La fable du scorpion

Préface

 

Vigny explique la logique de l’intrigue à travers une fable pour clarifier la thèse du drame.
 
Il y a un jeu atroce, commun aux enfants du midi ; tout le monde le sait. On forme un cercle de charbons ardents ; on saisit un scorpion avec des pinces et on le pose au centre. Il demeure d'abord immobile jusqu'à ce que la chaleur le brûle ; alors il s'effraie et s'agite. On rit. Il se décide vite, marche droit à la flamme, et tente courageusement de se frayer une route à travers les charbons ; mais la douleur est excessive, il se retire. On rit. Il fait lentement le tour du cercle et cherche partout un passage impossible. Alors il revient au centre et rentre dans sa première mais plus sombre immobilité. Enfin, il prend son parti, retourne contre lui-même son dard empoisonné, et tombe mort sur-le-champ. On rit plus fort que jamais.
C'est lui sans doute qui est cruel et coupable, et ces enfants sont bons et innocents. Quand un homme meurt de cette manière, est-il donc suicidé ? C'est la société qui le jette dans le brasier.
 
 
Alfred de Vigny, Chatterton, 1835.
> Texte intégral : Paris, H. Delloye et V. Lecou, 1837-1839