Candide retrouve Cunégonde (à Lisbonne)
Chapitre 7
La vieille reparut bientôt ; elle soutenait avec peine une femme tremblante, d'une taille majestueuse, brillante de pierreries et couverte d'un voile. « Ôtez ce voile, dit la vieille à Candide. » Le jeune homme approche ; il lève le voile d'une main timide. Quel moment ! quelle surprise ! il croit voir Melle Cunégonde ; il la voyait en effet, c'était elle-même. La force lui manque, il ne peut proférer une parole, il tombe à ses pieds. Cunégonde tombe sur le canapé. La vieille les accable d'eaux spiritueuses ; ils reprennent leurs sens, ils se parlent : ce sont d'abord des mots entrecoupés, des demandes et des réponses qui se croisent, des soupirs, des larmes, des cris. La vieille leur recommande de faire moins de bruit, et les laisse en liberté. « Quoi ! c'est vous, lui dit Candide; vous vivez ! je vous retrouve en Portugal On ne vous a donc pas violée ? On ne vous a point fendu le ventre, comme le philosophe Pangloss me l'avait assuré ? Si fait, dit la belle Cunégonde mais on ne meurt pas toujours de ces deux accidents. Mais votre père et votre mère ont-ils été tués ? - Il n'est que trop vrai, dit Cunégonde en pleurant. Et votre frère ? Mon frère a été tué aussi. Et pourquoi êtes-vous en Portugal ? et comment avez-vous su que j'y étais ? et par quelle étrange aventure m'avez-vous fait conduire dans cette maison ? Je vous dirai tout cela, répliqua la dame mais il faut auparavant que vous m'appreniez tout ce qui vous est arrivé depuis le baiser innocent que vous me donnâtes, et les coups de pied que vous reçûtes. »
Voltaire, Candide, 1748.
> Texte intégral : Paris, Garnier Frères, 1877