Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1902-09-25
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 25 septembre 1902 25 septembre 1902
Description : 1902/09/25 (N248,A19). 1902/09/25 (N248,A19).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75082884
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 03/07/2012
Dix-neuvième année.—N° 2018
~ANEMENTS AU Supplément
3 Mois 6 Mois 1 An
Paris et Départemts. 2 fr. 50 4 fr. 50 8fr. »
Union Postale. 4 fr. » 8 fr. » 14 b.
Union Postale. 4 fr. » 8 fr. » 14 fr. »
1 Les abonnements partent du t- et du 15 de
chaque mois.
, Le r 5 centimes
Le Supplément
GRAND JOURNAL LITTÉRAIRE ILLUSTRÉ
Paraissant trois fois par semaine : les MARDIS, -JEUDIS et SAMEDIS
JEUDI 25 SEPTEMBRE 1902
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
18, RUE RICHER, PARIS
Les manuscrits non insérés ne
sont pas rendus.
Les annonces sont reçues aux bureaux
du Supplément, 18, rue Richer, Paris.
te r 5 centimes
SOMMAIRE
saint-Marc : Chez monsieur le Directeur.
(Bobèche : Alas ! poor Bobêche !
Ivan de Wœstyne : Paul et Virginie, dessin de
Gil Baér. -
Dénéral Tcheng-Ki-Tong : La maîtresse légitime.
Le chef des Tziganes : Echos.
(Alphonse Crozière : La Chambrée où l'on s'amuse.
Vules Gondoin : Grandeur et décadence.
paston Derys : Un nouveau frisson. (Dessin'de
Hérouard). f
Nunc : Enfin, seuls !
Henri Bachmann : Les progrès du reportage.
JRaoul Ettert : Lequel ?.
ftené Miliane : Rêverie.
Hubert Fillay : L'usure. (Dessin de Collot.
Paul Roumar : Restaurant de nuit.
Bonis-Charancle : De l'amour.
Willy: Claudine à Paris. (Roman). (Dessin de Gil
Baër).
Georges Courteline : Ah ! jeunesse ! (Roman).
Jack Abeillé : Ce qu'elles boivent. (Dessin).
Abonnements de saison
iDésireux d'être agréables à ses lec-
teurs qui partent en villégiature, Le
Supplément a organisé un service d'a-
bonnements de courte durée aux prix
suivants :
-, Abonnement d'un mois : France :
u fr. 75 ; Etranger : 1 Ir. 50.
Abonnement de quinzaine : France :
ÎD fr. 50 ; Etranger : 0 fr. 75.
Abonnement de semaine : France :
D fr. 25 ; Etranger : 0 Ir; 50.
CAUSERIE
CHEZ MONSIEUR LE DIRECTEUR
Salon-c-abinet directorial, moitié mo
- Uern-style, moitié genre Mapple.
Grand bureau, entouré en partie, par
fin paravent «t placé entre deux fenêtres.
Derrière le bureau, une immense
chaise-longue Louis XIV, très conforta-
ble, sur laquelle sont - entassés, pêle-
mêle, quantités d'oreillers.
D'énormes casiers, vitrés, contien-
nent des manuscrits, et une bibliothè-
que à deux corps, très imposante, em-
ipilit le panneau de droite. Ça et là, quel-
ques chaises et fauteuils.
(Le jour venant des fenêtres, est tamisé
par des stores à l'Italienne, et de grands
rideaux de Florencé capucine.
M. le directeur, qui vient de terminer
l'ouverture de son volumineux courrier,
appuie sur l'une des touches d'ivoire qui
forment son meuble d'appel placé en cla-
vier sur son bureau.
Un huissier galonné, se présente; il lui
tlonne le panier d'osier oblong, qui con-
itient les lettres parcourues :
« Portez ceci à monsieur de Sarneval
et dites-moi quelles sont les personnes
qui attendent. »
: L'huissier sort et revient avec des fi-
iehes d'antichambre, sur lesquelles les
personnes qui attendent se sont inscri-
i tes.
Après avoir parcouru ces fiches, M. le
: directeur, d'un ton théâtral, dit -
— « Annoncez que je vais être en co-
« mité, que je ne pourrai recevoir de
'« toute l'après-midi et faites entrer, dans
;« le petit salon, Mlde Louise Dupétard. »
— L'huissier d'un air entendu, après
un : « Bien Monsieur le directeur », qui
indique le larbin stylé, fait une savante
^pirouette et s'évanouit.
M. le directeur marchotte pendant
quelques instants, éparpille sur son bu-
jpeau différentes notes et manuscrits,
jette un regard de complaisance dans la
glace qui décore la cheminée, se passe
la main dans les rares cheveux qui gar-
nissent ses tempes, et, après avoir tiré
ses manchettes, ouvre la porte de com-
munication. qui donne sur le petit salon,
dans lequel attend Mlle Louise Dupé-
tard.
— « Veuillez entrer, Mademoiselle,
dit-il d'un ton engageant. »
Une jeune personne, de 17 à 19 ans,
robe bleu pâle, plissée soleil, un énorme
chapeau à plumes blanches, genre « de-
moiselle grue », fait son entrée par un
— « Ah! mince, c'est pas trop tôt! Ce
« que je m'rongeai s, là dedans, à croquer
ï« le marmot en vous attendant, c'est
:« rien que de l'dire, savez! »
io- « Vous désirez?
— « Un engagement pardi! Mais non,
« Pourquoi qu'vous m'avez donc envoyé
:« 'hier votre espèce de grand efflanqué,
:« en me d'mandant de passer vous voir
a-« aujourd'hui sans faute, à 2 heures, si
« c'est pas, comme c't'homme m'ia dit :
« pour un engagement?
- « Evdemment, ma chère enfant,
« nous avons à parler d'affaires, et ce
'« n'est que pour cela que je vous ai priée
:« de venir me voir. Rapprochez-vous
•<( donc, et venez vous asseoir près de
moi. »
Mlle Dupétard vint s'asseoir sans plus
de façon sur le divan iprès de M. le direc-
teur.
- « Oh ! comme vous avez une jolie
p main, dit-il en lui prenant sa menotte,
"« Est-ce que tout le reste est en raip-
,« port ? »
— <( Pour sûr, « rien batih ! »
— « Eh bien, mais vous pourriez par-
is faitement jouer les rôles à maillots,
jto seulement il faudrait, et vous le com-
? prendrez on ne peut mieux, que je
me rende compte de « visu ».
- « De visu? »
- -- 1— « Oui cela veut dire, en voy"ant par
? moi-même. -
« Ah mais non, mon vieux, si c'est
« pour vous rincer l'œil que vous m'avez
« fait venir, y a rien de fait, je m'caivale
« et illico.
« Et puis, voue savez, j'atends pas
« après mes appointements, j'ai un ami
« qui est assez calé pour que je m'paye
« la fantaisie, et pour rien si ça m'ohan-
« te, de monter sur les planches. »
M. le directeur redevient digne, il a
flairé une commandite ou à défaut, puis-
que la demoiselle a parlé de chanter, un
énorme délit, qu'il va lui faire signer
sur son engagement.
*- « Mon Dieu, mademoiselle, qu'à
« cela ne tienne, je n'avais nullement
« l'intention de vous effaroucher, dit-il,
« vous me plaisez allez, sans que j'aie à
« demander à voir davantage, et pour
« vous en donner la preuve, &i vous
« voulez bien m'accorder cinq minutes
« seulement, je vais vous faire votre en-
« gagement que vous n'aurez plus qu'à
« revêtir de votre signature". De plus,
« puisque vous m'avez dit avoir un ami,
« si galant homme, vous pourriez lui
« faire savoir de ma part, qu'il aura ses
« entrées, en tous temps, au théâtre,
« ainsi quie dans les coulisses, et pour
« cela, il n'aura qu'à m'être présenté
« par vous. »
L'engagement est bâclé sur papier tim-
bré, à la, six-quatre deux, par quelqu'un
qui a l'habitude de les dresser, et Mille
Louise Dupétard signe les yeux fermés
son engagement d'une écriture qui au-
rait besoin — oh combien ! — d'être par-
faite, à la « Mutuelle » d'où on l'a retirée
t'rop tôt.
L'engagement, fait pour dix années,
est de quatre-vingts francs par mois, à
charge par Mlle Dupétard de fournir ses
costumes, ses perruques, d'assister à
deux répétitions par jour — (sous paine
d'amendes variant de 5 à 20 francs) — etL
en cas de rupture, d'avoir à payer un
dédit de soixante mille francs.
Il est vrai que si Mlle Dupétard avait
consenti à jouer les « Phrynés » devant
M. le directeur, elle aurait signé le mê-
me engaigement et aussi brillant pour.
M. le directeur.
SAINT-MARC.
-Moasa
MON RETIT CINEMATOGRAPHE
ALAS! POOR BOBÈCHE III
Lecteurs, vous l'échappâtes belle
Car vous faillîtes simplement
Vous appuyer la ribambelle '-
Des frais de mon enterrement.
Ou, faute de six pieds de terre,
M'offrir du inoins, pour un long bail,
La pension alimentaire
Des Invalides du Travail !
Vous vous figuriez, j'imagine
Que mes « Petits Cinématos »
Se faisaient presque à la machine
Et sans exiger aes quintaux
D6 ma cérébrale matière ;
Vous pensiez, en vrais étourneaux..
Que je bâclais ma page entière
Comme. pleure le mérinos
Et nul ne songeait, au contraire : •
« Pendant que, flemmards, nous dormons.
Ce Bobèche, pour nous distraire
S'esquinte à cracher ses poumons 1 »
C'est pourtant la vérité vraie
Car, un assez triste matin,
De ce mal, dont plus d'un s'effraye,
J'ai dû me reconnaître atteint
Et de la Faculté l'Augure,
Dans son sacré delirium
M'imposa de faire une cure
D'air, dans un Sanatorium
« Hein ? Sanatorium ? Quoi ? Qu'est-ce ?
De l'Iroquois ou du Huron ?
Ça se vend-iil en sac, en caisse ?
C'est-il carré, rectangle ou rond ?. »
Ne cherchez pas. C'est, de nature,
Un en'droit, où, presque au galop
D'oxigène et de nourriture
On vous gave jusqu'au goulot
C'est là qu'au régime fidèle
Je « briffe » à. bouche que veux-tu
D'un établissement modèle
Ayant 'fait choix, bien entendu
Or, je note ici pour mémoire
Que ce lieu propice à mes maux
Est sis en pleine .Forêt Noire
A WehrawaM, près de Todtmoos. *
Je m'y sens renaître à la vie -
Et, lecteur qui connais mon cœur,
Faute (de -mieux, je te convie
A nous en réjouir en chœur 2
Eobêche.
PAUL ET VIRGINIE
Mon mariage est rompu. Jamais je ne me
marierai, jamais, jamais, jamais. Et pour-
tant j'aimais bien Paul, mon ami d'enfance,
mon fiancé ; je l'aimais de toute mon âme et
je l'aime encore. mais l'épouser jamais .!
Plains-moi, ton amie, ta pauvre Virginie ! Et
toi aussi, ma Juliette aimée, ma cornpagn.è
de couvent, je t'en supplie, ne te marie pas :
si tu savais 1.
Te souvient-il de nos confidences sous
les grands arbres du Sacré-Cœur, au pied de
celui que nous préférions, parce que nous
étions seules derrière son feuillage bas qui
nous cachait aux curieuses ? Rappelle-toi
nos espérances d'alors' qui toutes se concen-
traient vers un être aimé ; tu le voulais brun,
toi, — moi, je le voulais blond. et- quand la
cloche nous séparait nous continuions seu-
les le rêve commencé à deux. — Quand donc
aurons-nous dix-huit ans ? quand nous ma-
rierons-nous ?
Nous les avons ces dix-huit ans. je devais
me marier demain. Et je viens de tout rom-
pre. Paul est au désespoir, maman pleure
et moi aussi : je souffre moi-même et je souf-
fre encore de le voir souffrir ; pauvre gar-
çon ! il s'est jeté à mes genoux ! Oh ! s'il
ne fallait que donner sa vie pour lui ! Je se-
rais prête à mourir, car je l'aime de toute
mon âme, je l'aimerais toujours. Mais être
sa femme, jamais !.
Si les jeunes fil-les savaient, aucune d'elles
ne se marierait. Mais elles ne savent pas.
Elles ignorent ce que le hasard — la Provi-
dence plutôt — m'a montré et j'en remercie
Dieu. -
C'était ce matin après le déjeuner. A cette
heure, chaque jour, Paul et moi nous nous
esquivions, tandis que maman s'occupait du
château. Elle me croyait chez moi, mais le
petit escalier que tu sais, me donnait la clef
des champs, et je retrouvai Paul qui, après
un grand détour, m'attendait à la sapinière ;
nous ne nous disions rien, mais nous nous
embrassions bien fort, puis, je prenais son
bras, — son bras gauche, s'il vous plaît, et
nous nous en allions bien vite du côté des
roches où personne ne passe jamais.
Pour y arriver, nous avions à traverser le
lit desséché d'un large torrent. Lui marchait
devant, descendait d'un pas et s'assurait
bien sur ses deux pieds ; je lui permettais
alors de se retourner en regardant en l'air,
pour qu'il ne vore pas mes jambes,il me rece-
vait dans ses bras et jusqu'au lit du torrent
nous recommencions de nouveaux pas, lui re-
gardant toujours enilairmoi tremblant com-
me une feuille, qu'il ne me vît la cheville : tu
sais comme chez moi ce sentiment de pudeur
est excessif !. *
De l'autre côté du torrent et sur un bout de
roche—une manière de gros pic dont 'le som-
met. est sapé en plateau — se trouve un gros
bouquet d'arbres au feuillage serré, impéné-
trable, aux regards et dans lequel, à l'aide de
grands ciseaux à haies dérobés à Pierre , le
jardinier, qui tempêta pendant huit jours,
Paul avait taillé une logette, bosquet que
nous appelions notre salon. C'est là que nous
nous allions cacher à deux, là où personne ne
nous eût jamais soupçonnés, personne mal-
heureusement. Ah ! si l'on avait su, rien ne
fût arrivé !.
Hier donc, nous venions d'atteindre le som-
PAUL ET VIRGINIE
met de la roche, je m'étais assise en étalant
ma robe sur laquelle ne grimaçait aucun
méchant pli ; j'avais interrogé mon petit mi-
roir de poche, qui m'avait fait compliment
sur mon teint, l'éclat de mes lèvres et le ve-
louté de mes yeux ; j'étais jolie, vois-tu, mais
jolie !. Paul venait d'entrer après avoir,
comme il le faisait toujours, demandé si
Mme la comtesse Paul de Maurelle était vi-
sible, — car là, sur cette roche, je prenais
déjà mon nom et nous jouions au mari et à
la femme — il m'avait baisé la main, le front,
puis il recommençait et je le laissais faire,
lorsqu'un éblouissant et rapide éclair, aussi-
tôt suivi d'un violent coup de tonnerre, me
fit bondir. Courant comme deux amoureux
qui, se croyant au ciel, oublient de consulter
le vrai, nous n'avions pas vu s'amonceler
l'orage qui, sur une pluie torrentielle, tempê-
ta toute une grande heure. Le premier mo-
ment de terreur passé, nous nous prîmes à
rire en voyant que le feuillage ne tamisait pas
une goutte d'eau ; l'un près de L'autre, nous
goûtions la joie des enfants qui, sous un abri
qu'ils se sont construits eux-mêmes, regar-
dent curieusement l'eau tomber à flots.
La pluie cessa enfin, et pressés de gagner
le château où notre absence pouvait être
trahie, nous nous hasardâmes hors des ar-
bres. Je poussai un cri : le torrent formé par
la pluie roulait impétueusement ; ses eaux
avaient presque englouti notre roche isolée !
De l'eau, partout ; nous étions prisonniers et
l'eau montait toujours. je me crus morte,
vois-tu, et je saisis Paul auquel je m'attachai
avec désespoir !
Il était calme, lui, quoique un peu pâle.
— Il n'y a pas. de temps à perdre, me dit-
il, et il n'est pas deux partis à prendre : il
faut immédiatement franchir le torrent à la
nage.
— Mais'je ne sais pas nager, lui répondis-
je en le serrant plus fort.
— N'importe, fit-il, je suis grand nageur,
je vous prendrai .sur moi et vous passerai.
— Mais nos habits seront mouillés.
— Il ne faut pas songer aux habits, me dit-
il, aux vôtres surtout, leur ampleur nous per-
drait et m'empêcherait bien certainement de
couper le courant.
— Mais que faire alors !
— Mais il faut. ici il hésita, puis il reprit :
avez-vous lu Paul et Virginie ?
— Oui.
— Vous savez l'offre que fit à Virginie, le
matelot qui voulait la sauver ?
— Celle de se déshabiller.
— C'est ce qu'il faut faire.
— Jamais, m'écriai-je, jamais, moi qui
souffre déjà quand on me voit le bout du pied,
moi, me mettre. jamais, jamais, Virginie a
refusé, elle a préféré la mort, je ferai comme
elle.
Paul se jeta àrmes genoux..
— Je vous en supplie, dit-il, pour moi qui
vous aime, pour votre mère qui vous attend,
inquiète. Et d'ailleurs que vous importe. Je
passerai d'abord mes vêtements, puis les vô-
tres, que pendant ce temps vous aurez dépo-
sée en dehors des arbres où vous vous en se-
rez débarrassée. Je reviendrai ensuite et
vous me prendrez la tête de vos deux bras,
derrière moi, je ne vous verrai pas ; arrivés
de l'autre côté, je fermerai les yeux et me
tiendrai dans l'eau, jusqu'à ce qu'habillée,
vous me permettiez d'en sortir, vous vous
éloignerez, je m'habillerai à mon tour et dans
une heure nous serons au château. —
Comme il terminait, une lame d'eau.sauta
notre lie, j'eus peur, la perspective de mou-
rir dans cette eau jaune et sale. D'ailleurs
son offre n'avait rien de blessant. Je con-
sentis et rentrai sous les arbres ; quelques
secondes après, je l'entendis se jeter à l'eau,
je risquai un regard inquiet et le vis qui d'une
main fendait aisément le flot, tandis que de
l'autre, il tenait au-dessus de lui le paquet
fait de ses vêtements.
Cependant, je me débarrassais des miens,
l'ôtai mon toquet d'abord et mes deux robes
sans trop d'hésitation, puis mes jupons de
mousseline et mon corsage de dessous. Alors
j'hésitai, je sentais la fraîcheur qui me ca-
ressait les jambes et la poitrine, il semblait
qu'on me touchait et instinctivement je ser-
rai les bras, me demandant s'il ne valait pas
mieux mourir ?. Paul m'avait dit en par-
tant : il faut que vous ôtiez tout, tout, tout.
Mais cette maudite eau qui montait tou-
jours !. Un rayon de chaud soleil vint regar-
der dans mon abri, j'allai à lui et il me ré-
chauffa doucement. Je n'hésitai plus, je jetai
mes souliers, mes bas roulèrent le long de
mes jambes pour s'en aller plus vite et ma
chemise enfin. Je n'avais plus sur moi que
la mince chaîne d'or qui retient la médaille
de sainte Virginie, ma patronne, et mon an-
neau de fiançailles. Jamais, je ne me serais
cru ce courage, et vois-tu, ma bonne Juliette,
je ne sais, mais je n'avais plus peur du tout ;
seulement la roche m'irritait les pieds. Mes
habits furent bientôt serrés dans ma robe, je
n'avais pas voulu les mettre dans ma chemi-
se parce qu'il me semblait que Paul ne de-
vait pas voir la chemise que je venais de qui-
ler, je croyais que ça m'aurait fait rougir.
Je mis le tout dehors en allongeant le bras, et
sans sortir de ma cachette, il n'était que
temps : Paul revenait. Je risquai un regard
et vis mes vêtements disparaître,- puis tandis
qu'il regagnait l'autre rive en me tournant
le dos, je le 'regardais aller comme la pre-
mière fois ; il nage avec une élégance et une
vigueur. je l'admirais, je ne songeais plus
à moi. Je me retirai brusquement : il reve-
nait. Alors mon cœur se prit à battre avec
uni rapidité qui augmentait à mesure que le
bruit des efforts de Paul me disait qu'il ap-
prochait. Le bruit cessa : il avait pris pied.
Qu'allait-il se passer ? J'allais devoir l'enla-
cer de mes bras, lui qui était tout. et moi
qui était dans le même état !
J'hésitais encore, mais j'en avais trop fait
déjà, d'ailleurs, je n'avais plus le moyen de
refuser, mes vêtements étant là-bas. Ne me
voyant pas venir, il m'appela.
— Vous ne regarderez pas, lui-dis-je.
— Non, je vous tourne le dos..
— Bien vrai ?
— Puisque je vous le dis.
J'avançai la tête avec précaution, il disait
vrai. Je le vis la tête tournée du côté de l'au-
tre rive et le corps dans l'eau jusqu'aux ais-
selles, ses cheveux mouillés et collés à ses
tempes changeaient sa physionomie au point
que je crus un instant que ce n'était plus
lui, ce qui, le crois-tu, me fit marcher plus
vite. J'aurais presque préféré qu'au lieu de
mon fiancé, ce fût un inconnu auquel j'allais
me confier. J'avançais timide, cependant :
j'aurais voulu pouvoir fermer les yeux, mais
il fallait me conduire et avec grande précau-
tion encore. Je marchais, les deux bras al-
longés, les deux mains unies et collées au
corps. et j'arrivais jusqu'à lui, qui, pour me
servir d'appui avait les deux mains tendues
au-dessus de la tête; dès qu'il tint les mien-
nes, il les unit se faisant un collier de mes
deux bras et me disant :
— Tenez ferme. -
Juge si je serrais ! Cette eau me faisait
une peur ! mais avanftjue je pusse réfléchir,
Paul s'était élancé et nous étions dans les
flots. Je poussais un petit cri qui me soulagea
plutôt et je fus tout à fait rassurée. Il nageait,
il nageait et je regardais ses mains qui à
droite et à gauche décrivaient des cercles, je
sentais tous ses efforts, car j'étais comme à
cheval sur lui qui bientôt toucha la rive.
Oh ici ma plume s'arrête. Pourquoi le cou-
rant ne nous avait-il pas emportés !. Enfin
je veux tout te dire, ma chère Juliette, tu es
mon amie aue j'aime. Alors donc, sur cette.
rive, il ferma les yeux, et moi-même m'ai-
dant des pieds et des mains, je sortis de
l'eau. J'allais prendre terre, lorsqu'un de mes
pieds faillit manquer. Je poussais un cri.
Paul oubliant tout, accourut à mon secours et
sortant de l'eau, se montra "à moi de face, et
je l'ai vu tout entier !.
Oh, si tu savais !
Non, non, non, jamais je ne me marierai,
jamais.
Je me suis habillée à la hâte, je suis reve-
nue au château-et depuis ce moment, je pleu-
re et lui-est au désespoir.
Mais jamais je ne pourrai.
Jamais, jamais.
Plains ta pauvre Virginie.
Jamais, jamais.
Ivan, de Wœstyne.
Nous commencerons prochainement la pu-
blication d'un nouveau roman :
LI it m'a U,»9t% RAelQ
PAR
Joseph MONTET
Cette œuvre forte, d'une psychologie har-
die, où les mystères du cœur sont mis à nu.
par un observateur profond, et dont l'action,
intensément passionnée, se déroule parmi
les haines déchaînées d'une guerre civile,
captivera et empoignera tous nos lecteurs.
La Maîtresse légitime
- Un ménage Hung, dont la femme était très
jolie, vit l'accord régner dans son sein pen-
dant plusieurs années. Si la femme était très
jolie, le mari était très épris. Un hasard vint
changer la joie en deuil. Hung eut un caprice
pour une jeune fille, qui devint sa maîtresse
et qu'il finit par aimer beaucoup, bien qu'elle
fût loin d'égaler sa femme en beauté. La ja-
lousie fit naître alors, autour du foyer domes-
tique, jadis si calme, des scènes bruyantes,
qui se répétèrent sans cesse et eurent pour
résultat d'éloigner encore davantage le mari
de sa compagne, autrefois adorée ; il n'osa
pas, cependant, briser tout lien, en allant ha-
biter publiquement avec sa maltresse.
Mme Hung se trouvait bien malheu-
reuse. Leur voisin, un monsieur Ti, négo-
ciant en soies, avait, lui aussi, une femme et
une maîtresse. Sa femme, déjà âgée d'une
trentaine d'années, n'était pas très jolie ; elle
possédait pourtant toute l'affection de son
mari et c'est sa maîtresse qui pleurait de se
voir négligée.
Les deux voisines nouèrent, tout naturel-
lement, des relations et chacune raconta
bientôt à l'autre, ses sujets de tristesse ou de
joie domestique.
— J'ai toujours entendu dire, questionna
Mme Hung, que l'homme aime sa maîtresse,
parce que ce n'est qu'une maîtresse ; com-
bien de fois aurais-je voulu changer mon titre
de femme contre celui de maîtresse, afin d'ê-
tre seule aimée de lui ! Mais, en vous voyant
je ne suis plus sûre de cette première opi-
nion. Par quel moyen donc, avez-vous réussi
à attirer votre mari, malgré la rivalité d'une
maîtresse jeune et jolie ? Si vous pouvez me
l'enseigner, je serai heureuse de devenir
votre élève.
— Si le mari est loin de sà femmej dit Mme
Ti, la faute doit être imputée à la femme.
Plus vous faites de scènes, plus vous le chas-
sez au profit de 1 autre. Ecoutez ceci : ren-
trez tranquillement et laissez votre mari en-
tièrement en liberté. S'il vient vous voir, fer-
mez-lui votre porte ; après un mois de ce ré-
gime, vous viendrez me trouver.
Mme Hung se conforma strictement à ces
instructions et changea tout à fait de manière
d'agir ; non seulement elle laissait son mari
libre de prendre ses repas au dehors, mais
encore ello souffrait qu'il découchât complè-
tement.
Un mois après, la voisine, satisfaite déjà
de l'exécution exacte de. ses recommanda-
tions, ordonna encore à sa protégée de s'ha-
bliler désormais très simplement, de travail-
ler comme une domestique et de ne s'occu-
per que des ouvrages à l'aiguille, pendant les
moments de loisir.
Le mari avait conservé un peu de conscien-
ce : il pria sa femme de ne pas tant se fati-
guer. Mais elle fit la sourde oreille.
Ce régime dura encore un mois et le profes-
seur se déclara de plus en plus satisfait de
son élève.
Un jour, à l'occasion d'une fête, Mme Ti
invita son amie à faire une promenade avec
elle, à la campagne. Avant de partir, elle
l'haibitla de neuf, la coiffa elle-même et la
para richement comme une nouvelle mariée.
Après la promenadej elle lui dit de rentrer
Chez elle, avec la recommandation suivante :
— Allez vous coucher et ayqz soin de faire
une apparition d'un instant chez votre mari,
pour qu'il vous voie telle que vous êtes. Puis,
fermez .vos portes à clef. S'il vient frapper,
n'ouvrez qu'au troisième appel et, dans vos
rapports intimes, soyez extrêmement avare
de tendresse ! nous verrons ensuite, dans
quinze jours.
Mme Hung exécuta de point en point ce
programme.
Le mari, ébloui de voir si belle sa femme,
que, depuis un mois, il n'apercevait que dans
le costume négligé des travaux domestiques,
vint fra/pper, en effet, selon les prévisions de
Mme Ti et ne fut pas reçu du tout.
Mme Hung déclara qu'elle avait l'habitude
de dormir seule.
Le lendemain, le mari arriva avant elle
dans la chambre pour l'attendre ; on daigna
lui faire grâce cette fois. Pour montrer bj sa
femme combien il était heureux de la revoir,
il lui demanda de le recevoir le lendemain :
refus atbsolu. Elle ne consentit qu'à une visite
tous les trois ou quatre jours.
1, Quinze jours après, Mme Ti lui dit qu'à
l'avenir elle n'aurait pas de soucis : que c'est
elle qui posséderait tout l'amour de son mari.
— Vous êtes jolie, mais vous n'êtes pas
assez gracieuse, ajouta-t-elle ; c'est la grâce
seule qui rendra impossible toute rivalité.
Et elle lui enseigna encore la manière de
regarder et celle de sourire et, après plu-
sieurs dizaines de répétitions, lui dit quelle
n'avait plus besoin de leçons. En effet, Hung
depuis ce moment adora sa femme et ne la
quitta plus un instant.
Quelque temps après, les deux dames se
rencontrèrent de nouveau.
— Comment avez-vous trouvé mon procé-
dé ? demanda madame Ti.
— Merveilleux. Mais vous ne m'avez pas
toujours expliqué pourquoi vous me faisiez
agir ainsi et quel est le charme qui s'opère ?
— Vous ne connaissez pas l'homme : il ai-
me ce qui est nouveau et tout ce qui est an-
cien lui répugne ; il préfère le difficile au fa-
cile. S'il aime mieux une maîtresse, ce n'est
pas pour sa beauté, mais pour sa nouveauté
et pour les difficultés de la possession. Si la
jeune femme laisse l'homme complètement
libre d'agir avec elle à sa guise, il finit par
se dégoûter, môme de la maîtresse la plus
jolie. Pour.vous, après séparation temporai-
re, vous êtes devenue nouvelle pour lui ; en
ne le recevant pas, vous êtes devenue diffi-
cile à obtenir : par conséquent vous avez été
préférée. Ceci n'est pas un .procédé qui m'ap-
partienne, mais une petite modification du
désir que vous m'aviez exprimé : au lieu de
changer votre titre de femme contre celui de
maîtresse, j'ai changé tout simplement vo-
- tre personne. Voilà tout mon secret.
Général-Tcheng-Ki-Tong.
Une retraite.
Hélas oui, la belle des belles va prendre
sa .retraite ! Elle est riche, très riche, et sa
richesse lui pèse. Elle en a assez de la vie de
Paris, assez du tour de Boulevards, assez de
l'allée des Acacias, assez du Tout-Pourri des
premières 1
Ce qu'elle rêve, c'est la vie calme, paisi-
ble. dans une montagne par exemple, avec
un gentil amoureux, amoureux non de sa ri-
chesse, mais de sa beauté, de son esprit.
Elle croit avo-r trouvé cet Méal, et sans r$.
grets, elle va quitter la capitale et ses plai-
sirs ; elle va nou§ lancer joyeusement son
-adieu-
Mais c'est « au revoir » que nous lui répon-
drons, car nous ne pouvons croire au départ
irrémédiable de celle qui illumina de sa pré-
sence les scènes des grands music-halls pa-
risiens.
Nous avons donc bon espoir, et nous som.
mes sûrs qu'après nous avoir joué avec ta-
lent Cinna ou lia Clémence d'Henry, notre
belle amie no-nc reviendra à la Trinité ou
bien. à la Noël.
Rencontré hier notre ami Reddy, qui vient
de faire un i&éjour au bord du « gl and vert »
comme il nomme l'Atlantique.
— Eh bien ! cher, vous êtes-vous amusé
pendant votre villégiature ?
— Naturellement ! me répondit-il. J'avais
choisi la plus jolie plage de Paris !
La. dette de M. X.
M. X. est un jeune homme de très bonne
famillte : il est très « galetteux », d'après les
on-dit de promenoirs, mais il estime les cho
se,s à leur juste prix.
C'est ainsi qu'ayant fait la connaissance
d'une de nos Parisiennes les plus connues,
sa réputation d'homme argenté lui valait
l'honneur insignè d'accompagner chez elle la.
charmante Zélie.
Le lendemain matin, la brune enfant fit
comprendre au blond jeune homme que si
l'Amouir était quelque chose, la braize (inven-
tion des Braiziliens !!!) était souvent plus en-
core.
Sans mot dire, il ouvrit son porte-monnaie
et étala cinq beaux louis.
— Cinq louis, s.^cria Zélie, mais c'est pour
la bonne !
— Prenez-les, répondit-il avec un geste su-
perbe.
- Et il partit.
Mais, chaque fois que la belle enfant le ren-
contre, elle le prend à la gorge et lui dit :
« Monsieur ! je ne me dérange jamais à
moins de quinze cents francs. C'est donc qua-
torze cents que vous me devez. Payez-vous ?»
— Non ! réplique t-il invariablement.
Quand M. X. paiera-it-il sa dette 2,
Tha.t is the question ?
NOUVELLE A LA MAIN
Examen de catéchisme :
— Pouvez-vous me dire, jeune enfant, dans
quoi étaient écrites les lois de Moïse ?
Et comme le jeune enfant hésite, le curé lui
tend la perche :
— Le Déca.
— Litre, monsieur le curé ! !
Le Chef des Tziganes.
La Chambre on l'on s'amuse
Par ALPHONSE CROZIERE
Les bleus incorporés depuis quatre jours, sont
réunis sous les ordres du sergent Kelgourde
dans une chambre de la compagnie.
LE LIEUTENANT D'API. — Sergent vous allez
me faire un peu de théorie morale à ces las-
cars-là.
LE SERGENT. KELGOURDE. — Oui, mon lieute-
nant.
LE LIEUTENANT. — Vous leur parlerez de
la patrie, ainsi que des principaux faits d'ar-
mes de l'Histoire.
LE SERGENT. — Bien, mon lieutenant.
LE LIEUTENANT. — Et vous ferez rompre
dans une demi-heure. (Il sort.)
LE SERGENT. — Bien, mon lieutenant.
LE SERGENT, aux beus. — Vous avez en-
tendu ce que vient de dire le lieutenant d'Api,
eh bien, tâchez d'ouvrir vos esgourdes sur
ce que je vais vous expliquer. La patrie,
c'est votre chaumière.
UN LOUSTIC. — Pardon, sergent, je n'avais
pas de chaumière, je logeais au cinquième
et j'avais un terme à payer.
LE SERGENT. - Eh bien, dans ce cas, la
patrie c'çst la maison de votre propriétaire.
votre champ. vos parents. vos amis.
l'endroit que vous alimentez de vos propres
entrailles pour le rendre productif, etc. La
patrie. heu. Attends, toi, l'homme aux lu-
nettes, là-bas, je vais aller te réveiller avec
un quart d'eau à travers les narines. Je di-
sais donc que la patrie a été illustrée par de
grands hommes près desquels nous sommes
des nains ; parmi ces grands hommes, il y a
eu Jeanne d'Arc qu'était une petite ferûme,
Napoléon qu'était un petit caporal, Vercin-
gétorix qu'était Auvergnat et bien d'autres
« que je me rappelle plus ». Tous ces z'hé-
ros ont remporté des victoires épatantes que
vous devez connaître tous.
Ainsi, pour ne citer- que quelques faits
d'armes glorieux, rappelez-vous celui du
pont. d'Arcole. Oui, le pont d'Arcole. (Dé-
signant un homme qui le regarde avec des
yeiuc abnutis d'hippopotame qut digère.).
Comment t'appelles-tu, toi ?
— Foireur, sergent. 1
— Eh bien, Foireur, veux-tu nous dire 0\1
est le pont d'Arcole dont je parle ?
UNE VOIX, soufflant, — A Madagascar.
~ANEMENTS AU Supplément
3 Mois 6 Mois 1 An
Paris et Départemts. 2 fr. 50 4 fr. 50 8fr. »
Union Postale. 4 fr. » 8 fr. » 14 b.
Union Postale. 4 fr. » 8 fr. » 14 fr. »
1 Les abonnements partent du t- et du 15 de
chaque mois.
, Le r 5 centimes
Le Supplément
GRAND JOURNAL LITTÉRAIRE ILLUSTRÉ
Paraissant trois fois par semaine : les MARDIS, -JEUDIS et SAMEDIS
JEUDI 25 SEPTEMBRE 1902
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
18, RUE RICHER, PARIS
Les manuscrits non insérés ne
sont pas rendus.
Les annonces sont reçues aux bureaux
du Supplément, 18, rue Richer, Paris.
te r 5 centimes
SOMMAIRE
saint-Marc : Chez monsieur le Directeur.
(Bobèche : Alas ! poor Bobêche !
Ivan de Wœstyne : Paul et Virginie, dessin de
Gil Baér. -
Dénéral Tcheng-Ki-Tong : La maîtresse légitime.
Le chef des Tziganes : Echos.
(Alphonse Crozière : La Chambrée où l'on s'amuse.
Vules Gondoin : Grandeur et décadence.
paston Derys : Un nouveau frisson. (Dessin'de
Hérouard). f
Nunc : Enfin, seuls !
Henri Bachmann : Les progrès du reportage.
JRaoul Ettert : Lequel ?.
ftené Miliane : Rêverie.
Hubert Fillay : L'usure. (Dessin de Collot.
Paul Roumar : Restaurant de nuit.
Bonis-Charancle : De l'amour.
Willy: Claudine à Paris. (Roman). (Dessin de Gil
Baër).
Georges Courteline : Ah ! jeunesse ! (Roman).
Jack Abeillé : Ce qu'elles boivent. (Dessin).
Abonnements de saison
iDésireux d'être agréables à ses lec-
teurs qui partent en villégiature, Le
Supplément a organisé un service d'a-
bonnements de courte durée aux prix
suivants :
-, Abonnement d'un mois : France :
u fr. 75 ; Etranger : 1 Ir. 50.
Abonnement de quinzaine : France :
ÎD fr. 50 ; Etranger : 0 fr. 75.
Abonnement de semaine : France :
D fr. 25 ; Etranger : 0 Ir; 50.
CAUSERIE
CHEZ MONSIEUR LE DIRECTEUR
Salon-c-abinet directorial, moitié mo
- Uern-style, moitié genre Mapple.
Grand bureau, entouré en partie, par
fin paravent «t placé entre deux fenêtres.
Derrière le bureau, une immense
chaise-longue Louis XIV, très conforta-
ble, sur laquelle sont - entassés, pêle-
mêle, quantités d'oreillers.
D'énormes casiers, vitrés, contien-
nent des manuscrits, et une bibliothè-
que à deux corps, très imposante, em-
ipilit le panneau de droite. Ça et là, quel-
ques chaises et fauteuils.
(Le jour venant des fenêtres, est tamisé
par des stores à l'Italienne, et de grands
rideaux de Florencé capucine.
M. le directeur, qui vient de terminer
l'ouverture de son volumineux courrier,
appuie sur l'une des touches d'ivoire qui
forment son meuble d'appel placé en cla-
vier sur son bureau.
Un huissier galonné, se présente; il lui
tlonne le panier d'osier oblong, qui con-
itient les lettres parcourues :
« Portez ceci à monsieur de Sarneval
et dites-moi quelles sont les personnes
qui attendent. »
: L'huissier sort et revient avec des fi-
iehes d'antichambre, sur lesquelles les
personnes qui attendent se sont inscri-
i tes.
Après avoir parcouru ces fiches, M. le
: directeur, d'un ton théâtral, dit -
— « Annoncez que je vais être en co-
« mité, que je ne pourrai recevoir de
'« toute l'après-midi et faites entrer, dans
;« le petit salon, Mlde Louise Dupétard. »
— L'huissier d'un air entendu, après
un : « Bien Monsieur le directeur », qui
indique le larbin stylé, fait une savante
^pirouette et s'évanouit.
M. le directeur marchotte pendant
quelques instants, éparpille sur son bu-
jpeau différentes notes et manuscrits,
jette un regard de complaisance dans la
glace qui décore la cheminée, se passe
la main dans les rares cheveux qui gar-
nissent ses tempes, et, après avoir tiré
ses manchettes, ouvre la porte de com-
munication. qui donne sur le petit salon,
dans lequel attend Mlle Louise Dupé-
tard.
— « Veuillez entrer, Mademoiselle,
dit-il d'un ton engageant. »
Une jeune personne, de 17 à 19 ans,
robe bleu pâle, plissée soleil, un énorme
chapeau à plumes blanches, genre « de-
moiselle grue », fait son entrée par un
— « Ah! mince, c'est pas trop tôt! Ce
« que je m'rongeai s, là dedans, à croquer
ï« le marmot en vous attendant, c'est
:« rien que de l'dire, savez! »
io- « Vous désirez?
— « Un engagement pardi! Mais non,
« Pourquoi qu'vous m'avez donc envoyé
:« 'hier votre espèce de grand efflanqué,
:« en me d'mandant de passer vous voir
a-« aujourd'hui sans faute, à 2 heures, si
« c'est pas, comme c't'homme m'ia dit :
« pour un engagement?
- « Evdemment, ma chère enfant,
« nous avons à parler d'affaires, et ce
'« n'est que pour cela que je vous ai priée
:« de venir me voir. Rapprochez-vous
•<( donc, et venez vous asseoir près de
moi. »
Mlle Dupétard vint s'asseoir sans plus
de façon sur le divan iprès de M. le direc-
teur.
- « Oh ! comme vous avez une jolie
p main, dit-il en lui prenant sa menotte,
"« Est-ce que tout le reste est en raip-
,« port ? »
— <( Pour sûr, « rien batih ! »
— « Eh bien, mais vous pourriez par-
is faitement jouer les rôles à maillots,
jto seulement il faudrait, et vous le com-
? prendrez on ne peut mieux, que je
me rende compte de « visu ».
- « De visu? »
- -- 1— « Oui cela veut dire, en voy"ant par
? moi-même. -
« Ah mais non, mon vieux, si c'est
« pour vous rincer l'œil que vous m'avez
« fait venir, y a rien de fait, je m'caivale
« et illico.
« Et puis, voue savez, j'atends pas
« après mes appointements, j'ai un ami
« qui est assez calé pour que je m'paye
« la fantaisie, et pour rien si ça m'ohan-
« te, de monter sur les planches. »
M. le directeur redevient digne, il a
flairé une commandite ou à défaut, puis-
que la demoiselle a parlé de chanter, un
énorme délit, qu'il va lui faire signer
sur son engagement.
*- « Mon Dieu, mademoiselle, qu'à
« cela ne tienne, je n'avais nullement
« l'intention de vous effaroucher, dit-il,
« vous me plaisez allez, sans que j'aie à
« demander à voir davantage, et pour
« vous en donner la preuve, &i vous
« voulez bien m'accorder cinq minutes
« seulement, je vais vous faire votre en-
« gagement que vous n'aurez plus qu'à
« revêtir de votre signature". De plus,
« puisque vous m'avez dit avoir un ami,
« si galant homme, vous pourriez lui
« faire savoir de ma part, qu'il aura ses
« entrées, en tous temps, au théâtre,
« ainsi quie dans les coulisses, et pour
« cela, il n'aura qu'à m'être présenté
« par vous. »
L'engagement est bâclé sur papier tim-
bré, à la, six-quatre deux, par quelqu'un
qui a l'habitude de les dresser, et Mille
Louise Dupétard signe les yeux fermés
son engagement d'une écriture qui au-
rait besoin — oh combien ! — d'être par-
faite, à la « Mutuelle » d'où on l'a retirée
t'rop tôt.
L'engagement, fait pour dix années,
est de quatre-vingts francs par mois, à
charge par Mlle Dupétard de fournir ses
costumes, ses perruques, d'assister à
deux répétitions par jour — (sous paine
d'amendes variant de 5 à 20 francs) — etL
en cas de rupture, d'avoir à payer un
dédit de soixante mille francs.
Il est vrai que si Mlle Dupétard avait
consenti à jouer les « Phrynés » devant
M. le directeur, elle aurait signé le mê-
me engaigement et aussi brillant pour.
M. le directeur.
SAINT-MARC.
-Moasa
MON RETIT CINEMATOGRAPHE
ALAS! POOR BOBÈCHE III
Lecteurs, vous l'échappâtes belle
Car vous faillîtes simplement
Vous appuyer la ribambelle '-
Des frais de mon enterrement.
Ou, faute de six pieds de terre,
M'offrir du inoins, pour un long bail,
La pension alimentaire
Des Invalides du Travail !
Vous vous figuriez, j'imagine
Que mes « Petits Cinématos »
Se faisaient presque à la machine
Et sans exiger aes quintaux
D6 ma cérébrale matière ;
Vous pensiez, en vrais étourneaux..
Que je bâclais ma page entière
Comme. pleure le mérinos
Et nul ne songeait, au contraire : •
« Pendant que, flemmards, nous dormons.
Ce Bobèche, pour nous distraire
S'esquinte à cracher ses poumons 1 »
C'est pourtant la vérité vraie
Car, un assez triste matin,
De ce mal, dont plus d'un s'effraye,
J'ai dû me reconnaître atteint
Et de la Faculté l'Augure,
Dans son sacré delirium
M'imposa de faire une cure
D'air, dans un Sanatorium
« Hein ? Sanatorium ? Quoi ? Qu'est-ce ?
De l'Iroquois ou du Huron ?
Ça se vend-iil en sac, en caisse ?
C'est-il carré, rectangle ou rond ?. »
Ne cherchez pas. C'est, de nature,
Un en'droit, où, presque au galop
D'oxigène et de nourriture
On vous gave jusqu'au goulot
C'est là qu'au régime fidèle
Je « briffe » à. bouche que veux-tu
D'un établissement modèle
Ayant 'fait choix, bien entendu
Or, je note ici pour mémoire
Que ce lieu propice à mes maux
Est sis en pleine .Forêt Noire
A WehrawaM, près de Todtmoos. *
Je m'y sens renaître à la vie -
Et, lecteur qui connais mon cœur,
Faute (de -mieux, je te convie
A nous en réjouir en chœur 2
Eobêche.
PAUL ET VIRGINIE
Mon mariage est rompu. Jamais je ne me
marierai, jamais, jamais, jamais. Et pour-
tant j'aimais bien Paul, mon ami d'enfance,
mon fiancé ; je l'aimais de toute mon âme et
je l'aime encore. mais l'épouser jamais .!
Plains-moi, ton amie, ta pauvre Virginie ! Et
toi aussi, ma Juliette aimée, ma cornpagn.è
de couvent, je t'en supplie, ne te marie pas :
si tu savais 1.
Te souvient-il de nos confidences sous
les grands arbres du Sacré-Cœur, au pied de
celui que nous préférions, parce que nous
étions seules derrière son feuillage bas qui
nous cachait aux curieuses ? Rappelle-toi
nos espérances d'alors' qui toutes se concen-
traient vers un être aimé ; tu le voulais brun,
toi, — moi, je le voulais blond. et- quand la
cloche nous séparait nous continuions seu-
les le rêve commencé à deux. — Quand donc
aurons-nous dix-huit ans ? quand nous ma-
rierons-nous ?
Nous les avons ces dix-huit ans. je devais
me marier demain. Et je viens de tout rom-
pre. Paul est au désespoir, maman pleure
et moi aussi : je souffre moi-même et je souf-
fre encore de le voir souffrir ; pauvre gar-
çon ! il s'est jeté à mes genoux ! Oh ! s'il
ne fallait que donner sa vie pour lui ! Je se-
rais prête à mourir, car je l'aime de toute
mon âme, je l'aimerais toujours. Mais être
sa femme, jamais !.
Si les jeunes fil-les savaient, aucune d'elles
ne se marierait. Mais elles ne savent pas.
Elles ignorent ce que le hasard — la Provi-
dence plutôt — m'a montré et j'en remercie
Dieu. -
C'était ce matin après le déjeuner. A cette
heure, chaque jour, Paul et moi nous nous
esquivions, tandis que maman s'occupait du
château. Elle me croyait chez moi, mais le
petit escalier que tu sais, me donnait la clef
des champs, et je retrouvai Paul qui, après
un grand détour, m'attendait à la sapinière ;
nous ne nous disions rien, mais nous nous
embrassions bien fort, puis, je prenais son
bras, — son bras gauche, s'il vous plaît, et
nous nous en allions bien vite du côté des
roches où personne ne passe jamais.
Pour y arriver, nous avions à traverser le
lit desséché d'un large torrent. Lui marchait
devant, descendait d'un pas et s'assurait
bien sur ses deux pieds ; je lui permettais
alors de se retourner en regardant en l'air,
pour qu'il ne vore pas mes jambes,il me rece-
vait dans ses bras et jusqu'au lit du torrent
nous recommencions de nouveaux pas, lui re-
gardant toujours enilairmoi tremblant com-
me une feuille, qu'il ne me vît la cheville : tu
sais comme chez moi ce sentiment de pudeur
est excessif !. *
De l'autre côté du torrent et sur un bout de
roche—une manière de gros pic dont 'le som-
met. est sapé en plateau — se trouve un gros
bouquet d'arbres au feuillage serré, impéné-
trable, aux regards et dans lequel, à l'aide de
grands ciseaux à haies dérobés à Pierre , le
jardinier, qui tempêta pendant huit jours,
Paul avait taillé une logette, bosquet que
nous appelions notre salon. C'est là que nous
nous allions cacher à deux, là où personne ne
nous eût jamais soupçonnés, personne mal-
heureusement. Ah ! si l'on avait su, rien ne
fût arrivé !.
Hier donc, nous venions d'atteindre le som-
PAUL ET VIRGINIE
met de la roche, je m'étais assise en étalant
ma robe sur laquelle ne grimaçait aucun
méchant pli ; j'avais interrogé mon petit mi-
roir de poche, qui m'avait fait compliment
sur mon teint, l'éclat de mes lèvres et le ve-
louté de mes yeux ; j'étais jolie, vois-tu, mais
jolie !. Paul venait d'entrer après avoir,
comme il le faisait toujours, demandé si
Mme la comtesse Paul de Maurelle était vi-
sible, — car là, sur cette roche, je prenais
déjà mon nom et nous jouions au mari et à
la femme — il m'avait baisé la main, le front,
puis il recommençait et je le laissais faire,
lorsqu'un éblouissant et rapide éclair, aussi-
tôt suivi d'un violent coup de tonnerre, me
fit bondir. Courant comme deux amoureux
qui, se croyant au ciel, oublient de consulter
le vrai, nous n'avions pas vu s'amonceler
l'orage qui, sur une pluie torrentielle, tempê-
ta toute une grande heure. Le premier mo-
ment de terreur passé, nous nous prîmes à
rire en voyant que le feuillage ne tamisait pas
une goutte d'eau ; l'un près de L'autre, nous
goûtions la joie des enfants qui, sous un abri
qu'ils se sont construits eux-mêmes, regar-
dent curieusement l'eau tomber à flots.
La pluie cessa enfin, et pressés de gagner
le château où notre absence pouvait être
trahie, nous nous hasardâmes hors des ar-
bres. Je poussai un cri : le torrent formé par
la pluie roulait impétueusement ; ses eaux
avaient presque englouti notre roche isolée !
De l'eau, partout ; nous étions prisonniers et
l'eau montait toujours. je me crus morte,
vois-tu, et je saisis Paul auquel je m'attachai
avec désespoir !
Il était calme, lui, quoique un peu pâle.
— Il n'y a pas. de temps à perdre, me dit-
il, et il n'est pas deux partis à prendre : il
faut immédiatement franchir le torrent à la
nage.
— Mais'je ne sais pas nager, lui répondis-
je en le serrant plus fort.
— N'importe, fit-il, je suis grand nageur,
je vous prendrai .sur moi et vous passerai.
— Mais nos habits seront mouillés.
— Il ne faut pas songer aux habits, me dit-
il, aux vôtres surtout, leur ampleur nous per-
drait et m'empêcherait bien certainement de
couper le courant.
— Mais que faire alors !
— Mais il faut. ici il hésita, puis il reprit :
avez-vous lu Paul et Virginie ?
— Oui.
— Vous savez l'offre que fit à Virginie, le
matelot qui voulait la sauver ?
— Celle de se déshabiller.
— C'est ce qu'il faut faire.
— Jamais, m'écriai-je, jamais, moi qui
souffre déjà quand on me voit le bout du pied,
moi, me mettre. jamais, jamais, Virginie a
refusé, elle a préféré la mort, je ferai comme
elle.
Paul se jeta àrmes genoux..
— Je vous en supplie, dit-il, pour moi qui
vous aime, pour votre mère qui vous attend,
inquiète. Et d'ailleurs que vous importe. Je
passerai d'abord mes vêtements, puis les vô-
tres, que pendant ce temps vous aurez dépo-
sée en dehors des arbres où vous vous en se-
rez débarrassée. Je reviendrai ensuite et
vous me prendrez la tête de vos deux bras,
derrière moi, je ne vous verrai pas ; arrivés
de l'autre côté, je fermerai les yeux et me
tiendrai dans l'eau, jusqu'à ce qu'habillée,
vous me permettiez d'en sortir, vous vous
éloignerez, je m'habillerai à mon tour et dans
une heure nous serons au château. —
Comme il terminait, une lame d'eau.sauta
notre lie, j'eus peur, la perspective de mou-
rir dans cette eau jaune et sale. D'ailleurs
son offre n'avait rien de blessant. Je con-
sentis et rentrai sous les arbres ; quelques
secondes après, je l'entendis se jeter à l'eau,
je risquai un regard inquiet et le vis qui d'une
main fendait aisément le flot, tandis que de
l'autre, il tenait au-dessus de lui le paquet
fait de ses vêtements.
Cependant, je me débarrassais des miens,
l'ôtai mon toquet d'abord et mes deux robes
sans trop d'hésitation, puis mes jupons de
mousseline et mon corsage de dessous. Alors
j'hésitai, je sentais la fraîcheur qui me ca-
ressait les jambes et la poitrine, il semblait
qu'on me touchait et instinctivement je ser-
rai les bras, me demandant s'il ne valait pas
mieux mourir ?. Paul m'avait dit en par-
tant : il faut que vous ôtiez tout, tout, tout.
Mais cette maudite eau qui montait tou-
jours !. Un rayon de chaud soleil vint regar-
der dans mon abri, j'allai à lui et il me ré-
chauffa doucement. Je n'hésitai plus, je jetai
mes souliers, mes bas roulèrent le long de
mes jambes pour s'en aller plus vite et ma
chemise enfin. Je n'avais plus sur moi que
la mince chaîne d'or qui retient la médaille
de sainte Virginie, ma patronne, et mon an-
neau de fiançailles. Jamais, je ne me serais
cru ce courage, et vois-tu, ma bonne Juliette,
je ne sais, mais je n'avais plus peur du tout ;
seulement la roche m'irritait les pieds. Mes
habits furent bientôt serrés dans ma robe, je
n'avais pas voulu les mettre dans ma chemi-
se parce qu'il me semblait que Paul ne de-
vait pas voir la chemise que je venais de qui-
ler, je croyais que ça m'aurait fait rougir.
Je mis le tout dehors en allongeant le bras, et
sans sortir de ma cachette, il n'était que
temps : Paul revenait. Je risquai un regard
et vis mes vêtements disparaître,- puis tandis
qu'il regagnait l'autre rive en me tournant
le dos, je le 'regardais aller comme la pre-
mière fois ; il nage avec une élégance et une
vigueur. je l'admirais, je ne songeais plus
à moi. Je me retirai brusquement : il reve-
nait. Alors mon cœur se prit à battre avec
uni rapidité qui augmentait à mesure que le
bruit des efforts de Paul me disait qu'il ap-
prochait. Le bruit cessa : il avait pris pied.
Qu'allait-il se passer ? J'allais devoir l'enla-
cer de mes bras, lui qui était tout. et moi
qui était dans le même état !
J'hésitais encore, mais j'en avais trop fait
déjà, d'ailleurs, je n'avais plus le moyen de
refuser, mes vêtements étant là-bas. Ne me
voyant pas venir, il m'appela.
— Vous ne regarderez pas, lui-dis-je.
— Non, je vous tourne le dos..
— Bien vrai ?
— Puisque je vous le dis.
J'avançai la tête avec précaution, il disait
vrai. Je le vis la tête tournée du côté de l'au-
tre rive et le corps dans l'eau jusqu'aux ais-
selles, ses cheveux mouillés et collés à ses
tempes changeaient sa physionomie au point
que je crus un instant que ce n'était plus
lui, ce qui, le crois-tu, me fit marcher plus
vite. J'aurais presque préféré qu'au lieu de
mon fiancé, ce fût un inconnu auquel j'allais
me confier. J'avançais timide, cependant :
j'aurais voulu pouvoir fermer les yeux, mais
il fallait me conduire et avec grande précau-
tion encore. Je marchais, les deux bras al-
longés, les deux mains unies et collées au
corps. et j'arrivais jusqu'à lui, qui, pour me
servir d'appui avait les deux mains tendues
au-dessus de la tête; dès qu'il tint les mien-
nes, il les unit se faisant un collier de mes
deux bras et me disant :
— Tenez ferme. -
Juge si je serrais ! Cette eau me faisait
une peur ! mais avanftjue je pusse réfléchir,
Paul s'était élancé et nous étions dans les
flots. Je poussais un petit cri qui me soulagea
plutôt et je fus tout à fait rassurée. Il nageait,
il nageait et je regardais ses mains qui à
droite et à gauche décrivaient des cercles, je
sentais tous ses efforts, car j'étais comme à
cheval sur lui qui bientôt toucha la rive.
Oh ici ma plume s'arrête. Pourquoi le cou-
rant ne nous avait-il pas emportés !. Enfin
je veux tout te dire, ma chère Juliette, tu es
mon amie aue j'aime. Alors donc, sur cette.
rive, il ferma les yeux, et moi-même m'ai-
dant des pieds et des mains, je sortis de
l'eau. J'allais prendre terre, lorsqu'un de mes
pieds faillit manquer. Je poussais un cri.
Paul oubliant tout, accourut à mon secours et
sortant de l'eau, se montra "à moi de face, et
je l'ai vu tout entier !.
Oh, si tu savais !
Non, non, non, jamais je ne me marierai,
jamais.
Je me suis habillée à la hâte, je suis reve-
nue au château-et depuis ce moment, je pleu-
re et lui-est au désespoir.
Mais jamais je ne pourrai.
Jamais, jamais.
Plains ta pauvre Virginie.
Jamais, jamais.
Ivan, de Wœstyne.
Nous commencerons prochainement la pu-
blication d'un nouveau roman :
LI it m'a U,»9t% RAelQ
PAR
Joseph MONTET
Cette œuvre forte, d'une psychologie har-
die, où les mystères du cœur sont mis à nu.
par un observateur profond, et dont l'action,
intensément passionnée, se déroule parmi
les haines déchaînées d'une guerre civile,
captivera et empoignera tous nos lecteurs.
La Maîtresse légitime
- Un ménage Hung, dont la femme était très
jolie, vit l'accord régner dans son sein pen-
dant plusieurs années. Si la femme était très
jolie, le mari était très épris. Un hasard vint
changer la joie en deuil. Hung eut un caprice
pour une jeune fille, qui devint sa maîtresse
et qu'il finit par aimer beaucoup, bien qu'elle
fût loin d'égaler sa femme en beauté. La ja-
lousie fit naître alors, autour du foyer domes-
tique, jadis si calme, des scènes bruyantes,
qui se répétèrent sans cesse et eurent pour
résultat d'éloigner encore davantage le mari
de sa compagne, autrefois adorée ; il n'osa
pas, cependant, briser tout lien, en allant ha-
biter publiquement avec sa maltresse.
Mme Hung se trouvait bien malheu-
reuse. Leur voisin, un monsieur Ti, négo-
ciant en soies, avait, lui aussi, une femme et
une maîtresse. Sa femme, déjà âgée d'une
trentaine d'années, n'était pas très jolie ; elle
possédait pourtant toute l'affection de son
mari et c'est sa maîtresse qui pleurait de se
voir négligée.
Les deux voisines nouèrent, tout naturel-
lement, des relations et chacune raconta
bientôt à l'autre, ses sujets de tristesse ou de
joie domestique.
— J'ai toujours entendu dire, questionna
Mme Hung, que l'homme aime sa maîtresse,
parce que ce n'est qu'une maîtresse ; com-
bien de fois aurais-je voulu changer mon titre
de femme contre celui de maîtresse, afin d'ê-
tre seule aimée de lui ! Mais, en vous voyant
je ne suis plus sûre de cette première opi-
nion. Par quel moyen donc, avez-vous réussi
à attirer votre mari, malgré la rivalité d'une
maîtresse jeune et jolie ? Si vous pouvez me
l'enseigner, je serai heureuse de devenir
votre élève.
— Si le mari est loin de sà femmej dit Mme
Ti, la faute doit être imputée à la femme.
Plus vous faites de scènes, plus vous le chas-
sez au profit de 1 autre. Ecoutez ceci : ren-
trez tranquillement et laissez votre mari en-
tièrement en liberté. S'il vient vous voir, fer-
mez-lui votre porte ; après un mois de ce ré-
gime, vous viendrez me trouver.
Mme Hung se conforma strictement à ces
instructions et changea tout à fait de manière
d'agir ; non seulement elle laissait son mari
libre de prendre ses repas au dehors, mais
encore ello souffrait qu'il découchât complè-
tement.
Un mois après, la voisine, satisfaite déjà
de l'exécution exacte de. ses recommanda-
tions, ordonna encore à sa protégée de s'ha-
bliler désormais très simplement, de travail-
ler comme une domestique et de ne s'occu-
per que des ouvrages à l'aiguille, pendant les
moments de loisir.
Le mari avait conservé un peu de conscien-
ce : il pria sa femme de ne pas tant se fati-
guer. Mais elle fit la sourde oreille.
Ce régime dura encore un mois et le profes-
seur se déclara de plus en plus satisfait de
son élève.
Un jour, à l'occasion d'une fête, Mme Ti
invita son amie à faire une promenade avec
elle, à la campagne. Avant de partir, elle
l'haibitla de neuf, la coiffa elle-même et la
para richement comme une nouvelle mariée.
Après la promenadej elle lui dit de rentrer
Chez elle, avec la recommandation suivante :
— Allez vous coucher et ayqz soin de faire
une apparition d'un instant chez votre mari,
pour qu'il vous voie telle que vous êtes. Puis,
fermez .vos portes à clef. S'il vient frapper,
n'ouvrez qu'au troisième appel et, dans vos
rapports intimes, soyez extrêmement avare
de tendresse ! nous verrons ensuite, dans
quinze jours.
Mme Hung exécuta de point en point ce
programme.
Le mari, ébloui de voir si belle sa femme,
que, depuis un mois, il n'apercevait que dans
le costume négligé des travaux domestiques,
vint fra/pper, en effet, selon les prévisions de
Mme Ti et ne fut pas reçu du tout.
Mme Hung déclara qu'elle avait l'habitude
de dormir seule.
Le lendemain, le mari arriva avant elle
dans la chambre pour l'attendre ; on daigna
lui faire grâce cette fois. Pour montrer bj sa
femme combien il était heureux de la revoir,
il lui demanda de le recevoir le lendemain :
refus atbsolu. Elle ne consentit qu'à une visite
tous les trois ou quatre jours.
1, Quinze jours après, Mme Ti lui dit qu'à
l'avenir elle n'aurait pas de soucis : que c'est
elle qui posséderait tout l'amour de son mari.
— Vous êtes jolie, mais vous n'êtes pas
assez gracieuse, ajouta-t-elle ; c'est la grâce
seule qui rendra impossible toute rivalité.
Et elle lui enseigna encore la manière de
regarder et celle de sourire et, après plu-
sieurs dizaines de répétitions, lui dit quelle
n'avait plus besoin de leçons. En effet, Hung
depuis ce moment adora sa femme et ne la
quitta plus un instant.
Quelque temps après, les deux dames se
rencontrèrent de nouveau.
— Comment avez-vous trouvé mon procé-
dé ? demanda madame Ti.
— Merveilleux. Mais vous ne m'avez pas
toujours expliqué pourquoi vous me faisiez
agir ainsi et quel est le charme qui s'opère ?
— Vous ne connaissez pas l'homme : il ai-
me ce qui est nouveau et tout ce qui est an-
cien lui répugne ; il préfère le difficile au fa-
cile. S'il aime mieux une maîtresse, ce n'est
pas pour sa beauté, mais pour sa nouveauté
et pour les difficultés de la possession. Si la
jeune femme laisse l'homme complètement
libre d'agir avec elle à sa guise, il finit par
se dégoûter, môme de la maîtresse la plus
jolie. Pour.vous, après séparation temporai-
re, vous êtes devenue nouvelle pour lui ; en
ne le recevant pas, vous êtes devenue diffi-
cile à obtenir : par conséquent vous avez été
préférée. Ceci n'est pas un .procédé qui m'ap-
partienne, mais une petite modification du
désir que vous m'aviez exprimé : au lieu de
changer votre titre de femme contre celui de
maîtresse, j'ai changé tout simplement vo-
- tre personne. Voilà tout mon secret.
Général-Tcheng-Ki-Tong.
Une retraite.
Hélas oui, la belle des belles va prendre
sa .retraite ! Elle est riche, très riche, et sa
richesse lui pèse. Elle en a assez de la vie de
Paris, assez du tour de Boulevards, assez de
l'allée des Acacias, assez du Tout-Pourri des
premières 1
Ce qu'elle rêve, c'est la vie calme, paisi-
ble. dans une montagne par exemple, avec
un gentil amoureux, amoureux non de sa ri-
chesse, mais de sa beauté, de son esprit.
Elle croit avo-r trouvé cet Méal, et sans r$.
grets, elle va quitter la capitale et ses plai-
sirs ; elle va nou§ lancer joyeusement son
-adieu-
Mais c'est « au revoir » que nous lui répon-
drons, car nous ne pouvons croire au départ
irrémédiable de celle qui illumina de sa pré-
sence les scènes des grands music-halls pa-
risiens.
Nous avons donc bon espoir, et nous som.
mes sûrs qu'après nous avoir joué avec ta-
lent Cinna ou lia Clémence d'Henry, notre
belle amie no-nc reviendra à la Trinité ou
bien. à la Noël.
Rencontré hier notre ami Reddy, qui vient
de faire un i&éjour au bord du « gl and vert »
comme il nomme l'Atlantique.
— Eh bien ! cher, vous êtes-vous amusé
pendant votre villégiature ?
— Naturellement ! me répondit-il. J'avais
choisi la plus jolie plage de Paris !
La. dette de M. X.
M. X. est un jeune homme de très bonne
famillte : il est très « galetteux », d'après les
on-dit de promenoirs, mais il estime les cho
se,s à leur juste prix.
C'est ainsi qu'ayant fait la connaissance
d'une de nos Parisiennes les plus connues,
sa réputation d'homme argenté lui valait
l'honneur insignè d'accompagner chez elle la.
charmante Zélie.
Le lendemain matin, la brune enfant fit
comprendre au blond jeune homme que si
l'Amouir était quelque chose, la braize (inven-
tion des Braiziliens !!!) était souvent plus en-
core.
Sans mot dire, il ouvrit son porte-monnaie
et étala cinq beaux louis.
— Cinq louis, s.^cria Zélie, mais c'est pour
la bonne !
— Prenez-les, répondit-il avec un geste su-
perbe.
- Et il partit.
Mais, chaque fois que la belle enfant le ren-
contre, elle le prend à la gorge et lui dit :
« Monsieur ! je ne me dérange jamais à
moins de quinze cents francs. C'est donc qua-
torze cents que vous me devez. Payez-vous ?»
— Non ! réplique t-il invariablement.
Quand M. X. paiera-it-il sa dette 2,
Tha.t is the question ?
NOUVELLE A LA MAIN
Examen de catéchisme :
— Pouvez-vous me dire, jeune enfant, dans
quoi étaient écrites les lois de Moïse ?
Et comme le jeune enfant hésite, le curé lui
tend la perche :
— Le Déca.
— Litre, monsieur le curé ! !
Le Chef des Tziganes.
La Chambre on l'on s'amuse
Par ALPHONSE CROZIERE
Les bleus incorporés depuis quatre jours, sont
réunis sous les ordres du sergent Kelgourde
dans une chambre de la compagnie.
LE LIEUTENANT D'API. — Sergent vous allez
me faire un peu de théorie morale à ces las-
cars-là.
LE SERGENT. KELGOURDE. — Oui, mon lieute-
nant.
LE LIEUTENANT. — Vous leur parlerez de
la patrie, ainsi que des principaux faits d'ar-
mes de l'Histoire.
LE SERGENT. — Bien, mon lieutenant.
LE LIEUTENANT. — Et vous ferez rompre
dans une demi-heure. (Il sort.)
LE SERGENT. — Bien, mon lieutenant.
LE SERGENT, aux beus. — Vous avez en-
tendu ce que vient de dire le lieutenant d'Api,
eh bien, tâchez d'ouvrir vos esgourdes sur
ce que je vais vous expliquer. La patrie,
c'est votre chaumière.
UN LOUSTIC. — Pardon, sergent, je n'avais
pas de chaumière, je logeais au cinquième
et j'avais un terme à payer.
LE SERGENT. - Eh bien, dans ce cas, la
patrie c'çst la maison de votre propriétaire.
votre champ. vos parents. vos amis.
l'endroit que vous alimentez de vos propres
entrailles pour le rendre productif, etc. La
patrie. heu. Attends, toi, l'homme aux lu-
nettes, là-bas, je vais aller te réveiller avec
un quart d'eau à travers les narines. Je di-
sais donc que la patrie a été illustrée par de
grands hommes près desquels nous sommes
des nains ; parmi ces grands hommes, il y a
eu Jeanne d'Arc qu'était une petite ferûme,
Napoléon qu'était un petit caporal, Vercin-
gétorix qu'était Auvergnat et bien d'autres
« que je me rappelle plus ». Tous ces z'hé-
ros ont remporté des victoires épatantes que
vous devez connaître tous.
Ainsi, pour ne citer- que quelques faits
d'armes glorieux, rappelez-vous celui du
pont. d'Arcole. Oui, le pont d'Arcole. (Dé-
signant un homme qui le regarde avec des
yeiuc abnutis d'hippopotame qut digère.).
Comment t'appelles-tu, toi ?
— Foireur, sergent. 1
— Eh bien, Foireur, veux-tu nous dire 0\1
est le pont d'Arcole dont je parle ?
UNE VOIX, soufflant, — A Madagascar.
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