Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1878-12-14
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 décembre 1878 14 décembre 1878
Description : 1878/12/14 (N3200). 1878/12/14 (N3200).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine commune
Description : Collection numérique : La Commune de Paris Collection numérique : La Commune de Paris
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75301120
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/08/2012
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F 3200 - Samedi 14 t)écemï>rèl8.~ jjga g> W j WB 41. 54 Frimaire an 37 - ed 330tT
RÉDACTION
S'adresser fUi Secrétaire de la Rédaction
Be 4 ô 6 heums éu soir
if, EVE 1>E VALOIS, 18
~e? rnanus«rit? non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
mm. riï. lagrancr, ckrf et C.
0j .place de ln. Bourse, G
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DÉPARTEMENTS
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îurti-répubiicain la phrase suivante :
« Le gouvernement, qui autrefois
subsistait sans armée, sans force maté-
lielle, et qui était presque un gouverne-
ment gratuit, a besoin aujourd'hui de
f&rces immenses et de dépenses infi-
nies pour vivre. »
Tiens i c'est depuis la République
'que la France a besoin d'une armée ?
CPest sans armée que Louis XIV a fait
la guerre du Palatiuat et la guerre
(l'Espagne, et que Louis XV a fait la
guerre de Sept-ans ? C'est sans armée
jqce Napoléon a fait sa guerre de vingt-
jet-un ans?
Et la monarchie est moins coûteuse
rqne la République? Le gouvernement
Monarchique, était un gouvernement
presque gratuit ? Pourquoi « presque »?
[te Presque » est mou. A la place du
journal anti-républicain, nous aurions
dit : Tout-à-fait gratuit.
Nous avons déjà fait le compte de la
monarchie impériale. Négligeons ses
guerres., dont la dernière, à elle seule,
a *©èté dix milliards. Prenons-le à l'é-
tat pacifique. Quel gouvernement éco-
nomique ! Peut-on rêver des traitements
plus modestes que ceux-ci : M. Rouher,
f$8;606 fr. ; le maréchal Bazaine,
2f0fl/000; le maréchal Vaillant, 260,000;
M. Troplong, 356,000. Le président
île la République des Etats-Unis a
125,000 francs. M. Troplong coûtait
à peine le prix de trois Washington !
Vgemporeur, lui, n'avait que vingt-cinq
caillions par an et, pour sa famille, un
million et demi; en tout, vingt-six mil-
fions cinq cent mille francs. On a cal-
culé que, les paysans gagnant en
aaoyenae deux francs par jour et les
ouvriers trois francs, un grand digni-
taire comme M. Troplong (trois cent
cinquante-six mille francs par an :
neuf cent soixante-quinze francs par
jour) dévorait tout au plus le travail de
trois cent vingt-cinq ouvriers ou de
quatre cent quatrevingt-sept paysans, et
qae l'empereur (vingt-six millions et
demi : par jour, soixante - douze mille
£ ix cent deux francs) ne mangeait
guère à son dîner que vingt-quatre
tmlie deux cents ouvriers ou trcnte-sia:
Tnilleirois cent-un paysans.
La royauté n'était pas moins gra-
tuite que l'empire. Quand l'étranger
nous la ramena en 1815, elle trouva
que la France n'était pas assez ruinée
par deux invasions coup sur coup, par
sept icents millions à donner aux alliés,
par l'entretien de onze cent cinquante
mille ennemis logés et nourris pendant
plus d'un mois et par cinquante mille
à entretenir pendant trois ans : elle y
ajouta un milliard pour les émigrés.
Les ennemis de la royauté se figu-
rent que les rois donnaient à leurs maî-
tresses beaucoup de notre argent. Eh
bien ! savez-vous ce que coûta en tout
une de celles que Louis XV garda le
plus longtemps ? Le prix total de Mme
de Pompadour fut à peu près de trente-
six millions, qui feraient quelque chose
comme cent millions d'aujourd'hui.
Peuh! Et Louis XIV payait si mal
Mme de Montespan qu'elle n'a ja-
mais risqué au jeu plus de trois cent
mille écus d'un coup.
Mais il fallait bien que Mme de Mon-
tespan et Mme de Pompadour se con-
tentassent du peu que leur donnaient
Louis-le-Grand et Louis-le-Bienaimé,
leurs rois ne pouvant pas prendre dans
la poche du peuple ce qui n'y était pas.
La poche du peuple était vide. C'est
sous Louis-le-Grand que le duc de
Saint-Simon écrivait : « On vit en Nor-
mandie de l'herbe des champs; le pre-
mier roi de l'Europe ne peut être un
grand roi s'il ne l'est que de gueux
de toutes conditions, et si son royaume
tourne en un vaste hôpital de mourants
et de désespérés. » C'est sous Louis-le-
Biônaimé que, des paysans affamés
ayant envahi Dijon et pillant un acca-
pareur de blés, l'intendant de Bour-
gogne vint leur dire, pour les calmer,
que l'herbe commençait à pousser dans
les champs.
On conçoit que, dans cet état du
peuple, le roi ne pouvait donner à ses
maîtresses et à ses courtisans tout ce
qu'il leur aurait fallu pour jouer trois
cent mille écus à chaque coup. On ne
peut certai nement pas reprocher aux rois
de France de n'avoir pas fait tout ce qui
dépend d'eux pour se procurer notre ar-
gent. J'ouvre au hasard Y Histoire deMi-
chelet : « Sous Philippe-Jo-Bel, le fisc,
ce monstre, ce géant, naît altéré, af-
famé, ,cndeiité. Il crie en naissant,
comme le Gargantua de Rabelais : A
manger ! à boire ! L'enfant terrible,
dont on ne peut soûler la faim féroce,
mangera au besoin de la chair et
boira du sang. » Je tourne la page et
je lis : « Le juif ne rendant pas assez,
Philippe-le-Hel tomba sur le chré-
tien. Il altéra encore les monnaies,
augmentant le titre et diminuant le
poids; avec deux livres il en payait
huit. Il ne voulait de sa monnaie que
pour un tiers : deux banqueroutes en
sens inverse. » Mais c'est là de la monar-
chie ancienne? La royauté n'a pas fait
que les banqueroutes dePhilippe-le-Bel.
J'ouvre Boileau : « Plus pâle qu'un ren-
tier à l'aspect d'un arrêt qui retranche
un quartier. » Voilà pour Louis XIV.
Louis XV a fait neuf banqueroutes. Il a
fait mieux : le pacte de Famine. — Ban-
queroute, faux-monnayage, spéculation
sur la faim du peuple, des rois qui ont
fait tout cela ne peuvent pas être accu-
sés de ne pas êtfle allés jusqu'au fond
de notre poche, et ce n'est pas leur
faute si l'un d'eux a été réduit à ne
donner à une de ses maîtresses que
cent millions.
Mais le fait n'en est pas moins que
Louis XV n'a donné que cela à Mme de
Pompadour, et à ses autres maîtresses
en proportion. Et les dons de la plupart
de nos rois à leurs maîtresses et à leur
cour haute et basse se sont générale-
ment tenus dans les mêmes chiffres.
C'est pourquoi nous accordons sans
difficulté au Monde que ga République
n'est pas et ne sera jamais gratuite
c omme la monarchie.
AUGUSTE VACQUERIB.
,;..
AU SÉNAT
11 était environ quatre heures, et l'on
venait de discuter quelques petits pro-
jets, quand l'ordre du jour, comme on
dit, appela la discussion du budget.
Bien entendu, M. d'Audiffret-Pasquier
n'était pas à son fauteuil ; M. le duc,
depuis quelque temps, se trouve ré-
gulièrement ailleurs chaque fois qu'il
doit s'engager une lutte délicate où le
président risque d'avoir un rôle à jouer.
Aussi, apercevions-nous aujourd'hui à
sa place M. le général Ladmirault.
Cela avait son importance. On con-
naît le système de retard adopté par la
droite. On sait que, dans la commis-
sion, M. Caillaux discute, des journées
entières, un tout petit crédit accordé
aux eaux de la Bourboulo. On n'ignore
point la plaisanterie de fumistes ima-
ginée par les droitiers de la commis-
sion, faisant prendre la copie à demi-
composée à l'imprimerie, parce que,
disaient-ils, la minorité avait besoin
d'une nouvelle lecture de tous les rap-
ports pour être édifiée ; puis, la lecture
à peine commencée, la minorité s'en
va dîner, laissant là de planton M. de
Belcastel, pour s'assurer qu'on lisait
bien tout : et la gauche est retenue, à
jeun. jusqu'à neuf heures du soir, pour
écouter une lecture destinée à instruire
MM. de Broglie, Chesnelong et Cail-
laux, lesquels, pendant ce temps-là,
dînaient tranquillement à Paris.
On pouvait donc prévoir que ces ho-
norables mystificateurs feraient leur
possible pour ajourner la discussion du
budget. Est-il téméraire de supposer
que la droite nourrissait ce projet? M.
Ladmirault ne l'ignorait pas et ne s'en
désintéressait pas.
èe*
Il s'agissait donc de gagner un jour.
Comment faire? Proposer au Sénat de
remettre à demain? Mais alors, on
avait devant le pays la responsabilité
de ce qu'on faisait. Et puis on se dé-
masquait, on risquait un échec. Ne pas
faire la proposition? Alors le budget
était discuté tout de suite. Dansle doute,
nos bons droitiers se sont contentés de
crier, de murmurer, de gronder, et
nous avons eu un spectacle tout nou-
veau.
Pendant un grand quart d'heure, la
séance resta comme vide. A droite,
tout le monde parlait à la fois. On se
mit à répondre à gauche, et la tribune
était inoccupée. C'était le devoir du
président de faire taire tout le monde
et, en l'absence de toute proposition
d'ajournement, de donner la parole au
premier inscrit.
M. Ladmirault, aussi indifférent que
les huissiers, regardait la scène de son
fauteuil. On n'aurait pas cru que cela le
concernât.
Ce général ne s'en mêlant pas, et
personne, sauf lui, n'ayant le droit de
s'en mêler, cela pouvait continuer pen-
dant vingt-quatre heures. Par bon-
,heur, M. Testelin monta à la tribune
pour faire remarquer qu'il fallait dis-
cuter le budget. La droite cria, mais
toujours sans que personne se levât
pour demander formellement le renvoi
à demain. Du moins, un seul droitier
se prononça en ce sens. Qui ? M. Lad-
mirault, précisément, qui, comme pré-
sident, cette fois, ne devait rien dire.
Enfin, M. de Lareinty se décida. Il
était temps ! Mais avec quelles précau-
tions ! — « Messieurs, dit-il, nous ré-
pudions toute idée de proposer un
ajournement de la discussion du bud-
get ; en conséquence, je vous propose
de l'ajourner à demain ». Cette fois, il
fallait voter. — Dans toute la scène qui
avait précédé, aucune portion de la
droite ne s'était montrée plus enragée
que MM. les orléanistes — ce qu'on
appelle le groupe Bocher. — Nous le
constations avec plaisir; car nous avons
prédit, il y a longtemps, que devant
l'éventualité d'un Sénat républicain, ce
groupe serait le plus furieux.
Aussi, au vote, les Bocher, les Lam-
bert Sainte-Croix, les d'Haussonville se
sont-ils levés résolûment avec la droite.
Ils comptaient sur les défections, il n'y
a déjà plus de majorité de combat au
Sénat. Nombre de réactionnaires inco-
lores sentent déjà le vent qui souffle,
et la gauche a obtenu un succèsv très
marqué.
_fil.
La parole était à M. Chesnelong :
M. Chesnelong paraît. Cinq minutes
avant, de M. Lareinty affirmait que ses
amis, n'ayant le rapport que depuis
hier, n'avaient pas eu le temps de se
préparer. On passa outre, et l'on fit
bien, car, cinq minutes après, M. Ches-
nelong débitait son discours appris par
cœur jusqu'à la moindre incidente.
M. Chesnelong est double : il vend,
comme l'on sait, du drap et du cochon;
avec cela, il est mystique. Marchand et
saint, il va du compte par doit et avoir
à l'extase. Maître Jacques d'un genre
particulier, il pourrait dire : « Est-ce à
Barême ou à sainte Thérèse que vous
désirez parler?» Or, son discours mon-
trait, sans transition, ses deux natures.
Le négociant avait écrit la première
partie, et le mystique la seconde. Rien
de plus drôle que le brusque change-
ment de ce morceau oratoire. On est
quelque peu surpris de tomber d'une
addition dans un élan de piété. *
La première partie avait son mérite;
elle était claire, et, en somme, fort mo-
dérée. Du reste, exclusivement budgé-
taire, elle n'offrait qu'un médiocre in-
térêt politique. Elle aurait pu faire
illusion si M. Chesnelong avait conclu ;
mais il s'en garde bien, et pour cause.
Quelle était en effet la conclusion né-
cessaire? Rayer du budget les dégrè-
vements d'impôts. Voilà, au fond, ce
que proposait M. Chesnelong. Eh bien!
qu'il ose donc le dire franchement!
Oui. mais les élections de ses amis?
Il est toujours facile de critiquer un
budget. L'idéal étant de supprimer tous
les impôts, d'augmenter toutes les dé-
penses et d'avoir avec cela un excédant
de recettes, on peut toujours trouver la
réalité fort éloignée de cet idéal im-
possible. Mais, eu somme, quels sont
les griefs de M. Chesnelong? — L'em-
prunt du 3 0[0 amortissable ? La ques-
tion a été tranchée par les deux Cham-
bres. — Il y a un trou dans le bud-
get, dit M. Chesnelong. Tel crédit di-
minué ne l'est que sur le papier. Et
il parle d'une diminution visant un
abus de bureaucratie, maintenu mal-
gré des votes antérieurs. Eh bien !
on verra si l'abus sera toujours le
plus fort! Et il reproche au gouver-
nement d'emprunter peur payer les
travaux publics! Pourtant, il faut choi-
sir : ou l'on n'empruntera pas, ou l'on
ne complétera pas des travaux non
point utiles, mais nécessaires au pays.
Et puis, il oublie soigneusement que
cet emprunt s'amortit lui-même chaque
année. ,
.-.
Quant à la partie politique, vous la
connaissez : péril social, persécution
contre le clergé, menaces à la magis-
trature, — tout le vieux bagage réac-
tionnaire y passe. On fait un tableau
effrayant du « radicalisme » qui va
être le maître. Des « impôts socia-
listes » ruineront la France. — A quoi
bon rééditer ces sornettes? Il y a si
longtemps qu'elles sont usées !
Seulement, voici où est la inalice.
M. Chesnelong se tourne vers le centre
gauche : « Ce n'est pas vous qui ferez
jamais cette politique, vous en serez
victimes comme nous; et alors, mais
trop tard, vous vous jetterez dans nos
bras. » Conclusion électorale : Si vous
voulez sauver le gouvernement actuel,
nommez les amis de M. Chesnelong.
Ces messieurs de la droite ont une si
grande vocation pour la candidature
officielle qu'à en croire un de leurs ora-
teurs les plus violents, ils seraient les
candidats du ministère !
La plaisanterie est un peu forte.
L'homme qui se la permet est précisé-
ment l'un des ambassadeurs qui sont
allés proposer la couronne à Henry V.
Qui espère-t-il tromper? Messieurs les
monarchistes, un peu de pudeur. Nous
vous savons capables de mettre fort
humblement votre drapeau dans votre
poche. Eh bien! ce que vous faites
n'est pas fort ; mais ce n'est pas habile
non plus. Tout le monde a flairé la 4u-(
perie.
Et comment ne pas le deviner, quand
on entend M. Chesnelong faire UJ1
éloge enthousiaste de l'Assemblée &e
1871? de cette majorité du 24 mai qui
s'incarne dans les noms les plus odien.
au pays, ceux de MM. de Broglie et
Buffet? La France a baptisé cette Cham-
bre néfaste, qui lui a donné la guerre
civile et l'ordre moral : c'est « l'Assem-
blée du jour de malheur
Ob0 a
M. Varroy a terminé la séance pw
une excellente réponse. — On sait que
le rapporteur du budget possède ua
talent très solide, fait de compétence et
de justesse d'esprit. Il a répondu d'une
manière irréfutable à la discussion
budgétaire de M. €hesnelong. Le droi-
tier avait rappelé le mot fameux : « Fai-
tes-nous de la bonne politique, nous
ferons de bonnes finances. » - A son
avis, la politique cléricale et réaction-
naire était celle qui donnait ces fi-
nances admirables. M. Varroy n'a eu,
pour lui répondre, qu'à lui citer, chif-
fre par chiffre, ce que le Seize-Mai avait
ôté au budget.
La suite du débat a été remise à de-
main. On entendra, dit-on, M. Bocher.
Vous verrez qu'il sera le plus acharné
de tous.
CAMILLE PBLLETAS.
————————— —————————
COULISSES DE VERSAILLES
La Chambre ayant épuisé son ordre du
jour — par suite du renvoi des élections
Gavini et Abbatucci à la prochaine session
— s'est prorogée hier en laissant à son
président le soin de la convoquer pour fô
jour où sa réunion deviendrait nécessaire.
Cette dernière réunion — à supposer
même que le Sénat ne modifie pas le bud-
get et ne rende pas par suite nécessaire
une nouvelle délibération de la Chambre
— est absolument indispensable. Le dé £
cret de clôture de la session doit, en effeti
être lu devant les Chambres le même jour:
Quelques personnes avaient paru croire
qu'il suffirait d'insérer le décret de clôture
au Journal officiel; mais ce procédé serait
absolument irrégulier, et le cabinet, on
peut en être certain, ne le suivra pas.
Quant au Sénat, ainsi qu'on l'a vu par
le compte rendu, il a abordé dans la séance
d'hier la discussion du budget. Les pro-
moteurs du projet d'ajournement à samedi
ou lundi ont reculé au dernier moment,
et le débat a pu s'engager conformément
à l'ordre du jour.
On estime que la discussion s'achèvera
soit demain soir, soit lundi au plus tard.
Des grands discours annoncés, un, celui
de M. Chesnelong, est déjà expédié; les
autres, ceux de MM. Lucien Brun, Bocher,
de Larcy et Buffet, ne paraissent pas de-
voir être de longue durée.
Quant aux amendements, il n'y en a
que deux : un de M. de Belcastel, contre-
signé par MM. de Broglie, Chesnelongr
Caillaux, Delsol, Pouyer-Quertier et Gra-
nier, membres de la minorité de la commis-
sion des finances, et un de M. Caillaux.
C'est celui de M. de BelcasLel qui offre
seul quelque intérêt; c'est sur lui que la
droite va, en effet, concentrer tous ses ef.
fort ; il tend à faire rétablir le crédit d€
200,000 fr. pour le traitement des desser-
vants, supprimé par la Chambre. S'il était
adopté, il rendrait nécessaire le renvoi du
budget à la Chambre. Mais il est au moins
Feuilleton du RAPPEL
Du 14 DÉCEMBRE
W-
â9
LES
PETITES ÉTOILES
•TV
»
fje ménage Vaalhier
(Suite)
Pauline disait parfois, en songeant à la
plupart de ses amies de pension, mariées et
,httaes du sort, devenues malheureuses,
Jrompées ou ruinées :
- Comme peu de temps change les
destinées! Sais-tu, Maurice, que je suis la
$>hjs heureuse de toutes?
— Et sais-tu pourquoi? demandait-il à
Ion tour.
-Nen..
- Parce que tu es la meilleure !
Ce bonheur de la jeune femme, de
Voir le Rappel du 25 novembre au i3 dé-
lembre.
quoi était-il fait, à vrai dire ? De travail
et de devoir. Ce sont peut-être là les
plus solides ciments des humbles joies hu-
maines.
Compagne de labeur durant le jour, elle
n'était mère que le soir, après la tâche fi-
nie. Mais cet intérieur de magasin, où elle
vivait au fond d'une cour, comme dans un
puits, dans l'emprisonnement des hautes
murailles de deux maisons à six étages,
pareilles à des casernes, et percées de fe-
nêtres multiples semblables à des yeux,
cette demeure pleine de tapage et d'om-
bre. qui eût paru sinistre à tant d'autres,
lui plaisait. Avide de rêve et de poésie,
comme toutes les femmes, elle ne les
cherchait pas dans les romans fugitifs qui
traversent les esprits débiles, elle les trou-
vait là, partout, dans cette maison labo-
rieuse, aux côtés de son mari, à la table
de famille, au chevet de ses enfants.
Elle les trouvait jusque dans ces grands
magasins froids où s'empilaient les porce-
laines blanches, et, comme elle eût visité
'une exposition ou un bazar, elle s'amusait
parfois à conduire son Pierre et le petit'
Albert dans le magasin de décors en leur
disant :
— Regardez, cherchez et prenez !
Et tandis que les petits allaient et
venaient, le plus grand contemplant,
comme les tableaux d'un musée, les belles
choses peintes, le plus petit, remuant,
avec une vivacité joyeuse, les soucoupes
ou les petits cabarets pour enfant enfer-
més dans des boîtes, elle regardait ce
magasin étincelant — la pièce la plus
claire du logis — et s'y plaisait.
Sous un vitrage laissant tomber d'a-
plomb le jour cru du dehors et découpant
entre quatre murailles hautes un pan de
ciel grand comme un drap de lit, dans les
rayons superposés, des milliers de veil-
leuses aux fonds rose ou vert bleu, ali-
gnées le bec en avant, dans une immobi-
lité curieuse, brillaient, avec des reflets
d'or sur les anses; et l'œil étonné, dans ce
magasin de décors, s'arrêtait devant le
fourmillement de ces blancheurs dorées,
vases ou cache-pots à larges fleurs japo-
naises, sucriers au couvercle retourné,
baguiers superposés avec leurs pieds grê-
les, bols aux rondeurs luisantes, avec
leurs filets dorés ou leurs fleurs jetées; et
dans ce fouillis de porcelaines peintes où
des tons de bleu, depuis le bleu tendre du
myosotis jusqu'au bleu profond du ciel,
s'étalaient à côté de taches roses, vertes
ou pourpres, dans ce rassemblement de
tous les modèles, depuis les vieux cornets
à rocaille de la fabrication d'autrefois jus-
qu'aux gourdes et aux fioles du japonisme,
tout éclatait, scintillait. Ces milliers d'ob-
jets placés au milieu du magasin, sur la
table de chêne où les commis empaque-
taient les commandes, ou bien posés
dans les rayons en attendant l'acheteur,
faisaient, avec leurs dorures, leurs fonds
de couleur et leur blanc brillant, l'effet
d'une orfévrerie multicolore étincelant
dans la claire lumière du plein air.
Et ce spectacle des enfants allant et ve-
nant, au milieu de ces scintillements, amu-
sait Pauline. Puis elle les emmenait, les
envoyait jouer, là-haut, avec les bonshom-
mes ou les chiens en biscuit, qu'ils empor-
taient, et, toute contente, elle allait s'as-
seoir dans la grande cage vitrée qui ser-
vait de bureau, à sa place accoutumée.
Elle l'aimait aussi cette place d'habi-
tude, où elle venait, depuis neuf ans, près
de Maurice.
Cette âme d'épouse souriant à tous les
devoirs comme à des joies, -avait toujours
voulu et obstinément voulu sa part des
labeurs du logis, des soucis de la maison
qui, souvent, en 70, en 71, avait traversé
bien des crises. Elle s'était vraiment faite
la collaboratrice assidue de Maurice. Elle
l'aidait et le suppléait, au bureau, dans
les écritures, lui disant parfois avec un
accent de tendresse ardente : « Tout ce
que je t'épargne de travail, je le retrouve
en bonheur. Je t'ai davantage. Tu ne me
remplacerais jamais, va, comme premier
commis ! »
Vaillante, supprimant de la vie tout ce
qui est banal, elle était toujours, sauf de
rares heures de vacances, à la même pla-
ce, dans le bureau.
Courbée sur le pupitre en pente, der-
rière le vitrage dépoli# où, à travers un
carré, elle apercevait seulement un lam-
beau de rue, la découpure d'un grand
portail toujours encombré de caisses, de
harasses, de camions, des passants lon-
geant le trottoir, poussant des haquets,
déchargeant des fardeaux, ou encore la
caisse de quelque omnibus jaune, la ca-
pote d'un fiacre, un petit coin du pavé
gras, avec les pierres découpées comme
un damier de couleur brune, Pauline
voyait ainsi, jour par jour, s'écouler sa
vie, dans une tâche continue acceptée
avec bonne humeur, parmi les cahiers, les
papiers azurés des factures, entre les
grands livres familiers, aux dos de peau
verte avec des étiquettes rouges portant en
lettres d'or des titres tant de fois regardés
et épelés : Journal, Grand livre, Livre de
caisse, Brouillard, et tous ces objets qui
étaient le cadre même de son existence
uniforme, uniformément heureuse : l'a-
genda accroché à la muraille, et dont on
détachait chaque matin un feuillet portant
une date suivie de quelque éphéméride
bizarre ; le gros Bottin relié de toile grise,
le vieil almanach qui durait un an, les
factures posées sous, le presse-papier de
bronze, la caisse en fer, les tampons des
timbres secs, les cartonniers à poignée de
cuivre avec leurs cartons verts marqués de
lettres alphabétiques, et les casiers de
chêne jaune bruni par le temps, au milieu
desquels elle respirait, penchée, écrivant,
débitant, facturant; tandis que du fond du
magasin venait vers elle le bruit des piles
d'assiettes remuées et choisies par les
commis, le choc régulier des soucoupes
posées sur des soucoupes, et qu'on en-
tendait vibrer dans le fond sombre du
magasin, ou encore, du dehors, le bruit,
des caisses carrées, marquées M. V. qu'on
recevait de Limoges et que les garçons,
les pieds dans le foin, déballaient.
Et, quand elle n'écrivait pas, les yeux
fixés sur le petit carré nettement tracé au
milieu des vitres dépolies, elle regardait
dans la rue, sans voir autre chose que ses
rêves de jeune fille, ses bonheurs d'épouse,
ses espoirs de mère passer et repasser dans
l'étroit espace de ce carré tiré au cor-
deau.
C'était comme un théâtre minuscule où
son imagination amenait, les tenant par
un fil de soie, des espèces de petites ma-
rionnettes idéales qui lui jouaient là, sou-
riantes, vêtues de soie, d'azur, de roses, la
comédie heureuse de sa vie. Elle les
voyait se mouvoir sur cette scène qui
n'existait pas; chacun de ses rêves, figurés
ainsi, lui jetait en passant un baiser ou un
sourire. Ah! tout ce qui tournoyait dans
le petit carré découpé sur la rue! C'était
comme un vol léger de papillons! La pous-
sière de leurs ailes semblait neiger dans
un rayon d'or. Et toute sa vie, oui, son
existence entière, cette vie uniformément
dévouée, chastement passionnée, douce-
ment attendrie, Pauline l'avait vue et la
revoyait par le souvenir, dans cette décou-
pure où, la soirée des fiancailles le iour
du mariage, la naissance de Pierre, lapre-
mière nuit de terreur passée au chevet du
petit, les veillées effrayées auprès de Mau-
rice malade, le premier pas d'Albert troti-
nant par la chambre, tombant sur le tapie,
et, déjà brave, essayant de se lever crtae.
ment d'un air fier, sur ses grosses petite!
mains, tous ces mille petits riens joyeui
ou angoissés venaient se peindre rapetis-
sés et pareils à une scène regardée par le
gros bout de la lorgnette, dans ce petit
espace, où d'autres que Pauline n'eussent
rien aperçu.
Et, après avoir souri à ces visions, à ces
espoirs animés, à ces petits fantômes qui
semblaient lui dire : « — Moi, je suis l'a-
mour profond et éternel de Maurice ! Moi,
je suis ton fils aîné qui a ta tendresse el
ton âme ! Moi, je suis le petit démon qui
fait tant de bruit partout, et qui, là-bas,
amène une grimace aux lèvres du grand-
père ! » — Pauline entendait tout à coup
la voix de Maurice qui l'appelait ou celle
d'un commis qui, s'approchant du guichet
ouvert sur le grand magasin, lui di-
sait :
— Madame, voulez-vous bien, s'il vous
plaît, débiter cette livraison ?
Elle semblait alors, d'un signe de tête,
dire : Au revoir\ à ses chères visions, à ses
pantins invisibles qui s'envolaient, et, pre-
nant la plume, elle traçait alors sur le
brouillard ce qu'on lui dictait, de loin :
— Doit lemblin, à Cosne. Douze douzainet
assiettes plates.
Et sa voix, à mesure que sa main écri-
vait, redisait, répétait au commis, tout
haut, pour éviter les erreurs :
— Douze douzaines. assiettes plates.^
Après?
JULES CLARETIE.
(A suivre)
F 3200 - Samedi 14 t)écemï>rèl8.~ jjga g> W j WB 41. 54 Frimaire an 37 - ed 330tT
RÉDACTION
S'adresser fUi Secrétaire de la Rédaction
Be 4 ô 6 heums éu soir
if, EVE 1>E VALOIS, 18
~e? rnanus«rit? non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
mm. riï. lagrancr, ckrf et C.
0j .place de ln. Bourse, G
, ADMINISTRATION t~, S 4
18, itttu M vaiois, if <1 v\
ABaVKS-lIKSTS
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Trois aapis f/9 »
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DÉPARTEMENTS
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? «ElEMp MW
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îurti-répubiicain la phrase suivante :
« Le gouvernement, qui autrefois
subsistait sans armée, sans force maté-
lielle, et qui était presque un gouverne-
ment gratuit, a besoin aujourd'hui de
f&rces immenses et de dépenses infi-
nies pour vivre. »
Tiens i c'est depuis la République
'que la France a besoin d'une armée ?
CPest sans armée que Louis XIV a fait
la guerre du Palatiuat et la guerre
(l'Espagne, et que Louis XV a fait la
guerre de Sept-ans ? C'est sans armée
jqce Napoléon a fait sa guerre de vingt-
jet-un ans?
Et la monarchie est moins coûteuse
rqne la République? Le gouvernement
Monarchique, était un gouvernement
presque gratuit ? Pourquoi « presque »?
[te Presque » est mou. A la place du
journal anti-républicain, nous aurions
dit : Tout-à-fait gratuit.
Nous avons déjà fait le compte de la
monarchie impériale. Négligeons ses
guerres., dont la dernière, à elle seule,
a *©èté dix milliards. Prenons-le à l'é-
tat pacifique. Quel gouvernement éco-
nomique ! Peut-on rêver des traitements
plus modestes que ceux-ci : M. Rouher,
f$8;606 fr. ; le maréchal Bazaine,
2f0fl/000; le maréchal Vaillant, 260,000;
M. Troplong, 356,000. Le président
île la République des Etats-Unis a
125,000 francs. M. Troplong coûtait
à peine le prix de trois Washington !
Vgemporeur, lui, n'avait que vingt-cinq
caillions par an et, pour sa famille, un
million et demi; en tout, vingt-six mil-
fions cinq cent mille francs. On a cal-
culé que, les paysans gagnant en
aaoyenae deux francs par jour et les
ouvriers trois francs, un grand digni-
taire comme M. Troplong (trois cent
cinquante-six mille francs par an :
neuf cent soixante-quinze francs par
jour) dévorait tout au plus le travail de
trois cent vingt-cinq ouvriers ou de
quatre cent quatrevingt-sept paysans, et
qae l'empereur (vingt-six millions et
demi : par jour, soixante - douze mille
£ ix cent deux francs) ne mangeait
guère à son dîner que vingt-quatre
tmlie deux cents ouvriers ou trcnte-sia:
Tnilleirois cent-un paysans.
La royauté n'était pas moins gra-
tuite que l'empire. Quand l'étranger
nous la ramena en 1815, elle trouva
que la France n'était pas assez ruinée
par deux invasions coup sur coup, par
sept icents millions à donner aux alliés,
par l'entretien de onze cent cinquante
mille ennemis logés et nourris pendant
plus d'un mois et par cinquante mille
à entretenir pendant trois ans : elle y
ajouta un milliard pour les émigrés.
Les ennemis de la royauté se figu-
rent que les rois donnaient à leurs maî-
tresses beaucoup de notre argent. Eh
bien ! savez-vous ce que coûta en tout
une de celles que Louis XV garda le
plus longtemps ? Le prix total de Mme
de Pompadour fut à peu près de trente-
six millions, qui feraient quelque chose
comme cent millions d'aujourd'hui.
Peuh! Et Louis XIV payait si mal
Mme de Montespan qu'elle n'a ja-
mais risqué au jeu plus de trois cent
mille écus d'un coup.
Mais il fallait bien que Mme de Mon-
tespan et Mme de Pompadour se con-
tentassent du peu que leur donnaient
Louis-le-Grand et Louis-le-Bienaimé,
leurs rois ne pouvant pas prendre dans
la poche du peuple ce qui n'y était pas.
La poche du peuple était vide. C'est
sous Louis-le-Grand que le duc de
Saint-Simon écrivait : « On vit en Nor-
mandie de l'herbe des champs; le pre-
mier roi de l'Europe ne peut être un
grand roi s'il ne l'est que de gueux
de toutes conditions, et si son royaume
tourne en un vaste hôpital de mourants
et de désespérés. » C'est sous Louis-le-
Biônaimé que, des paysans affamés
ayant envahi Dijon et pillant un acca-
pareur de blés, l'intendant de Bour-
gogne vint leur dire, pour les calmer,
que l'herbe commençait à pousser dans
les champs.
On conçoit que, dans cet état du
peuple, le roi ne pouvait donner à ses
maîtresses et à ses courtisans tout ce
qu'il leur aurait fallu pour jouer trois
cent mille écus à chaque coup. On ne
peut certai nement pas reprocher aux rois
de France de n'avoir pas fait tout ce qui
dépend d'eux pour se procurer notre ar-
gent. J'ouvre au hasard Y Histoire deMi-
chelet : « Sous Philippe-Jo-Bel, le fisc,
ce monstre, ce géant, naît altéré, af-
famé, ,cndeiité. Il crie en naissant,
comme le Gargantua de Rabelais : A
manger ! à boire ! L'enfant terrible,
dont on ne peut soûler la faim féroce,
mangera au besoin de la chair et
boira du sang. » Je tourne la page et
je lis : « Le juif ne rendant pas assez,
Philippe-le-Hel tomba sur le chré-
tien. Il altéra encore les monnaies,
augmentant le titre et diminuant le
poids; avec deux livres il en payait
huit. Il ne voulait de sa monnaie que
pour un tiers : deux banqueroutes en
sens inverse. » Mais c'est là de la monar-
chie ancienne? La royauté n'a pas fait
que les banqueroutes dePhilippe-le-Bel.
J'ouvre Boileau : « Plus pâle qu'un ren-
tier à l'aspect d'un arrêt qui retranche
un quartier. » Voilà pour Louis XIV.
Louis XV a fait neuf banqueroutes. Il a
fait mieux : le pacte de Famine. — Ban-
queroute, faux-monnayage, spéculation
sur la faim du peuple, des rois qui ont
fait tout cela ne peuvent pas être accu-
sés de ne pas êtfle allés jusqu'au fond
de notre poche, et ce n'est pas leur
faute si l'un d'eux a été réduit à ne
donner à une de ses maîtresses que
cent millions.
Mais le fait n'en est pas moins que
Louis XV n'a donné que cela à Mme de
Pompadour, et à ses autres maîtresses
en proportion. Et les dons de la plupart
de nos rois à leurs maîtresses et à leur
cour haute et basse se sont générale-
ment tenus dans les mêmes chiffres.
C'est pourquoi nous accordons sans
difficulté au Monde que ga République
n'est pas et ne sera jamais gratuite
c omme la monarchie.
AUGUSTE VACQUERIB.
,;..
AU SÉNAT
11 était environ quatre heures, et l'on
venait de discuter quelques petits pro-
jets, quand l'ordre du jour, comme on
dit, appela la discussion du budget.
Bien entendu, M. d'Audiffret-Pasquier
n'était pas à son fauteuil ; M. le duc,
depuis quelque temps, se trouve ré-
gulièrement ailleurs chaque fois qu'il
doit s'engager une lutte délicate où le
président risque d'avoir un rôle à jouer.
Aussi, apercevions-nous aujourd'hui à
sa place M. le général Ladmirault.
Cela avait son importance. On con-
naît le système de retard adopté par la
droite. On sait que, dans la commis-
sion, M. Caillaux discute, des journées
entières, un tout petit crédit accordé
aux eaux de la Bourboulo. On n'ignore
point la plaisanterie de fumistes ima-
ginée par les droitiers de la commis-
sion, faisant prendre la copie à demi-
composée à l'imprimerie, parce que,
disaient-ils, la minorité avait besoin
d'une nouvelle lecture de tous les rap-
ports pour être édifiée ; puis, la lecture
à peine commencée, la minorité s'en
va dîner, laissant là de planton M. de
Belcastel, pour s'assurer qu'on lisait
bien tout : et la gauche est retenue, à
jeun. jusqu'à neuf heures du soir, pour
écouter une lecture destinée à instruire
MM. de Broglie, Chesnelong et Cail-
laux, lesquels, pendant ce temps-là,
dînaient tranquillement à Paris.
On pouvait donc prévoir que ces ho-
norables mystificateurs feraient leur
possible pour ajourner la discussion du
budget. Est-il téméraire de supposer
que la droite nourrissait ce projet? M.
Ladmirault ne l'ignorait pas et ne s'en
désintéressait pas.
èe*
Il s'agissait donc de gagner un jour.
Comment faire? Proposer au Sénat de
remettre à demain? Mais alors, on
avait devant le pays la responsabilité
de ce qu'on faisait. Et puis on se dé-
masquait, on risquait un échec. Ne pas
faire la proposition? Alors le budget
était discuté tout de suite. Dansle doute,
nos bons droitiers se sont contentés de
crier, de murmurer, de gronder, et
nous avons eu un spectacle tout nou-
veau.
Pendant un grand quart d'heure, la
séance resta comme vide. A droite,
tout le monde parlait à la fois. On se
mit à répondre à gauche, et la tribune
était inoccupée. C'était le devoir du
président de faire taire tout le monde
et, en l'absence de toute proposition
d'ajournement, de donner la parole au
premier inscrit.
M. Ladmirault, aussi indifférent que
les huissiers, regardait la scène de son
fauteuil. On n'aurait pas cru que cela le
concernât.
Ce général ne s'en mêlant pas, et
personne, sauf lui, n'ayant le droit de
s'en mêler, cela pouvait continuer pen-
dant vingt-quatre heures. Par bon-
,heur, M. Testelin monta à la tribune
pour faire remarquer qu'il fallait dis-
cuter le budget. La droite cria, mais
toujours sans que personne se levât
pour demander formellement le renvoi
à demain. Du moins, un seul droitier
se prononça en ce sens. Qui ? M. Lad-
mirault, précisément, qui, comme pré-
sident, cette fois, ne devait rien dire.
Enfin, M. de Lareinty se décida. Il
était temps ! Mais avec quelles précau-
tions ! — « Messieurs, dit-il, nous ré-
pudions toute idée de proposer un
ajournement de la discussion du bud-
get ; en conséquence, je vous propose
de l'ajourner à demain ». Cette fois, il
fallait voter. — Dans toute la scène qui
avait précédé, aucune portion de la
droite ne s'était montrée plus enragée
que MM. les orléanistes — ce qu'on
appelle le groupe Bocher. — Nous le
constations avec plaisir; car nous avons
prédit, il y a longtemps, que devant
l'éventualité d'un Sénat républicain, ce
groupe serait le plus furieux.
Aussi, au vote, les Bocher, les Lam-
bert Sainte-Croix, les d'Haussonville se
sont-ils levés résolûment avec la droite.
Ils comptaient sur les défections, il n'y
a déjà plus de majorité de combat au
Sénat. Nombre de réactionnaires inco-
lores sentent déjà le vent qui souffle,
et la gauche a obtenu un succèsv très
marqué.
_fil.
La parole était à M. Chesnelong :
M. Chesnelong paraît. Cinq minutes
avant, de M. Lareinty affirmait que ses
amis, n'ayant le rapport que depuis
hier, n'avaient pas eu le temps de se
préparer. On passa outre, et l'on fit
bien, car, cinq minutes après, M. Ches-
nelong débitait son discours appris par
cœur jusqu'à la moindre incidente.
M. Chesnelong est double : il vend,
comme l'on sait, du drap et du cochon;
avec cela, il est mystique. Marchand et
saint, il va du compte par doit et avoir
à l'extase. Maître Jacques d'un genre
particulier, il pourrait dire : « Est-ce à
Barême ou à sainte Thérèse que vous
désirez parler?» Or, son discours mon-
trait, sans transition, ses deux natures.
Le négociant avait écrit la première
partie, et le mystique la seconde. Rien
de plus drôle que le brusque change-
ment de ce morceau oratoire. On est
quelque peu surpris de tomber d'une
addition dans un élan de piété. *
La première partie avait son mérite;
elle était claire, et, en somme, fort mo-
dérée. Du reste, exclusivement budgé-
taire, elle n'offrait qu'un médiocre in-
térêt politique. Elle aurait pu faire
illusion si M. Chesnelong avait conclu ;
mais il s'en garde bien, et pour cause.
Quelle était en effet la conclusion né-
cessaire? Rayer du budget les dégrè-
vements d'impôts. Voilà, au fond, ce
que proposait M. Chesnelong. Eh bien!
qu'il ose donc le dire franchement!
Oui. mais les élections de ses amis?
Il est toujours facile de critiquer un
budget. L'idéal étant de supprimer tous
les impôts, d'augmenter toutes les dé-
penses et d'avoir avec cela un excédant
de recettes, on peut toujours trouver la
réalité fort éloignée de cet idéal im-
possible. Mais, eu somme, quels sont
les griefs de M. Chesnelong? — L'em-
prunt du 3 0[0 amortissable ? La ques-
tion a été tranchée par les deux Cham-
bres. — Il y a un trou dans le bud-
get, dit M. Chesnelong. Tel crédit di-
minué ne l'est que sur le papier. Et
il parle d'une diminution visant un
abus de bureaucratie, maintenu mal-
gré des votes antérieurs. Eh bien !
on verra si l'abus sera toujours le
plus fort! Et il reproche au gouver-
nement d'emprunter peur payer les
travaux publics! Pourtant, il faut choi-
sir : ou l'on n'empruntera pas, ou l'on
ne complétera pas des travaux non
point utiles, mais nécessaires au pays.
Et puis, il oublie soigneusement que
cet emprunt s'amortit lui-même chaque
année. ,
.-.
Quant à la partie politique, vous la
connaissez : péril social, persécution
contre le clergé, menaces à la magis-
trature, — tout le vieux bagage réac-
tionnaire y passe. On fait un tableau
effrayant du « radicalisme » qui va
être le maître. Des « impôts socia-
listes » ruineront la France. — A quoi
bon rééditer ces sornettes? Il y a si
longtemps qu'elles sont usées !
Seulement, voici où est la inalice.
M. Chesnelong se tourne vers le centre
gauche : « Ce n'est pas vous qui ferez
jamais cette politique, vous en serez
victimes comme nous; et alors, mais
trop tard, vous vous jetterez dans nos
bras. » Conclusion électorale : Si vous
voulez sauver le gouvernement actuel,
nommez les amis de M. Chesnelong.
Ces messieurs de la droite ont une si
grande vocation pour la candidature
officielle qu'à en croire un de leurs ora-
teurs les plus violents, ils seraient les
candidats du ministère !
La plaisanterie est un peu forte.
L'homme qui se la permet est précisé-
ment l'un des ambassadeurs qui sont
allés proposer la couronne à Henry V.
Qui espère-t-il tromper? Messieurs les
monarchistes, un peu de pudeur. Nous
vous savons capables de mettre fort
humblement votre drapeau dans votre
poche. Eh bien! ce que vous faites
n'est pas fort ; mais ce n'est pas habile
non plus. Tout le monde a flairé la 4u-(
perie.
Et comment ne pas le deviner, quand
on entend M. Chesnelong faire UJ1
éloge enthousiaste de l'Assemblée &e
1871? de cette majorité du 24 mai qui
s'incarne dans les noms les plus odien.
au pays, ceux de MM. de Broglie et
Buffet? La France a baptisé cette Cham-
bre néfaste, qui lui a donné la guerre
civile et l'ordre moral : c'est « l'Assem-
blée du jour de malheur
Ob0 a
M. Varroy a terminé la séance pw
une excellente réponse. — On sait que
le rapporteur du budget possède ua
talent très solide, fait de compétence et
de justesse d'esprit. Il a répondu d'une
manière irréfutable à la discussion
budgétaire de M. €hesnelong. Le droi-
tier avait rappelé le mot fameux : « Fai-
tes-nous de la bonne politique, nous
ferons de bonnes finances. » - A son
avis, la politique cléricale et réaction-
naire était celle qui donnait ces fi-
nances admirables. M. Varroy n'a eu,
pour lui répondre, qu'à lui citer, chif-
fre par chiffre, ce que le Seize-Mai avait
ôté au budget.
La suite du débat a été remise à de-
main. On entendra, dit-on, M. Bocher.
Vous verrez qu'il sera le plus acharné
de tous.
CAMILLE PBLLETAS.
————————— —————————
COULISSES DE VERSAILLES
La Chambre ayant épuisé son ordre du
jour — par suite du renvoi des élections
Gavini et Abbatucci à la prochaine session
— s'est prorogée hier en laissant à son
président le soin de la convoquer pour fô
jour où sa réunion deviendrait nécessaire.
Cette dernière réunion — à supposer
même que le Sénat ne modifie pas le bud-
get et ne rende pas par suite nécessaire
une nouvelle délibération de la Chambre
— est absolument indispensable. Le dé £
cret de clôture de la session doit, en effeti
être lu devant les Chambres le même jour:
Quelques personnes avaient paru croire
qu'il suffirait d'insérer le décret de clôture
au Journal officiel; mais ce procédé serait
absolument irrégulier, et le cabinet, on
peut en être certain, ne le suivra pas.
Quant au Sénat, ainsi qu'on l'a vu par
le compte rendu, il a abordé dans la séance
d'hier la discussion du budget. Les pro-
moteurs du projet d'ajournement à samedi
ou lundi ont reculé au dernier moment,
et le débat a pu s'engager conformément
à l'ordre du jour.
On estime que la discussion s'achèvera
soit demain soir, soit lundi au plus tard.
Des grands discours annoncés, un, celui
de M. Chesnelong, est déjà expédié; les
autres, ceux de MM. Lucien Brun, Bocher,
de Larcy et Buffet, ne paraissent pas de-
voir être de longue durée.
Quant aux amendements, il n'y en a
que deux : un de M. de Belcastel, contre-
signé par MM. de Broglie, Chesnelongr
Caillaux, Delsol, Pouyer-Quertier et Gra-
nier, membres de la minorité de la commis-
sion des finances, et un de M. Caillaux.
C'est celui de M. de BelcasLel qui offre
seul quelque intérêt; c'est sur lui que la
droite va, en effet, concentrer tous ses ef.
fort ; il tend à faire rétablir le crédit d€
200,000 fr. pour le traitement des desser-
vants, supprimé par la Chambre. S'il était
adopté, il rendrait nécessaire le renvoi du
budget à la Chambre. Mais il est au moins
Feuilleton du RAPPEL
Du 14 DÉCEMBRE
W-
â9
LES
PETITES ÉTOILES
•TV
»
fje ménage Vaalhier
(Suite)
Pauline disait parfois, en songeant à la
plupart de ses amies de pension, mariées et
,httaes du sort, devenues malheureuses,
Jrompées ou ruinées :
- Comme peu de temps change les
destinées! Sais-tu, Maurice, que je suis la
$>hjs heureuse de toutes?
— Et sais-tu pourquoi? demandait-il à
Ion tour.
-Nen..
- Parce que tu es la meilleure !
Ce bonheur de la jeune femme, de
Voir le Rappel du 25 novembre au i3 dé-
lembre.
quoi était-il fait, à vrai dire ? De travail
et de devoir. Ce sont peut-être là les
plus solides ciments des humbles joies hu-
maines.
Compagne de labeur durant le jour, elle
n'était mère que le soir, après la tâche fi-
nie. Mais cet intérieur de magasin, où elle
vivait au fond d'une cour, comme dans un
puits, dans l'emprisonnement des hautes
murailles de deux maisons à six étages,
pareilles à des casernes, et percées de fe-
nêtres multiples semblables à des yeux,
cette demeure pleine de tapage et d'om-
bre. qui eût paru sinistre à tant d'autres,
lui plaisait. Avide de rêve et de poésie,
comme toutes les femmes, elle ne les
cherchait pas dans les romans fugitifs qui
traversent les esprits débiles, elle les trou-
vait là, partout, dans cette maison labo-
rieuse, aux côtés de son mari, à la table
de famille, au chevet de ses enfants.
Elle les trouvait jusque dans ces grands
magasins froids où s'empilaient les porce-
laines blanches, et, comme elle eût visité
'une exposition ou un bazar, elle s'amusait
parfois à conduire son Pierre et le petit'
Albert dans le magasin de décors en leur
disant :
— Regardez, cherchez et prenez !
Et tandis que les petits allaient et
venaient, le plus grand contemplant,
comme les tableaux d'un musée, les belles
choses peintes, le plus petit, remuant,
avec une vivacité joyeuse, les soucoupes
ou les petits cabarets pour enfant enfer-
més dans des boîtes, elle regardait ce
magasin étincelant — la pièce la plus
claire du logis — et s'y plaisait.
Sous un vitrage laissant tomber d'a-
plomb le jour cru du dehors et découpant
entre quatre murailles hautes un pan de
ciel grand comme un drap de lit, dans les
rayons superposés, des milliers de veil-
leuses aux fonds rose ou vert bleu, ali-
gnées le bec en avant, dans une immobi-
lité curieuse, brillaient, avec des reflets
d'or sur les anses; et l'œil étonné, dans ce
magasin de décors, s'arrêtait devant le
fourmillement de ces blancheurs dorées,
vases ou cache-pots à larges fleurs japo-
naises, sucriers au couvercle retourné,
baguiers superposés avec leurs pieds grê-
les, bols aux rondeurs luisantes, avec
leurs filets dorés ou leurs fleurs jetées; et
dans ce fouillis de porcelaines peintes où
des tons de bleu, depuis le bleu tendre du
myosotis jusqu'au bleu profond du ciel,
s'étalaient à côté de taches roses, vertes
ou pourpres, dans ce rassemblement de
tous les modèles, depuis les vieux cornets
à rocaille de la fabrication d'autrefois jus-
qu'aux gourdes et aux fioles du japonisme,
tout éclatait, scintillait. Ces milliers d'ob-
jets placés au milieu du magasin, sur la
table de chêne où les commis empaque-
taient les commandes, ou bien posés
dans les rayons en attendant l'acheteur,
faisaient, avec leurs dorures, leurs fonds
de couleur et leur blanc brillant, l'effet
d'une orfévrerie multicolore étincelant
dans la claire lumière du plein air.
Et ce spectacle des enfants allant et ve-
nant, au milieu de ces scintillements, amu-
sait Pauline. Puis elle les emmenait, les
envoyait jouer, là-haut, avec les bonshom-
mes ou les chiens en biscuit, qu'ils empor-
taient, et, toute contente, elle allait s'as-
seoir dans la grande cage vitrée qui ser-
vait de bureau, à sa place accoutumée.
Elle l'aimait aussi cette place d'habi-
tude, où elle venait, depuis neuf ans, près
de Maurice.
Cette âme d'épouse souriant à tous les
devoirs comme à des joies, -avait toujours
voulu et obstinément voulu sa part des
labeurs du logis, des soucis de la maison
qui, souvent, en 70, en 71, avait traversé
bien des crises. Elle s'était vraiment faite
la collaboratrice assidue de Maurice. Elle
l'aidait et le suppléait, au bureau, dans
les écritures, lui disant parfois avec un
accent de tendresse ardente : « Tout ce
que je t'épargne de travail, je le retrouve
en bonheur. Je t'ai davantage. Tu ne me
remplacerais jamais, va, comme premier
commis ! »
Vaillante, supprimant de la vie tout ce
qui est banal, elle était toujours, sauf de
rares heures de vacances, à la même pla-
ce, dans le bureau.
Courbée sur le pupitre en pente, der-
rière le vitrage dépoli# où, à travers un
carré, elle apercevait seulement un lam-
beau de rue, la découpure d'un grand
portail toujours encombré de caisses, de
harasses, de camions, des passants lon-
geant le trottoir, poussant des haquets,
déchargeant des fardeaux, ou encore la
caisse de quelque omnibus jaune, la ca-
pote d'un fiacre, un petit coin du pavé
gras, avec les pierres découpées comme
un damier de couleur brune, Pauline
voyait ainsi, jour par jour, s'écouler sa
vie, dans une tâche continue acceptée
avec bonne humeur, parmi les cahiers, les
papiers azurés des factures, entre les
grands livres familiers, aux dos de peau
verte avec des étiquettes rouges portant en
lettres d'or des titres tant de fois regardés
et épelés : Journal, Grand livre, Livre de
caisse, Brouillard, et tous ces objets qui
étaient le cadre même de son existence
uniforme, uniformément heureuse : l'a-
genda accroché à la muraille, et dont on
détachait chaque matin un feuillet portant
une date suivie de quelque éphéméride
bizarre ; le gros Bottin relié de toile grise,
le vieil almanach qui durait un an, les
factures posées sous, le presse-papier de
bronze, la caisse en fer, les tampons des
timbres secs, les cartonniers à poignée de
cuivre avec leurs cartons verts marqués de
lettres alphabétiques, et les casiers de
chêne jaune bruni par le temps, au milieu
desquels elle respirait, penchée, écrivant,
débitant, facturant; tandis que du fond du
magasin venait vers elle le bruit des piles
d'assiettes remuées et choisies par les
commis, le choc régulier des soucoupes
posées sur des soucoupes, et qu'on en-
tendait vibrer dans le fond sombre du
magasin, ou encore, du dehors, le bruit,
des caisses carrées, marquées M. V. qu'on
recevait de Limoges et que les garçons,
les pieds dans le foin, déballaient.
Et, quand elle n'écrivait pas, les yeux
fixés sur le petit carré nettement tracé au
milieu des vitres dépolies, elle regardait
dans la rue, sans voir autre chose que ses
rêves de jeune fille, ses bonheurs d'épouse,
ses espoirs de mère passer et repasser dans
l'étroit espace de ce carré tiré au cor-
deau.
C'était comme un théâtre minuscule où
son imagination amenait, les tenant par
un fil de soie, des espèces de petites ma-
rionnettes idéales qui lui jouaient là, sou-
riantes, vêtues de soie, d'azur, de roses, la
comédie heureuse de sa vie. Elle les
voyait se mouvoir sur cette scène qui
n'existait pas; chacun de ses rêves, figurés
ainsi, lui jetait en passant un baiser ou un
sourire. Ah! tout ce qui tournoyait dans
le petit carré découpé sur la rue! C'était
comme un vol léger de papillons! La pous-
sière de leurs ailes semblait neiger dans
un rayon d'or. Et toute sa vie, oui, son
existence entière, cette vie uniformément
dévouée, chastement passionnée, douce-
ment attendrie, Pauline l'avait vue et la
revoyait par le souvenir, dans cette décou-
pure où, la soirée des fiancailles le iour
du mariage, la naissance de Pierre, lapre-
mière nuit de terreur passée au chevet du
petit, les veillées effrayées auprès de Mau-
rice malade, le premier pas d'Albert troti-
nant par la chambre, tombant sur le tapie,
et, déjà brave, essayant de se lever crtae.
ment d'un air fier, sur ses grosses petite!
mains, tous ces mille petits riens joyeui
ou angoissés venaient se peindre rapetis-
sés et pareils à une scène regardée par le
gros bout de la lorgnette, dans ce petit
espace, où d'autres que Pauline n'eussent
rien aperçu.
Et, après avoir souri à ces visions, à ces
espoirs animés, à ces petits fantômes qui
semblaient lui dire : « — Moi, je suis l'a-
mour profond et éternel de Maurice ! Moi,
je suis ton fils aîné qui a ta tendresse el
ton âme ! Moi, je suis le petit démon qui
fait tant de bruit partout, et qui, là-bas,
amène une grimace aux lèvres du grand-
père ! » — Pauline entendait tout à coup
la voix de Maurice qui l'appelait ou celle
d'un commis qui, s'approchant du guichet
ouvert sur le grand magasin, lui di-
sait :
— Madame, voulez-vous bien, s'il vous
plaît, débiter cette livraison ?
Elle semblait alors, d'un signe de tête,
dire : Au revoir\ à ses chères visions, à ses
pantins invisibles qui s'envolaient, et, pre-
nant la plume, elle traçait alors sur le
brouillard ce qu'on lui dictait, de loin :
— Doit lemblin, à Cosne. Douze douzainet
assiettes plates.
Et sa voix, à mesure que sa main écri-
vait, redisait, répétait au commis, tout
haut, pour éviter les erreurs :
— Douze douzaines. assiettes plates.^
Après?
JULES CLARETIE.
(A suivre)
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