le lagblatt, pourtant, consacre à l'in-
cident un article de fond. Il dit qu'il y a
là. matière à un véritable conflit. Les
Français ont donné jusqu'à cette heure
des preuves de patience et d'intentions
pacifiques. Peut-être r Allemagne donnera-
t-elle des explications et fera-t-elle des
excuses; probablement aussi ce conflit
sera aplani; mais si de telles violences
surviennent, alors la paix n'est plus gou-
tenable.
La Wiener Allgemeine Zeitung croit
qu'il s'agit d'un excès de zèle d'agents
subalternes; s'il en est ainsi; on ne tar-
dera pas, à Berlin, à arranger l'affaire par
la mise en liberté immédiate de M.
Schnaebelé.
——————— :
COULISSES DES CHAMBRES
La Chambre est saisie, depuis le 21 mars
dernier, du rapport définitif de M. Prado n,
sur le chemin de fer métropolitain. Tou-
tefois, elle n'a pu être appelée à statuer,
jusqu'ici, sur cette affaire, car la commis-
sion parlementaire a introduit dans le
projet primitif des modifications qui en-
traînaient une nouvelle délibération du
conseil municipal de Paris, les conditions
de participation de la Ville à l'entreprise
étant sensibleillent changées.
La commission municipale vient d'ap-
prouver ces modifications et le conseil
municipal qui doit statuer à ce sujet,
dans sa séance de mercredi prochain
27 avril, parait devoir les approuver à
son tour.
A la rentrée, la Chambre se trouvera
donc en présence d'un projet accepté à la
fois par sa commission, par le gouverne-
ment, par le conseil municipal et par le
concessionnaire, M. Christophle, gouver-
neur du Crédit foncier.
Dans ces conditions, une motion sera
faite dans le but de faire mettre le plus
promptement possible à l'ordre du jour
de la Chambre la discussion du projet de
Métropolitain.
-0-
En exécution de la loi de finances pour
1887, on va appliquer au Tonkin, à parti;
du 1er juin prochain, le tarif général des
douanes en vigueur en France. Ce tarif
ne sera, bien entendu, appliqué qu'aux
produits étrangers; les produits fran-
çais importés au Tonidn n'y seront pas
soumis.
La même mesure sera appliquée à la
Cochinchine, le Cambodge et l'Annam,
qui forment avec le Tonkin la région
d'Indo-Chine soumise à no're autorité ou
à notre protectorat.
On va, toutefois, déterminer par des
règlements d'administration publique les
produits étrangers qui, par exception, ne
seront pas soumis à cette tarification en
raison des nécessités du pays. -
«Q>
LA LETTRE DE M. DELMAS
On a lu hier, dans le Rappel, la lettre
de M. Delmas, député républicain, maire
de la Rochelle. Au nom des concitoyens
de Louis HiUairaud, M. Delmas prie le
président du conseil « d'intervenir aunrès
de la noble nation espagnole pour obtenir
que, par dérogation exceptionnelle, bien
que l'acte ait été commis sur le territoire
espagnol, tenant compte des circonstan-
ces qui l'ont provoqué, elle veuille bien
laisser à des tribunaux français le soin
de se prononcer sur un attentat dont
l'âme seule de la France peut apprécier
et déterminer la criminalité ».
Il ne nous appartient pas de dire si le
président du conseil peut faire cette dé-
marche; si, faite officiellement, ainsi que
M. Delmas le désire, elle aurait plus de
chances d'être favorablement accueillie.
Nous le voudrions. A coup sûr, par n'im-
porte quel jury français Hillairaud serait
sûr d'être acquitté. On lui adresserait de
sages paroles ; on lui ferait comprendre
l'irréfléchi, l'irraisonné de son action ;
on lui dirait: Allez 1 et puisque le pa-
triotisme enflamme votre sang, puis-
que le souvenir de nos désastres hante
votre pensée, attendez, réservez pour
de plus nobles tâches, plus utiles, votre
ardeur, votre foi ; l'heure peut venir où la
patrie aura besoin de tous les patriotes.
— Mais qu'il puisse être considéré comme
un meurtrier vulgaire, cela, non.
Au surplus, nous ne faisons pas aux
Espagnols l'injure de les croire capables
d'aucune sympathie pour,Bazaine ; l'hon*
neur est de tous ies pays.. Bazaine n'est
pas seulement hors la loi, il est hors
l'hu nianité. Mais M. Delmas à raison en
disant que des FrançJis, seuls, peuvenf
apprécier le degré de culpabilité d'Hillai-
raud. Parce que Bazaine c'est notre deuil,
c'est notre affront, c'est notre défaite,
hélas I toujours béante, jamais cicatrisée.
Je parle ici, surtout, pour ceux de ma
génération, arrivés à la vie publique
seulement après la lutte. Nous avons
fiévreusement compulsé l'histoire de cette
lutte, nous avons questionné nos aînés,
nous avons visité les champs de bataille,
nous avons reconstruit dans notre pensée
cette épopée sanglante et lamentable à
laquelle, trop jeunes, nous n'avons pu
prendre part, et toujours, partout, nous
avons vu se dresser sur les ruines, sur les
ossuaires, ce fantôme : Bazaine.
Sans lui, peut-être on aurait fini pat
vaincre. C'est ce « peut-être » qui restera
éternellement cloué au front du misérable.
Qui sait?. Paris tenait énergiquement,
et l'héroïsme de ses citoyens compensait
au delà l'inertie et le découragement des
chefs, la France, tout entière galvanisée,
s'armait. Mais quand la victoire de
Coulmiers fit passer dans les veines de
tous les fils de la Gaule un brûlant frisson
d'enthousiasme et d'espérance, Metz était
déjà livré, et Frédéric-Charles, libre de
se porter en avant, s'avançait à marches
forcées &u secours de Von der Thann en
retraite. Une fois de plus, après un effort
prodigieux, nous allions être replongés
Feuilleton du RAPPEL
DU 24 A valL
49
JE DIS NON
LIVRE QEUXIËME
A LONDRES
CHAPITRE XV
FraDeiBe. — (Suite)
Francine reprit avec une sorte de fierté:
— Ne vous ai-je pas dit que l'un de
kûes professeurs avait refusé de me
feontinuer ses leçons? Cela ne vous
,aide-t-il pas à comprendre comment je
me suis délivrée du reste de la bande?
Jejne suis plus chez miss Ladd une élève,
Reproduction interdite.
Voir le Rawel du 5 mars an 23 aYdl.
ma chère ! Grâce à ma paresse et à mon
détestable caractère, je viens d'être éle-
vée au rang de pensionnaire libre. En
d'autres termes, j'honore de ma protec-
tion un établissement où je vais jouir
d'une chambre à moi et des services d'une
domestique spécialement attachée à ma
personne. L'arrangement avait été conclu
entre mon père et miss Ladd avant même
que j'eusse quitté les Indes occidentales.
Et cela, je le suppose, à l'instigation de
ma mère. Vous avez l'air de ne pas me
comprendre?
— En effet, je ne vous comprends pas.
Francine réfléchit un instant.
— Peut-être qu'on vous aimait, vous,
dans votre famille? dit-elle.
— Ohi oui, et je les aimais aussi de
tout mon cœur.
— Vraiment? Eh bien, pour moi c'est
absolument le contraire. Aussi, mainte-
nant qu'ils ont réussi à se débarrasser de
moi, il y a peu de probabilités qu'on me
rouvre jamais la porte du bercail. Je sais
ce que ma mère a dit à mon père aussi
sûrement que si je l'avais entendu de mes
oreilles : « A son âge, Francine ne fera
en pension rien qui vaille. Risquons-en
pourtant l'épreuve, je le veux bien; mais
prenez vos précautions avec miss Ladd
en cas d'insuccès. Autrement, votre fille
nous reviendra comme une pièce fausse. »
—Voilà le langage de ma tendre mère. re-
produit lavec une exactitude de sténo-
graphe.
— C'est votre mère, Francine! ne l'ou-
bliez pas.
— Je ne l'oublie pas, soyez tranquille,
j'ai pour cela des souvenirs trop cuisants.
La, la, ne vous fâchez pas 1 je n'ai pas
voulu froisser votre sensibilité. Revenons
à ce que nous étions en train de dire.
Miss Ladd ne me laisse adopter mon
nouveau genre de vie qu'à une condition :
Ma suivante ne doit pas être une jeune éva
porée, mais bien une femme d'âge mûr
et de caractère sérieux. Il faut donc que
je me soumette au caractère sérieux et
à l'âge mûr, sous peine d'être renvoyée
aux Indes occidentales par la voie la
plus directe. — Combien de temps mis-
tress Ellmother a-t-elle vécu auprès de
votre tante?
- Vingt-cinq ans et plus.
- Bonté divine ! presque toute une
vie ! Et pourquoi cette étonnante créature
n'est-elle pas restée avec vous ? L'avez-
vous renvoyée ?
— Certainement non.
— Alors pourquoi est-elle partie ?
— Je n'en sais rien.
— Est-ce qu'elle s'en est allée sans vous
donner d'explications?
- Précisément.
- Quand est-elle partie?—Aussitôt que
votre taate a été morte. oeut-ôtre ?
— Cela n'a pas d'importance, Fran-
cine.
— En d'autres termes, vous ne voulez
rien me dire. Je grille de curiosité, et
voilà comment je suis reçue ! Ma chère,
si vous avez le moindre égard pour moi,
faites entrer la femme dès qu'elle viendra
chercher votre réponse. J'obtiendrai, je
pense, quelque éclaircissement de mis-
tress Ellmolher elle-même.
— Je ne crois pas qu'elle consente à
vous procurer cette satisfaction, Fran-
cine.
— Attendez, et vous verrez. A propos,
il est convenu que ma nouvelle indépen-
dance me donne le droit d'accepter des
invitations. Connaissez-vous quelques
gens aimables auxquels vous pourriez me
présenter ?
— Je suis bien au monde la dernière
personne qui soit en passe de vous servir
sous ce rapport. Excepté le bon docteur
Allday et. (elle allait ajouter le nom
d'Alban Morris, elle s'arrêta court, et y
suo»^tua celui de son amie). et Cécilia,
dit-elle, je né C?unais absolument per-
sonne.
- Cécilia. est une sotte t fépéta gra-
vement Francine. Mais, en y réfléchissant,
il ne sera peut-être pas inutile que je renoue
mes relations avec elle. Son père est mem-
bre du Parlement ; il possède en ouùre un
fort beau domaine à la campagne. Voîtfz-
vous, Emily, je me marierai très bien, —
grâce à mon argent, — mais à une con-
dition : c'est que je réussirai à m'intro-
duire dans la bonne société. — Ne croyez
pas que je dépende de mon père ; ma dot
est assurée par le testament d'un oncle.
— Oui, oui, certainement Cécilia pour-
rait me servir. Pourquoi ne me mettrais-
je pas dans ses bonnes grâces, de façon à
me faire inviter chez son père, en au-
tomne, quand la maison sera pleine d'une
joyeuse compagnie? Connaissez-vous la
date de son retour ?
— Non.
— Comptez-vous lui écrire bientôt ?
— Naturellement.
— Faites-lui mes tendres compliments,
et ajoutez que je lui souhaite de toute
mon âme la continuation du plus heu-
reux et du plus charmant voyage.
— Francine, vous êtes vraiment révol-
tante t Après avoir traité ma meilleure
amie de sotte, vous lui faites, dans un but
égoïste, d'hypocrites amitiés, et vous vous
imaginez que je vais me faire l'instru-
ment bénévole de cette tromperie.
— Ne vous faites pas de bile, mon en-,
fant, à quoi bon? Nous sommes tous
égoïstes, chère petite ingénueI La seule,
différence, c'est que les uns eta convien-
nent franchement, tandis que les autres,
plus adroits, savent dissimuler, 11 ne mi-
sera pas difficile de trouver le chemin du
cœur de Cécilia. La gourmande! c'est par
sa bouche qu'il passe. — Maintenant,
vous parliez d'un docteur Allday? A-t-il
des réceptions? Donne-t-il des soirées?
Vient-il chez lui de charmants jeunes
gens?. — Chut! j'ai entendu tinter la
sonnette. Allez donc voir qui c'est.
Emily ne jugea pas à propos d'obéir à
cette cavalière injonction, mais la ser-
vante y suppléa en venant dire que la
femme de tout à l'heure était là qui de-
mandait s'il y avait pour elle une réponse.
— Faites-la entrer, dit Emily.
La servante disparut pour revenir au
bout d'une minute.
— Cette personne ne veut pas vous
déranger, miss ; elle vous prie de lui faire
savoir par moi vos intentions.
Emily traversa la pièce pour aller jus-*
qu'à la porte.
- Entrez, mistress Ellmother, dit-elle.
Nous avons été si longtemps séparées.
Entrez, je vous prie.
WILKIE COLLINS.
UL suivref
ADMINISTRATION
58, lUJE DE VALOIS, la
AS OMEMENTS
Six. ÎIV.US 20 »
D'EFARTETIENTS
Trois mois. 1350
Si:-cillojs 27 JI
Adresser Ici très et mandats
A M. ERNEST LEFÈYRE
JiDIu'LN'ISTIlATECrvGSIUNI a
S'adresser au Secrctairo
iS, hue DR VAT.OIS, ;1S
Les mnmir.evi 's non insérés ne» seront pas roulas:
ANNONCES
IDl. Ch. LAGRAINGE, CERP et ce
G. place de la Bourse,G
VACANCES INOPPORTUNES
le ne veux pas apprécier l'incident
âô Pagny. Selon les éclaircissements
qui seront fournis, il peut s'effacer en
lae laissant que le souvenir d'un mau-
vais rêve, ou devenir gros des consé-
quences les plus graves. Attendons
quelques heures encore. Le sang-froid
et la fermeté sont en ce moment, l'un
tomme l'autre, commandés par le pa-
triotisme.
Mais avouez qu'il est dur de penser
que, tandis que le pays tout entier res-
sent une si légitime émotion et tourne
ses regards vers ceux qui le gouver-
nent, les Chambres sont absentes.
On peut aller — je ne dirai pas au
Luxembourg, la chose n'étonnerait
personne — mais au palais Bourbon :
on n'y trouverait pas un seul — mais
pas un seul — membre du Parlement.
La solitude est complète. Les journa-
listes eux-mêmes ont dû renoncer à le
(roubler. Seuls, deux ou trois huis-
siers, assis sur des banquettes, atten-
dent dans l'immobilité que la journée
finisse par s'écouler. A la salle des
conférences, l'ab ence des visiteurs est
telle que pas un journal n'y est dé-
rangé de sa case.
On dirait une nécropole.
En sorte que les inquiétudes patrio-
tiques sont partout, excepté là où il
comble quelles devraient se concen-
trer. Là où le gouvernement devrait
être interrogé, contrôlé, inspiré, dirigé,
il n'y a rien. La vie parlementaire est
suspendue. Les députés se sont trans-
formés, les uns ell conseillers généraux,
les autres en touristes.
Moi qui suis pour la permanence
des assemblées, j'ai toujours trouvé
que l'un des plus grands vices de la
Constitution qui nous régit était de ne
donner au Parlement que cinq mois de
session obligatoire. Si le gouverne-
ment voulait, — si surtout il n'y avait
jj>a& le budget qui n'est jamais prêt à
temps et dont il ne peut pas se passer,
--- il pourrait renvoyer les Chambres
chaque année au mois de juillet, et se
trouver affranchi de toute surveillance
jusqu'au mois de janvier suivant.
Mais, cette fois, ce n'est pas à la
Constitution que je peux m'en prendre.
ea session n'a point duré cinq mois.
Elle n'est ni cloge, ni prorogée. Si les
Chambres sont en vacances, c'est parce
qu'elles l'ont bien voulu.
Le motif qui les a conduites à cette
faute, c'est la session des conseils gé-
néraux. Motif d'ailleurs plus apparent
que réel, car les conseils généraux ne
siègent pas pendant tout le mois qu'el-
les se sont octroyé. La vraie raison,
c'est qu'il paraît doux, quand le prin-
temps arrive, d'aller respirer l'air du
dehors.
Oui, mais il faudrait au moins ne pas
le respirer trop longtemps. Ne sait-on
pas que c'est justement au printemps
que viennent toujours les questions
délicates pour les relations extérieures?
L'incident de Pagny était imprévu,
mais était-il impossible? Bien réglé,
comme j'espère qu'il le sera, à notre
satisfaction et à notre honneur, n'en
peut-il pas survenir un autre? Et le
gouvernement, s'il avait quelque dé-
marche importante à faire, ne trou-
verait-il pas une incontestable force
dans la présence et l'appui des re-
présentants du pays ? Leur ab-
sence , au contraire, n'est-elle pas
pour lui une cause d'incertitude et de
faiblesse? Le pays, lui-même, peut-il
ne pas ressentir quelque trouble à ne
pas voir à leur poste, dans des cir-
constances obscures, ceux à. qui il a
confié la responsabilité de ses affaires?
L'Assemblée nationale, quand elle se
séparait, laissait derrière elle une
commission de permanence qui la re-
présentait, qui pouvait la convoquer et
qui ne laissait rien passer d'important
sans interroger le gouvernement. Puis-
que la Constitution n'a point donné aux
Chambres actuelles le droit devoir une
commission qui siège à leur place,
elles n'ont qu'une chose à faire : c'est
de siéger elles-mêmes.
ERNEST LEFÈVRE.
.—.———.————
L'AFFAIRE SCHNAEBELÉ
Nouveaux renseignements
M. Flourens a fait savoir à M. le pré-
sident du conseil que le chargé d'affaires
d'Allemagne, en l'absence du comte de
Munster, est venu le trouver spontant-ment
hier dans l'après-midi et lui a fait connaître
que le gouvernement allemand n'était pas
encore fixé sur les modalités de l'arresta-
tion de M. Schnaebelé, qu'il se réservait
d'examiner c tte question de concert avec
le go svernement français, mais que l'ar-
restation avait eu lieu en vertu d'un arrêt
de justice.
Hier matin, le garde des sceaux a reçu
le rapport de M. Sadoul, procureur géné-
ral près la cour de Nancy, sur l'incident
de Pagny-sur-Moselle ; il l'a immédiate-
ment communiqué à M. Goblet.
Le président du conseil et le garde des
sceaux ont conféré ensuite avec M. Flou-
rens, ministre des affaires étrangères. Des
rellseignements ont été demandés à notre
ambassadeur à Berlin.
Le conseii des ministres, qui tient ce
matin sa réunion ordinaire du samedi,
examinera la question.
Du rapport du procureur général de
Nancy il résulterait que l'arrestation a eu
lieu réellement sur le territoire français.
Le commissaire français, se rendant au
rendez-vous qui lui était donné par le
commissaire allemand d'Ars-sur-Moselle,
a franchi la frontière de quelques pas.
Sur le territoire allemand, il s'est trouvé
d'abord en présence d'un individu qui,
après avoir feint d'engager la conversa-
tion, s'est jeté sur lui, pendant qu'un
second individu, qui, comme le premier,
sortait des vignes voisines, venait lui
prêter main forte.
M. Schnaebelé qui est très vigoureux,
réussit à se dégager des étreintes de ses
agresseurs et put, faisant quelques pas
en arrière, se rejeter sur le territoire
français. Ses deux agresseurs l'y suivi-
rent. M. Schnaebelé leur montra alors du
doigt la borne-frontière française, pour
leur faire constater qu'il était sur le ter-
ritoire français; mais ce geste n'arrêta
pas les deux Allemands, qui, joignant
leurs efforts, vainquirent la résistance du
.commissaire français et l'entraînèrent sur
le territoire allemand, où il fut garrotté
et emmené de force.
Des témoins ont été entendus par le
procureur général ; les dépositions vont
être envoyées, à l'appui du rapport du
procureur général, au garde des sceaux,
qui en saisira le conseil des ministres.
-
D'après le Courrier de Meurthe-et-Moselle
le procureur de Metz a dirigé son en-
quête de manière à tâcher d'établir que
l'arrestation aurait été opérée sur le terri-
toire allemand.
D'autre part, un homme d'équipe alle-
mand aurait dit :
« On nous a décidés à déclarer que
l'agression et l'arrestation avaient eu lieu
sur le territoire allemand, à six mètres
au moins en arrière de la ligne fron-
tière. »
* -
Nancy, M avril.
Le procureur de Metz s'est transporté à la
frontière, hier jeudi, à quatre heures, pour
procéder à una enquête.
Cinq ouvriers allemands, qui avaient été
apostés exprès, ont déposé que l'agression
avait eu lieu sur le territoire allemand.
Celui qui a ramassé le chapeau de M.
Schnaebelé a déclaré l'avoir ramassé sur le
territoire français.
Ce même individu, qu'un Alsacien-Lorrain
expulsé était allé chercher sur le territoire
allemand, a renouvelé sa déclaration devant
les autorités françaises.
Mais il résulte des vérifications faites sur
le terrain et des dépositions des témoins que
l'agression a eu lieu réellement sur le terri-
toire français.
M. Schnaebelé a été inearcér3 à Metz et mis
au secret.
Dans son interrogatoire, il a protesté
éner^iquement devant le juge d'instruction
contre la violation du territoire et il a affirmé
ignorer le motif de son arrestation.
Pagny-sur-Moselle, 22 avril.
M. Schnaebelé a subi ce soir à six heures
et demie, un deuxième interrogatoire assez
long.
Le parquet de Metz a entendu cette après-
midi dix hommes d'équipe allemands qui tra-
vaillaient sur la lign du chemin de fer, près
de la frontière, à qu lques pas de l'endroit
où a eu lieu l'arrestation.
D'après leur déposition, l'arrestation aurait
été opérée à six mètres du poteau, sur le ter-
ritoire allemand.
Or, à cet endroit, la ligne est en contre-bas
dp cinq mètres et il est absolument impos-
sible de voir ce qui se passe sur la route, qui
passe en contre-haut.
Pagny-sur-Moselle, 22 avril, 3 h. 15, s.
11 est inexact que M. Schnaebelé ait été
transféré hier à Strasbourg, co i me l'an on-
çait un journal de Metz. M. Schnaebelé est
toujours détenn à M<>tz et probablement il y
restera. Il a été interrogé hier soir pendant
une heure par M. Léo ni, juge d'instruction à
Strasbourg, qui dirige l'instruction.
Il est inexact aussi que Mme Schnaebelé
soit allée à Metz, où son mari est toujours
au secret.
i es journaux allemands sont très sobres
de détails sur l'incident, qui continue de
préoccuper viveaient l'opinion publique à
Metz.
-
Berlin, 22 avril.
(Source officieuse allemande.)
L'arrestation de M. Schnaebelé a eu lieu
par ordre du juge d'instruction; elle a été
motivée par des actes de haute trahison com-
mis en Alsace-Lorraine.
Nous n'avons pas besoin de faire remar-
quer qu'un acte de haute trahison contre
t empire d'Allemagne ne peut être com-
mis par un Français qui n'a pas pris de
service auprès du gouvernement alle-
mand; si la loi allemande permet de
semblables poursuites, c'est une loi sin-
gulière. Dans tous les cas elle ne saurait
être appliquée sur le territoire français,
et tout établit que M. Schnaebelé a été
arrêté en France.
Dépêches adressées au Temps :
Pagny-sur-Moselle, 21 avril.
Je viens d'arriver à Pagny. M. Sadoul, pro-
cureur général à Nancy, accompagné d'un de
ses avocats généraux, et M. Gauthereau, com-
mandant la 6' lgiou de gendarmerie, ont
pris le même train pour faire une enquête
sur le guet-apens dont M. Schnaebelé, com-
missaire spécial à Pagny, vient d'être vic-
time.
M. Schnaebelé recevait hier une lettre du
commissaire allemand d'Ars l'invitant à ve-
nir à la frontière pour conférer avec lui sur
le relèvement d'un poteau de la frontière al-
lemande qui avait été renversé par des pas-
sante. M. Schnaebelé, ayant souvent reçu des
invitations semblables, se rendit en toute
confi nce à l'endroit indiqué, situé à une
cinquantaine de mitres d'Arnaville.
Deux hommes en blouse b'anche se jetè.
rent immédiatement sur lui. M. Schnaebelé,
très fort, résista quelques instants. Le com-
missaire de police d'Ars, dissimulé dans les
vignes, donnait des ordres aux deux individ -s
en blouse. Des hommes d'équipe de la station
allemande,attirés parles cris de M.Schnaebelé,
essayèrent d'intervenir; les Prussiens soule-
vèrent leurs blouses et montrèrent leur uni-
forme dn po iciera. On mit les menottes à
M. Schnaebelé pour l'emmener à Metz.
Il a été dirigé, parait-il, sur Leipzig. Sa
femme qui vient de monter dans le même
compartiment que le procureur général, n'a
pas encore reçu de ses nouvelt's.
Je viens de me rendre à l'endroit où a eu
7ieu l'arrestation; des témoins qui travail-
laient dans les vignes sont tous unanimes à
déclarer que M. Schnaebelé a été arrêté sur
territoire français.
Strasbourg, t heure.
La nouvelle de l'arrestation de M. Schnaebelé
a causé dans la ville une vive agitation.
J'ai pu questionner certaines personnes du
monde officiel allemand. Elles ne savent en-
core rien de précis.
Cep enlant elles affirment que le gouverne-
ment allemand aurait en main des indices
que M. Schnaebelé entretenait sur le terri-
toire allemand des relations à ses veux sus-
pectes et était en situation, par son fait ou
par le fait d'agents, de renseigner le gouver-
nement français sur les mesures militaires
qui étaient prises dans les environs de Metz.
C'est alors que la justice allemande aurait
lancé un mandat d'arrêt contre M. Schnaebelé.
Les personnes que j'ai interrogées ne m'ont
renseigné que sur les origines qu'elles don-
nent de l'incident ; elles ne m'ont rien dit
sur la façon dont il s'est produit.
Les journaux de la frontière
Le Courrier de Meurthe-et-Moselle donne
les détails que voici :
Les deux agents qui ont arrêté M. Schnae-
belé seraient de Leipzig et auraient été en-
vovés tout exprès.
De Metz, M. Schnaebelé aurait été expédié
à Leipzig. Les uns disent que M. Schnaebelé
a été arrêté sous l'inculpation d'espionnage ;
d'autres, au contraire prétendent que c'est à
la suite de l'hospitalité qu'il donna à M. An-
toine, la nuit de son expulsion de Metz.
Mme Schnaebelé, que nous avons vue à
Pagny, est sans nouvelles de son mari. Jeudi
mKtin, comme nous arrivions à Pagny, elle
demanda par dépêche à l'autorité allemande
l'autorisation devoir M. Schnaebelé. Lorsque
nous avons quitté Pagny elle n'avait encore
reçu aucune réponse.
Mme Schnaebelé était à Pont-à-Mousson
lors de l'arrestation. Le commissaire d'Ars
présidait à dis lance à l'arrestation pour dési-
gner M. Schnaebelé aux agents. Ce commis-
saire est un nommé Gautsch, un Alsacien
renégat.
Dans notre voyage, nous avons également
acquis la certitude que l'entrée de l'Alsace-
Lorraine était absolument interdite à tout
Français et même à toute Française non
munie d'une autorisation préalable.
Un nommé Thuillier, représentant de com-
merce de la maison de liqueurs Eugène Vin-
cent et Co, aux Brotceaux, à Lyon, a encore
été expulsé jeudi pour n'avoir pas l'autorisa-
tion préalable, malgré ses promesses for-
melles de la demander le jour même à Metz.
Le parquet et la gendarmerie se sont ren-
dus en même temps que nous sur les lieux
pour procéder a une enquête sur les faits
matériels de l'arrestation ; elle a été faite très
secrètement et discrètement par M. Sadoul,
et nous n'en connaissons pas les résultats.
Nous avons vu le poteau ; c'est un poteau
en bois qui se trouve à droite. de la route
lorsqu'on se rend en Lorraine. Les habitants
du pays déclarent qu'à chaque instant il est
renversé, parce qu'il n'est pas suffisamment
assujetti en terre.
En face du poteau allemand se trouve le
poteau français, qui est en fer et scellé
dans une pierre de taille. Jamais il n'est
renversé.
On ne comprend pas pourquoi les Alle-
mands ont déployé dans cette arrestation tant
de r se et de mise en scène, alors que M.
Schnaebelé, sur l'appel de la police allemande,
s'était rendu bien souvent a Novéant, voire à
Metz, où son arrestation aurait été bien sim-
plifiée.
Le Journal de la Meurthe et des Vosges
rapporte ce qui suit :
Un de nos amis, M. L., qui revenait de
Gorze sur un omnibus, s'est croisé avec l'in-
fortuné M. Schnaebelé sur la route de No-
véant, pendant qu'il était mené par ces poli- <
ciers en blouse.
Le désordre d,'s habits de M. So.hnaeV/é, la
poussière qui couvrait le dos de son paletot,
attestaient qu'une lutte violente avait eu lieu
et que M. Schnaebelé avait été roulé par
terre.
En apercevant son ami et le nôtre, M. L.
M. Schnaebelé, dont le visage exprimait la co-
lère la plus violente, s'écria avec douleur et
en levant les mains vers M. L. :
— Oli ! ils m'ont pris l
Les deux sbires en blouse se tournèrent
vers M. L qui n'en croyait pas ses yeux,
et lui intimèrent l'ordre de ne pas s'arrêter.
— Ce n'est pas votre affaire. Passez votre
ch3min, lui dirent-ils de l'air le plus impé-
rieux.
A ce moment, M. Schnaebelé était à deux
cents mètres environ de la frontière.
La presse étrangère
Le limes dit au sujet de l'arrestation
du commissaire français de Pagny-sur-
Moselle :
Il est à désirer que l'explication soit à la
fois prompte et complète. Il est difficile de
se livrer à aucun commentaire. Si les faits
s'étaient passés conformément aux seules
informations qui nous soient parvenues
jusqu'à présent, et il faut noter qu'elles sont
exclusivement de source française, la vio-
lation des règles de la politesse internationale
serait si énorme qu'il ne faudrait rien moins
que la mise en liberté immédiate de M.
Schnaebelé ot le désaveu, par les autorités
allemandes, de l'acte commis par M. Gautsch,
pour éviter de désagréables conséquences
diplomatiques. Nous voulons voir dans l'énor.
mité !I ême du coup de main dont il s'agit un
indice plutôt rassurant, et croire qu'après
enquête on s'apercevra qu'on se trouve en
face d'un simple malentendu facile à répa-
rer tout de suite, à moins qu'il ne tourne
à l'énigme, une de ces énigmes extrême-
ment embarrassantes qui semblent inexpli-
cables tant qu'e les ne sont pas expliquées.
Les journaux autrichiens ne parlent
de l'incident de Pagny que très isolément
et avec réserve. Ils croient qu'il convient
d'attendre les renseignements allemands
sur un incident aussi singulier qu'inat-
tendu.
Le lagblatt, pourtant, consacre à l'in-
cident un article de fond. Il dit qu'il y a
là. matière à un véritable conflit. Les
Français ont donné jusqu'à cette heure
des preuves de patience et d'intentions
pacifiques. Peut-être r Allemagne donnera-
t-elle des explications et fera-t-elle des
excuses; probablement aussi ce conflit
sera aplani; mais si de telles violences
surviennent, alors la paix n'est plus gou-
tenable.
La Wiener Allgemeine Zeitung croit
qu'il s'agit d'un excès de zèle d'agents
subalternes; s'il en est ainsi; on ne tar-
dera pas, à Berlin, à arranger l'affaire par
la mise en liberté immédiate de M.
Schnaebelé.
——————— :
COULISSES DES CHAMBRES
La Chambre est saisie, depuis le 21 mars
dernier, du rapport définitif de M. Prado n,
sur le chemin de fer métropolitain. Tou-
tefois, elle n'a pu être appelée à statuer,
jusqu'ici, sur cette affaire, car la commis-
sion parlementaire a introduit dans le
projet primitif des modifications qui en-
traînaient une nouvelle délibération du
conseil municipal de Paris, les conditions
de participation de la Ville à l'entreprise
étant sensibleillent changées.
La commission municipale vient d'ap-
prouver ces modifications et le conseil
municipal qui doit statuer à ce sujet,
dans sa séance de mercredi prochain
27 avril, parait devoir les approuver à
son tour.
A la rentrée, la Chambre se trouvera
donc en présence d'un projet accepté à la
fois par sa commission, par le gouverne-
ment, par le conseil municipal et par le
concessionnaire, M. Christophle, gouver-
neur du Crédit foncier.
Dans ces conditions, une motion sera
faite dans le but de faire mettre le plus
promptement possible à l'ordre du jour
de la Chambre la discussion du projet de
Métropolitain.
-0-
En exécution de la loi de finances pour
1887, on va appliquer au Tonkin, à parti;
du 1er juin prochain, le tarif général des
douanes en vigueur en France. Ce tarif
ne sera, bien entendu, appliqué qu'aux
produits étrangers; les produits fran-
çais importés au Tonidn n'y seront pas
soumis.
La même mesure sera appliquée à la
Cochinchine, le Cambodge et l'Annam,
qui forment avec le Tonkin la région
d'Indo-Chine soumise à no're autorité ou
à notre protectorat.
On va, toutefois, déterminer par des
règlements d'administration publique les
produits étrangers qui, par exception, ne
seront pas soumis à cette tarification en
raison des nécessités du pays. -
«Q>
LA LETTRE DE M. DELMAS
On a lu hier, dans le Rappel, la lettre
de M. Delmas, député républicain, maire
de la Rochelle. Au nom des concitoyens
de Louis HiUairaud, M. Delmas prie le
président du conseil « d'intervenir aunrès
de la noble nation espagnole pour obtenir
que, par dérogation exceptionnelle, bien
que l'acte ait été commis sur le territoire
espagnol, tenant compte des circonstan-
ces qui l'ont provoqué, elle veuille bien
laisser à des tribunaux français le soin
de se prononcer sur un attentat dont
l'âme seule de la France peut apprécier
et déterminer la criminalité ».
Il ne nous appartient pas de dire si le
président du conseil peut faire cette dé-
marche; si, faite officiellement, ainsi que
M. Delmas le désire, elle aurait plus de
chances d'être favorablement accueillie.
Nous le voudrions. A coup sûr, par n'im-
porte quel jury français Hillairaud serait
sûr d'être acquitté. On lui adresserait de
sages paroles ; on lui ferait comprendre
l'irréfléchi, l'irraisonné de son action ;
on lui dirait: Allez 1 et puisque le pa-
triotisme enflamme votre sang, puis-
que le souvenir de nos désastres hante
votre pensée, attendez, réservez pour
de plus nobles tâches, plus utiles, votre
ardeur, votre foi ; l'heure peut venir où la
patrie aura besoin de tous les patriotes.
— Mais qu'il puisse être considéré comme
un meurtrier vulgaire, cela, non.
Au surplus, nous ne faisons pas aux
Espagnols l'injure de les croire capables
d'aucune sympathie pour,Bazaine ; l'hon*
neur est de tous ies pays.. Bazaine n'est
pas seulement hors la loi, il est hors
l'hu nianité. Mais M. Delmas à raison en
disant que des FrançJis, seuls, peuvenf
apprécier le degré de culpabilité d'Hillai-
raud. Parce que Bazaine c'est notre deuil,
c'est notre affront, c'est notre défaite,
hélas I toujours béante, jamais cicatrisée.
Je parle ici, surtout, pour ceux de ma
génération, arrivés à la vie publique
seulement après la lutte. Nous avons
fiévreusement compulsé l'histoire de cette
lutte, nous avons questionné nos aînés,
nous avons visité les champs de bataille,
nous avons reconstruit dans notre pensée
cette épopée sanglante et lamentable à
laquelle, trop jeunes, nous n'avons pu
prendre part, et toujours, partout, nous
avons vu se dresser sur les ruines, sur les
ossuaires, ce fantôme : Bazaine.
Sans lui, peut-être on aurait fini pat
vaincre. C'est ce « peut-être » qui restera
éternellement cloué au front du misérable.
Qui sait?. Paris tenait énergiquement,
et l'héroïsme de ses citoyens compensait
au delà l'inertie et le découragement des
chefs, la France, tout entière galvanisée,
s'armait. Mais quand la victoire de
Coulmiers fit passer dans les veines de
tous les fils de la Gaule un brûlant frisson
d'enthousiasme et d'espérance, Metz était
déjà livré, et Frédéric-Charles, libre de
se porter en avant, s'avançait à marches
forcées &u secours de Von der Thann en
retraite. Une fois de plus, après un effort
prodigieux, nous allions être replongés
Feuilleton du RAPPEL
DU 24 A valL
49
JE DIS NON
LIVRE QEUXIËME
A LONDRES
CHAPITRE XV
FraDeiBe. — (Suite)
Francine reprit avec une sorte de fierté:
— Ne vous ai-je pas dit que l'un de
kûes professeurs avait refusé de me
feontinuer ses leçons? Cela ne vous
,aide-t-il pas à comprendre comment je
me suis délivrée du reste de la bande?
Jejne suis plus chez miss Ladd une élève,
Reproduction interdite.
Voir le Rawel du 5 mars an 23 aYdl.
ma chère ! Grâce à ma paresse et à mon
détestable caractère, je viens d'être éle-
vée au rang de pensionnaire libre. En
d'autres termes, j'honore de ma protec-
tion un établissement où je vais jouir
d'une chambre à moi et des services d'une
domestique spécialement attachée à ma
personne. L'arrangement avait été conclu
entre mon père et miss Ladd avant même
que j'eusse quitté les Indes occidentales.
Et cela, je le suppose, à l'instigation de
ma mère. Vous avez l'air de ne pas me
comprendre?
— En effet, je ne vous comprends pas.
Francine réfléchit un instant.
— Peut-être qu'on vous aimait, vous,
dans votre famille? dit-elle.
— Ohi oui, et je les aimais aussi de
tout mon cœur.
— Vraiment? Eh bien, pour moi c'est
absolument le contraire. Aussi, mainte-
nant qu'ils ont réussi à se débarrasser de
moi, il y a peu de probabilités qu'on me
rouvre jamais la porte du bercail. Je sais
ce que ma mère a dit à mon père aussi
sûrement que si je l'avais entendu de mes
oreilles : « A son âge, Francine ne fera
en pension rien qui vaille. Risquons-en
pourtant l'épreuve, je le veux bien; mais
prenez vos précautions avec miss Ladd
en cas d'insuccès. Autrement, votre fille
nous reviendra comme une pièce fausse. »
—Voilà le langage de ma tendre mère. re-
produit lavec une exactitude de sténo-
graphe.
— C'est votre mère, Francine! ne l'ou-
bliez pas.
— Je ne l'oublie pas, soyez tranquille,
j'ai pour cela des souvenirs trop cuisants.
La, la, ne vous fâchez pas 1 je n'ai pas
voulu froisser votre sensibilité. Revenons
à ce que nous étions en train de dire.
Miss Ladd ne me laisse adopter mon
nouveau genre de vie qu'à une condition :
Ma suivante ne doit pas être une jeune éva
porée, mais bien une femme d'âge mûr
et de caractère sérieux. Il faut donc que
je me soumette au caractère sérieux et
à l'âge mûr, sous peine d'être renvoyée
aux Indes occidentales par la voie la
plus directe. — Combien de temps mis-
tress Ellmother a-t-elle vécu auprès de
votre tante?
- Vingt-cinq ans et plus.
- Bonté divine ! presque toute une
vie ! Et pourquoi cette étonnante créature
n'est-elle pas restée avec vous ? L'avez-
vous renvoyée ?
— Certainement non.
— Alors pourquoi est-elle partie ?
— Je n'en sais rien.
— Est-ce qu'elle s'en est allée sans vous
donner d'explications?
- Précisément.
- Quand est-elle partie?—Aussitôt que
votre taate a été morte. oeut-ôtre ?
— Cela n'a pas d'importance, Fran-
cine.
— En d'autres termes, vous ne voulez
rien me dire. Je grille de curiosité, et
voilà comment je suis reçue ! Ma chère,
si vous avez le moindre égard pour moi,
faites entrer la femme dès qu'elle viendra
chercher votre réponse. J'obtiendrai, je
pense, quelque éclaircissement de mis-
tress Ellmolher elle-même.
— Je ne crois pas qu'elle consente à
vous procurer cette satisfaction, Fran-
cine.
— Attendez, et vous verrez. A propos,
il est convenu que ma nouvelle indépen-
dance me donne le droit d'accepter des
invitations. Connaissez-vous quelques
gens aimables auxquels vous pourriez me
présenter ?
— Je suis bien au monde la dernière
personne qui soit en passe de vous servir
sous ce rapport. Excepté le bon docteur
Allday et. (elle allait ajouter le nom
d'Alban Morris, elle s'arrêta court, et y
suo»^tua celui de son amie). et Cécilia,
dit-elle, je né C?unais absolument per-
sonne.
- Cécilia. est une sotte t fépéta gra-
vement Francine. Mais, en y réfléchissant,
il ne sera peut-être pas inutile que je renoue
mes relations avec elle. Son père est mem-
bre du Parlement ; il possède en ouùre un
fort beau domaine à la campagne. Voîtfz-
vous, Emily, je me marierai très bien, —
grâce à mon argent, — mais à une con-
dition : c'est que je réussirai à m'intro-
duire dans la bonne société. — Ne croyez
pas que je dépende de mon père ; ma dot
est assurée par le testament d'un oncle.
— Oui, oui, certainement Cécilia pour-
rait me servir. Pourquoi ne me mettrais-
je pas dans ses bonnes grâces, de façon à
me faire inviter chez son père, en au-
tomne, quand la maison sera pleine d'une
joyeuse compagnie? Connaissez-vous la
date de son retour ?
— Non.
— Comptez-vous lui écrire bientôt ?
— Naturellement.
— Faites-lui mes tendres compliments,
et ajoutez que je lui souhaite de toute
mon âme la continuation du plus heu-
reux et du plus charmant voyage.
— Francine, vous êtes vraiment révol-
tante t Après avoir traité ma meilleure
amie de sotte, vous lui faites, dans un but
égoïste, d'hypocrites amitiés, et vous vous
imaginez que je vais me faire l'instru-
ment bénévole de cette tromperie.
— Ne vous faites pas de bile, mon en-,
fant, à quoi bon? Nous sommes tous
égoïstes, chère petite ingénueI La seule,
différence, c'est que les uns eta convien-
nent franchement, tandis que les autres,
plus adroits, savent dissimuler, 11 ne mi-
sera pas difficile de trouver le chemin du
cœur de Cécilia. La gourmande! c'est par
sa bouche qu'il passe. — Maintenant,
vous parliez d'un docteur Allday? A-t-il
des réceptions? Donne-t-il des soirées?
Vient-il chez lui de charmants jeunes
gens?. — Chut! j'ai entendu tinter la
sonnette. Allez donc voir qui c'est.
Emily ne jugea pas à propos d'obéir à
cette cavalière injonction, mais la ser-
vante y suppléa en venant dire que la
femme de tout à l'heure était là qui de-
mandait s'il y avait pour elle une réponse.
— Faites-la entrer, dit Emily.
La servante disparut pour revenir au
bout d'une minute.
— Cette personne ne veut pas vous
déranger, miss ; elle vous prie de lui faire
savoir par moi vos intentions.
Emily traversa la pièce pour aller jus-*
qu'à la porte.
- Entrez, mistress Ellmother, dit-elle.
Nous avons été si longtemps séparées.
Entrez, je vous prie.
WILKIE COLLINS.
UL suivref
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