Titre : La Presse
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1839-03-03
Contributeur : Girardin, Émile de (1806-1881). Directeur de publication
Contributeur : Laguerre, Georges (1858-1912). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34448033b
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 03 mars 1839 03 mars 1839
Description : 1839/03/03. 1839/03/03.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4276727
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
fat et tùon vote sera dicté par mes convictions politiques dont je ne permets
à personne de critiquertatoyauté.
KMaréctamation.monsieur le rédacteur.mé parait si bien fondée que je Be
'croispasavoirbesoind'invoQuertatoi.
Agréez, BERTRAND, docteur-médecin, rue Lcpcttetier, 20.
~l1I.ll
L'abondance des matières poHtiques nous oblige d'ajourner h de-
main le feuiDeton de M. Granier de Cassagnac.
Nfcaaveitcs.ce :
Le rot, accompagné de M. te~côtonet Dumas, de M. Boismiton, et de deux
oHciers d'ordonnance, est parti hier à midi et demi pour se rendre à Ver-
sailles. M. est montéeen voiture dans tacourduLouvre, où elle s'était
rendue en vissant ta grande galerie du Musée. Les personnes réunies dans
ia cou. et parmi tesquettcs se trouvaient plusieurs artistes, ont fait enten-
dre plusieurs reprises les cris de,V!t)f
S. M. est passée par Saint-Ctoud, où elle est restée une heure environ.
Elle est allée ensuite à Trianon, où ette a été reçue par M. !e général Mor-
nay. H était quatre heures quand elle est arrivée au paiais dé Versaittes.
Le roi a quitte Versailles a six heures, après avoir visite une partie des
gâteries. S. M. était de retour aux Tuileries à sept heures vingt minutes.
Au moment où le roi, en quittant Paris, se trouvait entre la pompe à feu
de Chaittot et le pcnt d'téna, t'essieu dcs.reues décevant de ta voiture où
était S. M. s'est brise, et )ës chevaux, tances au grand trot, ont tratné cette
voiture t'espace d'environ vingt-cinq pas.,S~.M. n'a heureusement pas été
blessée. Elle est descendue et est montée dans ta voiture de suite..
Dans ta soirée, )e roi est retourné an Musée, où S. M. & continue ta visité
des gâteries, qu'ette avait commencée )e matin..
LctaMeau du prix moyen derttectoUtrede froment arrête te 2S février
par M. te ministre du commerce, à été pour tes marchés de !a première
ctasse de 24 fr. 09 c.; de deuxième classe première section 2t fr. 54 c.; deu-
xième sfetion 24 fr. (j5 c.; de troisième classe première section 25 fr. 39 c.;
deuxième section 22 fr. 57 c.; troisième section 21 fr. 69 c.; de fa quatrième
classe, première section 2) fr. 72 c.; deuxième section 2t fr. 2S c. Le prix
le ptus élevé a été à Marseitte (2S fr. 7t c.), et le plus bas à St.-Lô où il
estdescendual9fr.65c.
–S. A. R. Mgr te duc d'Orléans abien voulu faire prendre 6 abonnemens
au journal t'Bx'poo'tt'oHj publié par M. Le Bouteittier.
–Ontitdans)e/of<)7M/dM.~fa~re,2Sfévrie.i.-
Un bien malheureux événement vient d'avoir )icu à t'entrée de notre
port. Trois jeunes gens, parmi lesquels se trouvait un des passagers dû na-
vire t'~tAa/i'e, retâché hier matin dans notre port, s'embarquent cette nui).,
à minuit, dans un canot que devaient manœuvrer deux jeunes matelots de
ee bâtiment. L'embarcation part pour faire en mer une promonade de uuet-
q ~es heures; mais, au moment où les deux matelots targuent leur voitc pour
sortir des jetée?, une risée soufuf, et tecan~t, mai lesté ou mai gouverné,
chavire entre deux lames de l'entrée du port.
On écrit de Pont-Audemer < Les eaux de la Ritte sont montées à une
tette hauteur (7 pieds de plus que te niveau ordinaire), que'tes prairies ri-
veraines sont couvertes par tS pouces d'eau. Cette inondation a causé quel-
ques~désastres:ie batardeau établi pour construire t'éctùse de la filature e
Fauquet a été enlevé ainsi que plusieurs travaux commencés par divers
propriétaires." v
–Le beau tempsaramene la foute au chemin defer;)aterrasse deSt-Ger-
main devient une succùrsate de la petite Provence, î) vient de s'établir une e
ligne spéciate d'omnibus à Paris conduisant directement les voyageurs de la
place du Carroùset à ta rue de Londres dans t'intérieur de la Ga' e; et par
suite d'une concurrence les omnibus qui transportent du Pccq à St-Germain
ne font plus payer que 5 centimes; on 'payait auparavant 25 centimes.
Un journal du département de Loir-et-Cher rapporte te fait suivant
< Une scèuedesptustragiquss'est passée, le 50 janvier, prèsdeCha-
titton, entre Brou et Chateaudun. Une fermière, attant vendre eu blé au
marché, fut rencontrée par un de ses voisins, auquel elle donnait souvent
du pain et des vétemens, pour le secourir dans sa misère. Le soir, eite re-
venait ta ferme; elle avait vendu son b)é: ii faisait nuit. E!te rencontra
le même individu, et le dialogue suivant s'établit enh'e eux Vous voila,
la mattresse! Vous avez vendu votre blé? Oui, répondit' la fermière.
–Vous en aviez beaucoup, vous avez dû recevoir une centaine d'é-
cns? Un peu au-det. je rapporte 50'7 fr. Cette somme doit vous pe-
ser, donnez-moi votre argent. Je vous remercie, it ne m'embarrasse
point. Donnez-mai donc votre argent. Ce n'est pas nécessaire.
Donnez-moi votre argent, vous dis-je, ou. et en même temps, il
iit reluire à ses~yeux un long couteau! Etie.eut peur et abandonna son ar-
gent. Le chemin s~ divisait en deux branches l'homme prit l'une, et la
femme l'autre, qui conduisait ~hezeUe. Tout à coup, le misérable revint
sur ses pas, et lui dit < Réflexion faite, j'ai votre argent, vous allez me
dénoncer, il faut.que je vous.tue La fermière terriEée< protesta qu'ette
.serait discrète, qu'elle lui pardonnait en considération de sa pauvreté
qu'eue ne souurirait pas beaucoup de cette perte–Non, je vous crains,
it faut que je vous tue. Là, tout près, est une marnière choisissez, je vais
vous y jeter, ou bien je ferai usage de ce couteau. La pauvre femme
éperdue, se décide pour la marnière, d.ins l'espoir, d'un secours inattendu.
Tous deux arrivent sur le tieu. Le bandit la force à sedéshabitter, de
crainte que ses vétemens ne la fassent reconnaitre. Le crime allait être
consommé; mais ta Providence-veiitait sur ta fermière. Le scélérat, pteit) 11
de prévoyance dans ta préparation de son forfait, veut s'assurer si la mar-
'nière est assez profonde, et si et)e-contient de t'eau;U ramasse une pierre,
etsebitisseàt~riScede la marnière pour l'y jeter. La fermière retrouve
toute sa présenced'cspnt, et, saisissant cemoment, ette se précipite avec
désespoir sur soc assassin, le puusse rudement dans le précipice, saisit ses
v&temens, se sauve nue et de.toutela vitesse de ses jambes et <: arrive de-
mi-m~rte chez ette. Le maire de Çhatitton, averti de suite de t'événe-
ment, se ren'tit te lendemain matin, de bonne heure, à la marntère. On
trouva tx monstre noyé, ayant une main fortement fixée sur les 507 fr.
qu'it avait volés, et l'autre crispée, tenait encore le couteau.
HL Paganini a été condamné hier par te tribunal de première mstan-:
ce (4* chambre) à payer 20,000 francs au Casino-Paganini pour dommages
etiotéréts.
H vient de paraUrc chez Ledoyen, au Patais-Royat, une brochure in-
-titutée .LÀ YË'tïTÉ A Tous, à'propos de la co.ayocat. Cette brochure Justine parfaitement son titre, et, malgré quelques
doctrines que nous ne saurions adopter, nous ne pouvons méconnattre sa
tévère'impartiatité.
KARjDtKt.
CHAPITREStXÏÈME. <
Bje~fFaM.
(Voir !a Pre~M des 25, 26, 27, 28 février et 1" mars.)
C'était te lendemain du jour où JMichaë) avait été enlevé si cruel-
iementasonpere.etàsamere.
Le sombre château de Tebe!en:s'éie\it prcsqu'a pic sur les bords
du Voïoussa. D'un aspect triste, bizarre et grandiose, cet édifice te-
nait à ta fois de la forteresse, de la prison et du minaret; de rares et
étroites fenêtres trëiUissées s'ouvraient .ça et ta irrcguHeremeut'Sur
ses murs de granit, une porte basse recouverte d'une épaisse
grille de, fer, donnait seulement accès dans l'intérieur d~ cette habi-
tation féodale, et deux redoutes ddm !es feux se pouvaient croiser sur
son unique outrée, s'étevaienta quetqucs pas de !a poterne. Enfin, à
défaut de pont, un bac, sorte de grossier caisson carré amarré le long
du neuve, servait de communication avec son autre rive.
La tourmente continuait toujours; ]ap)uie tombait ator)-cns;]e
soleil [evant luttant avec peine contre d'immenses avalanches de nua-
ges sombres pt.hKumincux, et jetait une iueur rougeatre si'r !a crête
sourc;Heuse du Slaïte-Dam, qui se détachait noir et désoté de cette
z6nedepatc]umiére.
La troupe de Guegues qui, sous le commandement du Bektadgi,
amenait Michaël, se trouva bientôt en face du château. 0
Après cette course précipitée, cescavatiers étaient ruisselans d'eau
et couverts de fange. A peu de distance derrière enx, arrivt'reht i
Marco Dukas et sa femme, ))aves,)iYides, les yeux rouges et -secs.
En vain les soldats avaient, depuis-leur sortie du d6!i[é, pressé le
pas de leurs montures, en vain ils avaient menacé ces deux maiheu-
reux montagnards, et même tiré sur eux plusieurs coups de fusil. Ce
père et cette mère infortunés n'avaient pas voulu quitter !a trace de leur
enfant, et tantôt caches par les escarpemens des rochers tantôt sui-
vant l'escorte en prolongeant la o'ète des hauteurs, ils étaient arrivés
à Tebeien presqu'en même temps que les Albanais.
A peine les cavaliers avaient-Hs mis pied à terre, qu'un d'eux tira
un coup de fusil. Aussitôt quelques Armatoles, sortant du château,
démarèrentleb~c qui haie, sur ses deux cab)eH, traversa lentement
le neuve, et vint recevoir le Hektadgi et sa suite.,
A la poterne, celui-ci descendit de sa mule, connaMichaëi a deux
esclaves noirs qui se présentf'rent', leur dit quelques mots tout bas,
et se dirigea rapidement vers la partie du chuteau où était située la
demeure de Khamco.
Pour y arriver, il lui fallut traverser une longue galerie remplie de
Palikares, tous superbement vêtus, sorte de garde d'honneur dont
Ali voulait toujours voir sa mère entourée. Leurs armes étincelantes
étaient suspendues aux murailles, prêts a partir au moindre signal;
les uns jouaient aux des, ceux-crfumaient accroupis sur un long di-
van de paiHc, d'autres dormaient étendus sur le sol, couchés sur leurs
épais képé, tandis que ceux-là fourbissaient avec soin leurs sabres à
fourreaux d'argent ou leurs riches pistolet incrustés de nacre. Dans
u'ne antre pièce se tenaient des devins; des magiciens et quelques
pauvres danseuses bohémiennes brunes, maigres et effarouchées, vê-
tues d'étoffés de couleurs tranchantes et de cunquant terni. La veiUc,
par un de ces caprices bizarres nés des rêves brûlans de la fièvre,
Khamco mourante avait demandé à voir ces malheureuse.; exécuter
quelques unes de leurs danses; mais comme el'es étaient a Cor-
moovo, yitfage distant de six lieues de Tebeien, aussitôt les Albanais
avaient monté à chevaf, et.quatre heures après, les brunes mies d'E-
gypte, apportées en croupe par les soldats, attendaient en tremblant
les ordres de Khamco qui, profondément absorbée, ne youfut pas les
voir..
Ayant traversé cette foule empressée, inquiète; non par suite de
l'attachement qu'eHe portait a sa farouche m:)i!resse; mais parce que
chacun redoutait toujours de se voir l'objet de quoique sanglant ca-
price de la terribie mourante, JcBektad~i parviuta l'entrée d'une
cour dans iaquelte aboutissait un long corridor o' né de cotonnettes
de marbre et qui conduisait a la porte extérieure de l'appartement de
Khamco, gardé par les eunuques noirs.
Alors )ë Bektadgi heurta légèrement à cette porte; une des femmes
de Khamco l'ouvrit, souleva un long _pan de tapisserie, et demanda
au magicien ce qu'il voulait.
L'enfant du radja est ici. Faut-il commencer les mystères
d'Eblis?
Pas encore, revint bientôt dire l'esclave, puis elle rentra
dans l'Mtérieur de l'appartement où nous allons conduire le tectenr.
Qu'on se figure une vaste pièce, formant un carré long, et dont les
murs, contre l'habitude orientate. étaient recouverts de tapisseries de
hante lice, d'un vert sombre à feuillage, tenture qu'Ali de Tebelen
avait fait venir de France pou.r sa mère. Un large, bas ~t profond
divan de brocard de Lyon, or et incarnat, régnait tout autour de
cette pièce. Bien qu'il fît grand jour, d'ép is rideaux voilant l'étroite
et unique fenêtre qui aurait pu éclairer l'appartement, étaient soi-
gneusement fermés, et les bougies de quelques girandojes de cristal
y jetaient seules une clarté douteuse. Une immense cheminée dont
le chambrante de marbre noir se composait do deux cariatides anti-
ques, jetàit une chateur considérable; car son targe foyer, rempli de
braise rouge, semblait une fournaise ardente. Le vent d'ouest mugis-
sait tristement dans les longues galeries extérieures du sérail, se mê-
lait aux aboiemeus lugubres des mousses, énormes chiens de garde.
Trois personnes s'y trouvaient réunies, une 'vicitie esctave Cy-
priote, qui, de temps à autre, avivait le feu. Khamco et sa fille
Kaïnitza.
-A demi couchée sur le divan, dans l'angle de muraille qui avoisi-
nait la cheminée, Khamco, enveloppée de fourrures, était assise sur
son séant et regardait attentivement sa fitte, qui, sans doute vaincue
par les veilles et la fatigue, s'était endormie, couchée aux pieds de
sa mère, en voûtant les réchauffer contre sa poitrine.
Tour à tour reflétée par la lueur ardente du foyer, et l'incertaine
ctarté.des bougies, les traits de Khamco avaient une indéfinissable ex-
pression d'orgueil, de douteur et de désespoir.
La mère d'Ali de Tebelen avait cinquante-six ans. Autrefois
sibelte, sa figure portait a!ors ta cruelle empreinte d'une vieillesse
sans doute hâtée par quelque terrible infortune; ses longs cheveux
blancs tombaient en nombreuses bouc!es sur ses épautes; son front
décoloré, froid et uni comme du marbre, et que par bizarrerie tes ri-
des semblaient avoir respecté, éiait vaste, proéminent et surplombait
un .orbite profond où luisaient deux grands ycuxno~'sbri!)ansdu
sombre feu de la Sevré. S~s joues creuses étaient pa)es, mais ses lè-
vrcs étaient d'un rouge vif, étrange à voir ses bras amaigris sor-
taient des grandes manches de sa pelisse de fourrure noire. Absorbée
dans la contemplation de sa fitle, Khamco appuyait sur une de ses
mains sa tête pesante et douloureuse.
Kaïnitza, vêtue à la mode albanaise, d'une longue robe de soie
bleue et d'une sorte de tunique brune brodée d'argent'et de soie,
serrée autour de sa taitle par une écharpe de cachemire, était dans
tout l'édat de sa mâle beauté car cite ressemblait extrêmement a sa
mère ses tresses brunesdérangéespendant son sommeil, voilaient près-
qu'entièrcment son visage. Assise et à demi couchée aux pieds de
~Khamco, sa tailie extrêmement cambrée par cette position, montrait
ainsi ses hobfes proportions.
An ne vient pas. je ne verrai pas A!i disait Khamco a voix
basse, l'œi) cave, fixe'et ardent.
–Et elle demeura Jong-temps silencieuse.
A)i ne viendra pas, reprit-eMe, il assiège Panagia. Depuis
trois mois que dure ce siège, mon fils a perdu là bien des so)dats..
S'il abandonnait cette place aujourd'hui, tant de sang aurait été inu-
tile. Kon, non, Ali ne viendra pas! répéta-t-eUe en se rejetant
sur le divan avec un mouvement désespéré qui éveilla Kaïnitza;
celic-ci se redressa vivement et comme en sursaut; puis revenant à
c'Ie:
–Je dormais. je crois; ma mère. Et vos pieds. sont-ils
toujours ghcés ?
A)i ne viendra pas, lui dit tristement Khamco.
–Ali. viendra, ma mo'c.
Comme i! tarde! )':tje le sens. la vie va s'éteindre en moi!
Mttu fiis! mon fils! ne pas revoir mon fiis;
–A!i viendra. Hier, il a dù recevoir votre message; ce soir, il
sera près de vous rassurcx-vou.s, ma merb.
Mais ce sfégf, cette b.:t:)iHe, cette armée?.
Siège baH)i)ié, armée, H quiitf;ra tout pour venir auprès de
ccile qui, dit-i), ~'<: /
Oh! il faut bien qu'il vienne. car je me sens mourir.
–Non, non/ma mère, vous ne mourrez pas. Le Bektadgi a en-
levé cette nuit un '6!s de Radja, et i[ dit que maintenant son phi!tr:î
ssrasouvcrain.
–Encore du sang,–dit Khumcb avec abattement.,
Mais c'est votre vie, ma mcrc, que ce philtre, dit Kaïnitxa
étonnée des scrupules de Khamco.
Pourquoi vivre désormais? AU n'est-il pas visir? Que je ~e voie
seulement, et je meurs contente.
H faut vivre, ma mère, dit Kaïnitza d'un air sombre et
presquefarouche.
Et pourquoi? répéta Khamco avec exaltation. –La révéla-
tion n'est-eUe pas accomplie? ces signes mystérieux que chaque soir.
au soleil couchant je voyais briller dans les airs pendant l'en-
fance d:Aii, ces signes n'ont-i) pas dit vrai. mon fils n'est-il pas
pacha deThcssaue.et de Janina?. Aussi, maintenant, mon heure est
venue à moi, qui dans mon orgueil de mère ai toujours méprise l'a-
mour des hommes, parce que lorsqu'on a eu pour fils le lionceau.
puis le lion de Tebeien, ou doit mépriser profondement tous !es au-
tres hommes.
–Et cela est vrai, ma mère; –j'étais bien jeune, et je vous
voyais, belle et tio'e, sourire dédaigneuse lorsque vous entendiez
parier de l'amour que vous inspiriez aux plus redoutables capitaines
deJaToscaria?.
–C'est qu'Ali de Tebelen était mon nts! dit Khamco
avec UD accent triompha).
–Kaïnitza continua, en observant attentivement Jes traits de
Khamco, comme si eUe eut calculé l'effet de chacune de ses paroles.
Aussi pcndaut bien long-temps, ma mère, les chants des Arma-
toles n'ont été que de tristes plaintes sur tes orgueilleux dédains de'
Khamco, la pale veuve deVcly-Eey. Ils comparaient la froideur
de sou cœur indomptable, à la cime sauvage et glacée du Méjourani,
dont aucun pied humain n'a foute la neige éterhe))c.
An de Tebeien était mon uts, répéta Kbamco avec un air
de fierté rayonnante, qui scmbta donner quelque vie à ses traits dé-
jà décomposes par t'approche de la mort.
Kaïnitza continua:
–Dans laplame et dans la montagne on ne prononçait )e nom
de la veuve de Vcly-Bcy qu'avec une sorte d* respectueuse terreur.
L'Albanais, le Pafi~are, le.KIcphtc ou Je Radja, du plus loiu qu'ils
l'apercevaieut, la saluaient comme une suttanc.impëriaic.
Et j'étais caivrée de ces respects, mon enfant, di!: Khamco,
–et monorgueil en a!tait aux nues. etj'aurais. s'i) l'avait faihi, paye
cetteadmiration, ces respects, de ma vie.des tortures tss plusatfreuses.
parceque c'était à la mère d'Aiido Tcbefen que tant d'hommages s'a-
adressaicut, parce qu'en m'honorant ainsi, on honorait la m~rc de
mon fils, parce qu'enfin choisie par le destin pour être sa mère. je
me serais vcutue reine, déesse. et crois-moi, ajouta Khamco,
redressant ûcrement sa tête et rejetant sa chcvcjurc bfanche en ar~
ricre par un mouvement d'une majesté sublime, et crois-moi.,
celle a qui le destin revête ce qu'il m'a révèle. celle a qui il a don-
né pour fils Ati dé Tebeien,/ce)!e-Ia est plus qu'une morteDe ?.
TEmportee par son amour Hiial, sauvage et farouche, Kaïnitza ve-
nait d'atteindre son but, car e!)e n'avait voulu exafter ainsi jusqu'au
déHre la fatale et superbe monomanie de sa mère, qu'aGu de la pré-
cipiter plus sûrement encore dans un épouvantable souvenir, abime
de honte et de dégradation espérant que la fureur de vengeance de
Khamco serait të))e, que pour l'assouvir. elle consentirait à l'espèce
de sacrifice humai)) qui, suivant une abominable superstition, pou-
vait seuiprotongersesjours.
Répétant donc lentement les derniers mots de Kliamco, Kaïaitza
'reprit:
Et vous dites vrai, ma mère. celle à qui le destin a révélé te
qu'il vous a révélé. celle à qui il a donné pour fi)s'.Mi, le lion de
TcbeIeu.AII-Pacba de Janina.Oui, oui, cene-Ia est plus qu'une
mortelle.
Khamco redressa de nouveau son front mourant, aussi orgueil-
leusement que s'il eût porté un royal diadème.
Pourquoi faut-il donc, reprit Kaïnitza tremblante, en songeant
a l'épouvantable tourmente que ses paroles allaient soulever dans l'a-
me de sa mère, Pourquoi donc faut-il qne le .plus infâme brigand
Lapes, puisse venir dire eu face au lion de Tebeien. Ali, toi pacha
de Janina; A)i, toi visir de Thessatie; toi qu'on M'aborde qu,'à
genoux et avec terreur; toi qui d'un signe envoie'parquer les popu-
lations du nord au sud et du sud au nord comme de vils troupeaux;
toi qui d'un signe envoie tes nuées d'ArmatoIes et de Palikares por-
ter la mort, le ravage et l'incendie au sein des villes les plus puissan-
tes toi plus riche qu'un roi; toi p)us brave etp)us beau que le plus
brave et le plus beau de tes capitaines toi qui possède plus de cinq;
cents femmes dans tes sérails; toi dont le suitan enfin ne prononce le
nom qu'avec inquiétude au milieu de son divan assemblé.
Prends garde! prends garde dit tout bas Khamco, les yeux
ardemment fixes sur sa fi!!e, et pressentant sans doute la terrible chuta
qui allait suivre ce pumpeuxtabteau dû-pouvoir d'Ali.
Pourquoi donc faut-il enfin, ma mère, qu'un Lapes, qu'un bri-
gand, qu'un radja, pour voir ton ms et mon frère, écrasé de honte,
n'ait qu'à lui dire:~M.soM~MM-cA~ Kaïnitza d'une voix éc)atante.
A peme eût-elle prononcé ces mots, que les traits de Khamco de-
vinrent Imdes; ses yeux égarés briUèreutd'uu éclat infernal; puis,
passant ses mains amaigries sur son front, comme si elle se fùt éveil-
lée d'un songe horrible, elle les ferma par un 'mouvement de rag&
convulsive; et cachant ses yeux sous ses poings crispés, elle poussa:
un long gémissement, en'se roulant sur le divan.
Kaïnitza frémit, craignant que cette violente commotion ne caasaE
la mort de sa mère déjà si anaiMie; mais la vivacité même deslern-
Mes souvenirs qui se soulevèrent dans l'esprit de Khamco mourante
lui donnant une force factice et fébrile, elle s'écria, dans sa fureur
Jevouiais mourir! et j'oubliais ma vengeance! mais
je veux vivre. vivre pour me venger; vivre pour voir raser
la dermère maison de cette ville infâme. vivre pour voir périr son.
dernier habitant dans les plus effroyables tortures. Oui oui il faut.
que je vive. puisque mon fils, maigre sa puissance, ne peut'encore
me venger. dit-il; puisque la dernière heure de toate cette exécrable
population n'est pas encore veauc. Je veux vivre pour attendre
cette heure; jcveuxv~re jusqu'au jour où mon terrible )ion de T&-
beten aura vengé sa mère. Où estleBektadji? Tous sesphiUres
sanglans. qui]'les prépare à l'instant, et d'autres encore, et sans
pitié. sans pidé. car il faut que je vive!!
Tout-a-coup, Kaïniiza tressaH!it; elle prêta l'oreille.. –Uu bruit
lointain de trompettes se St entendre. D'un saut, elle fut à la fenê-
tre et, entrouvrautio rideau, eHes'écria:
–Ma mère'ma mûre'c'est Ait.
Mon nts! ah je n'ai plus besoin du philtre. Je vais viwe'
s ecna Khamco, avec une exaltation impossible à rendre.
~O~M~M~
H~~K~E~ejs.
v~p(6~~t,BC~
Le Co.! .Tcrf; p3U!' tST), ~ternis ds-nicrem~ten Yen!c. L'édi-
teur dont tous les tivrcs obtiennent un trcs gi-nd succès, publie en ce mo-
ment deKoNens ouvrages sur )esJo)Y~M, tes~r.! et leur e~Mn. Rien da:
à personne de critiquertatoyauté.
KMaréctamation.monsieur le rédacteur.mé parait si bien fondée que je Be
'croispasavoirbesoind'invoQuertatoi.
Agréez, BERTRAND, docteur-médecin, rue Lcpcttetier, 20.
~l1I.ll
L'abondance des matières poHtiques nous oblige d'ajourner h de-
main le feuiDeton de M. Granier de Cassagnac.
Nfcaaveitcs.ce :
Le rot, accompagné de M. te~côtonet Dumas, de M. Boismiton, et de deux
oHciers d'ordonnance, est parti hier à midi et demi pour se rendre à Ver-
sailles. M. est montéeen voiture dans tacourduLouvre, où elle s'était
rendue en vissant ta grande galerie du Musée. Les personnes réunies dans
ia cou. et parmi tesquettcs se trouvaient plusieurs artistes, ont fait enten-
dre plusieurs reprises les cris de,V!t)f
S. M. est passée par Saint-Ctoud, où elle est restée une heure environ.
Elle est allée ensuite à Trianon, où ette a été reçue par M. !e général Mor-
nay. H était quatre heures quand elle est arrivée au paiais dé Versaittes.
Le roi a quitte Versailles a six heures, après avoir visite une partie des
gâteries. S. M. était de retour aux Tuileries à sept heures vingt minutes.
Au moment où le roi, en quittant Paris, se trouvait entre la pompe à feu
de Chaittot et le pcnt d'téna, t'essieu dcs.reues décevant de ta voiture où
était S. M. s'est brise, et )ës chevaux, tances au grand trot, ont tratné cette
voiture t'espace d'environ vingt-cinq pas.,S~.M. n'a heureusement pas été
blessée. Elle est descendue et est montée dans ta voiture de suite..
Dans ta soirée, )e roi est retourné an Musée, où S. M. & continue ta visité
des gâteries, qu'ette avait commencée )e matin..
LctaMeau du prix moyen derttectoUtrede froment arrête te 2S février
par M. te ministre du commerce, à été pour tes marchés de !a première
ctasse de 24 fr. 09 c.; de deuxième classe première section 2t fr. 54 c.; deu-
xième sfetion 24 fr. (j5 c.; de troisième classe première section 25 fr. 39 c.;
deuxième section 22 fr. 57 c.; troisième section 21 fr. 69 c.; de fa quatrième
classe, première section 2) fr. 72 c.; deuxième section 2t fr. 2S c. Le prix
le ptus élevé a été à Marseitte (2S fr. 7t c.), et le plus bas à St.-Lô où il
estdescendual9fr.65c.
–S. A. R. Mgr te duc d'Orléans abien voulu faire prendre 6 abonnemens
au journal t'Bx'poo'tt'oHj publié par M. Le Bouteittier.
–Ontitdans)e/of<)7M/dM.~fa~re,2Sfévrie.i.-
Un bien malheureux événement vient d'avoir )icu à t'entrée de notre
port. Trois jeunes gens, parmi lesquels se trouvait un des passagers dû na-
vire t'~tAa/i'e, retâché hier matin dans notre port, s'embarquent cette nui).,
à minuit, dans un canot que devaient manœuvrer deux jeunes matelots de
ee bâtiment. L'embarcation part pour faire en mer une promonade de uuet-
q ~es heures; mais, au moment où les deux matelots targuent leur voitc pour
sortir des jetée?, une risée soufuf, et tecan~t, mai lesté ou mai gouverné,
chavire entre deux lames de l'entrée du port.
On écrit de Pont-Audemer < Les eaux de la Ritte sont montées à une
tette hauteur (7 pieds de plus que te niveau ordinaire), que'tes prairies ri-
veraines sont couvertes par tS pouces d'eau. Cette inondation a causé quel-
ques~désastres:ie batardeau établi pour construire t'éctùse de la filature e
Fauquet a été enlevé ainsi que plusieurs travaux commencés par divers
propriétaires." v
–Le beau tempsaramene la foute au chemin defer;)aterrasse deSt-Ger-
main devient une succùrsate de la petite Provence, î) vient de s'établir une e
ligne spéciate d'omnibus à Paris conduisant directement les voyageurs de la
place du Carroùset à ta rue de Londres dans t'intérieur de la Ga' e; et par
suite d'une concurrence les omnibus qui transportent du Pccq à St-Germain
ne font plus payer que 5 centimes; on 'payait auparavant 25 centimes.
Un journal du département de Loir-et-Cher rapporte te fait suivant
< Une scèuedesptustragiquss'est passée, le 50 janvier, prèsdeCha-
titton, entre Brou et Chateaudun. Une fermière, attant vendre eu blé au
marché, fut rencontrée par un de ses voisins, auquel elle donnait souvent
du pain et des vétemens, pour le secourir dans sa misère. Le soir, eite re-
venait ta ferme; elle avait vendu son b)é: ii faisait nuit. E!te rencontra
le même individu, et le dialogue suivant s'établit enh'e eux Vous voila,
la mattresse! Vous avez vendu votre blé? Oui, répondit' la fermière.
–Vous en aviez beaucoup, vous avez dû recevoir une centaine d'é-
cns? Un peu au-det. je rapporte 50'7 fr. Cette somme doit vous pe-
ser, donnez-moi votre argent. Je vous remercie, it ne m'embarrasse
point. Donnez-mai donc votre argent. Ce n'est pas nécessaire.
Donnez-moi votre argent, vous dis-je, ou. et en même temps, il
iit reluire à ses~yeux un long couteau! Etie.eut peur et abandonna son ar-
gent. Le chemin s~ divisait en deux branches l'homme prit l'une, et la
femme l'autre, qui conduisait ~hezeUe. Tout à coup, le misérable revint
sur ses pas, et lui dit < Réflexion faite, j'ai votre argent, vous allez me
dénoncer, il faut.que je vous.tue La fermière terriEée< protesta qu'ette
.serait discrète, qu'elle lui pardonnait en considération de sa pauvreté
qu'eue ne souurirait pas beaucoup de cette perte–Non, je vous crains,
it faut que je vous tue. Là, tout près, est une marnière choisissez, je vais
vous y jeter, ou bien je ferai usage de ce couteau. La pauvre femme
éperdue, se décide pour la marnière, d.ins l'espoir, d'un secours inattendu.
Tous deux arrivent sur le tieu. Le bandit la force à sedéshabitter, de
crainte que ses vétemens ne la fassent reconnaitre. Le crime allait être
consommé; mais ta Providence-veiitait sur ta fermière. Le scélérat, pteit) 11
de prévoyance dans ta préparation de son forfait, veut s'assurer si la mar-
'nière est assez profonde, et si et)e-contient de t'eau;U ramasse une pierre,
etsebitisseàt~riScede la marnière pour l'y jeter. La fermière retrouve
toute sa présenced'cspnt, et, saisissant cemoment, ette se précipite avec
désespoir sur soc assassin, le puusse rudement dans le précipice, saisit ses
v&temens, se sauve nue et de.toutela vitesse de ses jambes et <: arrive de-
mi-m~rte chez ette. Le maire de Çhatitton, averti de suite de t'événe-
ment, se ren'tit te lendemain matin, de bonne heure, à la marntère. On
trouva tx monstre noyé, ayant une main fortement fixée sur les 507 fr.
qu'it avait volés, et l'autre crispée, tenait encore le couteau.
HL Paganini a été condamné hier par te tribunal de première mstan-:
ce (4* chambre) à payer 20,000 francs au Casino-Paganini pour dommages
etiotéréts.
H vient de paraUrc chez Ledoyen, au Patais-Royat, une brochure in-
-titutée .LÀ YË'tïTÉ A Tous, à'propos de la co.ayocat. Cette brochure Justine parfaitement son titre, et, malgré quelques
doctrines que nous ne saurions adopter, nous ne pouvons méconnattre sa
tévère'impartiatité.
KARjDtKt.
CHAPITREStXÏÈME. <
Bje~fFaM.
(Voir !a Pre~M des 25, 26, 27, 28 février et 1" mars.)
C'était te lendemain du jour où JMichaë) avait été enlevé si cruel-
iementasonpere.etàsamere.
Le sombre château de Tebe!en:s'éie\it prcsqu'a pic sur les bords
du Voïoussa. D'un aspect triste, bizarre et grandiose, cet édifice te-
nait à ta fois de la forteresse, de la prison et du minaret; de rares et
étroites fenêtres trëiUissées s'ouvraient .ça et ta irrcguHeremeut'Sur
ses murs de granit, une porte basse recouverte d'une épaisse
grille de, fer, donnait seulement accès dans l'intérieur d~ cette habi-
tation féodale, et deux redoutes ddm !es feux se pouvaient croiser sur
son unique outrée, s'étevaienta quetqucs pas de !a poterne. Enfin, à
défaut de pont, un bac, sorte de grossier caisson carré amarré le long
du neuve, servait de communication avec son autre rive.
La tourmente continuait toujours; ]ap)uie tombait ator)-cns;]e
soleil [evant luttant avec peine contre d'immenses avalanches de nua-
ges sombres pt.hKumincux, et jetait une iueur rougeatre si'r !a crête
sourc;Heuse du Slaïte-Dam, qui se détachait noir et désoté de cette
z6nedepatc]umiére.
La troupe de Guegues qui, sous le commandement du Bektadgi,
amenait Michaël, se trouva bientôt en face du château. 0
Après cette course précipitée, cescavatiers étaient ruisselans d'eau
et couverts de fange. A peu de distance derrière enx, arrivt'reht i
Marco Dukas et sa femme, ))aves,)iYides, les yeux rouges et -secs.
En vain les soldats avaient, depuis-leur sortie du d6!i[é, pressé le
pas de leurs montures, en vain ils avaient menacé ces deux maiheu-
reux montagnards, et même tiré sur eux plusieurs coups de fusil. Ce
père et cette mère infortunés n'avaient pas voulu quitter !a trace de leur
enfant, et tantôt caches par les escarpemens des rochers tantôt sui-
vant l'escorte en prolongeant la o'ète des hauteurs, ils étaient arrivés
à Tebeien presqu'en même temps que les Albanais.
A peine les cavaliers avaient-Hs mis pied à terre, qu'un d'eux tira
un coup de fusil. Aussitôt quelques Armatoles, sortant du château,
démarèrentleb~c qui haie, sur ses deux cab)eH, traversa lentement
le neuve, et vint recevoir le Hektadgi et sa suite.,
A la poterne, celui-ci descendit de sa mule, connaMichaëi a deux
esclaves noirs qui se présentf'rent', leur dit quelques mots tout bas,
et se dirigea rapidement vers la partie du chuteau où était située la
demeure de Khamco.
Pour y arriver, il lui fallut traverser une longue galerie remplie de
Palikares, tous superbement vêtus, sorte de garde d'honneur dont
Ali voulait toujours voir sa mère entourée. Leurs armes étincelantes
étaient suspendues aux murailles, prêts a partir au moindre signal;
les uns jouaient aux des, ceux-crfumaient accroupis sur un long di-
van de paiHc, d'autres dormaient étendus sur le sol, couchés sur leurs
épais képé, tandis que ceux-là fourbissaient avec soin leurs sabres à
fourreaux d'argent ou leurs riches pistolet incrustés de nacre. Dans
u'ne antre pièce se tenaient des devins; des magiciens et quelques
pauvres danseuses bohémiennes brunes, maigres et effarouchées, vê-
tues d'étoffés de couleurs tranchantes et de cunquant terni. La veiUc,
par un de ces caprices bizarres nés des rêves brûlans de la fièvre,
Khamco mourante avait demandé à voir ces malheureuse.; exécuter
quelques unes de leurs danses; mais comme el'es étaient a Cor-
moovo, yitfage distant de six lieues de Tebeien, aussitôt les Albanais
avaient monté à chevaf, et.quatre heures après, les brunes mies d'E-
gypte, apportées en croupe par les soldats, attendaient en tremblant
les ordres de Khamco qui, profondément absorbée, ne youfut pas les
voir..
Ayant traversé cette foule empressée, inquiète; non par suite de
l'attachement qu'eHe portait a sa farouche m:)i!resse; mais parce que
chacun redoutait toujours de se voir l'objet de quoique sanglant ca-
price de la terribie mourante, JcBektad~i parviuta l'entrée d'une
cour dans iaquelte aboutissait un long corridor o' né de cotonnettes
de marbre et qui conduisait a la porte extérieure de l'appartement de
Khamco, gardé par les eunuques noirs.
Alors )ë Bektadgi heurta légèrement à cette porte; une des femmes
de Khamco l'ouvrit, souleva un long _pan de tapisserie, et demanda
au magicien ce qu'il voulait.
L'enfant du radja est ici. Faut-il commencer les mystères
d'Eblis?
Pas encore, revint bientôt dire l'esclave, puis elle rentra
dans l'Mtérieur de l'appartement où nous allons conduire le tectenr.
Qu'on se figure une vaste pièce, formant un carré long, et dont les
murs, contre l'habitude orientate. étaient recouverts de tapisseries de
hante lice, d'un vert sombre à feuillage, tenture qu'Ali de Tebelen
avait fait venir de France pou.r sa mère. Un large, bas ~t profond
divan de brocard de Lyon, or et incarnat, régnait tout autour de
cette pièce. Bien qu'il fît grand jour, d'ép is rideaux voilant l'étroite
et unique fenêtre qui aurait pu éclairer l'appartement, étaient soi-
gneusement fermés, et les bougies de quelques girandojes de cristal
y jetaient seules une clarté douteuse. Une immense cheminée dont
le chambrante de marbre noir se composait do deux cariatides anti-
ques, jetàit une chateur considérable; car son targe foyer, rempli de
braise rouge, semblait une fournaise ardente. Le vent d'ouest mugis-
sait tristement dans les longues galeries extérieures du sérail, se mê-
lait aux aboiemeus lugubres des mousses, énormes chiens de garde.
Trois personnes s'y trouvaient réunies, une 'vicitie esctave Cy-
priote, qui, de temps à autre, avivait le feu. Khamco et sa fille
Kaïnitza.
-A demi couchée sur le divan, dans l'angle de muraille qui avoisi-
nait la cheminée, Khamco, enveloppée de fourrures, était assise sur
son séant et regardait attentivement sa fitte, qui, sans doute vaincue
par les veilles et la fatigue, s'était endormie, couchée aux pieds de
sa mère, en voûtant les réchauffer contre sa poitrine.
Tour à tour reflétée par la lueur ardente du foyer, et l'incertaine
ctarté.des bougies, les traits de Khamco avaient une indéfinissable ex-
pression d'orgueil, de douteur et de désespoir.
La mère d'Ali de Tebelen avait cinquante-six ans. Autrefois
sibelte, sa figure portait a!ors ta cruelle empreinte d'une vieillesse
sans doute hâtée par quelque terrible infortune; ses longs cheveux
blancs tombaient en nombreuses bouc!es sur ses épautes; son front
décoloré, froid et uni comme du marbre, et que par bizarrerie tes ri-
des semblaient avoir respecté, éiait vaste, proéminent et surplombait
un .orbite profond où luisaient deux grands ycuxno~'sbri!)ansdu
sombre feu de la Sevré. S~s joues creuses étaient pa)es, mais ses lè-
vrcs étaient d'un rouge vif, étrange à voir ses bras amaigris sor-
taient des grandes manches de sa pelisse de fourrure noire. Absorbée
dans la contemplation de sa fitle, Khamco appuyait sur une de ses
mains sa tête pesante et douloureuse.
Kaïnitza, vêtue à la mode albanaise, d'une longue robe de soie
bleue et d'une sorte de tunique brune brodée d'argent'et de soie,
serrée autour de sa taitle par une écharpe de cachemire, était dans
tout l'édat de sa mâle beauté car cite ressemblait extrêmement a sa
mère ses tresses brunesdérangéespendant son sommeil, voilaient près-
qu'entièrcment son visage. Assise et à demi couchée aux pieds de
~Khamco, sa tailie extrêmement cambrée par cette position, montrait
ainsi ses hobfes proportions.
An ne vient pas. je ne verrai pas A!i disait Khamco a voix
basse, l'œi) cave, fixe'et ardent.
–Et elle demeura Jong-temps silencieuse.
A)i ne viendra pas, reprit-eMe, il assiège Panagia. Depuis
trois mois que dure ce siège, mon fils a perdu là bien des so)dats..
S'il abandonnait cette place aujourd'hui, tant de sang aurait été inu-
tile. Kon, non, Ali ne viendra pas! répéta-t-eUe en se rejetant
sur le divan avec un mouvement désespéré qui éveilla Kaïnitza;
celic-ci se redressa vivement et comme en sursaut; puis revenant à
c'Ie:
–Je dormais. je crois; ma mère. Et vos pieds. sont-ils
toujours ghcés ?
A)i ne viendra pas, lui dit tristement Khamco.
–Ali. viendra, ma mo'c.
Comme i! tarde! )':tje le sens. la vie va s'éteindre en moi!
Mttu fiis! mon fils! ne pas revoir mon fiis;
–A!i viendra. Hier, il a dù recevoir votre message; ce soir, il
sera près de vous rassurcx-vou.s, ma merb.
Mais ce sfégf, cette b.:t:)iHe, cette armée?.
Siège baH)i)ié, armée, H quiitf;ra tout pour venir auprès de
ccile qui, dit-i), ~'<: /
Oh! il faut bien qu'il vienne. car je me sens mourir.
–Non, non/ma mère, vous ne mourrez pas. Le Bektadgi a en-
levé cette nuit un '6!s de Radja, et i[ dit que maintenant son phi!tr:î
ssrasouvcrain.
–Encore du sang,–dit Khumcb avec abattement.,
Mais c'est votre vie, ma mcrc, que ce philtre, dit Kaïnitxa
étonnée des scrupules de Khamco.
Pourquoi vivre désormais? AU n'est-il pas visir? Que je ~e voie
seulement, et je meurs contente.
H faut vivre, ma mère, dit Kaïnitza d'un air sombre et
presquefarouche.
Et pourquoi? répéta Khamco avec exaltation. –La révéla-
tion n'est-eUe pas accomplie? ces signes mystérieux que chaque soir.
au soleil couchant je voyais briller dans les airs pendant l'en-
fance d:Aii, ces signes n'ont-i) pas dit vrai. mon fils n'est-il pas
pacha deThcssaue.et de Janina?. Aussi, maintenant, mon heure est
venue à moi, qui dans mon orgueil de mère ai toujours méprise l'a-
mour des hommes, parce que lorsqu'on a eu pour fils le lionceau.
puis le lion de Tebeien, ou doit mépriser profondement tous !es au-
tres hommes.
–Et cela est vrai, ma mère; –j'étais bien jeune, et je vous
voyais, belle et tio'e, sourire dédaigneuse lorsque vous entendiez
parier de l'amour que vous inspiriez aux plus redoutables capitaines
deJaToscaria?.
–C'est qu'Ali de Tebelen était mon nts! dit Khamco
avec UD accent triompha).
–Kaïnitza continua, en observant attentivement Jes traits de
Khamco, comme si eUe eut calculé l'effet de chacune de ses paroles.
Aussi pcndaut bien long-temps, ma mère, les chants des Arma-
toles n'ont été que de tristes plaintes sur tes orgueilleux dédains de'
Khamco, la pale veuve deVcly-Eey. Ils comparaient la froideur
de sou cœur indomptable, à la cime sauvage et glacée du Méjourani,
dont aucun pied humain n'a foute la neige éterhe))c.
An de Tebeien était mon uts, répéta Kbamco avec un air
de fierté rayonnante, qui scmbta donner quelque vie à ses traits dé-
jà décomposes par t'approche de la mort.
Kaïnitza continua:
–Dans laplame et dans la montagne on ne prononçait )e nom
de la veuve de Vcly-Bcy qu'avec une sorte d* respectueuse terreur.
L'Albanais, le Pafi~are, le.KIcphtc ou Je Radja, du plus loiu qu'ils
l'apercevaieut, la saluaient comme une suttanc.impëriaic.
Et j'étais caivrée de ces respects, mon enfant, di!: Khamco,
–et monorgueil en a!tait aux nues. etj'aurais. s'i) l'avait faihi, paye
cetteadmiration, ces respects, de ma vie.des tortures tss plusatfreuses.
parceque c'était à la mère d'Aiido Tcbefen que tant d'hommages s'a-
adressaicut, parce qu'en m'honorant ainsi, on honorait la m~rc de
mon fils, parce qu'enfin choisie par le destin pour être sa mère. je
me serais vcutue reine, déesse. et crois-moi, ajouta Khamco,
redressant ûcrement sa tête et rejetant sa chcvcjurc bfanche en ar~
ricre par un mouvement d'une majesté sublime, et crois-moi.,
celle a qui le destin revête ce qu'il m'a révèle. celle a qui il a don-
né pour fils Ati dé Tebeien,/ce)!e-Ia est plus qu'une morteDe ?.
TEmportee par son amour Hiial, sauvage et farouche, Kaïnitza ve-
nait d'atteindre son but, car e!)e n'avait voulu exafter ainsi jusqu'au
déHre la fatale et superbe monomanie de sa mère, qu'aGu de la pré-
cipiter plus sûrement encore dans un épouvantable souvenir, abime
de honte et de dégradation espérant que la fureur de vengeance de
Khamco serait të))e, que pour l'assouvir. elle consentirait à l'espèce
de sacrifice humai)) qui, suivant une abominable superstition, pou-
vait seuiprotongersesjours.
Répétant donc lentement les derniers mots de Kliamco, Kaïaitza
'reprit:
Et vous dites vrai, ma mère. celle à qui le destin a révélé te
qu'il vous a révélé. celle à qui il a donné pour fi)s'.Mi, le lion de
TcbeIeu.AII-Pacba de Janina.Oui, oui, cene-Ia est plus qu'une
mortelle.
Khamco redressa de nouveau son front mourant, aussi orgueil-
leusement que s'il eût porté un royal diadème.
Pourquoi faut-il donc, reprit Kaïnitza tremblante, en songeant
a l'épouvantable tourmente que ses paroles allaient soulever dans l'a-
me de sa mère, Pourquoi donc faut-il qne le .plus infâme brigand
Lapes, puisse venir dire eu face au lion de Tebeien. Ali, toi pacha
de Janina; A)i, toi visir de Thessatie; toi qu'on M'aborde qu,'à
genoux et avec terreur; toi qui d'un signe envoie'parquer les popu-
lations du nord au sud et du sud au nord comme de vils troupeaux;
toi qui d'un signe envoie tes nuées d'ArmatoIes et de Palikares por-
ter la mort, le ravage et l'incendie au sein des villes les plus puissan-
tes toi plus riche qu'un roi; toi p)us brave etp)us beau que le plus
brave et le plus beau de tes capitaines toi qui possède plus de cinq;
cents femmes dans tes sérails; toi dont le suitan enfin ne prononce le
nom qu'avec inquiétude au milieu de son divan assemblé.
Prends garde! prends garde dit tout bas Khamco, les yeux
ardemment fixes sur sa fi!!e, et pressentant sans doute la terrible chuta
qui allait suivre ce pumpeuxtabteau dû-pouvoir d'Ali.
Pourquoi donc faut-il enfin, ma mère, qu'un Lapes, qu'un bri-
gand, qu'un radja, pour voir ton ms et mon frère, écrasé de honte,
n'ait qu'à lui dire:~M.soM~MM-cA~
A peme eût-elle prononcé ces mots, que les traits de Khamco de-
vinrent Imdes; ses yeux égarés briUèreutd'uu éclat infernal; puis,
passant ses mains amaigries sur son front, comme si elle se fùt éveil-
lée d'un songe horrible, elle les ferma par un 'mouvement de rag&
convulsive; et cachant ses yeux sous ses poings crispés, elle poussa:
un long gémissement, en'se roulant sur le divan.
Kaïnitza frémit, craignant que cette violente commotion ne caasaE
la mort de sa mère déjà si anaiMie; mais la vivacité même deslern-
Mes souvenirs qui se soulevèrent dans l'esprit de Khamco mourante
lui donnant une force factice et fébrile, elle s'écria, dans sa fureur
Jevouiais mourir! et j'oubliais ma vengeance! mais
je veux vivre. vivre pour me venger; vivre pour voir raser
la dermère maison de cette ville infâme. vivre pour voir périr son.
dernier habitant dans les plus effroyables tortures. Oui oui il faut.
que je vive. puisque mon fils, maigre sa puissance, ne peut'encore
me venger. dit-il; puisque la dernière heure de toate cette exécrable
population n'est pas encore veauc. Je veux vivre pour attendre
cette heure; jcveuxv~re jusqu'au jour où mon terrible )ion de T&-
beten aura vengé sa mère. Où estleBektadji? Tous sesphiUres
sanglans. qui]'les prépare à l'instant, et d'autres encore, et sans
pitié. sans pidé. car il faut que je vive!!
Tout-a-coup, Kaïniiza tressaH!it; elle prêta l'oreille.. –Uu bruit
lointain de trompettes se St entendre. D'un saut, elle fut à la fenê-
tre et, entrouvrautio rideau, eHes'écria:
–Ma mère'ma mûre'c'est Ait.
Mon nts! ah je n'ai plus besoin du philtre. Je vais viwe'
s ecna Khamco, avec une exaltation impossible à rendre.
~O~M~M~
H~~K~E~ejs.
v~p(6~~t,BC~
Le Co.! .Tcrf; p3U!' tST), ~ternis ds-nicrem~ten Yen!c. L'édi-
teur dont tous les tivrcs obtiennent un trcs gi-nd succès, publie en ce mo-
ment deKoNens ouvrages sur )esJo)Y~M, tes~r.! et leur e~Mn. Rien da:
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