Jugements et critiques

L'Alhambra, cour de l'Alberca

Hector Berlioz

« Avez-vous lu Les Orientales de Victor Hugo ? Il y a des milliers de sublimités. J’ai fait sa chanson des pirates avec accompagnement de tempête ; si je la mets au net et que j’ai le temps de la recopier, je vous l’enverrai avec Faust. C’est de la musique d’écumeur de mer, de forban, de brigand, de flibustier, à voix rauque et sauvage ; mais je n’ai pas besoin de vous mettre au fait, vous comprenez la musique poétique aussi bien que moi. »
(Lettre d’Hector Berlioz à Humbert Ferrand, 2 février 1829)
 

Charles Nodier

« Ils [les critiques qui ne croient pas à l’influence du milieu] riraient pitié si l’on osait avancer que les immenses agrandissements de la puissance anglaise dans l’Orient ont peut-être ouvert en Angleterre une voie nouvelle à la poésie, et que la Muse qui nourrit de miel l’enfance de Moore et de Byron, n’est probablement qu’une Péri. À la vérité, nos orientalistes s’ils ont produit quelque chose n’ont rien encore produit qui approchât des admirables compositions de ces beaux génies, mais il faut avouer que l’influence de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres est un peu moins sentie, un peu moins populaire, un peu moins nationale que celle de la Compagnie des Indes. Et, d’ailleurs, jusqu’à quel point la poésie a-t-elle le droit en France d’emprunter des couleurs à un sol qui n’est pas soumis à notre cadastre, à une nature hors des barrières, qui n’est même pas enclavée dans notre circonscription géographique ? Où est l’ordonnance qui permet l’importation de la pensée et qui affranchit l’imagination des prohibitions de la douane ? C’est une question fort débattue aujourd’hui, mais qui ne sera pas de longtemps décidée. »
(Article sur Byron et Moore publié dans La Quotidienne, 1er novembre 1829)
 

Leconte de Lisle

« Soumis encore aux formules pseudo-classiques dans ses premiers essais, datés de 1822, Victor Hugo transforma complètement sa langue, son style et la facture de son vers dans ses secondes odes et surtout dans Les Orientales. Sans doute, c’était là l’Orient tel qu’il pouvait être conçu à cette époque, et moins l’Orient lui-même que l’Espagne ou la Grèce luttant héroïquement pour son indépendance ; mais ces beaux vers, si nouveaux et si éclatants, furent pour toute une génération prochaine une révélation de la vraie Poésie. Je ne puis me rappeler, pour ma part, sans un profond sentiment de reconnaissance, l’impression soudaine que je ressentis, tout jeune encore, quand ce livre me fut donné autrefois sur les montagnes de mon île natale, quand j’eus cette vision d’un monde plein de lumière, quand j’admirai cette richesse d’images si neuves et si hardies, ce mouvement lyrique irrésistible, cette langue précise et sonore. Ce fut comme une immense et brusque clarté illuminant la mer, les montagnes, les bois, la nature de mon pays, dont jusqu’alors je n’avais entrevu la beauté et le charme étrange que dans les sensations confuses et inconscientes de l’enfance. »
(Discours de réception à l’Académie française ; Derniers Poèmes, Alphone Lemerre, 1895, p. 285-286.)
 

Henri Meschonnic

« Ainsi Les Orientales ne sont pas cet entracte de fantaisie, de recherches gratuitement rythmiques qu’on a un peu vite jugé indigne des grandes créations de Hugo. La lumière et le bonheur d’écrire, le jeu, s’y rejoignent dans l’expérimentation expressionniste, mais ce n’est pas au détriment de la continuité de l’œuvre, comme le montrent les mots, les images, les symboles. »
(Présentation des Orientales ; Victor Hugo, Œuvres complètes, édition chronologique publiée sous la direction de Jean Massin, Le Club français du livre, 1967, p. 492)